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Cours 2- La théorie de l’emprunt publique

arguments pour et contre la dette publique : le débat sur la discipline budgétaire

L’opposition entre les écoles néoclassique et keynésienne

Les écoles néoclassique et keynésienne s’opposent notamment sur le rôle que l’État doit jouer sur le
marché et dans les activités économiques. Cette conception différente du rôle de l’État engendre deux
visions de la problématique de la discipline budgétaire. Selon la tradition classique du XIXème siècle
représentée notamment par Adam Smith, David Ricardo et John Stuart Mill, l’État a un rôle limité et
doit être tenu à l’écart des activités économiques privées.

Il ne doit pas intervenir sur le marché, car les déséquilibres se résorbent automatiquement par les
forces du marché. L’État n’a donc qu’un seul rôle : préserver la stabilité de l’environnement
économique et garantir le respect des droits de propriété afin d’assurer les conditions cadres
nécessaires au fonctionnement du marché ; on parle d’État gendarme ou du “moins d’État“. L’emprunt
est à proscrire pour les classiques, parce qu’il permet à l’État de dépenser plus que ce qui lui est
nécessaire pour assurer sa fonction (Novaresi, 2001 : 10 et 11). La gestion du budget public est
assimilée à la gestion d’un ménage privé : on ne doit dépenser que ce que l’on a, sous peine d’être mis
en faillite. La pensée classique est développée par l’École du Public Choice, et notamment par James
Buchanan, depuis les années cinquante.

La doctrine classique est remise en cause en 1936 par la publication de l’ouvrage de Keynes “La
Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie“, qui annonce une rupture quant au rôle de
l’État. Selon Keynes, comme le marché n’est pas toujours capable d’atteindre le plein emploi, il
appartient à l’État d’intervenir pour pallier les défaillances du marché, réduire les fluctuations
économiques et promouvoir une croissance équilibrée.

Le budget public devient un stabilisateur conjoncturel dans l’économie nationale, il permet


d’intervenir sur la demande. Si la demande effective est insuffisante pour assurer le plein emploi et
qu’on se trouve dans une récession, l’État devra relancer cette demande en augmentant ses dépenses
et/ou en prélevant moins d’impôt. Inversement, si l’économie est dans une phase de surchauffe, l’État
devra diminuer ses dépenses et/ou augmenter les impôts afin de freiner la demande effective. On parle
de politiques anticycliques. Seul compte pour les keynésiens l’équilibre macroéconomique, l’équilibre
budgétaire n’est plus un but en soi. L’endettement devient un instrument qui permet d’atteindre le but
principal, l’équilibre macroéconomique (Dafflon, 1998 : 61).

I. Arguments en faveur de la discipline budgétaire

Les arguments en faveur de la discipline budgétaire sont des arguments émanant essentiellement de
l’école classique et de son “héritière“ l’école du Public Choice.

a. D’un point de vue allocutif

La discipline budgétaire favorise l’allocation optimale des ressources et des choix rationnels.
Concernant le financement des tâches publiques et la taille que l’on souhaite donner à l’État, l’impôt
est préférable à l’emprunt principalement pour deux raisons : l’illusion fiscale et la responsabilité
budgétaire.

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Argument 1 : L’emprunt induit un phénomène d’illusion fiscale.

Plusieurs sortes de financements s’offrent à un gouvernement pour ses services collectifs, autrement
dit pour transférer des ressources privées vers le secteur public : les impôts et les taxes, l’emprunt, la
création monétaire.

Si un gouvernement finance ses prestations avec des impôts ou des taxes, il y a transfert réel et
immédiat de ressources entre les citoyens et le gouvernement, sans contrainte d’un budget public
équilibré. Les citoyens considèrent explicitement les coûts (hausse de leurs impôts) qu’une
augmentation de services publics occasionne. Cette méthode de financement permet de rationaliser la
décision et de retenir les appétits dépensiers de l’État.

L’emprunt implique quant à lui un transfert du secteur privé vers le secteur public qui est implicite,
parce que décalé dans le temps et non précisé. Les citoyens peuvent oublier le coût réel des dépenses
publiques, car la charge financière de l’emprunt sera supportée par les futurs citoyens-contribuables,
le financement de la dépense est ainsi reporté (Tollison et Wagner, 1987 : 375 et 376).

