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Communication et langages

Paul Valéry, précurseur des sciences du langage


François Richaudeau

Résumé
« II faut entrer en soi-même armé jusqu'aux dents », disait Paul Valéry. Une rigoureuse discipline — il écrivait chaque
matin jusqu'à l'heure où commençait sa vie ordinaire — , un regard à la lucidité impitoyable sans cesse tourné vers lui-
même, une pensée toujours aux aguets de sa propre pensée, telles étaient ses armes. Le résultat, ce sont ces étonnants
cahiers dont la bibliothèque de la Pléiade vient de publier le premier tome. François Richaudeau a choisi dans ce volume
les propos se rapportant à l'expression : langage, écriture, mot, et explique ses raisons dans son avant-propos. Paul
Valéry n'aurait sans doute pas désavoué ce choix, lui qui disait : « Une part » immense de mon travail — à demi perdu, à
demi utile — fut de me faire » des définitions. Penser au moyen de mes propres définitions, ce fut pour » moi une espèce
de but. »
Nous remercions les éditions Gallimard qui ont bien voulu nous autoriser à reproduire gracieusement ces citations.

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Richaudeau François. Paul Valéry, précurseur des sciences du langage. In: Communication et langages, n°18, 1973. pp.
5-17.

doi : 10.3406/colan.1973.4002

http://www.persee.fr/doc/colan_0336-1500_1973_num_18_1_4002

Document généré le 15/10/2015


VALÉRY5

PAUL

PRÉCURSEUR DES

SCIENCES

DU LANGAGE

par François Richaudeau

« II faut entrer en soi-même armé jusqu'aux dents », disait Paul Valéry. Une
rigoureuse discipline — il écrivait chaque matin jusqu'à l'heure où
commençait sa vie ordinaire — , un regard à la lucidité impitoyable sans cesse tourné
vers lui-même, une pensée toujours aux aguets de sa propre pensée, telles
étaient ses armes. Le résultat, ce sont ces étonnants cahiers dont la
bibliothèque de la Pléiade vient de publier le premier tome l. François Richaudeau
a choisi dans ce volume les propos se rapportant à l'expression : langage,
écriture, mot, et explique ses raisons dans son avant-propos. Paul Valéry
n'aurait sans doute pas désavoué ce choix, lui qui disait : « Une part
» immense de mon travail — à demi perdu, à demi utile — fut de me faire
» des définitions. Penser au moyen de mes propres définitions, ce fut pour
» moi une espèce de but. »
Nous remercions les éditions Gallimard qui ont bien voulu nous autoriser
à reproduire gracieusement ces citations.

II y a dix ans, Judith Robinson, universitaire australienne,


publiait à la librairie José Corti un modeste ouvrage broché,
l'Analyse de l'esprit dans les « Cahiers » de Valéry, dont la
lecture m'avait déjà fasciné. La même chercheuse a maintenant
l'honneur de présenter, dans la prestigieuse collection de la
Pléiade, le premier tome (il y en aura deux) des Cahiers de Paul
Valéry : 1 500 pages d'une typographie dense reprenant, classées
aussi fidèlement qu'il était possible, les pensées consignées par
l'écrivain, chaque jour entre quatre et sept ou huit heures du
matin durant cinquante années.
Et j'ai retrouvé, à leur lecture, la même fascination qu'il y a
dix années ; tout comme d'ailleurs à la lecture d'autres œuvres
en prose de l'écrivain français : Introduction à la méthode de
Léonard de Vinci, Monsieur Teste, Tel quel2...

2.
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Paul Valéry, précurseur des sciences du langage

UN CHOIX DE PENSEES CLASSEES SUIVANT SIX THEMES


Et c'est dans l'espoir de faire partager aux lecteurs de
Communication et langages le même envoûtement que je leur propose,
comme entrée en matière à la lecture des Cahiers, quelques
dizaines de citations, extraites de cet ouvrage et concernant
plus spécialement le langage.
Je les ai classées suivant six thèmes3. J'ai intitulé la première
partie « Linguistique et psycholinguistique », deux mots
modernes, utilisés par Valéry rarement quant au premier, et
jamais évidemment quant au second ; et, pourtant, que de
jugements actuels concernant ces disciplines, depuis la critique des
linguistiques statiques (Saussure) qui veulent ignorer la «
production » du langage, jusqu'aux affirmations sur les rapports
profonds entre structures linguistiques et structures mentales
(Chomsky) !

