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2014/1 Tome 20 | pages 67 à 91
ISSN 1262-2788
ISBN 9791093449005
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Professionnalisation
des experts-comptables :
analyse comparée du Maroc
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et de la Tunisie
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The professionalization
of chartered accountants:
a comparative analysis
of Morocco and Tunisia
Sami EL OMARI* et Wafa KHLIF**
Résumé Abstract
L’objectif de ce travail est de comprendre la The aim of this study is to understand the
professionnalisation de l’expertise comptable professionalization of chartered accountancy in
au Maroc et en Tunisie après l’indépendance Morocco and Tunisia after the independence
des deux pays. À partir d’une posture néo- of the two countries. Based on a neo-Weberian
wébérienne de la professionnalisation, nous approach to professionalization, we find
observons que malgré leur état d’organisation that, despite their apparently similar form of
apparemment similaire, les deux professions organization, the two professions have followed
ont connu des trajectoires différentes. Le different trajectories. Colonial heritage and the
déterminisme colonial, ainsi que le rôle central central role of the state appear to be the two most
de l’État, sont les éléments les plus influents influential factors affecting the configuration of
dans la configuration de chacune des deux each of the two professions.
professions.
* Professeur, Toulouse Business School
** Professeure, Toulouse Business School, Campus Barcelone
Comptabilité – Contrôle – Audit / Tome 20 – Volume 1 – Avril 2014 (p. 67 à 91)
Sami El Omari et Wafa Khlif
PROFESSIONNALISATION DES EXPERTS-COMPTABLES :
68 ANALYSE COMPARÉE DU MAROC ET DE LA TUNISIE
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Université de Toulouse, Université de Toulouse,
Toulouse Business School Toulouse Business School, Campus Barcelone
20 Boulevard Lascrosses, C/Trafalgar, 10-08010, Barcelone Espagne
BP 7010, w.khlif@tbs-education.es
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1. Introduction
Au Maroc comme en Tunisie, c’est sous la forme d’un « Ordre des experts-comptables » qu’est organisée
la profession. Elle propose des services en matière de conseil comptable et dispose d’un certain mono-
pole sur la certification des comptes. De prime abord, cette situation semble être la conséquence de l’in-
fluence du modèle français sur l’organisation professionnelle des deux anciens protectorats. Toutefois,
l’étude approfondie des deux professions met en exergue des trajectoires de développement différentes.
L’objectif de ce travail est de comprendre la professionnalisation de l’expertise comptable au Maroc
et en Tunisie après l’indépendance des deux pays. Plus précisément, il s’agit de comparer les deux pro-
cessus dans leur contexte socio-politico-historique. D’une façon générale, l’émergence et l’affirmation
de la profession d’expert-comptable sont le résultat des dynamiques historiques qui ont traversé les
sociétés marocaine et tunisienne et qui ont débouché sur la constitution d’une profession jouissant
d’un statut social élevé. Les experts-comptables représentent un « segment professionnel » (Dubar et
Tripier 2005) faisant partie d’un conglomérat de professionnels du chiffre et du droit, en compétition
dans la définition de leur « territoire professionnel » respectif (Abbott 1988) – principalement avec les
comptables, mais également avec les fiscalistes et les avocats.
Nous désignons par professionnalisation la volonté d’un groupe d’individus partageant la même
activité de s’organiser sur un marché et de le fermer aux autres groupes pour s’en réserver les avantages
économiques et sociaux. Cette approche néo-wébérienne de la professionnalisation, fondée sur la
notion de fermeture sociale (Parkin 1979), tente de comprendre l’action des professionnels au sein
de leur environnement global. L’analyse de différents contextes offre une meilleure compréhension
des stratégies particulières que peuvent développer les professionnels pour s’organiser – par exemple,
par exclusion ou inclusion d’autres groupes (Chua et Poullaos 1998). L’analyse comparative permet
également de saisir les différentes formes de relations que peut entretenir l’État avec des professions.
Par exemple, en matière de profession comptable, on peut opposer la centralité de l’État français ou
belge (Ramirez 2001 ; De Beelde 2002) au rôle périphérique joué par l’État anglais (Willmott 1986 ;
Walker 1995). L’expérience des anciennes colonies britanniques contribue aussi à construire une vi-
sion de la professionnalisation des experts-comptables, compte tenu de l’impact de l’indépendance,
de l’influence des structures héritées ainsi que du rôle joué par l’élite modernisatrice constituée des
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autochtones formés par l’ancienne métropole (Wallace 1992 ; Annisette 2000).
L’étude de la profession d’expertise comptable dans les deux contextes maghrébins présente plu-
sieurs intérêts. Le premier réside dans la compréhension de la nature et de l’amplitude de l’influence
du modèle français, porté par l’ancien colonisateur. Le deuxième est de fournir une grille de lecture
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permettant une compréhension des événements passés, de leurs implications et des contradictions et
difficultés que peuvent vivre aujourd’hui les professions. Enfin, notre étude répond aux souhaits formu-
lés dans la littérature pour l’étude de nouveaux processus de professionnalisation dans des contextes ori-
ginaux afin d’accumuler une connaissance nécessaire à la comparaison des expériences (Freidson 1994).
Le processus professionnel est étudié principalement à travers la sociologie néo-wébérienne des
professions en empruntant une approche socio-historique (partie 2). Cette dernière incite à s’inté-
resser aux trajectoires historiques des professions au Maroc et en Tunisie (partie 3), puis d’aborder,
dans un troisième temps, les convergences et les divergences des processus (partie 4). In fine, nous
analysons les caractéristiques de processus de professionnalisation apparemment convergents, mais
qui divergent par de nombreux aspects (partie 5).
supérieur peuvent produire des professionnels. Mais l’histoire des professions a montré que l’appar-
tenance aux professions ainsi que leur développement ne sont pas toujours liés directement à la for-
mation et à l’acquisition d’un savoir de haut niveau. En effet, d’autres éléments que le savoir peuvent
exclure certains praticiens, ce qui met en relief l’importance des aspects politiques de la profession-
nalisation. C’est ainsi que le courant dit « interactionniste » (Chapoulie 1996 ; Hughes 1996) ouvre
l’analyse au champ social à l’intérieur duquel des politiques de formation et de structuration sociale
sont mises en œuvre, permettant au professionnel de jouir d’un statut plus élevé que l’homme de la rue
(Champy 2009). Ce courant considère le concept de professionnalisation comme un processus sensible
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aux caractéristiques sociales, économiques et politiques de l’environnement dans lequel il prend place.
Dans le prolongement des travaux des interactionnistes, le courant néo-Wébérien (Larson 1977 ;
MacDonald 1995) met l’accent sur le contrôle d’un champ d’activité par la délimitation de son accès.
