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© AFNOR Éditions 2009


ISBN 978-2-12-465157-3
Couverture : création AFNOR Éditions – Crédit photo © 2009 JupiterImages Corporation
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laquelle elles sont incorporées (Loi du 1er juillet 1992 - art. L 122-4 et L 122-5, et Code
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Sommaire

Remerciements....................................................................................... IX
Prologue.................................................................................................. XI

Introduction – Un manager peut en cacher en autre ......................... 1

Partie I
Les Autres : quel fléau !

1 Tous des nuls !................................................................................ 13


1.1 À l’écoute pour libérer l’expression ..................................... 16
1.2. Transférer le savoir et diffuser l’information........................ 18
1.3 Encourager pour nourrir la reconnaissance .......................... 20
1.4 Fixer des objectifs clairs pour favoriser la progression ........ 22
1.5 Le manager positif ................................................................ 24

2 Incompétents, vous dis-je ! ........................................................... 27


2.1 De l’aptitude à la compétence............................................... 29
2.2 Le cadre méthodologique des référentiels ............................ 34
2.3 Construction d’un référentiel en version complète............... 38
2.4 Exemples de différentes versions.......................................... 41
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VI Le Manager positif

3 Celui-là, c’est une erreur de recrutement !................................. 49


3.1 Rompre avec la préhistoire ................................................... 50
3.2 Initier une procédure collégiale ............................................ 52
3.3 Conduire un entretien de recrutement .................................. 55
3.4 Évaluer et comparer les candidats ........................................ 59
3.5 Analyser la performance du recruteur .................................. 64

4 Ah, les jeunes !............................................................................... 67


4.1 Les jeunes… mais quels jeunes ? ......................................... 69
4.2 « J’avais fait un projet… Je te le dis tout bas… » ................ 72
4.3 Des compétences oui, mais relationnelles !.......................... 75
4.4 Des attentes, oui mais pas de devoirs ................................... 77
4.5 Préparez vos questions.......................................................... 79

5 Ah, les vieux !................................................................................. 83


5.1 Des jeniors dévalorisés ......................................................... 85
5.2 Les compétences des jeniors................................................. 91

6 Ils ne comprennent que la force !................................................. 101


6.1 Une démarche méthodique pour…....................................... 103
6.2 Une nécessaire formation au dialogue.................................. 110
6.3 Une subtile intégration des contraires .................................. 111
6.4 Une méthode d’usage universel............................................ 112

7 Ah, les nouveaux, faut tout leur dire ! ......................................... 115


7.1 Réussir l’accueil des nouveaux embauchés.......................... 116
7.2 L’organisation accueillante ................................................... 126
7.3 L’accueil comme compétence ............................................... 129
7.4 Accueil et management ........................................................ 131
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Sommaire VII

Partie II
Et Moi, et Moi !

8 Ah, si je savais me ménager !........................................................ 139


8.1 Apprenez à vous détendre..................................................... 140
8.2 Devenez de plus en plus positif ............................................ 149

9 Heureusement que je suis là !....................................................... 157


9.1 Les compétences du manager positif .................................... 159
9.2 La pratique du management positif ...................................... 166

10 Bah, encore une réunion !............................................................. 173


10.1 Premier impératif catégorique : la préparation ..................... 175
10.2 Deuxième impératif catégorique :
mobiliser l’intérêt d’autrui.................................................... 181
10.3 Troisième impératif catégorique :
conduire et conclure.............................................................. 189

11 Comment faire mieux sans moyen ? ............................................ 193


11.1 Des compétences interpersonnelles ...................................... 194
11.2 Un « réseau deux en un »...................................................... 197
11.3 Le référentiel des compétences relationnelles ...................... 200
11.4 La qualité comme compétence démonstrative ...................... 205
11.5 La communication et la qualité............................................. 207

12 Sans foi ni loi ! ............................................................................... 211


12.1 En quête d’un management éthique...................................... 212
12.2 Vers une typologie managériale ............................................ 216

Conclusion – Manager : une profession de foi .................................... 235

Bibliographie.......................................................................................... 239
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Remerciements

Aux Autres qui m’ont fait Moi :


mes parents, ma famille,
Pierre et Alexandre,
des êtres aimés et haïs,
mes maîtres, mes modèles,
mes amis, mes ennemis,
dirigeants et salariés.
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Prologue

La folle journée
de Jacques Dubloc
Je ne descends pas travailler, je descends m’amuser !
Youssef Chahine, cinéaste égyptien

Coincé dans les embouteillages d’une grande métropole située quelque part
entre Lille et Marseille, à Lyon, à Nantes, à Toulouse ou peut-être à Bordeaux,
bref dans un enfer automobile qui rivalise avec la région parisienne, Jacques
Dubloc est furieux, tous les poils hérissés comme un chat face à une meute de
chiens enragés. Les guirlandes de Noël qui longent son parcours ne peuvent en
rien adoucir son courroux.
Il est parti dix minutes en retard par rapport à son horaire habituel après avoir
interprété son jeu1 favori « J’ai perdu mon portefeuille ». Il a cherché partout,

1. Éric Berne en décrit toute une collection dans Des jeux et des hommes (Stock). Sans le
savoir, le lecteur joue à « Voyons voir si ça m’intéresse ! » et l’auteur à « Nulle part
ailleurs ». Le jeu est une situation de communication récurrente qui suppose trois joueurs,
un persécuteur (ici Jacques), une victime (ici sa femme) et un sauveteur (ici, Zoé-Li) la
petite fille du couple qui retrouve le portefeuille. L’objectif est d’obtenir son content de
stimulations émotionnelles, bénéfice principal (à la fois négatif et positif) qui solde le jeu
avant d’en inventer un nouveau.
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XII Le Manager positif

réveillé le voisinage, hurlé après la maisonnée, fait pleurer bébé, miauler


Poussy (le chaton) et aboyer le caniche (Djebel), retourné le canapé, vidé les
tiroirs et parcouru au pas de course moult allers-retours entre sa chambre et son
garage pour finalement s’apercevoir – après un énième arrêt aux toilettes –
qu’il avait « Bon dieu, mais c’est bien sûr ! » caché ce satané objet derrière le
pare-soleil côté passager… pour être certain de ne pas l’oublier ! Au même
instant, Zoé-Li le rassure en hurlant « Papa j’ai trouvé ! »
Il reste quinze kilomètres. Il vient d’avancer (est-ce vraiment le terme ad hoc
tant il a l’impression de faire du surplace ?) de trois cents mètres en un quart
d’heure. D’habitude c’est le temps nécessaire pour le trajet complet. En outre,
une fine pluie neigeuse colle au pare-brise empêchant les essuie-glaces de
fonctionner correctement côté face tandis que la buée s’immisce côté pile. Plus
il frotte avec le revers de sa main plus la glace s’encrasse et la crasse se glace.
Bientôt sa vision est obscurcie par un film d’une purée marronnasse qui s’étale
à chaque balayage. Il a beau pester, tempêter et râler, tout se ligue contre lui ce
matin !
À l’arrivée, sa place de parking habituelle est occupée. Il est obligé de faire
trois fois le tour du pâté de maisons avant de pouvoir s’immiscer dans un
emplacement aux trois quarts vacants. Le moteur hoquette puis cale : la jauge
à essence est à zéro et il est en panne sèche, un comble. L’autre quart est obtenu
à la force du poignet moyennant cinq minutes supplémentaires pour effectuer
la manœuvre en douceur en évitant de rayer la carrosserie, la sienne
évidemment, à l’avant comme à l’arrière depuis que les pare-chocs de combat
ont laissé la place à des gorges profondes et à des poupes fragiles qui détestent
les flatteries osées par un automobiliste malhabile.
Il lui faut encore cinq minutes de marche accélérée avant de faire irruption,
dans le hall, ruisselant de pluie et la mine d’un bouledogue, sans un bonjour
pour le vigile qui lui sourit comme d’habitude. Il badge en s’y reprenant à trois
fois en expectorant une litanie de jurons sacrificiels qu’il écrabouille entre ses
dents.
Il y a foule devant la batterie d’ascenseurs et il joue des coudes pour gagner
quelques places en bougonnant. Il a le temps de s’ébrouer comme le chien
fourbu et mouillé qu’il est devenu, avant d’arriver à son étage par cet omnibus
qui s’arrête à tous ceux qui le précèdent.
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Prologue XIII

Il déboule dans le couloir en devançant une vieille taupe à l’œil torve qui
travaille dans un bureau voisin. Il presse le pas, les mâchoires crispées par le
stress alors qu’un regard incrédule à la pendule lui signifie par un cliquetis une
mauvaise demi-heure de retard. Il heurte un collègue qui le croise en le hélant
« Eh Jacques, t’as l’air bien pressé, y’a pas le feu au lac ! ». Mort de rire, mais
une autre fois peut-être : il réprime une invective en expectorant, de sa gorge
asséchée par une incoercible angoisse, un vague borborygme.
Devant son bureau, un visiteur l’attend alors qu’il lui faut encore s’y reprendre
rageusement à deux fois avant de réussir à insérer son badge dans la fente à la
vitesse requise pour que la chevillette choit sous les yeux de sa secrétaire
effarée. La première chut pendant que la seconde se tut en lui tendant un
dossier : « Ca va merci » lâche-t-il sans un regard puis, se tournant vers
l’importun chenu : « Et vous que voulez-vous ? J’ai pas le temps ! » balance-
t-il, l’œil furibard en furetant dans le dossier qui vient de lui échoir.
« Mais… », ose le vénérable. « Y’a pas de mais, je file en réunion ! » tranche
Jacques, soudain misérable en s’apercevant qu’un de ses verres de lunettes a
été cassé dans une des bousculades précédentes. Sous le poids du destin qui
l’accable, il expire un râle à fendre les cœurs les plus durs, mais alentour
personne ne compatit.
Il entre en catimini, inutile de s’excuser, le boss ne le supporterait pas. Il se
glisse vers une chaise libre en bout de table alors que le cinquième slide est
commenté en karaoké par le boss qui rajoute quelques ornements de péro-
raison habituelle sur l’avenir du groupe, l’incontournable développement
durable, notre responsabilité sociétale et les répercussions de notre action dans
le temps et dans l’espace alors que le sixième slide croque la norme 26000 en
quelques formules incantatoires en insistant sur les droits humains fonda-
mentaux que « notre entreprise citoyenne respecte évidemment depuis
longtemps ». Jacques se sent à moitié rassuré pendant qu’il réprime une pensée
sauvage qui lui traverse l’esprit et se bouscule au bord de ses lèvres : « Mais
nous ne pratiquons pas l’esclavage que je sache ! ». Il vient de lire l’autre
Jacques, Attali, qui affirme sans sourciller que le salariat est un travail forcé
qui a succédé à l’esclavage, ou pour respecter l’auteur, le monde moderne a
inventé « un travail un peu plus libre que l’esclavage ou le servage : le
salariat »2.
Le dernier slide est ponctué par un truisme : « Voilà, vous savez tout sur la
norme 26000. J’insiste sur le fait que le management, pour être à la hauteur

2. Jacques Attali, Une brève histoire de l’avenir, Fayard, Livre de Poche, 2006, p. 51.
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XIV Le Manager positif

des enjeux qui nous attendent et des défis que nous devons relever dans le
cadre concurrentiel de la globalisation, doit concourir au développement
personnel de chacun. Cet objectif me semble plus accessible que les autres
préconisations sur lesquelles nous avons en fait peu d’action, grâce à
l’entretien professionnel notamment, dont vous êtes les maîtres d’œuvre. Nous
devons donc fonder un management positif qui se manifeste dans toutes vos
relations à chaque seconde d’une journée de travail qui doit ainsi devenir un
plaisir pour ceux qui vous entourent. Prenez exemple sur Google ! Des
questions ?… Non ? Alors vous pouvez retourner manager vos troupes en
gardant cette dernière maxime en tête : montrez-vous résolument po-si-
tifs !… »
Ouf, pile à l’heure… Voici comment une réunion bien gérée, respectant le
temps de début et finissant de même, permet de recaler un cadre surmené dans
son emploi du temps.
Regonflé par les fortes paroles du boss et ayant rattrapé son retard, Jacques
croise dans les couloirs ses collègues et collaborateurs qui, bizarrement, ont le
visage fermé ou détournent les yeux sur son passage. « Mais qu’est ce qu’ils
ont tous ? » Sa réflexion lui apporte la réponse : la bousculade matinale a fait
des dégâts dans son réseau relationnel et il doit maintenant se forcer à repriser
la toile par un bonjour sonore assorti du nom de chacun et d’un large sourire.
L’expérience lui montre qu’il s’avère plus facile d’être et rester négatif que de
restaurer la confiance : le management positif ne se décrète pas. Il faut s’y
préparer avant d’entrer en scène et mettre en œuvre un ensemble de compé-
tences cumulatives qui se démontrent dans le comportement : le moindre
impair se paie cash apparemment, rumine-t-il en s’installant à son bureau.
Il continue son chemin de Damas, qui croise celui des dames, en retrouvant
Christine. Elle possède cette caractéristique touchante des petits chats blessés
qui gémissent et se bloquent toute la journée quand ils sont abandonnés sans
leur dose de caresses. Il consacre donc quelques instants à demander des
nouvelles de ses enfants, propose un café, poursuit par quelques banalités pour
remettre la machine en route. Mais, à ce régime, les chatons ronronnent plus
facilement. Il doit supporter la méchante humeur de sa secrétaire qu’il a
déclenchée au premier contact du matin et se prend à rêver d’avoir un secré-
taire homme, comme c’est souvent le cas dans les administrations et jusqu’à la
mairie de Paris. Pour cela il convient de masculiniser le mot, mais peut-on dire
un secrétaire, sans « e » ? Il efface bien vite cette idée en se souvenant du
discours du boss.
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Prologue XV

Manifestant un comportement résolument empathique et bienveillant, les


sourcils en alerte et la bouche entrouverte, il se met en devoir de positiver les
jérémiades et récriminations de Christine. Une fois le flot écoulé, il trace, avec
son avis puis son accord, les grandes lignes du travail à venir afin de déléguer
les tâches qui peuvent l’être et dans lesquelles son bras droit excelle. Encore un
masculin qui refuse toute féminisation ! Jacques prend donc le temps de
motiver sa plus proche collaboratrice en prenant grand soin de lui expliquer ce
qu’il attend d’elle, en recueillant son avis tout en reconnaissant la validité de
ses suggestions puis en la félicitant pour ses initiatives…
Ensuite, avec le sentiment d’avoir avancé d’une case dans la voie déterminée
par la conférence du matin, il prend quelques instants pour réfléchir et se
remettre en énergie à l’aide de quelques inspirations qui doivent dorénavant
inspirer sa conduite. Les bienfaits de cette séquence de brainpiercing3 sonnent
la fin du premier acte de la comédie du jour dont il tire quatre règles
essentielles qui doivent être autant de balises dans son itinéraire vers la qualité
managériale :
– règle n° 1 : il doit désormais prendre soin de se ménager afin de manager
les autres ;
– règle n° 2 (elle apparaît à la lumière de son entretien avec sa secrétaire) : il
lui faut constamment stimuler le « pire4 » pour avoir le meilleur de ceux qui
l’entourent ;
– règle n° 3 (elle découle de la séquence catastrophe qu’il vient de vivre) : il
faut savoir se remettre en cause et changer de comportement pour rattraper
ses erreurs relationnelles ;
– règle n° 4 : il faut prendre le temps de communiquer, de faire exprimer et
d’écouter pour faire adhérer et motiver autrui.
Cependant il sait que sa folle matinée a laissé d’autres traces et il va lui falloir
recoller les morceaux. Il commence par mettre ses idées en place et, pour les
consolider, concocte un haïku5 coquin « Matin malin, nid de satin, minuit
câlin »… En attendant, il a rendez-vous avec le boss dans son antre. Après

3. Brainpiercing, littéralement « incrustation mentale » : cette méthode anti-stress fait l’objet


d’un chapitre parce que le management positif passe par le ménagement de soi, l’antici-
pation mentale et la visualisation des situations redoutables.
4. À découvrir dans le premier chapitre pour faire Progresser, Informer, Reconnaître, faire
Exprimer.
5. Court poème composé chaque matin par les Japonais et dont Maurice Coyaud rend compte
dans Fourmis sans ombres, Libretto, 2000.
AF_LMP_1res.fm Page XVI Vendredi, 24. octobre 2008 11:39 11

XVI Le Manager positif

avoir rassemblé ses idées, compulsé le dossier, branché le haïku, il s’y rend
d’un pas ferme et délibéré, les épaules larges et les joues pleines pour s’emplir
d’assurance. Il est à peine surpris par l’injonction frappée du sceau du
management positif enjoint lors de la réunion matinale :
– Alors Dubloc ! Encore en retard ?
– Bonjour, Monsieur ! Le dossier est prêt. Le voici. Une première feuille vous
résume l’ensemble en trois tableaux et un schéma. D’un seul coup d’œil vous
avez tous les éléments… Le reste, je m’en charge. Des questions ? termine-t-il
doucereux…
Un ronchonnement flaubertien lui répond assorti d’un geste coupe-vent.
« Bonne journée, Monsieur le directeur ! »
Sobre et efficace, aller à l’essentiel, posément, brièvement, c’est ce qu’il
demande toujours, en plus il a horreur des excuses : 15 secondes chrono pour
un compte rendu, des faits, des actes, des preuves, des graphiques et pas d’états
d’âme. Jacques se souvient du portrait éclair que lui avait fait le chasseur de
têtes qui l’avait présenté à son patron : « Il est comme Flaubert, il rognonne, il
maugrée, il grogne, il ronchonne même contre lui-même ».
L’entretien est terminé aussi vite que prévu. Il reste à Jacques quelques minutes
à consacrer aux affaires domestiques en suspens. Chacun sait qu’il adore les
histoires de robinet. Il doit appeler le plombier car, ce matin encore, un lavabo
fuyait : un mètre cube tous les deux jours et depuis deux semaines qu’il essaye
de le joindre… À trois euros cinquante le mètre cube, la note devient vite astro-
nomique, ou plutôt salée, même si c’est de l’eau douce. Tiens, cette fois
l’homme de l’art ne fait pas sa tête, il décroche rapidement et propose après les
salutations d’usage « Bon, peut-être que je pourrais venir cette semaine ?… ».
S’enchaîne alors la séquence apprise à l’avance, conclue sur un rendez-vous
ferme, noté sur les agendas respectifs, pour jeudi matin à 9 heures « Oui, ma
femme sera là. À propos vous penserez aussi à amener un raccord de 12 pour
le tuyau d’alimentation du chauffe-eau… ». Un « Merci beaucoup » sonore,
assorti d’un suave « Je compte sur vous pour jeudi, 9 heures » termine
l’échange. Jacques envoie illico un mail de confirmation pour se mettre en
conformité avec l’un des théorèmes de base de la communication : l’infor-
mation, pour être retenue, doit être ternaire et bimodale6.
Maintenant l’assurance, pour les lunettes cassées. Il écoute un certain Ludovic
après la série classique « Nos bureaux, tapez 1… Pour vous assurer, tapez 2 ;

6. Ce théorème C = 3 × 2, est exposé au chapitre 7.


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Prologue XVII

pour un sinistre, tapez 3 ; pour une opératrice… », « Ah, non, Monsieur –


précise l’opérateur – nous ne remboursons pas les verres cassés, seulement le
changement de lunettes… Oui, complet, verres et monture… Oui c’est ça ! ». Il
taperait bien sur l’opérateur mais il sait qu’il vaut toujours mieux suivre le
conseil des experts plutôt que de récriminer hâtivement. En outre Jacques a
aussi gagné du temps en écoutant, sans contester. Il ne lui reste plus qu’à
appliquer la marche à suivre avec l’opticien qui facturera donc un verre au prix
de la paire de lunettes complète. Absurde mais cela explique bien le « trou de
la Sécu ».
Reste à chercher de l’essence : la tournée des popotes rapidement effectuée
auprès des collègues de bureau permet de trouver le jerrican et son proprié-
taire, qui se fait un devoir d’accompagner Jacques à la voiture en panne. Les
malheurs d’autrui sont toujours un régal pour ceux qui, une fois par an, ont
l’occasion de jouer les bons samaritains… Jacques joue le jeu et raconte ses
aventures depuis le matin à son chauffeur qui s’esclaffe à chaque embrouille.
Il le dépose mort de rire avec un « Toi alors ! » incrédule, et s’empresse
d’officier.
C’est maintenant l’heure de déjeuner. Jacques doit récupérer le superviseur
japonais et ses adjoints pour aller déjeuner au restaurant qui sert de cantine à
sa société. Ils attendent déjà dans le hall et saluent Jacques Dublocsan avec les
courbettes d’usage en échangeant implicitement leurs haïkus dans un sourire
convenu. Les Japonais s’attablent avec force précautions. Ils prennent chacun
une demi-douzaine de serviettes en papier qu’ils déploient savamment devant
eux : du col jusqu’à la ceinture. Jacques pouffe intérieurement. Il a tort.
« Étonnant tout de même que leur technologie n’ait rien inventé à ce sujet »,
pense-t-il, amusé. Les hors-d’œuvre sont déposés prestement par une serveuse
qui interrompt la leçon d’anglais hésitant entre les convives. Jacques rit sous
cape, rajuste ses lunettes branlantes d’une main et, de l’autre, saisit avec sa
fourchette une rondelle de tomate. À bonne hauteur, celle-ci choisit la liberté
et retombe dans son assiette, comme Ariane un jour d’envol raté. Un superbe
« splash », ponctué d’un concert de « Ho !!! » dont l’écho se répercute en
plusieurs langues. Les Japonais, protégés et indemnes, imperturbables comme
à leur habitude, après une salve d’absolutions « Domo arrigato, Jacques
Dublocsan… », renouvellent leur batterie de serviettes et Jacques n’a plus
qu’à s’empresser, après mille « Sorry ! », au plus proche magasin de vête-
ments changer sa panoplie : chemise, cravate, costume, pochette de soie, tous
dégoulinants de sauce vinaigrette et d’un brin de persil pour la déco.
AF_LMP_1res.fm Page XVIII Vendredi, 24. octobre 2008 11:39 11