Dans la seconde partie, « Syntaxe, écriture, lisibilité », Valéry


affirme — très en avance sur son temps — le caractère
statistique des lois du langage, ce qui lui permet de partir en guerre
contre les règles de la grammaire (règles présentées par leurs
tenants comme intangibles), et traite magnifiquement des
rapports entre forme et fond, entre style et pensée.
Passons sur la troisième partie, « La phrase », remarquable
davantage par la forme que par le fond et attachons-nous
davantage à la quatrième partie, « Les mots », où l'écrivain nous
rappelle l'ambiguïté attachée à chaque mot, nous montre que
cette ambiguïté croît avec le caractère usuel du mot,
anticipant ainsi sur les lois de la linguistique quantitative.
Pour Valéry, tout mot n'est qu'un « expédient », l'approximation
souvent trompeuse d'un concept ; nous dirions maintenant
d'une image mentale, d'un pattern. Il n'y a pas de mot isolable,
chaque mot modifie ses voisins ; mais toute combinaison de
mots n'est vouée qu'à l'évanouissement, qu'à la « disparition
des signes », afin que surgisse la « signification ».

Ce qui nous conduit tout naturellement à la cinquième partie,


« Parole intérieure et pensée sans langage », où l'écrivain,
prônant la « parole intérieure » puis affirmant que la véritable
pensée est une « pensée sans langage », s'oppose aux
philosophes existentiels (tel Merleau-Ponty), aux psychanalystes
(tel Lacan), mais converge avec les recherches de H. Furth sur
la « pensée sans langage » des enfants sourds, de Eric H. Len-
neberg sur les «Fondements biologiques du langage»4, avec
celle de Jean Piaget sur les jeunes enfants normaux, avec les

4.
3. Eric
Classement
M. Lenneberg
donc sans: Biological
rapport avec
fondations
l'ordre deofprésentation
language (John
dans Wiley
le volume
and des
Sons,
Cahiers.
New
York, 1967).
Linguistique 7

auto-analyses de la plupart des grands savants dont, notamment,


Albert Einstein5 et aussi Jacques Monod6.

LE POINT EXTREME
DE LA DENSITE ET DE LA CONCISION DU LANGAGE
Et nous en arrivons à la dernière partie, « La perception », où
Valéry annonce les résultats de la psychologie moderne, de la
perception, issue de la Gestaltpsychologie et de la théorie de
l'information. Seule une partie du monde nous est accessible,
celle décelable par nos sens (au besoin prolongés par nos
machines), celle dont les formes, les gestalt font partie de
notre univers mental ; en outre, plus une forme de notre
environnement est vraisemblable, attendue, plus elle a de chance
d'être perçue (vue, entendue) 7. Ce que Valéry ramasse en
quelques formules du type : « On ne perçoit que le significatif »,
« C'est une croyance de la vision ».
A ce niveau de concision et de concentration dans l'écriture,
nous sommes au-delà des critères de lisibilité ; le fond et la
forme se fondent en un texte si dense, si chargé de sens qu'il
ne peut se prêter à la lecture habituelle, au patient
déchiffrement linéaire des chaînes de mots et d'idées ; non ; la « fin »,
chez le lecteur, c'est ici l'explosion mentale, l'in-sight, qui en
un éclair illumine, révèle tout un champ de la connaissance. Du
rationnel et méticuleux critique ; de l'analyste le plus souvent
destructeur; du penseur se méfiant des mots, réticent aux
idées générales, allergique aux philosophies (qu'ii juge)
brumeuses, nous passons à un alchimiste du verbe ; influencé (il
le reconnaît) par Mallarmé ; à un ascète intellectuel ; à l'auteur
(et au modèle, tout ensemble) de Monsieur Teste*: « mystique
sans Dieu9» ; à cet extraordinaire personnage de saint laïque;
maître absolu de ses pensées, de son esprit ; portant en lui
« quelle effrayante pureté, quel détachement, quelle force et
• quelle lumière incontestable».