Fondé sur le concept de fermeture sociale de Weber (Weber 1921 ; Parkin 1979) et fortement influencé par
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l’approche des professions par le pouvoir (Johnson 1972), ce courant définit la professionnalisation comme
le processus engagé par un groupe professionnel visant le contrôle d’un domaine de pratique en limitant son
accès. Afin d’exclure certains acteurs de son champ, le groupe professionnel déploie une stratégie d’orga-
nisation et de développement du champ et de sa pratique, et, souvent, fait appel au soutien de l’État ou
d’autres parties prenantes. Ainsi, cette approche n’examine pas forcément les caractéristiques intrinsèques
d’une profession, mais s’intéresse plutôt à sa construction sociale. Elle permet donc l’analyse comparative de
processus, qui prennent place à des niveaux et dans des champs de la société éventuellement divergents – par
exemple, les institutions de formation, le marché du travail ou les institutions sociales et politiques (Siegrest
1990). La professionnalisation est la résultante de ces processus qui concernent une profession jouissant,
d’une part, d’un statut culturel, social et économique élevé et, d’autre part, d’un pouvoir socio-politique.
À l’instar des travaux cités ci-dessus, nous considérons que le cadre théorique néo-wébérien est le
plus fertile pour produire l’analyse la plus complète du processus de professionnalisation. Construc-
tion sociale permanente, la professionnalisation est un processus complexe et dynamique, porteur
d’enjeux pour différents groupes sociaux et institutions – lesquels vont donc déployer des stratégies
multiples au service de leurs intérêts. Ce cadre théorique intègre pleinement la dynamique des rela-
tions de pouvoir intergroupes – lesquelles sont consubstantielles du social.
Dans cette approche, les différents éléments de l’environnement (économique, social et politique)
ne sont pas traités comme des « facteurs » d’influence directe du processus de professionnalisation
(comme c’est le cas dans l’approche fonctionnaliste), mais intégrés dans l’analyse des stratégies des
différents groupes ou institutions. Le chercheur néo-wébérien ne dispose pas d’un « modèle » qui lui
permet de faire des hypothèses quant à l’influence de tel ou tel élément sur la professionnalisation (par
exemple, l’État veut augmenter ses rentrées fiscales, donc il va intervenir). Cette absence de modèle
permet de porter librement attention aux jeux complexes des parties prenantes – et de repérer les
formes particulières que prend le processus de professionnalisation compte tenu de l’interaction des
différentes sources d’influence et stratégies déployées par les uns et les autres.
perspective historique, aux barrières érigées pour créer une profession, cette littérature a contribué à révé-
ler des différences entre époques et contextes (Chua et Poulloas 1998). Mobilisée seule (Chua et Poulloas
1993 ; Walker 1995 ; Sian 2006) ou combinée à d’autres théories (Annisette 2000 ; Ramirez 2001 ;
Walker 2004), l’approche permet une lecture approfondie des particularités des contextes, et plus spécia-
lement des conditions et des acteurs impliqués dans le processus de professionnalisation des comptables1.
Dans cette littérature, trois éléments majeurs apparaissent pertinents pour analyser la profession-
nalisation des experts-comptables marocains et tunisiens dans leurs contextes respectifs. Le premier
est le fait colonial et son influence dans la construction des professions. Le deuxième est la relation
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de la profession à l’État. Enfin, le troisième permet de comprendre les stratégies de fermeture de la
profession par la gestion de ses frontières professionnelles.
Le développement de la profession comptable dans les anciennes colonies françaises a fait l’objet
de recherches plus rares (El Omari et Saboly 2005) que celles qui étudient les anciennes colonies bri-
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tanniques (Annisette 2000 ; Carnegie et Edwards 2001 ; Verma et Gray 2006 ; Sian 2006 ; Poullaos
2009). Au sein de ces dernières, l’indépendance du pays a parfois marqué une rupture dans la vie de
la profession comptable, qui tenta alors de s’éloigner du schéma des structures héritées de la période
coloniale et de s’affranchir de leur influence (Annisette 2000 ; Carnegie et Edwards 2001 ; Sian 2006 ;
Verma et Gray 2006). Dans son étude critique du cas de Trinité-et-Tobago, Annisette (2000) désigne
par le terme « impérialisme sans empire » la persistance de cette influence après l’indépendance, via
les institutions de formation et leurs lauréats. Elle montre comment les organisations professionnelles
britanniques ont fait échouer la tentative du gouvernement trinidadien de maîtriser, par l’université,
la formation des comptables. Dans d’autres cas, cette influence est moins volontaire ou moins aboutie.
Après l’indépendance du Kenya (Sian 2006), les associations britanniques ont influencé la profession-
nalisation locale sans la contrôler directement. La multiplicité des diplômes britanniques existants a
rendu difficile la définition du professionnel kényan, qu’il s’agisse de son titre, de sa formation, etc.
Ainsi, la définition des structures après l’indépendance est largement influencée par le modèle hérité :
il peut même arriver que les nouvelles structures le perpétuent, en particulier lorsque des nationaux
sont porteurs du diplôme ou du titre professionnel de l’ancienne métropole.
La recherche de consensus autour de la définition du professionnel comptable après l’indépen-
dance montre également l’implication centrale de l’État. La littérature sur la relation État-profes-
sion est riche, avec un rôle jugé plus décisif dans les pays de l’Europe continentale (Ramirez 2001 ;
Caramanis 2002) que dans les pays anglo-saxons (Willmott 1986 ; Poullaos 2009). L’État est un
acteur hétérogène dont les différentes administrations peuvent parfois poursuivre des objectifs diver-
gents. En usant d’arguments économiques, sociaux et politiques, les groupes professionnels cherchent
à obtenir de l’État une délégation de puissance publique afin de protéger leur domaine d’exercice
(Walker et Shackleton 1998 ; Uche 2002 ; Gobe 2011).
L’État exerce son influence sur la professionnalisation comptable par, d’une part, son mode de
fonctionnement (par exemple, son degré de centralisation) et d’autre part, la place qu’il octroie aux
professions dans la société. Il peut protéger le monopole (ou le titre) d’un groupe professionnel –
par exemple, lorsque la reine octroie le titre « Chartered » aux comptables britanniques à la fin du
XIXe siècle (Walker 1991) ; il peut également déléguer au groupe professionnel une partie de ses
prérogatives, comme c’est le cas en France pour les commissaires aux comptes (Ramirez 2009) et en
Grande-Bretagne, pour l’audit « délégué » aux membres des grandes associations britanniques après
la deuxième guerre mondiale (Walker et Shackleton 1995). L’Etat peut même considérer le groupe
professionnel comme un corps d’État – comme sous le régime Salazar au Portugal (Rodrigues et al.
2003). Ainsi, l’État peut jouer différents rôles dans le processus d’organisation ; il peut agir comme
un accélérateur – comme cela a été le cas au Nigéria lorsqu’une décision rapide a suivi la prise en main
du pays par un conseil militaire après un coup d’État (Uche 2002) ; il peut aussi être contraignant
et ralentir le processus, quand, par exemple, la gestion de l’agenda législatif – c’est-à-dire le rythme
de mise en débats et de prise de décisions réglementaires (lois, décrets d’application) – est dictée par
des politiciens et des fonctionnaires poursuivant des logiques différentes de celle des professionnels
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(Walker et Shackleton 1998). La réussite des professionnels en quête d’organisation dépend principa-
lement de la concordance de leur objectif avec ceux des institutions de l’État.
