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Le théorème de Holditch
par Jean-Paul Truc
Résumé.
Soit une corde de longueur donnée qui glisse sur une courbe convexe fermée (C). Considérons
un point de cette corde qui la divise en deux segments de longueur a et b. Ce point décrit une
nouvelle courbe (C ). Sous certaines hypothèses, l’aire comprise entre les deux courbes (C) et
(C ) est donnée par πab. Ce résultat a été démontré par le mathématicien anglais H. Holditch
en 1858. Dans cet article, nous commentons l’évolution de ce théorème et de ses méthodes de
démonstration de 1858 à nos jours. Nous en donnons une forme plus actuelle (1981), qui s’af-
franchit des hypothèses de convexité notamment, et qui est due au mathématicien Suédois Arne
Broman. Nous développons également quelques applications géométriques classiques (cardioïde,
épicycloïdes, système bielle-manivelle).
I Un problème de train un peu and Mr. Mitford Peacock, of Bene’t College, the
particulier... first and second Wranglers. »
Le 13 avril 1823, H. Holditch est ordonné à la cha-
pelle de Christ College. Il sera par la suite président
Rassurez-vous, cette fois il n’est pas question du Caius College et publiera une dizaine d’articles
d’horaire de départ et d’heure de croisement de trains, de mathématiques entre 1838 et 1863. Il a laissé le
comme dans le bon vieux certificat d’études, mais plu- souvenir [11] d’un président invisible, et s’occupant
tôt de géométrie. Voici la question posée : un collec- assez peu des étudiants. Comme le dit Christopher
tionneur de trains électriques a construit un circuit sur Brooke [17], Holditch « abandoned every tempta-
lequel circule un train comme celui de la figure 1 ; les tion to work », ce qui ne l’empêcha pas d’occuper
voitures, un peu longues, ont du mal à suivre la tra- différents postes rétribués à Caius College, comme
jectoire dans les courbes. Une figurine de passager est Président, « Lecturer » en grec et en hébreu. Pour se
située voiture 2 place 56, aux deux tiers de la voiture. reposer de l’année universitaire, il aimait beaucoup
La longueur de la voiture est de 18 cm. La figurine va passer l’été à pêcher en Écosse et au Pays de Galles.
décrire une courbe C1 légèrement différente de celle Nous donnons ci-dessous la formulation origi-
qui représente le circuit C0 . Si Ai est l’aire limitée par nale de son théorème, rapportée par le mathématicien
chacune des courbes Ci , la question est de calculer la Suédois Arne Broman dans [8] :
différence δA = A0 − A1 . La réponse date de 1858.
Théorème 1 (théorème de Holditch).
Elle constitue l’objet d’un théorème [15], démontré
Si une corde d’une courbe fermée de longueur
par le révérend Hamnett Holditch de Caius College à
constante a + b est divisée en deux parties de lon-
Cambridge. Né en 1799, Holditch rentre à Cambridge
gueurs respectives a, b, la différence entre les aires de
en 1822 en remportant le premier prix de mathéma-
la courbe fermée et du lieu du point de division sera
tiques (il est reçu « senior wrangler »). On trouve,
πab.
dans les volumes retraçant l’histoire du Caius College
[5] pour l’année 1822, l’article suivant « Cambridge, Par exemple, dans notre petit problème de train,
February 1.- The late Dr. Smith’s annual prizes of nous aurions, en centimètres, a = 12, b = 6, et la
25 l. each, to the two best proficients in mathema- différence des aires serait environ de 226 cm2 , quelles
tics and natural philosophy among the commen- que soient les dimensions du circuit !
cing Bachelors of Arts, were on Friday last adjud- Avant d’examiner ce résultat plus en détails, étu-
ged to Mr. Hamnett Holditch, of Caius College, dions le cas d’une corde se déplaçant sur un cercle
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Figure 1.
