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ANESTHESIE PEDIATRIQUE PAR UN ANESTHESISTE NON PEDIATRE 87

MORTALITE ET MORBIDITE EN
ANESTHESIE PEDIATRIQUE

I. Murat, Service d’Anesthésie Réanimation, Hôpital d’enfants A. Trousseau,


26 avenue du Dr Arnold Netter, 75571 Paris.

INTRODUCTION
Sur les 8 millions d’anesthésies pratiquées en France en 1996, environ 1 million
concernait les enfants âgés de moins de 15 ans [1]. Entre 1980 et 1996, le nombre
d’anesthésies réalisées chez des enfants de moins de 5 ans a augmenté de 96 %. Si
41 % des anesthésies des enfants de moins de 1 an sont réalisées dans les CHU, la
majorité des anesthésies d’enfants de plus de 1 an est réalisée dans les cliniques privées
(60 % et 56 % dans les tranches d’âge de 1 à 4 ans et de 5 à 14 ans respectivement).
Entre 1 et 4 ans, l’anesthésie pour chirurgie ORL représente 64 % des anesthésies.
L’analyse de la mortalité et de la morbidité liées à l’anesthésie chez l’enfant est un
préalable à la réflexion portant sur les restructurations hospitalières visant à regrouper
les moyens tant matériels qu’humains dans les prochaines années.

1 . LA MORTALITE LIEE A L’ANESTHESIE TRES FAIBLE


La mortalité liée à l’anesthésie est 100 fois plus faible que la mortalité périopéra-
toire [2-9]. Dans les enquêtes les plus récentes, elle est comprise entre 0,06 et 0,7 pour
10 000 anesthésies. Elle a considérablement diminué au cours des trois dernières
décennies. La tendance est identique en anesthésie pédiatrique. Au Children’s Hospital
de Boston [10], la mortalité liée à l’anesthésie était de 1,8/10 000 chez les enfants de
moins de 10 ans entre 1954 et 1966, et de 0,8/10 000 dans la même tranche d’âge entre
1966 et 1978. L’enquête récente anglaise évaluant la mortalité périopératoire chez l’en-
fant de moins de 10 ans en 1989 (National Confidential Enquiry into Perioperative
Deaths NCEPOD) retrouve 5 décès totalement liés à l’anesthésie sur les 417 décès
rapportés pendant la période d’étude [11], confirmant que chez l’enfant, comme dans
la population générale, la mortalité liée à l’anesthésie est 100 fois plus faible que la
mortalité périopératoire.

2 . L’INCIDENCE DES ARRETS CARDIAQUES PERANESTHESIQUES EST


PLUS ELEVEE CHEZ LE NOURRISSON QUE CHEZ L’ENFANT PLUS AGE
Dans toutes les grandes séries épidémiologiques, l’incidence des arrêts cardiaques
peranesthésiques est 10 fois plus élevée chez les enfants de moins de 1 an que chez les
enfants de plus de 1 an (tableau I). Par exemple, dans l’enquête INSERM de 1978 à 1982,
88 MAPAR 2000

cette incidence était de 19/10 000 anesthésies avant l’âge de 1 an contre 2/10 000 entre
1 et 14 ans [12]. Une série canadienne plus récente (1982 à 1987) retrouve des résultats
comparables : l’incidence des arrêts cardiaques était de 24/10 000 anesthésies avant
l’âge de 1 an contre 5/10 000 entre 1 et 14 ans [13]. L’enquête australienne des années
90 (Australian Incident Monitoring Study) [14], retrouve une incidence des arrêts car-
diaques 10 fois plus élevée chez l’enfant de moins de 10 ans que chez l’enfant plus âgé.
Deux grandes causes d’arrêts cardiaques sont retrouvées chez le jeune enfant, les
complications respiratoires et cardiovasculaires, ces dernières étant le plus souvent en
rapport avec un surdosage absolu ou relatif avec l’halothane [15-17]. La plupart d’en-
tre eux ont été considérés évitables.
Tableau I
Incidence des arrêts cardiaques peranesthésiques chez l’enfant [12-13, 15-16]

