Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Dulong Delphine. Quand l'économie devient politique. La conversion de la compétence économique en compétence politique
sous la Ve République. In: Politix, vol. 9, n°35, Troisième trimestre 1996. Entrées en politique. Apprentissages et savoir-faire.
pp. 109-130;
doi : https://doi.org/10.3406/polix.1996.1958
https://www.persee.fr/doc/polix_0295-2319_1996_num_9_35_1958
Abstract
When economics becomes politics. The conversion of economic expertise into political expertise.
Delphine Dulong [109-130].
In the first years of the Fifth Republic representations of the political profession underwent a major
change which was closely tied with the recognition of economic competence in the realm of public
policy. In the sixties economic competence which until then had been demeaned as merely technical
by some actors, started gaining recognition as «political» competence, ie the ability required to be a
political actor. Meanwhile, this change took place well before the advent of the Fifth Republic and in
more than one sectors of what is commonly referred to as the political arena. In this article the author
intends to show how the shift from economic competence to legitimate political resource in the fifties
and the sixties was brought about by multiple actors who were thereby attempting to strengthen their
own position, not only in the social area, but within their own sector of activity as well.
Quand l'économie devient politique
La conversion de la compétence économique
en compétence politique sous la Ve République
Delphine Dulong
Centre de recherches politiques de la Sorbonne
Université Paris I
1. Cf. Lacroix (B.), «Ordre politique et ordre social. Objectivisme, objectivation et analyse
politique», in Grawitz (M.), Leca (J)> dir., Traité de science politique, Paris, PUF, 1985, vol. I, p. 539-
dans l'espace politique sans mesurer tout ce que cette valorisation doit au
préalable à des acteurs «extérieurs» au champ politique qui cherchent par là à
consolider leur propre position, non pas tant dans l'espace social en général
que dans leur propre secteur d'activité.
De fait, tout indique qu'au début des années soixante l'économie reste encore
un domaine réservé aux seuls initiés, n'intéressant guère les élites
intellectuelles et politiques. Un bon indicateur de ce désintérêt est la faiblesse
de l'information économique dans la presse quotidienne et régionale de
l'époque — en particulier sur tout ce qui concerne les aspects économiques de
l'action gouvernementale.
Selon une étude effectuée au début de l'année 1961 par André Lewin3, le
pourcentage d'information économique par rapport à la surface rédactionnelle
totale ne dépasse guère alors les 10 %. Seuls quatre journaux (Le Populaire, Le
Monde, La Croix et Combat) sur les douze étudiés consacrent plus de 10 % de
leur surface rédactionnelle à l'information économique. Et sur les quatre, un seul
atteint les 20 % (Le Populaire). Encore faut-il remarquer qu'il s'agit de celui dont
le tirage est le plus faible (15 000 exemplaires alors que France Soir, qui ne
consacre que 5,8 % de sa surface rédactionnelle aux questions économiques, tire
à 1 300 000). Autrement dit, le journal qui consacre le plus de pages à
l'information économique en 1961 est celui qui est le moins lu de tous ! Surtout,
comparé au milieu des années quatre-vingt, l'intérêt porté à ce type
d'informations paraît dérisoire. C'est ainsi, par exemple, que la part
d'informations que l'Humanité consacre en moyenne à l'économie en 1961 (7,9
%) est trois fois moins importante qu'en 1984 (26,5 %). Pour Le Figaro, celle-ci est
deux fois moins importante : alors qu'il consacre 20 % de sa surface
rédactionnelle à l'information économique en 1984, il n'en consacre que 9,3 %
en I96I. Quand au quotidien Le Monde, s'il consacre déjà 19,8 % de sa surface
1. Au niveau local, voir par exemple Le Bart (C), La rhétorique du maire entrepreneur, Paris,
Pedone, 1992, et François (B.), «La construction de l'image du "maire entrepreneur"«
communication au colloque Le métier politique, GEMEP-CRPS, Université Paris I, 1994.
2. Cité par Lewin (A.), «La presse et l'information économique et financière en France»
Promotions, 71, 1964, p. 56
3- Ibid., p. 59 et s.
110
Quand l'économie devient politique
1. Les calculs pour l'année 1984 ont été effectués par nous. Nous avons choisi cette année dans la
mesure où comme l'année 1961 elle ne marquait ni le début d'un septennat, ni sa fin, et ne
connaissait pas d'élections nationales. Pour chacun des trois journaux, le pourcentage
d'information économique que nous avons calculé est une moyenne sur une semaine (celle du 1er
au 8 février 1984) arrondie au dixième près. Pour ce calcul, nous ne nous sommes pas limité aux
seules pages «économiques» dans notre calcul. Nous avons également pris en compte tout article
ayant une dimension économique. C'est ainsi, par exemple, que nous avons considéré comme
étant de l'information économique les articles portant sur des revendications sociales — et à ce
titre généralement insérés dans les pages «société« — qui s'efforçaient de décrire le contexte
socio-économique de ces revendications. À l'inverse, les pages de publicité ainsi que celles
réservées aux annonces (immobilières ou offres d'emploi pour l'essentiel) n'ont pas été
comptabilisées dans le calcul du nombre total de pages, dans la mesure où ces pages n'existaient
pas en 1961.