XVIII Le Manager positif

L’après-midi de travail s’annonce sous les meilleurs auspices avec un projet


qui n’avance pas et des collaborateurs – meilleurs orateurs que collabos – qu’il
faut motiver et encourager tour à tour… Jacques s’en sort plutôt bien : il a su
contenir son impatience, manifester activement son écoute et encourager, par
un mot, pour obtenir le meilleur de chacun.
À dix-sept heures, une autre journée commence : il faut trouver un teinturier,
passer chez l’opticien puis remettre la voiture en route, filer à l’aéroport récu-
pérer la fille prodigue avant de rentrer à la maison. Curieusement tout se passe
bien. Chacun a l’air ravi de le voir et s’acquitte de sa tâche en un clin d’œil.
Complices ? En passant devant le marchand de vins, il décide de s’offrir une
bouteille de Beaujolais nouveau et tester l’aura positive du jour enfin
retrouvée. Le marchand le reconnaît, le salue, vient jusqu’à lui :
– Votre Beaujolais est une véritable merveille !
– Il m’en reste juste deux bouteilles, vous en voulez une ?
Il va quérir le nectar. Jacques tend un billet froissé de 5 euros et cherche les
50 centimes manquants. Le commerçant se fâche presque :
– Vous me vexeriez, c’est cadeau !
– Ah bon, merci bien !
Tout guilleret de ces quatre succès consécutifs, Jacques s’élance vers
l’aéroport quérir la grande fille qui a décidé de faire ses études à l’étranger. La
foule des grands jours se presse et le plan Vigipirate est en phase ultime. Des
fourgons de CRS à la place des taxis, des voitures de police en épis, les
hommes du Raid sur les toits. Des couples de cerbères en armes partout :
personne n’entre dans le hall d’entrée sans son ticket d’avion. Dans la cohue,
Jacques reconnaît un ami et l’aide à porter ses valises jusqu’à la porte d’accès.
Une mitraillette, qui ressemble à celle que son neveu voulait l’année dernière,
lui barre la route. « Mon ami est souffrant, je l’aide à porter ses bagages ». Le
garde réitère son injonction. Jacques insiste gentiment. Après cinq secondes de
silence ponctuées par un regard soutenu entre les deux hommes, et alors que la
file commence à s’allonger, l’arme s’abaisse tandis qu’un signe du vigile sert
de laisser passer. Le second militaire laisse faire et fait mine d’être d’accord.
Les deux amis déambulent en devisant jusqu’au prochain contrôle. Ils se
saluent en se souhaitant bon voyage et Jacques se dirige vers le hall d’arrivée.
Il capte un murmure qui s’amplifie comme une traînée de poudre : on attend le
Président…
AF_LMP_1res.fm Page XIX Vendredi, 24. octobre 2008 11:39 11

Prologue XIX

Lyv n’a pas donné de ses nouvelles depuis six mois, ni par mail ni autrement.
En d’autres temps, Jacques aurait commencé par des reproches sur l’ingra-
titude de sa grande fille, aurait rapporté l’inquiétude de sa mère et les ques-
tions de Zoé-Li la cadette. Il aurait même ajouté quelques mots bien sentis sur
tout ce fourbi dont elle se charge inutilement. Elle aurait boudé tout au long du
trajet ou pris un taxi en lui laissant les bagages. Il aurait cru entendre une
syllabe dissonante… Pour ce soir il est radieux, il le montre, il la fait sauter
dans ses bras comme du temps où elle pesait une plume, il l’embrasse et la
félicite de sa mine superbe. « Oh papa, t’as l’air zarbi ! » susurre-t-elle. Pour
toute réponse, il se charge de ses lourds bagages (« 32 kg chacun, juste la
limite autorisée », pèse-t-il dans sa tête). Elle pépie pendant tout le chemin
comme lorsqu’elle était gosse, tandis qu’il se faufile en blaguant dans les
embouteillages pour rejoindre le bercail.
Arrivés à destination, Lyv, toute guillerette d’avoir pu parler avec son père,
s’éclipse en sautant sur le perron tandis que Jacques s’apprête à rentrer la
voiture au garage. Il passe devant la maison de son voisin qui a déplacé,
comme à l’accoutumée, la poubelle devant sa porte de garage. De nombreux
échanges très peu amènes ont scellé une volcanique inimitié. Il a donc décidé
d’engager à nouveau le dialogue : « Alors Monsieur Martin, comment va
aujourd’hui ? » « Mal, vous voyez bien ! Encore votre satanée poubelle qui
n’est pas rentrée, que j’ai dû mettre à sa place ». Le disque est en train de
tourner à plein régime, prêt à s’emballer. Jacques adopte la stratégie du jour :
tout écouter puisque nous sommes au niveau du dérapage de la relation. Tout
barrage qui explose a une quantité finie d’eau. Il faut donc seulement attendre
la dernière goutte. Sept minutes prédisent les augures, dans ce cas. Effecti-
vement à la sixième, Martin n’ayant pas de grain à moudre commence à
s’épuiser, très étonné que la réplique ne lui soit pas donnée pour ce jeu à
l’intitulé maintenant classique : « ta poubelle n’est pas belle ».
Le jeu n’est pas estampillé « pur Berne », mais ce soir c’est le dernier de la
série qui occupe les voisins depuis des lustres. Jacques, par son silence placide
et son air entendu, a décidé de mettre un point final à ce triangle dramatique
qui entraîne d’habitude les épouses des deux larrons dans une spirale infernale
de stupeurs et de tremblements : « Voyez-vous, Monsieur Martin, je crois que
j’ai bien compris votre demande. Vous pouvez être certain qu’à partir de ce
jour, je veillerai personnellement à ce que ma poubelle soit à sa place ou
rentrée aussitôt les éboueurs passés. Sommes-nous bien d’accord ?… Ah !
encore une chose. Au cas, improbable mais toujours possible évidemment,
voyez-vous, où vous la découvririez encore mal située, pouvez-vous avoir
AF_LMP_1res.fm Page XX Vendredi, 24. octobre 2008 11:39 11

XX Le Manager positif

l’obligeance de la placer entre nos deux garages ? En effet, quand ma femme


sort la voiture, sans grande visibilité, elle pourrait blesser quelqu’un, si la
poubelle se trouvait juste devant la porte… Vous savez comment sont les
policiers : ils chercheraient des responsables, vous pourriez être inquiété, et
vous auriez un voisin navré. D’accord Monsieur Martin, je peux compter sur
vous ? ». Le voisin, radouci, tient à avoir le dernier mot, ce que Jacques lui
laisse volontiers : « Bon d’accord, mais faites attention ! »
Ambiance bizarrement morose à son arrivée dans le salon. Jacques n’en a pas
fini avec sa journée s’il en juge au silence qui l’accueille. Apparemment la
cadette est dans sa chambre, studieuse, concentrée. Oh ! mais cela sent le
carnet de notes trimestriel à plein nez ! « Alors, Zoé, ça boume ? ». Le regard
enfoui sous le roller qui crisse avec peine sur un cahier bariolé en dit long sur
la pertinence de la question. Un audacieux « Voilà » est enfin murmuré. La
consternation serait de mise pour tout autre que Jacques, assortie des lamenta-
tions, des menaces d’usage et des doux noms d’oiseaux. « Eh bien, je crois que
nous avons trouvé un autre jeu, en alternance avec le Monopoly pour ces
prochaines vacances : des révisions sur le nouvel ordinateur pour les verbes
irréguliers anglais, des imparfaits du subjonctif pour le français, des cartes
pour la géographie et de la culture générale avec l’encyclopédie offerte en
prime avec l’ordinateur. Quant aux maths, je vais demander au fils du voisin,
vous savez le petit Martin, s’il peut t’aider. Qu’en penses-tu Zoé ? ». Un
zéphyr de soulagement parcourt la pièce. La mère et Lyv surviennent au beau
milieu d’un grand éclat de rire général. Elles se joignent à l’embrassade qui
scelle l’énoncé du verdict…
Non, çà, c’est peut-être un peu trop ? Mais c’est Noël après tout : fête de la
réconciliation pour les familles, si ce n’est pas le cas pour les peuples… Un
recommandé de l’huissier du Trésor Public et un message pressant du banquier
donnent déjà un aperçu du programme du lendemain… Pour l’heure, il reste à
mettre en pratique la deuxième partie du haïku, « minuit câlin » : Jacques est
plutôt confiant, il a fait ses gammes avant de se lancer avec ses collaborateurs
dans le management positif. Il peut même en remontrer à son patron !
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Introduction

Un manager peut en cacher


un autre

N’espérez pas qu’ils sacralisent le travail comme vous l’avez sacralisé.


Hervé Sérieyx, Jeunes et avenir, p. XIX

Hervé Sérieyx, observateur avisé et acteur engagé de l’évolution des orga-


nismes de travail depuis quatre décennies, avait – l’un des premiers en
France – milité pour l’avènement des « pilotes du 3e type », puis pour celui de
l’entreprise du même nom7. À l’époque (début des années 1980 marquées par
l’illusion de la croissance et le vent nouveau de l’alternance politique), son
travail de conseil dans de multiples organismes et sa présidence au sein du
CJD (Centre des jeunes dirigeants) l’ont conduit à ce constat : les entreprises
tayloriennes sont encore gérées de façon archaïque.
Malgré des paroles incantatoires des dirigeants, « l’esprit n’y est pas ». L’enca-
drement se montre autoritaire, l’organisation est dépassée par l’irruption des
nouvelles technologies de production (l’automatisation et les robots indus-
triels), la communication est déficiente en dépit du droit d’expression voulue

7. H. Sérieyx, Les pilotes du 3e type, Seuil, 1984, et L’entreprise du 3e type, Le Point, 2000.
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2 Le Manager positif

par les lois Auroux sabotées de toutes parts dès leur origine, et la gestion du
personnel se limite à l’administration de la feuille de paie8. Autant de carences
ne pouvaient conduire qu’à des désastres. Ils furent parfois économiques,
souvent sociaux et restent humains vingt-cinq ans plus tard, par négligence,
aveuglement ou cynisme de la part de ceux qui ont la responsabilité des
hommes et des femmes qui travaillent, qu’ils soient responsables des
ressources si peu humaines, ou chefs de service. Hervé Sérieyx persiste et
signe ce constat dans son dernier ouvrage Jeunes et entreprise9. Oui, l’esprit
n’y est toujours pas…
Notre activité de conseil et de recherche-action au sein de grands groupes dans
lesquels nous œuvrions pour ces changements de paradigmes nous avait
conduit à ces mêmes conclusions et notre « limage de cervelles », pour
reprendre une expression chère à Montaigne10, avec des dirigeants de bonne
volonté, des empereurs d’entreprises du 3e type et des managers japonais en
particulier, nous avait montré les bienfaits et les difficultés d’un tel projet.
Beaucoup de dirigeants étaient effectivement « morts dans leurs têtes » et leur
parcours éducatif ne les préparait en rien à leur mission pragmatique en
adéquation avec les problèmes réels d’une entreprise, comme le démontre très
bien Henry Mintzberg dans son « Voyage au centre des organisations »11.
Un quart de siècle plus tard la multiplication des fusions-acquisitions, la priva-
tisation des entreprises publiques en France, la mondialisation et son « effet
papillon »12 ont accéléré le processus de fragilisation de l’économie hexa-
gonale mais le constat d’Hervé Sérieyx perdure13. Nous ne pouvons que le
confirmer à la lumière d’une expérience de terrain analogue qui nous avait
aussi permis de croiser cet éminent collègue lorsque tous deux avions les
mêmes illusions, dont certaines se sont effritées au contact d’une dure réalité
organisationnelle. En effet, les dirigeants qui doivent produire un retour sur
investissement de 15 % pour satisfaire l’appétit féroce de leurs nouveaux
actionnaires, fonds de placements et autres financiers voraces, n’ont toujours

8. Une de mes étudiantes de 5e année est toute contente d’avoir trouvé un stage dans un service
RH, dans un centre de promotion sociale important : elle est affectée au contrôle des feuilles
de paie.
9. H. Sérieyx, Jeunes et entreprise, Éditions d’Organisation, 2005.
10. M. Montaigne, Les Essais, I, 26.
11. H. Mintzberg, Voyage au entre des organisations, Éditions d’Organisation, 2000.
12. L’effet papillon est constitué par les répercussions dans le temps et dans l’espace du
moindre phénomène et l’illustration la plus récente nous est fournie par la crise des
subprimes.
13. H. Sérieyx, ibidem.
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Introduction – Un manager peut en cacher un autre 3

pas admis la nécessité d’inventer des pratiques de management et des


méthodes adaptées aux besoins des salariés. Quand ils l’ont comprise, ils n’en
manifestent guère la volonté, d’autant qu’ils sont éjectés au premier revers
comme l’aventure d’Alcatel-Lucent vient de le montrer. Les salariés, dans un
tel contexte, ne peuvent être que démotivés, amers et sceptiques sur la loyauté
des dirigeants drapés au moindre vent mauvais dans leurs « golden
parachutes » alors que les représentants des deux extrémités de la pyramide
sociale, les jeunes et les seniors, se retrouvent débarqués sur le bord du
chemin : 63 % à 67 %14 des quinquagénaires ne travaillent plus du tout alors
que 22 % des moins de 25 ans n’ont pas encore d’activité professionnelle.15
Nous continuons à penser, malgré ces bouleversements et justement pour
mieux y faire face, que ce management nouveau, humain, pragmatique, dialo-
gique, relationnel, positif est le mieux à même de prendre en compte les
besoins fondamentaux des femmes et des hommes qui l’attendent en vain de
tous leurs vœux depuis des décennies. Les pratiques objectives qui en
composent le socle sont pourtant connues et divulguées depuis longtemps
auprès des cercles dirigeants et mises en œuvre par certaines entreprises.
Ainsi, les descriptions de fonctions ont été implantées par l’UIMM (Union des
industries et des métiers de la métallurgie) depuis les années 1970 dans la
moitié du secteur industriel ; l’évaluation des compétences l’est depuis la fin
de la décennie 1980 dans le secteur aérospatial ; la démarche qualité totale
s’est répandue dans les entreprises depuis la décennie 1990 et commence à
marquer des points dans le secteur hospitalier.
Il nous faut déplorer, comme le faisait déjà Jacques Ellul16, que la magie tech-
nicienne et « le bluff technologique » ne proposent que le pâle succédané des
NTIC (Nouvelles technologies de l’information et de la communication, sigle
fourre-tout commode pour camoufler les méfaits de la propagande, de la
publicité et de la publigande17) comme ersatz de la communication interper-
sonnelle. Or, celle-ci représente l’énergie motrice de la stimulation des besoins
fondamentaux et de la dynamique du réseau clients-fournisseurs. Ce pari est
perdu d’avance : plus il y a de technique, moins il y a de communication. Nous
pensons en particulier à ce couple d’amoureux qui s’étaient donné rendez-

14. Les chiffres varient selon les sources et selon l’âge auquel on a dénomme les seniors à
50 ans (67 %, OCDE) ou 55 ans (63 %, INSEE).
15. H. Séryex, op. cit., p. 17.
16. J. Ellul, Le bluff technologique, Hachette, 1988.
17. La publigande est l’art et la manière dont les media nous racontent des fables pour nous faire
consommer et voter droit, comme nous l’avons expliqué dans Cinq thèses de communi-
cation sociale, PUB, 1998 (chapitre 5).
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4 Le Manager positif

vous en catimini dans un hôtel d’Agadir. Une fois la belle arrivée dans ses
atours séducteurs, alors que le duo classique entamait sa parade, au bord de la
piscine caché derrière un palmier, à l’ombre de la mosquée, le portable du
Roméo-Mohamed se mit à sonner : le charme était rompu.
Les méthodes utiles au « manager positif » existent donc puisqu’elles sont
pratiquées par de nombreux organismes. Il faut maintenant les rassembler en
un seul corpus pragmatique, dans une boîte à outils clairement répertoriée,
avec des modes d’emplois simples et passibles d’un apprentissage concret
pour les mettre à disposition du personnel d’encadrement.18 La seule condition
réside dans la volonté de chaque manager : il doit considérer que cette décision
va lui servir de sauf-conduit pour atteindre son Graal (ses aspirations person-
nelles qui l’ont conduit à vouloir prendre des responsabilités, décider un projet
professionnel, entreprendre une carrière), satisfaire ainsi lui-même ses propres
besoins fondamentaux et, au-delà, obtenir la progression, l’épanouissement, la
réalisation et le développement personnel auxquels il aspire.
Cet ouvrage est donc consacré à des propositions concrètes qui doivent
permettre aux managers de mettre en œuvre des pratiques utiles à prendre en
charge les diverses populations dont ils doivent mobiliser l’énergie pour les
écouter, les informer, les reconnaître, les faire progresser. Cette action quoti-
dienne doit être constamment adaptée à des personnes qui ont une existence
propre, des contraintes et des projets en dehors de leur vie de labeur et qui
doutent de leur utilité professionnelle parce qu’elles se perçoivent trop souvent
comme des fusibles qui seront déconnectés et jetés au moindre aléa. L’objectif
du manager « positif » consiste donc, via la stimulation de ces besoins psycho-
logiques fondamentaux et l’exercice de pratiques simples mais persistantes
d’ingénierie des ressources humaines, de les motiver, les impliquer et les inté-
resser à remporter les nouveaux défis qui se présentent à eux dans le cadre
d’un organisme de travail profondément perturbé et fragilisé par la
mondialisation et les dérives du système capitaliste19.
Dans ce contexte qui s’apparente plus à un nouveau désordre mondial que
véritablement à un ordre policé et prévisible, chacun, dans sa fonction (comme
dans sa vie de consommateur d’ailleurs), doit comprendre qu’il n’est plus du

18. Le lecteur trouvera les méthodes fondamentales du management positif (évaluation des
compétences, description de fonction, démarche qualité et communication) rassemblées et
développées dans GPEC, pour une stratégie durable et adaptable. AFNOR Éditions, 2008.
Cet ouvrage rappelle les procédures et principes adaptés à quelques situations typiques
auxquelles tout manager est confronté.
19. J. Stiglitz, La grande désillusion, Livre de Poche, 2003.
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Introduction – Un manager peut en cacher un autre 5

tout question d’obtenir un avantage supplémentaire, une prime, une récom-


pense, un privilège, une promotion mais simplement de conserver son emploi
alors que les fonds de pension américains comme les fonds souverains de
multiples États prédateurs (de l’Arabie Saoudite à la Norvège, en passant par
la Chine et Singapour) n’ont aucun d’état d’âme et comme seule ligne
d’horizon et de décision, celle qui est chiffrée, en bas à droite du bilan : résultat
net après impôt.
Pratiqué depuis plus d’une décennie dans l’entreprise, le re-engeenering20 a
fait basculer des fonctions capitales vers des sous-traitants et fait baisser les
salaires des employés qui, affectés à cette même tâche, l’ont réalisée à moindre
coût pour le sous-traitant et donc pour la maison mère qui se glorifie de se
recentrer ainsi sur son cœur de métier. À la limite de cet exercice, tout peut être
délocalisé comme Serge Tchuruk, alors président d’Alcatel, l’avait annoncé en
déclarant l’avenir d’une entreprise sans usines. Au plan national, des pans
entiers de l’économie vivent actuellement cette problématique de bas-
culement : la santé, l’éducation, la sécurité, les services publics constituent des
trésors que les financiers sont prêts à s’accaparer au moindre signe de
défaillance, de démission ou d’incompétence de ceux qui en avaient jusque-là
la charge. Jacques Attali confirme ce point de vue dans Une brève histoire de
l’avenir21.
Il est donc impératif de repenser l’organisation de nos organismes de travail,
leur mode de commandement (calqué pour l’essentiel sur le modèle militaire
dont on voit désormais les limites éthiques, philosophiques et pragmatiques)
alors que le travail en réseau se développe et que l’autorité est rejetée au profit
du leadership, que les nouveaux embauchés, les jeunes, les femmes et les
seniors ne veulent plus être traités comme quantité négligeable et négligée, que
les autres ne croient plus aux promesses ni aux belles paroles. Chacun voudrait
pouvoir s’épanouir dans une entreprise gagne-pain (qui ne fournit plus ni rêve,
ni valeurs, ni devoir sacré), dont l’encadrement troque les oripeaux du petit
chef moustachu pour les habits neufs du manager à l’écoute, bienveillant,
encourageant et rigoureux au plan méthodologique, un modèle de compor-
tement au plan humain, pour fournir un cadre sécurisant à une fonction qui
l’est de moins en moins : un manager positif.

20. Pratique qui consiste à confier à des sous-taitants des fonctions à un coût moindre : la paie,
la comptabilité, la formation, etc. afin de se recentrer sur le cœur de métier… À la limite,
c’est le concept de l’entreprise sans usine. ni structure : un bureau, fax, mail et téléphone
suffisent.
21. J. Attali, Une brève histoire de l’avenir, Fayard, 2006.
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Partie I
Les Autres : quel fléau !