L’emprunt cause donc une rupture temporelle dans la relation entre le cercle des bénéficiaires, les
contribuables d’aujourd’hui, et le cercle des payeurs, les contribuables de demain ; c’est dire qu’il y a
rupture du lien entre une dépense et son financement, lien qui doit exister pour que la décision soit
rationnelle. Cette situation induit ainsi un phénomène d’illusion fiscale, car les contribuables actuels
ne ressentent pas le poids du financement.

Au contraire, le financement par impôt permet aux impôts de jouer leur rôle traditionnel de prix des
politiques publiques offertes, car la dépense et son financement sont simultanés, la contrainte
budgétaire étant fixée (Dafflon, 1998 : 68).

Argument 2 : L’emprunt public déresponsabilise le citoyen.

Selon l’école du Public Choice, les comportements des individus ne seront pas identiques face à un
emprunt privé ou face à un emprunt public. Dans le cas d’un emprunt privé, l’individu contracte une
responsabilité individuelle face à sa dette. S’il déménage, ses créanciers le poursuivront et s’il décède,
ses héritiers pourraient devoir payer ses dettes.

Dans le cas d’un emprunt public, c’est toute la collectivité qui est censée être responsable face à cette
dette. Cette responsabilité n’est cependant pas réellement partagée par tous les membres de la
collectivité en ce sens que ces derniers ne possèdent pas “une part individuelle“ de responsabilité de la
dette. Si un résidant d’une collectivité ayant contracté une dette déménage, la dette collective ne suit
pas; de même s’il décède, ses héritiers non résidants ne doivent rien, car il n’y a pas de responsabilité
individuelle face à la dette publique, mais une responsabilité collective, dans la limite politique de la
collectivité s’étant endettée.

On peut donc supposer que les individus seront moins prudents et précautionneux face à un emprunt
public que face à un emprunt privé. Cela pourrait donc conduire les politiciens à emprunter même
quand les conditions pour un emprunt rationnel ne sont pas réunies. La déresponsabilisation des
contribuables face à l’endettement public provoque l’illusion que la dette est moins coûteuse que
l’impôt, les gouvernements auront donc plus tendance à y recourir (Buchanan et Wagner, 1977 : 17 et
18).

Buchanan et al. (1987 : 366 et 367) développe l’argument suivant. Un citoyen pourrait reconnaître
une sorte de responsabilité morale individuelle vis-à-vis de sa collectivité s’il est associé de plein droit

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dans le processus de décision. Dans le cas d’un emprunt, il est nécessaire de distinguer deux groupes
de citoyens : les citoyens ayant participé à la décision de s’endetter pour une dépense et ceux qui n’ont
pas participé à cette décision, et qui n’ont peut-être même pas profité des retombées de la dépense en
question, soit la génération suivante. Les premiers ont sans doute une responsabilité morale
individuelle face aux dettes contractées par leur collectivité, car ils ont participé au processus de
décision qui a engendré la dépense. Les deuxièmes, n’ayant pas participé à la décision, n’auront
certainement pas cette responsabilité.

Le raisonnement ci-dessus s’effectue sous l’hypothèse d’absence de mobilité. Si on lève cette


hypothèse, l’immigration devient possible. Selon Buchanan, un citoyen qui arriverait dans la
collectivité dans la période qui suit la décision relative à la dépense aurait plus de responsabilité face à
la dette de cette collectivité qu’un citoyen qui appartiendrait au deuxième groupe, la génération
suivante. En effet, le nouvel arrivant, bien que n’ayant pas participé à la décision de contracter une
dette, a choisi volontairement de s’installer dans cette collectivité, contrairement au citoyen du
deuxième groupe qui y est né. On peut dire que cette dette envers la collectivité fait partie intégrante
du contrat qui lie le nouvel arrivant à la collectivité. Ce raisonnement n’est cependant cohérent
qu’avec l’hypothèse d’une information parfaite. Il faut en effet que le nouvel arrivant connaisse la
dette réelle de sa nouvelle collectivité afin de faire un choix rationnel.

