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Directeur de la publication : Edwy Plenel Directeur éditorial : François Bonnet

Livret A : le décret scélérat


Par Laurent Mauduit
Article publié le dimanche 05 décembre 2010

L’avenir du Livret A, le placement favori des Français, n’est pas prise, les dirigeants des Caisses d’épargne ont été fortement ai-
encore tranché mais il s’annonce sous de sombres auspices : pour dés par François Pérol, à l’époque associé gérant de la banque
organiser son avenir à compter de la fin 2011, le ministère des fi- Rothschild et conseil pour ce projet des Banques populaires. En
nances vient en effet d’élaborer un projet de décret qui fait la part quelque sorte, tous les associés de l’aventure ont tourné le dos
belle au lobby des banques privées, emmené par François Pérol, aux missions d’intérêt général et ont poussé leurs établissements
et qui fait peu de cas du logement social ou du financement des respectifs vers les marchés anglo-saxons dans l’espoir de réaliser
grandes infrastructures. Jusque dans la majorité, pourtant, et dans des gains mirobolants sur des placements hautement spéculatifs
certains cercles du pouvoir, des voix s’élèvent pour que l’intérêt et hautement... risqués. On sait ce qu’il en est advenu : un sinistre
général soit mieux défendu face aux appétits privés, qui veulent financier historique (on retrouvera dans l’onglet «Prolonger» les
faire main basse sur l’épargne populaire. très nombreux articles que nous avons consacrés à l’époque à
Pour comprendre les enjeux de la confrontation sourde mais vio- cette affaire, ainsi que le rappel de la confrontation judiciaire qui
lente qui va se mener dans les coulisses du pouvoir et des mi- a opposé Mediapart aux dirigeants des Caisses d’épargne, et que
lieux d’affaires autour du Livret A, avant que François Fillon ne nous avons gagnée).
rende ses arbitrages et ne publie le décret dans les prochains mois Puis, d’autres coups de boutoirs sont intervenus : lorgnant le for-
sous sa forme définitive, il faut se souvenir du « big bang » qui midable gâteau de l’épargne populaire qui lui échappe depuis des
s’est produit le 1er janvier 2009 (voir aussi notre article Loge- lustres, le lobby très puissant des banques a relancé une campagne
ment social : le décret de tous les dangers ). Avant cette date, pour que le Livret A soit banalisé, en clair pour que le mono-
l’Etat disposait d’un formidable levier, par le biais du Livret A pole de distribution confié aux Caisses d’épargne et à La Poste
qui est le produit d’épargne fétiche des Français (il y a 50 mil- soit remis en cause, et que toutes les banques privées puissent,
lions de livrets), pour assumer deux missions d’intérêt général : elles aussi, distribuer ce produit. Histoire de capter la clientèle de
d’abord la rémunération de l’épargne populaire, grâce à ce pro- quelque 50 millions de Français qui disposent d’un Livret A et de
duit d’épargne réglementé, c’est-à-dire profitant d’un taux de ré- mettre la main sur un formidable pactole.
munération avantageux ; ensuite le financement du logement so- L’engagement solennel de Christine Lagarde
cial, les sommes collectées par le Livret A étant centralisées par
la Caisse des dépôts et consignations (CDC), afin de financer les Au lendemain de la victoire de Nicolas Sarkozy, quand cette cam-
emprunts en faveur du logement social. A cette dernière mission, pagne très intéressée a redoublé d’intensité, beaucoup de voix se
Nicolas Sarkozy en a adjoint une autre depuis 2008 : les fonds sont élevées pour pointer les dangers d’un tel projet. D’abord,
d’épargne centralisés à la Caisse des dépôts servent aussi à fi- la France n’avait aucune obligation d’obtempérer ? en tout cas si
nancer des grandes infrastructures ou encore le plan en faveur de vite ? aux souhaits de Bruxelles, qui poussait en ce sens. Ensuite,
l’Université. il semblait malheureusement assez prévisible que la banalisation
du Livret A conduise à terme à la remise en cause des deux mis-
Deux grands réseaux, les Caisses d’épargne et La Poste (sans sions d’intérêt général, que tout particulièrement l’argent ainsi
compter le Crédit mutuel pour le Livret bleu), bénéficiaient donc collecté soit de moins en moins centralisé à la CDC, et que du
d’un monopole de distribution du Livret A dans le cadre de ces même coup les financements au profit du logement social se ta-
missions d’intérêt général. Et la CDC était elle-même actionnaire rissent progressivement.