PEUT-ON COMBINER INTROSPECTION ET RATIONALISME ?


Ce qui — en corollaire — suscite une nouvelle contradiction :
comment ce penseur athée, matérialiste et, osons le dire, méca-
niste, lui qui a écrit : « J'estime qu'il y a des domaines dans

5.1969,
Consulter
pages 144
à ceà 149)
sujet; : Gabriel
Françoiset Richaudeau
Brigitte Veraldi
: la Lisibilité
: Psychologie
{Paris,de C.E.P.L.
la création
et Denoël,
(Paris,
C.E.P.L., 1972, pages 171 à 173).
6. Jacques Monod : le Hasard et la Nécessité (Paris, Le Seuil, 1970, page 170).
7. Lire le chap. I de François Richaudeau : le Langage efficace (Paris, C.E.P.L., 1973),
8. Paul Valéry : Monsieur Teste (Paris, Gallimard).
9. Une œuvre littéraire française peut être rapprochée de Monsieur Teste : c'est Louis
Lambert, d'Honoré de Balzac, plus romantique et même boursouflé, mais également
portrait d'un mystique laïque pour lequel < les faits ne sont rien, ils n'existent pas, il
» ne subsiste de nous que des idées ».
Notons qu'au moment où Valéry rédigeait Monsieur Teste en 1894 (à Montpellier), dans
une lettre à André Gide (25 août), il l'entretenait de Louis Lambert, au sujet duquel
il employait le terme de « truquage », mais se qualifiait lui-même de « puritain » ; et
comme il l'était, comparé à Balzac I
Paul Valéry, précurseur des sciences du langage

» lesquels idées et modifications physiques sont comme de


» même espèce », « Les notions de pensée, connaissance, etc.,
» doivent être rejetées. Celles d'acte et de réaction, etc., doivent
» les remplacer », « Les schémas d'une installation de T.S.F. me
» parlent beaucoup plus du vivant et du fonctionnement de l'être
» sensible et vivant [...] que toute « analyse » psychologique10 »,
comment ce penseur mécaniste pouvait-il prétendre par un pur
(et interminable) travail mental solitaire d'introspection
découvrir les lois objectives de la psychologie ?
La règle d'or de la méthode scientifique moderne : le sujet
observateur ne peut être valablement en même temps le sujet
observé, ne serait-elle dans certains cas que l'expression d'un
faux problème, du type de ces faux problèmes philosophiques
que l'écrivain se plaisait à dénoncer ?
Peut-être oui, dans certains cas ; quand la qualité de Yobserva-
teur-observé le place hors du cercle des besogneux de la pensée
que nous sommes presque tous. Peut-être quand on s'appelle
Paul Valéry.

DES INTUITIONS FULGURANTES


Comment justifier autrement les intuitions fulgurantes de
l'écrivain, dans le domaine du langage — nous en donnons par la
suite un aperçu — et dans bien d'autres domaines ?
Paul Valéry lisait peu — à l'image de Monsieur Teste, qui lui ne
lisait pas du tout — , il semble avoir ignoré les recherches des
psychologues allemands de la Gestalttheorie, au point que le
chapitre des Cahiers consacré à la perception est intitulé «
sensibilité » et, pourtant, comme il a prévu les grandes découvertes
de cette école ! Citons, par exemple : « Comment se fait-il que
» dans un orchestre je puisse suivre tel instrument au milieu
» de la touffe sonore ? ou bien telle mélodie à travers tous les
» instruments " ? », écrit en 1905-1906.
Mais, surtout, l'écrivain a pressenti, appelé, souhaité
l'avènement d'une science de la mécanique vivante, de la cybernétique ;
lui qui écrivait en 1928 : « L'esprit est lié incontestablement à
» un organe, à un système matériel sur lequel nous ne savons
» rien. Mon hypothèse est la suivante : cet organe, si spécialisé
» soit-il, n'en est pas moins un organe et, comme tel, a des
«traits de fonctionnement qui lui sont communs avec les
» autres... Est-il absurde ou impossible de chercher dans les
» produits de Vesprit quelque trace de ces caractères généraux
»de fonctionnement12? »
Vingt ans après ces lignes, trois ans après la mort de leur
auteur, c'était dans le monde scientifique le double coup de