L’État peut également agir de manière indirecte. Il crée et façonne l’espace de pratiques de la pro-
fession comptable. La politique économique élargit ou réduit le marché des services comptables (à
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travers la fiscalité, la réglementation en matière de tenue de comptes) et attribue une fonction sociale à
la profession : le professionnel comptable devient ainsi le garant des investissements étrangers et d’une
information financière fiable. Enfin, le développement de la formation et l’amélioration du statut des
professionnels peuvent soutenir la profession dans sa gestion des frontières professionnelles.
La fermeture de la profession peut être opérée par un diplôme, une compétence ou une qualité
morale (Walker 1991 ; Ramirez 2001), mais également par la race ou le genre (Kirkham et Loft 1993 ;
Hammond et Streeter 1994 ; Annisette 2003 ; Gobe 2013). La forme la plus défensive de fermeture
sociale passe par la création d’un ordre protégé par l’État. Cette fermeture définit les frontières de la
profession, en tentant d’établir un champ d’activité totalement exclusif ou partagé avec une autre
profession. Toutefois, ces frontières ne sont pas définitives. L’interaction de la profession avec les
groupes voisins ou limitrophes (la gestion des frontières professionnelles) est considérée par Abbott
(1988) comme faisant partie du processus de professionnalisation. Bien évidemment, des frontières
extrêmement rigides favorisent l’émergence d’un groupe « exclu ». Ce dernier, dont les effectifs vont
grossir en proportion de la force de l’exclusion, va constituer un pôle d’action adverse par la création
d’une association organisée et visible (Sian 2006). Les professionnels sont dès lors obligés de trouver
un équilibre entre exclusion et inclusion des autres groupes. Cette stratégie d’équilibre permet d’éviter
les attaques et la coopération de plusieurs groupes pour obtenir le soutien des parties prenantes, dont
principalement l’État.
La revue de la littérature sur les professions comptables identifie donc trois variables importantes
pour le processus de professionnalisation, à savoir : l’héritage colonial, le rapport à l’État et la gestion
des frontières professionnelles. Cette grille d’analyse sera mobilisée pour comprendre le processus
particulier des professions d’experts-comptables au Maroc et en Tunisie.
se fonde également sur des entretiens d’acteurs clés, encore vivants et pouvant contribuer à l’écriture
analytique des faits. Ces entretiens ne visent que la confirmation d’événements sur lesquels les autres
sources ne fournissent que peu ou pas d’informations. L’enquête orale est un « révélateur » (Veillon
1992, p. 4) de l’environnement étudié ainsi que des événements importants vécus et non écrits. C’est
la raison pour laquelle, dans cette méthode, les entretiens ne sont pas codés, mais utilisés de façon
souple pour, soit confirmer ce qui a été établi par d’autres sources, soit compléter le matériau issu
de ces autres sources. Comme il est d’usage dans les méthodologies auxquelles nous empruntons, le
« produit fini » (i.e. l’histoire qui est finalement racontée) ne restitue pas systématiquement les sources
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spécifiques de chaque élément d’histoire, mais synthétise les différentes sources pour produire une
histoire « globale » la plus complète possible du phénomène étudié.
Au Maroc, nous avons interrogé dix professionnels très impliqués dans la vie de la profession dont
un ancien président national et un président régional. Les entretiens semi-directifs ont eu lieu en 2006
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et ont été enregistrés, à deux exceptions près (à la demande de l’interviewé). En Tunisie, nous avons
interviewé entre septembre 2009 et juillet 2012, douze présidents de l’Ordre (onze anciens présidents
et un en poste). Les entretiens, également semi-directifs, ont tous été enregistrés puis intégralement
transcrits. Les tableaux 4 et 5 de l’annexe 2 présentent le détail de ces entretiens (personnes rencon-
trées, date et durée de l’entretien), respectivement au Maroc et en Tunisie.
Dans les deux pays, les guides d’entretien étaient centrés sur l’histoire de la constitution et du déve-
loppement de la profession, en relation avec l’État, ainsi que sur la question de la définition du champ
d’activité de l’expert-comptable. Dans la mesure où nous nous intéressons au processus historique de
la professionnalisation, le décalage temporel entre les entretiens réalisés dans les deux pays n’altère pas
la qualité du matériau recueilli et donc l’analyse qui en découle.
Après l’indépendance du Maroc en 1956, le nombre des comptables libéraux était faible, principa-
lement du fait du développement modeste du marché des services comptables. La comptabilité était
encadrée par quelques dispositions fiscales et légales servant au calcul des bénéfices professionnels.
À cette époque, trois textes juridiques4 complémentaires ont été rédigés, pour fournir un référentiel
inspiré du plan comptable français de 1947 (Saaidi 1979 ; El Bekkay 1990). Aucune normalisation
comptable précise n’a vu le jour durant les premières décennies après l’indépendance.
Des prémisses d’organisation de la profession ont émergé avec la création en 1947, par des pro-
fessionnels français, de la Compagnie des experts-comptables du Maroc (ci-après CECM5). Deux
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ans avant l’indépendance, le dahir du 8 décembre 1954 a été promulgué, définissant les conditions
requises pour porter les titres d’expert-comptable et de comptable agréé. Toutefois, ce dahir n’a jamais
été appliqué et aucune liste des professionnels qualifiés n’a été publiée6 jusqu’à la réforme de 1993. Le
domaine comptable est resté non organisé et l’usage du titre professionnel d’expert-comptable ou de
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comptable agréé n’était pas contrôlé : pour porter ces titres, il suffisait d’être enregistré sur les listes de
patente de la direction fiscale.
La communauté des experts-comptables est restée française en majorité jusqu’aux années 19707. À
cette date, des experts-comptables diplômés marocains, longtemps en activité en France, affirment leur
volonté de se doter d’une organisation professionnelle au Maroc. Il était prévu que cette organisation,
unique et « hybride » (au sens où elle était supposée emprunter à l’Ordre français des experts-comp-
tables et à la Compagnie des commissaires aux comptes) se dote du monopole de la certification des
comptes. Le monopole ne concerne pas le conseil comptable. Dans cette perspective, une grande partie
de ces diplômés marocains adhère à la CECM, dans l’objectif de redynamiser l’unique association pro-
fessionnelle et d’agir à travers elle. Mais au sein de la CECM, ces adhérents diplômés s’opposent aux
anciens membres. Non seulement les nouveaux arrivants affichent la primauté de leur diplôme d’exper-
tise comptable, mais ils revendiquent également que la pratique professionnelle ne peut être exercée
que par les titulaires du diplôme. Cette volonté de mettre des barrières à l’entrée de la profession et de
contrôler le segment supérieur du marché des services comptables par un diplôme heurte les intérêts
des anciens professionnels, plus nombreux, plus installés sur le marché et pour la plupart non-diplômés
– lesquels revendiquent, eux, un droit d’accès à l’expertise comptable fondé sur l’expérience.
