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VENIR À LA CONNAISSANCE, VENIR À LA POLITIQUE

Réflexion sur des pratiques féministes du réseau NextGENDERation

Rutvica Andrijasevic et Sarah Bracke

Association Multitudes | « Multitudes »

2003/2 no 12 | pages 81 à 88
ISSN 0292-0107
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FÉMINISMES, QUEER · MAJEURE · 81

venir à la
connaissance,
venir à
la politique
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réflexion sur des pratiques féministes
du réseau NextGENDERation

Rutvica
Andrijasevic
& Sarah
Bracke
82 · MULTITUDES 12 · PRINTEMPS 2003

À chaque génération l’action libère nos rêves.


Adrienne Rich

Notre projet vient du désir de créer un espace où il soit possible
d’échanger des réflexions théoriques sur les relations de pouvoir sur les
corps — le patriarcat et l’hétérosexualité, et leurs intersections avec le
racisme et les inégalités économiques — qui configurent nos vies actuel-
lement dans le temps et l’espace. Nous avons mis en place un réseau
de femmes étudiantes en recherches féministes.  NextGENDERation 
est devenu le nom de ce réseau d’étudiantes et de chercheuses intéressées
par les études féministes, les gender studies, ou la théorie féministe,
qu’elles soient dans l’université ou en dehors. Comme le réseau était
centré sur le contexte européen, tout en ne s’y limitant pas, une liste
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électronique, installée en , a fourni le premier espace collectif
pour diffuser l’information et s’engager dans le difficile travail d’arti-
culation de politiques tout à la fois liées à notre intérêt commun pour
les recherches féministes et rendues différentes par les langues, les ori-
gines géographiques, les positions politiques, et les histoires particu-
lières de chacune.

le(s) sujet(s) de la théorie


Parmi les premières discussions apparues sur la liste électronique a
surgi un débat sur la difficulté de combiner travail théorique et mili-
tantisme. Ce démarrage par une vieille et irritante question jamais
vraiment résolue, et dont l’irrésolution précisément permet l’engen-
drement de nouvelles impulsions théoriques et politiques, montre bien
le genre de ré-articulations féministes cherchées par NextGENDERation.
Dans ce contexte, nous avons été particulièrement frappées du fait que
la plupart des interventions au cours de cette discussion tournaient le
dos à la théorie en général, et à la théorie féministe en particulier. On
y trouvait un sentiment général que les Études Féministes officielles fai-
saient de la « théorie pour la théorie », et non une théorie « pour un mou-
vement, ou pour l’appliquer dans ma vie, en le reliant à la vie vécue par
ma mère, en tant que femme vivant et respirant dans une société encore
plus sexiste. » D’autres mails exprimaient le regret que « la théorie fémi-
niste ait tendance à s’échapper vers des terres introuvables ».Très peu
de la « sentencieuse théorie étudiée a un impact sur la vie des femmes
réelles confrontées aux problèmes réels de la violence dans leurs vies. »
« Je ne pense pas que l’essentiel de ce qui sort de la discipline soit vrai-
ment de la théorie élaborée pour un usage militant ». Un autre mes-
sage allait jusqu’à parler d’une « sorte de conspiration pour maintenir
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les militantes inefficacement enfermées dans des débats théori q u e s , plu-


tôt que de les laisser juste agir. » La description des Études Féministes
officielles comme d’un « espace où vous laissez le problème dehors »
semblait résumer l’image que beaucoup de jeunes étudiantes fémi-
nistes en colère avaient de leur « discipline ».

Cette ré-articulation contemporaine dans un contexte féministe de


la question des rapports théorie-pratique a rendu visible un nouveau
sujet historique fortement impliqué dans le débat: une générat i o n
d’étudiantes dont le voyage en féminisme avait commencé par une
formation unive rsitaire en Études Féministes. Alors que ces étudiantes
avaient peut-être choisi les Études Féministes comme n’importe quelle
autre discipline universitaire, leur intérêt politique pour le féminisme
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s’était développé ensuite à travers la lecture et la discussion des textes
théoriques féministes dans les salles de cours. Leurs interventions sur
la liste électronique témoignaient en fait des attentes politiques par-
ticulières des étudiantes qui suivaient les Études Féministes. L’émergence
même de ce nouveau sujet est indicat i ve des transformations apportées
par les luttes féministes à l’université, où elles ont fait entrer et se déve-
lopper des cours officiels en Études Féministes, des programmes, et des
examens.
Nous ne soulignerons jamais assez combien ce développement est
inégal en Europe — dans de nombreux pays la recherche féministe et
les Études Féministes n’ont pratiquement aucune reconnaissance aca-
démique — et combien il reste fragile. Mais il est également important
de montrer quelles transform ations du féminisme cela entraîne, et
quelles nouvelles subjectivités en ont véritablement émergé. L’émergence
de ce nouveau sujet étudiant est particulièrement significat i ve en termes
de complexification de la généalogie connue des Études Féministes
comme champ de systématisation théorique issu des luttes féministes
des années . Cette complexification transforme encore davantage
les recherches féministes et les Études Féministes en lieu de rencontre
de sujets aux généalogies personnelles très différentes quant à la manière
dont elles sont venues à la connaissance et à la politique féministes. Ces
différences impliquent une confrontation permanente à la question
« Que voulons-nous que nos théories fassent ? » Car les Études féministes
ont été effectivement le point de départ de la politisation (féministe)
de ces nouveaux sujets.
La tension exprimée dans beaucoup d’interventions de la liste — entre
la « positivité de la politique » et la « négativité de la théorie », comme
l’a résuméTeresa de Lauretis — a soulevé la question de ce qui est arrivé
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à la théorie féministe dans les années , quand la recherche fémi-


