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Hommes et Migrations

Pourquoi connaître d'autres cultures ?


Gilles Verbunt

Résumé
Pourquoi organiser encore des stages qui permettent d'appréhender la culture de l'Autre ? Parce que, pour Gilles Verbunt, c'est
de la connaissance d'autrui que naît la connaissance de soi-même et de ses propres réflexes culturels.

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Verbunt Gilles. Pourquoi connaître d'autres cultures ?. In: Hommes et Migrations, n°1136, octobre 1990. L'intégration au
quotidien. pp. 27-28;

doi : https://doi.org/10.3406/homig.1990.1535

https://www.persee.fr/doc/homig_1142-852x_1990_num_1136_1_1535

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POURQUOI
D'AUTRES CULTURES
CONNAÎTRE
?

par Gilles Verbunt*

Pourquoi organiser encore des stages qui permettent d'appréhender la culture


de l'Autre ? Parce que, pour Gilles Verbunt, c'est de la connaissance d 'autrui que naît
la connaissance de soi-même et de ses propres réflexes culturels.

Enfin, pour certains, plus pragmatiques, s'initier à


SERT-IL
autres ?à Le
quelque
fait d'être
chose au
de courant
connaîtredes
la culture
structures
des la culture des Turcs qui arrivent, c'est Hen, mais elle sera
fonctionne
sociales deslaAfricains
famille vietnamienne
en France, de ousavoir
comment
comment
les à peine appréhendée que les Turcs seront déjà sur la
voie de la francisation, et les discours tenus seront
Turcs éduquent leurs enfants, est-ce vraiment utile ? en décalage. Et ensuite il faudra recommencer avec la
N'y a-t-il pas là, chez les gens qui s'y appliquent, un société roumaine ou albanaise... Perspective illusoire
goût de l'exotisme, peut-être tout à fait acceptable, puisqu'on ne peut connaître toutes les cultures et socié¬
mais pas très utile socialement ? Ou bien, n'y a-t-il pas, tés présentes dans nos quartiers.
surtout chez les travailleurs sociaux, un goût du pou¬
voir : la connaissance des autres permettrait une inter¬ Devant l'avalanche des ambiguïtés, obstacles et
vention plus efficace dans ces milieux, à la façon des effets pervers de la connaissance des autres cultures, on
directeurs de foyer pour travailleurs immigrés qui s'ap¬ peut se décourager et cesser d'organiser des stages sur
puyaient, pour maintenir l'ordre dans le foyer, sur les les cultures du Maghreb, des Caraïbes, du Sud-Est
structures et des notables hérités des pays d'origine. A asiatique, de l'Afrique noire, des Tsiganes, pour se
la façon aussi des gouvernements qui envoyaient des contenter d'une réflexion sur son propre fonctionne¬
ethnologues
comment les dans
administrer.
des pays colonisés pour mieux savoir ment culturel : « connais-toi toi-même et tu connaîtras
aussi les autres ». C'est l'interculturel qui insiste sur
le « inter » plutôt que sur le contenu des cultures. C'est
Plus profondément, la recherche de la connais¬ comme apprendre une langue par la grammaire plutôt
sance des autres cultures, pour quelque objectif que ce que par le vocabulaire ou approfondir surtout la connais¬
soit, ne contient-elle pas un refus de la connaissance de sance de sa propre langue. L'universel serait au bout
sa propre culture ? On voit la différence chez l'autre et d'une démarche verticale par l'approfondissement, plutôt
l'on ne se pose pas de questions sur sa propre culture qu'horizontale par la multiplication des connaissances.
et sur son propre fonctionnement. Si en France il y a Il suffirait de purifier notre démarche jusqu'à atteindre
des problèmes d'intégration, cela serait dû aux diffé¬ le noyau dur, commun à toute l'humanité, et, la démarche
rences dans les valeurs et les comportements des immi¬ étant faite aussi par l'autre, nous pourrions communi¬
grés. Combien de candidats à la connaissance des cultures quer avec
nants culturels.
lui en faisant
Sans abstraction
faire tous de
cestous
raisonnements
les détermi¬
des autres seraient capables d'expliquer aux étrangers
les ressorts principaux de leur propre culture ? compliqués, les pragmatiques pourraient renoncer à
* Directeur de « Recherches et formation », animateur à Interférences culturelles.