Nb d'anes- Arrêts cardiaques sur


Auteurs Anné es Age (ans)
thé sies 10 000 anesthé sies

Olsson (Suède) 1967 à 84 250A 543 <A 1 17


1à9 4,6
10 à 19 3

Tiret (France) 1978 à 82 2A 103 <A 1 19


28A 137 1 à 14 2

Cohen (USA) 1982 à 87 2A 905 <A 1 24


26A 285 1 à 14 5

Keenan (USA) 1969 à 83 12A 712 <A 12 4,7


150A 528 >A 12 1,4

Aux Etats-Unis, un registre des arrêts cardiaques périopératoires en pédiatrie


(Pediatric Perioperative Cardiac Arrest registry) a été initié en 1994. Les premiers ré-
sultats regroupant les données obtenues jusqu’en 1996 ont été publiés dans la lettre de
l’association américaine d’anesthésiologie [18]. Cent trente-deux cas d’arrêts cardia-
ques ont été colligés durant cette période. Contrairement aux enquêtes épidémiologiques
plus anciennes, les causes respiratoires ne représentaient plus que 10 % des étiologies
de ces arrêts cardiaques, et la majorité de ces arrêts cardiaques (56 %) étaient d’origine
cardiovasculaire. Il est intéressant de noter que pendant cette période 98 % des enfants
étaient équipés d’un oxymètre de pouls et 86 % d’un capnographe. L’incidence des
arrêts cardiaques chez des nourrissons bien portants âgés de 6 à 12 mois était plus
importante que celle attendue par le fait du hasard (tableau II).
Si l’incidence des arrêts cardiaques est élevée chez le nourrisson de moins de 12 mois,
cette incidence est réduite lorsque l’anesthésie est effectuée par des anesthésistes en-
traînés à la pédiatrie [19]. Dans une enquête rétrospective faite dans une seule institution,
Keenan a montré que l’incidence des arrêts cardiaques chez l’enfant de moins de 1 an
était de 19/10 000 anesthésies lorsque l’anesthésie était réalisée par un anesthésiste non
entraîné à la pédiatrie (cette incidence est proche de celle des enquêtes française et
canadienne mentionnées plus haut), alors qu’aucun arrêt cardiaque n’était à déplorer
dans cette tranche d’âge lorsque l’anesthésie était réalisée par un anesthésiste pédiatri-
que. La conclusion de cette enquête suggérait l’intérêt de confier l’anesthésie des enfants
de moins de 1 an à des anesthésistes pédiatriques expérimentés.
ANESTHESIE PEDIATRIQUE PAR UN ANESTHESISTE NON PEDIATRE 89

Tableau II
Registre américain des arrêts cardiaques périopératoires en anesthésie pédiatrique
(1994, 1996) [18]

< 1 mois 1 à 5 mois 6 à 12 mois > 12 mois


n> => 32 n> => 25 n> => 20 n> => 55

ASA 1 à 2 3A % 12A % 35A % * 27A % **

ASA 3 à 5 97 % * 88A % * 65A % 73A %

Mortalité 72A % * 36A % 25A % ** 35A %

* pourcentage supérieur à celui attendu (pA <A 0,01 Chi carré)


** pourcentage inférieur à celui attendu (pA <A 0,01 Chi carré)

A côté des causes classiques d’arrêts cardiaques (respiratoires et cardiovasculaires),


plusieurs arrêts cardiaques ont été rapportés chez des enfants ayant une pathologie sous
jacente méconnue. Des arrêts cardiaques liés à une hyperkaliémie ont été rapportés
chez des myopathes après administration de succinylcholine [20-23]. Entre 1990 et
1993, 25 arrêts cardiaques inattendus chez des enfants asymptomatiques ont été recen-
sés par l’association américaine de lutte contre l’hyperthermie maligne [24]. Douze de
ces 25 patients avaient une myopathie jusqu’alors méconnue. Il a été suggéré que le fait
d’éviter l’emploi de la succinylcholine en chirurgie réglée aurait évité 64 % des arrêts
cardiaques et 60 % des décès. Des arrêts cardiaques ont été également rapportés chez
des enfants ayant une pathologie cardiaque méconnue (myocardite virale, syndrome du
Q-T long, artère coronaire anormale) [25-27].

