de Rome
Duval Paul Marie.Duval Paul Marie. De Lutèce à Paris. 3. Ce que Paris doit à Lutèce. In: Travaux sur la Gaule (1946-1986)
Rome : École Française de Rome, 1989. pp. 941-946. (Publications de l'École française de Rome, 116)
http://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1989_ant_116_1_3722
Ce ne sont pas les Romains qui ont fondé Paris, ville gauloise : ils
l'ont reconstruite et agrandie énormément, en la doublant d'une
seconde agglomération sur la rive gauche.
Comment ce premier Paris, détruit vers la fin du Bas-Empire
romain (fin du IIIe ou IVe siècle, peut-être un peu plus tard, nous ne
le savons pas exactement, peut-être progressivement, en plusieurs
fois, au rythme des invasions germaniques) a-t-il posé certains traits
qui ont dicté le développement postérieur de la ville et duré jusqu'à
nous?
D'abord tout est dû aux urbanistes qui ont reconstruit Lutèce à la
manière romaine, c'est-à-dire d'une façon durable, en pierre et en
mortier, alors que la ville gauloise était probablement en grande
partie de bois et de pierres sèches assemblées sans mortier, donc peu
solide. Elle a d'ailleurs été incendiée volontairement par les Parisiens
à l'approche des armées romaines. Par conséquent iLn'est rien resté,
en principe, de la première Lutèce gauloise qui remontait, d'après ce
que je crois, au IIIe siècle avant notre ère et avait donc déjà en - 52
une existence assez longue, mais sans avoir jamais dépassé les limites
de l'île de la Cité et des petites îles voisines. Les Romains l'ont
reconstruite dans l'île, en pierres de taille assemblées du mortier, avec ces
moyens techniques qui étaient inconnus de la Gaule.
Le premier fait, c'est que le berceau de Paris étant une île, son
développement était enfermé dans des limites étroites, sur 8 hectares
de surface à construire. Aussi les Romains n'ont-il pas tardé
(puisqu'ils aimaient les grandes et belles villes, particulièrement fondées
agréablement sur un versant de colline, pas trop en pente; exposé
principalement au nord pour éviter des vents qui auraient pu être
trop chauds et peu salubres) à fonder une seconde ville sur la colline
Sainte-Geneviève : ce site était idéal pour eux, sur la rive gauche. Cette
dualité, pour nous qui étudions l'urbanisme antique, n'était pas
courante. On aurait vite fait de compter les villes du monde romain qui
sont doubles, c'est-à-dire faites de deux agglomérations séparées par
plusieurs centaines de mètres au moins. De la Seine au bâtiment du
942 V - VILLES, MONUMENTS, OUVRAGES
jourd'hui : il l'a donc toujours été pour les habitants de Paris, même
dans les temps les plus malheureu - et cela compte aussi beauxcoup.
Sur l'île, nous sommes beaucoup moins bien renseignés. Elle a
été perpétuellement reconstruite sur elle-même, dans des limites très
étroites, pas un pouce de terrain n'étant soustrait aux constructions.
On n'y pouvait certainement pas loger des monuments vastes comme
ceux de la rive gauche. Tout de même, en décembre 1970, on a trouvé
un mur magnifique devant la Préfecture de Police. De 40 mètres de
long, de 5 mètres de haut par endroits, il est construit à peu près
comme celui des Thermes de Cluny, c'est-à-dire avec des rangs de
briques espacés de la même façon, le tout avec un peu moins de soin. Il
a des contreforts, des arcs de décharge, et longe le mur d'enceinte de
la Cité, que l'on a d'ailleurs retrouvé à côté. Il y avait donc là, entre
Notre-Dame et le Palais, qui sera probablement le palais du Bas-
Empire où Julien a habité, un très grand monument, certainement
puissamment voûté, puisqu'il y a des contreforts extérieurs destinés à
contrebuter les voûtes, un peu comme à la Basilique de Trêves, et qui
était peut-être une basilique civile, ou une grande halle, ou une salle
de réception : nous n'en avons qu'un mur d'un des deux longs côtés,
mais sur la puissance et la beauté du monument, ce mur ne peut nous
laisser aucun doute. C'est, à l'heure actuelle, le seul vestige d'un
grand édifice élevé dans l'île de la Cité à l'époque romaine. Il reste
d'ailleurs visible dans une crypte archéologique qui est la plus grande
d'Europe.
Les conséquences de ce grand urbanisme, avec ses servitudes
pour l'île, et surtout ses possibilités d'extension sur la rive gauche, qui
ont été brutalement arrêtées par les invasions germaniques,
paraissent être principalement de trois ordres. D'abord l'axe, qui restera
légèrement nord-est/sud-ouest. Pourquoi cette orientation?
Vraisemblablement parce qu'elle correspondait à la voie qui, rive droite,
deviendra la rue Saint-Martin, prolongement de la rue Saint-Jacques
et menant vers le col de la Chapelle, correspondant donc à une voie
romaine arrivant sur Lutèce, du nord, par une nécessité
géographique. Comme les Romains affectionnaient les lignes droites quand ils
le pouvaient et qu'ils aimaient bien tracer des voies comme avec un fil
à couper le beurre, ils ont choisi cette orientation-là certainement
parce qu'elle était dictée par le col de la Chapelle, du col de la
Chapel e à l'île, donc légèrement en oblique par rapport au nord-sud, et de
l'île sur la colline ils ont continué leur voie droite : ils ont tranché la
colline Sainte-Geneviève de cette façon. C'est une raison
topographique, tout simplement, qui a dicté cette orientation, essentielle pour le
cœur de Paris.
En second lieu, ce qui fait la beauté, l'unité particulière et
l'homogénéité de cette capitale par rapport à tant d'autres, c'est qu'elle
s'est développée d'une façon concentrique. Seulement la moitié sud
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sorties tout à fait de leurs murs exigus pour se recréer dans les
faubourgs.