« L’enfer, c’est les autres ! »


Jean Paul Sartre, Huis clos
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Depuis la réflexion de Jean Paul Sartre, l’univers du travail se révèle plus que
jamais emblématique de ce constat : « L’enfer, c’est les autres ! » La vie en
collectivité serait tellement simple si elle excluait l’autre, ce double insuppor-
table qui nous renvoie notre image en permanence et nous montre, comme une
caricature, tous les travers qui nous habitent. Si nos relations avec autrui appa-
raissent aussi tendues, aussi problématiques et aussi difficiles, si le conflit
surgit à la moindre contradiction, et entraîne la kyrielle des violences coutu-
mières, c’est parce que les autres constituent un miroir impitoyable sur nos
propres défauts, nos petites vertus et nos grandes lacunes, notre médiocrité de
chaque instant et la grandeur de notre aveuglement continu envers nous-mêmes.
Quoique nous disions et quoique nous fassions, le jugement et le regard
d’autrui s’immiscent au plus profond de notre être pour nous rendre totalement
dépendants de l’évaluation d’autrui. Cette évaluation est le plus souvent la
cause d’une dramatique dévalorisation de nos actions qui retentit au plus
profond de notre être, inhibe notre énergie, pénalise notre motivation et
pervertit nos performances. Ainsi sommes-nous conduits à jouer un rôle de
composition pour plaire à l’autre, satisfaire à ses attentes ou éviter sa vindicte.
En retour, celui-ci ne fait rien pour nous. Ou plutôt si : l’autre fait tout pour
perturber notre action, vicier nos relations, contredire nos avis, s’opposer à
nous en toute chose avec plus ou moins de violence et de férocité.
Cette dissonance permanente entre ce que nous faisons et la façon dont nous
sommes perçus remet en cause profondément notre savoir-être, notre compor-
tement vis-à-vis d’autrui, nos convictions sur la nature humaine, notre sécurité
intérieure en produisant un sentiment de dévalorisation intense que nous cher-
chons à compenser par le dénigrement systématique de ces agents troubles de
notre quiétude psychologique. S’ensuivent alors des dysfonctionnements
personnels et relationnels plus ou moins aigus qui se déroulent comme autant
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10 Le Manager positif

de jeux pervers : maux psychosomatiques, harcèlement, sabotages, violences,


accidents et suicides en sont les illustrations les plus dommageables pour
l’organisme de travail22.
Nous sommes ainsi perpétuellement en porte-à-faux avec la connaissance que
nous croyons avoir d’autrui et celle qu’il montre qu’il a de nous, alors que nous
aspirerions à plus d’unanimité et à davantage de compréhension de sa part. N’y
parvenant guère, car n’ayant jamais appris à percer cette redoutable énigme
qui se présente à nous de façon toujours renouvelée dans des situations
toujours mouvantes et inconfortables, notre incompétence se transforme en
rejet dans cet arrêt définitif qui nous dédouane de notre propre responsabilité :
« L’enfer c’est les autres ! ».
Il convient donc d’élucider à la fois les attentes d’autrui à notre égard ainsi que
les compétences qui fondent notre savoir-être afin que, de cette confrontation,
surgissent un plan d’action et une méthode qui nous conduisent à pacifier nos
relations. C’est d’autant moins facile que nombre d’idéologies mettent le
conflit au cœur des relations interpersonnelles comme un élément inéluctable
de la dynamique d’un groupe. Certains auteurs y voient même une volonté déli-
bérée des dirigeants pour entraîner la soumission des salariés23 alors que depuis
un siècle, le taylorisme a tout fait pour éliminer l’autre de notre champ d’action.
Or les organismes modernes demandent de mettre en œuvre une démarche
qualité autour d’un réseau de relations performant, ce fameux réseau clients-
fournisseurs dans lequel chacun est censé satisfaire les exigences de tous les
autres et obtenir lui-même la satisfaction qu’il réclame. Cet objectif nécessite,
comme nous l’avons expliqué par ailleurs24, que le réseau de communications
interpersonnelles tissé au sein de l’organisme soit lui aussi efficace en suivant
les principes et les pratiques d’une méthode qui élargisse cette compétence
relationnelle à l’ensemble des acteurs de l’organisme. Le personnel d’enca-
drement doit montrer l’exemple en pratiquant et développant toutes ces
compétences relationnelles qui constituent ce management positif, attendu par
les salariés depuis des lustres. Son application velléitaire ou manipulatrice est

22. Les études sont incomplètes mais une seule d’entre elles, réalisée dans les entreprises, en
Bourgogne en 1999-2000, a recensé 400 suicides et dix fois plus de tentatives tandis que
l’enquête de 2004 du Haut comité de la santé, montre que 20 % des Français se disent
harcelés, 30 % se déclarent exposés à la violence verbale et physique et 44 % se plaignent
du stress sur leur lieu de travail. Rapport « Violences et santé ».
23. P. Molinier, Les enjeux psychiques du travail, Payot, 2006.
24. A. Labruffe, Communication et qualité, AFNOR Éditions, 2008.
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Les Autres : quel fléau ! 11

à l’origine de tous les maux dont pâtit l’organisme, de l’absentéisme à la non-


qualité en passant par le sabotage et le suicide.
La route est longue pour y parvenir. En attendant l’avènement de ce prodige,
que constituerait la pratique du management positif dans le comportement du
personnel d’encadrement des organismes, nous râlons, pestons et tempêtons
par toute sorte de réflexions :
– ces autres qui nous empêchent de travailler efficacement : les nuls, les
incompétents ;
– ceux qui nous indisposent gravement : les nouveaux, les jeunes, les vieux ;
– ceux qui nous mettent des bâtons dans les roues car il faut tout leur dire,
ou alors ils ne comprennent que la force et rien ne les motive à part
l’argent, ils constituent autant d’erreurs de recrutement !
– même mon patron s’en mêle : il a toujours raison celui-là : comment veut-
il que je fasse mieux sans moyens ?
– justement, les patrons qui sont-ils ?
– sont-ils vraiment sans foi ni loi ?
L’analyse de ces questions et les réponses possibles en terme de management
positif sont proposées dans la première partie.
Heureusement que Moi, je suis là et je sais me ménager pour mieux manager !
C’est le développement proposé dans la seconde partie, à partir de l’analyse
réalisée par chaque manager.
Oui, c’est vrai, il y a bien d’autres situations professionnelles qui font râler,
pester et tempêter un responsable et constituent pour le manager autant de
défis à relever, que nous réservons à une exploration ultérieure :
– les hommes et leurs relations avec les femmes (et vice versa) ;
– la formation qui ne sert à rien ;
– le blues avant la retraite ;
– les urgences qui débordent ;
– le manque d’idées et de créativité des ronds de cuir ;
– la résistance au changement de l’entourage ;
– les conflits qu’il faut régler de toutes parts ;
– les cas relationnels multiples qui causent tant de problèmes ;
– l’entretien professionnel qui prend du temps ;
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12 Le Manager positif

– le burn out qui guette ;


– la question du chômage angoissante face à la montée du péril jeune…
– et d’autres encore évidemment…
Pour une autre fois peut-être ? Ces défis sont aussi majeurs que ceux que nous
traitons dans ce premier opus.
Comme toute médaille à son revers, si la formule « L’enfer c’est les autres » en
constitue la face spontanée qui nous interpelle, il est aussi nécessaire d’en
montrer le coté positif. Refermons donc cette introduction avec une réflexion
de Jean Paul Sartre qui nous alerte sur les ravages provoqués par nos jugements
massacrants sur les membres de notre entourage, et notamment les collabora-
teurs sur lesquels nous devons nous appuyer pour mener à bien notre mission
relationnelle de management positif : « Désespérer des autres, c’est les
désespérer » ! Convenons donc qu’il nous faut avoir confiance en soi pour
avoir confiance dans les autres…
Consacrons-nous d’abord dans cet ouvrage à ces douze questions cruciales qui
font le malheur25 du manager et aux douze réponses qui sont autant de façons,
non pas de faire son bonheur, mais de lui faciliter la vie à l’aide de méthodes
basées sur des faits, des techniques, des modes d’emploi, des diagnostics et des
exercices de perfectionnement.

25. P. Watzlawick, Faites vous-même votre malheur, Seuil, 1990.


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1
Tous des nuls !

Le drame est que les idées fausses


sont en même temps des idées réelles.
Edgar Morin, La complexité humaine

Cette expression est à la mode et sonne désormais comme un anathème à


l’égard de tous ceux qui nous entourent, à chaque occasion où quelque chose
ne va pas comme nous le souhaitons. : « Tous nuls ! ». Ses déclinaisons quali-
fient chacune de nos relations épineuses et expliquent la moindre défaillance,
voire une situation qui ne se passe pas exactement comme prévu. « Tous
nuls ! » a comme équivalent son pendant « Heureusement que je suis là » que
nous expliquerons plus loin (voir chapitre 9).
« Tous nuls ! » s’énonce comme une évaluation définitive envers ces collègues
qui ne m’aident pas, ces collaborateurs qui ne font rien, ces gens qui me
contrarient constamment et s’étend aussi à la cohorte des clients et fournis-
seurs. Les premiers ne savent pas ce qu’ils veulent et les seconds ne veulent pas
comprendre ce que je veux avec des retards, des manquants, des délais, des
cotes mal taillées, des trous percés à côté. C’est le cas de cette dernière
machine de plusieurs millions d’euros que je viens de recevoir du meilleur
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14 Le Manager positif

fournisseur allemand, mais qui est livrée et montée par des Nuls, alors que la
production doit démarrer dès demain matin ! Quant à cet artisan, il ferme dans
dix minutes et ne pourra percer ces fichus trous que demain ! Et en plus il faut
se prosterner devant lui pour passer en priorité dès l’ouverture de son atelier, à
huit heures du matin. Tout cela pour percer et tarauder deux malheureux trous
dans un carter de protection. En ce qui concerne le bordereau d’envoi pour
accompagner cette opération, il faut que je m’en occupe moi-même car je ne
peux rien demander à ma secrétaire qui est en train de partir : 16 heures
quarante-trois : c’est l’heure de la débauche à cause des trente-cinq heures et
de ces sept minutes par jour de départ anticipé sur l’horaire habituel pour faire
un compte rond. Pas moyen de lui demander : elle est nullissime ! Tous des
nullards, mêmes ces députés qui ont voté la loi, le législateur qui l’a conçue et
le gouvernement qui l’a mise en place alors que pendant ce temps-là nos
concurrents se frottent les mains : ils travaillent ! C’est vraiment nul !
Ainsi va la nullité endémique alors que la cohorte des nuls s’allonge dans
l’esprit de notre manager qui ferait bien de s’éveiller à l’esprit positif pour
enrayer la déprime qui le gagne en égrenant la longue liste des nuls qui
l’entourent, l’accablent et le conduisent tout droit à l’asphyxie de sa pensée et
à l’infarctus de son myocarde. Il serait temps qu’il apprenne à manager en se
ménageant lui-même (voir chapitre 8).
Aurait-il pu agir différemment et obtenir de meilleurs résultats si sa représen-
tation des autres eut été différente ? Le management positif, démontré
notamment par le toyotisme26 se fonde sur un état d’esprit résolument opti-
miste et une conception de l’homme qui le place au centre du système organi-
sationnel, comme Edwards Deming le voulait lorsqu’il s’est mis en devoir
d’aider ses collègues du Japon pour redresser l’économie du pays au
lendemain de la reddition d’Hiro-Hito.
L’état d’esprit optimiste manifesté par l’indéfectible croyance dans les possibi-
lités des hommes et la stimulation de leurs besoins psychologiques fonda-
mentaux constitue les deux piliers du management relationnel tel que l’avait
compris Edwards Deming. Il avait en effet décelé chez les salariés nippons un
profond attachement à des valeurs culturelles nationales qui se traduisait par une
émulation, une motivation et une détermination sans faille à servir l’organisme
pour lequel ils travaillaient. Or cette motivation était déclenchée par une organi-
sation en réseau et une méthode de communication généralisée (le nemawashi)

26. A. Labruffe, 101 tableaux de bord pour mieux communiquer dans l’entreprise,
AFNOR Éditions, 2007, chapitre 2.
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Tous des nuls ! 15

unique qui satisfaisait constamment les besoins psychologiques des acteurs.


Pour parvenir à cette permanence qui se traduit par l’excellence de l’action, ces
besoins doivent être transcendés par la pratique relationnelle du management
dont les compétences interpersonnelles représentent le catalyseur de toute
situation, à toute occasion. C’est justement au moment où le manager est gagné
par ces effluves pernicieux, qui lui font rejeter en un même mouvement
d’émotion dévastatrice les autres et l’ouvrage entrepris, qu’il doit pouvoir
recourir à cette philosophie et à cette intervention pragmatique où écoute, bien-
veillance et encouragement d’autrui s’unissent en une attitude stimulante.
Rappelons qu’en l’absence d’élément catalyseur, la réaction chimique ne se
fait pas ou mal. De même, sans « management relationnel », tel qu’il fut
dénommé par Edwards Deming, le pape de la qualité appelé au chevet du
Japon pour redresser son économie en 1950, ou avec un management limité à
la seule gestion administrative du contrat de travail, ou au seul exercice tech-
nique de la fonction d’encadrement, l’organisation ne peut produire ni moti-
vation, ni qualité. Or la motivation, dont les fondements sont constitués par
l’expression, l’information, la reconnaissance et la progression, est à la source
de l’application et du respect des normes et procédures par les acteurs du
système organisationnel.
Pour y parvenir, le management doit donc s’exercer en prenant en compte, et
en stimulant en permanence, ces quatre besoins fondamentaux des acteurs de
tout groupe humain devant réaliser une tâche quelconque : expression, infor-
mation, reconnaissance et progression. Le dialogue devient alors le moyen
privilégié du management. Pour être efficace dans les relations profession-
nelles difficiles, il doit être conçu comme une méthode de dialogue généralisé,
la communication positive dans sa version française, pour « se parler »27 au
quotidien. Cette pratique de la communication interpersonnelle doit être sous-
tendue par un état d’esprit positif, fortifiée par une éthique humaniste et
formalisée par un guide d’action rigoureux qui serve d’autodiagnostic et
détermine des objectifs de progression constants.

27. Définition donnée par Robert Escarpit concernant la communication dans Théorie générale
de l’information et de la communication, Hachette, Paris, 1988.
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16 Le Manager positif

1.1 À l’écoute pour libérer l’expression


Ancrée dans le cri primal poussé par le nourrisson28, l’expression est guettée et
magnifiée par le cercle de famille jusqu’à ce qu’elle devienne un bruit insup-
portable ou anormal : elle est alors violemment et constamment réprimée. Par
la suite, toutes les autorités s’y emploient avec vigueur à travers moult
interdits : « Tais-toi ! » en famille, « Arrêtez de bavarder ! » à l’école, « Je ne
vous autorise pas à dire ! » au bureau, et le massacrant « Non, c’est nul » à
l’université et dans d’autres lieux démocratiques, jusques et y compris dans les
travées de l’Assemblée nationale « Je ne vous autorise pas à dire » et partout,
sans cesse : « Arrêtez de parler pour ne rien dire », « Vous dites n’importe
quoi ! ».
Ces deux dernières façons constituent en fait la vocation première de
l’expression. Seule la récitation atone d’insipides conserves culturelle ou,
comme le disait Alain « la vérité des apparences »29 est seule autorisée.
Autrefois fournie par les manuels scolaires, cette vérité officielle l’est main-
tenant par les médias qui ressassent en boucle la publigande, une absence
totale d’information puisque celle-ci est une « rupture dans un continuum
connu » selon la définition de Robert Escarpit30. Quand les génies renversent
les paradigmes officiels (Galilée, Einstein, Wegener, Hawking), ils sont traités
de fous ou exclus de la communauté scientifique. Le taylorisme a enfoncé le
clou en évinçant toute communication entre les opérateurs « organisés
scientifiquement » car l’expression, qualifiée de bavardage, est source de
distraction et perturbe le rendement. Créativité, autonomie et responsabilité
disparaissent avec l’expression. C’est à ce moment où les nuls apparaissent au
nadir de la vacuité existentielle : degré zéro de la pensée, insignifiance de
l’action, inexistence des relations.
Or, l’expression, de par son origine, manifeste un profond besoin humain,
universel et sain (c’est-à-dire nécessaire à la santé mentale). Reste, bien sûr, à
lui donner des formes sociales, mais la nature de l’expression souscrit aux
mêmes lois que le flux et le reflux de la marée. On ne peut arrêter le flux d’une
vague sur une plage sans se mouiller ; il reste ensuite à remodeler patiemment
le château de sable construit auparavant.

28. A. Janov, Le cri primal, coll. « Champs », Flammarion, Paris, 1988.


29. Alain, Propos sur l’éducation, PUF, Paris, 1954, p. 48.
30. R. Escarpit, Théorie générale de l’information et de la communication, Hachette, 1988.
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Tous des nuls ! 17

Il en va de même de l’expression de chacun de nous qui a besoin de s’exprimer


totalement pour être productive, après un certain retraitement, voire un
ajustement, effectué en concertation. C’est ce qu’a mis en évidence Alex
Osborn avec la pratique du brainstorming31. Le management, dont le sens de la
critique est très acéré vis-à-vis de tout ce qui dépasse les conventions, les certi-
tudes, les conversations de bon aloi et les accords de façade, a lui aussi bien du
mal à accepter l’expression qu’il considère généralement comme une remise
en cause de son autorité qui désormais n’est acceptée que par cette écoute
exigée de la part de tous les membres d’une équipe. Il doit s’exercer à favoriser
et à accepter l’expression en développant une compétence proprement rela-
tionnelle où se mêlent en une même pratique communication interpersonnelle,
écoute active et intelligence affective. Or, un collaborateur rabroué se le
tiendra pour dit pour longtemps : son manager aura quelque difficulté quand il
lui demandera ensuite un avis, une idée, une initiative.
Avec l’avènement dans les entreprises à la mode, dès la décennie 1970, des
boîtes à idées, puis des cercles de qualité et autres projets d’entreprise, qu’a-t-il
été demandé aux salariés ? De donner leur avis et de s’exprimer en tout, sur ce
qui pourrait améliorer les procédures de travail, ce que d’aucuns étaient prêts à
faire : il suffisait de les stimuler.
La stimulation apportée par la malheureuse loi Auroux de 1982 –
« expérimentale32 » ! – a libéré l’expression directe, mais en la limitant aux
seuls contenus et conditions de travail. Cette loi en restreignait dramati-
quement le champ, tout en se méprenant sur l’ampleur et la consistance du
besoin fondamental. Quant à la mouture définitive de 1984, obligeant « toutes
les entreprises de plus de 200 personnes, hors fonction publique, à organiser
des réunions d’expression (sur ces mêmes thèmes limités)… une heure par
an » (sic !)… elle donne une piètre idée des capacités d’écoute de nos
dirigeants au plus haut niveau en méprisant à ce point l’intelligence humaine.
Il est donc urgent de mettre au programme des priorités quotidiennes du mana-
gement relationnel, l’exercice de l’écoute et de ses principes actifs ainsi que
des techniques qui facilitent entretiens et réunions dont la pratique assidue
permet de réactiver cette expression enchaînée.

31. A.F. Osborn, Your creative power, Myers press, 2007.


32. Voir le dossier spécial de l’AREPT (Association régionale des psychologues du travail),
Les groupes d’expression un an après, 1983.
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18 Le Manager positif

1.2 Transférer le savoir et diffuser l’information


C’est le second besoin psychologique imprescriptible qui éclôt lui aussi dès la
naissance : emmagasiner de l’information pour avoir prise sur le monde et
devenir, grâce à cet accroissement de données acquises, traitées et utilisées
sciemment, autonome et responsable. Or, la dose d’information utile
(décision, état du marché et de la concurrence, avenir et projet dans divers
secteurs de la gestion), distribuée au sein de l’organisation, peut être qualifiée
d’homéopathique, alors que cette denrée est vitale pour faire face à toute
fonction. Paradoxalement, l’organisation est encombrée d’une multitude
d’informations parasites venant d’abondantes sources externes (revues, média,
Internet) et de rumeurs internes qui en altèrent l’efficacité.
Entre trop peu d’information, distillée avec parcimonie par le management,
souvent bloquée dans d’obscurs circuits formels et informels, et le trop-plein
déversé par des systèmes sophistiqués, l’information utile est difficilement
accessible à tous. Quand elle est reçue (ce qui ne correspond pas du tout au fait
qu’elle a été transmise tant la déperdition est grande) et souvent déformée par
le salarié (alors que tous deux naviguent entre 35 heures, RTT, congé parental,
journée des mères, déplacements professionnels, délégation syndicale, congé
formation, absences pour raisons personnelles et fêtes votives33) surgit un autre
écueil : la carence dans l’analyse et le tri des informations parasites. Le salarié
est alors enfermé dans une double contrainte34 (trier des informations d’abord
puis comprendre et s’en souvenir pour utiliser celles qui lui sont destinées
ensuite) dont chacun sait, depuis Paul Watzlawick35, qu’elle est à l’origine de
toutes les névroses.
Au sein de l’organisme, celles-ci se transforment en une litanie de maux drama-
tiques qui se cumulent avec le machisme ambiant, l’autocratie, les mises au
placard et autres dénis d’humanité sous le regard impassible des directions des
ressources humaines dont l’œil est aveuglément fixé sur le contrat de travail
mais non pas sur la vie des salariés : absentéisme, accidents, alcoolisme, burn