Pour défendre leur position, les diplômés décident alors de créer, en 1982, l’Association maro-
caine des diplômés experts-comptables (AMDEC). Les deux associations ne parviennent pas à se
mettre d’accord, l’une maintenant son exigence de diplôme, l’autre mettant en avant les mérites de
la longue expérience. En 1982, elles demandent l’avis de la FIDEF (Fédération internationale des
experts-comptables francophones)8 et tentent, chacune de leur côté, d’accroître leur légitimité auprès
de l’État. Les diplômés peuvent compter sur le Ministère des Finances et plus généralement, sur des
hauts fonctionnaires membres de l’AMDEC, favorables à l’argument du diplôme comme preuve de
compétence. Les anciens, eux, ont également des soutiens auprès des plus hautes sphères du pouvoir.
Mais leurs revendications n’auront de véritable écho qu’en raison des pressions des IFI pour la libé-
ralisation de l’économie marocaine à travers la mise en œuvre du PAS. Dès le début des années 1980,
plusieurs réunions sont organisées afin de débattre de la nécessité d’une grande réforme comptable,
plus particulièrement celle du plan comptable jugé désuet. Un Conseil National de la Comptabilité,
créé en 1982, établira un référentiel comptable inspiré de la 4e directive européenne de 1985 et du
plan comptable français de 1982. Engagées dans le processus de privatisation exigé par les IFI (voir
ci-dessous), les entreprises publiques doivent se conformer au nouveau plan comptable dès 1986. Le
plan n’est rendu obligatoire qu’en 1994 pour les autres entreprises.
L’État relance le dossier d’organisation de la profession en 1986 en même temps que les travaux
sur la réforme fiscale. L’apaisement des relations entre les deux associations favorise un consensus.
Le diplôme devient la voix d’accès unique à la profession. Toutefois, des conditions transitoires sont
prévues pour les professionnels non-diplômés qui ont exercé la profession pendant un certain nombre
d’années. La règle prévoit que le nombre d’années d’expérience est d’autant plus élevé que le niveau
de qualification est faible. Mais cette règle, qui conduit parfois à exiger de nombreuses années d’expé-
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rience, écarte un certain nombre de professionnels. Ceux-ci créent donc en 1987 l’Association maro-
caine des experts-comptables (AMEC) pour défendre leurs revendications. Avec des conditions d’accès
très souples, l’association essaie d’influencer la finalisation du projet de loi. Le gouvernement a en effet
tardé à étudier le dossier et à le mettre dans le circuit législatif (conseil du gouvernement, parlement et
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promulgation). Pendant ce temps, des praticiens continuent de s’établir et nourrissent l’espoir d’accé-
der à la profession d’expert-comptable si celle-ci s’organise, car ils accumulent les années d’expérience
et se rapprochent des exigences des conditions transitoires prévues par le projet de loi 15-89.
En 1990, le diplôme d’expertise comptable marocain est créé et le projet de loi 15-89 est validé
par le conseil des ministres en 1991. Promulguée par le dahir de janvier 1993, la loi crée l’Ordre
des experts-comptables et définit l’expert-comptable (dans son article premier). Celui-ci est praticien
libéral, conseiller comptable et seul à pouvoir attester de la régularité et de la sincérité des comptes
dans un cadre d’audit contractuel ou légal (commissariat aux comptes). Par cette loi, l’État concède le
monopole de la certification des comptes à l’expert-comptable. Le conseil en comptabilité ou en audit
demeure, lui, un domaine accessible à tous. Le bénéfice du monopole de la certification suppose ainsi
d’être titulaire d’un diplôme d’expertise comptable, avec des conditions transitoires d’admissibilité –
ce qui induit une scission entre professionnels admis et professionnels écartés de l’Ordre.
Pour la première inscription à l’Ordre, les praticiens non-diplômés déposent leurs dossiers de
demande d’admission, pour étude par une commission formée de cinq hauts fonctionnaires et cinq
experts-comptables diplômés, selon les termes de l’article 106 définissant les conditions transitoires.
Cette commission étudie environ 300 candidatures et en retient moins de 140. En y ajoutant 70 di-
plômés, le premier Ordre des experts-comptables au Maroc compte 210 membres en 1994.
Par ailleurs, un décret du ministre des Finances (n° 2-92-837 de février 1993) est rédigé en urgence
afin de créer un statut de comptable agréé pour ceux n’ayant pas droit au titre d’expert-comptable.
Les praticiens remplissant des conditions de moralité et de compétence, ainsi qu’un exercice libéral
de la comptabilité pendant cinq ans, peuvent s’inscrire sur la liste des comptables agréés tenue par le
Ministère des Finances. Mais cette inscription ne donne que le droit au titre et aucunement la pos-
sibilité de certifier des comptes. Les praticiens écartés de la certification des comptes demandent un
accès à l’Ordre en dénonçant l’injustice de leur exclusion, ainsi que la partialité de la commission. Les
« exclus » cherchent des appuis politiques et réussissent à déposer un projet d’amendement de la loi
organisant la profession d’expert-comptable. Ce projet rouvrirait l’Ordre à tous ceux qui en ont été
écartés en 1993, ainsi qu’aux inspecteurs des finances et aux comptables agréés.
Les experts-comptables demandent alors le soutien du gouvernement. Ce dernier ne peut pas s’op-
poser directement au Parlement, car une partie de sa majorité soutient activement la réforme. Malgré
les pressions et les protestations des experts-comptables (dont les conseils, national et régionaux, de
l’Ordre démissionnent), en 2000, la chambre des députés du Parlement vote l’amendement de la loi
15-89 organisant la profession d’expert-comptable. Mais cet amendement n’a été programmé à aucun
ordre du jour depuis 2000 et à ce jour (2013), reste bloqué à la chambre des conseillers du Parlement.
Le tableau 1 résume les différentes étapes de formalisation de la profession au Maroc.
Tableau 1
Histoire de la formalisation de la profession comptable au Maroc
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Date Événement
1947 Création de la compagnie des experts-comptables du Maroc (CECM) –
pas d’exigence de diplôme
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1954 Réglementation du port des titres d’expert-comptable et de comptable agréé par un Dahir,
jamais appliqué
1982 Création de l’Association marocaine des experts-comptables diplômés (AMDEC) –
pas d’exigence de diplôme
1982 Conférence nationale autour de la réforme comptable
1986 Consensus entre la CECM et l’AMDEC sur l’accès à la profession
1987 Création de l’Association marocaine des experts-comptables (AMEC) –
en faveur de conditions d’accès à la profession très souples
1991 Présentation du projet de loi au conseil des ministres
1992 Vote du Parlement
1993 Promulgation par le roi
1993 Création de l’Ordre et de la commission mixte (État et experts-comptables diplômés)
étudiant les dossiers concernés par les conditions transitoires
1994 Publication de la liste des experts-comptables – 210 inscrits (70 diplômés et 140 admis
par l’expérience)
2000 Vote d’un amendement ouvrant l’accès à l’Ordre en réactivant les dispositions transitoires
2013 Amendement toujours bloqué au niveau de la deuxième chambre du Parlement
planificateur. Ces premières décisions ont conditionné les choix et les revenus fiscaux, donc fourni la
base d’une comptabilité à usage essentiellement fiscal. Ainsi, il est devenu nécessaire de généraliser la
tenue de comptabilité et la pratique de la vente avec facture (Nicolaï, 1962).