Par contre, toujours en cas de mobilité, la déresponsabilisation du citoyen face à la dette publique peut
engendrer des comportements stratégiques. Un citoyen peut être favorable à un financement par
emprunt pour des dépenses publiques d’investissement, en profiter quelques temps, puis, lorsqu’un
certain bénéfice en a été retiré, déménager vers une autre collectivité pour ne plus avoir à supporter le
fardeau de la dette. Ces comportements ne sont cependant possibles que si la période de
remboursement de l’emprunt excède la durée de vie du capital de production financé par ledit
emprunt.

Ainsi la distinction entre dépenses courantes (ou de fonctionnement) et dépenses d’investissement est
essentielle. Dans le cas des dépenses courantes, le raisonnement de Buchanan se renforce : une telle
dépense ne devrait pas être financée par emprunt, car elle n’aura pas de retombées aussi longues que
la période de remboursement de l’emprunt. Par contre une dépense d’investissement peut être financée
par emprunt. Idéalement, la période de remboursement correspond à la durée de vie de
l’investissement, compte tenu de sa dépréciation ou de l’obsolescence.

On le voit bien avec ces deux situations, la responsabilité morale individuelle face à un emprunt
public n’est guère praticable si on lève des hypothèses restrictives comme l’information parfaite. On
doit alors envisager une responsabilité morale de groupe soutenue par des règles constitutionnelles.

Argument 3 : L’emprunt réduit l’investissement privé.

Selon les auteurs classiques, l’emprunt public a un effet d’éviction, c’est-à-dire qu’il réduit, ou évince,
les investissements privés. L’emprunt public provoque une diminution des fonds disponibles pour les
agents privés et une hausse des taux d’intérêt due à l’augmentation de la demande de crédit. Cela
engendre une diminution de l’investissement privé, et probablement du PIB. Toutefois, deux
conditions sont nécessaires: (i) l’investissement est une fonction du taux d’intérêt ; (ii) on ne se situe
pas dans une situation de trappe à liquidité, la demande de monnaie n’est donc pas parfaitement
élastique. Cet argument est cependant plutôt théorique, les travaux empiriques sur le sujet ne
parviennent pas à une conclusion unilatérale et définitive qui prouverait l’effet d’éviction (Novaresi,
2001 : 19 à 21).

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Les deux graphiques montrent que la demande de fonds de la part du secteur public fait augmenter le
taux d'intérêt parce que les emprunts du gouvernement haussent la demande de prêts sans qu'il y ait
augmentation de l'offre de prêts. Le premier graphique illustre la situation sur le marché des capitaux
où la demande de prêts est représentée par la courbe D0 et l'offre de prêts par la courbe O0. La
rencontre entre les deux courbes détermine le taux d'intérêt sur le marché qui se fixe en r0. Pour ce
taux, les investissements atteignent I0. Lorsque le gouvernement se trouve face à un déficit, il va
rentrer lui aussi sur le marché des capitaux. La demande de prêts augmente et passe de D0 à D1.
L'offre ne change pas, de sorte que le taux d'intérêt passe à r1. Le taux d'intérêt plus élevé entraîne une
diminution des investissements et une baisse du stock de capital privé. L'effet d'éviction porte donc
atteinte aux générations futures. Cette atteinte est d'autant plus forte que le recours à l'emprunt sert à
financer des dépenses de consommation.

b. D’un point de vue redistributif

Argument 4 : L’emprunt public est un fardeau pour les générations futures.

Selon les auteurs classiques, emprunter pour financer des dépenses courantes est un moyen pour le
gouvernement de se faciliter la tâche en reportant le poids de la dépense publique sur les générations
futures, car celles-ci doivent payer le service de la dette et son amortissement.

Buchanan reprend cette thèse classique et analyse dans “Public Principles of Public Debt“ les effets
redistributifs de la dette entre les générations. Il évalue le fardeau d’une dépense publique financée par
emprunt en termes de sacrifice. Pour cela, il choisit de raisonner en termes de pertes d’utilité
individuelle, car une analyse uniquement basée sur l’équilibre global de l’économie n’est pas
pertinente dans ce cas-là. C’est pourquoi il tient compte de l’équilibre individuel (Buchanan, 1958 :
40). Selon lui, ce sont les contribuables futurs qui supportent la charge de la dette. En effet, leur
revenu réel diminue, car ils doivent payer les intérêts et les amortissements, sans pour autant
bénéficier des retombées de la dépense en question pour compenser le sacrifice consenti.