33. J’ai connu un chef de service, dans une université parisienne de renom, qui avait déclaré que
puisque certaines fêtes chrétiennes étaient chômées, il en allait de même pour les fêtes
juives. Dans des écoles d’ingénieurs de renom, certains intégristes de tous bords en profitent
pour chômer les fêtes religieuses qui leur conviennent, et chaque semaine, le vendredi pour
les uns, le samedi pour d’autres. Quant au mois du ramadan, mon correspondant à Alger
m’indique avec un art de la litote non consommé que « les affaires sont ralenties » !
34. Expression due à Bateson, dans Vers une écologie de l’esprit, tome I, coll. « Points-Essai »,
Seuil, 1995.
35. Leader de l’École de Palo-Alto spécialisée, à l’origine, dans les thérapies familiales (voir
Marc E. et Picard D., L’École de Palo-Alto, Retz, 1980.
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Tous des nuls ! 19

out, conflits, démotivation, démissions, éviction des seniors, harcèlement


moral et sexuel, maladies, non-qualité, sabotage et suicides aboutis pour dix
fois plus de tentatives36. La psychopathologie du travail manifeste la non-
qualité du système organisationnel comme les travaux de Roger Amiel et Paul
Sivadon l’avaient montré depuis longtemps37 et comme le rappellent plus
récemment ceux de Dominique Lhuillier et Christophe Dejours, professeurs au
CNAM à Paris38…
Les études que nous avons menées dans toutes sortes d’organismes39
démontrent que s’y développe de façon majoritaire une stratégie rétive du
secret qui se manifeste aussi bien en interne qu’en externe. Un exemple parmi
d’autres : les habitants entourant les centrales nucléaires savent-ils réellement
les dangers encourus et les consommateurs ont-ils accès en toute transparence
au mode de fabrication et à la composition exacte des produits qu’ils
achètent ?40 Or, les habitants situés autour d’un site industriel, comme les
consommateurs, entrent dans la composition du réseau clients-fournisseurs et,
à ce titre, l’une de leurs exigences majeures est d’être informés. Cependant,
quand ils accèdent à cette information, elle fait l’objet d’une surmédiatisation
qui fait les choux gras de la publigande et en oblitère la validité : sang
contaminé, hormones de croissance, vache folle, poulet à la dioxine, PCB
(polychlorobiphényles), OGM (organismes génétiquement modifiés) et ces
irradiés d’un hôpital de l’Est de la France en sont les plus sinistres exemples.
Dans ce dernier cas, il apparaît que l’unité de radiologie travaillait en totale
autarcie par rapport au centre hospitalier alors que personne, et surtout pas le
directeur de l’établissement, n’était au courant des pratiques des techniciens
radiologues qui ont fait près d’un millier de victimes. À entendre la superbe du
médecin chef, patron de droit divin, rien d’étonnant à une telle dérive : il ne se
trompe jamais mais il « affaire à une bande de nuls » !
Chacun préserve son pouvoir en réservant pour lui-même l’information qu’il
détient, et chacun croit voir son pouvoir mythique sur autrui croître en fonction

36. D’après deux études menées en Bourgogne où les médecins du travail ont enregistré
400 suicides en un an et en Basse Normandie où se chiffre est tombé à 100. En tenant
compte de la vingtaine de régions françaises, l’estimation se situe donc entre 2 000 et
8 000 suicides annuels dans les entreprises et 20 000 à 80 000 tentatives (Source :
www.infosuicide.org).
37. R. Amiel, P. Sivadon, Psychopathologie du travail, ESF, 1969.
38. C. Dejours, Travail, usure mentale : essai de psychopathologie, Bayard, 2008.
39. A. Labruffe, Audit de l’entreprise communicante. Bases, méthodes, enjeux et stratégies de
la communication, Bordeaux, Socrate, 1991.
40. F. Perucca et G. Pouradier, La bouffe d’égout, Ramsay, 1999.
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20 Le Manager positif

de l’information capturée et retenue par ses soins. Un chef de clinique d’un


grand hôpital confiait qu’il se demandait bien pourquoi son assistant n’était
pas motivé et collaborait avec réticence. Dans la même phrase, il indiquait que
le directeur de l’hôpital lui avait donné un certain nombre d’informations
dépendant de sa fonction, et qu’il n’avait donc aucune raison valable de les
transmettre à son assistant.
Tout est dit de la maladie qui ronge nos organisations : l’information ne circule
pas à cause d’un comportement managérial bloqué. Les psychanalystes ajou-
teraient qu’il est bloqué à un stade qui ne fait guère honneur à ceux (ou celle :
notre chef de clinique était une femme) qui conservent l’information farou-
chement, comme un précieux caca attendu avec ravissement par une maman
enamourée d’orgueil : « Ça y est, il est propre, mon petit ! ». L’information
devient dès lors une denrée jalousement défendue pour celui qui la détient, car
il exerce ainsi un pouvoir sur ceux qui l’attendent avec impatience et
deviennent ainsi des vassaux toisés avec délectation.

1.3 Encourager pour nourrir la reconnaissance


Le roi Frédéric II de Prusse41, dit le Grand ou l’Unique42, ayant bien connu le
mépris de son père, qui alla jusqu’à le faire traîner en justice et l’emprisonner,
voulut démontrer la nocivité de telles relations. Il décida une expérience
édifiante : il recueillit à la naissance (ou les enleva de leur famille, au choix),
une quinzaine de bébés pour les faire soigner par des nurses qui les langeaient,
les nourrissaient et s’occupaient parfaitement d’eux. Néanmoins, elles avaient
reçu l’interdiction absolue de leur parler ou de répondre par des mimiques à
leurs gazouillis, de les regarder et de les nommer. En quelques semaines, tous
moururent. Plus récemment, Roger Spitz43 constata des phénomènes d’apathie
chez les enfants hospitalisés qui ne recevaient pas de visite. Il qualifia ces
troubles du comportement d’« hospitalisme ».
Ces deux exemples montrent les effets catastrophiques du troisième besoin,
celui de reconnaissance, quand il n’est pas – ou mal – pris en compte. Ce
profond besoin est donc excité par la relation avec autrui, et notamment par

41. Frédéric le Grand, 1740-1786, auteur de L’Antimachiavel, chef de guerre redoutable et


flûtiste à ses heures.
42. M. Mourre, Dictionnaire encyclopédique d’Histoire, p. 1893.
43. R. Spitz, De la naissance à la parole, Puf, 1984.
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Tous des nuls ! 21

celle qui est initiée par une autorité. Le management doit donc s’efforcer de
stimuler ce besoin à toute occasion : un regard, un mot, un encouragement, une
oreille attentive, un moment de discussion pour échanger, faire le point,
recueillir un avis et – stimulation suprême – décider.
Napoléon rendait visite à chacun de ses soldats avant la bataille et ceux-ci
étaient prêts à se faire hacher menu pour leur idole, dit la légende. Monsieur
Honda avait l’habitude de faire la tournée de ses usines en saluant chacun de
ses salariés et en demandant des nouvelles de sa famille. Il n’avait pas de
bureau propre ni de dossier, mais son occupation principale résidait dans cette
tournée perpétuelle. Les automobiles Honda sont toujours réputées pour leur
excellente fiabilité et arrivent, depuis deux décennies, en tête des hit-parades
de qualité établis par les organismes certificateurs et les revues spécialisées.
Là encore ces exemples démontrent comment communication et qualité sont
étroitement liées au besoin fondamental qu’il est nécessaire d’exciter de façon
continue : la reconnaissance. Un mot, un regard, un encouragement y suffisent
le plus souvent. Une récompense, l’amélioration du statut, plus de responsabi-
lités, un avantage matériel ou une médaille pourront servir dans les autres cas.
Edwards T. Hall44 notait que les femmes américaines découvraient leur
féminité en se promenant en Europe, car elles étaient regardées par les
hommes et avaient enfin le sentiment d’être considérées en tant que femmes,
objet de désir et non d’exclusion. Le regard porté à l’autre le fait donc accéder
à l’existence. De jeunes femmes marocaines rencontrées à l’Université
Ibn Zohr d’Agadir m’ont confié que, le jour où elles se voileraient, elles
auraient le sentiment de renoncer bien plus qu’à leur féminité mais à leur exis-
tence même de femme, d’être humain ; pour elles cette décision correspondait
à un suicide. Or d’une année sur l’autre ce phénomène s’étend davantage sous
la pression sociale45. En France, que peuvent alors ressentir ces employés ayant
peu de qualification, qui ne sont ni regardés ni salués par les personnes qu’ils
côtoient, comme c’est par exemple le cas des personnels de nettoyage dans les
bureaux, les supermarchés, les administrations, les hôpitaux. Chacun a pu le
constater : ils sont – au mieux – considérés comme des gêneurs avec leur
attirail encombrant de techniciens de surface.

44. E. T. Hall La dimension cachée, coll. « Points-Essais », Seuil, 1978.


45. Cette université a ouvert, à la rentrée 2008-2009, un master sur « Le discours de la Charia
et les problèmes contemporains ».
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22 Le Manager positif

1.4 Fixer des objectifs clairs


pour favoriser la progression
Apprendre à manger, à ouvrir un œil puis l’autre, à marcher tout seul, à
découvrir le monde des objets puis celui des congénères, ensuite gribouiller
pour en faire des mots, savoir lire puis compter, et ainsi de suite tout au long de
notre vie sont autant d’étapes qui s’inscrivent dans un processus de
progression qui constitue incontestablement le plus puissant de nos besoins
fondamentaux. Il nous fait nous surpasser, soulever des montagnes, nous
rétablir d’une longue maladie, revenir au plus haut niveau sportif après une
chute, inventer à tout prix, augmenter nos performances, déchiffrer les
hiéroglyphes ou venir à bout d’un dossier épineux.
« Vingt fois sur le métier, remettez votre ouvrage. Polissez le sans cesse46 ».
Cette double injonction de Nicolas Boileau, basée sur la répétition et le
polissage qui visent la perfection, s’applique parfaitement à comprendre notre
besoin de progression, toujours insatisfait, toujours en amélioration constante.
Ce besoin psychologique explique le succès du kaizen47, qui prône une métho-
dologie d’amélioration continue des procédures et méthodes de travail. C’est
le tour de main de l’artisan qui s’améliore chaque jour, c’est l’équipe de travail
qui cherche à réviser ses procédures pour se rapprocher, puis surclasser les
standards de la concurrence. C’est la quête du Graal de la qualité totale, le
mythique zéro défaut pour lequel militait Phil Crosby48. Rajoutons une dose
d’humilité avec la remarque d’Alain « penser c’est aller d’erreur en erreur »
ou celle de Lao Tseu qui déclare « l’échec est le fondement de la réussite ».
Chacun de ces bogues nous conduit effectivement à la réussite à condition
« d’apprendre à se tromper de bonne humeur » et d’être « loué pour ce qui est
bien et négliger le reste »49.
Ces actions de perfectionnement sont voulues par la loi sur la formation tout au
long de la vie du 4 mai 2004. Quand la concertation, qui accompagne ce
perfectionnement est rendue possible par le post-taylorisme, ou maintenue par
des organismes qui les ont mises toutes deux au centre de leur philosophie de
l’action, ces organismes ont pu devenir ultra-compétitifs. Les travaux de

46. N. Boileau, L’art poétique, Chant 1.


47. Programme d’amélioration continue de Masaaki Imai, Kaizen, the key in Japan’s Compe-
titive success, Random House Business Division, 1986.
48. P. Crosby, La qualité c’est gratuit et La qualité sans Larmes, Économica, 1986.
49. Alain, Propos sur l’éducation, Puf, XXXII.
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Tous des nuls ! 23

terrain le démontrent : Octave Gélinier50, Michel Crozier51 Hervé Sérieyx et


bien d’autres, depuis des décennies que certains52 voyagent au centre des orga-
nisations et en rapportent une douzaine d’affirmations stupéfiantes pour le
clan taylorien :
– les trois quarts du temps passé par les dirigeants des plus grandes entre-
prises de la planète sont utilisés en discussions, en concertation et en
échange avec leurs collaborateurs ;
– les entreprises les plus performantes sont celles qui affectent le plus gros
budget au perfectionnement de leurs salariés ;
– une partie de l’équivalent financier des 20 % de non-qualité affecté au
perfectionnement du personnel a permis de faire chuter ce taux à 0,5 % en
moins de dix ans, dans telle usine d’un grand constructeur automobile
implanté en France ;
– un technicien de surface, jugé attardé mental par sa hiérarchie, est devenu
intarissable quand il lui a été demandé son avis sur la façon d’améliorer son
travail ;
– des opérateurs sans diplôme ni qualification peuvent accéder à des postes
de techniciens et au baccalauréat F1 (fabrication mécanique) en un an ;
– les jeunes font semblant d’être dociles pour avoir leur premier emploi et
n’en font ensuite qu’à leur tête en reniant les valeurs fondamentales du
travail, du devoir et de la soumission à l’autorité. Il est probable que les
jeunes sortant du système éducatif changeront d’emplois tous les cinq ans ;
– les femmes peuvent tenir avec bonheur des postes à responsabilité même si
elles se plaignent d’y parvenir avec deux fois plus d’efforts que les
hommes ;
– le métier mono-compétence à vie disparaît au profit de l’acquisition de
multiples compétences utilisables tout au long de la vie, adaptées à
l’évolution technologique et à la labilité des fonctions ;
– le travail fatigue naturellement et il faut apprendre à se ménager ;
– les seniors sont plus compétents que les moins de trente-cinq ans ;
– il y a bien une vie en dehors et après le temps de travail (environ 17 ans
d’espérance de vie au départ à la retraite) !

50. O. Gélinier, Le secret des structures compétitives, Éd. Hommes et Technique, 1968.
51. M. Crozier, L’entreprise à l’écoute, Interéditions, Paris, 1996.
52. H. Mintzberg, Voyage au centre des organisations, Éd. d’Organisation, 1998.
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24 Le Manager positif

Nous avons pu le vérifier dans notre action de pédagogue ou de conseil :


incroyables sont les réserves de ténacité des personnes à qui est proposé le défi
d’améliorer un produit ou un service, avec l’appui d’une méthodologie appropriée.
Le retour à l’école traditionnelle, avec ses méthodes périmées et ses conserves
culturelles sans saveur, mais avec son arrière-goût d’échec répété prononcé, fait
peur à la majorité des personnels confinés dans des tâches répétitives.
Il faut donc recourir à d’autres méthodes pour la formation des adultes53. Ces
méthodes actives, interactives, dialogiques partent de cas concrets et de mises
en situation dans lesquelles le formateur sert de modèle et de mentor. Elles font
alors franchir aux salariés des Himalaya naguère rédhibitoires : expression en
public, anglais, trigonométrie, leadership ou langage informatique. Autant de
compétences indispensables pour programmer un robot et négocier son
installation dans un groupe pluriethnique.
Le mystère de la motivation reste entier, même quand est connue la puissance
de ces besoins fondamentaux. Chacun de ces besoins peut être inhibé par un
frein particulier, dû à la situation présente ou à la résurgence d’un blocage
antérieur lié à une situation d’autorité aux plans familial, scolaire ou profes-
sionnel. Par ailleurs, outre que le frein doit être réduit à néant par la bien-
veillance et la sagacité du manager, il faut aussi qu’il soit excité par une action
stimulante précise, favorisé par la situation et par un encouragement
permanent du manager. Ces actions de libération des besoins nécessitent de la
part du manager, outre l’apprentissage d’une méthode de communication, des
réserves de psychologie pour écouter chacun de ses collaborateurs et percer à
jour les dédales du déclenchement de ces motivations qui sont à la source d’un
travail de qualité.

1.5 Le manager positif


Le management relationnel est attendu par tous ceux qui souffrent au travail et le
vivent comme le successeur de l’antique tripalium qui enserrait les esclaves dans
un carcan. Il doit s’assigner des objectifs correspondant aux attentes, besoins et
contraintes des collaborateurs dont il a la charge. L’atteinte de ces objectifs
implique de renouveler le contenu, la conception et la pratique du management
actuel en puisant aux sources des organismes qui ont compris les enjeux liés à la
mondialisation, aux exigences des salariés et les recommandations de la
normalisation en cours qui prend désormais en compte les demandes des acteurs

53. E. Carré, A. Labruffe., Guide du nouveau formateur, AFNOR Éditions, 2008.


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Tous des nuls ! 25

du réseau clients-fournisseurs ainsi que les droits humains fondamentaux des


salariés.
Dès lors ce management positif prend sa source dans :
a) un état d’esprit résolument optimiste réactivé chaque jour par des
exercices précis (voir chapitre 8) ;
b) une conception éthique et humaniste basée sur la confiance, la bien-
veillance et l’encouragement ;
c) une pratique relationnelle dopée par un ensemble de compétences inter-
personnelles bonifiée par des apprentissages et des perfectionnements
continus ;
d) une communication interpersonnelle basée sur des formulations affirma-
tives, un langage clair et factuel et la prise en compte empathique et consen-
suelle des questions, objections et oppositions ;
e) une action pragmatique quotidienne, lors des entretiens et réunions,
basée sur des faits, une organisation structurée planifiée et concertée en
permanence afin de la réajuster au mieux des attentes, des besoins, des
contraintes et des droits des acteurs en présence ;
f) une authentique ingénierie des ressources humaines affectée au mana-
gement, mise en œuvre à toutes les étapes de la carrière d’un collaborateur
de son entrée dans l’organisme jusqu’à son départ.
Ce management positif s’appuie sur une ingénierie spécifique comportant
l’exercice de compétences, déclinées en normes et procédures, alliant les outils
de base54 afin de déclencher et maintenir la motivation des salariés par la
prise en compte constante et la facilitation de leurs besoins d’expression,
d’information, de reconnaissance et de progression.
Pour parvenir à sa mise en place chaque manager doit surmonter les attitudes
qui pénalisent son travail primordial au service des collaborateurs dont il a la
charge. Nous venons de montrer que, derrière l’apparente « nullité » de ceux
qui nous entourent, se cachent des besoins psychologiques fondamentaux qui
doivent être activés, stimulés et satisfaits de façon continue. Pour y parvenir et
exercer la pratique fondamentale de l’ingénierie des ressources humaines, le
manager doit aussi magnifier les compétences qui font l’objet, le plus souvent,
d’un déni constant.

54. Une méthode de communication positive, la description méthodique des fonctions, le


recours à un référentiel de compétences, une démarche de qualité globale de 5e génération.
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2
Incompétents, vous dis-je !

Au diable les savants qui ne veulent point écouter les gens !


Molière, Le mariage forcé

Cet anathème ressemble furieusement au précédent tout en le précisant. La


cause de la nullité est reconnue dans l’incompétence et la première est celle de
ne point écouter alors que celui qui s’en étonne devient l’incompétent
suprême… Connaissant la cause, le remède peut être administré. La méthodo-
logie des compétences doit donc transformer ce cri du cœur en une action
d’analyse et de perfectionnement dans laquelle le manager pourra montrer ses
propres compétences d’écoute active et de pédagogie.
« Mais ce n’est pas possible aujourd’hui, ils se sont tous donné le mot, quelle
bande d’incompétents ! Ils ne savent pas, ils ne savent pas faire et je ne
supporte plus leur comportement. Et ce nouveau, encore une erreur de recru-
tement. Il faut dire que ce préposé des postes est une injure ambulante pour
notre image de marque. » C’est à peu près en ces termes que cette équipe de
dirigeants analysait l’entourage dont ils s’étaient dotés.
Il est grand temps pour eux et pour tous ceux qui se lamentent ainsi, de mettre
en place les piliers formels du management : descriptions de fonctions,
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28 Le Manager positif

démarche qualité, méthode de communication et référentiel de compétences.


Pour affiner l’analyse des incompétences, autant commencer par ce dernier
moyen. L’évaluation par les compétences situe ainsi le management positif au
niveau des faits. Après l’éthique de la relation qui en constitue le premier
principe fondamental, cette action objective en constitue le second principe
opérationnel. Elle permet au management de sortir de ses appréciations
épidermiques transformées de surcroît un jour d’entretien annuel par une note
comme à l’école55 (vous êtes nuls, incompétents, sans initiative ni autonomie)
pour établir une relation concertée stimulant ainsi les quatre besoins fonda-
mentaux exposés au premier chapitre. Cette évaluation concertée est fondée
sur l’expérience prouvée de chaque collaborateur, narrée dans son historique
vital et professionnel. Elle peut aussi être enregistrée dans un bilan d’étape
professionnel ou un passeport formation préparé à l’avance comme le suggère
la loi du 4 mai 2004 sur la formation tout au long de la vie et celle du 11 janvier
2008 concernant la modernisation du marché du travail. Dans ce dernier cas
l’article 6 de la loi préconise même que chaque salarié pourra produire ce
document à son employeur lors de l’embauche ou des entretiens profes-
sionnels pour l’aider à élaborer son projet professionnel. Cette évaluation
concertée conduit à cartographier les compétences en attribuant une mesure à
chacune d’entre elles à partir de l’étalon de mesure que constitue le référentiel
d’une part et de la description de la fonction détaillée d’autre part. Hélas, dans
beaucoup d’organismes non industriels celle-ci n’existe pas et n’importe qui
peut faire n’importe quoi à partir d’un vague profil de poste ou quelques lignes
d’une fiche de poste.
Le terme compétence est devenu un de ces mots valises comme les nomme
Hervé Sérieyx56, qui ont perdu tout ou partie de leur sens, à telle enseigne que
chacun les utilise en lui donnant une signification réduite à son propre usage.
Nous pouvons même affirmer qu’il est devenu un de ces mots poubelles
(cadre, responsable, autonomie, initiative, urgence) qui ne sont plus que les
résidus de leur signification originelle et sont prononcés comme autant de
jurons, balancés à l’emporte-pièce comme des rogatons aux gens qui nous
entourent. Il convient donc de revenir à la norme FDW 50-183 dont le mérite
est d’éviter cette dérive.

55. Un décret du 17 septembre 2007 préconise « aux ministères volontaires, d’abandonner la


notation au profit de l’évaluation ».
56. H. Sérieyx, Boussoles pour temps de brume, Village mondial, 2003, p. 29.
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Incompétents, vous dis-je ! 29

La compétence est ainsi définie comme :


une capacité prouvée par l’expérience à mettre en œuvre des savoirs,
savoir-faire, savoir faire faire et savoir-être en situation d’exécution :
– Le référentiel de compétences est un document identifiant l’ensemble des
compétences utiles à l’organisme dans le présent et le futur, au plan tech-
nique comme au plan relationnel, comportant la détermination des niveaux
de complexité croissante à l’intérieur de chacune d’elles, correspondant à
des niveaux d’apprentissage et à des degrés de maîtrise croissants. C’est un
outil de facilitation des relations avec les partenaires de l’organisme et un
outil de concertation lors des évaluations entre un responsable d’enca-
drement et chacun de ses collaborateurs. Chaque domaine fait l’objet d’un
référentiel spécifique et l’ensemble des domaines ainsi référencés est réuni
dans un même document à la disposition de tous les salariés.
– L’évaluation des compétences s’opère par l’utilisation de différentes
méthodes (entretiens individuels, diagnostics par questionnaires, auto-
diagnostics, tests, réunions, quiz, QCM). Pour nous, dans notre pratique
courante, la carte des compétences établie en concertation entre le manager
et chacun de ses collaborateurs se révèle l’outil privilégié de l’évaluation,
autant pour dresser le profil des compétences d’une fonction que pour
mesurer les compétences du titulaire afin de mettre en évidence les écarts
en termes de ressources et de déficits. Ceux-ci peuvent alors être aisément
transformés en objectifs de progression en termes d’action et/ou de
formation basés sur un accord entre les interlocuteurs en présence. Dans ces
conditions, l’évaluation des compétences devient un puissant moyen de
l’efficacité quotidienne du management positif.
– Le perfectionnement continu des compétences, une fois celles-ci
régulièrement évaluées, devient une nécessité d’autant plus cruciale que
s’effectue de façon concomitante une évolution des fonctions auxquelles de
nouvelles compétences et des niveaux plus élevés s’appliquent, ainsi
qu’une évolution technologique rapide qui en rend la maîtrise obsolète
aussitôt qu’elle est acquise.