En 1973, le Ministère de l’Enseignement Supérieur décide de créer le premier cycle d’études uni-
versitaires d’expertise comptable9. À cette date, il n’existe que deux experts-comptables tunisiens for-
més en France, dans un marché où les comptables sont déjà bien installés. En quelques années, le
nombre d’experts-comptables diplômés (principalement en France et dans une moindre mesure, en
Tunisie) augmente pour dépasser vingt à la fin des années 1970 – chiffre suffisant pour vouloir se dif-
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férencier des comptables considérés comme moins compétents pour traiter des questions complexes.
En 1981 et afin de protéger leur diplôme, ces experts-comptables diplômés se réunissent pour former
l’Association des Tunisiens Diplômés d’Expertise Comptable (ATDEC).
La Tunisie place la profession d’audit sous contrôle public dès le début des années 1980. Le com-
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missariat aux comptes comme métier est alors principalement conçu pour installer des « chevaliers
blancs »10 au service de l’État. On attendait de ces derniers, à la fois indépendants, fidèles et dévoués
à l’État, qu’ils soient les garants d’une lutte contre la corruption et les malversations au sein des entre-
prises publiques. En accord avec l’ATDEC, ainsi qu’avec certains comptables influents, le Ministre des
Finances de l’époque promulgue la loi de 1982 créant un Ordre des experts-comptables et des commis-
saires aux comptes des sociétés tunisiennes (OECDDST), placé sous la tutelle directe de son Ministère.
En mars 1984, l’Ordre comptait 67 personnes régulièrement inscrites, dont uniquement 52 éligibles au
premier conseil de l’Ordre, les 15 autres étant soumises aux conditions transitoires, n’ayant pas encore
complété leur diplôme d’expertise comptable. Anticipant les querelles autour du titre, le Ministère des
Finances avait en effet prévu, en collaboration avec le Ministère de l’Enseignement Supérieur, un com-
plément d’études permettant aux comptables expérimentés d’obtenir le diplôme d’expert-comptable.
Le premier texte juridique régulant l’exercice de l’expertise comptable rend incompatible l’exercice
du commissariat aux comptes et celui de l’expertise comptable. Il prévoit l’existence de deux tableaux
tout en créant un titre unique d’expert-comptable. Cependant, ce dualisme professionnel montre
rapidement ses limites. Les inscrits au tableau de l’expertise comptable, non autorisés à certifier les
comptes, sont directement concurrencés par les comptables. Par ailleurs, certains experts-comptables
contournent la loi et exercent les deux fonctions, en créant un cabinet en leur nom et un autre en
celui d’un proche. Les inscrits au tableau des experts-comptables dénoncent également la rente de
situation dont bénéficient les commissaires aux comptes qui ont accès aux marchés de l’audit public.
Les querelles s’intensifient jusqu’à la démission du premier conseil de l’Ordre. En 1986, une cellule de
crise est mise en place par le Ministre des Finances. Elle est composée de six experts-comptables et de
six fonctionnaires du Ministère des Finances, tous désignés. La présidence de cellule de crise revient
à un fonctionnaire du Ministère. Cette cellule est principalement chargée de préparer les élections du
nouveau conseil de l’Ordre et de trouver une issue à l’impasse dans laquelle la profession se trouve. Le
deuxième conseil est élu sous surveillance policière.
La même année et sous la pression des IFI, les autorités tunisiennes entreprennent un vaste pro-
gramme de réformes structurelles (PAS) pour restaurer les équilibres macro-économiques globaux,
accroître l’efficacité et la compétitivité de l’économie nationale et atténuer les tensions inflationnistes.
Le PAS vise également à réformer la fiscalité par l’instauration d’une taxe sur la valeur ajoutée (TVA).
Elle vient remplacer un système désuet de taxes cloisonnées préjudiciables à la compétitivité des
e ntreprises. Ainsi, les objectifs affichés par le PAS ont dynamisé la profession des experts-comptables.
Appuyés par l’État et avec un nouvel Ordre, les professionnels ont été largement sollicités pour aider
les entreprises dans leurs démarches, soutenir les activités de privatisation, développer le marché finan-
cier et renforcer l’intégration stratégique et verticale de l’économie.
Avec la loi de 1988, les pouvoirs publics mettent fin au dualisme professionnel en autorisant l’uni-
fication des deux collèges et en attribuant à l’ensemble de la profession le monopole du commissariat
aux comptes des établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC). Cette loi, et les
textes qui la complètent, détaillent le rôle joué par l’autorité de tutelle (le Ministère des Finances). Il
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s’agit d’une tutelle forte mais acceptée, voire revendiquée par les dirigeants de l’Ordre au motif qu’elle
se serait transformée in fine en une relation privilégiée de partenariat entre experts-comptables et
gouvernants.
Le tableau 2 détaille les étapes du parcours juridique de l’Ordre dès sa première création et jusqu’à
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sa forme actuelle :
Tableau 2
Histoire de la formalisation de la profession en Tunisie
Date Événement
1982 Création d’un groupe d’étude chargé de la réforme des professions comptables (février)
1982 Création de la profession – deux sections exclusives (Ordre des Experts Comptables
et des Commissaires aux Comptes des Sociétés Tunisiennes (OECCCST) (juin)
1982 Organisation de l’Ordre et éléments de fonctionnement (décembre)
1983 Modalités d’inscription et constitution d’une commission pour désigner les membres pouvant
assister à la première AG et élire le premier conseil. Définition des critères et modalités
des mesures transitionnelles
1984 Présentation de la liste des « admis » – 24 experts-comptables, dont 7 membres en situation
transitoire ; 43 commissaires aux comptes, dont 8 membres en situation transitoire
1985 Règlement intérieur et code des devoirs professionnels
1986 Commission spéciale pour la réélection du conseil, l’ancien ayant démissionné
1987 Monopole de l’Ordre pour le Commissariat aux comptes des EPIC
1988 Refonte de la profession – fusion des deux sections
1989 Nouvelles modalités d’organisation de l’Ordre des experts-comptables de Tunisie (OECT)
1991 Nouveau règlement interne et code des devoirs professionnels
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tibles de transformer des liens professionnels en liens de solidarité sociale » (Khelfaoui 2000, p. 19).
Bien après leur indépendance, les pays portent encore l’empreinte concrète et symbolique du
protectorat français, laquelle se décline sur plusieurs aspects. Le premier est la pratique même de la
comptabilité. Les pionniers de la comptabilité étant français, ils ont imprégné de leur pratique et
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des logiques françaises ceux qui voulaient intégrer le métier. La deuxième, corollaire de la première,
découle de l’utilisation du plan comptable français de 1947, poursuivie jusqu’à 1969 en Tunisie et
1986 au Maroc. L’élaboration du premier plan comptable tunisien et le développement des règles
comptables marocaines ont été largement inspirés du plan français.