2 Quadrature n◦ 74
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II La formule de Holditch
et sa démonstration originale
Rappelons quelques résultats de géométrie dif-
férentielle : si (γ) est une courbe simple fermée de
classe C 1 par morceaux, alors l’aire limitée par (γ)
est mesurée par l’une des intégrales curvilignes sui-
vantes :
1
A= x dy = − y dx = x dy − y dx. (1)
(γ) (γ) 2 (γ)
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Ceci s’écrit encore : de l’évaluation des aires planes et des arcs de courbe
du traité de Joseph Bertrand [3]. Dans cet ouvrage,
1 2π 1 2π 2
(a + b − r) dθ =
2
r dθ les hypothèses restent encore vagues pour nos critères
2 0 2 0 actuels ; nous reproduisons ci-dessous in extenso1 le
et après calculs, on en tire : résultat tiré de [3] :
« Si dans une courbe fermée on inscrit une corde
2π de longueur a + b, le point qui la divise en deux
rdθ = π(a + b). (4) segments a et b décrit une courbe dont l’aire est
0
égale à celle de la courbe donnée diminuée du pro-
Remarquons que l’aire recherchée δA est en fait l’aire duit πab, en sorte que l’aire comprise entre les deux
balayée par le segment QB diminuée de celle balayée courbes, dont l’une est entièrement arbitraire, est
par le segment QP, ce qui nous donne : exprimée exactement par πab. »
2π La preuve donnée par Bertrand est celle de
1
δA = I2 − I3 = (a + b − r)2 dθ Holditch, avec cette fois une mention explicite de la
2 0 notion d’enveloppe et le dessin qui l’accompagne re-
1 2π présente une courbe convexe. Nous en profiterons au
− (a − r)2 dθ
2 0 passage pour recommander au lecteur de parcourir
1 2π 2 (si ce n’est déjà fait !) l’ouvrage de Bertrand, qui est
= (b − 2br + 2ab)dθ disponible sur LiNum (cf. [4]) et qui présente de jo-
2 0
2π lis résultats de géométrie un peu oubliés aujourd’hui,
= πb(2a + b) − b rdθ comme par exemple le théorème de Steiner. Ce théo-
0
rème traite d’une courbe « roulant » sur une de ses
tangentes, et il est apparenté aux travaux de Holditch,
et en utilisant (4), nous obtenons puisque ce dernier a publié en 1839 un ouvrage de
Mécanique intitulé « On Rolling Curves » [14].
δA = πb((2a + b) − (a + b)) = πab. En 1923, on trouve encore le théorème de
Holditch dans le Cours d’Analyse Infinitésimale [12]
Il faut tout de même noter que les critiques formu-
de Ch.-J. de la Vallée Poussin, Professeur à l’Univer-
lées par Arne Broman dans [8], au sujet du manque de
sité de Louvain. De la Vallée Poussin énonce le théo-
rigueur de la démonstration de Holditch et du manque
rème sous une forme plus précise avec des hypothèses
de précisions de ses hypothèses, sont en fait simple-
plus rigoureuses :
ment révélatrices de la différence d’approche entre un
« Théorème de Holditch. Une corde de longueur
mathématicien du milieu du XIXe siècle et un mathé-
constante a + b se meut d’un mouvement continu
maticien contemporain. N’oublions pas que les for-
en s’appuyant par ses extrémités sur une courbe
mules de Green et de Stokes datent des années 1850,
fermée donnée, C, qui ne se coupe pas. Si ses deux
peu de temps avant la parution de l’article de Holditch.
extrémités font le tour de la courbe C (on suppose
Il est probable que Holditch savait que son résultat
ce mouvement possible, au besoin avec des rétro-
restait valable pour des courbes non convexes d’in-
gradations), l’aire comprise entre la courbe et le
dice 1 et que c’est pour cette raison qu’il n’a pas men-
lieu du point M qui partage la corde en deux seg-
tionné d’hypothèse de convexité.
ments a et b, a pour mesure πab (quelle que soit la
Passons maintenant à un résultat un peu plus gé-
courbe donnée, pourvu que M décrive un contour
néral, puisqu’il va agrandir la famille des courbes aux-
simple). »
quelles s’applique la formule.