2. Cité in Meynaud (J), Destin des idéologies, Lausanne, Études de science politique, 196l, p. 39.
3- Aron (R.), L'opium des intellectuels, Paris, Calmann-Lévy, 1955, P- 250.
4. Par là, on n'entend pas seulement ceux qui ont une formation d'ingénieurs ou d'économistes
mais plus largement ceux qui ont le souci de -pratiquer« l'économie, par opposition à ceux qui
n'en font qu'un usage intellectuel comme, par exemple, les professeurs d'économie — encore que,
comme on le verra, certains professeurs (tel F. Perroux) participent au processus que nous
décrivons ici. Comme on pourra le constater, ces ■ingénieurs-économistes« qui travaillent à la
[suite de la note page suivante]
111
Delphine Dulong
diffusion du savoir économique ne sont généralement pas les plus experts en matière
économique.
1. B. Gaïti, que je remercie pour sa lecture attentive d'une première version de ce texte, m'a fait
remarquer justement que le choix d'une échelle temporelle «large- pour rendre compte du
processus observé conduit ici à négliger le poids de configurations ou de conjonctures
particulières dans lesquelles il s'opère pratiquement. Un tel choix ne signifie cependant pas que
les différents contextes dans lesquels la publicisation de l'économie peut prendre place n'ont pas
d'importance à nos yeux ; la faible attention qui leur est accordée ici n'est que la conséquence
d'un choix de méthode justifié par le seul souci de sélectionner le niveau d'information le plus
pertinent pour notre problématique.
2. Cela est d'autant plus difficile que ces transformations ont des racines très lointaines. Voir, par
exemple, Levan-Lemesle (L.), «L'économie politique à la conquête d'une légitimité (1896-1937)»,
Actes de la recherche en sciences sociales, 47-48, 1983.
3. Directeur du Trésor (1947-1952) puis de la Caisse des dépôts et consignations (1952-1967).
4. Directeur du SEEF (1952-1961) puis de l'INSEE (1961-1967).
5. Directeur de l'INED (1945-1962).
6. Professeur au CNAM, président de la Commission de la main d'oeuvre du Plan (1953 à 1967).
7. Directeur général adjoint d'EDF (1948-1959) puis commissaire général au Plan (1959-1966).
8. Ingénieur autant que physicien, M. Allais est le premier en France à avoir tenté de reconstruire
la totalité de la science économique sur des bases analogues à celles de la physique dans son livre
À la recherche d'une discipline économique, s. 1., 1943.
9- Sur l'analyse sociale de la clôture «scientifique» de la science économique, voir Caro Q.-Y.), Les
économistes distingués. Logique sociale d'un champ scientifique, Paris, Presses de la FNSP, 1983-
10. J'emprunte l'idée d'une «revendication de juridiction» {claim of jurisdiction) à A. Abbott {The
System of Professions. An Essay on the Division of Expert Labor, Chicago, Chicago University
Press, 1988, chap. 3).
112
Quand l'économie devient politique
1. Ellul 0). la technique ou l'enjeu du siècle, Paris, Armand Colin, 1954, p. 147-148.
2. Sur les enjeux politiques des sciences dites «prospectives-, voir Boltanski (L), Bourdieu (P.), «La
science royale et le fatalisme du probable», Actes de la recherche en sciences sociales, 2-3, 1976.
3. Boutinard Rouelle (J-). «De l'utilité du savoir économique dans la conduite des affaires privées
et publiques», Revue économique, 6, 1959, p. 881 (souligné par moi).
4. Voir, par exemple, Ellul (J.), La technique ou l'enjeu du siècle, op. cit., p. l60 et s.
5. Beaud (M.), Dostaller (G.), La pensée économique depuis Keynes, Paris, Seuil, 1993, p. 82.
6. Mais pas uniquement comme l'indique explicitement le titre d'un ouvrage de J. Fourastié : La
prévision économique au service de l'entreprise et de la nation (Paris, PUF, 1955).
113
Delphine Dulong
dans cette
apporter desréalité,
solutions.
est problématique,
En l'occurrence,dans
il s'agit
le même
ici de temps
réduirequ'elle
le monde
prétend
à ses
y
aspects économiques. Qu'il s'agisse du confort, de l'hygiène, mais aussi des
mouvements revendicatifs, des luttes d'intérêts, ou même des rivalités
internationales, tout semble pouvoir se résumer aux facteurs économiques.
Non seulement ces derniers semblent déterminer les conditions de vie, mais
ils sont présentés comme étant au principe des rapports socio-politiques.