2.1 De l’aptitude à la compétence


Cette notion de compétence mérite un éclaircissement. Il existe une distinction
entre compétence et aptitude, de la même façon qu’il existe un monde entre
une promesse et la réalisation de l’action qui suit. La compétence correspond
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30 Le Manager positif

à l’actualisation d’un potentiel, d’une aptitude ou d’une capacité démontrée


dans la résolution d’un problème, l’exercice d’une activité, la maîtrise d’une
situation, une démonstration à l’épreuve de l’expérience.
Ces notions de potentiel, d’aptitude ou de capacité définissent des virtualités
possibles et théoriques (mon automobile est capable d’atteindre 220 km/h)
alors que la compétence décrit et mesure en termes de savoirs, de savoir-faire,
de savoir faire faire et de savoir être le niveau opérationnel réellement atteint
(ma compétence inclut les limitations du code de la route, s’adapte aux condi-
tions de circulation et de météo, souscrit aux injonctions de ma femme qui a
peur en voiture ou du constructeur en période de rodage pour effectivement
atteindre 80 km/h sur une départementale). Dès lors, l’aptitude mesure un
idéal théorique alors que la compétence décrit une réalisation effective dans un
domaine particulier en tenant compte des différents critères du contexte de
l’actualisation du savoir.

2.1.1 Des domaines hiérarchisés en niveaux croissants


Le principe méthodologique majeur réside dans le fait que l’évaluation est
conçue en fonction de l’apprentissage nécessaire pour passer de l’ignorance
dans un domaine de compétence inconnu jusqu’alors.
Par exemple, je ne connais rien au swahili mais si je veux voyager au Kenya, je dois
accéder du premier palier (constitué par les formules de politesse d’usage et la tren-
taine de mots courants pour faire bonne figure) à un palier supérieur de connaissance.
Ainsi, de proche en proche, en apprenant les unités de compétence essentielles qui
composent un niveau de compétence, il est possible, en progressant de paliers en
paliers croissants, d’atteindre un niveau suprême appelé expertise. (Même si je veux
vivre au Kenya le niveau de maîtrise des situations de communication courante suffira
à mon bonheur.)

Cette mesure du niveau de compétence dans un domaine particulier s’effectue


par l’intermédiaire de propositions qui désignent l’actualisation de la compé-
tence comme : « demande sa route à des passants », (niveau 2 sur 7 d’une
langue étrangère), « rédige un compte rendu » (niveau 4 en expression écrite),
« stérilise les instruments de chirurgie » (niveau 3 en asepsie), « planifie
l’emploi du temps d’une équipe de 25 personnes » (niveau 5 de la gestion du
temps). La compétence est elle-même définie par un ensemble de propositions
constituant des unités théoriques et pratiques, concrètement mises en œuvre et
faisant l’objet d’une description ou d’une manifestation en termes de savoirs et
de savoir-faire, c’est-à-dire en termes de connaissances ou de techniques.
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Incompétents, vous dis-je ! 31

Chaque proposition ou item correspond à une procédure, à une unité de savoir.


Ainsi chacune, décrivant une unité de compétence, a trait à un niveau préci-
sément repéré dans le tableau hiérarchisé présenté ci-dessous. Ce tableau
constitue la trame d’élaboration et de mesure de tout domaine de compétence,
technique ou relationnel.
En outre, chaque unité de compétence indique un acquis théorique et/ou
pratique qui sous-entend que l’intéressé évalué sait ou sait faire. L’un et l’autre
sont identifiés par un verbe d’action correspondant au niveau de savoir :
rédiger, lire, conduire, préparer, organiser, animer…

2.1.2 Des niveaux structurés en degrés croissants de maîtrise


Pour affiner l’évaluation, il convient de préciser si ce savoir et ce savoir-faire
sont possédés et pratiqués de façon plus ou moins aisée. Cette analyse
détermine ainsi un affinement en quatre niveaux distincts qui traduisent à la
fois un degré de maîtrise du savoir ou du savoir-faire ainsi que des paliers de
progression qui conduisent à un apprentissage, un perfectionnement ou un
entraînement spécifique pour atteindre le palier supérieur (niveau ou degré).
Ces degrés de maîtrise de chaque unité de compétence sont au nombre de 4 :
– au degré 1, le savoir ou savoir-faire évalué est faiblement maîtrisé ; il se
traduit par des hésitations des erreurs, une approximation ou une mala-
dresse d’énonciation pour le savoir ou de réalisation pour le savoir-faire ;
– au degré 2, le savoir est encore hésitant et le savoir-faire se traduit par une
exécution maladroite ou peu agile ;
– au degré 3, le savoir et le savoir-faire sont acquis et démontrés avec aisance,
fluidité et agilité ;
– au degré 4, savoir et savoir-faire sont parfaitement maîtrisés, automatisés
et le savoir-faire est mis en œuvre les yeux fermés.
Un domaine de compétence concerne une entité complète de connaissances
théoriques et de pratiques concrètes associées, hiérarchisées en sept niveaux
(dans la version complète en 7 niveaux) qui sont autant de paliers d’appren-
tissage. Chaque niveau comporte des unités de compétences relatifs à un savoir
et à un savoir-faire qui peuvent être repérés de façon distincte ou par une même
formulation représentée par un verbe actif : rédige, lit ou anime (et non pas sait
rédiger, sait lire ou sait animer). Le verbe d’action fait référence à une
situation déjà éprouvée alors que ce même verbe précédé de « savoir » fait
référence à une situation – connue certes – mais pas forcément rencontrée et
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32 Le Manager positif

expérimentée concrètement. Il en est ainsi, par exemple, de l’item « connaît les


soins palliatifs », qui indique plus une connaissance théorique, alors que l’item
« exerce les soins palliatifs auprès de cancéreux » fait référence à une pratique
et un mode opératoire réellement déjà vécus et à une situation expérimentée et
(plus ou moins) maîtrisée. De même si je dis « je connais les mouvements du
crawl », j’évoque une connaissance théorique alors que « je nage le crawl »
indique une réalité bien différente pour identifier mon niveau dans le domaine
de compétence « Natation ». Dans ce cas les degrés de maîtrise pourront être
aussi mesurés par des temps de référence :
– au degré 1, je suis au-dessus de 2 minutes pour 50 mètres ;
– au degré 2, je nage cette distance en plus de 1 minute 30 ;
– au degré 3, je suis au-dessus de la minute ;
– au degré 4, je frôle le record du monde, en dessous de la minute.

2.1.3 Choisir une version du référentiel de compétence


L’expérience de ces dix dernières années, assortie de l’implantation de référen-
tiels de compétences dans de multiples secteurs d’activité, ainsi que les
exigences des divers établissements (moyens alloués, temps consacré, budget,
organisation du projet) et la connaissance de la volonté des managers pour
dégager un temps difficilement extensible, conduisent à envisager parmi
plusieurs versions méthodologiques, celle qui convient le mieux à l’efficacité
et souscrit aux impératifs de tout cadre surmené : rapide, simple et opéra-
tionnel. Les référentiels peuvent don être conçus pour un domaine de compé-
tence considéré en fonction d’une complexité plus ou moins importante
compatible avec le temps disponible.
Dès lors les domaines de compétence peuvent être choisis parmi quatre
versions principales dont les intitulés sont ainsi définis par convention :
– Une version dite « complète » en sept niveaux et au moins quatre propo-
sitions par niveau. Elle constitue l’aboutissement ultime de la
méthodologie en présentant un inventaire détaillé des savoirs et savoir-faire
composant chaque niveau de compétence concerné. Cette version nécessite
un investissement important en moyens humains et en temps, car la
rédaction complète du référentiel puis sa validation peuvent s’étaler sur
plusieurs mois voire sur plusieurs années.57

57. Management des compétences, construire votre référentiel, Afnor, 2005.


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Incompétents, vous dis-je ! 33

– Une version dite « normale » en cinq niveaux et quatre propositions par


niveau qui représente la solution plus rapide et la moins gourmande en
temps et en moyens, permettant une utilisation courante de la mesure des
compétences pour une fonction ou une personne.58
– Une version dite « réduite » en quatre niveaux et une seule proposition
synthétique qui correspond davantage au besoin quotidien d’un service ou
d’un établissement et nécessite un minimum de temps évalué à une demi-
heure par domaine de compétence. Cette version a aussi l’avantage de
pouvoir être réalisée individuellement par chaque manager pour l’ensemble
des domaines de compétences qu’il possède au meilleur niveau. Pour
obtenir le référentiel de tous les domaines d’un organisme, il suffit de
rassembler les domaines réalisés par l’ensemble des managers et de les faire
homogénéiser et valider par un groupe de travail dédié à cet effet.59
– Une version dite « abrégée » en dix niveaux hiérarchisés comportant une
seule proposition par niveau, comme nous l’avons montré dans 60 tableaux
pour la gestion des compétences, constitue le premier stade d’élaboration
et de rédaction d’un référentiel. Cette version a l’avantage considérable de
constituer une initiation à la méthodologie en affinant la hiérarchie crois-
sante donnée par la version réduite. Elle est plus adaptée à l’élaboration de
programmes d’apprentissage conçus pour s’initier à un domaine et
progresser. Elle peut être rédigée par n’importe quel manager en un temps
extrêmement court pour identifier les domaines de compétences utiles à son
service. La rédaction de chaque domaine peut être effectuée en moins d’une
demi-heure et une dizaine de domaines peuvent alors être référencés en une
demi-journée de travail.
Ensuite, au fil du temps et des entretiens professionnels, cette version
abrégée pourra être améliorée et enrichie pour constituer un référentiel utile
au service en comportant l’ensemble des domaines exigés par les diverses
fonctions du service.
Autre avantage de cette formule : la formation à cette version peut être
rapidement effectuée et être généralisée à l’ensemble de l’encadrement
d’un établissement : managers, chefs de service et dirigeants, aux fins de
généralisation à moindre coût de temps et de moyens.

58. Le savoir-être ! – Un référentiel professionnel d’excellence, Afnor, 2008.


59. Guide pour l’évaluation des personnels de santé, LEH, 2008.
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34 Le Manager positif

2.2 Le cadre méthodologique des référentiels

2.2.1 Maquette de la version complète


Dans toutes les versions proposées, la hiérarchisation des niveaux est effectuée
de façon croissante ou décroissante. Chaque niveau est numéroté de 1 à 7, de
1 à 5, de 1 à 4, de 1 à 10 ou l’inverse (Tableau 2.1).
Dans la version complète, chaque niveau est constitué par quatre propositions
(voire davantage si nécessaire) dont chacune identifie le savoir, le savoir-faire
requis ou présenté (par une fonction ou un titulaire). L’identification de cette
version peut être reprise pour les autres versions.
Tableau 2.1 Identification des niveaux d’un domaine de compétence

NIVEAU INTITULÉ COMPÉTENCES REQUISES


0 Ignorant Aucune connaissance n’est requise
Aucune connaissance n’est acquise
1 Connaisseur La compétence pratique n’est pas nécessaire
et le savoir requis nécessite seulement de : connaître
son existence à travers un vocabulaire de base, à définir
dans chaque domaine ; maîtriser une seule unité ;
reconnaître les éléments matériels du domaine.
2 Utilisateur La compétence nécessite, outre le vocabulaire
de base, de connaître un vocabulaire élargi
et des définitions, de réaliser des gestes ou actions
simples à partir de protocoles écrits par ailleurs.
3 Généraliste La compétence nécessite la connaissance
opérationnelle de plusieurs unités de connaissances
(modules, protocoles et modes d’emploi décrits
par ailleurs), l’accomplissement d’opérations
enchaînées, la réalisation d’exercices simples,
la maîtrise de situations simples regroupant plusieurs
unités, la réaction adaptée à une situation en référence
à l’expérience et à des situations analogues.
4 Professionnel La compétence permet de maîtriser des situations
courantes faisant appel un ensemble d’unités
et de modules élaborés, de s’adapter à des situations
nouvelles grâce à des normes et à des procédures
connues et précisément référencées dans un manuel,
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Incompétents, vous dis-je ! 35

Tableau 2.1 Identification des niveaux d’un domaine de compétence (fin)

NIVEAU INTITULÉ COMPÉTENCES REQUISES


5 Technicien La compétence permet d’affronter et de maîtriser
des situations complexes, difficiles voire conflictuelles,
en utilisant un ensemble de techniques, de démarches
ou de méthodes spécifiques.
6 Spécialiste La compétence permet de modéliser, affronter
et maîtriser parfaitement toutes les situations
et de les enseigner pour en améliorer l’efficacité.
7 Expert C’est l’excellence qui permet, au-delà de la parfaite
maîtrise du niveau précédent, de rechercher, d’innover,
de proposer une normalisation et l’établissement
de procédures de référence et d’être reconnu
à l’extérieur, au plan national et international.

2.2.2 Élaboration et utilité d’un référentiel


Quelle que soit la version choisie, la construction d’un référentiel souscrit à la
procédure suivante. Il convient de constituer, sur la base du volontariat et d’une
formation méthodologique initiale, un ou plusieurs groupes de travail, au sein de
l’entreprise, représentatifs du ou des secteurs choisis pour élaborer un référentiel des
compétences. Pour réaliser la construction des versions simplifiées, il suffit de la
volonté d’un manager et de quelques heures de travail individuel pour entamer le
processus qui conduira, à partir d’un domaine réduit ou abrégé, puis d’un référentiel
utile à un service, à un référentiel complet disponible pour l’ensemble de l’organisme.
Pour employer une analogie, ce référentiel constitue ainsi une étoffe dans
laquelle il conviendra ensuite de tailler les costumes adaptés à chaque
fonction, puis d’étalonner les compétences réellement acquises par chaque
acteur de l’organisme. Chaque fonction sera ainsi appréciée à partir d’une
carte des domaines de compétences techniques et relationnelles nécessaires à
l’accomplissement des diverses attributions de la fonction. Chaque personne
de l’organisme pourra alors être évaluée en comparant les niveaux acquis dans
chacun des domaines utiles à la fonction, afin de mesurer des écarts en termes
de ressources et de déficits. Les premières permettront de mettre à disposition
de l’organisme telle ou telle personne-ressource pour former, tutorer, diriger
ou participer à des projets, voire évoluer vers une fonction nécessitant cette
ressource. Les déficits constatés, quant à eux, pourront être aisément trans-
formés en objectifs de progression et en action de formation à partir des
intitulés qui en identifient exactement le contenu.
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36 Le Manager positif

Les référentiels simplifiés (réduit ou abrégé) peuvent parfaitement être


réalisés en toute autonomie par un manager formé à cet effet. Plusieurs
managers peuvent réaliser les référentiels utiles à leur service et échanger le
fruit de leurs travaux aux fins d’homogénéisation et d’évitement des doublons.
Pour la construction d’un référentiel technique complet, spécifique à un
service ou à un organisme, moyennant une formation préalable d’une journée,
des groupes de travail peuvent être constitués par des agents volontaires,
motivés et représentant différentes fonctions. Ils doivent être animés par un
chef de projet désigné par l’établissement. Leurs travaux sont centralisés et
harmonisés au fur et à mesure de leur avancement pour parvenir à :
– un recensement de l’ensemble des domaines de compétences néces-
saires au service ou au secteur référencé ;
– une hiérarchisation de chaque domaine en niveaux croissants repérés par
des critères objectifs et unanimement identifiés en termes de savoirs,
savoir-faire et savoir faire faire ;
– une rédaction synthétique de chacun de ces critères sous forme d’une
proposition commençant par un verbe actif à la troisième personne du
singulier, renvoyant à un protocole précisant les modalités d’application ;
– une rédaction homogène de chaque domaine par recours à un expert du
domaine concerné et par un garant de la méthodologie. Ce document cons-
titue au fur et à mesure du travail des groupes, le thésaurus du référentiel.
Les domaines élaborés doivent être tenus à disposition de tous et enrichi au
fil du temps grâce à leur utilisation conjointe, lors des entretiens annuels,
d’appréciation ou professionnels notamment ;
– une formalisation adaptée aux buts de l’évaluation selon les divers
modèles présentés dans ce chapitre.
L’homogénéité est réputée atteinte quand :
– chaque niveau est identifié par un minimum de quatre ou cinq items ;
– chaque item commence par un verbe actif (éviter est capable de, s’occupe
de, assure, travaille) conjugué à la 3e personne du singulier : rédige (indi-
quant la connaissance détenue par le tenant de la fonction) ou éventuel-
lement par le substantif : rédaction de ;
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Incompétents, vous dis-je ! 37

– il y a continuité de l’apprentissage en passant d’un niveau à un niveau


immédiatement supérieur ;
– chaque item identifie à la fois une connaissance théorique, un savoir-faire
pratique, une transmission de savoir ou de savoir-faire, codifiée dans l’une
des trois colonnes dans lesquelles chacune de ces déclinaisons est opérée.
Cette phase de travail doit se conclure chaque année par une restitution à
l’ensemble de l’organisme, via le service RH, afin d’informer les chefs de
service voire l’ensemble du personnel, et entraîner l’adhésion de nouveaux
services tandis que le référentiel est mis à disposition de l’ensemble du mana-
gement sous forme d’un document écrit et/ou accessible par intranet.

2.2.3 Grille d’analyse d’un domaine de compétence


Elle est présentée au tableau 2.2 pour rédiger chaque domaine de compétence
en tenant compte de la hiérarchisation – du plus facile au plus complexe –
d’une part, et de la distinction en termes de savoir, savoir-faire et savoir faire
faire d’autre part.

Un format A3 (double page) est conseillé ainsi que l’emploi d’un crayon
et d’une gomme dans le temps de la rédaction en groupe. Ensuite la rédaction
sur ordinateur facilitera l’apport de toutes les précisions utiles, la transformation
ou l’amélioration des formulations puis les validations nécessaires.

Tableau 2.2 Matrice constitutive d’un domaine de compétence

Niveau Item (ou Unité de connaissance) Savoir Pratique Transfert


1

7

Cette matrice d’élaboration d’un domaine de compétence peut être ensuite


utilisée comme une grille d’évaluation qui permet de repérer les savoirs,
savoir-faire et savoir faire faire acquis par une personne afin d’identifier et de
mesurer les écarts existant en plus, ce qui correspond à des ressources
disponibles (Tableau 2.3). Les écarts peuvent aussi constater des déficits, ce
qui correspond à des objectifs de progression à atteindre moyennant une action
d’apprentissage.
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38 Le Manager positif

Les ressources disponibles pourront alors être utilisées :


– par la personne pour évoluer ;
– par l’organisme pour former d’autres personnes.
Tableau 2.3 Matrice comparative des compétences fonction/personne

Niveau Item (ou Unité de Requis Acquis Écart


connaissance) par la par la déficit
fonction personne ressource
1

7

Les objectifs de progression identifiés par des propositions qualifiées dans le


référentiel en termes de verbes actifs serviront à déterminer les programmes de
formation utiles pour la personne concernée. Ces propositions constitueront
autant d’intitulés de formation et de procédures à maîtriser lors de l’appren-
tissage. Elle peut aussi être transformée comme nous le proposons dans le
chapitre du référentiel des compétences du savoir-être en grille d’auto-
évaluation indiquant le savoir acquis, la pratique correspondante et le degré de
maîtrise possédé. Ce degré de maîtrise affine l’évaluation en indiquant quatre
paliers d’acquisition : de 1 hésitant à 4 parfaitement automatisé. Ces degrés
peuvent aussi être des paliers de performance, comme l’exemple de la natation
cité plus haut le montre.

2.3 Construction d’un référentiel en version complète


Le prérequis réside bien sûr dans la volonté des dirigeants concernés (et ou du
management) et leur engagement indéfectible dans une action qui exige un
investissement en formation, temps et moyens humains.

2.3.1 Réalisation d’un état des lieux


Il s’agit de faire une analyse de la situation existante et de reformuler les
objectifs de départ afin de :
a) procéder à l’état des lieux : audit du service ou de l’établissement concerné
en termes de fonctions, de structure et d’organisation ;
b) recenser les besoins actuels des secteurs concernés en termes de
compétences ;
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Incompétents, vous dis-je ! 39

c) prévoir les évolutions technologiques et leur impact sur les fonctions et les
compétences requises ;
d) établir des cartes de compétences de certaines populations, notamment les
seniors (les quinquagénaires que nous appellerons « jeniors »), pour
bonifier leurs compétences et les utiliser au mieux ;
e) réaliser des cartes de compétences synthétiques d’un service pour prévoir
les évolutions de compétences nécessaires et les recrutements indispen-
sables tout en mettant en évidence les personnes ressources et celles
passibles d’une impérative mise à niveau dans tel ou tel domaine de
compétence.

2.3.2 Constitution d’un groupe de projet


Elle consiste à constituer un ou plusieurs groupes de travail de personnes
volontaires, dans des services représentatifs des secteurs choisis pour les
former à la méthodologie du référentiel. Ces groupes sont animés par un chef
de projet qui met en œuvre une méthodologie adaptée aux objectifs et aux
délais. Il peut être aidé par des responsables qui constituent alors un groupe de
pilotage qui va superviser, aider et valider l’avancement des groupes de travail
puis essaimer la méthodologie au sein de l’organisme.