Tableau III
Incidence des bradycardies durant l’anesthésie chez le nourrisson et l’enfant [28]

Age/an 0à1 1à2 2à3 3à4

Nombre d'anesthésies 4A 645 1A 932 774 628

Nombre de bradycardies 59 19 5 1

Incidence des bradycardies (%) 1,27 0,98 0,65 0,16

3 . LA MORBIDITE LIEEA L’ANESTHESIE ESTPLUS IMPORTANTE CHEZ


LE NOURRISSON QUE CHEZ’ENFANT L PLUS AGE
Plusieurs études ont rapporté une augmentation relative de la morbidité liée à l’anes-
thésie chez le nourrisson par rapport à l’enfant plus âgé ou à l’adulte jeune. L’incidence
des bradycardies peropératoires est 10 fois plus élevée chez le nourrisson de moins de
1 an que chez le jeune enfant entre 3 et 4 ans [28] (tableau III).
Ces bradycardies étaient associées à d’autres éléments de gravité tels qu’une hypo-
tension (30 %), des troubles du rythme graves (10 %) et ont conduit à un décès
peropératoire dans 8 % des cas. Le surdosage absolu ou relatif en agents anesthésiques
(halothane) et l’hypoxie étaient en cause dans respectivement 35 % et 22 % de ces
bradycardies. L’incidence des bradycardies était plus élevée chez les patients les plus
graves (classification ASA), lors des interventions de longue durée et lors des actes
90 MAPAR 2000

réalisés en urgence. On observait ainsi 2,5 fois plus de bradycardies chez les patients
ASA 3 à 5 versus ceux qui sont classés ASA 1 et 2, et le risque de bradycardie augmen-
tait de 11 % par heure de chirurgie. Par contre, l’incidence des bradycardies chez l’enfant
était deux fois plus faible lorsque l’anesthésie était réalisée par un anesthésiste entraîné
à la pédiatrie que lorsque l’anesthésie était réalisée par un anesthésiste non entraîné. La
conclusion de cette étude condamnait clairement la pratique pédiatrique occasionnelle.
Des résultats comparables sont retrouvés dans l’enquête française INSERM [12].
L’incidence des complications majeures était de 4,3/1 000 anesthésies chez le nourris-
son de moins de 1 an contre 0,5/1 000 chez les enfants de 1 à 14 ans (tableau IV).
Tableau IV
Facteurs de risque de complications périopératoires chez l’enfant
(enquête INSERM) [12]
complications
Nb d'anes- p
sur 1> 000
thé sies
anesthé sies

Classe ASA
I 36A 903 0,4 pA < 0,001
II 1A 461 3,4
III 518 11,6
IV à V 122 16,4

Nombre de pathologies associé es


0 36A 544 0,5 pA < 0,001
1 3A 064 1,3
2 490 4,1
≥ 3 142 21,1

Anesthé sie anté rieure


non 25A 517 0,5 pA < 0,05
oui 11A 343 1,1
Durée du jeûne préopératoire (h)
<A 8 5A 189 1,5 p < 0,05
>A 8 34A 067 0,6

Urgence
non 33A 391 0,5 p < 0,05
oui 5A 918 1,5

Parmi les autres facteurs de risque de complications, on retrouvait, comme chez


l’adulte, l’état physique de l’enfant (classification ASA), les pathologies associées et
l’anesthésie en urgence. La plupart des complications observées pendant l’entretien de
l’anesthésie avaient une origine respiratoire. Parmi les 2 400 plaintes déposées entre
1985 et 1990 auprès des compagnies d’assurance américaines, 10 % concernaient des
enfants [29]. Parmi ces plaintes, 28 % concernaient des enfants de moins de 1 an et
55 % des enfants de moins de 3 ans. La plupart de ces plaintes concernaient des actes
d’anesthésie effectués chez des enfants sans pathologie préalable (classification ASA 1
et 2). La cause de l’accident ayant conduit à la plainte était plus fréquemment d’origine
respiratoire et cardiovasculaire chez l’enfant que chez l’adulte (tableau V). Les causes
respiratoires sont actuellement en diminution depuis l’utilisation systématique de l’oxy-
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métrie et de la capnographie, mais les causes cardiovasculaires liées aux effets des
agents anesthésiques demeurent au premier plan, et restent responsables d’une surmor-
talité chez les nourrissons de plus de 6 mois sans pathologie associée.
Tableau V
Plaintes auprès des compagnies d’assurance américaines. Accident à l’origine de la
plainte : comparaison entre adultes et enfants [29]