c
3 10. Cahiers (pages 939, 954, 971).
£ 11. Cahiers (page 1154).
g 12. Cahiers (pages 1011 et 1012).
O
O
Linguistique 9

tonnerre provoqué par la publication de Cybernetics, de Norbert


Wiener, puis de The Mathematical Theory of Communication,
de Claude E. Shannon et W. Weaver.
Et Louis Couffignal définissait cette cybernétique « comme le
» moyen d'étendre les théories valables pour le mouvement des
» organes des machines au comportement des êtres vivants,
» notamment des êtres humains », reprenant presque à
l'identique la phrase de Valéry.

LES LEÇONS DE PAUL VALERY


J'ai précédemment, au sujet des rapports entre pensée et
langage, mentionné Albert Einstein et Jean Piaget, deux chercheurs
célèbres, le premier ayant révolutionné notre conception de
l'univers, le second rénové les connaissances de la psychologie
de l'enfant. A notre époque, où l'on ne prône que le travail
scientifique en équipe, on constate que l'un et l'autre ont fait leurs
découvertes essentielles au terme de travaux solitaires. A une
époque où la moindre recherche en psychologie n'est tolérée
que si elle s'exerce sur un groupe suffisamment important de
sujets, que si les résultats sont validés par le contrôle
statistique, en cette ère d'« impérialisme statistique » (notamment
en sciences humaines), on constate que Jean Piaget a fait ses
découvertes en observant des sujets uniques : ses propres
enfants.
Finalement, j'en arrive à penser que le principal mérite de
Valéry n'est pas d'avoir eu ces prémonitions étonnantes quant
à l'avenir de nombreuses disciplines ; de toute façon, ces
disciplines devaient éclore ; et cette éclosion s'est produite
indépendamment de lui : il n'y était pour rien.
Son premier mérite, c'est peut-être de nous rappeler, à l'ère du
collectivisme scientifique et culturel, la force extraordinaire de
l'homme seul ; de l'homme seul mais chevillé à une croyance
et chez Valéry c'était la croyance en la puissance de l'esprit.
Et son second mérite serait le rappel du rôle capital de
l'écriture ; les messages de Valéry ne nous frappent ne nous
éblouissent même souvent que grâce à l'accord parfait entre
leur fond et leur forme, à l'accord mais, plus, à l'indissociabilité
entre l'un et l'autre, et cela, notamment et paradoxalement
à cause de la grande méfiance de l'écrivain à l'égard des mots,
de leurs caractères ambigus, des pièges du langage ; ce qui le
conduit à une stricte économie des moyens linguistiques, à une
véritable ascèse littéraire 13 génératrice d'une richesse au

13. Rappelons que Valéry a consacré plusieurs années de sa jeunesse à mettre au point
les définitions exactes des principaux mots de son vocabulaire ; rappelons aussi que
l'écrivain explique cette maîtrise de sa prose par son long labeur d'écriture de ses poèmes
(quoi qu'on pense de ceux-ci) (chap. « Ego scriptor » des Cahiers).
Paul Valéry, précurseur des sciences du langage

second degré ; ainsi, le mystique mendiant dépouillé de tout


bien matériel rayonne de richesse spirituelle ; de même, chaque
mot dépouillé (chez Valéry) du fatras de ses fausses richesses,
de ses polysémies ambiguës, devient riche de vraie signification,
porteur d'un message immense ; c'est le langage de Monsieur
Teste ; on doute après une lecture de Valéry qu'il soit possible
de bien penser sans savoir bien s'exprimer.
Peu importe finalement que la pensée chez l'homme ait précédé
le langage ; que dans le processus d'expression,
hiérarchiquement, l'idée devance le mot ; l'important est qu'ils sont chez
l'adulte, si imbriqués ; qu'ils se sont tellement épaulés,
renforcés au cours de leurs croissances respectives qu'ils sont
devenus inséparables : pas de pensée de qualité transmissible
sans le véhicule approprié, sans le langage de qualité, et
réciproquement.