2.3.3 Appropriation de la méthodologie


Les travaux de ces groupes sont régulièrement harmonisés par l’expert métho-
dologique pour parvenir :
1. à un recensement de l’ensemble des domaines de compétences du secteur
étudié ;
2. au choix d’une version simplifiée pour établir la hiérarchie du référentiel ;
3. à une hiérarchisation de chaque domaine en niveaux ;
4. à la rédaction de propositions énonçant des caractéristiques objectives et
factuelles, identifiées en termes de savoirs, savoir-faire et savoir faire faire
(sur le modèle de la grille d’élaboration, dans un format A3).
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40 Le Manager positif

2.3.4 Expérimentation opérationnelle


Il importe d’engager une expérimentation opérationnelle dans les services ou
établissements volontaires pour :
a) expérimenter la faisabilité du référentiel et choisir la version qui correspond
à l’objectif et aux moyens dégagés par l’organisme ;
b) affiner le référentiel et les niveaux ;
c) évaluer les fonctions et personnels concernés ;
d) mesurer des écarts entre les compétences requises par une fonction à un
moment donné et les compétences effectivement mises en jeu par le
titulaire de la fonction ;
e) transformer ces mesures en programmes de formation adaptés à combler
ces écarts ;
f) former des évaluateurs internes à l’établissement ;
g) faire l’inventaire de l’ensemble des compétences disponibles dans un
établissement ou dans un secteur d’activité ;
h) établir des cartes de compétences utiles à tous les moments d’évaluation de
la carrière d’un salarié, de l’embauche à son départ.

2.3.5 Consolidation du référentiel


Une fois le référentiel rédigé, il s’agit d’engager une action réalisée en concer-
tation dans le ou les services volontaires pour développer la construction du
référentiel et consolider les propositions qui le composent. Une fois l’an, les
entretiens professionnels doivent aussi permettre d’actualiser certains référen-
tiels, de préciser quelques propositions et d’élaborer de nouveaux domaines.
Un groupe de projet peut être dédié à rassembler des travaux épars, à les homo-
généiser puis à les valider en les consignant dans un livre spécifique à la dispo-
sition de tous, notamment pour établir des descriptions de fonction et des
cartes de compétences.

2.3.6 Précision du référentiel et des niveaux


Par la suite, en fonction du temps disponible ainsi qu’à l’occasion des entretiens
professionnels, l’homogénéisation du nombre de niveaux peut être améliorée
alors que la rédaction peut être précisée avec des chiffres, des quantités, des
adjectifs. L’entretien annuel devient alors un moment privilégié pour établir
AF_LMP_Corps.fm Page 41 Vendredi, 24. octobre 2008 11:42 11

Incompétents, vous dis-je ! 41

pour chaque collaborateur ce qui est attendu en termes de compétences, de


protocoles pour progresser dans la tenue d’une fonction déterminée.

2.4 Exemples de différentes versions


Les différentes versions des référentiels doivent être choisies en fonction du
temps et des moyens impartis à un tel objectif. Si un groupe de projet dédié est
mis en place c’est bien évidemment un référentiel exhaustif qui peut être mis en
chantier. À l’inverse, un manager, qui veut mieux cerner les fonctions et les
collaborateurs dont il a la charge, commencera plus modestement en élaborant
un référentiel réduit en 4 niveaux ou abrégé en 10 propositions dans chacun des
domaines de ses compétences techniques. En outre, dans le secteur santé, il
existe des référentiels de soins infirmiers60 déjà réalisés et disponibles, qui
peuvent être complétés et adaptés à un établissement particulier du secteur
hospitalier. Pour tous les secteurs, il existe aussi des référentiels concernant le
savoir-être qui peuvent servir de base à l’élaboration de référentiels utiles à tout
organisme61. En résumé seuls les référentiels techniques plus ou moins réduits
ou exhaustifs nécessitent d’être construits par un organisme particulier en y
consacrant les moyens adéquats et la procédure exposée ci-dessus62.

2.4.1 Référentiel en version complète


Le domaine choisi comme exemple (Tableau 2.4) a été réalisé dans le service
imprimerie d’un établissement d’enseignement supérieur appelé à imprimer et
reproduire de multiples types de documents en grande quantité. Un référentiel
spécifique à ce service a été réalisé par un groupe de travail constitué à cet effet
sous la responsabilité du chef de service et d’une spécialiste de la
méthodologie.

Définition du domaine de compétence « Façonnage »


C’est l’ensemble des connaissances et des pratiques qui déterminent
les différentes formes de finition (livres, plaquettes, dépliants…)
d’un document imprimé

60. A. Labruffe, Guide pour l’évaluation continue des personnels de santé, LEH, 2008.
61. A. Labruffe, Le savoir-être ! Un référentiel professionnel d’excellence, AFNOR Éditions,
2008.
62. Tous les conseils utiles sur www.socratemanagement.fr.
AF_LMP_Corps.fm Page 42 Vendredi, 24. octobre 2008 11:42 11

42 Le Manager positif

Tableau 2.4 Domaine de connaissance : Façonnage

Niveau Items (ou Unités de connaissance) Requis Acquis Écart


« Façonnage » 1234
Prérequis Connaît le service imprimerie,
ses collègues et les besoins de ses clients.
1 Possède un vocabulaire de base lié
au façonnage : pliage, encollage,
agrafage, assemblage, massicot, plieuse,
assembleuse, encolleuse…
Effectue un assemblage manuel.

Détermine si les machines (plieuse,


assembleuse, encolleuse) sont en marche
grâce au bruit distinctif et au voyant
lumineux.
Allume et éteint une machine en appuyant
sur un bouton on/off.
2 Possède un vocabulaire plus élargi :
couverture enrobée et dos carré collé
(thermo-reliure), pli parallèle, pli
accordéon, pli roulé, pli croisé…
Reconnaît et signale à un tiers
les différentes machines.
Reconnaît l’encollage, un pliage simple
en deux (pli parallèle), l’agrafage et
l’assemblage.
Connaît et détermine l’endroit où se met
le papier sur les différentes machines.
Effectue manuellement l’agrafage
et un pliage simple (cf. ci-dessus).
3 Met du papier dans la machine
si nécessaire
Connaît les formats de base du papier
(A4 et A3).
Connaît les grammages de base du papier
(80 & 250 g).
Effectue le suivi du travail au niveau
de la qualité.
AF_LMP_Corps.fm Page 43 Vendredi, 24. octobre 2008 11:42 11

Incompétents, vous dis-je ! 43

Tableau 2.4 Domaine de connaissance : Façonnage (suite)

Niveau Items (ou Unités de connaissance) Requis Acquis Écart


« Façonnage » 1234
Arrête la machine s’il y a un problème
(feuille plissée, couverture décalée)
et appelle une personne plus compétente
pour gérer la situation.
4 Utilise toutes les machines et s’adapte
aux situations nouvelles avec l’aide d’un
manuel ou les conseils d’un technicien.
Connaît tous les grammages et tous
les formats de papiers.
Effectue des pliages courants (1 pli, 2 plis,
pli accordéon, pli roulé, pli croisé) avec
la plieuse.
Effectue mécaniquement l’assemblage.

Connaît les différentes méthodes


de perforation et de découpe.
Réalise tout type de collages manuels
(colle à froid) et mécaniques.
Massicote tous les formats de papier.

Conseille et informe les usagers (type


de pliage, définition de délais par rapport
à la quantité) en fonction de leurs besoins.
Entretient ses machines périodiquement
à l’aide d’un document de suivi.
5 Planifie et s’adapte à toutes les situations
liées au façonnage (urgentes, imprévues
et complexes) moyennant discussion
avec les utilisateurs.
Change la lame du massicot si nécessaire.
Détecte les anomalies (mauvais pli,
couverture mal positionnée) et les corrige
immédiatement.
Contrôle constamment la qualité
du document (respect de la présentation…).
AF_LMP_Corps.fm Page 44 Vendredi, 24. octobre 2008 11:42 11

44 Le Manager positif

Tableau 2.4 Domaine de connaissance : Façonnage (fin)

Niveau Items (ou Unités de connaissance) Requis Acquis Écart


« Façonnage » 1234
Forme un connaisseur aux techniques
de façonnage et l’amène à son niveau.
Détecte les problèmes mécaniques
et effectue la maintenance de premier
niveau.
Anticipe et prépare la bonne réalisation
de son travail (papier posé à plat
sur un support, papier protégé…).
Respecte les règles d’hygiène et
de sécurité sur l’ensemble des machines
(limites du massicot, chutes de papiers,
stockage des produits) et les fait respecter
par autrui.
6 Connaît l’ensemble de la chaîne
graphique.
Utilise toutes les machines de façonnage
et les optimise au maximum.
Suit et contribue à l’évolution
des procédés techniques de façonnage.
Forme et encadre un groupe
aux techniques de façonnage.
7 Maîtrise l’ensemble de la chaîne
graphique.
Résout tout type de situations quelle que
soit la machine, le format du papier…
Décide du choix du matériel et évalue
les coûts.
Met au point, rédige et publie des manuels
de référence à usage interne ou externe.
Dirige des recherches visant
à l’amélioration et à l’optimisation
des techniques et procédés de façonnage.

Légende : Dans la colonne « acquis », les notes 1,2,3,4 indiquent les degrés de maîtrise comme
défini plus haut (1 = hésitant ; 2 = effectué de façon erronée ; 3 = réalisé aisément et vite ;
4 = exécuté les yeux fermés)
AF_LMP_Corps.fm Page 45 Vendredi, 24. octobre 2008 11:42 11

Incompétents, vous dis-je ! 45

2.4.2 Référentiel normal en 5 niveaux

Définition du domaine de compétence « Hygiène des locaux »


(Tableau 2.5) :
C’est l’ensemble des connaissances et des pratiques qui permettent de maintenir
un aspect propre et agréable des locaux de l’établissement hospitalier en éliminant
les odeurs et les germes afin de prévenir les infections nosocomiales. (Ce domaine
peut aussi s’appliquer, moyennant adaptation, à des établissements
agroalimentaires, de restauration ou des laboratoires.)

Tableau 2.5 Référentiel complet « Hygiène des locaux »

Niveau Items (ou Unités de connaissance) Requis Acquis Écart


« Hygiène des locaux » 1234
Prérequis Connaît les contraintes hygiéniques
de l’organisation.
1 Connaît la topographie de l’hôpital,
le matériel usuel de ménage,
les différents types de produits
et leur appellation courante (produits
à vitres, à vaisselle, etc.), les différentes
étapes du ménage.
2 Effectue des actions de ménage simple
dans les locaux communs.
Utilise, après explication les matériels
usuels, les différents types de produits.
Informe de son passage dans chaque
lieu nettoyé, par un message ou un signe
distinctif, les différents intervenants.
3 Connaît les caractéristiques techniques
et propriétés chimiques des produits
et appareils de ménage.
Connaît le matériel spécifique
et son utilisation.
Planifie et enchaîne les opérations
de nettoyage.
Organise l’entretien des locaux
communs en fonction de leur nature,
par ordre préférentiel.
AF_LMP_Corps.fm Page 46 Vendredi, 24. octobre 2008 11:42 11

46 Le Manager positif

Tableau 2.5 Référentiel complet « Hygiène des locaux » (fin)

Niveau Items (ou Unités de connaissance) Requis Acquis Écart


« Hygiène des locaux » 1234
4 Possède des notions de base des modes
de contamination et peut les enseigner.
Connaît les types de désinfection
spécifique à chaque unité.
Organise l’entretien et la désinfection
en fonction du moment (encombrement,
va-et-vient journalier, terminal) en tenant
compte des priorités.
Éduque à la prévention familles
et usagers à toute occasion de rencontre
et d’incident critique.
Réalise des fiches éducatives
à disposition des visiteurs
et intervenants.
5 Connaît les modes de contamination
de chaque germe suivant leur siège.
Met en œuvre les protocoles d’isolement
et de désinfection adaptés
à des situations complexes (patient
infecté dans une chambre à 2 ou 3,
patient à haut risque).
Prévient l’entourage (collègues
et visiteurs) des risques de contamination
et des précautions à prendre.

2.4.3 Référentiel abrégé en 10 niveaux

Définition du domaine de compétence « Veille technologique »


(Tableau 2.6)
C’est l’ensemble des connaissances, des recherches, des réflexions,
des procédures et des pratiques qui permettent d’anticiper sur le devenir
des techniques, matériels, normes, produits et services de l’organisme
et de son contexte concurrentiel (économique, législatif, technique) afin de proposer
des solutions favorisant sa pérennité et son expansion.
AF_LMP_Corps.fm Page 47 Vendredi, 24. octobre 2008 11:42 11

Incompétents, vous dis-je ! 47

Tableau 2.6 Référentiel abrégé « Veille technologique »

Niveau Items (ou Unités de connaissance) Requis Acquis Écart


« Veille technologique »
1 Lit les titres de la presse et se tient
au courant de l’actualité.
2 Étudie la documentation interne de son
organisme, les projets en cours, les
notes de synthèse, les comptes rendus de
réunions.
3 Connaît l’avancement des projets
concernant son service.
4 Lit dans la presse et recherche
régulièrement sur le net des articles et
informations se rapportant à son activité.
5 Se perfectionne dans ses principaux
domaines de compétences.
6 Se perfectionne sur des sujets connexes
à son activité pour échanger avec des
collègues, recueillir de nouvelles idées.
7 Visite fréquemment des expositions,
participe à des congrès, colloques et
conférences concernant son secteur
d’activité et s’intéresse à d’autres
secteurs d’activité que le sien.
8 Participe à des salons spécialisés,
à des colloques, à des groupes de
recherche et d’innovation internes et
externes pour étudier la documentation
recueillie, nouer des contacts et rédiger
des synthèses utiles à son organisme.
9 Étudie les informations prospectives
concernant son secteur d’activité :
législation, nouvelles technologies,
innovations de la concurrence,
découvertes scientifiques.
10 Publie des documents de synthèse et
informe sa direction du contexte socio-
économique dans lequel se situe son
organisme ainsi que des découvertes
prometteuses de la concurrence.
AF_LMP_Corps.fm Page 48 Vendredi, 24. octobre 2008 11:42 11

48 Le Manager positif

2.4.4 Référentiel réduit en 4 niveaux


Lecture des tableaux
Conçu pour une situation d’évaluation concertée, chaque domaine recensé dans un
référentiel abrégé comporte 8 colonnes :
– I- numérotation des niveaux de compétences
– II- intitulés de chaque niveau par une proposition synthétique
– III- degré 1 de réalisation et de maîtrise : faible ou approximative
– IV- degré 2 : hésitante ou partielle
– V- degré 3 : facilement réalisée,
– VI- degré 4 : maîtrise absolue quasi infaillible
– VII-F : niveau requis par la fonction
– VIII-E : écart entre l’exigence requise par la fonction et le niveau acquis par le titulaire
Tableau 2.7 Maquette d’un référentiel réduit

I II III IV V VI VII VIII


N Intitulés des niveaux de compétence 1 2 3 4 F E
1 Procédure de base
2 Procédure élaborée, courante
3 Procédure complexe, difficile
4 Niveau de compétence du spécialiste

Domaine de compétence « Accueil » (Tableau 2.8)


Définition : c’est l’ensemble des savoirs, savoir-faire et savoir-faire faire qui permet
de prendre en charge tout public et de satisfaire sa demande.
Domaines associés : communication, intelligence affective.
Prérequis : connaissance de l’organisme.

Tableau 2.8 Domaine de compétence réduit « Accueil »

N Intitulés des niveaux de compétence 1 2 3 4 F E


1 Accueille et salue tout visiteur avec des formules
d’usage.
2 Renseigne et dirige tout visiteur sur la personne ou le
service compétent.
3 Traite tout mécontentement manifesté par un visiteur.
4 Élabore des protocoles permettant d’améliorer l’accueil
de l’établissement.
AF_LMP_Corps.fm Page 49 Vendredi, 24. octobre 2008 11:42 11

3
Celui-là, c’est une erreur
de recrutement !

Ne dites pas : « La conscience professionnelle diminue. »


Mais, si vous le constatez, demandez-vous si ce n’est pas de votre faute.
Auguste Detoeuf, Propos de O.L. Barenton, confiseur, p. 124

Imaginez, mais simplement pour imaginer, que cette figure de proue de la


gauche prolétarienne, jouissant d’une notoriété à l’égal des autres ténors de la
politique française, cycliste parisien de surcroît, nous ait été présentée par les
dirigeants de l’organisme dans lequel il déploie ses talents personnels et ses
compétences professionnelles comme « une erreur de recrutement ». Pure
imagination bien sûr, mais bien d’autres salariés sont considérés ainsi et sont
rapidement « placardisés ».
Devant une telle révélation qui poursuit de nombreux embauchés choisis avec
des méthodes obsolètes qui confinent le plus souvent à la magie, deux
questions essentielles se posent :
– comment éviter la reproduction de telles erreurs ?
AF_LMP_Corps.fm Page 50 Vendredi, 24. octobre 2008 11:42 11

50 Le Manager positif

– comment, en termes de gestion des ressources humaines, transformer cette


« erreur » en succès et comment optimiser et réutiliser au mieux des intérêts
de l’organisme, cette erreur afin de la transformer en atout ?
Ce chapitre est donc consacré à répondre à la première question en proposant
une méthodologie rigoureuse que tout manager doit mettre en œuvre. Celle-ci
lui évitera ensuite de glisser sur la pente conduisant irrémédiablement à
déployer tous les maléfices du management traditionnel répressif et de rentrer
dans une spirale infernale, qui détruira le lien social des acteurs ainsi que les
performances de l’organisme jusqu’à provoquer une désastreuse insatisfaction
du client final.

3.1 Rompre avec la préhistoire


Les compétences du manager relatives au recrutement et au choix de ses colla-
borateurs impliquent l’élaboration et le respect de normes et de procédures qui
rompent avec nombre de pratiques actuelles. Celles-ci font la part belle au
feeling, au copinage et à des techniques relevant d’un autre âge ou d’un autre
contexte d’évaluation (hôpitaux psychiatriques, casernes et autres organismes
tayloriens ayant besoin d’une main-d’œuvre docile et se contentant à vie d’une
tâche répétitive). Elles s’accompagnent trop souvent d’incantations magiques
pour donner un sens divinatoire aux données astrologiques, à la symbolique
numérologique, au décryptage graphologique et autres « zozoteries psycho-
techniques » enrobées des oripeaux informatiques à la mode. Ces oracles sont
délivrés par des « psychopitres » dénoncés depuis longtemps par Maurice de
Montmollin63 et plus récemment par Marilou Bruchon-Schweitzer64.
Notre spécialité de recruteur et de scientifique de la psychologie du travail
depuis près de quarante ans nous a invité depuis longtemps à éviter ces
errements, voire à les dénoncer65.
En outre, la Commission européenne nous a offert la possibilité de développer
dans un projet Leonardo da Vinci une méthodologie plus rigoureuse basée sur la
concertation et l’expression des candidats examinés, pour nous faire part et
prouver objectivement, par des faits tangibles et leur expérience professionnelle,
leurs domaines et niveaux de compétences.

63. Montmollin de M., Les psychopitres, Puf, 1969.


64. Bruchon-Schweitzer M., Une enquête sur le recrutement en France, Revue européenne de
psychologie appliquée, 1991.
65. Le savoir-être ! – Un référentiel professionnel d’excellence, AFNOR Éditions, 2008.
AF_LMP_Corps.fm Page 51 Vendredi, 24. octobre 2008 11:42 11

Celui-là, c’est une erreur de recrutement ! 51

Il est d’autant plus important de réagir à ces pratiques que même un certain
nombre de sectes proposent ces techniques d’évaluation des personnes, qui
confinent à la magie, pour s’implanter dans les entreprises. En les affublant
d’une apparence pseudo-scientifique, les gogos adhéreront ensuite à leur
cause. En outre, lors d’un recrutement, certains choix sont justifiés par
l’appartenance du candidat à des partis politiques, à une religion, ou à des
mouvements idéologiques dans lesquels trois points en triangle ou un compas
servent de signes de reconnaissance et de sésame à une fonction stratégique.
Pour se démarquer de telles pratiques obscurantistes et manifester sa réelle
responsabilité sociétale, le management relationnel peut alors être défini
comme un ensemble de compétences impulsant des actions basées sur des
méthodes, des normes et des procédures qui s’inscrivent dans le champ de la
normalisation 9000/2001 sous le sigle générique FDX 50-183. La normali-
sation en cours avec la nouvelle norme WD/26000.3 l’invite aussi à respecter
trois principes majeurs. Le recrutement des organismes doit alors s’inscrire
dans le cadre du développement durable des ressources humaines et de la
responsabilité sociétale dont leurs dirigeants se réclament haut et fort :
– le respect des droits humains fondamentaux excluant notamment
l’emploi des enfants et des conditions de travail insupportables ;
– le développement personnel et l’épanouissement de salariés tout au long
de leur carrière ;
– la formation continue des personnels dès leur embauche.
De l’opportunité et de la pertinence de cette compétence dévolue à l’embauche
dépendent à la fois l’épanouissement harmonieux du candidat dans le réseau
clients-fournisseurs et sa performance nécessaire à l’obtention de la qualité
attendue par le client final. Or ce double enjeu, humain et organisationnel, est
loin d’être perçu par la plupart des dirigeants qui utilisent des pratiques pour le
moins curieuses afin d’opérer ce choix déterminant pour enrichir le capital des
compétences de l’organisme. Or un candidat à l’embauche, homme ou femme,
jeune ou plus expérimenté, ne peut ni se réduire en une équation ou un algo-
rithme permettant de prévoir son comportement, ni se deviner par le biais de
techniques sans rapport avec ce qu’il peut lui-même exprimer, analyser et
vouloir. Il s’agit donc tout bonnement de le faire s’exprimer sur son vécu et de
l’écouter activement, moyennant une formation et des outils qui facilitent cette
action d’observation et d’analyse concertée. Quant à l’usage des tests psycho-
techniques à l’utilité fort réduite, ou celle des inventaires de personnalité aux
AF_LMP_Corps.fm Page 52 Vendredi, 24. octobre 2008 11:42 11

52 Le Manager positif

résultats aussi aléatoires que pernicieux, ils sont légalement réservés à des
psychologues du travail dûment diplômés d’un master (Bac + 5)66.
Or la réalité est bien différente. Pour évaluer des candidats à l’embauche, défi
majeur de la gestion des ressources humaines, de multiples acteurs prétendent
imposer leurs incantations divinatoires : gourous, cabinets conseils douteux,
consultants-charlatans et autres mages aux recettes stupéfiantes rivalisent
avec des pratiques obsolètes et des recettes inadaptées. Ils envahissent ce
domaine capital de la gestion des entreprises au détriment d’une méthode
rigoureuse qui s’impose tout au long d’un parcours semé d’embûches et de
chausse-trappes…
Le manager doit donc souscrire à une procédure qui rompt avec des pratiques
d’un autre âge et introduire de la rationalité dans cette étape capitale. Elle
détermine la composition efficace d’une équipe en fonction de compétences
directement utilisables et de caractéristiques objectives de personnalité
prouvées par l’expérience et un comportement démontré lors des entretiens
qui jalonnent la procédure. Il y faut de la patience, de la rigueur et beaucoup
d’humilité dans une situation où l’écoute, la naïveté (apparente) et la prépa-
ration jouent un rôle capital pour opérer un choix valide. Le recruteur doit
aussi se souvenir que le candidat a tendance à jouer lui aussi un jeu, celui du
chat et de la souris, et que les jeunes – en particulier – effectuent un simulacre
de soumission pour obtenir une décision en leur faveur, en masquant leurs
réelles motivations (élucidées au prochain chapitre 4).