Accident Enfants Adultes p

Système respiratoire 43A % 30 % < 0,01


Ventilation inadéquate 20A % 9A % < 0,01

Système cardiovasculaire 13A % 5A % < 0,01


complication cardiovasculaire non expliquée * 6A % 1A % < 0,01

* l'halothane était l'agent anesthésique principal chez 74 % des enfants versus 19A %
des adultes (pA < 0,01)

L’enquête canadienne conduite par Marsha M Cohen entre 1982 et 1987 retrouve
également une incidence de complications majeures périopératoires plus élevée chez
les nouveau-nés (23,8 %) que chez les nourrissons (5 %) et les enfants plus âgés (3 %).
Dans l’enquête australienne [17], 10 % des incidents rapportés étaient survenus dans la
population pédiatrique. Parmi ceux-ci les laryngospasmes, et les complications respira-
toires lors de l’extubation étaient plus fréquents chez les enfants que chez les adultes.
L’absence d’une aide compétente était souvent en cause dans les incidents rapportés
dans cette étude. Plusieurs études ont souligné la surmorbidité anesthésique des jeunes
enfants présentant une infection aiguë des VAS [30-37]. En 1979, McGill [30] rappor-
tait 11 cas de complications respiratoires graves lors de l’induction anesthésique. Tous
les enfants sauf un, avaient présenté une infection aiguë des VAS dans les jours précé-
dant l’anesthésie. En 1991, Marsha M Cohen a colligé plus de 20 000 anesthésies [32]
et démontré qu’une infection aiguë des VAS augmentait la morbidité anesthésique chez
l’enfant. En effet, le risque de complications respiratoires périopératoires était multi-
plié par 4 à 7 chez les enfants symptomatiques et par 11 si les enfants devaient être
intubés (tableau VI). L’âge, l’état clinique (classification ASA), le type de chirurgie et
l’urgence ne permettaient pas d’expliquer cette surmorbidité.
Certaines complications comme les laryngospasmes sont plus fréquentes chez le
jeune enfant que plus tard dans la vie [38]. Cette incidence évaluée à 17,4/1 000 anes-
thésies chez l’enfant de moins de 9 ans est considérablement augmentée par la présence
d’une infection respiratoire (95,8/1 000) ou d’une complication lors d’une anesthésie
antérieure (54,7/1 000). Ces données déjà anciennes ont été réévalués par Schreiner et
coll. [39]. Dans cette étude, les enfants ayant présenté un laryngospasme étaient 2,05 fois
plus fréquemment considérés par leurs parents comme ayant présenté une infection
récente des voies aériennes supérieures que les enfants du groupe contrôle. De plus, ces
enfants étaient plus jeunes, étaient plus souvent programmés pour une chirurgie ORL et
leur anesthésie était plus souvent prise en charge par des anesthésistes moins expéri-
mentés que ceux du groupe contrôle.
92 MAPAR 2000

Tableau VI
Facteur prédictifs de complication respiratoire périopératoire [32]
intervalle de confiance
Facteur Risque relatif
95> %