A quand la création d'une université Paul Valéry où l'on


enseignerait, entre autres, à des futurs chercheurs scientifiques les
rudiments du travail solitaire non conformiste, de l'écriture
correcte et, pourquoi pas, de la méthode introspective ?

C'EST AU LECTEUR DE CONCLURE


Paul Valéry rationaliste borné... ou mystique laïque ?
Paul Valéry penseur prophétique... ou amateur intelligent à la
mode ?
Paul Valéry, écrivain français déjà classique... ou aimable et
désuète « potiche » littéraire de la Troisième République ?
J'ai laissé sans équivoque percer mon opinion14.
Au lecteur, en lisant ce qui suit et puis, je l'espère, les
Cahiers eux-mêmes , de se forger la sienne ; notre auteur lui
en donne toute licence, lui qui a écrit, avec sa lucidité toujours
désabusée et un peu effrayante : « Il n'y a pas de vrai sens d'un
» texte. Pas d'autorité de l'auteur. Quoi qu'il ait voulu dire, il
» a écrit ce qu'il a écrit. Une fois publié, un texte est comme un
«appareil dont chacun peut se servir à sa guise et selon ses
» moyens ; il n'est pas sûr que le constructeur en use mieux
» qu'un autre. »
François Richaudeau.

,o 14. Et que m'importe l'écrivain professionnel rédigeant à la commande les textes de


*g ses conférences aux Annales et de ses préfaces à des ouvrages « bibliophiliques ». Pour
o moi, c'est un autre... Paul Valéry n'a-t-iî d'ailleurs pas écrit, en 1928, en pleine période
*g d'« écriture publique » : « Ecrire pour publier, c'est chez moi l'art d'accommoder les
3 » restes » et puis, en 1940-1941 : « Je n'aime pas la profession littéraire, elle me déplaît »,
5 et, en 1942 : « J'écris une Préface, une de plus. Et qu'il m'ennuie d'écrire ! Curieux
g » métier... Le prêtre vit du Saint Sacrifice. »
o
O
.Les ci unions

de Paul Valéry

« La vie transforme les choses en signes d'elles-mêmes. »

psycholinguistique1
Linguistique et

« Le langage tel qu'il est dans l'homme civilisé


» est une organisation dans une organisation. »

« Quand on voit ce monde de symboles et dans l'esprit


» même on ne sait où il s'arrête où finit cette onde de
» traductions et où existe l'original s'il existe. »

« L'étude du langage telle qu'elle est pratiquée par


» la linguistique fait songer à une chimie aux équations
» purement pondérales (entre masses), sans mention des énergies
» ce qui fait que ses formules représentent des états
» achevés et non des états de formation , ce qui peut suffire
» à beaucoup de besoins en chimie. Mais le langage,
» au contraire n[ou]s intéresse en tant qu'état de formation. »

« La linguistique ne nous apprend rien d'essentiel sur


» le langage Des questions d'origine, de similitude.
» Mais le rôle intime du langage, son intervention dans
» le fonctionnement, son mécanisme. »

« En quoi renseigne-t-il [le langage] sur phfenomènes]


» mentaux? Mesure exacte.»

« [Le langage] est fondé non sur les phénomènes] mentaux


» eux-mêmes, mais sur les lois d'existence et de succession
» de ces phfenomènes]. »

« Celui qui saura nouer le langage à la physiologie


» saura beaucoup, et nulle philosophie ne prévaudra contre ceci.