3.2 Initier une procédure collégiale


L’embauche d’un collaborateur est certainement l’acte le plus important du
management à la fois pour la performance de l’organisme, l’harmonie d’un
groupe de travail (service, bureau ou atelier) et l’épanouissement du candidat
choisi. À ce titre, ce choix doit faire l’objet d’une procédure rigoureuse impli-
quant un groupe de décideurs réunis sous le terme de collège de recrutement
(Tableau 3.1).
Ce collège peut comporter plusieurs chefs de services, un responsable du per-
sonnel, le directeur du site ainsi qu’un spécialiste du recrutement, interne ou
externe à l’organisme. Tout au long de la procédure, ce collège va devoir inter-
venir à des titres divers pour évaluer précisément les candidats et choisir celui
qui apparaîtra le mieux adapté au profil de la fonction et aux compétences

66. Loi de décembre 1992.


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Celui-là, c’est une erreur de recrutement ! 53

déterminées pour celle-ci. La concertation qui régit ce collège permet d’être


d’accord sur le choix opéré afin de faciliter ensuite l’insertion du candidat
retenu (voir chapitre 7).
En outre cette procédure doit être prévue longtemps à l’avance pour opérer un
choix dont les différentes étapes sont planifiées en fonction d’un délai qui
offre toutes les garanties de succès : de trois mois pour un poste de secrétariat
à 12 mois pour une fonction de direction.

Tableau 3.1 Organisation d’un recrutement

Étapes Référent Délais Moyen de Document


commu-
nication
1 Décision et Direction Réalisation Réunion Fiche APAP
déclenchement complète
de la procédure de 3 à 12 mois
2 Constitution DRH, chefs 1 semaine Réunion Fiche
d’un collège de service, de
de recrutement service RH, procédure
psy interne
ou conseiller
externe
3 Décrire Le collège Donner Réunion Description
ou préciser un délai de fonction
la fonction estimatif
4 Affichage Service RH Pendant Panneau Fiche APAP
du poste 1 mois d’affichage
à pourvoir
5 Réception Service RH Organisation Entretiens Guide
1 mois après des d’évaluation d’entretien
des candidatures entretiens : Dossier
internes et entre 1 et individuel
obligation 2 semaines des
d’en tenir compte candidats
des entretiens internes
6 Conception d’une DRH, patron, De 8 à 15 jours Conception Annonce
annonce externe spécialiste pour passer attractive média
pour la presse l’annonce et
1 à 3 semaines
pour
recevoir les
candidature.
AF_LMP_Corps.fm Page 54 Vendredi, 24. octobre 2008 11:42 11

54 Le Manager positif

Tableau 3.1 Organisation d’un recrutement (fin)

Étapes Référent Délais Moyen de Document


commu-
nication
7 Tri des Secrétaire 1 semaine Validation Grille de tri
candidatures service RH DRH
8 Planification des Le collège 1 à 2 semaines Courrier Planning des
rencontres avec le téléphone rendez-vous
collège qui parfois ou mail d’entretiens
ne rencontre que
les 3 candidats de
tête
9 Réception Le collège 1 à 2 journées Entretiens Guide
des candidats d’évaluation d’entretien
(6 à 10 par poste) Dossier
(lettre + cv)
Formulaire
Compte rendu
10 Sélection des Au collège, 1 journée Réunion Fiche de
3 candidats les patron synthèse
plus adaptés + compte
rendu
11 Compte rendu final Collège 1 semaine Réunion Dossier de
synthèse
12 Contact du DRH 1 semaine Entretien Projet de
candidat pour téléphone contrat
savoir s’il est ou mail
toujours libre
et finalisation
du choix
13 Contractualisation DRH 1à4 Entretien Contrat final
Phase d’échange semaines téléphone ou
pour accord sur mail
le contrat
14 Conclusion et DRH 1 semaine Fax, poste ou Contrat final
signature du contrat mail
15 Souscription DRH 1 semaine Fax, poste ou Lettre de
au préavis à 3 mois mail confirmation
16 Intégration Responsable 1 à 3 mois Procédure Livret
du candidat service accueil d’accueil
entretien
AF_LMP_Corps.fm Page 55 Vendredi, 24. octobre 2008 11:42 11

Celui-là, c’est une erreur de recrutement ! 55

Comparez la procédure appliquée dans votre organisme à celle qui et présentée


dans ce tableau et mettez en œuvre les améliorations possibles aussi bien en
termes de planification, de participation que des moyens mis en œuvre.

3.3 Conduire un entretien de recrutement


Chaque entretien représente une rencontre exceptionnelle dont la réussite est
conditionnée par le respect des étapes suivantes :
a) La préparation minutieuse du dossier qui fait l’objet du face à face,
assortie d’une réflexion sur la stratégie à mettre en œuvre pour aborder
autrui, ainsi que le respect de conditions matérielles et temporelles favo-
rables, les différents scénarios qui en découlent, les probables objections et
les points clés à aborder, à faire comprendre voire à défendre, les
documents utiles à la progression de l’échange.
b) L’entrée en relation est un moment - clé pour capter l’état d’esprit d’autrui
et situer la relation dans la tonalité affective et intellectuelle qui convient,
mobiliser l’écoute réciproque en se mettant d’accord sur un objectif
facilitant la suite de l’entretien et un ordre du jour précis.
c) Une phase d’expression d’autrui s’ensuit afin de repérer puis d’appro-
fondir la compréhension de son point de vue et surtout de recueillir toutes
les informations qui, au fur et à mesure de l’écoute prodiguée et de
synthèses régulières, conduiront à jeter les bases d’un accord.
d) Le plan d’action est alors construit à partir de la synthèse des éléments
d’information recueillis et de vos propres informations : il doit satisfaire les
deux protagonistes et se traduire par un engagement validé en commun par
un document ou une formulation explicite.
e) La conclusion est constituée par un rapide résumé des propos, une vali-
dation de la décision ou de l’engagement déterminé et une valorisation du
travail accompli au cours de l’échange.
f) La rédaction d’un document de synthèse adressé à autrui scelle définiti-
vement l’engagement opéré et rappelle à des mémoires fortement solli-
citées les détails de l’accord, la suite à donner ainsi que le prochain point
de rencontre.
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56 Le Manager positif

Tableau 3.2 Guide d’entretien de recrutement

L’ordre des thèmes de l’entretien de recrutement Votre avis


1. Thème général introductif, lancé par le recruteur
« Pour faire le point de votre candidature, à l’issue de cet
entretien et émettre un avis, j’ai besoin que vous me racontiez
trois choses :
1) Ce que vous avez fait jusqu’à présent dans la vie ;
2) Ce qui vous amène ici ;
3) Comment vous voyez la suite… »
2. Historique vital et chronologique du candidat
3. Acquis professionnel : jobs, stages et carrière
4. Expertise technique et compétences prouvées
5. Service militaire et conception de l’armée
6. Raisons des choix du cursus scolaire et professionnel
7. Intérêts et passions
8. Activités personnelles
9. Vision du monde et actualité socio-économique
10. Culture générale et diversification des intérêts
11. Conception de l’équipe et/ou du management
12. Projet à court, moyen et long termes
L’ordre des thèmes de l’entretien de recrutement Votre avis
13. Attentes concernant la fonction postulée et l’entreprise
14. L’attitude de l’entourage par rapport au choix
15. Éléments de personnalité et de comportement
16. Réflexion sur l’orientation professionnelle
17. Souhaits vis-à-vis de l’entreprise et de la hiérarchie
18. Mise en situation professionnelle
19. Rémunération souhaitée
20. Réflexion finale sur l’entretien et la procédure

Ce guide d’entretien peut être précisé par l’élaboration et l’utilisation d’un formulaire plus précis
qui permet de passer au crible et d’enregistrer toutes les informations recueillies au cours de
l’entretien. C’est le but de l’exemple du tableau 3 conçu et utilisé pour le recrutement de
vendeurs dans une concession automobile d’un grand constructeur français.
AF_LMP_Corps.fm Page 57 Vendredi, 24. octobre 2008 11:42 11

Celui-là, c’est une erreur de recrutement ! 57

Tableau 3.3 Formulaire d’entretien de sélection

Fonction postulée : _________________________


Date : _________ Lieu : ________ Vu par : _____
ÉTAT CIVIL
NOM en capitales : ______________________
Prénom (s) : _________________________
Né(e) le : ________________ à ______________________ âge : ______________
Situation Famille : _________________________ Situation Conjoint :
Enfants :
Adresse : ______________________________________________________
Email_____________
Code Postal : _____________ VILLE : ____________________________________
Téléphone
Domicile : _________________ Bureau : _______________ Portable :
FORMATION INITIALE
Niveau Diplômes Lieux Dates

PERFECTIONNEMENT :
PERMIS. Depuis quand avez-vous le permis ? ____________ Points : ____ /12
SERVICE NATIONAL.
STAGES PRATIQUES.
Où ? Quoi ? Lieux Durées
AF_LMP_Corps.fm Page 58 Vendredi, 24. octobre 2008 11:42 11

58 Le Manager positif

Tableau 3.3 Formulaire d’entretien de sélection (fin)

EMPLOIS.

CONNAISSANCES ET COMPÉTENCES.
Secteur auto : Bureautique Travail en concession :
Secteur géographique :
Vente : Crédit : Achat : Conduite auto :
Expression orale : Expression écrite :

INTÉRÊTS ET LOISIRS.
Bricolage Culture Sports Voyages
Informatique
Association Autres
FAMILLE.

PORTRAIT.
++++ Dynamisme/Relationnelle -- -- —

RAISONS CANDIDATURE ET ATTENTES.

PROJET PROFESSIONNEL ET ÉVOLUTION.

Si OUI, réserve SINON, point stop :


PRONOSTIC ET MOYENS D’INTEGRATION.

RÉFÉRENCES.

JUSTIFICATIFS.
Permis de conduire : Casier judiciaire : Bulletins de salaire : Diplômes :

ÉLÉMENTS RÉDHIBITOIRES.

IMPRESSIONS.

Très favorable 䊐 Favorable 䊐 Très favorable 䊐 Réservé 䊐


Fortes réserves 䊐 VETO 䊐

AVIS DE SYNTHÈSE.

VISA

Décision finale
AF_LMP_Corps.fm Page 59 Vendredi, 24. octobre 2008 11:42 11

Celui-là, c’est une erreur de recrutement ! 59

3.4 Évaluer et comparer les candidats


L’entretien de recrutement est préparé à l’aide de la grille d’enregistrement ci-
dessus (Tableau 3.3) et d’un canevas thématique (Tableau 3.2) qui permet
d’enregistrer des informations et de guider l’observation. Ces grilles parti-
cipent à l’évaluation qui doit être affinée par l’appréciation des caractéris-
tiques de personnalité et l’établissement d’une carte des compétences dont la
méthodologie est précisée au chapitre 2. L’ensemble de cette évaluation doit
être considéré dans une perspective dynamique car la formation permet de
perfectionner certains points qui méritent d’évoluer et de modifier certains
autres, d’autant que beaucoup de candidats se dissimulent derrière des appa-
rences qu’il faut percer à jour. Pour cela il est impératif de répondre de façon
certaine à des questions centrales. Retenons notamment les suivantes :
– Le candidat est-il honnête et fiable ?
– Quelles sont ses réelles motivations ?
– Quelle pérennité aura-t-il dans la fonction proposée ?
– Comment va-t-il s’intégrer dans une équipe de travail ?
– Comment accepte-t-il l’autorité ?
– Quelles sont ses relations avec autrui (jeunes, anciens, autre sexe) ?
– Quel est son objectif dans la vie et son projet professionnel ?
– Quelles sont ses compétences prouvées et quelles sont celles qui méritent
d’être perfectionnées pour tenir la fonction proposée ?
Cette dernière question est certainement la plus facile à élucider. Au moindre
doute, les précédentes exigent le recours à un expert.

3.4.1 Utilisez une grille de mesure


La grille ci-dessous (Tableau 3.4) permet de transformer cette observation en
éléments qui peuvent être pris en compte pour apprécier les caractéristiques les
plus évidentes concernant la personnalité du candidat rencontré. La subjec-
tivité étant difficile à juguler, les critères analysés permettent de la refréner et
surtout de comparer les candidats entre eux à partir d’un même filtre (d’amour
ou de désamour…). La carte des compétences complète l’arsenal évaluatif
pour, non pas opérer le meilleur choix toujours illusoire, mais pour prendre le
risque minimal : chaque candidat est un pari qui se gagne lors de la période
d’intégration (voir chapitre 7).
AF_LMP_Corps.fm Page 60 Vendredi, 24. octobre 2008 11:42 11

60 Le Manager positif

Tableau 3.4 Critères observés lors de l’entretien

A Comportement Écart/ Remarques


manifeste exigence
poste
+=–
1 Présentation
2 Aisance relationnelle
3 Coopération
4 Écoute
5 Ouverture
6 Anxiété
7 Émotivité
8 Dynamisme
9 Détermination
10 Enthousiasme
Score

B Éléments de Écart Remarques


personnalité +=–
1 Confiance en soi
2 Goût des
responsabilités
3 Charisme
4 Intelligence sociale
5 Goût de l’effort
6 Travail en équipe
7 Valeurs morales
8 Ténacité
9 Autonomie
10 Adaptabilité
Score
AF_LMP_Corps.fm Page 61 Vendredi, 24. octobre 2008 11:42 11

Celui-là, c’est une erreur de recrutement ! 61

Tableau 3.4 Critères observés lors de l’entretien (fin)

C Motivations Écart Remarques


+=–
1 Argent
2 Pouvoir
3 Sécurité
4 Équilibre personnel,
professionnel
5 Esprit de revanche
6 Compétition
7 Avantages (matériels et
sociaux)
8 Oblativité
9 Formation
10 Estime de soi
Score
D Facteurs intellectuels Écart Remarques
+=–
1 Analyse
2 Idéation
3 Acuité
4 Synthèse
5 Précision de la pensée
6 Plasticité
7 Bon sens, pragmatisme
8 Intérêts culturels
9 Structuration
10 Ampleur de la réflexion
Score
SCORE TOTAL
AF_LMP_Corps.fm Page 62 Vendredi, 24. octobre 2008 11:42 11

62 Le Manager positif

3.4.2 Comparez les candidats entre eux


La carte des compétences comparatives fonction/candidats est l’instrument
privilégié qui permet d’évaluer les compétences de la fonction ainsi que celles
présentées par chaque candidat. Cette évaluation permet de comparer les
candidats par rapport à la fonction ainsi que les candidats entre eux. Cette
analyse permet ensuite de choisir le candidat dont les compétences fondamen-
tales et les niveaux acquis se rapprochent le plus des niveaux requis par la
fonction. À titre d’exemple, le tableau 3.5 présente le cas de candidats chef
d’atelier dans une concession automobile d’une marque française.
Tableau 3.5 Carte comparative des compétences fonction/candidats

DOMAINES DE REQUIS PAR Candidat Candidat Candidat


COMPÉTENCE FONCTION A B N
1 Accueil 5 5 4
2 Autorité (leadership) 5 4 3
3 Automobile (secteur) 5 1 4
4 Bureautique 3 3 3
5 Connaissance marque 5 1 5
6 Communication 5 5 4
Interpersonnelle
7 Client (réception) 5 5 4
8 Expression écrite 4 4 2
9 Expression orale 5 4 3
10 Électricité auto 3 4 1
11 Gestion stocks 5 5 5
12 Gestion du personnel 4 4 3
(évaluation, motivation,
etc.)
13 Gestion du temps 5 5 5
14 Gestion financière 5 4 5
15 Management 5 5 4
16 Mécanique auto 4 1 3
17 Négociation 4 4 3
AF_LMP_Corps.fm Page 63 Vendredi, 24. octobre 2008 11:42 11

Celui-là, c’est une erreur de recrutement ! 63

Tableau 3.5 Carte comparative des compétences fonction/candidats (fin)

DOMAINES DE REQUIS PAR Candidat Candidat Candidat


COMPÉTENCE FONCTION A B N
18 Organisation équipe 5 5 4
19 Recrutement 2 2 2
20 Qualité 5 3 4
TOTAUX 89 74 71

Rappel de la hiérarchisation des compétences


(référentiel en 7 niveaux)68
1. Bases, connaissances et vocabulaire de base.
2. Connaissances et vocabulaire plus élaborés, gestes et actions simples.
3. Pratique de procédures et vocabulaire étendu.
4. Maîtrise des situations courantes.
5. Maîtrise des situations difficiles.
6. Spécialiste du domaine.
7. Expert du domaine.

3.4.3 Rédigez un compte rendu de synthèse67


Dans la mesure où plusieurs personnes sont appelées à rencontrer un même
candidat de façon individuelle ou sous forme de jury, il est de la plus haute
importance qu’elles partagent une même méthodologie pour évaluer les
candidats d’une part (cartes des compétences, guide d’entretien) et pour
formaliser le résultat de cette évaluation sous forme de compte rendu.
Le tableau 3.6 propose un exemple de trame. La comparaison de ces comptes
rendus à partir de critères communs permettra au collège, lorsqu’il se réunira
pour en faire la synthèse, de procéder au choix judicieux le plus objectif et
consensuel possible.

