Enseignant-chercheur
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Aménagement terminologique:
état de l'Art
0 - Prologue
1
Nous faisons la distinction entre les bases de données qui recensent les références bibliographiques et/ou les
sommaires des revues ou monographies, et les banques de données qui offrent de l'information directement
exploitable (articles de revues, communications, exposés, etc.)
sciences de l'information, etc.), et c'est là que réside toute la difficulté de l'entreprise,
puisque le discours à adopter doit être spécifique, tant dans son contenu que dans son style.
C'est-à-dire ni trop élaboré, pour permettre la consolidation de certains acquis de base et
l'accès à un certain nombre de concepts nouveaux, ni trop lâche, pour éviter de tomber
dans le style: leçons de choses.
1- Du dirigisme linguistique
Etant donné les fonctions multiples que la langue remplit au sein de la société,
l'intention d'aménagement a de tout temps été présente dans l'esprit de l'homme. Le
réajustement linguistique dont il est question ici, prend en considération l'ensemble des
choix concernant aussi bien le statut social de la langue que ses structures internes. Nous
ne faisons que rappeler, à cet effet, la distinction apportée par Fishman (1974) entre, d'une
part, l'aménagement du statut de la langue, qui détermine les conditions d'utilisation d'une
ou de plusieurs langues sur une aire géographique donnée, et, d'autre part, l'aménagement
du corpus, qui a pour objectif d'améliorer la créativité terminologique de la langue en la
dotant de moyens adéquats pour un meilleur transfert des connaissances. Le cadre exigu de
cet exposé ne permettant pas de procéder aux développements qu'exige l'intervention
humaine sur ces deux aspects de la langue, nous essayerons toutefois, en compagnie du
lecteur, de revisiter certains concepts propres à la littérature spécialisée en aménagement
linguistique.
La nécessité de planification linguistique se fait sentir dans toute société où coexistent
deux niveaux d'une seule et même langue (diglossie) et/ou lorsque deux ou plusieurs
langues (bilinguisme ou multilinguisme) cohabitent au sein de la même communauté.
L'instauration d'une politique d'aménagement linguistique se justifie également par
l'existence d'une interaction entre dialectes et langues et par les phénomènes multiples de
variations perceptibles dans une langue donnée sur le plan diachronique ou synchronique.
Lorsque nous évoquons ce concept de variation linguistique, ou sociolinguistique selon
Toussignant (1987), nous le plaçons dans le contexte d'aménagement linguistique tel que
perçu et pratiqué par l'école québécoise, c'est-à-dire: "étudier les phénomènes liés à l'évolution
des situations de multilinguismes et de variation linguistique, d'autre part, construire une théorie propre à
rendre compte des faits, dont on pourrait tirer une méthodologie du changement linguistique planifié."
(CORBEIL 1987: 566).
Une autre délimitation sociolinguistique de la notion d'aménagement, opérée par Garmadi
(1981:185) répond, également, à nos préoccupations:
"C'est la somme des efforts faits pour changer délibérément la forme d'une langue et son usage, le
discours. C'est parfaire une langue exprimant une individualité nationale. (...) c'est mettre le lexique
d'une langue en adéquation avec le développement économique, social, technique ou culturel d'un
pays (...)"
Nous ajouterons simplement que toute entreprise de cette nature doit être pensée selon
un plan souple qui oriente l'évolution de la société sans heurts, en faisant appel à son
adhésion et sa participation.
La notion d'identité culturelle n'est pas aisée à définir étant donné qu'elle comporte
de multiples facettes. Elle est universelle, dans la mesure ou elle est revendiquée par tout
groupement humain (tribu, ethnie, population, nation, etc.) se considérant comme formant
un ensemble original et donc distinct soit par des aspects linguistiques, de race, de religion,
ou, plus généralement, de traits culturels communs (Abou, 1981). Certaines de ces
caractéristiques culturelles comportent une charge émotive plus forte, en particulier celles
relatives à la langue et à la religion, qui sont parfois utilisées à des fins idéologiques allant
jusqu'à cultiver chez les autochtones un sentiment intense de surestimation de leurs traits
culturels, entraînant autarcie et exclusion de l'autre. Cependant, à l'ère cybernétique, il est
illusoire de chercher à protéger son identité culturelle. Cette dernière n'étant pas un
concept iconique, figé dans une description sémique immuable, elle doit alors, pour
s'épanouir, assimiler certaines composantes inhérentes au développement économique.
Parmi ces dernières, nous pensons particulièrement à celles qui consistent à exprimer les
nouveaux concepts et inventions du monde moderne, au moyen d'un modèle de
communication intégrant des outils linguistiques aptes à transmettre le message.