Age 0,92 0,9 à 0,93

Infection récente VAS 8,94 6,04 à 1,22

Intubation 5,21 4,21 à 6,46

Infection et intubation 11,13 6,84 à 18,10

L’incidence des inhalations du contenu gastrique est plus élevée chez les enfants de
moins de 9 ans que chez les enfants plus âgés avec une incidence particulièrement
élevée chez les nourrissons de moins de 6 mois [40].
Dans cette grande enquête suédoise réalisée entre 1967 et 1983, 83 cas d’inhala-
tions ont été colligés sur un total de 185 358 anesthésies (4,7/10 000). L’incidence
d’inhalation était de 8,6/10 000 chez les enfants de moins de 9 ans. Les autres facteurs
de risque d’inhalation étaient l’urgence, le travail nocturne, une pathologie œsopha-
gienne et une intubation difficile. Dans l’enquête INSERM [12], l’incidence des
inhalations était de 1/10 000 anesthésies chez l’enfant et 1/1 000 chez le nourrisson de
moins de 1 an. L’enquête récente faite à l’hôpital d’enfants de Pittsburgh [41] retrouve
une incidence d’inhalation plus élevée de 10,2/10 000. Aucun décès n’a été lié à une
inhalation dans cette large étude portant sur 50 880 anesthésies. Les auteurs concluaient
que l’inhalation de liquide gastrique était rare et que ses conséquences étaient modes-
tes. L’enquête effectuée à la Mayo Clinic entre 1985 et 1997 [42] retrouve une incidence
d’inhalation du contenu gastrique de 4/10 000 anesthésies chez l’enfant. Le risque était
majoré en urgence (1/373 vs 1/4 544). Aucun décès n’a été imputé à cet accident, et les
conséquences ont là aussi été le plus souvent modestes. Les enfants qui n’avaient pas
développé de signes pulmonaires dans les 2 premières heures (15 enfants sur 24) n’ont
pas eu de séquelles respiratoires.
Les anciens prématurés ont un risque élevé d’apnées postopératoires [43]. Cote et
al. [44] ont colligé les résultats de 8 études publiées entre 1987 et 1993 qui tentaient
d’évaluer ce risque chez l’ancien prématuré après cure de hernie inguinale. Ils ont dé-
montré que le risque d’apnées postopératoires était :
• inversement corrélé à l’âge gestationnel et à l’âge post-conceptionnel ;
• que la survenue d’apnées au domicile était un facteur de risque supplémentaire ;
• que les enfants hypotrophes étaient relativement préservés par rapport aux enfants
non hypotrophes ;
• que l’anémie était un facteur de risque supplémentaire en particulier pour les enfants
d’âge post-conceptionnel > 43 semaines ;
• par contre aucune corrélation n’a pu être montrée avec les facteurs suivants : antécé-
dents d’entérocolite, apnées en période néonatale, syndrome de détresse respiratoire,
présence d’une bronchodysplasie et utilisation peropératoire de curares et/ou de mor-
phiniques. Pour ces raisons, les anciens prématurés doivent être surveillés étroitement
pendant les 12 à 24 heures suivant une anesthésie, même lorsque l’anesthésie ne com-
porte qu’une rachianesthésie sans sédation associée.
ANESTHESIE PEDIATRIQUE PAR UN ANESTHESISTE NON PEDIATRE 93

4 . MORBIDITE LIEEA L’ANESTHESIE REGIONALE


La pratique de l’anesthésie régionale s’est considérablement développée pendant la
dernière décennie. Presque toutes les complications décrites chez l’adulte ont été rap-
portées chez l’enfant sous forme de cas cliniques le plus souvent. Quatre grandes séries,
trois rétrospectives et une prospective ont été publiées, dont deux uniquement sous
forme de résumé [45-48]. L’enquête rétrospective de Gunter [45] portait sur 150 000
caudales, et rapportait une incidence de complications majeures de 1/10 000. La plu-
part des complications étaient une rachianesthésie totale ou des signes cardiaques ou
neurologiques en rapport avec une injection intravasculaire accidentelle. Aucun décès
n’était à déplorer. L’étude multicentrique américaine de Sang [46] a colligé les compli-
cations des anesthésies régionales entre 1985 et 1992. Sur les 48 345 actes
(26 693 injections uniques et 12 718 perfusions continues), les auteurs ont relevé 34 com-
plications graves (24 dépressions respiratoires et 10 convulsions) et 16 incidents non
critiques mais ayant une importance clinique. L’enquête prospective de l’ADARPEF [47]
effectuée entre Mai 1993 et Avril 1994 a recensé 23 complications sur 24 409 anesthé-
sies régionales, soit une incidence de 9/10 000. Parmi ceux-ci 10 ponctions de la
dure-mère et 6 injections intravasculaires. La moitié de ces accidents ont été jugés évi-
tables par une technique adaptée, aucune séquelle ni décès n’ont été imputés à l’anesthésie
régionale pendant la durée de l’étude.
L’anesthésie régionale est dans l’immense majorité des cas réalisée chez des en-
fants déjà anesthésiés. Cette pratique discutée chez l’adulte est incontournable en
pédiatrie et ne s’accompagne pas d’une surmorbidité si les bonnes pratiques cliniques
sont respectées [49]. Ces dernières ont fait l’objet de recommandations par un groupe
d’expert en 1997 [50].
Au total les complications de l’anesthésie régionale sont peu fréquentes chez l’en-
fant. Les complications des injections uniques sont très rares, et la plupart des accidents
toxiques ont été observés lors des perfusions continues. L’administration de morphini-
ques par voie épidurale ou intrathécale expose comme chez l’adulte au risque de
dépression respiratoire retardée.