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N° 1 136 - OCTOBRE 1990
organiser des stages interculturels, parce que la répondre à une demande habituellement implicite, et
démarche qui consiste essentiellement à mettre en dont l'effet permet de purifier la demande initiale de
question les habitudes et façons de voir des participants ses scories exotiques, irréalistes et machiavéliques.
n'attire pas un public suffisant pour rentabiliser ces
stages. C'est ainsi que dans la pratique, la connaissance
d'au moins une autre culture peut conduire, avec des inter¬
Pourtant si je continue (avec d'autres, très pré¬ venants et formateurs avertis, à un approfondissement
sents dans ce numéro !) à organiser des stages sur la du savoir sur le fonctionnement personnel. Organisés
connaissance des cultures, c'est avec la conviction que habituellement avec l'objectif de rendre les participants
l'on ne peut bien se connaître soi-même qu'en connais¬ plus efficaces dans leurs interventions professionnelles,
sant les autres. Pour utiliser une analogie (dangereuse, ces stages aboutissent souvent aussi à un progrès dans
comme toutes les analogies) : n'est-ce pas dans la rela¬ la vie relationnelle personnelle. Efficacité, savoir et
tion interpersonnelle vécue à la fois avec affection, cou¬ générosité ne sont pas des qualités contradictoires.
rage et intelligence, que l'on apprend à se connaître
soi-même ? Pour cela, il n'est pas nécessaire de connaî¬ Et à celui qui n'est pas encore convaincu de l'utili¬
tre toutes les personnes, toutes les cultures. Il est utile té de la connaissance d'autres langues et cultures, je
d'en connaître au moins une qui ne soit pas moi, nous. voudrais simplement dire qu'ainsi il impose à l'autre
Cette connaissance permet de prendre conscience de unilatéralement le poids de la différence. Celui-là dira :
sa propre
situer les réflexes
particularité
culturels
et de dans
relativiser,
un contexte
c'est-à-dire
et une
de « Oui à la communication », mais « c'est moi qui choisis
le terrain et les armes ». Ce choix, on l'impose plus faci¬
interdépendance. Ceci dit, il est tout à fait possible lement à des interlocuteurs qui sont déjà dans une situa¬
d'être familiarisé avec d'autres cultures sans sortir de tion fragile. Drôle de communication !
son nombrilisme, de son ethnocentrisme, sans sacrifier
ses stéréotypes. Certains colonisateurs et certains coo¬ Tout ceci ne doit pas nous faire oublier que pour
pérants sont là pour en témoigner. Leur connaissance l'intégration, ce qui est prioritaire n'est pas la diffé¬
n'a servi qu'à mieux intégrer les autres à soi. rence culturelle ni la multiplicité des références et
appartenances, ce sont le traitement discriminatoire, la
dre àLes
unestages
demande
ne doivent
d'information
pas se mais
contenter
doivent
de amener
répon¬ dévalorisation et les processus d'exclusion qui se nour¬
rissent des différences culturelles et se justifient par
les stagiaires à réfléchir sur eux-mêmes. En effet, on a elles. Une conclusion s'impose : il est insuffisant de se
souvent l'impression de répondre à une demande qui contenter d'une valorisation des cultures et de penser
dépasse le besoin explicitement formulé. Les motiva¬ que tous les problèmes peuvent se résoudre par leur
tions fréquemment exprimées, lors de l'inscription à un plus grande connaissance. Certes, l'ignorance des
stage, sont par exemple : « Savoir mieux communiquer autres cultures est une cause de rejet de l'autre, mais ce
avec les Maghrébins », « Etre plus averti lots des interven¬ n'est pas la cause principale. Le rejet de la culture de
tions dans les familles africaines », « Savoir mieux accueillir l'autre manifeste d'abord une volonté de ne pas le
les Asiatiques »... Rien n'étant pur, dans ce bas monde, reconnaître
situation sociale
comme
d'infériorité.
son égal et donc de justifier une
dans ces motivations se mêlent un certain degré de
curiosité (qui n'est pas nécessairement un vilain défaut !),
avec une réelle générosité (pourquoi pas ?), voire avec C'est pourquoi les partisans de ce qu'on appelle
un goût du pouvoir (mais qui n'en a pas...). L'expé¬ en France la « société interculturelle » insistent souvent
rience me prouve cependant que, tout en répondant à sur la nécessité de rétablir un rapport de forces plus
la demande d'information, on peut mettre en place des égalitaire entre les différentes composantes sociales,
pierres d'attente et que, peu à peu, surgissent les inter¬ régionales et culturelles de la société française. Ce qui
rogations sur soi, sur sa propre culture, sur ses propres implique une meilleure intégration socio-profession¬
conditionnements. Et tel le petit Poucet, cm remonte le nelle et économique des communautés les plus margi¬
chemin
de la demande
en sens inverse,
initiale.pour
C'estarriver,
au formateur
à la fin, à de
l'examen
savoir nalisées. La connaissance des cultures a son rôle à jouer,
mais elle ne doit être que complémentaire d'une action
saisir la balle au bond, et de profiter des occasions pour sociale plus globale.

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