C'est dans une telle perspective qu'il faut comprendre l'apparition dans les
années cinquante d'un nouveau type de réflexions — faisant un large emprunt
à l'analyse «marginaliste» — autour de l'«efficacité dans la gestion des affaires
publiques», de la «rationalisation des affaires de l'État», ou du «rendement»
des services publics. On parle de plus en plus «de la productivité du secteur
public», ou du «coût et l'utilité des services publics», et l'on commence à
s'interroger sérieusement sur la façon dont on pourrait chiffrer «la valeur des
services rendus par l'État»2.
Des premiers essais ont lieu sous la houlette du Comité central d'enquêtes sur le
coût et le rendement des services publics créé en 1946. On mesure le rendement
du service des Haras, celui des établissements d'enseignement technique et des
centres d'apprentissage, ou encore celui des voies navigables. On analyse le
problème des files d'attente afin de préciser le nombre d'employés à placer à un
guichet pour satisfaire la clientèle tout en évitant les pertes d'argent. On cherche
à améliorer l'écoulement des véhicules en milieu urbain. On va jusqu'à mesurer
le rendement d'un service pénitentiaire. On met alors en équation le nombre de
prisonniers et de gardiens pour connaître le coût du gardiennage par détenu ;
on compare le taux de morbidité de la population pénale à celui de la
population générale pour chiffrer l'état de santé des prisonniers ; ou encore,
1. Fourastié (J.), Laleuf (A.), Révolution à l'Ouest, Paris, PUF, 1957, p. 8-9 (souligné par les auteurs).
2. Voir, par exemple, Ardant (G.), «Signification théorique et portée pratique d'une méthode
nouvelle. La mesure du rendement des entreprises et des services publics», Revue économique, 4,
1952, ou encore, du même auteur, Technique de l'État. De la productivité du secteur public, Paris,
PUF, 1953-
114
Quand l'économie devient politique
Comment ne pas voir, alors, à travers tous ces discours — et les réalisations
pratiques qui les accompagnent — , que tend en fait à s'opérer une redéfinition
des principes de légitimation du politique ? Définie comme un discours
scientifique capable de réduire les tensions sociales et de «rechercher les
objectifs véritables [...] au-delà des idéologies de justification et des mythes
sociaux»4, la science économique neutralise la politique en la réduisant à une
simple technique de gestion rationnelle. C'est en effet sous le couvert de la
neutralité scientifique, c'est-à-dire d'une pensée qui, comme l'affirme Jean
Fourastié, n'a «ni patrie, ni doctrine politique»5, que les «ingénieurs-
économistes» espèrent voir un jour le politique déterminé par des «prévisions
économiques» et non par «l'arbitraire» des délibérations parlementaires. Pour
eux, la politique (économique) »doit se fixer des buts, des objectifs à long
terme et réaliser des conditions nécessaires pour que ces objectifs soient
remplis. Ces buts ne peuvent être déterminés avec exactitude et d'une façon
valable au point de vue scientifique que si l'on fait des prévisions
économiques ; car le but ne peut pas être arbitraire : il doit être le point de
passage obligé, qu'il faut franchir pour obtenir le progrès social»6.
On retrouve une telle ambition dans Révolution à l'Ouest, mais sous la forme,
cette fois, d'une dénonciation du caractère peu scientifique des choix
politiques : «En effet, l'on s'aperçoit vite que, dans l'état actuel des sciences
humaines, aucune réponse sûre et précise ne peut être donnée à la question
1. Perroux (F.), Leçon inaugurale faite le lundi 5 décembre 1955 au Collège de France, p. 8.
2. Ibid. (souligné par moi).
3. Fourastié (J)> La civilisation de I960, Paris, PUF, 1947, p. 114.
4. Perroux (F.), «Sur la science économique-, Revue de l'enseignement supérieur, 2, I960, p. 128.
5. Fourastié (J)> La civilisation de I960, op. cit., p. 73.
6. Fourastié (J.), La prévision économique au service de l'entreprise et de la nation, op. cit., p. 9
(souligné par moi).
115
Delphine Dulong
Certains, par exemple, estiment qu'il faudrait confier «la réalisation d'un plan
global comme le "plan de modernisation", le contrôle des ententes, la gestion
des exploitations publiques, l'arbitrage dans les conflits du travail [...] à des
"magistrats économiques" pourvus d'une mission définie et d'une
responsabilité»2. D'autres, plus radicaux, n'hésitent pas à prôner la relève du
responsable politique traditionnel par le scientifique. Au moins, «si les savants
s'étaient appliqués à rechercher les lois de l'évolution politique et sociale des
nations avant de rechercher les lois de la physique et de la chimie, les États
seraient dès maintenant tous gouvernés par des hommes de science au lieu de
l'être le plus souvent par des ignorants, des impulsifs, des sots ou des fous
furieux», écrit ainsi Jean Fourastié3. Et d'en appeler à la formation d'une
véritable science du politique : «La science politique se formera ; l'intrusion
tardive mais certaine de la méthode scientifique dans l'art politique périmera
peu à peu les formes traditionnelles de Gouvernement, qu'elles soient
démocratiques ou dictatoriales, et leur substituera des organes de direction à
caractère technique, basés sur une connaissance indiscutable et claire de
l'intérêt collectif, de l'intérêt mondial. [...] Le moment approche où la science
économique portera ses premiers fruits et où, fortifié par cette nourriture
indispensable à son développement, l'art politique deviendra une méthode
rationnelle»4.