L'efficacité de la communication, et, partant, de la transmission des connaissances, est
tributaire d'une certaine cohérence linguistique dont l'objectif est de réduire, voire de
supprimer, les trop nombreuses variations. On sait, par contre, que la différenciation des
activités humaines, leurs spécialisations, l'évolution des sciences et des techniques sont
source d'abondance et souvent de redondance linguistique. Comment arriver alors à
concilier l'indispensable gestion des langues et la variété des usages? C'est là un dilemme
socio-culturel qui ne manque pas d'avoir des répercussions fâcheuses sur le cheminement
cognitif des usagers. Ces conséquences déplorables, caractéristiques des contacts
linguistiques et révélées au grand jour par les études sociolinguistiques, transparaissent
dans les discours des locuteurs qui ont recours à l'alternance ou au mélange de codes,
synonyme évident de leur embarras et difficulté à exprimer leurs idées à l'intérieur d'un
seul code linguistique. Dans le même ordre d'idées, il est significatif de relever que les
études terminologiques classiques, dont nous allons donner un bref aperçu, sont restées
longtemps confinées dans l'immuable équation "une dénomination - une notion" en
occultant la composante sociale. Cette recherche d'idéalisation du discours scientifique et
technique a atteint ses limites parce que, justement, elle ne tenait pas compte de la
réinsertion et de l'observation des termes dans leur environnement naturel, c'est-à-dire dans
des contextes discursifs actualisés. Les réalités de la pratique viendront rappeler, que toute
terminologie naît du social et qu'elle doit y retourner (Boulanger 1995:197). Il devenait
impératif pour la terminologie de procéder à la révision de ces principes et méthodes, sous
peine de dévier de son objectif premier qui reste celui de répondre aux desiderata des
usagers.
Il reviendra à l'équipe de Rouen, au début des années 1990, sous la férule du regretté Louis
Guespin, de procéder aux réajustements nécessaires en donnant suffisamment de
consistance conceptuelle au terme de Socio-terminologie2, afin d'adapter les instruments
terminologiques aux attentes sociales.
Dans le monde arabe, des instances terminologiques ont vu le jour avec pour but
l'instauration d'une politique d'arabisation afin de substituer progressivement la langue
arabe aux langues étrangères, principalement l'anglais et le français. Nous ne retiendrons
ici de cette politique que l'aspect qui touche la mise au point d'une terminologie
scientifique et technique.
A la suite d'un ensemble de pressions culturelles exercées par le monde occidental,
particulièrement avec le déversement d'un flot ininterrompu de termes scientifiques et
techniques sur le monde arabe, ce dernier s'est trouvé obligé de procéder, entre autres
réformes, à l'étoffement de son lexique spécialisé, pour permettre à ses chercheurs
d'accéder au savoir qui a permis aux sociétés occidentales de tirer profit des retombées de
la civilisation industrielle. Ainsi à partir de la fin du XVIIIe siècle, un courant moderniste
et empreint d'influences occidentales, alimenté principalement par des Syriens, des
Libanais et des Egyptiens, s'attelle à cette tâche énorme, celle de doter la langue arabe
d'une terminologie scientifique et technique aussi cohérente que précise. Cet élan favorisa
par la suite la création de différentes académies à travers le monde arabe (Damas 1919, Le
Caire 1932, Bagdad 1945, Amman 1976, etc.) Le rôle dévolu à ces institutions était de
veiller à la sauvegarde de l'intégrité de la langue arabe et à son adaptation aux besoins de la
vie moderne.
Deux courants cohabitent actuellement en matière de terminologie: le premier d'entre
eux se propose d'élaborer une théorie de la dénomination dont le but est de produire une
néologie pertinente pour la communication. Toutefois cette tendance néglige
ostensiblement les desiderata de l'usager dans la mesure ou, aucune enquête auprès des
utilisateurs des termes n'est effectuée, ni avant l'élaboration des différentes terminologies,
pour tenir compte de leurs doléances, ni après leur lancement pour recueillir et étudier leur
réaction à l'égard des termes proposés. Le deuxième courant, par contre, réserve une place
de choix aux comportements et attitudes des usagers vis-à-vis des produits
terminologiques. En ce qui concerne le monde arabe, nous pouvons avancer sans trop de
risques de nous tromper que les vocabulaires spécialisés et autres nomenclatures élaborés
au sein des commissions qui président à l'arabisation des terminologies étrangères, sont
produits, dans leur majorité, selon une méthodologie qui se réclame de la première
tendance.
