PAR
STÉPHAN BOURGET
(ENSEIGNANT DE PHYSIQUE)
1
Face aux problèmes environnementaux, plusieurs perspectives peuvent être adoptées.
Globalement, elles peuvent être classifiées sous trois catégories : anthropocentrique, biocentrique
ou écocentrique.
Historiquement, c’est la perspective anthropocentrique qui est apparue en premier et qui demeure
encore la vision dominante. Avec cette perspective, la nature a de la valeur dans la mesure où elle
est utile à l’être humain. Elle rejoint l’idée de conservation prédominante avant 1972 (Stockholm),
mais aussi l’idée de préservation qui s’est développée par la suite. Pour les conservationnistes, il
faut utiliser les ressources naturelles de manière responsable de manière à assurer un
développement (une exploitation) continu dans le futur, acroissant ainsi le « bien-être » des
humains. Par contraste, les préservationnistes comme Muir (1838-1914) (1898), Emerson (1803-
82) et Thoreau (1817-62) attribuent à la nature une valeur pour les humains qui est d’origine
spirituelle, culturelle et esthétique. Cette perspective favorisa la création des parcs nationaux, qui
donna par ailleurs lieu à de multiples débats avec les conservationnistes qui y voyaient un
gaspillage de ressources inutilisés. De nos jours, on parlerait de l’ensemble des services
écosystémiques (régulation des gaz, régulation du climat, régulation des dérèglements, régulation
de l’eau, source d’eau, contrôle de l’érosion et rétention des sédiments, formation du sol, cycle des
nutriments, traitement des eaux, pollinisation, contrôle biologique, refuge, production alimentaire,
matériaux bruts, ressources génétiques, récréation, culture) fournis par la nature et affectant le
bien-être et le plaisir de l’humain pour justifier sa préservation. Certains apporteraient d’autres
arguments pour la préservation de la nature, ne reposant pas directement sur l’accroissement
utilitariste du bien-être, mais sur la promotion des vertus humaines. L’expérience de la nature
favoriserait le développement humain (Mill, 1962/1861), offrirait une expérience potentielle de
transformation des valeurs (Norton, 1991), influencerait les attitudes comportementales (Kant,
1949/1785) et fournirait des expressions symboliques de nos croyances morales qu’il serait
prudent de préserver pour les renforcer (Sagoff, 1988).
2
La perspective écocentrique s’attarde plutôt à la valeur des écosystèmes et des espèces. Dans
l’écocentrisme téléologique, c’est le développement systémique qui est source de valeur morale.
Dans l’éthique du territoire de Leopold (1949), c’est la santé de l’écosystème qui est source de
valeur morale. Bien que poussé à l’extrême cette perspective puisse déboucher sur une écologie
profonde (Naess, 1973) radicale, la plupart des philosophies écocentriques sont plus modérées en
ajoutant, plutôt qu’en remplaçant, les considérations morales existantes.
Le développement durable peut s’exprimer dans une version forte ou faible. C’est cette dernière
version, la faible, qui est prédominante et qui anime les débats politiques. Bruntland (CMED,
1988) a défini le développement durable comme « un développement qui répond aux besoins du
présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». La version
faible du développement durable cherche à poursuivre un développement économique compatible
avec la protection de l’environnement et les préoccupations sociales. Contrairement à l’écologie
profonde, elle ne cherche pas à arrêter la croissance économique et le développement
technologique, seulement à les réformer en intégrant d’autres considérations aux prises de
décision. Elle cherche à intégrer des facteurs qualitatifs en sus des facteurs quantitatifs. Avec ce
type de développement durable, on s’inscrit davantage dans la réforme que dans la rupture ou la
révolution. Il y a généralement une certaine méfiance à l’égard des perspectives écocentriques, par
crainte de dérives anti-humanistes et anti-progrès. L’humain est encore au centre des
préoccupations, quoique ce soit davantage à travers une conception utilitariste plaçant l’accent sur
le développement économique que sur une conception plus holistique qui mettrait l’accent sur le
développement des personnes et des communautés comme le souhaiterait l’écologie sociale de
Bookchin (1980) et le municipalisme libertaire proposé. En ce sens, le développement durable tel
que promu sur le plan politique est définitivement anthropocentré, malgré d’autres conceptions
possibles, plus fortes, qui pourraient être anthropocentriques, biocentriques ou écocentriques.
3
RÉFÉRENCES
MUIR, J. (1898). The wild parks and forest reservations of the West. Atlantic Monthly, LXXXI,
483.
NAESS, A. (1973). The shallow and the deep, long-range ecology movements: a summary. Inquiry
16, 95-100.
NORTON, B. (1991). Thoreau’s insect analogies: or, why environmentalists hate mainstream
economists. Environmental Ethics, 13, 235-251.
SAGOFF, M. (1988). The Economy of the Earth. Cambridge University Press, Cambridge, MA.
TAYLOR, P. (1986). Respect for Nature: a Theory of Environmental Ethics. Princeton University
Press, Princeton.