116
La constitution d'une communauté
de «profanes intéressés» à l'économie
C'est dans cette perspective qu'il faut comprendre l'apparition dans les
années cinquante de magazines tels que L'Express ou Entreprise, ainsi que la
multiplication d'ouvrages économiques de vulgarisation comme La
Civilisation de 1960 de Jean Fourastié paru en 1947, Révolution à l'Ouest du
même auteur (écrit en collaboration avec André Laleuf dix ans plus tard), Vues
sur l'économie et la population jusqu'en 1970 d'Alfred Sauvy, ou encore, pour
ne prendre que des best-sellers, La science économique et l'action de Pierre
Mendès France et Gabriel Ardant paru en 1954. Tous ces ouvrages peuvent en
effet se lire comme des ouvrages de mobilisation visant à intéresser (ou
enrôler) des «profanes» à la science économique. Ceci est particulièrement
visible dans l'ouvrage de Pierre Mendès France et Gabriel Ardant, dans la
mesure où ces derniers y «avouent» clairement, dès l'introduction, que leur
objectif est de «démontrer par des exemples concrets empruntés à l'histoire
de ces trente dernières années l'importance de la science économique» et,
plus encore, de convaincre de son utilité dans la conduite des affaires
publiques1. Aussi, le livre s'adresse-t-il tout particulièrement à une certaine
catégorie de population2 : «La plupart des hommes et même beaucoup de
gouvernants ne pensent pas que la science économique puisse être utilisée
pour la conduite des affaires publiques. [. . .] Or, s'il est un fait qui ressort avec
évidence des événements anciens comme des faits les plus récents, c'est la
gravité des conséquences de politiques fondées sur l'ignorance de la science
économique ou sur ses erreurs»3. S'adressant tout particulièrement «aux
1. Ardant (G.), Mendès France (P.), La science économique et l'action, Paris, Unesco-Julliard, 1954,
p. 11.
2. Si ce travail d'enrôlement concerne généralement des groupes prédéfinis, on notera cependant,
à la suite de B. Latour, que le meilleur moyen est peut-être encore d'«inventer» des groupes de
«profanes intéressés» (La science en action, Paris, La Découverte, 1989, P- 183 et s.). À l'instar de la
compagnie Eastman qui inventa le groupe social des «photographes amateurs de 6 à 96 ans» afin
d'élargir le marché, jusque-là fermé, des plaques photographiques, les «ingénieurs-économistes»
vont ainsi s'allier avec d'autres pour construire un (ou des) groupe(s) de profanes aussi bien
intéressés qu'instruits des questions économiques expressément désignés sous l'appellation de
•cadres». On peut analyser sous cet angle le fait que le premier magazine généraliste en France à
(s')intéresser aux questions économiques, à savoir L'Express, se définit lui-même comme «le
journal des cadres» (cf. Boltanski (L.), Les cadres. La formation d'un groupe social, Paris, Minuit,
1982, p. 179 et s.) et que le magazine économique Entreprise, lancé la même année, prétend
concerner «tous les chefs d'entreprise, tous les administrateurs, tous les cadres, tous les industriels
et tous les commerçants, tous les fonctionnaires que leurs tâches placent en contact avec la vie
économique-dû pays» («Pourquoi nous lançons "Entreprise"», Entreprise, 1, 1953, c'est moi qui
souligne).
3. Ardant (G.), Mendès France (P.), La science économique et l'action, op. cit., p. 7 et 10-11.
117
Delphine Dulong
1. Voir, par exemple, les développements pédagogiques sur la «technique du budget», p. 224 et s.
2. Ibid., p. 12.
3. Ce n'est cependant que tardivement, en 1965, que la science économique devient une matière
obligatoire pour tous les candidats à l'ENA. L'épreuve d'admissibilité qui portait sur «les politiques
économiques- devient une épreuve d'«économie politique», faisant alors entrer au programme,
comme le note M.-C. Kessler, la théorie économique. Dans le même temps, «la part faite aux
mathématiques, aux techniques d'analyse et de prévision, aux statistiques, aux méthodes modernes
de gestion était considérablement accrue» (LENA. La politique de la haute fonction publique,
Paris, Presses de la FNSP, 1978, p. 126 et 132).
4. Sur ce point, voir notamment Gaïti (B.), Les modem isateurs dans l'administration d'après
guerre : histoire de la formation d'un groupe, mémoire de DEA, IEP de Paris, 1987, et De la JVe à
la Ve République. Les conditions de la réalisation d'une prophétie, thèse de science politique,
Université Paris I, 1992.