des Caisses d’épargne, à hauteur de 35%. De la sorte, les deux
missions d’intérêt général étaient donc indissolublement liées, Pourtant, à l’époque, le gouvernement a fait la sourde oreille à
tout comme l’étaient les groupes chargés de les assumer. ces critiques. De l’Elysée, où il venait d’accéder, François Pérol
a ainsi été l’un des principaux architectes de cette réforme de la
Mais progressivement, des coups de boutoirs ont été donnés banalisation, qui n’est en fait rien d’autre qu’un formidable ca-
contre ce système très emblématique du modèle d’économie so- deau fait aux banques privées au détriment du logement social
ciale à la française afin qu’il soit, si l’on peut dire, privatisé. et des infrastructures publiques. Quand la réforme a commencé
D’abord, premier coup de boutoir, les dirigeants des Caisses à prendre corps, mille fois le gouvernement a répété qu’on lui
d’épargne ont violé en 2006 le pacte d’actionnaires qui les liait faisait un mauvais procès et que les financements au profit du lo-
à la CDC, pour faire alliance avec les Banques populaires et créer gement social ne diminueraient pas. Et de la parole aux actes !
avec elles la célèbre banque d’investissement Natixis, si grave- Faisant valoir à l’automne 2008 que les sommes collectées sur le
ment mise à mal lors de la crise financière. Dans cette entre- Livret A et le Livret de développement durable (LDD) étaient à

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70% centralisées à la Caisses des dépôts, tous les ministres, en Cette règle est complétée par une autre, comme l’explique le
chœur, ont répété qu’une fois la réforme mise en œuvre, ce taux même rapport de la Cour des comptes : « Pendant la phase 2009-
de 70% serait toujours préservé. En clair, pas un centime ne devait 2011, la centralisation est opérée sur la base d’un raisonnement
être détourné du logement social et de la politique de la ville. en volume et chaque acteur (banques et fonds d’épargne) se voit
On trouve ainsi mention de cette promesse d’un taux de centrali- garantir la préservation du niveau de liquidités dont il disposait
sation à la CDC à hauteur de 70% des sommes collectées dans une à une date de référence. Quant à la sur-collecte globale constatée
cascade de discours. Croix de bois, croix de fer ! Cela ne changera par rapport à la ?photographie ? de départ, elle est redistribuée
jamais... Pour ne parler que d’elle, la ministre des finances, Chris- entre toutes les banques, mais pas au fonds d’épargne auquel est
tine Lagarde, s’y engage, par exemple, à de nombreuses reprises, attribué un plancher de dépôt de 160 milliards d’euros en 2009,
comme en témoigne cet échange, lors des questions d’actualité majoré en 2010 et 2011 d’un ?cœfficient d’indexation ?. Cette
à l’Assemblée nationale, entre elle et le député socialiste Jean- centralisation partielle laisse ainsi à disposition des banques des
Pierre Balligand, le 19 novembre 2008, que l’on peut consulter liquidités supplémentaires, qu’elles doivent employer au finance-
ci-dessous : ment des besoins de trésorerie et d’investissement des petites en-
treprises et des PME et au financement de travaux d’économies
Pour agrandir le document, cliquer sur “Fullscreen” d’énergie dans les bâtiments anciens. »
L’engagement de pérenniser ce taux de centralisation de 70% est Les graves dangers de la réforme sont donc ici clairement expo-
donc gravé dans le marbre. Puisque c’est une promesse solen- sés. Plutôt que de s’engager sur ce taux de centralisation de 70%,
nelle qui engage l’Etat, pourquoi en douter ? Pourtant, ensuite, pourtant promis par le gouvernement, la loi donne seulement un
les choses ne vont pas se passer comme le gouvernement l’avait engagement de centralisation en valeur de 160 milliards d’euros.
