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Revue des études byzantines

Andronic Synadénos. La carrière d'un haut fonctionnaire byzantin


au XIIe siècle
V. Laurent

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Laurent V. Andronic Synadénos. La carrière d'un haut fonctionnaire byzantin au XIIe siècle. In: Revue des études byzantines,
tome 20, 1962. pp. 210-214;

doi : https://doi.org/10.3406/rebyz.1962.1291

https://www.persee.fr/doc/rebyz_0766-5598_1962_num_20_1_1291

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MÉLANGES

Andronic Synadénos
ou
La carrière d'un haut fonctionnaire byzantin au xne siècle

En recensant dernièrement (1) les diverses appellations données par les


sources grecques du Moyen Age à la ville serbe de Nis, j'avais conclu qu'au
xne siècle la plus usuelle avait été Ν ίσος. Les documents d'archives, les
Notitiae episcopatuum, les monuments sigillographiques s'accordent avec
les sources historiques sur ce point. Malgré l'ampleur concordante de leurs
témoignages, cette forme de nom n'a pas cessé de dérouter les érudits qui,
presque en chaque cas, lui ont substitué celle, plus familière, de νήσος, en
l'entendant tantôt comme un toponyme tantôt, comme un nom commun.
Exceptionnellement l'éditeur, intrigué ou hésitant, a laissé imprimer le
mot tel qu'il l'a trouvé dans le modèle transcrit.
C'est ainsi que Sp. Lambros, inventoriant le contenu du fameux codex
Marcianus gr. 524 et ayant rencontré cette graphie dans l'une des
nombreuses poésies éditées par lui la reproduit à l'état brut comme si, pour
l'époque, il pouvait s'agir d'une orthographe autorisée par l'usage. Ce
fait, qui m'a été signalé (2), me donne la possibilité de verser au dossier
ouvert par mon précédent article un témoignage à nouveau décisif (3) ;
d'autre part, l'écrit où il est consigné permet de marquer avec précision les
étapes d'une carrière militaire à l'époque envisagée. Cet avantage est trop
rare pour ne pas devoir être exploité en l'occasion.
Voici d'abord l'extrait du poème (4) que nous aurons à commenter :
Άρχαϊς δε λαμπραΐς κοσμικαΐς έπιπρέπει
εις γήν Έπιδάμνου (5 ) τε και νήσον Κύπρου.
(1) V. Laurent, Une métropole serbe éphémère sur le rôle du Patriarcat œcuménique
Nisos-Nis, au temps d'Isaac II Ange, dans Byzantion, XXXI (1961), p. 43-56.
(2) C'est en effet Mme H. Ahrweiler qui a attiré mon attention sur le passage en question.
Elle voudra bien trouver ici l'expression de ma sincère gratitude.
(3) Cf. V. Laurent, loc. cit., p. 47, 48.
(4) Texte entier dans Έλληνομνήμων , VIII, 1911, p. 146-148. En 49 vers dodéca-
syllabiques.
(5) Έτηδαύνου Lambros, qui, ligne 5, imprime d'autre part 2νωσιν.
V. LAURENT : ANDRONIC SYNADÉNOS 211
Στρατηγετεΐ δέ και παρ' αύτφ τφ Νίσω.
"Οθεν, διελθών ^νθα Πανόνων κράλης,
5 ενωσις ώφθη των διεστώτων πάλαι.
Συνδεΐ δέ και Σόλυμα τη Κωνσταντίνου,
τον ρήγα προς σύζευξιν έλκύσας γάμου
λαβείν άδελφόπαιδα του βασιλέως.
"Αρχει δ' έπ' αύτοΐς και Τραπεζοΰντος τέλος.