5. Voir Rousso (H.), dir., De Monnet à Massé. Enjeux politiques et objectifs économiques dans le
cadre des quatre premiers plans (1946-1965), Paris, Éditions du CNRS, 1986, et La planification en
crises (1965-1985), Paris, Editions du CNRS, 1987. Voir aussi Mioche (P.), Le Plan Monnet. Genèse
et élaboration (1941-1947), Paris, Publications de la Sorbonne, 1987. Pour des analyses plus
contemporaines, voir Bauchet (P.), La planification française, 20 ans d'expériences, Paris, Seuil,
1966, et Bauchard (P.), La mystique du Plan. Les menaces de la prospérité, Paris, Arthaud, 1963.
6. Monnet (J)> Mémoires, Paris, Fayard, 1976, p. 292.
7. Mioche (P.), «Syndicats et CNPF dans le Plan : l'amorce d'un consensus ?», in Rousso (H.) dir.,
La planification en crises (1965-1985), op. cit., p. 81.
118
Quand l'économie devient politique
Les syndicats ouvriers ne sont pas les seuls impliqués dans ce processus. Les
Jeunes agriculteurs le sont tout autant par le biais du Commissariat à la
productivité et avec l'aide des ingénieurs de la Direction des services
agricoles4, les Jeunes patrons également, notamment grâce au Centre de
recherche des chefs d'entreprise (CRC)5 ; tous s'efforçant alors de traduire à
l'usage des acteurs de leur propre secteur d'activité (paysans, patrons ou
ouvriers) la vision du monde des «ingénieurs-économistes» et lui conférant
par là même une réalité sociale indéniable. En échange de quoi, ces groupes
bénéficient désormais, grâce à l'effort d'inculcation des «ingénieurs-
économistes», de nouveaux instruments de maîtrise symbolique du monde
social susceptibles de les aider dans la construction de leur identité sociale et
dans leurs propres activités de représentation.
119
Delphine Dulong
spécifique1. Le meilleur exemple, à cet égard, est peut-être celui des Jeunes
patrons. Car pour une fois, ce ne sont pas les «ingénieurs-économistes» qui
prennent l'initiative de l'enrôlement ; ils vont au contraire se laisser enrôler
dans l'entreprise de légitimation du Centre des jeunes patrons (CJP). Créé
deux ans après les événements politiques et sociaux de 1936, celui-ci a en effet
pour principale préoccupation la question de la légitimité de la fonction
patronale : «Le patron n'est pas le partenaire qu'il devrait être : il est toujours
plus ou moins l'ennemi, c'est-à-dire celui qui refuse systématiquement, par
intérêt personnel ou par intérêt de caste, d'accorder aux ouvriers les
demandes toujours jugées justes et possibles qui lui sont présentées. Pire
encore, il est censé maintenir volontairement la classe ouvrière dans un état
d'infériorité économique et psychologique»2. C'est contre cette figure du
patron que le CJP se bat. Pour lui, les événements de 1936 ont montré qu'il
fallait fonder les relations de pouvoir au sein de l'entreprise sur de nouveaux
principes de légitimité : «Le fondement même de leur autorité avait été mis en
cause. Il convenait donc de redéfinir la fonction patronale et de se montrer
dignes de l'autorité qu'elle réclame. À l'origine donc, le "Centre des Jeunes
Patrons" a été un regroupement de patrons compétents en matière
économique et sociale et qui voulaient apporter les preuves de cette
compétence^ . Et c'est pour apporter les preuves de leur compétence en
matière économique et sociale que les Jeunes patrons vont investir le CRC et y
faire venir des «ingénieurs-économistes» ainsi, d'ailleurs, que certains
sociologues spécialisés dans les problèmes d'organisation du travail.
Ensemble, ils vont alors opérer tout un travail de redéfinition de la figure
patronale calqué sur le modèle de l'énarque.
1. On est proche, en cela, de l'analyse que propose P. Muller des processus d'élaboration des
politiques publiques, analyse selon laquelle ces processus mettent toujours en cause l'identité des
groupes concernés par ces politiques (cf. Müller (P.), «Les politiques publiques comme
construction d'un rapport au monde», in Faure (A.), Pollet (G.), Warin (P.), dir., La construction du
sens dans les politiques publiques. Débats autour de la notion de référentiel, Paris, L'Harmattan,
1995).
2. Delepoulle (H.), «Un pont jeté entre patrons et ouvriers ?», Jeunes Patrons, février 1951, p. 19-
3. «Qu'est-ce que le CJP ?», Jeunes Patrons, mai 1959, p. 44 (c'est moi qui souligne).