« Il ne peut pas y avoir de pensée plus « profonde » que celle


» qui est impliquée dans la forme grammaticale des moindres
» phrases que pense et dit l'homme le plus simple. »
t":

1. Pages 404, 881, 460, 381, 446, 443, 397, 388.


Les citations de Paul Valéry

Ce qui caractérise le plus le langage, ce ne sont pas


les substantifs, adjectifs, etc. mais les mots de relation, !
les si, les que, les or et les donc »

Dans la plupart de nos pensées verbales et donc de


nos écritures il y a une énorme portion de vide. \
Il serait impossible de retraduire ces textes en actes et ;
objets réels, réellement combinés. Ce qui permet ces opérations i
fictives et trompeuses c'est que nous ignorons leur inanité
et qu'il faut des efforts pour la découvrir, emportés ¦
que nous sommes ou absorbés par la facilité des combinaisons, ?
l'habitude
nous' du langage; et surtout ne voyant pas que
alimentons ce discours par des idées incessantes,
nouvelles tandis qu'il semble se continuer naturellement et ne j
reproduit pas l'incohérence vraie de laquelle il s'alimente.
On s'attend qu'un discours soit lié et qu'une rêverie j
soit incohérente. Un discours incohérent étonne
une rêverie réglée change de nom. »

lisibilité:
Syntaxe, écriture,

« Langage. Le langage est un ensemble statistique.


» Les lois ne sont que constatations. Une règle de syntaxe
» n'est au fond qu'une probabilité. Une faute est un écart
» c'est dire qu'il doit y avoir des fautes, qu'elles ne peuvent pas
» ne pas exister. Les efforts que l'on fait contr'elles
» sont des manifestations de caractères individuels comme
» le sont les écarts eux-mêmes. »

« II y a des règles de grammaire qui n'ont été décrétées


» que pour en finir avec une liberté qui n'avait aucun
» inconvénient. Je n'hésite pas à reprendre cette liberté.
'» Il n'y a aucune raison de ne pas admettre amour aux deux genre
» selon l'humeur.
» Qu'importe le genre d'un mot dont le sens est une chose
» sans sexe? Mais surtout ce mot fut des deux genres
to<DD)
O)
CD
» Laissez-les-lui.
CD » Hymnes, orgues, délices, etc. et les gens!
» Mais il y a, chez nous, un goût dépravé des règles. »

« On critique mon usage (ou l'abus que je fais)


» des mots soulignés, des tirets, des guillemets.
S 2 Pages 416, 476, 441 . 450 405 434
O
o
Linguistique 13

» Cela n'est, en somme, que dire ou manifester que je trouve


» insuffisante la ponctuation ordinaire.
» Si nfou]s étions véritablement << révolutionnaires »
» (à la russe), nous oserions toucher aux conventions
» du langage.
» Notre ponctuation est vicieuse.
» Elle est à la fois phonétique et sémantique
» et insuffisante dans les deux ordres. »

<< Écrire ou penser avec soin est un effort contre


» le langage moyen. »

« Nous disons qu'un texte est clair quand nfouls


» ne percevons pas le langage dont il est fait.
» Il y a abstraction du langage.
» Si son effet (qui semble direct) est sans intérêt,
» n'excite rien en nous, nous pouvons revenir .
» à ce langage qui avait passé inaperçu. -
» La '< forme » ne nf ou]s frappe que si le « fond » ne domine.
» La forme est une station que l'on brûle en général. »

'< Qui pense surtout en mots, a peu ou point de véritable


» style. Les orateurs ont peu de style. (Je ne parle pas
» de ceux qui écrivent leurs discours ). Le style naît
» dé la netteté de la pensée s'opposant à l'insuffisance,
» à l'inertie, au vague moyen du langage et le violant
» avec bonheur. Il naît d'une lutte. »

'< « Penseurs» (allemands surtout) exécutent des combinaisons


» et variations avec un ensemble de termes mal définis,
» comme Pessimisme, << romantisme », Renaissance.
» Nietzsche ces productions parfois très excitantes,
» toujours gratuites perspectives Keyserling !
» Ce sont des transformations sans retour uniquement
» fondées sur l'inconvertibilité des notions vagues en actuel.
» Réduire l'idéologie à l'excitation cf. « Terre des morts ».
» S'enivrer d'historismes, d'ismes.
» Musique, irritation par chatouilles minimum
» d'énergie, maximum d'excitation points stratégiques.