niste, ou le féminisme, est devenue une « discipline ». « Qu’est-il arrivé
à une audacieuse aventure lancée il y a trente ans pour transformer les
institutions sociales et académiques, pour qu’elle soit finalement récu-
pérée par elles ? », se demande Ellen Messer-Davidow dans le contexte
américain. Certes, son interrogation sur le féminisme académique ne
résonne pas de la même façon dans le contexte européen, où les Études
Féministes, en tant que champ de connaissance critique, ne bénéficient
pas d’une reconnaissance académique semblable. Mais cette question
nous invite fortement à nous interroger sur les effets structurants des
formats académiques sur notre connaissance critique et sur notre inter-
vention politique. Les féministes ont parfaitement compris le pouvoir
d’exclusion des institutions académiques, note Messer-Davidow, mais
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nous ne faisons que commencer à comprendre le pouvoir qu’elles
pourraient exercer en nous aidant à avancer dans nos projets.  Messer-
Davidow se réfère au pouvoir du format académique disciplinaire qui,
à travers le relais entre institutionnalisation et intellectualisation tracé
par les disciplines de savoir académique, risque de supprimer l’impul-
sion généalogique des recherches féministes. Cette impulsion généalo-
gique, selon la notion foucaldienne de généalogie, unit les connaissances
s avantes aux mémoires locales pour établir une connaissance histo-
rique des luttes féministes et pour faire un usage tactique de cette connais-
sance aujourd’hui.
Cependant les réaffirmations nécessaires de cette impulsion généa-
logique, à travers laquelle les recherches féministes peuvent continuer
à alimenter et déstabiliser les Études Féministes ne peuvent pas, pen-
sons-nous, exiger d’en passer par la négation de la théorie. Les pers-
pectives critiques sur la division entre « penser » et « faire », qui insis-
tent sur l’expérience sensible incorporée dans la production de la
théorie, ont été poussées plus loin par les féministes quand elles ont
rendu visible la division sexuelle du travail entre « penser » et « faire »
et, ce faisant, ont contesté les systèmes d’oppression existant. Beaucoup
de féministes ont analysé comment la femme savante, et ses variantes
scientifique et théorique, avaient été interprétées comme une contra-
diction dans les termes. De telles contradictions ont conduit Evelyn Fox-
Keller à se demander dans quelle mesure la nature de la science est liée
à l’idée de masculinité, et à ce que cela signifierait pour la science s’il
en était autrement.  Plus récemment, Sara Ahmed a invoqué le carac-
tère toujours masculin de la grande théorie comme une des raisons pour
lesquelles les féministes se sont lassées d’en faire.  Ce qui est arrivé dans
la division sexuelle du travail entre « penser » et « faire » est que la connais-
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sance, la raison, la logique, l’analyse ont été mises du côté masculin,