En troisième lieu, le modèle de formation porte également l’empreinte du protectorat. La forma-
tion correspond à un transfert des connaissances théoriques et pratiques (Sraieb 1984), soutenu et
renforcé par « l’empire immatériel de la langue »11 française. Pendant longtemps, le parcours (maîtrise
en comptabilité, révision comptable et stage de trois ans avec mémoire à la clé) a fait loi pour l’obten-
tion du diplôme d’expertise comptable. Les deux pays ont décidé que l’enseignement du diplôme se
ferait en français, ce qui revient à faire référence, à travers les professeurs et les professionnels formés
en France, aux référentiels et exigences français. L’influence est même visible au niveau de l’accès à la
profession qui est, comme pour le modèle français (Cahuc 2007)12, extrêmement sélectif dans les deux
pays. Uniquement 3 %13 des candidats tunisiens inscrits réussissent l’examen de révision comptable
(Banque mondiale 2007). Par ailleurs, les nouvelles générations repassent en moyenne quatre fois
l’examen de révision comptable, soit deux fois plus que leurs aînés14. Au Maroc, le cursus (trois ans
de cours toutes les fins de semaines, en parallèle avec le stage obligatoire) est également très difficile.
En seize ans d’existence, seules 628 personnes ont été admises pour suivre cette formation et 91 seu-
lement ont obtenu leur diplôme15, sur un total de plus de 7 000 candidats. Pour les professionnels,
cette sélectivité fait le prestige de la profession.
Enfin, la quatrième influence vient du modèle de l’organisation même de la profession. Comme
en France, la profession d’expertise comptable au Maroc et en Tunisie est structurée en Ordre, sur un
modèle libéral mais assimilé à un « corps d’État ». L’analyse des textes de lois régulant la profession
présente une grande similarité entre les trois pays.
Dans les deux pays, l’investissement privé se développe très lentement et l’État reste directement
engagé dans tous les secteurs, en particulier le secteur industriel (Balbal 1998 ; Saâdi 2005). Mais la
forte implication de l’État dans l’économie est largement critiquée par les IFI qui y voient la cause de
l’échec des politiques économiques dans les deux pays. De ce fait, les IFI suspendent l’octroi de leurs
investissements à la condition de l’adoption d’un Plan d’Ajustement Structurel. Ce dernier16 vise à
ajuster structurellement et uniformément les économies sous-développées, et au-delà, à préparer leur
insertion dans l’économie mondiale.
Deux composantes de ces réformes vont redonner vie au champ comptable. La première est la
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réforme de la fiscalité. Les recettes de l’État doivent croître et une réforme profonde de la fiscalité
(création de l’impôt sur les sociétés, réforme de l’impôt sur le revenu et création ou réforme de la
TVA) a besoin, non seulement d’un cadre comptable pour être efficiente, mais aussi d’une profession
comptable qui contribue à son application. La deuxième réforme apportée par les PAS, positive pour
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une partie de la profession comptable, est la réforme du droit des sociétés, qui a rendu les règles comp-
tables tunisiennes et marocaines assez uniformes en termes de certification des comptes, de normalisa-
tion comptable et de fiscalité. Longuenesse (2001, p. 1) a montré qu’en Jordanie, le PAS avait eu des
conséquences similaires pour la profession d’expert-comptable. Elle a souligné l’adaptation forcée aux
nouvelles méthodes de travail et aux réglementations « alors même que leur émergence est récente et
leur institutionnalisation fragile ».
Que ce soit au Maroc ou en Tunisie, la comptabilité a toujours servi les causes fiscales et les
comptes de l’État. Les règles comptables sont principalement le produit de négociations à caractère
politique17. La centralisation de la décision politique au Maroc et en Tunisie peut expliquer l’échec
du modèle de regroupement associatif. En effet, les associations professionnelles créées dans chacun
des deux pays sur la base du diplôme d’expertise comptable ont été supplantées par des Ordres créés
par les États. Pour obtenir la protection de l’État, il s’est avéré nécessaire de renoncer à la flexibilité et
à l’indépendance de l’organisation associative, au profit du cadre officiel, mais plus rigide, de l’Ordre.
Plus en Tunisie qu’au Maroc, l’État-client, de par ses besoins, façonne la profession, délimite ses
marchés et contrôle son évolution (Johnson 1973). L’État-régulateur siège dans les conseils d’admi-
nistration des Ordres, ratifie la liste des inscrits, ainsi que les procès-verbaux des réunions ; l’État
peut même agir au niveau de l’agenda des conseils ; il gère totalement (Tunisie) ou partiellement
(Maroc) le diplôme.
L’État tunisien a contribué à instaurer une hiérarchie de la profession en autorisant, dès le premier
texte, les seuls diplômés à porter le titre d’expert-comptable. Rappelons que le diplôme universitaire
d’expertise comptable18 existe depuis 1981. Dès le début des années 2000, la Tunisie comptait plus de
300 diplômés et une dizaine d’institutions universitaires délivraient un diplôme spécialisé en comp-
tabilité.
Le cas du Maroc est marqué par un héritage encore plus saillant du système français. La nomen-
clature des titres (comptable, expert-comptable et commissaire aux comptes) est, en effet, antérieure
au diplôme. Que le diplôme national d’expertise comptable ne soit mis en place qu’en 1990 peut être
considéré comme le produit de la résistance des familles du Makhzen jalouse de leur pouvoir (Sraieb
1984). De 1990 à 2001, seuls une trentaine d’étudiants ont obtenu leur diplôme. Ce dernier n’a donc
pas participé à l’organisation de la profession, puisque le texte régulateur apparaît en 1993. L’État n’a
pas montré d’intérêt pour structurer le champ comptable, qui n’a donc pas été clairement hiérarchisé.
L’agenda de la réforme, très étalé dans le temps19, a rendu la situation de la profession et la définition
de l’expert-comptable plus complexe qu’en Tunisie.
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contre l’administration fiscale et ils ne sont que tolérés dans la rédaction des actes juridiques des entre-
prises. Comparativement, au Maroc, les experts-comptables jouissent pleinement du monopole de la
certification. Mais la réalité de la pratique professionnelle dans les deux pays montre une gestion des
frontières différente de celle qui est inscrite dans les textes.
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En effet, le cas tunisien révèle des experts-comptables plutôt « agressifs » dans le domaine de
la fiscalité et du droit et par ailleurs, peu inquiétés par les comptables, considérés comme le « seg-
ment pauvre de la profession »20. Malgré les nombreuses attaques en justice pour exercice illégal de
la Chambre Nationale des Conseillers Fiscaux de Tunisie (créée en 1997), les experts-comptables
exercent le conseil fiscal. Leur justification principale peut être résumée ainsi : « un bon fiscaliste
est forcément un expert-comptable car sa formation le destine à l’être ». Cette tentative d’exclusion
des experts-comptables du domaine fiscal est voulue par quelques fonctionnaires du Ministère des
Finances, principalement les contrôleurs fiscaux, même si le gouvernement en place soutient plutôt la
position des experts-comptables. Ces derniers soupçonnent les fonctionnaires de protéger un champ
de reconversion professionnelle pour leur future retraite.