Cependant, si l’emprunt a été effectué pour des investissements productifs, les futurs contribuables en
retireraient des bénéfices, et ces derniers devraient être comparés avec la charge de la dette, pour
aboutir à un résultat net. Donc si la dette est engendrée pour financer des investissements productifs,

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cela permet de répartir le coût de cette dépense entre les générations qui en bénéficient. Dans ce cas,
on peut tolérer l’emprunt (Buchanan 1958 : 40). En conséquence, la distinction entre dépense de
consommation et dépense d’investissement est primordiale.

Notons que le remboursement d’une dette doit s’étaler sur une période correspondant à la durée de vie
présumée du projet financé par emprunt. Si cette condition est réalisée, alors la dette est supportée par
les individus qui en même temps bénéficient du service collectif ayant engendré l’emprunt. Il y a
coïncidence entre le cercle des payeurs et celui des bénéficiaires. Cependant, si cette condition n’est
pas remplie et que la charge de l’emprunt s’étend sur une période plus longue que le bénéfice retiré du
service collectif, alors une génération paiera pour des services dont elle n’a pas pu bénéficier.

Argument 5 : L’emprunt public est un fardeau pour les gouvernements futurs ; il réduit leur marge
de manœuvre.

Une collectivité qui dépense beaucoup s’expose à deux types de problèmes dans le futur. Le premier
problème est de type financier, elle devra s’acquitter des intérêts et des amortissements, ce qui va
grever d’autant sa marge d’autofinancement, c’est-à-dire son autonomie financière. Le second
problème est d’ordre politique : si une collectivité finance aujourd’hui une dépense publique par
l’emprunt, cela va absorber une partie des recettes fiscales de demain. Les gouvernements futurs
pourraient ainsi voir leur marge de manœuvre fortement diminuée. Si une grande partie des recettes
fiscales est consacrés au service et au paiement de la dette, ils pourraient ainsi se retrouver contraints
dans leurs choix politiques et perdraient toute marge de manœuvre à cause des emprunts contractés
par les gouvernements précédents (Dafflon, 1998 : 73). Cet argument vaut pour tout emprunt, qu’il
finance des dépenses courantes ou d’investissement. Evidemment, le financement par emprunt d’une
dépense publique courante aggrave la situation car les défauts des arguments 4 et 5 s’additionnent.

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c. Du point de vue macroéconomique (stabilisation)

Argument 6 : La dette comme instrument de rééquilibrage économique (politique de relance


keynésienne) se heurte à plusieurs problèmes de mise en œuvre.

Il n’y a pas à proprement parler d’arguments de type macroéconomique qui sont en faveur de la
discipline budgétaire. Ce sont plutôt les faiblesses des arguments keynésiens prônant le relâchement
budgétaire à des fins de relance qui plaident pour la discipline budgétaire. L’idée keynésienne
d’utiliser la politique budgétaire et en particulier la dette comme instrument de rééquilibrage
économique se heurte en effet à plusieurs problèmes de mise en oeuvre qui en réduisent l’efficacité
(Novaresi, 2001 : 26 à 30) : ƒ

 Des problèmes techniques de mise en œuvre des politiques budgétaires : non seulement la
prévision des cycles est très difficile (décalage entre l’horizon temporel des prévisions
conjoncturelles, mensuel, et celui du processus budgétaire, annuel), mais en plus les délais
d’engagement de la politique budgétaire sont longs, l’intervention risque donc de déclencher
ses effets à contretemps. ƒ
 Des problèmes d’asymétrie dans la mise en œuvre des politiques budgétaires : en période de
faible conjoncture, tout le monde est d’accord pour créer des déficits budgétaires ou diminuer
les impôts, mais en période de bonne conjoncture, les politiciens ne seront guère enclin à créer
des surplus en augmentant les impôts ou en diminuant les dépenses. ƒ

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 Des problèmes d’application des politiques de stabilisation à des échelons décentralisés : ces
derniers étant en situation de petite économie ouverte, une politique de relance pourrait
conduire à des effets de débordements considérables.