tandis que les domaines de l’expérience, du sentiment et de l’intuition
étaient mis du côté féminin. Les règles du jeu académique disciplinaire
obligent à cadrer les sujets de certaines manières, certains modes de
d i s c o u rsseulement passeront pour théori q u e s , et les critiques féministes
ont montré combien ces modes et manières étaient genrés. Trop sou-
vent, ce que les femmes disent, est « trop brouillon » pour passer pour
de la théorie — le brouillon venant du brouillage des frontières entre
disciplines établies, ou des frontières entre le théorique, le personnel,
le politique, le descriptif, l’émotionnel. Surtout, des questions comme
celle de la division du travail — et les croyances qui y sont liées quant
aux capacités des hommes et des femmes, quant aux objets connais-
sables et aux sujets sachants — qui structurent nos économies de la
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connaissance, ont été généralement évacuées hors du champ des études
académiques. De telles questions ont été mises sur l’agenda universi-
taire par les Études Féministes, qui l’ont marqué, en même temps que
de leur impulsion critique, du désir d’autres connaissances transfor-
matrices ; bref, qui ont marqué l’université d’un devenir-femme (trans-
formateur) de la connaissance.
Parallèlement à l’analyse de la division sexuelle du travail, les fémi-
nistes ont aussi fortement critiqué la production de connaissances sur
les problèmes raciaux. Les études sur la division raciale du travail, qui
viennent pour une grande part des écrits de féministes noires et du
« tiers monde », ont remis en cause la logique théorique pour expliquer
le racisme qui existe en son centre. La connaissance de l’Autre eth-
nique n’est autorisée que si elle reste cantonnée à l’intérieur de fron-
tières thématiques et terri t o riales bien circonscrites, de sa « propre » cul-
ture et / ou nation, ce qui réduit la connaissances des Autres à la seule
catégorie de la description et leur statut à celui d’informateurs locaux.
Dit autrement, dans les études occidentales, les particularités des eth-
niquement Autres ont tendance à être considérées comme des exemples
pratiques d’abstractions théoriques rapportées aux seuls lieux blancs
d’énonciation.
Dans le contexte des économies de la connaissance féministe, ceci
a pour implication la critique de la codification ethnicisée du savo i r
par des intellectuels masculins blancs mais également par des fémi-
nistes blanches occidentales. Barbara Christian et bell hooks, pour ne
mentionner que deux noms parmi la riche tradition des recherches
féministes noires, ont contesté par exemple l’hégémonie de la théorie
déconstructiviste et des critiques postmodernistes du sujet dans le
contexte universitaire américain.  La « course à la théorie », selon les
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termes de Barbara Christian, poursuivie par quelques penseures fémi-


nistes et par les nouveaux philosophes occidentaux à travers le chan-
gement du langage critique et la réinvention de la théorie, a eu pour
résultat d’exclure une fois de plus les écrits des peuples de couleur en
général et des femmes noires en particulier du centre des débats théo-
riques, et de maintenir les hiérarchies du privilège en faveur des intel-
lectuels blancs .

Les contri butions théoriques des féministes du T i e rs monde ont


apporté de nouvelles perspectives sur les interrelations entre race et
disposition à la théorie. Mais elles ont jeté aussi une lumière essentielle
sur les manières dont le format disciplinaire académique continue de
perpétrer la racialisation des domaines théoriques aujourd’hui. Dans
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son enquête sur les universités américaines, Chela Sandoval a discerné
ce qu’elle a appelé un « apartheid des domaines théoriques »: la sphère
post-structuraliste blanche masculine, la théorie féministe blanche
euro-américaine, et la théorie féministe post-coloniale et du tiers
monde . Une telle division du travail, selon Sandoval, montre la façon
dont le colonialisme intellectuel utilise savoir et pouvoir au sein d’un
système qui s’approprie le savoir de « l’Autre » (les peuples noirs et les
femmes) et réduit leurs contributions par une catégorisation dévalori-
sante. En définitive, ceci se traduit notamment par un « apartheid des
connaissances académique » dans une dynamique complice à celle du
capitalisme avancé. Il faut s’interroger sur cette persistance de la divi-
sion du travail intellectuel entre les penseurs migrants et postcolo-
niaux, féministes et hommes. Nous voyons cette sorte de travail cri t i q u e
comme une tentative d’articuler des projets capables de former entre
ces domaines trop souvent séparés de nouvelles coalitions intellec-
tuelles et politiques.

les liens manquants


Au fur et à mesure du développement du réseau NextGENDERation,
les interactions virtuelles de la liste ont été complétées par des rencontres
en chair et en os de différents membres du réseau, dans différents
contextes, allant de réunions informelles dans des maisons, des cafés,
dans les couloirs de rencontres féministes plus importantes, jusqu’à une
participation plus explicite à des conférences féministes, à des journées
de travail cyberféministes, et à des discussions publiques sur l’état du
féminisme contemporain. Comme nous étions souvent présentées
comme de jeunes féministes, nous en sommes venues à comprendre
que la notion de générat i o n dans le contexte de notre réseau avait moins
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à voir avec l’âge qu’avec la complexification des différentes manières