Les rapports entre experts-comptables et avocats sont, eux, plus en faveur des premiers. Les experts-
comptables ont plutôt été « protégés » sous le régime Ben Ali21 qui a eu régulièrement recours à leur
expertise pour conduire les politiques économiques de libéralisation et de privatisation. À l’opposé,
les seconds, perçus comme des professionnels contestataires de l’ordre autoritaire (Gobe 2011), ont
souvent vu une fin de non-recevoir adressée à leurs revendications territoriales.
Enfin, sans organisation professionnelle formelle, les bureaux de conseils et de formation font face
aux experts-comptables tunisiens présents dans ces champs, surtout dans les gros marchés de restruc-
turation de l’économie nationale22. De façon croissante, certains experts-comptables affichent23 leurs
capacités à conseiller et à former dans tous les domaines de la gestion. Ceci incite les cabinets d’étude,
concurrents pour ces activités, à se structurer pour répondre aux cahiers des charges de l’État pour
l’accompagnement des politiques de mise à niveau de l’économie tunisienne.
L’Ordre marocain semble, lui, préoccupé par l’unique bataille menée pour maintenir le diplôme
d’expertise comptable comme seule voie d’accès à la profession. Les membres des deux associations
d’experts-comptables les plus puissantes (AMDEC et CECM) ont fixé des conditions d’admission
conduisant à l’exclusion d’une grande partie des professionnels établis avant 1993, qui perdaient ainsi
les privilèges sociaux et économiques liés au statut d’expert-comptable. Cette exclusion a conduit un
groupe professionnel à s’organiser pour revendiquer son inclusion. L’Ordre, jeune institution, a fait
face pendant plusieurs années à des critiques très vives relatives à la frontière qu’elle avait créée. Sans
organisation claire des conditions de transition, le monopole de la certification pour les experts-comp-
tables a divisé les professionnels et créé une lutte pour et autour du titre.
Paradoxalement, l’Ordre ne fait rien pour défendre sa position ou pour trouver un terrain d’en-
tente avec les « exclus ». Il a juste tenté d’accélérer le rythme de soutenance des rapports de fin d’études
pour occulter, par le nombre, son image d’Ordre « injuste » et qui exclut. Ce manque de réactivité et
d’ouverture a conduit à une gestion rigide des frontières de la profession vis-à-vis des comptables. Par
ailleurs, la position de l’Ordre se fait très discrète sur d’autres aires de compétences. Profitant de règles
peu claires voire inexistantes, les professionnels au Maroc pratiquent le conseil juridique et la fiscalité,
lesquels demeurent des territoires non revendiqués.
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5. Synthèse et perspectives de la trajectoire des professions
L’objectif de ce travail est de comprendre la professionnalisation de l’expertise comptable au Maroc
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et en Tunisie après l’indépendance des deux pays. Le tableau 3 récapitule les principaux résultats
des processus de création et d’évolution des deux professions ; il est organisé autour des éléments de
convergence et de divergence.
Tableau 3
Processus de professionnalisation comparés (Maroc et Tunisie)
Durant la dernière période du protectorat, des nationaux tunisiens et marocains font leur entrée
dans les cabinets français installés dans les deux pays, où ils reçoivent leurs premiers enseignements
comptables. Le nombre des « autochtones » est alors très limité – comme c’est aussi le cas dans
les colonies britanniques. Les deux pays héritent ainsi, de fait, de la pratique comptable française,
et même, dans le cas du Maroc, d’une structure associative. L’organisation postcoloniale des deux
professions se réalise dans la continuité. Dans les deux pays, les dynamiques et logiques locales
conduisent à une « reproduction adaptée » des mêmes titres professionnels, adossés à des formations
très similaires.
Bien des années après l’indépendance des pays, les experts-comptables tunisiens et marocains
s’organisent selon le modèle français, à l’instar de professions libérales plus anciennes (médecins,
avocats, etc.) (Azziman 1982 ; Gobe 2012). Ils veulent contrôler leur territoire professionnel, mais ils
ne peuvent le faire sans l’obtention du soutien, voire de la « bénédiction » de l’État législateur, pour
s’organiser et exclure d’autres professionnels de leur champ (Sian 2006). Notre analyse confirme l’idée
de Freidson (2001) selon laquelle l’État demeure la « clé » qui permet à la profession « d’établir, de
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légitimer et d’imposer une position de monopole » (Dezalay et Garth 2010, p. 252).
Si, de prime abord, la centralité de l’État apparaît comme un point de convergence, la domination
de l’État sur la profession ne se décline pas de la même manière dans les deux pays. En Tunisie, la
profession des experts-comptables a été « propulsée » par l’État, avec l’aide du droit et de l’université,
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vers un « statut » protégé et privilégié. Mais le revers de cette protection est que la profession demeure
administrée : elle souffre d’un manque d’autonomie dû au contrôle rapproché de l’État. Au Maroc
en revanche, l’État demeure indifférent aux revendications d’une profession qui peine à se développer
en taille, en statut et en marchés. Néanmoins, les deux professions apparaissent incapables de fixer
des règles ou de délimiter une activité indépendamment du contrôle de l’État : « il faut ici une loi, là
un jugement, pour construire la délégation de puissance publique qui fonde l’autonomie profession-
nelle » (Paradeise 2008).
La profession tunisienne est plus centrée sur un jeu de reconnaissance de soi qui vise à conqué-
rir une meilleure place dans une hiérarchie étatique (Wittorski 2007). En revanche, la profession
marocaine s’efforce de maintenir son monopole d’audit contre la pression indirecte que l’État exerce
à travers la gestion de l’agenda politique (agenda des réformes économiques et de promulgation des
lois) (Walker et Shackleton 1998).
Le deuxième point de discussion est le rôle joué par le diplôme, ainsi que par les PAS, dans l’orga-
nisation de la profession dans les deux pays. Le diplôme est au centre de la structuration du champ
comptable (Annisette 2000 ; Ramirez 2001). En Tunisie, la définition des catégories professionnelles
est explicitement établie à travers le diplôme d’expert-comptable, créé avant même l’Ordre. En re-
vanche, ces structures sont restées floues au Maroc, essentiellement par cause de la création tardive
du diplôme. Pour ce pays, le statut privilégié de l’expert-comptable a été davantage imposé par les
réformes économiques, et en premier lieu le PAS. En Tunisie comparativement, ces réformes n’ont fait
que renforcer le rôle et la légitimité sociale de l’expert-comptable, acquis grâce au diplôme. Toutefois,
le PAS a eu le même impact d’unification des règles dans les deux pays.
Enfin, notre troisième point de discussion concerne la protection d’un statut social par la ges-
tion des frontières territoriales (Abbott 1998 ; De Beelde 2002). En comparant les actions des deux
professions, on ne peut conclure à une uniformité ni de forme ni d’ampleur. En effet, la profession
tunisienne, qui profite à la fois des « préférences » de l’État et de la configuration du marché, cultive
son image « élitiste » (dans laquelle certains perçoivent une attitude arrogante et agressive). La profes-
sion tunisienne prend principalement avantage de l’affaiblissement des avocats, ainsi que de la timide
« part de marché » des fiscalistes afin d’augmenter son champ de pratiques. Au Maroc, l’Ordre des
experts-comptables, non soutenu, concentre ses efforts à défendre son seul monopole, la certification
des comptes.