4. Nous rejoignons ici P. Bacot pour qui la notion de politisation peut s'entendre comme un
processus cognitif d'élargissement de la conflictualité (cf. ^'"affaire Claude Bernard". De
quelques hommages publics à une illustration scientifique et de leur politisation», in Michel 0.),
dir., La nécessité de Claude Bernard, Paris, Méridiens-Kl indes ieck, 1991).
120
Quand l'économie devient politique
C'est ainsi qu'au début des années soixante, on assiste au ralliement de ces
différents groupes autour de la problématique générale de l'instauration d'une
«démocratie économique»1. Par là, ces groupes entendent essentiellement
revendiquer leur participation aux décisions dans le domaine des politiques
publiques au nom de leur compétence économique. «Il n'est pas en effet de
démocratie sans participation du plus grand nombre à la direction des affaires
communes, et par conséquent de démocratie économique sans participation
du plus grand nombre aux responsabilités, tant sur le plan de l'entreprise que
sur le plan professionnel, régional, national, et bientôt international», explique
ainsi le président du CJP2. Celui du CNJA va pour sa part encore plus loin.
Pour lui, «la société désormais complexe, exige d'une façon ou d'une autre la
participation de chacun de ces groupes [socioprofessionnels] à la définition
de la politique générale»3. Pour des raisons liées à l'histoire même du
syndicalisme ouvrier, la position des syndicalistes ouvriers impliqués dans
cette même entreprise est en revanche moins franche au sujet de la
participation. À la différence des autres, ils y mettent certaines conditions4.
Pour autant, ils n'en sont pas moins de fermes partisans d'une démocratie
économique5. L'un d'eux va même jusqu'à déclarer que la démocratie
économique est le but de toute action syndicale : «L'action syndicale ouvrière,
c'est, en définitive, un effort permanent pour réaliser dans l'administration de
l'entreprise, de l'industrie et de l'État une véritable démocratie économique et
politique. Ce qui suppose à la fois un double effort de participation et
d'opposition»6.
1. Ce ralliement prend notamment la forme d'un colloque sur ce thème (cf. «Pour une
planification démocratique-, Cahiers de la République, 45, 1962). Il s'agit en fait d'une
problématique ancienne, reprise et reformulée à cette occasion. Sans remonter jusqu'au
socialisme français du XIXe siècle, on doit en effet noter que «la démocratie économique» est l'un
des thèmes distinctifs des mouvements de jeunes «non conformistes» nés dans les années 1930 qui
ont en commun, avec les groupes ici enrôlés, leur militantisme chrétien (cf. Loubet del Bayle (J.-
L.), Les non-conformistes des années trente. Une tentative de renouvellement de la pensée
politique française, Paris, Seuil, 1969)-
2. Bruneau (J)> "Comment les Jeunes patrons voient la "démocratie économique"», L'économie,
589, 30 mai 1957, p. 8.
3. Debatisse (M.), La révolution silencieuse, op. cit., p. 253-
4. Voir, par exemple, Le Brun (P.), «Le point de vue d'un syndicaliste», in Berger (G.) et alii,
Politique et technique, PUF, 1958, et «Questions actuelles du syndicalisme. Intervention au congrès
de la CGT», Cahiers de la République, septembre-octobre 1959-
5. Voir, à cet égard, la participation de membres de la CFTC au colloque de 1962 sur la
«planification démocratique» et leur contribution à l'ouvrage écrit en collaboration avec le CNJA
— préfacé d'ailleurs par les responsables respectifs des deux organisations, E. Descamps et M.
Debatisse — dans le cadre du Groupe de recherche ouvriers/paysans (GROP), Pour une
démocratie économique. Objectifs, moyens et choix, Paris, Seuil, 1964.
6. Detraz (A.), «Action syndicale et démocratie économique», Économie et humanisme, mai-juin
1958, p. 82.
121
Delphine Dulong
122
Quand l'économie devient politique
C'est contre les normes implicites d'accès aux positions politiques que cette
vision des rôles suppose, et pour se défendre en particulier de l'illégitimation
du type de ressource dont ils disposent, que les détenteurs de compétence
économique cherchent à faire valoir cette compétence. Et c'est pour
consolider leur position et exorciser la figure du «technocrate» qu'ils vont
tenter d'imposer une nouvelle figure d'homme politique, contribuant, ce
1. On aura un bonne idée des enjeux que recouvre la construction cette figure du «technocrate» à
travers les portraits au vitriol qu'en dressent Dronne (R.), «L'ère des technocrates», Journal du
Parlement, 14 avril 1959 ; Elgozy (G.), Le paradoxe des technocrates, Paris, Denoël, 1966, et, dans
une moindre mesure, Mathiot (A.), -Bureaucratie et démocratie», Études et documents du Conseil
d'État, 1961 (republié dans Pages de doctrine, vol. I, Paris, LGDJ, 1980). A contrario, pour une
défense et illustration du haut fonctionnaire voir, par exemple, «Ceux qui ont maintenu : les grand
commis», Réalités, 155, 1958, et Philip (O.), «Pour la réhabilitation du technocrate», Promotions,
69, 1964. Dans un tout autre genre, voir également Bauchard (P.), La mystique du Plan. Les
menaces de la prospérité, op. cit., p. 63-66 ; Cottier (J-L.), La technocratie, nouveau pouvoir, Paris,
Cerf, 1959, p. 36 ; Billy (J), Les technocrates, Paris, PUF, [I960] 1975 ; SufFert (G.), -Un technocrate,
qu'est-ce que c'est ?», France Observateur, 25 février I960 ; Viansson-Ponté (P.), «Ceux qui ont
l'oreille du général», Réalités, 232, 1965. Voir enfin les premières analyses de science politique sur
ce problème, et notamment Gournay (B.), -Un groupe dirigeant de la société française : les
Grands Fonctionnaires», Revue française de science politique, 14 (2), 1964 ; Meynaud (JL), La
technocratie. Mythe ou réalité ?, Paris, Payot, 1964, et Technocratie et politique, Lausanne, Etudes
de science politique, I960.