promis. Pour dire vrai, pas du tout : tout va même se passer à Et il est prévu que si la collecte sur le Livret A augmente, ce se-
l’inverse. Et conformément à ce que l’on pouvait craindre de- ront les banques privées qui en disposeront.
puis le début de toute cette manigance. En clair, le travail de sape
contre le Livret A et le logement social va se poursuivre. Insidieu- Ce que la loi organise, sans vraiment le dire, c’est donc le si-
sement... phonnage des fonds d’épargne au profit des banques privées et au
détriment du logement social. Il advient donc alors ce qui était
D’abord la loi qui organise la réforme du Livret A ne mentionne dès l’origine prévisible : comme l’établit le tableau ci-dessous, le
pas explicitement ce taux de centralisation de 70%, qui est pour- taux de centralisation au profit de la CDC commence aussitôt à
tant décisif pour l’avenir du logement social. C’est très précisé- baisser spectaculairement tout au long des années 2008 et 2009,
ment décrit dans le rapport public de la Cour des comptes, publié pour finalement tomber à près de 63% en cette fin d’année 2010.
en février 2010, qui consacre au Livret A et aux sommes collec- Alors que la ministre des finances avait juré que cela n’advien-
tées grâce à lui, appelées les fonds d’épargne, un chapitre entier, drait jamais..
que l’on peut consulter ci-dessous :
Cliquer sur le tableau pour l’agrandir
Pour agrandir le document, cliquer sur “Fullscreen”
L’histoire était écrite d’avance ! Le logement social a donc été très
Les dispositions du projet de décret vite le grand perdant de la réforme...
Ce chapitre du rapport de la Cour des comptes, que l’on peut aussi Mais après cette période provisoire, il était donc d’emblée prévu
consulter sur le site Internet de l’institution, explique en effet très que de nouvelles règles du jeu, définitives celles-là, intervien-
précisément les nouvelles règles de centralisation des fonds. Ces draient à compter de début de 2012. Ce sont donc ces nouvelles
règles (expliquées page 353) prévoient deux phases : une période règles que contient ce projet de décret élaboré par le ministère
transitoire de 2009 à 2011, puis des règles du jeu définitives à des finances. Ce projet de décret doit faire l’objet de concertation
partir du début de 2012. avec toutes les parties concernées par ce dossier. En particulier,
Durant la première phase, la règle est la suivante : « La loi de il devrait être soumis dans les prochaines semaines pour avis à la
modernisation de l’économie dispose qu’une ?quote-part du total Commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consigna-
des dépôts collectés au titre du livret A et du livret de dévelop- tions, avant que François Fillon, d’ici quelques mois, n’en arrête
pement durable est centralisée par la Caisse des dépôts dans le la mouture définitive.
fonds d’épargne ?. Cette quote-part est au moins égale au mon- Ce projet de décret, le voici :
tant des prêts consentis par la Caisse des dépôts pour le logement
social et la politique de la ville, affecté d’un cœfficient de 1,25. » Pour agrandir le document, cliquer sur “Fullscreen”
En clair, nulle mention d’un taux de centralisation de 70% ! Il est En même temps que ce projet de décret, le ministère des finances
juste instauré une sorte de taux plancher, prévoyant que la centra- a publié une note explicative que voici :
lisation à la CDC des sommes collectées par le Livret A sera au Pour agrandir le document, cliquer sur “Fullscreen”
moins égale à 125% des prêts consentis par la même CDC pour
le logement social et la politique de la ville. Une disposition mi-comique mi-insultante

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Comme on peut le constater, ce projet de décret est proprement Cliquer sur l’image pour l’agrandir
illisible. En fait, il institue une véritable usine à gaz. Pour sim- Et la Cour commente : « Selon les projections établies par le
plifier, il prévoit en substance que le taux de centralisation de la fonds d’épargne, l’encours total des prêts atteindrait ainsi 148