d’en arriver au féminisme — à ses théories et à sa politique — et avec
l’engendrement des réarticulations féministes contemporaines. Un
point crucial que nous continuons à sous-estimer à ce propos est le carac-
tère intriqué des systèmes d’oppression, que ce soit selon les lignes de
race, de sexe ou de classe, en même temps que l’importance de la cri-
tique de l’hétérosexualité telle qu’elle est articulée par les auteurs queer
et lesbiennes. S’intéresser à la norm ativité hétérosexuelle et blanche ne
signifie pas seulement contester quelques unes des catégories de base
à partir desquelles se sont organisées les conceptualisations théoriques
féministes actuelles, mais ouvrir les possibilités de différentes formes
de lutte politique.
Un autre point qui informe de plus en plus notre manière de tra-
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vailler est la prise de distance par rapport au modèle de la représenta-
tion en politique, que l’université continue de soutenir, en faveur d’un
type plus contagieux ou « viral » de micropolitique. Cela coïncide avec
un processus de politisation du réseau qui, dans sa façade publique, doit
encore inventer comment un intérêt commun dans les recherches fémi-
nistes peut se traduire dans l’art i c u l ation de positions politiques, ou être
le lien qui le permet.
Ce qui a animé de plus en plus notre engagement dans le réseau est
l ’ a l i m e n t ation ou le renforcement de l’impulsion généalogique des
recherches féministes, comme part des continuelles réinventions et ré-
imaginations féministes. Notre impatience se reflétait dans le désir de
c e rtaines d’entre nous de faire une intervention féministe au Fo rum social
européen de Florence en . Nous imaginions cette participation
comme un petit espace d’atelier informel et collectif qui permettrait un
échange créatif entre diverses personnes qui la plupart du temps n’ha-
bitent pas les mêmes domaines de l’intervention féministe. Quand le
titre de l’atelier a été choisi, « Les liens manquants : le féminisme et la
résistance mondialisée » le souhait de participer au Forum social euro-
péen faisait converger plusieurs préoccupations. L’une concernait nos
g é n é a l o gies féministes, et ce qu’il en advient quand la théorie et le mili-
tantisme restent séparés, ou quand les luttes multiples, si souvent men-
tionnées mais portées par des corps différents, sont marginalisées.
C’est de là que vient notre recherche de nouvelles formes de subjecti-
vité féministe, reflétant la complexité de nos métissages et de nos inve s-
tissements corp o r e l s , et luttant contre la réduction simpliste à la notion
de genre ou de différence sexuelle.
Cette recherche pourrait trouver de nouvelles opportunités dans le
« m o u vement des mouvements » — caractérisé par l’émergence de
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nouveaux sujets et de nouvelles alliances, et par l’abandon des identi-


tés rassurantes organisées — mais seulement si nos impatiences fémi-
nistes arri vent aussi à transformer le mouvement. Car nous sommes éga-
lement préoccupées par l’absence de pers p e c t i ves féministes à l’intéri e u r
du « mouvement des mouvements » — un mouvement qui nous laisse
nous demander ce qu’il advient des connaissances issues des luttes
menées à partir de positions subjectives multiples et différenciées liées
aux différences sexuelles, ethniques, dans les identités telles que nous les
connaissons aujourd’hui, où on les fait s’effondrer dans le concept indif-
férencié de « la multitude ». Un mouvement qui oublie trop facilement
quelles luttes portées par quels corps ont produit des concepts cru c i a u x
comme « le personnel est politique », la politique de la vie quotidienne
et du désir.  C’est peut-être dans l’affirmation des généalogies fémi-
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nistes, antiracistes et queer, qui informent tant de pratiques et de théo-
ries des résistances mondiales, et dans l’affirmation de nouvelles alliances
et impatiences qui refusent de manipuler les oppressions les unes contre
les autres, que les nouvelles subjectivités féministes se créent, et sont
capables de soutenir l’impulsion généalogique du féminisme comme
projet antagonique.

Traduction française d’Anne Querrien

() Nous remercions María Puig de la Bellacasa pour son intervention dans ce texte.
() Dès le début du réseau les recherches féministes ont été comprises dans leur sens géné-
rique, comme se référant à l’ensemble des champs d’étude nommés en anglais Women studies,
Gender studies, et en français Études féministes ou théorie féministe. Nous avons toujours entendu
employer « recherches féministes » dans un sens inclusif, en référence à la diversité des types
d’intérêts intellectuels et des réflexions en relation avec le féminisme, que ces recherches aient
lieu à l’université, dans des associations de femmes ou ailleurs. Nous utilisons Études Féministes
avec des majuscules quand nous parlons spécifiquement des départements d’Études Féministes
universitaires.
() Ellen Messer-Davidow (), Disciplining Feminism. From Social Activism to Academic
Discourse, Durham, Duke University Press.
() Evelyn Fox-Keller () , Reflections on Gender and Science, New Have n ,Yale University
Press.
() Sara Ahmed (), D i f ferences that Matter.FeministTheory and Postmodernism, Cambridge
and Melbourne, Cambridge University Press.
() bell hooks ()« Po s t m o d e rnBlackness », in Yearning:Race, Gender and Cultural Politics,
Toronto.
() Barbara Christian (), « Race forTheory » in R. Davis and R. Schleifer (eds.) (),
Contemporary Literary Criticism: Literary and Cultural Studies, New York, Longman, -.
() Chela Sandoval (), M e t h o d o l ogy of the Oppressed, Minneapolis and London,
University of Minnesota Press.
() CristinaVega, , Firenze, feminism, global resistance. http://nextgenderation.let.uu.nl/esf/

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