5 . LES COMPLICATIONS MINEURES DE ’ANESTHESIE L SONTSOU-


VENT SOUS-ESTIMEES ALORS QU’ELLES NE SONTPAS RARES
Si la mortalité et la morbidité anesthésiques chez l’enfant sont un index de la qua-
lité des soins, l’étape suivante de la démarche d’assurance qualité est certainement la
prise en compte de la morbidité mineure liée à l’anesthésie source d’inconfort pour
l’enfant et les parents et qui peut générer des séquelles comportementales à long terme.
En effet, les complications mineures sont fréquentes après chirurgie ambulatoire chez
l’enfant (tableau VII) [51-53]. Les complications les plus fréquentes sont les vomisse-
ments, le mal de gorge, la somnolence, la fièvre et la toux. La douleur est fréquente
même après chirurgie mineure et doit être prise en charge systématiquement. La surve-
nue de nausées et vomissements au domicile est significativement corrélée à la présence
des mêmes symptômes au réveil, à la douleur, à l’utilisation de morphiniques et ceux-
ci sont plus fréquents chez l’enfant de plus de 5 ans. Ces complications sont généralement
résolues en 48 heures.
Néanmoins des études récentes montrent que les troubles du comportement restent
fréquents après chirurgie mineure chez le jeune enfant [54-58]. Cette incidence a peu
varié depuis les années 1950 malgré le développement de la chirurgie ambulatoire et
l’utilisation de nouveaux agents anesthésiques.
94 MAPAR 2000

Tableau VII
Incidence (%) des symptômes postopératoires après chirurgie ambulatoire chez
l’enfant (n = 551) [54]
A A domicile
Symptôme l’hôpital le jour Le jour Durée ≥ 2
(%) même (%) suivant (%) jours

Douleur 17 56 37 19

Nausées 11 12 2 1

Vomissements 7 7 2 1

Sédation 39 77 37 9

Vertiges 10 16 1 1

Céphalées nd 11 4 1

Difficultés à la marche 5 17 6 3

nd : non déterminé

Dans une large enquête prospective portant sur 551 enfants [54], l’incidence des
modifications comportementales négatives était de 47 % en postopératoire immédiat
alors que des modifications positives étaient observées chez 17 % des enfants. Les
manifestations négatives concernaient plus souvent les enfants de 1 à 3 ans. Quatre
semaines après l’hospitalisation, 9 % des enfants présentaient encore des troubles du
comportement. Parmi ceux-ci, les pleurs et terreurs nocturnes, les cauchemars, la de-
mande d’attention, les troubles du sommeil étaient les plus communs. Les facteurs
prédictifs de ces troubles du comportement prolongés étaient le jeune âge, une douleur
sévère en postopératoire immédiat, la persistance d’une douleur modérée au domicile,
et une mauvaise expérience d’une hospitalisation précédente. Cette étude souligne, s’il
en était besoin, l’importance d’une prise en charge attentive de la douleur postopératoire.

CONCLUSION
Si la mortalité directement liée à l’anesthésie est, actuellement, extrêmement faible,
elle est proportionnellement plus élevée aux 2 extrémités de la vie, et en particulier
chez les nourrissons de moins de 1 an. La morbidité liée à l’anesthésie est également
plus élevée chez le nourrisson que chez l’enfant plus âgé. La plupart des complications
sont d’origine respiratoire et cardiovasculaire et une partie sont aisément évitables (en
particulier le surdosage en agents anesthésiques). D’autres facteurs comme l’urgence,
ou l’état clinique grave du patient ne sont pas différents de la pratique adulte. Beaucoup
d’études mettent en avant la réduction significative de la morbidité lorsque l’anesthésie
est confiée à un anesthésiste expérimenté en pédiatrie. Une pratique régulière de l’anes-
thésie pédiatrique est un facteur déterminant pour réduire la morbidité de l’anesthésie
pédiatrique. La condamnation de la pratique occasionnelle doit constituer un point de
réflexion des futures restructurations hospitalières.
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