L'expression αύτφ τω νίσω a visiblement embarrassé Lambros qui,


s'abstenant de l'amender, n'en a pas moins fait imprimer en caractères
plus gras les deux omégas et l'iota, ce qui, selon son intention expressément
déclarée (6), signifie que le genre (masculin) et l'orthographe (νήσος avec
l'iota) étaient pour lui des particularismes locaux. L'épitaphe voudrait dès
lors dire que le défunt, envoyé en Chypre remplir quelque autre fonction,
exerça par la suite dans cette même île celle de stratège. En réalité, sans
compter que, dans ce cas, l'emploi du terme : στρατηγετεΐ, serait
impropre (7), il ne peut s'agir que de la ville de Nis (ô Νίσος), comme l'exige
impérieusement la mention du roi de Hongrie passant par là pour se rendre
dans son pays. Le voit-on prendre, pour ce faire, le détour de la
Méditerranée orientale?
Ce point fixé, il nous est loisible de nous demander qui fut ce personnage
si longuement pleuré.
Andronic Synadénos, qu'aucune autre source ne mentionne, était, selon
la suscription de notre poème, gendre de ce Constantin Ange (8) que la
plus jeune fille d'Alexis Ier, la capricieuse Theodora, s'entêta à vouloir
épouser. C'est en effet une enfant de ce couple, Zoé, qu'il eut à son tour
la chance d'avoir pour femme, faveur qui faisait de lui le cousin germain par
alliance de l'empereur Manuel Ier Comnène (1143-1180) sous lequel, ajoute
notre document, il servit. Les étapes de sa carrière le menèrent en des
points très divers de l'empire alors encore étendu. Il fut successivement, si
l'énumération est chronologique :
stratège de Dyrrachium (Epidamnos);
duc de Chypre;
stratège de Nis;
duc du thème de Trébizonde.

Son passage à la tête du thème de Dyrrachium n'est attesté nulle part


et nous n'en pouvons rien dire, sinon que l'obtention de ce poste en début

(6) Cf. NE, loc. cit., p. 5.


(7) Le titre du gouverneur de Chypre était en effet traditionnellement celui de duc et
non celui de stratège.
(8) Sur ce personnage et sa famille, voir ici même les exposés du P. L. Stiernon, Cf. R. Ε. Β..
XIX, 1961, p. 273-283. Avec littérature (ajouter la notice du Recueil des Historiens des
Croisades. Grecs. II, p. 430-432).
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de carrière donne la mesure de la confiance que le monarque lui témoignait,


car de la bonne gestion de cette circonscription militaire pouvait dépendre
l'évolution du conflit gréco-normand toujours latent, voire entré dans une
phase aiguë depuis que le roi de Sicile Roger II avait repris en 1147-1148
ses attaques contre les Balkans et occupé l'importante île de Corfou (9).
Synadénos, qui dut recevoir ce premier commandement vers le milieu du
siècle, eut à affronter là une situation difficile.
Suivant une ligne d'avancement que d'autres généraux semblent avoir
suivie (10), notre fonctionnaire fut promu au gouvernement de Chypre.
La richesse de l'île, sa position excentrique et la pression des États
continentaux, latins et musulmans, incitaient à la dissidence dont la sécession
d'Isaac Gomnène devait être sous peu, en 1185, la spectaculaire
illustration (11). Pour prévenir ces révoltes, l'empereur choisissait les grands chefs
dans sa parenté, quitte à se méprendre parfois sur leur degré de loyalisme,
mais surtout il les changeait souvent (12). Le règne de Manuel Ier ne peut
avoir manqué à cette règle de prudence, bien que l'on ne connaisse
présentement que quatre noms de ducs de Chypre nommés par lui : Jean
Comnène vers 1155 (13), Alexis Ducas en 1161 (14), Alexis Kassianos sous le