collecte à la Caisse des dépôts sera figé autour de 65%. milliards d’euros dès la fin 2013, dont 133 milliards d’euros pour
Dans ce projet, les banques sont donc les grandes gagnantes du le logement et la politique de la ville et 15 milliards d’euros pour
dispositif. Il est seulement prévu que si la collecte augmente de les ?nouveaux emplois ?. Ces éléments font craindre qu’à comp-
moins de 2% par an, un mécanisme de garantie équivalent à 2% ter de 2012 ou 2013, le fonds soit confronté à un dangereux mé-
sera apporté à la Caisse. Si la collecte varie entre 2% et 3% par an, canisme de ciseaux entre les prêts en forte progression et les res-
rien ne devrait changer : le taux de centralisation resterait autour sources à vue disponibles. »
de 65%. Et si le taux de progression dépasse 3%, alors toute la CQFD ! Le financement du logement social, du fait du siphon-
sur-collecte profiterait... aux banques privées ! Du même coup, la nage opéré par les banques privées, est en grave danger car, dès
centralisation à la CDC reculerait donc en deça du taux, pourtant 2013, si l’encours des prêts atteint 133 milliards, le taux plan-
déjà préoccupant, de 65%. cher des 125% exigerait que la centralisation soit au moins de
Comme on le voit, le mécanisme est passablement fumeux mais 166 milliards d’euros, soit... au-dessus des 160 milliards garan-
a été dessiné pour jouer à l’avantage des banques, et au détriment tis. Et la Cour poursuit : « Le plafonnement de la centralisation
de la Caisse. Au passage, l’engagement solennel de Christine La- du livret A et du livret de développement durable à 160 milliards
garde de garantir le taux de 70% est passé aux oubliettes. Il faut d’euros dans le cadre de la loi de modernisation de l’économie
lire l’article 4 de ce projet de décret pour le croire. Il affiche en constitue d’ores et déjà une contrainte jusqu’en 2012, qui laisse
effet toujours l’ambition de revenir à terme à ce taux de centrali- au fonds d’épargne une marge de manœuvre de seulement 10 mil-
sation de 70%, mais il prévoit si ce n’est pas le cas des mesures liards d’euros. Au-delà, l’équilibre dépendra du taux de centrali-
dont on ne sait si elles ont été conçues pour être... comiques ou in- sation qui sera arrêté à la fin de 2011. »
sultantes ! La seule mesure prévue, en effet, si l’engagement n’est Concrètement, une remontée du taux de centralisation à 70% de
pas tenu, c’est la confection... d’un rapport. « A partir du 1er mai la collecte est une urgence dans les prochaines années, si l’on
2017, si, pendant plus de 12 mois consécutifs, la quote-part men- veut que le financement du logement social ne soit pas remis en
tionnée à l’article 1, est inférieure au taux de référence de 70%, cause. Et beaucoup d’experts estiment que ce taux devrait tendre
alors un bilan du dispositif de centralisation de l’épargne régle- à terme vers les 76 ou 78%. Cela semble d’autant plus indispen-
mentée et de financement du logement social est établi par le mi- sable que les fonds d’épargne financent donc aussi, à la demande
nistre chargé de l’économie. Ce bilan donne lieu à un rapport qui du chef de l’Etat, des très grands travaux (infrastructures, uni-
est rendu public dans les 6 mois », lit-on. On imagine sans peine versité...), qui portent parfois sur des emprunts allant jusqu’à 40
que les banquiers à qui Bercy veut faire un aussi beau cadeau ont ans, et que les banques privées se refusent de porter. Au travers
dû exploser de rire en prenant connaissance d’une aussi grave me- des fonds d’épargne, la Caisse des dépôts a donc une formidable
nace. Pour 2018, ils sont placés sous la gravissime menace... d’un manne pour jouer sa mission d’intérêt général : assurer les finan-
rapport. Terrifiant ! cements de long terme dont le pays a besoin, et dont les banques,
Pour se convaincre de l’extrême nocivité que ce décret pourrait le plus souvent focalisées sur des opérations de court terme, se
avoir, s’il était pris dans cette mouture-là, il suffit de poursuivre désintéressent.