2. Cassagne (R.), Journal officiel, Assemblée nationale, 22 mai 1962, p. 305-306.
3. Boscary-Monsservin (R.), Journal officiel, Assemblée nationale, 23 mai 1962, p. 1280.
123
Delphine Dulong
«Lorsque le pays est dirigé par des hommes qui ont beaucoup de souvenirs
historiques et peu de vues prospectives, on peut se demander dans quelle
mesure ils retiennent les conseils des techniciens efficaces et on peut se
demander dans quelle mesure ils n'engagent pas ce pays sur des voies
dépassées. Cela pose en fait le problème de la formation des gens qui accèdent
au pouvoir. C'est une des difficultés du système démocratique. La masse des
électeurs, en l'état actuel de la formation, est parfois tentée de choisir entre tous
les candidats le moins apte à comprendre les problèmes de ce temps et de
préférer ainsi un poujadiste à un technocrate. Or, il faut bien dire qu'il vaudrait
mieux que l'on choisisse des hommes ayant une formation synthétique, j'irai
même jusqu'à dire un certain type de culture»6.
1. «Les "technocrates de l'Administration", comme l'on dit, ont reçu une formation
essentiellement démocratique. Ils n'ont pas d'autre ambition que de se soumettre à la disposition
du pouvoir politique, tel qu'il se dégage de la volonté populaire, et d'autre idéal que de lui
permettre de réaliser ses objectifs. Bref, ils ont le sens de l'État. Ils savent que le fonctionnaire est
destiné à servir l'État et non à se servir de l'État. Ils n'oublient pas que le poste de responsabilité
dans l'Administration est créé dans l'intérêt du service et jamais dans l'intérêt de celui qui en est
provisoirement le titulaire. Le technocrate est donc, essentiellement, un démocrate en ce sens qu'il
a suffisamment d'humilité pour ne pas porter un jugement de valeur sur les décisions prises par le
peuple» (Philip (O.), «Pour la réhabilitation du technocrate», art. cité, p. 15).
2. Par exemple : «Nous sommes gouvernés par l'inspection des Finances. Il n'y a pas de projets
fiscaux personnels au ministre des Finances : il y a les projets fiscaux de l'inspection des Finances»
(Waline (M.), «Les résistances techniques de l'administration au pouvoir politique», in Berger (G.)
et alii, Politique et technique, op. cit., p. 171).
3. Piétri (F.), «L'inspection des Finances au pouvoir», La revue des deux mondes, 15 juin 1962.
4. Suffert (G.), «Un technocrate, qu'est-ce que c'est ?», art. cité, p. 14.
5. «Démocratie et Technocratie», France Forum, 29, 1961.
6. Ibid., p. 8.
124
Quand l'économie devient politique
Aussi, ce qui donne tout leur poids à ces critiques, qui leur confère une
objectivité apparente, c'est que, venant de toute part, elles semblent alors
universellement partagées. Elles sont aussi bien le fait d'individus issus du
monde administratif, que du monde de l'entreprise, du champ journalistique,
syndical ou encore universitaire. Par exemple, au Ve congrès de l'Association
internationale de science politique, Roger Grégoire déclare que «/"observation
des précédents et le jugement de l'honnête homme ne suffisent plus à
déterminer les options fondamentales : celles-ci supposent des vues
"prospectives" fondées sur la connaissance des possibilités techniques de
demain»2. De son côté, Jean Barets (président de l'association des ingénieurs-
conseils en génie civil) critique l'approximation des prises de décision en
matière politique et dénonce la faible connaissance des hommes politiques
dans le domaine économique :
"Les philosophies politiques, plus ou moins fondées sur des bases
économiques, ont constitué, dans le passé, des outils de travail puissants. Ces
outils, placés entre les mains d'hommes politiques ou d'hommes d'État
intelligents, leur permirent de géniales approximations qui donnèrent naissance
à tant de bouleversements. Depuis dix ans, ces outils de travail sont devenus
insuffisants pour l'homme politique. Ils ne suffisent plus à donner une direction
1. Sur ce point, voir notre thèse de doctorat : Un président de la République à l'image d'une
France 'moderne-, Université Paris I, 1996, chap. 1 et 2.