En outre, les faits de synonymie, d'homonymie, de polyréférentialité et autres champs
terminologiques perturbés ne retiennent guère l'attention souhaitée. Ces variations ne
revêtent pas seulement un caractère national ou régional, mais s'étendent bien au-delà, en
raison de l'étendue de l'espace géographique du monde arabe, des spécificités socio-
culturelles des groupements de population, et des deux principales langues sources que
sont l'anglais et le français en usage dans les pays arabes.
Il faut cependant nuancer cette contrainte logique et dire que les terminologies ne sont
pas toutes intentionnellement organisées et hiérarchisées (exemple: chimie, botanique), et
elles ne sont surtout pas établies de façon invariable et définitive.
Hier encore, à l'avènement de la vague d'indépendance, vers la fin des années 50, la
nécessité d'introduire un enseignement des Lsp au sein des programmes scolaires ou
universitaires ne se faisait pas sentir, tant il est vrai que ces pays, encore sous l'emprise
d'une civilisation à caractère agricole et artisanal, sortaient à grande peine de la situation de
léthargie dans laquelle ils végétaient. Progressivement, avec l'apparition des problèmes de
reconstruc-tion et de développement, ces sociétés furent alors confrontées, sans
ménagement, à un environnement industriel dont les pays occidentaux promoteurs
pouvaient déjà se prévaloir de posséder les terminologies scientifiques et techniques fort
élaborées.
La terminologie n'est certes pas un fait récent puisqu'il semble bien qu'à l'origine, la
raison d'être de toute langue humaine naturelle ait été de servir d'outil de nomination et de
moyen de communication (Roman 1990). Ce qui est nouveau par contre, et qu'on peut
considérer comme un phénomène socio-économique et culturel inhérent à notre époque,
c'est le foisonnement de concepts scientifiques et d'inventions techniques véhiculant
d'innombrables dénominations que nos pays sont amenés à maîtriser et à employer de
façon rigoureuse afin d'assurer l'intercompréhension entre partenaires et de réussir le
transfert des connaissances et l'exploitation du savoir-faire.
Les pays les moins avancés ont jusqu'à présent importé différents produits de
consommation et sollicité des pays industrialisés le transfert de leur maîtrise technologique
ainsi que la formation sur place de personnel qualifié et de cadres performants. Les
innovations qui ont vu le jour dans des espaces géographiques de cultures et de langues
différentes, véhiculent des terminologies qui reflètent un découpage particulier de la
réalité. Etant donné que notre langue et notre culture diffèrent de celles des pays
exportateurs de technologie, les problèmes sociolinguistiques que cet apport massif de
terminologies étrangères ne manquent pas de poser, doivent faire l'objet de considération
soutenue de notre part. C'est pourquoi, l'aménagement d'un enseignement de la science
terminologique, adapté à la spécificité d'une situation de langues en contact, apparaît plus
que jamais indispensable. Nous rappelons ici, brièvement, quelques objectifs
fondamentaux visés par ce type d'enseignement:
1) élaborer un cycle de formation de spécialistes en terminologie capables d'assimiler les
aspects théoriques (approche conceptuelle, réseau notionnel, démarche onomasiologique,
etc.) et de mettre en oeuvre une méthodologie de traitement des Lsp;
2) sensibiliser et initier les spécialistes et enseignants des disciplines scientifiques et
techniques aux objectifs et méthodes de la terminologie;
3) instaurer un cursus de formation de formateurs ayant pour but la constitution d'un corps
de personnes-ressources en didactique terminologique capable de prendre en charge
l'encadrement des terminologues et des spécialistes et/ou enseignants, chacun dans sa
discipline.
Le commun des mortels n'est pas insensible aux éventuelles retombées des
investigations scientifiques, particulièrement celles touchant les domaines de la santé, de
l'environnement ou encore ceux ayant trait aux valeurs morales. En effet, les découvertes
génétiques et les problèmes qui en découlent, comme ceux touchant la reproduction des
espèces, les manipulations génétiques, l'insémination artificielle, interpellent certainement
la composante sociale car plusieurs acquis et certitudes sont ébranlés chez l'homme de la
rue. Ces découvertes suscitent beaucoup de préoccupations et alimentent considérablement
les discours publics. Source intarissable de dissertation pour les media, la science
écologique n'est plus confinée dans les laboratoires; elle investit la chaussée et devient
préoccupation de société. Nous n'en voulons pour preuve que les nombreux débats publics
mêlés d'arguties juridiques pour définir, par exemple, les normes de sécurité et les moyens
de protection des populations.