L’idée d’une configuration professionnelle commune pourrait être séduisante, si l’on se centrait
uniquement sur les convergences entre les professions marocaine et tunisienne : professions centrali-
sées (à l’image de l’État) et structurées (à l’image du marché), à la fois libérales (selon la formulation
française), mais par ailleurs contrôlées. Cependant, les éléments explicatifs que nous avons analysés ne
permettent pas de conclure à une professionnalisation identique.
C’est d’autant plus vrai que les divergences se sont creusées ces dernières années, avec une dilution
de l’influence du référent français plus accentuée en Tunisie qu’au Maroc. En effet, avec la réforme en
profondeur de son plan comptable de 1997, davantage inspiré du cadre anglo-américain, la Tunisie
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a créé une rupture visible avec le modèle colonial. Le Maroc continue, lui, à se référer à la France en
matière de normalisation comptable.
Le poids numérique des deux professions, ainsi que certains aspects de leur mode de gouvernance,
constituent des facteurs de divergence supplémentaires. En 2012, l’Ordre tunisien compte plus de
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800 inscrits et affiche une forte croissance avec une liste de plus de 1 200 stagiaires. Mais il demeure
totalement centralisé (les deux Ordres régionaux ne sont que des « boîtes postales ») et doit affronter
deux crises. La première est celle de la « balkanisation de la profession »24. Une scission s’accentue
entre les grands cabinets (« Big » ou non), bien ancrés et contrôlant la majorité du marché25 et les pe-
tits cabinets, dispersés. La seconde correspond à une scission générationnelle. Les aînés restent fidèles
aux anciens modèles d’une profession centrée sur le commissariat aux comptes, alors que les moins de
40 ans souhaitent une « ouverture du métier », une « indépendance nationale » et le « développement
de réseaux internationaux »26. Les dernières élections du conseil de l’ordre de 2012, remportées par
une majorité de jeunes, dont le président, reflètent bien cette dualité (jeunes/aînés).
La profession marocaine, quant à elle, avec 450 membres en 2012 et un moindre potentiel de
stagiaires, est moins développée. La ligne de tension qui la traverse concerne principalement la répar-
tition du marché de la certification des comptes. Les jeunes professionnels se plaignent de la concen-
tration des mandats dans les mains de quelques grands cabinets. Les élections de l’année 2002 ont vu
émerger les représentants des petits cabinets, qui, après leur élection, ont instauré l’obligation d’un
contrôle qualité et l’obligation de déclaration des mandats de commissariat aux comptes à l’Ordre.
Mais les grands cabinets n’ont pas tardé à reprendre les rênes de l’Ordre dès les élections suivantes
(2005).
Ces modèles professionnels ne sont pas figés et ils ne nous disent rien de la manière dont les profes-
sions absorberont le double choc du changement des données politico-économiques et de l’ouverture
du marché des services à la concurrence internationale à la fin de 2012.
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table, Institut Supérieur de Commerce et d’Admi-
php%3Fpage=sommaire&lang=fr.html).
nistration des Entreprises 2006.
3. Le terme de dahir désigne un décret royal. Il ne
16. Le plan concerne l’équilibre budgétaire de l’État,
constitue pas une loi, « mais n’est qu’une lettre
la politique de subventions et prévoit une série de
contenant des ordres du Sultan. La plupart, sinon
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pays « donateurs ». On peut citer entre autres : Maroc). Doctorat en sciences économiques, Uni-
le programme Facilité d’Ajustement Structurel versité de Bourgogne.
IV, le Projet d’Appui à la Compétitivité de l’Éco- Banque mondiale. (1994). Royaume du Maroc
nomie (PACE) ou encore d’autres programmes vers le XXIe siècle : renforcement du secteur privé.
de moindre envergure dont le Programme de Washington D.C.
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Mise à Niveau ou encore le Programme d’Appui normes et codes. Washington D.C.
à l’Industrie. L’objectif principal de tous ces pro- Cahuc, P. (2007). Le monopole des experts-comp-
grammes est de « renforcer la compétitivité géné-
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tables en question. Option Finance n° 946
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Bulletin officiel du royaume du Maroc : dahir d° 1-92-139 du 8 janvier 1993 portant promul-
gation de la loi n° 15-89 réglementant la profession d’expert-comptable et instituant un ordre des
experts-comptables.
Bulletin officiel du royaume du Maroc : décret du 3 février 1993 relatif au titre de comptable
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agréé.
L’Économiste hebdomadaire (1992-1997) puis quotidien (1998-2012).
Journal Officiel de la République Tunisienne, loi n° 96-112 du 30 décembre 1996.
Journal Officiel de la République Tunisienne, loi 88/108 du 18/8/88 et décret 89/541 du 25/5/89.
Journal Officiel de la République Tunisienne, loi n° 94 - 117 du 14 novembre 1994.
Journal Officiel de la République Tunisienne, loi n° 99 - 92 du 17 août 1999.
Journal Officiel de la République Tunisienne, loi n° 2005 - 96 du 18 octobre 2005.
Journal Officiel de la République Tunisienne, loi n° 2001-65 du 10 juillet 2001.
Journal Officiel de la République Tunisienne, loi n° 2001-83 du 24 juillet 2001.
Journal Officiel de la République Tunisienne, décret n° 87-529 du 1er avril 1987.
Journal Officiel de la République Tunisienne, loi n°88-108 du 18 août 1988.
Journal Officiel de la République Tunisienne, loi n° 2002-16 du 4 février 2002.
Journal Officiel de la République Tunisienne, décret n° 75-846 du 3 décembre 1975.
Journal Officiel de la République Tunisienne, décret n° 2007-1096 du 2 mai 2007.
Journal Officiel de la République Tunisienne, loi n° 95-34 du 17 avril 1995.
Profession de foi, élections 2012 pour le conseil de l’Ordre des experts-comptables de Tunisie.
Site officiel de l’Ordre des experts-comptables de Tunisie : www.oect.org.tn
Site officiel de l’Ordre des experts-comptables du Maroc : www.oecmaroc.com
Tableau 4
Entretiens au Maroc
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EC 1 (ancien président national) DF 1995-1998/ avril 2006 110 minutes
1998-2000
EC 2 (membre du conseil national) ND-CT avril 2006 65 minutes
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EC : Expert-Comptable ; DF : Diplôme français ; DM : Diplôme marocain ; ND-CT : non-diplômés admis sous les
conditions transitoires.
* Mandat de 3 ans renouvelable une fois.
Tableau 5
Entretiens en Tunisie
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Ancien président 3 DT 2000-2006 octobre 2009 60 minutes
Ancien président 4 DT 1990-1992 octobre 2009 55 minutes
Ancien président 5 DT 1997-1999 2009-2011 décembre 2009 135 minutes
Ancien président 6 DF 1993-1994 janvier 2010 145 minutes
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