(9) Sur les événements contemporains consulter F. Chalandon, Jean II Comnène et


Manuel Ie1 Comnène, Paris 1912, p. 317 suiv., 370 suiv.
(10) II y aurait en effet lieu d'étudier et de comparer les carrières des officiers généraux.
Il semble qu'au xne siècle au moins il y ait eu des filières. Ainsi un autre parent de Manuel II,
Jean Comnène, précéda Synadénos dans les mêmes commandements sur l'Adriatique, en
Chypre et à Nis!
(11) G. Hill, A history of Cyprus, I, 1940, p. 312-315.
(12) Un exemple frappant pour une période antérieure. De 989 à 1084, soit pour un siècle
environ, Antioche ne connut pas moins de 36 gouverneurs byzantins dûment recensés.
Voir l'étude spéciale que j'ai faite de cette longue série de dignitaires dans les Mélanges
R. Mouterde (Beyrouth 1962).
(13) Fils du sébastocrator Andronic, le frère de Manuel Ier. Cf. Kinnamos, IV, 17 (Bonn,
p. 178,20"23); voir à ce sujet Chalandon, loc. cit., p. 437 et Hill, op. cit., p. 307.
(14) Notice sur le personnage dans Rec. Hist, des Crois., Grecs, II, p. 430-432. Noter
toutefois qu'Alexis, appelé Ducas par référence à son arrière-grand-mère, Irène, la femme
d'Alexis Ier Comnène, était petit-fils du césar Nicéphore Bryennios et, sans doute, fils de
Jean, le cadet du précédent, qui affecta précisément de s'appeler Ducas. Il doit être identifié -
avec le duc homonyme de Dyrrachion et d'Ochrida auquel Georges Tornikès, métropolite
d'Ëphèse, adressa une lettre en 1155-1156. (Éd. dans Néos Hellen., XIII, 1916, p. 10, n. 20)
et sans doute aussi avec le donateur d'une staurothèque en argent doré envoyée à l'abbaye
de Grammont (Haute-Garonne) en 1174 par le roi de Jérusalem Amaury Ier. Cf. A. Frolow,
La relique de la Vraie Croix, Paris 1961, p. 320-322 et 342. Ducange a supposé que le précieux
objet fut offert directement par Alexis au roi de Jérusalem. Cf. Ch. Ducange, Glossarium
mediae et infimae latinitatis, X, 1857, p. 91-92. Rien de plus normal qu'un pareil geste de
la part d'un duc de Chypre en rapports constants avec l'État latin de Palestine. Cependant,
si le cadeau fut vraiment fait en 1171, il ne put l'être qu'à Constantinople lors de la visite
qu' Amaury Ier y fit, cette année même. Cf. R. Grousset, Histoire des Croisades et du
royaume de Jérusalem, II, Paris 1935, p. 572-576. A ce moment-là Alexis avait certainement
quitté le service de la grande île. A signaler un autre précieux objet, un camée, où le
propriétaire est figuré aux pieds de saint Georges et qui dut lui appartenir. Cf. M. C. Ross, Three
byzantine cameos, dans Greek-Roman and byzantine Studies, III, 1960, PI. 7, fig. 5 et 6.
Enfin Constantin Manasès, qui, malade, fut son obligé dans l'île même de Chypre, en fait
un bel éloge. Cf. Ryz. Zeitschr. XIII, 1904, p. 3365?63 (voir aussi p. 350, 351).
V. LAURENT : ANDRONIC SYNADÉNOS 213

long épiscopat de Jean le Cretois (1152-1170 au moins) (15), et Andronic


Synadénos qui devait être en poste au sud de la Méditerranée vers 1165-
1167. D'après son panégyriste, ce dernier aurait en effet « uni Jérusalem à
la Ville de Constantin en poussant le roi à prendre pour épouse la nièce de
l'empereur » (16). Ce rôle n'a pas été retenu par les Chroniqueurs du temps
qui mettent en avant deux autres seigneurs grecs, Georges Paléologue
et Manuel Comnène (17), et qui surtout attribuent l'initiative du
rapprochement avec Byzance à Amauri Ier. Les tractations ayant duré près de
trois ans, il est normal qu'elles aient été, sinon conduites, du moins
conseillées et influencées par le duc de Chypre. Il est de ce fait fort vraisemblable
que Synadénos ait persuadé au roi que l'alliance politique par lui recherchée
serait plus solide et plus efficace s'il s'unissait par des liens de parenté à la
cour de Constantinople. Ce conseil du duc aura porté ses fruits. En lui en
faisant compliment, le poétastre doit à peine exagérer.
Au terme de son mandat insulaire, Synadénos fut transféré en un point
particulièrement névralgique, à Nis sur la Morava. D'illustres généraux (18)
l'y avaient précédé. Quand cela eut-il lieu? Peu avant 1172, si je comprends
bien l'allusion au « passage par la ville du roi des Pannoniens, qui parut
unir ce qui était divisé ». Il est en effet difficile de ne pas reconnaître dans
le monarque ainsi qualifié le prince Bêla en route pour aller prendre
possession du trône que des ambassadeurs hongrois étaient venus lui offrir après
la mort d'Etienne III (mars 1172). Des troupes grecques l'installèrent en
effet dans sa capitale où il se reconnut vassal de l'empire, réalisant ainsi
cette union à laquelle l'épitaphe fait allusion et qui dut d'autant plus
frapper les esprits que les deux États s'étaient jusque-là violemment heurtés (19).
Ici encore le voisinage désignait le duc de Nis pour veiller à l'exécution
des conventions passées entre les deux parties.
La dernière étape de cette carrière fut Trébizonde. Il pourrait sembler à
première vue que les attributions d'Alexis y furent surtout financières (20).
Il n'en doit rien être, car, bien qu'à cette époque le gouverneur pût cumuler