«Comment ceci est-il possible?


» Mais comme la spéculation] en Bourse par valeurs maniables.
» La convention consiste simplement à admettre que
Les citations de Paul Valéry

» des transformations 1° logiques, 2° par analogies ont plus


» de valeur que les transformations] mêmes.
» Ce qui est vrai si par valeur on se borne à entendre * <
» les valeurs d'excitation. Le domaine purement intellectuel i
» est défini par là L'or n'y figure pas. l
» C'est un problème pfour] chaque esprit c'est-à-dire plour] :
» le centre de chaque Marché des mots-idées de différer ou
» de précipiter l'exigibilité l'or. Exemple des mathématiques. >
» D'autre part il faudrait relever le caractère << ornemental » ]
» de ces spéculations, c'est-à-dire ce par quoi plaisent, \
» excitent, ces combinaisons. C'est une poésie dont l'essence \
» est l'illusion de comprendre. » j

La phrase3

« La phrase est un spectre d'une idée. »

« Phrase est l'ensemble de mots dont les sens subissent


» une déformation réciproque. »

« Phrase Toute pluralité ou ensemble de mots qui peut


» être substitué par un fait psfychique] unique. »

« La phrase est un rapprochement de n significations


» qui se modifient, les unes mutuellement, les autres
» modifiant et n'étant pas modifiées.
» Ainsi les prépositions modifient et ne sont pas modifiées. »

mots4
Les

'< N'employez pas de mots que vfou]s n'employez pas à penser. »

« Excellent de ne pas trouver le mot juste cela y peut


» prouver qu'on envisage bien un fait mental, et non
» une ombre du dictionnaire. »

cg, « Toute chose regardée fortement perd son nom;


» Car le nom et le reconnaître sont des circonstances
» d'élimination de la chose même. »

C=3 * 3 Pages. 832, 433, 429, 438


E " 4. Pages :408, 385,465, 391,390, 386, 387,432,454,
£ 413,389,456,451,438.
O
O
Linguistique W

'< Je n'ai point de nom, dit une Chose et quand tu m'appelles


» Ceci, tu regardes quelque autre chose et te détournes de moi. »

« Les mots usuels justement parce qu'ils sont usuels,


» ne représentent j amais de phénomènes nets 0
» ni de symboles purs. »

« Dès qu'on les isole [ les mots], ils s'obscurcissent. »

'< Le nom d'un objet est le signe de la métaphore la plus


» simple qu'on puisse opérer sur lui (ou son idée). »

<< La plupart des hommes, leur pensée vit d'expédients.


» Un expédient est un acte ou un moyen que l'on adopte avec
» l'arrière-pensée que l'on en choisirait un autre si l'on avait
» le loisir ou le pouvoir de le faire et que l'on ne se sert de lui
» que cette fois.- Ce sont les circonstances qui le. font employer
» et le défaut d'autre ressource, non l'adaptation réfléchie et
» Ainsi les mots et métaphores. »

<< Le principe, à mon avis, est celui-ci : il n'y a pas


» de mot isolabk. »

'< Il faut donc commencer par ne pas opérer avec des mots
» dont la relation avec des choses soit incertaine,
» inconstante, indéterminée
» Les mots les plus gros, les plus solennels sont de
» cette espèce. Mais on peut les employer, le sachant,
» contre le lecteur. Le cuisinier ne mange pas de sa cuisine. »

<< Or nul mot isolé n'a de sens. Il a une image mais


» quelconque et le mot ne prend son sens que dans une
» organisation par élimination entre ses sens, t...] »

<< Le sens vrai d'un mot pourrait s'entendre de ce à quoi


» il mène hors du langage.
» Et ceci mène à penser que nombre de mots n'ont aucun sens vrai.
» Ils ont des sens enfermés dans le langage sans issue. »

<< Certains mots (fort nombreux) sont impossibles dans le moi


» rigoureusement isolé.
» Ils ont besoin d'une atmosphère, d'une caisse de résonance,
» d'une collectivité qui les réfléchisse, et ils ont alors
Les citations de Paul Valéry

»pour sens leur valeur d'action extérieure. .