Outre ces problèmes de mise en œuvre, la politique de stabilisation keynésienne est vivement
contestée par Buchanan et Wagner (1978 : 79 à 97) en raison de son manque total de réalisme. En
effet, selon ces auteurs, la politique budgétaire dérivée des préceptes keynésiens n’est pas applicable
dans un système démocratique tel que nous le connaissons dans les pays industrialisés. Keynes
suppose que les politiques publiques et économiques sont menées par un petit groupe d’hommes sages
et éclairés, qui agiraient selon l’intérêt public sans subir de pressions quelconques. Or, ceci est
impensable dans une démocratie représentative, où les politiciens sont des élus qui répondent aux
désirs des votants. Dans la réalité, il est très difficile de créer des surplus budgétaires à des fins
conjoncturelles, car ces derniers sont très mal acceptés par la population et une partie de la classe
politique. En effet, lors de surplus, le citoyen est perdant : il paie plus d’impôts qu’auparavant, sans
pour autant recevoir d’avantage de biens publics (ou il supporte des coupes dans les dépenses
publiques sans bénéficier de réduction d’impôt). Donc pour qu’un citoyen accepte un surplus, il
faudrait qu’il comprenne et qu’il évalue les bénéfices indirects (c’est-à-dire les avantages de ne pas
avoir de déficits) qu’il en retirerait, ce qui est difficilement envisageable. Le système institutionnel
crée ainsi un biais en défaveur de la création de surplus, qui n’ont dès lors que peu de chances de se
réaliser. C’est pourquoi on qualifie la politique keynésienne anticyclique de “politiquement“
asymétrique.

II. Arguments relâchant la discipline budgétaire

Bien que des arguments ayant trait aux fonctions d’allocation et de redistribution soient abordés dans
cette section, c’est essentiellement la fonction de stabilisation qui constitue le principal argument de
relâchement de la discipline budgétaire. Si le premier argument de cette série, soit l’argument 7,
émane de l’école des anticipations rationnelles 2 , les arguments 8 et 9 sont clairement d’inspiration
keynésienne.

a. D’un point de vue allocatif

Argument 7 :L’emprunt équivaut à l’impôt, donc le problème de l’endettement ne se pose pas et le


principe d’équilibre budgétaire perd sa justification théorique.

Ricardo fut le principal inspirateur de l’hypothèse de l’équivalence entre l’impôt et l’emprunt, bien
qu’il finisse par la rejeter, la jugeant invraisemblable, non seulement en raison de l’illusion fiscale,
mais aussi parce que l’équivalence repose sur huit hypothèses très restrictives, rarement sinon jamais
réalisées en pratique. L’hypothèse de l’équivalence fut reprise par Barro en 1974. Selon cet auteur,
l’impôt est seulement différé en cas d’emprunt ; ce dernier devra en effet être payé par des impôts
futurs. Comme le contribuable est considéré comme rationnel, il anticipe correctement les
engagements futurs auxquels il devra faire face. Ainsi, l’emprunt est neutre du point de vue des
comportements, il est donc équivalent à l’impôt. Cependant, beaucoup d’auteurs ont rejeté ce
théorème d’équivalence, le considérant comme irréaliste car dépendant d’hypothèses héroïques,
comme la parfaite rationalité des individus et l’absence de mobilité (Novaresi, 2001 : 31 et 32). b.

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b. D’un point de vue redistributif

Argument 8 : Le recours à l’emprunt n’influence pas le bien-être des générations futures.

Un des grands apports de la théorie keynésienne est le raisonnement en termes de variables


macroéconomiques, qui s’oppose au raisonnement classique individualiste en termes
microéconomiques. Si l’on raisonne avec des variables macroéconomiques, on n’évalue plus les effets
d’un emprunt sur l’utilité des individus mais par rapport aux impacts globaux sur l’économie. Dans ce
cas, on mesure le fardeau de l’emprunt en terme de ressources réelles qui ont dû lui être consacrées. Le
coût de l’emprunt ne représente pas un coût monétaire si l’on considère la génération future prise dans
son ensemble, il ne s’agirait en fait que d’un transfert entre ceux qui ont prêté afin que la dépense
publique ait pu s’effectuer par emprunt, et les contribuables qui doivent le leur rembourser, moyennant
les intérêts. Selon cet argument, il n’y aurait donc pas de report du fardeau de l’emprunt sur la
génération future (Novaresi, 2001 : 36 à 38). Le raisonnement individualiste (microéconomique) en
termes de sacrifice est employé par Buchanan dans l’argument 4 en faveur de la discipline budgétaire.
Ainsi, l’argument “pour“ ou “contre“ la discipline budgétaire varie selon que l’on raisonne sur le plan
microéconomique ou macroéconomique.