2. Les problèmes de la technocratie et le rôle des experts, Ve Congrès mondial de l'AISP, Paris, 26-
30 mars 1961, p. 7.
125
Delphine Dulong
politique précise à ceux qui les utilisent. [...] L'outil politique actuel est en effet
périmé. C'est une loupe vulgaire, avec laquelle nous voulons observer des virus ;
il faudrait un microscope pour y parvenir. D'autres outils devront être conçus
pour nous permettre de retrouver ces grands courants puissants qui portèrent les
pensées politiques si loin et si fort. Or, l'homme politique actuel n'a pas, en
général, une connaissance suffisante des problèmes complexes des techniques
et de leurs conséquences, dans le domaine de l'économie»1.
Reste que ce type de discours autour des qualités requises pour exercer le
métier politique n'a aucune chance de porter s'il ne s'accompagne pas d'une
transformation réelle des pratiques politiques. Pour les «technocrates», il ne
suffit pas alors d'agir sur les représentations du réel pour transformer ce réel.
Il s'agit tout autant de transformer des positions de pouvoir politique en
inscrivant la compétence économique dans la définition de certains rôles
politiques. C'est ainsi qu'après l'échec du projet gaulliste d'instituer un Sénat
économique (en 1958), et faute de pouvoir entièrement se satisfaire d'une
1. Barets (J.), La fin des politiques, op. cit., p. 75-77 (c'est moi qui souligne).
2. Armand (L), Plaidoyer pour l'avenir, Paris, Calmann-Lévy, 1961, p. 21.
3. Ibid., p. 17.
4. Ibid.
5. Bauchard (P.), Les technocrates et le pouvoir. X-Crise, synarchie, CGT, clubs, Paris, Arthaud,
1966, p. 268.
6. Lamour (P.), «Mutation de l'esprit civique», La Nef, 15, 1963, p. 44 (c'est moi qui souligne).
126
Quand l'économie devient politique
C'est dans cette perspective qu'il faut replacer «l'opération Monsieur X», à
savoir la candidature de Gaston Defferre à l'élection présidentielle de 1965. À
l'opposé du tribun qui joue de son talent oratoire pour galvaniser son
auditoire, Gaston Defferre doit en effet incarner les vertus de la compétence
(économique et sociale) durant la campagne présidentielle. Sa biographie,
réaménagée pour l'occasion, met d'ailleurs ses qualités d'entrepreneur en
avant : le notable local et puissant patron de l'importante fédération socialiste
des Bouches-du-Rhône, s'efface devant le «patron» du plus grand quotidien
marseillais (le Provençal) et le maire réputé pour son «son excellente gestion
de la deuxième ville de France»2. Constructions scolaires, universitaires,
équipements hospitaliers, logements sociaux et tentatives d'implantation de
nouvelles industries dans la région, tout «cela situe», comme le souligne
Colette Ysmal dans le portrait qu'elle en fait en 1965, «une nouvelle
dimension du rôle de maire qui doit être, pour Gaston Defferre, un animateur
de l'économie régionale et pas seulement le gérant d'une ville»3. Et cette
figure d'entrepreneur se retrouve aussi bien dans la façon dont il gère son
entreprise de presse — «Gaston Defferre investit, achète des presses nouvelles,
utilise les méthodes les plus modernes de vente et de publicité»4 — que dans
la façon dont il occupe des positions de pouvoir — «Incontestablement, il est
un ministre énergique et qui aime être respecté. Secrétaire d'État à
l'Information, il arrive le premier au ministère, travaille avec acharnement sur
les dossiers. Il veut que les conseils des ministres soient de véritables réunions
de travail et des centres de décisions positives»5.
On peut dire, à cet égard, que Gaston Defferre «représente» bien (au sens
propre comme au figuré) les «technocrates». Jeunes patrons, Jeunes
agriculteurs, minoritaires de la CGT et de la CFTC, hauts fonctionnaires du
Plan et/ou du club Jean Moulin, tous ceux qui, à des degrés divers, participent
à l'entreprise de construction sociale de la réalité des «ingénieurs-
économistes», soutiennent en effet sa candidature dès 1963 et forment
désormais «l'équipe de France»6, chargée, encore et toujours, de promouvoir
l'économie durant toute la campagne présidentielle — en répondant
notamment aux questions du «public» — , mais avec cette fois un objectif bien
précis : inscrire la compétence économique dans les qualités requises pour
exercer la fonction présidentielle. C'est qu'«il est de notoriété publique»,
comme l'écrit un journaliste de France-Observateur, que son actuel titulaire,
127
Delphine Dulong
128
Quand l'économie devient politique
129
Delphine Dulong
130