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(3) A. DE LAvaADÈRE : Le Contrôle de la légalité des actes administratifs par les Tribunaux
judiciaires du Maroc, Gazette des Tribunaux marocains, 1943, p. 121.
LE CONTENTIEUX ADMINISTRATIF AU MAROC 119
-I-
sur des injonctions adressées à l'autorité administrative, ce qui lui enlève une
grande partie de son intérêt.
Cependant l'unité de juridiction ne constitue qu'un aspect du système;
Il en est un deuxième qui réside dans la séparation des contentieux en vertu
de laquelle les litiges administratifs sont tranchés sur la base d'un ensemble
de règles spécifiques qui constituent un droit administratif autonome par
rapport au droit privé. L'existence d'un droit administratif autonome oblige
donc les juridictions à qualifier les instances dont elles sont saisies, afin de
déterminer celles qui relèvent de la «matière administrative» et qui
devront être règlées sur la base du droit administratif.
En d'autres termes, si le plaideur n'a pas à rechercher la juridiction
compétente parce qu'elle est unique, il doit en revanche, et le juge après
lui, déterminer la nature de l'affaire puisque de cette détermination dépen-
dent les moyens qui seront articulés à l'appui du recours, et le droit applica-
ble au litige. C'est dire que la simplification qui résulte de l'unité de juri-
diction n'est que partielle, puisque le juge est obligé, en tout état de cause,
de déterminer un critère de la «matière administrative ~ afin de connaître
la règle de droit applicable.
Dans la recherche de ce critère les Juridictions marocaines se sont en
général fidèlement inspirées des solutions françaises. Elles utilisent tour à
tour le c~que faisant état de la qualité de l'auteur de l'acte ou
de l'opération en cause; le critère matériel tenant compte de la nature de
l'activité, ou de l'acte source du Iitigè'; les notions de service public, de
puissance publique, le couple gestion publique - gestion privée sont invoquées
au fil des arrêts pour circonscrire une «matière administrative» dont l'éten-
due est, à fort peu de chose près, la même que celle dont les tribunaux
administratifs français ont à connaître (6).
La recherche de ce critère n'a pas été exempte d'erreurs, de contradic-
tions, d'incertitudes, inhérentes à une telle entreprise. Il appartient aujour.
d'hui à la Cour Suprême de trancher les dificultés en sa double qualité de
juge de l'excès de pouvoir et de juge de cassation. A ce dernier titre elle
peut rétablir la véritable nature du litige et imprimer ainsi une unité aux
décisions des juridictions inférieures. Dans cette tâche la Cour Suprême
dispose du moyen particulièrement efficace que lui donne l'article 23 du
dahir du 29 septembre 1957. En vertu de ce texte la Haute Juridiction, saisie
d'un recours en cassation, a la possibilité d'évoquer l'affaire et de statuer
définitivement à la condition que celle-ci soit en état d'être jugée. L'évocation
a été utilisée à plusieurs reprises, soit totalement, soit partiellement, la Cour
ayant dans ce cas tranché certains points du litige et, pour le surplus, renvoyé
l'affaire devant la Cour d'Appel.
. Mais son influence se manifeste également lorsque, en tant que juge
~ de l'excès de pouvoir, elle statue sur sa propre compétence.
-II-
(7) Jusqu'à l'entrée en vigueur de la Constitution de 1962, le recours a été déclaré irrece-
valabe à l'égard du dahir même lorsque celui-ci présentait le caractère d'un acte individuel.
A trois reprises la Cour Suprême a déclaré que «l'acte émanant du Souverain et pris en
122 LE CONTENTIEUX ADMINISTRATIF AU MAROC
forme de dahir» n'émanait pas d'une autorité administrative. Ce qui était justifié compte
tenu du contexte constitutionnel antérieur à 1962, ne le semble plus aujourd'hui s'agissant de
ceux des décrets-royaux qui sont matériellement des actes administratifs, tels les décrets-
royaux de nomination des hauts fonctionnaires. Mals il n'y a aucune jurisprudence à cet égard,
pas plus d'ailleurs qu'en ce qui concerne les actes ayant valeur législative, décret-lois avant
leur ratification (il n'yen a pas eu); la même incerlltude pèse sur les décrets-royaux pris en
verlu de l'état d'exception dans le domaine règlementaire.