c. D’un point de vue macroéconomique

Argument 9 : L’emprunt est un instrument au service de l’État pour qu’il réduise les fluctuations
économiques.

Le principal argument de relâchement de la discipline budgétaire consiste en la stabilisation de


l’économie, fonction attribuée au secteur public par les keynésiens. L’État doit réduire les fluctuations
économiques en agissant de manière anticyclique et discrétionnaire sur la demande effective. Il
diminue ses dépenses et/ou augmente les impôts en période de surchauffe, créant ainsi des surplus.
Inversement, il augmente ses dépenses et/ou diminue les impôts en période de récession, provoquant
ainsi du déficit. Le fait de recourir à l’emprunt pour relancer la demande effective signifie de facto
l’abandon de la discipline budgétaire, “the destruction of former principles of balanced public budgets
« selon Buchanan et Wagner » (1978 : 85).

Les arguments que nous venons de voir en faveur d’un relâchement de la discipline budgétaire sont
moins nombreux et surtout moins pertinents à nos yeux que les arguments soutenant une telle
discipline. L’emprunt induit un phénomène d’illusion fiscale (argument 1), il déresponsabilise les
citoyens (2), il réduit l’investissement privé (3), il est un fardeau pour les générations futures (4) et les
gouvernements futurs car il réduit leur marge de manœuvre (5). En outre, les politiques de relance
keynésienne se heurtent à de gros problèmes de mise en œuvre (6). Pour toutes ces raisons, nous
considérons qu’il est primordial de garantir la discipline budgétaire. Comme nous allons le voir dans la
partie suivante, les règles sont un moyen d’atteindre ce but.

• l'effet d'éviction. L'effet d'éviction représente un effet pervers de l'intervention publique sur les
marchés monétaires et financiers. Il se vérifie lorsqu'une augmentation des dépenses publiques en
biens et services entraîne une réduction des investissements. En effet, les collectivités sont obligées de
chercher sur le marché les moyens nécessaires au financement de leur déficit. Ce faisant, les
collectivités publiques se posent en concurrents des autres demandeurs de capitaux. Le déficit
budgétaire est alors susceptible de pousser les taux d'intérêts à la hausse et de réduire les
investissements, donc le stock de capital dont pourront disposer les générations futures. Ces
générations auront un niveau de vie inférieur à celui qu'elles auraient pu avoir si l'État ne s'était pas
endetté. Soit le graphique suivant..

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III. La réduction des déficits publics

Pour éliminer un déficit on peut:

• réduire les dépenses;

• augmenter les recettes fiscales ;

• introduire un frein au déficit ou à l’endettement (qui revient à mettre en place une mesure légale ou
constitutionnelle reportant le problème sur les deux points précédents, puisque pour réduire le déficit il
faudra bien ou diminuer les dépenses, ou augmenter les recettes, ou combiner ces deux mesures).

REDUIRE LES DEPENSES

Si la réduction des dépenses ne pose pas beaucoup de problèmes conceptuels (tout en étant très
problématique à entreprendre), la même chose ne vaut pas pour l'augmentation des recettes.