(15) Alexis Kassianos était gouverneur de Gilicie quand Manuel Ier y vint en septembre
1158. Cf. Chalandon, op. cit., p. 441. C'est sans doute de là qu'il passa dans l'île de Chypre.
On ne saurait dire s'il y précéda ou suivit Alexis Ducas.
(16) Ci-dessus vers 6 et 7. Sur le mariage lui-même et sa portée politique voir Chalandon,
op. cit., p. 534-536. Il fut célébré à Tyr le 29 août 1167 et unit Amaury Ier à une petite nièce de
Manuel Ier, Marie, fille du protosébaste Jean (cf. Kinnamos, éd. Bonn, p. 284*).
(17) Le rôle de ces derniers fut, il est vrai, de simple accompagnement; ils convoyèrent
la fiancée et représentèrent l'empereur aux cérémonies du mariage.
(18) Michel Branas en 1147 (Kinnamos, II, 13), Andronic Comnène en 1153-54
(Kinnamos, III, 17 ; Jean Comnène peu après (cf. papadimitriou, Feodor Prodrom, Odessa 1905,
p. 24).
(19) Cf. Chalandon, op. cit., p. 492. Voir aussi V. Laurent, La Serbie entre Byzance et
la Hongrie à la veille de la quatrième croisade, dans Revue Historique du Sud-Est européen,
XVIII, Bucarest 1941, p. 114-116.
(20) On pourrait en effet rapprocher τέλος de όίρχειν et comprendre : diriger ou
commander l'impôt.
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les pouvoirs fiscaux et même judiciaires (21), on a peine à s'imaginer ce
soldat de métier, rompu aux grands commandements, confiné dans une
tâche civile ou d'abord préoccupé d'elle, alors que toute la région du Pont,
soumise à une forte pression seldjoucide, vivait des années difficiles et se
relevait mal de l'isolement où l'avait mise l'aventure sécessionniste de
Constantin Gabras (22). A Trébizonde, l'action de Synadénos lui fit des
ennemis. Puis une maladie, incurable dit le poétastre, le terrassa. Il eut
le temps d'installer les siens à Chèlè (23), à l'embouchure de la mer Noire.
Revenu au poste, il ne tarda pas à mourir, non sans avoir pris auparavant
l'habit monastique et avoir échangé son nom contre celui d'Athanase. Le
fatal événement dut se placer à l'extrême fin du règne de Manuel Ier dont
il aura été l'un des agents les plus loyaux.
V. Laurent.

II

Etienne Chrysobergès, archevêque de Gorinthe

Un acte synodal de la métropole de Naupacte, daté de juin 1212 ou


1227 (1), rapporte au sujet de Léon Makros qui devait devenir, sous le nom
de Manuel, évêque de Bella en Épire, le fait suivant. Né au Péloponnèse, au
village de Chrysos, le futur prélat fut confié à un maître d'école d'une
brutalité telle que l'enfant se sauva dans la métropole voisine de Corinthe où
d'heureuses rencontres le firent admettre dans l'entourage de l'archevêque
Chrysobergès. Ce dernier l'affecta au secrétariat sous les ordres d'un
fonctionnaire qui songeait déjà à marier sa fille et qui, témoin de la diligence et
impressionné par la belle écriture de son subordonné, pensa qu'il ferait un
gendre idéal. L'enfant, aisément dupé, signa, en bonne et due forme, un
contrat de mariage qui l'aurait lié canoniquement s'il avait eu Yäge requis.
Mais il n'était encore que mineur et son père, informé de la supercherie,
vint subrepticement reprendre son fils et le ramena au village. Là
l'engagement pris parut d'une telle gravité que la famille n'hésita pas à entreprendre
(21) Sur la tendance qu'avaient en particulier les ducs à s'approprier des fonctions
revenant normalement à l'administration civile, particulièrement au juge, voir les notations de
Mme Hélène Ahrweiler, Recherches sur l'administration de l'Empire byzantin aux IXe-
XIe siècles. Paris 1960, p. 61-64. Sur le cumul des charges civiles et militaires voir F. Dölger,
Beiträge zur Geschichte der byzantinischen Finanzverwaltung besonders des 10. und 11
Jahrhunderts. Leipzig-Berlin, 1960, p. 67-82.
(22) W. Fischer, Trapezus im elften und zwölften Jahrhundert, dans Minheilungen des
Instituts für österreichische Geschischtsforschung, X, p. 205-207. On ne sait à peu près rien
de l'histoire de Trébizonde sous Manuel Comnène.
(23) Cf. N. Banescu, Chilia (Licostomo) und das bithynische Χήλη, dans Byz. Zeitschr.,
XXVIII, 1928, p. 68-72.
(1) Cet acte, encore inédit en son entier, a été naguère analysé et longuement étudié
par N. Bées, Λέων-Μανουήλ Μακρός επίσκοπος Βελλας, Καλοσπίτης μητροπολίτης Λαρίσσης, Χρυσο-
βέργης μητροπολίτης Κορίνθου, dans EEBS, II, 1925, ρ. 124-132, 143-145.

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