(8) Jusqu'alors l'acte de gouvernement n'existe que de façon négative, la Cour Suprême
n'y ayant fait allusion que pour rejeter l'argumentation opposée par l'Administration à la
recevabilité du recours. Toutefois ces décisions sont importantes car la définition de l'acte
de gouvernement exclut le mobile politique sous-jacent dans l'argumentation de l'Adminis-
tration.
(9) Il est vrai que ceci repose sur une seule décision qu'il faut, en outre, Interpréter a
contrario.
LE CONTENTIEUX ADMINISTRATIF AU MAROC 123
encore de demandes qui les auraient conduits à rendre des décisions équiva-
lentes à des décisions d'annulation.
Ainsi chaque fois qu'une action s'analyse, en droit ou en fait, en une \
demande d'annulation, elle devra emprunter la voie du recours pour excès
de pouvoir.
1
C'est la raison pour laquelle la Cour Suprême a admis que le recours
pour excès de pouvoir puisse être dirigé contre des décisions prises en viola-
tion des dispositions contractuelles lorsque le requérant désirait en obtenir
l'annulation. Cette jurisprudence est actuellement limitée au contentieux
des contrats de fonction publique, mais elle pourrait être logiquement étendue
à tous les contrats. Dans tous ces cas, en effet le Juge de pleine juridiction
ne peut donner au requérant qu'une satisfaction restreinte à la seule indem-
nisation du préjudice causé par l'acte illégal.
De la même manière la Cour Suprême admet que seul le recours pour
excès de pouvoir puisse être utilisé pour obtenir la reconnaissance du droit
à une prestation pécuniaire refusée par l'Administration, que le droit trouve
sa source dans un texte législatif ou règlementaire ou dans un contrat.
Dans ce cas il est vrai, le requérant ne dispose jamais du recours en indem- 1/
nité, car la Cour Suprême estime que les juridictions de plein contentieux ne
peuvent pas rendre de décisions qui, en fait, auraient un résultat pratique-
ment équivalent à des décisions d'annulation.
Cette jurisprudence est donc originale dans la mesure où elle admet le
recours pour excès de pouvoir en matière contractuelle. Elle l'est aussi, bien
J
que dans une mesure moindre, en ce qu'elle admet de façon exclusive le
recours pour excès de pouvoir contre les décisions administratives ayant une
portée essentiellement pécuniaire.
Les Tribunaux judiciaires ont également reçu, d'un certain nombre de
textes particuliers le soin de trancher les litiges nés de leur application:
Ainsi en est-il dans le domaine du contentieux fiscal, ou dans celui du
contentieux des pensions civiles par exemple. Dans toutes ces matières la
Haute juridiction interprête strictement l'article 14 du dahir de 1957 et déclare
le recours irrecevable.
On ne rencontre que fort peu de décisions intéressant le problème de-
la qualité du requérant. Plusieurs arrêts ont décidé que l'action corpora-j
tive n'était recevable que si l'acte atta ué concernait talité des
membres du groupement. Dans e cas contraire le groupement ne peut qu'in-
tervenir au recours, si, par ailleurs, les conditions de recevabilité de son inter-
vention sont réunies. Un seul arrêt concerne un recours intenté par une auto-
rité décentralisée pour défendre sa compétence. Malgré ce petit nombre d'ar-
rêts concernant cet important problème, on peut penser que la Cour Suprême
n'aurait pas manqué, si l'occasion lui en avait été donnée, de faire siennes les
solutions du Conseil d'Etat, qui, depuis le début du siècle, a très largement
ouvert le cercle des intéressés pouvant utiliser le recours.
Le dépôt de la requête en excès de pouvoir est soumis à certaines règles
de forme, au demeurant assez simples mais qui sont prescrites à peine de
124 LE CONTENTIEUX ADMINISTRATIF AU MAROC
(10) On peut d'autant plus le penser que les recours - au moins lorsqu'ils sont adressés
aux autorités centrales - sont en principe transmis pour étude au Service de législation du
Secrétariat Général du Gouvernement.
LE CONTENTIEUX ADMINISTRATIF AU MAROC 125
(11) Cette jurisprudence est actuellement négative: Il s'agit en effet d'arrêts d'annulation
dans lesquels la Cour expose, qu'à défaut de circonstances exceptionnelles, l'Administration ne
pouvait agir comme elle l'a fait.
LE CONTENTmUX ADMINISTRATIF AU MAROC 127
Cette affirmation semble d'autant plus fondée que le Juge répressif voit
sa compétence en la matière strictement limitée par la Cour Suprême.