Pour les dépenses, deux démarches sont possibles :

a) Réduire les coûts de production des prestations publiques : Dans ce premier cas de figure, trois
situations sont envisagées. (i) On admet que la production publique contient des inefficacités-X qui
peuvent être réduites, voire évacuées (par exemple, une bureaucratie surabondante pour réaliser une
tâche, sans contrôle serré de sa productivité et des « rente de situation » qu’elle est susceptible de
développer au fil des années). (ii) On peut également imaginer que par coopération entre collectivités,
des économies d’échelle de production seraient possibles (par exemple pour les production en réseau :
réseau de distribution d’eau potable, évacuation et épuration des eaux usées). (iii) Enfin, on peut aussi
mettre en œuvre un partenariat « public-privé » ou déléguer la production à un agent économique privé
afin d’économiser (si le ramassage des ordures ménagères n’occupe des employés communaux que
durant 3 jours et que le véhicule ne sert à rien le reste du temps, il vaudrait mieux faire un appel
d’offre et confier cette tâche en concurrence à un entrepreneur privé).

b) Si les coûts les plus bas sont atteints en a), l’économie sur les postes « dépenses » ne peut alors se
faire plus qu’en réexaminant le bien-fondé de chaque fonction du secteur public pour déterminer si une
fonction est encore nécessaire, peut être biffée, ou quelles sont les priorités sous contrainte budgétaire.

Un problème particulier doit retenir l’attention de l’économiste : pour être crédible, les réductions de
dépenses doivent porter sur des dépenses de fonctionnement. Évacuer des dépenses d’investissement
pose problème : d’abord, c’est une économie ponctuelle (« one shot solution ») qui ne vaut que pour
l’investissement abandonné ; ensuite, c’est une solution à courte vue dans la mesure où une collectivité
publique se doit de maintenir son capital de production – sauf évidemment à conclure que la prestation
issue d’un investissement n’est plus du ressort public parce qu’elle passe du domaine collectif au
domaine marchand.

HAUSSE DES IMPOTS

Du côté des impôts, la question est plus délicate. En effet, le réflexe « hausse des impôts » doit
s’accompagner d’une étude de faisabilité et des conséquences de la hausse fiscale. Toute hausse n’est
pas neutre dans l’allocation des ressources : il faut en apprécier les effets sur les décisions des agents
économiques. On a coutume de distinguer deux effets : l’effet taux et l’effet base, en référence à la
formule d’impôt définie au chapitre 5 (section 5.1) : T = t × [B- (Di …] × K.

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L’effet taux agit sur « t » dans la formule : en l’augmentant, on cherche à obtenir un accroissement du
produit de l’impôt T. Mais il faut compter avec l’effet base : comment va réagir l’agent économique.
Va-t-il ajuster son comportement, avec un effet qui réduit l’assiette fiscale : B diminue ? Ainsi la
question suivante est cruciale: la hausse des taux d'imposition entraîne-t-elle une augmentation ou une
diminution des recettes fiscales? Ce problème est conceptuellement analysé en examinant la courbe de
Laffer.

La courbe de Laffer permet d'établir la relation qui existe entre le taux d'imposition et les recettes
fiscales. La situation initiale sur le marché du travail (graphique 13-4), sans impôt, est une offre Lo
pour un salaire horaire w. Si le taux d'imposition est nul, le gouvernement ne tire évidemment aucun
revenu fiscal. Après l’introduction d’un taux d’impôt ta = ab, le salaire horaire réel baisse à (1-ta)w.
L’État encaisse un impôt égal au taux d’impôt × le temps de travail, soit ab × bd = abdc. Ce rendement
fiscal est donné au point a dans le graphique 13-5 sur la courbe de Laffer. Lorsque le taux d'imposition
augmente, les recettes fiscales s'accroissent également, mais seulement jusqu'à m. Ainsi, avec un taux
tm = ae pour un salaire horaire net de (1-tm)w, le rendement fiscal est tm × le temps de travail Lm,
soit ae × ef = aefg. Dans l'exemple, le taux d'imposition est alors de 40%. Si le taux d'imposition
dépasse 40%, les recettes fiscales se mettent à diminuer, pour être zéro si le taux est de 100%. Ainsi,
avec un taux tb = ah, le taux de salaire net devient (1-tb)w, et le rendement fiscal est de ah × hi = ahij.
C’est le même rendement fiscal qu’avec un taux ta : en fait, le taux a considérablement augmenté,
mais l’assiette s’est tellement réduite que le rendement fiscal n’est pas élevé. Il est le même, dans
l’exemple, qu’avec un taux ta : ahij dans le graphique 13-4 correspond au point b sur la courbe de
Laffer dans le graphique 13.5. Pour un gouvernement, le taux ta est donc préférable à tb, puisque pour
un même rendement fiscal, la charge qui pèse sur les salaire est moindre. Le comportement des agents
économiques sur le marché du travail fait qu’il y a inversion à partir du point m avec la baisse du
niveau de l'activité en réponse à l'impôt. En effet, la base d'imposition diminue à la suite de
l'ajustement du comportement des agents économiques (le taux est trop élevé → je travaille moins →
donc il y a moins de revenu → donc moins d'impôt). Si un gouvernement veut rétablir l’équilibre du
budget par une hausse du taux, il est avisé de savoir s’il se trouve au point a ou b dans le graphique 13-
5. S’il part du point a, l’augmentation du taux accroîtra la recette, bien qu’à un rythme de moins en
moins soutenu. Par contre, s’il se trouve au point b, la hausse du taux aura l’effet contraire : elle
incitera les agents économiques à quitter le marché (du travail) imposé.