la lecture de ce rapport de la Cour des comptes. D’abord (à la François Pérol, entre contre-vérité et mépris
page 357), il démontre méticuleusement que les besoins du lo-
gement social ne cessent de progresser : « Les prêts sur fonds Qui financera ainsi la liaison TGV Lyon-Turin, le jour où le vrai
d’épargne représentaient 93,5 milliards d’euros en 2005 et 104 coup d’envoi en sera donné ? Qui financera les projets du Grand-
milliards en 2008, soit une progression de plus de 11%. La re- Paris ? Comme on le comprend, l’enjeu des fonds d’épargne est
lance de la construction de logements sociaux a conduit à ac- décisif pour le logement social, mais est encore bien plus lourd
croître l’encours des prêts portés par le fonds d’épargne sur ce que cela. D’où les extrêmes dangers de ce projet de décret.
secteur. Celui-ci est ainsi passé de 84,3 milliards d’euros à 94 Les mesures visibles contenues dans ce projet risquent donc
milliards en 2008. » Mécaniquement, le taux plancher de 125% d’avoir des conséquences gravissimes. Mais il y a aussi le non-
prévu par la loi ne cesse donc d’augmenter. dit de ce décret. La première menace de ce type porte sur le pla-
Mais les besoins du logement social sont encore beaucoup plus fond de dépôt autorité sur le Livret A. Actuellement, il est fixé
considérables que cela, pour les années futures, et la Cour des à 15.300 euros (rémunérés à 1,75% depuis le 1er août dernier).
comptes dresse à ce sujet une véritable alerte : il faut radicale- Mais comme ce plafond de dépôt est inchangé depuis 1991, on
ment changer les règles du jeu sauf à laisser péricliter le logement peut légitimement penser qu’il sera un jour relevé. Et dans ce cas,
social. la collecte complémentaire ira directement, encore et toujours,
dans les caisses... des banques.
A l’appui de sa démonstration, la Cour des comptes produit ce
graphique, que l’on peut consulter ci-dessous : Un ultime danger, enfin, doit être mentionné. C’est Jean-Pierre

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Gasparotto, le très pertinent responsable CGT de la Caisse des dé- fait valoir.
pôts et consignations, qui le pointe dans un communiqué de son Or, ce dernier argument est en fait... un mensonge. Car si avec
organisation (que l’on peut télécharger ici dans sa version inté- l’argent du Livret A, les banques ont pu majorer leurs placements
grale ) : « Quant à la Commission européenne, si elle a bien exigé spéculatifs et arrondir leurs profits, sur le dos du logement social,
du gouvernement français, en 2007, l’ouverture de la distribution les entreprises n’y ont presque rien gagné. Créé à l’occasion de
du livret A à tous les établissements de crédit, elle n’a pas remis cette réforme du Livret A et placé sous la tutelle de la Banque
en cause le principe de centralisation à la Caisse des dépôts et a de France, l’Observatoire de l’épargne réglementée (dont le site
même confirmé que ce système de financement du logement social Internet est ici) l’établit de manière catégorique dans son dernier
constituait un service d’intérêt économique général (SIEG). Ainsi rapport, que l’on peut consulter ci-dessous :
aux yeux de la Commission européenne, la remise en cause tant de
la centralisation intégrale du livret A que de son emploi principal Pour agrandir le document, cliquer sur “Fullscreen”
dans le financement du logement social constituerait immanqua- Ce rapport pointe en effet ce paradoxe : «D’après les données
blement un détournement de ce SIEG. » En clair, à trop faire le recensées par l’Observatoire de l’épargne réglementée, les fonds
jeu des banques, le ministère des finances prend le risque de faire restant au bilan des établissements de crédit ont augmenté de 12,4
imploser tout le système, qui ne serait alors plus conforme aux milliards d’euros entre fin 2008 et fin 2009. Les encours de prêts
règles européennes. aux PME ont, quant à eux, progressé de 6,4 milliards d’euros au
Pour arracher un projet de décret à ce point favorable, le lobby cours de la même période. » En résumé, les banques ont gardé
des banques n’a pas ménagé sa peine. Ancien secrétaire géné- pour elles 6 milliards d’euros. Un pactole dont a été privé le loge-
ral adjoint de l’Elysée, et actuel patron de BPCE, François Pérol, ment social et qui pour autant n’est pas venu financer les PME...