En faveur d'une compétence élargie du juge répressif on aurait pu faire
valoir que le principe de plénitude de compétence du juge pénal revêt une
importance suffisante pour faire échec au principe de séparation des auto-
rités administratives et judiciaires. En outre l'article 609-11 du Code Pénal
de 1962 permet au juge répressif d'appliquer des peines d'amende à ceux
qui auraient contrevenu aux disposition)« des décrets et arrêtés légalement
pris » lorsque ceux-ci ne comportent pas de sanctions propres.
Cependant une décision récente de la Cour Suprême après avoir affirmé
de manière générale que cette disposition ne permet pas au juge répressif
« d'apprécier la légalité des décrets et arrêtés pris dans des matières non ~
contraventionnelles » casse un arrêt de la Cour d'Appel de Rabat (12) en \
estimant que celle-ci a excédé sa compétence en appréciant la légalité d'un
acte administratif individuel.
Si cette solution peut paraître justifiée s'agissant des actes individuels,
encore qu'elle nous semble peu favorable aux prévenus, en revanche elle est
franchement excessive en ce qui concerne les actes réglementaires qui, en
dehors des matières contraventionnelles, ne peuvent plus donner lieu à
aucun contrôle de légalité par voie d'exception.
En tout état de cause nous sommes loin de ce large pouvoir d'appré-
ciation de légalité auquel semblaient habituées les juridictions de 1913.
*
**
Sous cette réserve, au demeurant importante, il est possible de dire que '1
le contrôle de la légalité de 1'.action administrative est suffisamment perfec-
tionné, d'un point de vue technique, pour donner aux administrés les garan-
ties auxquelles ils peuvent prétendre dans un Etat de droit.
C'est une constatation identique que l'on pourra faire en envisageant
maintenant le contentieux de la responsabilité des collectivités publiques.
-III-
(12) En l'espèce le Ministère Public n'ayant pas fait appel, la Cour avait seulement statué
sur l'action civile qui avait, en première instance, été jointe à l'action publique.
(13) J. PRAT: La responsabilité de la puissance publique au Maroc. Rabat 1963.
9
128 LE CONTENTIEUX ADMINISTRATIF AU MAROC
-IV-
tain est de fermer la prétoire à des administrés dont on peut présumer qu'ils
se trouvent dans une situation identique à celle qui résulterait pour eux de
l'absence de recours.
Il faut enfin faire remarquer le rôle important que joue la jurisprudence
dans l'élaboration d'un très grand nombre de règles procédurales de ce
contentieux, et d'un plus grand nombre encore de règles de fond. Le droit
administratif apparaît principalement jurisprudentiel. Il apparaît aussi très
complexe. Or l'absence de spécialisation du juge, l'éloignement dans lequel
il se trouve par rapport à l'administration, s'ils expliquent certains errements
jurisprudentiels du passé, pel1:v~.?t faire craindre pour l'avenir, un « affa~sj
sement » du contrôle de l'administration par un juge qui n'est pas sufisain-
ment au courant de ses problèmes.
Et c'est précisément à l'avenir du contentieux administratif qu'il con-
vient maintenant de s'attacher en fonction des quelques remarques que nous
venons de faire.
La technique au recours contentieux apparaît, à quelques détails près,
assez perfectionnée. Mais les recours contentieux ne sont que des instru-
ments, des outils, dont la valeur n'est pas seulement le fruit de leurs qualités
intrinsèques mais aussi, et peut-être surtout, des conditions de leur utili-
sation.
A cet égard le développement du contentieux administratif (et cela
s'applique au contentieux en général) nous semble se heurter à deux sortes
d'obstacles. Le premier est d'ordre sociologique et concerne le milieu humain
et administratif. Le second est d'ordre institutionnel: il résulte de la
réforme de la justice inscrite dans les faits depuis le 1er janvier 1966.
En premier lieu le développement du contentieux administratif est limité
par les caractéristiques du milieu humain qui se résument en deux points:
le faible niveau d'évolution de la population et la persistance de ce que l'on
pouvait appeler, des « structures d'autorité ». La conséquence la plus frap-
pante de cette situation apparaît dans le fait que la justice est très large-
ment théorique (17). Ceci est extrêmement net s'agissant du recours pour
excès de pouvoir. Sans doute le recours est-il largement ouvert. Et cepen-
dant le nombre de recours a été fort peu élevé depuis 1957 malgré le carac-
tère pressant des souhaits dont il était l'objet avant sa création. De plus,
non seulement leur nombre ne s'est pas accru, mais il accuse actuellement
une fâcheuse tendance à diminuer dans d'inquiétantes proportions.