» Ils n'existent pas dans l'insonore de la solitude.
» Si on fait le vide autour d'eux, ils se vident.
» Réciproquement, cette « solitude » est l'état dans lequel
» l'être est réduit à ses seules résonances c'est-à-dire
» qu'il n'est entretenu que par sa puissance excitante propre. »

'< Tout mot de la phrase vraie agit sur un mot de la phrase


» ou est modifié par quelque autre de la phrase, ou agit
» et est modifié à la fois.
» Les mots qui modifient unilatéralement d'autres mots
» forment avec eux un groupe.
» Il se fait enfin une totalisation de tfou]s ces éléments
» qui a pour effet normal la disparition des signes,
» et la signification résultante remplace la pluralité
» les divers éléments étant saturés. »

« Entre deux mots il faut choisir le moindre ( 5). »

Parole intérieure et pensée sans langage6

« Si le langage était parfait, l'homme cesserait de penser. »

« Le langage nous permet de ne pas voir. »

« Beaucoup ne pensent qu'en parole. »

« Il n'y aurait pas de métaphysique si notre langage était


» notre fabrication personnelle, notre convention faite
» par nous, pour nos besoins réels, propres de transmission
» à n[ou]s-mêmes, de conservation et de combinaison.
» Car n[ou]s croyons que les mots en... savent plus que nous!
» contiennent plus que nous et même plus que l'homo. »

« Pas de philosophie si l'expression n'était que strictement


» idéographique. Le moyen bluterait les idées. »

« L'homme espère dépasser sa pensée par son langage. »

« Tant que n[ou]s ne retrouvons pas l'inarticulé, l'innominé,


5. C'est dans Tel quel (tome I) que j'ai noté cette phrase.
o Fl n'est pas impossible, il est même vraisemblable qu'elle
figure dans les « Cahiers », mais qui peut se vanter d'avoir
§ tout vu dans les énormes» Cahiers »?
S 6. Pages 400, 448, 401, 452, 423, 394, 443, 401, 458, 386, 404, 395, 396.
§ 7 Pages 1179, 1162, 1181, 1154
O
Linguistique 17

» nous sommes en langage et non en observation pure;-


» Mais en observation pure, nous n'y pouvons demeurer. » ~: ;

« Ils ignorent le réel-informe. Ils ne perçoivent


» que ce qui ressemble à ce qu'ils savent. »

<< Rien n'est plus étonnant que cette parole «. intérieure »,


» qui s'entend sans aucun bruit et s'articule sans mouvements
» comme en circuit fermé.
» Tout vient s'expliquer et se débattre dans ce cercle
» semblable au serpent qui se mord la queue.
» Parfois l'anneau se rompt et émet la parole externe.
» Parfois, la communication du naissant et du né est régulière,
» en régime et la distinction ne se fait pas sentir. »

« A mesure que l'on s'approche du réel, on perd la parole. »

« Il importe de s'exercer à la pensée sans langage. »

« L'élimination systématique de ce qui est parole est


» le point capital de ma philosophie. »

« Si tout savoir se pourrait remplacer par une vision


» de choses?»

perception7
La

<< Nous ne percevons pas ce que nous percevons mais


» ce qu'il faut que nous percevions. »

« Nous ne voyons pas ce que nous voyons. Nous voyons


» ce que la chose vue nous fait nous attendre à voir.
» La chose vue agit,
» et elle est vue comme conséquence de cette action.
» Toute perception est donc une production. »

« C'est une croyance que la vision. »

<< On ne perçoit que ce qui est dans un certain accord


» avec le signifTicatif). On ne perçoit que le significatif. »

« Tout est prédit par le dictionnaire. »

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