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lise plus la formule (2) mais seulement la formule (1). l’horizontale, comme le fait Arne Broman (voir sec-
Cette démonstration astucieuse mérite d’être reprise tion IV). En conclusion :
ici.
ab
Nous notons toujours (C0 ) la courbe décrite par δA = π(a + b)2
les deux extrémités de la corde. (x1 , y1 ) et (x2 , y2 ) sont (a + b)2
les coordonnées des extrémités de la corde, supposées = abπ
dépendre d’un paramètre t qui varie de t1 à t2 quand
les extrémités décrivent (C0 ). L’aire A0 à l’intérieur et le théorème de Holditch est prouvé ! D’autre part
de la courbe est égale à : cette preuve ne fait pas appel aux formules (3) sur
l’aire balayée par un segment.
a b
A0 = A0 + A0
a+b a+b t2 III.3 Au sujet d’un article de Raymond
t2
a b Estève
= − y1 dx1 − y2 dx2
a + b t1 a + b t1
t2 Toujours en 1923, la formule de Holditch fait
ay1 dx1 + by2 dx2
= − l’objet d’un article très intéressant [13], de Raymond
t1 a+b Estève, Professeur au Lycée de Toulouse, dans les
t2 2
(a + ab)y1 dx1 + (ab + b2 )y2 dx2 Nouvelles Annales de Mathématiques. Dans cet ar-
= − ·
t1 (a + b)2 ticle, la formule est présentée sous forme de pro-
blème : « Une droite ABC se déplace dans un plan
D’autre part les coordonnées du point de partage M de façon que trois de ses points décrivent trois
sont : courbes fermées ΓA , ΓB , ΓC , et que la droite décrive
ax1 + bx2 ay1 + by2 un angle total 2kπ. Trouver la relation qui existe
x= y= entre les aires limitées par les trois courbes. »
a+b a+b
La démonstration a cette fois le mérite d’intro-
et l’aire limitée par le lieu du point M est : duire des paramétrisations périodiques des courbes de
t2 période commune T et surtout une fonction φ qui me-
A1 = − y dx sure l’angle fait par la droite avec l’horizontale et qui
t
1t2 vérifie φ(t + T ) = φ(t) + 2kπ. Les courbes ne sont plus
(ay1 + by2 )(adx1 + bdx2 ) supposées convexes mais seulement fermées. De plus,
= −
t1 (a + b)2 on passe de deux à trois courbes, ce qui augmente la
portée du résultat. C’est un résultat très voisin, plus
précis, que démontre Arne Broman soixante ans plus
et par soustraction :
tard dans [8].
δA = A0 − A1
t2
= −
ab
(y1 − y2 )(dx1 − dx2 ). (5)
IV La version de A. Broman
(a + b)2 t1
Théorème 2 (formule de Holditch). Soit (α) une
Il ne reste plus qu’à remarquer que si nous consi- courbe fermée rectifiable de représentation paramé-
−−→ trique x = x(t), y = y(t), 0 ≤ t ≤ 1. Soit θ
dérons le vecteur tournant OP de coordonnées
une fonction continue à variation bornée vérifiant :
τ = x2 − x1 et ξ = y2 − y1 , la formule (5) s’écrit :
θ(1) = θ(0) + 2nπ avec n ∈ N. Soient a et b deux réels
t2 positifs. Un point A = A(t) parcourt (α) et on désigne
ab
δA = − τdξ. par B = B(t) le point tel que le segment A(t)B(t) ait
(a + b)2 t1
pour longueur a + b et que sa direction fasse un angle
t2 de mesure θ(t) avec l’horizontale. Soit D = D(t) le
L’intégrale curviligne − τ dξ représente l’aire li- point de AB situé à la distance a de A. Notons (β) et
t1
mitée par la courbe décrite par l’extrémité P du vec- (δ) les courbes décrites respectivement par les points
teur tournant, qui est tout simplement un cercle de B et D quand A parcourt (α). Posons :
rayon a + b parcouru une fois. À ce propos, il faut
noter que si cela semble évident pour de la vallée- Iα = x dy,
Poussin, une preuve rigoureuse de cette affirmation α
nécessiterait d’introduire une fonction φ telle que Iβ = x dy Iδ = x dy.
φ(t2 ) − φ(t1 ) = 2π, mesurant l’angle de la corde avec β δ
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