Il est aisé de comprendre que le recours, compte tenu d\ailleurs de la
centralisation de la justice, n'est accessible qu'à la fraction la plus évoluée
de cette entité que l'on nomme « Administrés ». La lecture des arrêts nous
enseigne que l'administré requérant est principalement, le fonctionnaire, le
commerçant (individu ou société) et l'étranger.
Sans doute de nombreux litiges sont-ils tranchés au cours de procé-
dures administratives, ce qui est conforme, peut-être, à un tempérament na-
(17) Cf. Abdelaziz CHERKAOUI: La tutelle des co!lectivités locales, p. 75. mémoire soutenu
devant la Faculté des Sciences juridiques. économiques et sociales. Rabat. octobre 1965.
LE CONTENTIEUX ADMINISTRATIF AU MAROC 133
(18) A la fin de l'année 1965, le Ministre de la Justice, déclarait au cours d'une confé-
rence de presse: «S.M. le Roi vient de sceller deux décrets royaux portant organisation
d'un concours pour le recrutement de 100 magistrats ... et de 15 conseillers à choisir dIrecte-
ment parmi des licenciés en droit depuis plus de six ans, ou des personnes ayant des connais-
sances suffisantes en droit pour assumer de si hautes fonctions judiciaires •. Le 15 mars der-
nier le Ministre de la Justice faisait savoir que le concours n'avait attiré que quarante
candidatures. Il faut ajouter que dix d'entre elles ont été retenues et que, pour l'instant, aucun
Conseiller à la Cour Suprême n'a pu être recruté. Ceci semble d'autant plus grave que le
Ministre déclarait le même jour que le nombre des démissions ne faisait qu'augmenter. Cette
affirmation semble étonnante sachant que S.M. le Roi a Invité le Conseil Supérieur de la
Magistrature en novembre 1965 à ne pas accepter les démissions qui lui seraient présentées
sauf si cela s'avérait nécessaire.
134 LE CONTENTIEUX ADMINISTRATIF AU MAROC
Quant aux magistrats provenant des juridictions modernes ils sont peu
nombreux et ont bien souvent été recrutés sur la base de mesures transi-
toires qui ne constituent peut-être pas une garantie de leur technicité.
On peut donc à bon droit redouter que les magistrats ne disposent pas
de la compétence nécessaire pour jouer, face à une administration jalouse
de son autorité, le rôle de mainteneur de la légalité et de protecteur des
droits des administrés.
En outre l'instabilité, qui est l'une des caractéristiques de la haute
fonction publique marocaine, a produit des effets néfastes sur la magistra-
ture et spécialement au plus haut niveau. Pour s'en tenir à la Chambre Admi-
nistrative de la Cour Suprême, on constate qu'aucun des magistrats maro-
cains qui y ont, en titre, exercé des fonctions de conseiller de 1958 à 1963,
ne figure parmi les membres de cette Chambre en 1965. Actuellement sur
les cinq magistrats qui composent statutairement la Chambre Administrative,
quatre proviennent de la Chambre Civile dans laquelle d'ailleurs ils conti-
nuent à exercer leurs fonctions. Ceci n'est peut-être pas contraire au texte
organisant la Cour Suprême. Mais en tout état de cause, une telle pratique
nous semble peu compatible avec l'acquisition du minimum de spécialisation
que doivent posséder des magistrats auxquels incombe la tâche redoutable
d'assurer l'unité du contentieux administratif et sa continuité (19).
*
**
Obstacles tec~ues, obstacles institutiO]lnels, obstacles humains, tels
sont les trois éêüëils auxquels se h~~rte le développement du contentieux
administratif et qui se feront particulièrement sentir au cours de la période
qui vient de s'ouvrir. Ils ne sont pas d'égale importance, et aucun d'entre
eux n'est insurmontable. Mais il ne fait aucun doute que le maintien du
contentieux administratif au niveau qu'il avait atteint soit une tâche difficile.
Elle requiert quelques réformes de texte, beaucoup d'efforts de la part du
juge, et surtout, pensons-nous, du temps.
Michel ROUSSET.
(19) Ajoutons que depuis 1962 la diffusion des décisions de la Cour Suprême n'est assurée
que d'une façon très partielle et épisodique, ce qui semble constituer un autre élément de
nature à compromettre le rôle de régulateur des juridictions inférieures dévolu à la Juridic-
tion Suprême.