qui est aussi le président de la Fédération bancaire française, a Allez vous étonner ensuite que les banques affichent des profits
ainsi couru ces dernières semaines micros et caméra pour dire mirobolants !
avec morgue tout le mal qu’il pense de la Caisses des dépôts Cette guerre contre l’intérêt général que mène François Pérol est
et consignations et des missions d’intérêt général dont elle a la d’autant plus choquante qu’il doit donc son poste... au chef de
charge. Participant à un colloque au ministère des finances, le l’Etat, qui l’a promu à la présidence de BPCE dans les conditions
15 novembre, il a ainsi osé, selon le magazine Challenges (daté tourmentées que l’on sait : pour les conditions de son « pantou-
du 18 novembre, page 106), critiquer la centralisation des fonds flage », il fait désormais l’objet d’une information judiciaire pour
d’épargne par la Caisse, « même si cela s’avère utile pour occuper prise illégale d’intérêt.
ses équipes ». Invraisemblable mépris d’un ancien collaborateur
Quoi qu’il en est soit, la partie n’est pas encore jouée. Car ce
du chef de l’Etat, qui, au mépris du code pénal, passe dans le
décret va maintenant faire l’objet d’une concertation. Or, de nom-
privé, et ensuite tourne en dérision les hauts fonctionnaires qui
breux protagonistes du dossier poussent, eux, dans le bon sens.
continuent de s’occuper de la chose publique...
Dans un entretien à Libération , le 9 novembre , le directeur
Mais il n’y a pas eu que le mépris. L’ancien bras droit de Nico- général de la Caisse, Augustin de Romanet, a lâché ce qui devrait
las Sarkozy a aussi multiplié les contre-vérités, faisant croire que être une évidence : « L’argent du Livret A est un bien public. »
l’argent remis aux banques servait à financer l’économie. Présen- Et dans La Tribune , le 22 novembre, il a ajouté : « La Caisse
tant les résultats financiers de BPCE, le 9 novembre, il a ainsi fait des dépôts n’a aucun intérêt financier dans le débat en cours,
de longues digressions, dont la presse s’est fait l’écho (voir par car l’intégralité du résultat du fonds d’épargne est rétrocédée à
exemple ici). «Je suis de ceux qui pensent que le bon choix éco- l’Etat. »
nomique de long terme, c’est celui du financement des entreprises
Enfin, dans sa déclaration de politique générale, le 24 novembre
et donc d’un taux de centralisation qui permette le financement
(elle est ici ), François Fillon a semblé lui-même être insensible
du logement social, mais pas plus », s’est-il exclamé. Précisant sa
au lobbying de mauvaise foi de François Pérol et attaché aux mis-
pensée, l’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy s’est dit favorable
sions d’intérêt général portées par la Caisse des dépôts : « Nous
à un taux de centralisation «le plus bas possible », jugeant qu’«il
avons le devoir d’offrir à nos entreprises des financements de long
n’y a aucune utilité à permettre (à la CDC) de faire plus ».
terme pour soutenir leur développement. Nous devons orienter
Une véritable déclaration de guerre, donc. Sur BFM, le 3 dé- l’épargne sur l’investissement de long terme et notamment en ac-
cembre (on peut l’écouter ici ), il a accueilli le projet de décret tions, et sur les projets d’intérêt général. Plutôt que d’alimenter
avec dédain, faisant valoir que le taux de 65% permettait de finan- des bulles spéculatives, c’est là que l’ingénierie financière doit
cer « très largement, très largement » le logement social. « C’est s’employer au soutien de l’économie réelle et de l’emploi. »
une erreur de ne pas laisser aux banques la disposition d’une par-
En résumé, c’est un très dangereux projet de décret. Mais il fait
tie des dépôts qu’elles collectent sur le Livret A », a-t-il lâché. En
débat jusque dans les rangs de la droite. La partie n’est donc pas
contrepartie de l’argent qu’elles conservent, les banques ont des «
encore jouée. Ni l’intérêt général enterré...
engagements de financement des PME qu’elles tiennent » , a-t-il

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