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Le frein aux dépenses La dernière mesure possible est, comme nous l’avons dit, l’introduction d’une
règle constitutionnelle destinée à freiner les dépenses, les déficits et l’endettement. À vrai dire, ce n’est
pas une mesure d’économie en soit : elle doit inévitablement se traduire par des dépenses en moins ou
des recettes en plus. L’idée est simplement qu’en mettant un barrage institutionnel et en compliquant
la procédure de décision, on oblige le parlement à respecter une certaine discipline budgétaire. Il existe
de multiple manières de procéder : (i) en introduisant le référendum sur les dépenses d’investissement
ou de fonctionnement récurrentes à partir d’un certain montant ; (ii) en introduisant des règles de
décision qualifiées (par exemple une majorité de 2/3 des membres d’un parlement au lieu de la
majorité simple des membres présents à la séance qui décide) ; (iii) en introduisant des plafonds à de
nouvelles dépenses (par exemple en statuant qu’une nouvelle dépense ne peut être décidée que si le
parlement trouve simultanément la couverture financière) ; et par (iv) des règles de frein au dépenses,
déficit ou endettement.

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Support de cours-Fin-pub-S5-2016

QUELQUES TERMES A CONNAITRE

Déficit excessif

- en terme de FLUX : structurel ou conjoncturel

- compte de fonctionnement ou compte administratif (fonctionnement + investissements)

- Union Européenne : déficit du compte administratif ≤ 3 % PIB (règle de Maastricht)

Endettement excessif

- en terme de STOCK : selon le bilan → définition de la dette nette

- l’endettement au bilan peut n’être pas le total des engagements passifs de la collectivité (notion de
fonction de production propre ou déléguée)

- Union Européenne : si endettement ≤ 60 % PIB

Stabilité de la dette

Une dette est « stable » si elle n’augmente pas en terme réel en proportion du PIB. Dans une situation
sans nouvel emprunt, il faut que le bénéfice primaire du compte public, c’est-à-dire le bénéfice du
compte annuel avant paiement des intérêts passifs, soit suffisamment élevé pour payer l’intérêt.

On met aussi parfois en relation en valeur réelle : si le taux de croissance du PIB > taux de l’intérêt
réel ; la situation est saine si [∆PIB ≥ taux d’intérêt réel].

Solvabilité

Capacité de payer le service de la dette, annuellement et à long terme ; pour cela il faut que le [solde
primaire ≥ intérêt à payer].

Soutenabilité

La « soutenabilité » est la combinaison de la stabilité et de la solvabilité. C’est un concept de flux. La


soutenabilité se vérifie lorsque la dette n’augmente pas en terme réel de façon telle que le service de la
dette ne soit pas garanti.

Une formule permettant d’apprécier la situation serait le rapport entre: [∆ intérêts passifs /Σ intérêts
passifs] et [∆ recettes fiscales /Σ recettes fiscales] qui donne la mesure de la variation relative de la
charge d’intérêt en proportion à la variation des recettes fiscales structurelles. Si ce rapport est
inférieur à 1, cela signifie que le taux de croissance des intérêts passifs est inférieur au taux de
croissance des recettes fiscales : pas de problème à l’horizon. Si on obtient un résultat supérieur à 1,
attention : cela signifie qu’à long terme, la croissance des impôts ne suit pas la croissance de la charge
de la dette, avec des problèmes de paiement à l’horizon si rien n’est entrepris.

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