L’étude des discours scientifiques issus de ces champs sémantiques, en perpétuel
devenir, est de nature à révéler les imbrications entre les données terminologiques et les
phénomènes de société. Nous assistons donc à l’émergence et à la diffusion d’un savoir
scientifique et technique -véhiculé par une terminologie spécifique- qui prend racine dans
des préoccupations collectives et destiné à faire diminuer le taux d’incertitude chez les
citoyens et à améliorer la qualité de leur quotidien. C'est là que transparaît le bien-fondé
d'une approche sociale de la terminologie permettant d'étudier les conditions qui
gouvernent la production, le choix, la diffusion, le rejet ou l'adoption des unités
terminologiques. Pour être opérationnelle, la science terminologique doit avoir prise sur le
réel et a besoin, plus que jamais, de rétablir ses liens avec la société. Elle a, pendant
longtemps, porté aux nues des postulats comme ceux:
- de la monosémie (chaque terme ne devrait avoir qu’un sens, dans un domaine donné)
- de la biunivocité (à l’intérieur d’une langue, à une notion devrait correspondre un seul
terme et à un terme donné devrait correspondre une seule notion)
Le terme scientifique et technique est ici idéalisé, c’est-à-dire motivé, systématique, source
de dérivation, etc.
Sans rejeter en totalité ces outils conceptuels, qui ont été exagérément magnifiées, et en
privilégiant l’adéquation au réel, une nouvelle terminologie à visage social a vu le jour: la
Socio-terminologie. C’est un conglomérat de réflexions théoriques et de réalités pratiques.
Elle cherche à cerner les divers facteurs interactifs, à les comprendre et à en mesurer les
effets. En tant que discipline de recherche, la Socio-terminologie s’est frayé un chemin
parmi les ordres du savoir, à travers les travaux académiques, les articles de revues et les
communications lors de congrès, séminaires ou autres journées scientifiques. Elle fait
siennes les concepts et démarches de la sociolinguistique. Longtemps brimées, confinées
dans des ensembles lexicaux ou dictionnairiques, coupés de toute réalité ambiante, les
unités terminologiques sont maintenant retrempées dans des environnements discursifs et
textuels qui sont leur vrai milieu naturel. En privilégiant l'étude des termes en contexte, en
instaurant une procédure d'enquêtes et de suivi des termes au sein de leur vivier, c'est-à-
dire chez les acteurs sociaux, la socio-terminologie a donc opéré une mutation de son pôle
d'intérêt par rapport à l'approche terminologique traditionnelle qui focalisait les études sur
les seuls termes.
Dans le domaine de l'alphabétisation fonctionnelle, par exemple, qui vise, non seulement à
inculquer au sujet illettré les rudiments de lecture et d'écriture mais aussi à le faire
participer à l'effort de développement, l'intervention terminologique se situera,
particulièrement, au niveau de la confection des documents de référence (manuels
pédagogiques, vocabulaires techniques élémentaires, etc.) La nomenclature contenue dans
ces ouvrages sera puisée dans un environnement coutumier à l'apprenant, ce qui ne
manquera pas d'exciter chez lui le désir d'apprendre et l'initier à l'expression des notions
scientifiques et techniques, aboutissant, à plus ou moins brève échéance, à une
participation effective au développement.
Une action linguistique appropriée au niveau des schèmes de pensée, accompagnée
d'analyses psychologiques, anthropologiques, économiques, etc., facilitera, assurément,
l'intégration des nouveaux concepts et l'assimilation des techniques modernes que chaque
sujet aura à appliquer, dans son domaine d'activité, pour un rendement meilleur.
7 - Epilogue
Parmi les avenues les plus prometteuses en Socio-terminologie figure celle qui a pour
objet d'étude les nouvelles relations entre science technique et production. Cette nouvelle
approche se place dans le cadre de la remise en question de la conception terminologique
classique, et désormais dépassée, de la compartimentation du savoir en domaines. Elle
s'élève contre la notion de pureté du discours scientifique et technique, que l'on voudrait
exempt de toute ambiguïté, et prône le recours à la sociolinguistique pour réhabiliter cette
perception de continuum et d'interactions entre, ce que l'on considère comme, des champs
de connaissances étanches. En observant la métamorphose des relations entre science
technique et production, Louis Guespin réagit par une question pertinente:
"[...] la hiérarchie traditionnelle du "savant" à l' "ingénieur" puis à l' "entrepreneur" est compromise
tant dans l'imagerie populaire que dans la pratique sociale: qui est désormais à l'initiative dans tel
projet mettant en oeuvre à la fois des savoirs, des savoir-faire et un dispositif de production?"
(Guespin ,1995:206)
Elhadj Benmoumen
Références bibliographiques