67. Alain Labruffe, 60 tableaux de bord pour la gestion des compétences, AFNOR Éditions,
2007.
AF_LMP_Corps.fm Page 64 Vendredi, 24. octobre 2008 11:42 11

64 Le Manager positif

Tableau 3.6 Grille de compte rendu de synthèse

Nom – Prénom : _________________ Date du RDV : _________

Date et lieu de naissance : __ /__ /___ Fonction

Vu par :
RÉSUME HISTORIQUE
Formation
Perfectionnement
Carrière
FONCTIONNEMENT INTELLECTUEL

CARTE DES COMPÉTENCES TECHNIQUES & RELATIONNELLES

ÉLÉMENTS SIGNIFICATIFS DE COMPORTEMENT

MOTIVATIONS

REMARQUES

AVIS DE SYNTHÈSE

Visa du rédacteur

3.5 Analyser la performance du recruteur


Cette grille peut être utilisée dans tous les cas où un manager est conduit à
pratiquer des entretiens en série pour un recrutement, pour accueillir des
nouveaux embauchés ou pour gérer l’entretien d’appréciation annuel. Dans
tous ces cas délicats, cette grille d’analyse (tableau 3.7) lui permettra de
repérer les points favorables au dialogue et ceux sur lesquels il devra faire
attention et progresser lors du prochain entretien.
AF_LMP_Corps.fm Page 65 Vendredi, 24. octobre 2008 11:42 11

Celui-là, c’est une erreur de recrutement ! 65

Cette évaluation se remplit avant ou après chaque rencontre,


selon la cotation :
+ si l’item est satisfaisant, réalisé, présent
- si l’item est absent, insuffisant, absent
= si on ne peut répondre de façon certaine + ou –
pour indiquer les objectifs prioritaires de progression

Tableau 3.7 Grille de préparation et d’évaluation d’un entretien

Entretiens E1 E2 E3 E4
Nom candidat - - - -
Date entretien - - - -

A Comportement positif

1. Ouverture du corps

2. Intonation

3. Regard

4. Respiration

B Stratégie

1. Entrée en relation

2. Objectif d’adhésion

3. Créativité

4. Interaction

C Écoute active

1. Amortisseur

2. Silence actif

3. Encouragement

4. Empathie
AF_LMP_Corps.fm Page 66 Vendredi, 24. octobre 2008 11:42 11

66 Le Manager positif

Tableau 3.7 Grille de préparation et d’évaluation d’un entretien (fin)

Entretiens E1 E2 E3 E4
Nom candidat - - - -
Date entretien - - - -

D Progression

1. Synthèses

2. Effet miroir

3. Interrogation

4. Accords

E Contrôle affectif

1. Transformation – en +

2. Gestion des
provocations

3. Jéricho

4. Énergie

Score général
AF_LMP_Corps.fm Page 67 Vendredi, 24. octobre 2008 11:42 11

4
Ah, les jeunes !

Les jeunes d’aujourd’hui, pas plus que leurs prédécesseurs,


ne sont modélisables.
Hervé Sérieyx, Jeunes et entreprise, p. 5

Blousons noirs pendant les sixties, quarante ans plus tard, ils nous traitent de
bouffons en nous regardant comme si nous sortions de nos cavernes pour
découvrir leur monde hi-tech fait de bruit et de fureur, de passions aussi éphé-
mères que les nouvelles stars, avec l’air de ceux qui sont revenus de tout parce
qu’ils ont été partout et n’y ont vu nulle trace de futur. Ils dodelinent de la tête
en ruminant un chewing-gum à la place de la cigarette qu’ils n’ont plus le droit
de fumer dans les lieux publics. Mais, en privé, nombre d’entre eux se font des
joints (le cannabis est moins toxique que le tabac, c’est bien connu ; mais cela
fait 10 % de morts sur la route) et beaucoup goûtent à des drogues dures. Ils se
demandent pourquoi nous, les vieux de plus de trente ans, ne leur laissons pas
notre place car ils sauraient aussi bien faire que nous, sûrement mieux
d’ailleurs. Nonchalamment assis dans l’antichambre du service RH qui les
reçoit un jour de convocation pour examiner leur candidature, ils sont branchés
de partout et ruminent en cadence en branlant du chef, un sourire béat au coin
des lèvres, délaissant ostensiblement les revues de présentation de la société.
AF_LMP_Corps.fm Page 68 Vendredi, 24. octobre 2008 11:42 11

68 Le Manager positif

Pendant que nous les recevons pour leur accorder le fameux sésame qui leur
ouvrira les portes d’un « boulot » dans notre « boîte » qu’ils ont préalablement
décortiquée sur le site internet, ils s’emploient à nous en mettre plein la vue sur
la connaissance de nos « produits de haute technologie » (c’est leur préfé-
rence) et notre « position leader sur son marché ». Ils perdent de leur superbe
quand nous opérons un renversement de perspective :
« Je suis content de voir que vous êtes informé(e)… mais vous, Monsieur (ou
Mademoiselle), qui êtes-vous et qu’êtes-vous prêt(e) à faire pour vous investir
dans l’emploi que nous vous offrons ? ».
Question ridicule évidemment. Mais comment osons-nous mettre en doute
leur dynamisme à toute épreuve, leur mental inoxydable, leur haute opinion
qu’ils ont de leurs compétences (d’autant plus haute qu’ils n’en ont guère
d’opérationnelles, et les filles encore plus que les garçons) et l’inextinguible
adaptabilité dont ils sont capables ? D’ailleurs leurs diplômes sont là pour
prouver leurs allégations (certains ont même un double cursus et deux masters,
appris – et oublié – deux langues étrangères – dont le japonais ou le chinois).
Mais quel temps perdu ! La célèbre scène du permis de conduire interprété par
Jean Yanne défile dans la tête du recruteur, tout de suite associé à une invite
pressante : « Que suis-je bête ! Mais oui, Mademoiselle évidemment, je
n’attendais que vous ! ». Mais non, point n’est besoin de répondre à la
provocation par un sarcasme. Enchaînons.
« J’ai besoin de voir à qui accorder ma confiance et avec qui je m’embarque
pour travailler en équipe et mener à bien les projets en cours. »
D’accord, elle est diplômée d’HEC, mais a-t-elle vendu quelque chose ?
D’accord, il est ingénieur en modélisation mais, sorti des algorithmes des
abaques, de Fluent, Abaqus ou C ++, a-t-il déjà travaillé avec des équipes de
terrain ou de conception d’un bureau de recherche et développement, réel-
lement vu et analysé une chaîne de production, étudié une file d’attente aux
urgences d’un hôpital, observé une salle de marchés dans une banque ? Lui, a
fait Sciences Po et c’est un beau parleur ; mais pour dire quoi, et mieux encore,
déployer quelles compétences directement utiles à une entreprise ? Cette autre
a « fait de la com » à l’ISIC (Institut spécialisé en journalisme, communication
et multimédia, à Bordeaux) ou au CELSA (Centre d’études littéraires et scien-
tifiques appliquées, à Paris) et veut « faire de l’événementiel », comme si les
entreprises passaient leur temps à « communiquer » au lieu de produire des
biens ou des services ! Le collègue comptable a une interrogation plus terre à
terre, il veut simplement savoir si ce diplômé de finances sait se servir d’un
trombone… et mieux encore, lire un vrai bilan.
AF_LMP_Corps.fm Page 69 Vendredi, 24. octobre 2008 11:42 11

Ah, les jeunes ! 69

4.1 Les jeunes… mais quels jeunes ?


Certes et heureusement, ils ne sont pas tous comme ces portraits robot de
diplômés, ni à la hauteur de ces préjugés tenaces. Les filles sont d’ailleurs plus
déterminées que les garçons, tant elles ont dû lutter auparavant pour résister au
machisme ambiant, revendiquer leur identité (encore un mot qui n’a pas de
« e » au féminin) pour enfin prendre leur place d’« autrice », de « profes-
seure », de « maîtresse de conférence ». Pour devenir « ministresse », et
encore plus Présidente de la République ou d’une assemblée du Parlement, il
faudra encore attendre un peu (même si l’une de mes tantes est devenue, de
haute lutte, la première sénatrice de France après la Libération)68.
Or donc, les jeunes – filles comprises – constituent une population bigarrée,
diversifiée composant des groupes hétérogènes. Ils sont marqués par un
paradoxe qui défie les catégorisations : à la fois profondément individualistes
et solitaires, et tout aussi viscéralement attachés à se retrouver dans un groupe
de base, une tribu, une idéologie. Pour Hervé Sérieyx, il serait erroné
d’enfermer les jeunes dans une catégorie, une typologie, un modèle qui les
exclurait en fait de la vie de l’entreprise. Nous le rejoignons sur ce point ainsi
que sur beaucoup d’autres comme cet ouvrage le démontre car, en dépit de leur
différence radicale avec les générations antérieures dans leur art de vivre voué
aux NTIC, leur mépris des valeurs traditionnelles « travail-devoir-patrie », leur
absence de projet à long terme au profit de bidouillages à court terme, leur
allergie à l’autorité, leurs arrangements avec les contraintes d’une organisation
de travail restée tatillonne, leur goût du prémâché et du « prêt à ne pas
penser », ils sont conformes à toutes les autres catégories de salariés dans leur
profond besoin d’être stimulé dans leurs motivations de base. L’accès illimité
aux NTIC a décuplé leur soif d’information, le laxisme familial et l’absence de
dialogue dont ils ont pâti aussi bien avec leurs parents qu’avec leurs maîtres,
ont démultiplié leur besoin d’expression. La solitude et l’individualisme dans
lesquels ils semblent se complaire, malgré leurs tribulations tribales, ont
exacerbé leur besoin de reconnaissance. Les connaissances éparses accu-
mulées sur une toile de fond décousue au gré d’un parcours diplômant aussi
théorique que peu propice à les insérer dans le monde professionnel, a aiguisé
leur besoin de progression et leur désir d’acquérir des compétences enfin
utiles.

68. Simone Rollin, élue au Sénat, émule de Maria Montessori et chef de réseau pendant la
Résistance.
AF_LMP_Corps.fm Page 70 Vendredi, 24. octobre 2008 11:42 11

70 Le Manager positif

Arrivés beaucoup plus tardivement que leurs congénères européens dans


l’entreprise69 après une période d’errance prolongée qu’ils attribuent aux rela-
tions et aux privilèges et à la chance, ils n’en attendent qu’un gagne-pain et
l’occasion d’en partir pour une meilleure situation. Ils ont suivi avec une délec-
tation morose les méfaits de ces entreprises tour à tour hydres, vampires ou
gorgones dégoulinant du désespoir de leurs salariés et de l’argent de leurs
dirigeants à travers les sagas des « Tapie-Fricotin » et autres comparses :
Arnault, Pinault, Bouygues, Bolloré, ainsi que les avatars de Vivendi-
Universal, Moulinex, Airbus ou la Société générale, les désastres des fusions-
acquisitions, le naufrage actuel lié aux subprimes, les accidents à répétition
d’Areva ou de Total.
Ils perçoivent avec acuité le profond hiatus existant entre les grands discours
managériaux et les désillusions des délocalisations et en tirent une conclusion
venue du plus profond de l’Antiquité : jouer au Cheval de Troie est la
meilleure façon de s’insérer dans une entreprise, dissimuler d’abord, dire oui
du bout des lèvres lors d’une opération de sélection et aviser ensuite. Notre
longue expérience d’enseignant nous autorise à témoigner de la rareté (2 %70)
des échecs à l’examen final des grandes écoles (de gestion et d’ingénieurs)
dans lesquels nous intervenons. Il faudra ensuite un manager vigilant pour
recadrer ces jeunes diplômés qui, lorsqu’ils ont bénéficié de stages de longue
durée, ont pu se rendre compte de l’écart existant entre le laxisme de l’enca-
drement de leur école ou la « mollesse éducative de l’Université » observée
par Hervé Sérieyx, voire « la haute crétinisation produite par l’Université »
dénoncée par Edgar Morin71 et les exigences requises par la planification, les
normes et procédures des grands groupes.
Ces jeunes aimeraient bien travailler dans les monstres sacrés que représentant
Total et son milliard d’euros de bénéfices mensuel, Microsoft et ses
446 milliards de dollars de capitalisation boursière dont 6 % seulement
correspondent à un actif tangible. Ils sont attirés par Google et son mana-
gement paradisiaque avec nounous pour les enfants, nourriture et boisson à
volonté pour tous, 20 % du temps pour soi et autres délices capitalistes. Ils
n’en connaissent guère la face cachée72 car la réalité des entreprises montre

69. Selon H. Sérieyx, op.cit p. 17, pour les 16-25 ans, soit 7 700 000 jeunes, 62 % sont scola-
risés contre, 43 % en Allemagne et 28 % au Royaume-Uni. En 1950, 77 des jeunes Français
de 20 ans travaillaient contre 22 % en 1995.
70. Chiffre obtenu sur le terrain dans deux écoles représentatives.
71. H. Sérieyx, op.cit, p. 123.
72. I. et M. Rovere, La face cachée de Google, Payot, 2008.
AF_LMP_Corps.fm Page 71 Vendredi, 24. octobre 2008 11:42 11

Ah, les jeunes ! 71

que ni la philanthropie, ni l’éthique, ni les valeurs qu’elles prônent urbi et orbi


ne sont au rendez-vous de leur gestion des ressources humaines. Mc Donald se
pavane à Pékin mais ses salariés dénoncent leurs conditions de travail à Paris,
tandis que la plupart des multinationales sponsorisant et fournissant les jeux
olympiques exploitent la misère des travailleurs du tiers-monde dans des
conditions qui bafouent les droits humains fondamentaux auxquelles ces
sociétés se réfèrent en se gargarisant de l’idéal du Baron de Coubertin et des
préconisations de l’Agenda 2173.
Pour reprendre une analogie d’Hervé Sérieyx74, l’entreprise reste un trèfle à
trois feuilles et, comme dans la nature, il faut avoir beaucoup de chance pour
en trouver un avec la quatrième, celle qui est dédiée à l’épanouissement
personnel des salariés. La première feuille est représentée par le cœur de
métier dont les activités périphériques sont externalisées pour constituer la
deuxième feuille, tandis que la troisième donne la flexibilité à l’ensemble de la
production et des services par l’adjonction de salariés précaires. Dans cette
troisième feuille les jeunes apparaissent à l’égal des autres populations fragi-
lisées par cet éclatement : peu ou mal prises en charge par un management
dont la mission relationnelle disparaît derrière une conception déshumanisée.
Cet encadrement convient bien à l’époque précédente dans laquelle les
travailleurs étaient considérés comme des machines, puis comme des robots,
en moins fiables.
Puisqu’il est tellement facile de trouver une main-d’œuvre abondante et bon
marché dans des lieux exotiques, pourquoi les chefs d’entreprise s’embarras-
seraient-ils des états d’âme des jeunes Français qui, en outre, ne sont pas
disposés à se couler dans le moule qui leur est proposé par l’organisation ?
Cette interrogation a prévalu quand il s’est agi d’exclure les populations mal
préparées à la mondialisation. Elle prévaut encore pour exclure les jeniors
(plus de cinquante ans), mais peut-on y répondre de la même façon en se
privant des atouts proposés par la génération qui constituera à terme le moteur
de l’économie de notre pays ?
La réponse est évidemment doublement négative dans la mesure où notre
nation propose (je ne dis pas « forme ») des jeunes hautement diplômés (je ne

73. Lors du sommet de la Terre de Rio, en 1992, 173 pays adoptent un programme d’actions
pour le XXIe siècle (Agenda 21) afin de s’orienter vers un développement durable de la
planète concernant la gestion des ressources en eau et l’assainissement, la gestion de l’agri-
culture, des déchets, la santé, le logement, la pollution de l’air, la gestion des mers, des
forêts et des montagnes, la désertification.
74. H. Sérieyx, op.cit., p. 47.
AF_LMP_Corps.fm Page 72 Vendredi, 24. octobre 2008 11:42 11

72 Le Manager positif

dis pas « qualifiés » ni « compétents ») donc adaptables, même s’ils ne sont


pas immédiatement compétents dans les domaines utiles aux fonctions
auxquelles ils postulent.
Par ailleurs la compétitivité des entreprises passe par l’efficacité, le dyna-
misme, la curiosité et la compétence bureautique de haut niveau de ses salariés
les plus jeunes (le hackering est devenu un sport extrême dans lequel une
médaille olympique est garantie : accéder à des sites interdits, casser les codes,
envoyer des spams, introduire un virus dans un ordinateur). En outre ces jeunes
nationaux resteront les plus fiables par rapport à des populations qui
s’éveillent à la consommation et ne se contenteront pas longtemps d’une rému-
nération indécente. Ainsi le salaire moyen des Chinois a été décuplé en une
décennie et des entreprises chinoises et hindoues s’implantent en France pour
y trouver une expertise intellectuelle et surtout une démarche qualité
actuellement inconcevable pour leurs salariés indigènes.

4.2 « J’avais fait un projet… Je te le dis tout bas… »75

4.2.1 Absence de projet professionnel


« … Un projet ! mais au moins tu n’en parleras pas76. » Notre expérience de
recruteur et de formateur nous a amené à être étonné par un phénomène qui
transparaît à travers les dossiers de candidatures comme lors des entretiens de
sélection ou lors des actions de formation que nous animons auprès de la
nouvelle génération. Dans les curriculum vitae, le chapitre « projet pro-
fessionnel » est désespérément absent. De même ce projet, que le recruteur
cherche à dénicher pour pouvoir investir sur un candidat qui sait où il va,
n’apparaît que sous une forme dérisoire dans les lettres qui accompagnent ces
dossiers. Non seulement ces lettres sont totalement vides de sens, insigni-
fiantes au sens le plus inconsistant du terme, mais en outre le soi-disant projet
prétend se réduire « à vouloir un emploi dans votre société bien connue
pour… ». Cette formule en dit long sur la méconnaissance réelle de la société
en question et sur l’incapacité absolue du candidat de s’en faire une représen-
tation tangible qui lui permette d’entreprendre un projet compatible avec les
objectifs, les missions, les productions et les services de ladite société.

75. Alfred de Musset, Dupond et Durand.


76. ibidem.
AF_LMP_Corps.fm Page 73 Vendredi, 24. octobre 2008 11:42 11

Ah, les jeunes ! 73

4.2.2 Non-expérience du monde de l’entreprise


Comme les enquêtes régulières de la Cofremca le montrent77 le jeune n’a
qu’une vague idée du monde du travail, qu’il s’est forgée le plus souvent sur la
base de quelques rares « stages photocopies-café » insipides et sans responsa-
bilité effective malgré les titres ronflants que peut présenter la rubrique
afférente des curriculum vitae :
– l’« assistante de communication » n’a fait que passer des appels
téléphoniques ;
– la « responsable du service marketing » a distribué des prospectus dans des
boîtes aux lettres ;
– le « négociateur » n’a fait que tirer des sonnettes et débiter des sornettes à
titre d’argumentaire commercial.
Quant à l’expérience de la vie d’une entreprise, elle se résume à une triste peau
de chagrin, comme nous pouvons en juger par les rapports que nous avons lus
et les comptes rendus oraux que nous avons écoutés pendant plus de trente ans.
Malgré tout, ce bagage semble plus conséquent que l’expérience du manager
international sorti de Berkeley ou de Harvard qui n’a dirigé personne et n’a
jamais rencontré un client de chair et de sang, comme le remarque avec dépit
Henry Mintzberg78.
Face à ces carences, il faut faire confiance à d’autres caractéristiques : les
éléments de personnalité qui transparaissent lors du recrutement, des motiva-
tions souvent plus égocentrées qu’altruistes et le fameux feeling79 de tout
manager qui lui donne envie de travailler avec un jeune et de le tutorer.
En réalité, au-delà du recrutement et de l’accueil que le manager doit mettre en
œuvre (comme indiqué dans les chapitres 3 et 7), la prise en charge d’un jeune
embauché nécessite de déterminer avec lui un projet qui lui donne envie de
s’investir. Il faut, en concertation, établir ce projet à partir d’un véritable
« bilan d’étape professionnel » tel qu’il est recommandé par la loi de moder-
nisation du marché du travail du 11 janvier 2008. Cette loi indique que ce BEP
doit rompre avec les méthodes existantes en lui donnant un contenu objectif.
Nous proposons une méthodologie exhaustive sur la base d’un inventaire des

77. Lettre de la Cofremca n° 48.


78. H. Mintzberg, op.cit.
79. Ce feeling est en fait lié à un automatisme cérébral de sympathie ou d’antipathie qui se
déclenche à la vue de l’autre en 180/1 000e de seconde comme indiqué dans l’ouvrage de
Zetl, Le téléspectateur face à la publicité, Nathan, 1986.
AF_LMP_Corps.fm Page 74 Vendredi, 24. octobre 2008 11:42 11

74 Le Manager positif

compétences, d’un historique vital qui, en retraçant le cursus personnel et les


expériences professionnelles, permet d’établir un « passeport formation »
voulu par la loi du 4 mai 2004 sur « la formation tout au long de la vie », d’en
extraire une carte des compétences utiles aux missions dévolues à la période
d’intégration et plus tard à la fonction proprement dite à laquelle sera affecté le
débutant.
Cette tâche sera aussi l’occasion de déterminer les motivations réelles et les
déclics personnels, les boutons de commande, à partir desquels le moteur du
jeune sera déclenché afin de donner une impulsion décisive et volontaire à sa
carrière et à son investissement professionnel et, au delà, un sens à son exis-
tence. Le manager apprendra ainsi à mieux connaître le débutant qui lui est
confié en tutorat, afin de savoir mobiliser les caractéristiques personnelles de
chaque jeune et de préciser avec lui les contours de ses motivations réelles et
de ce qu’il veut vraiment faire de sa vie. Il pourra l’aider à choisir quel tour il
veut donner à son insertion professionnelle et sur quels critères il entend
s’engager au-delà de la satisfaction de besoins matériels. Il l’aidera à déter-
miner ses besoins les plus utiles parmi ceux, plus superflus et superficiels,
inculqués par notre dérisoire société de consommation de masse.

4.2.3 Compréhension et connaissance de l’organisme


Cet objectif, la compréhension de la structure organisationnelle dans laquelle
un salarié travaille, passe par le développement d’une compétence essentielle
appelée « connaissance de l’organisme ». Même si celle-ci apparaît en fili-
grane derrière la publicité et les sites internet dédiés aux entreprises, le jeune
connaît mal l’organisme qui l’accueille. En réalité, celui-ci s’avère
éminemment complexe dans son réseau interpersonnel, ses arcanes straté-
giques et financiers, ses produits et services, la localisation géographique des
installations, ses différentes catégories professionnelles et les circuits d’infor-
mation qui les unissent, l’entrelacs de ses relations avec ses clients, ses four-
nisseurs et ses sous-traitants, ses liens avec la cité, les banques, les action-
naires, ses subdivisons en filiales, ses diverses implantations, ses projets, ses
marques et ses labels, l’ensemble de ses normes et procédures, sa tradition
culturelle, ses codes, ses rituels, sa mythologie et son esprit.
Comme le déclare le général, dans L’idiot de Dostoïevski : « Mais oui, l’esprit
est la chose la plus importante ! »80. Cet esprit ne se découvre que sur le terrain
et se décrypte par les rencontres avec les acteurs de l’organisme parce que

80. F.M. Dostoievsky, L’idiot, Presses de la Renaissance, p. 31.


AF_LMP_Corps.fm Page 75 Vendredi, 24. octobre 2008 11:42 11

Ah, les jeunes ! 75

chacun, tout manager en premier lieu, en est le dépositaire. De l’acquisition de


ce savoir complexe dépend l’adhésion du jeune à des valeurs qu’il avait
tendance à nier, à réfuter ou à tourner en dérision jusqu’alors : la qualité, la
ponctualité, le respect de la parole donnée, l’implication dans une mission,
l’atteinte d’un objectif concret, la discipline de vie, l’émulation et la responsa-
bilité sociétale de son action. Ce sont autant de principes qui fondent les bases
de la satisfaction attendue par chacun des membres du réseau clients-
fournisseurs dans lequel le nouvel embauché – peu habitué à cet esprit d’entre-
prise et à cette complexité – va devoir évoluer dorénavant et trouver sa juste
place comme client et fournisseur de tous les autres membres de l’organisme
afin de satisfaire chacun jusqu’au client final.

4.3 Des compétences oui, mais relationnelles !

4.3.1 L’efficacité personnelle


Cette prise en charge par un manager expérimenté déclenchera aussi la
confiance dans des aînés dont il attend un savoir, un modèle de comportement
et une source de progression. La réussite de ces premiers pas dans le dédale de
l’organisme lui procurera un meilleur niveau d’affirmation de soi, compétence
qui est d’autant plus faible à son entrée dans l’organisme que son niveau de
diplôme est élevé. En effet, nous avons pu constater chez les milliers de jeunes
de niveau Bac + 5 que nous avons examinés – un jour de recrutement ou formés
dans des grandes écoles ou à l’université – une compétence chancelante :
l’affirmation de soi.
Les encouragements précédemment prodigués par le système scolaire ont été
peu développés pour ne pas dire quasi inexistants. Ce déficit entraîne, comme
corollaire, une intelligence affective fragilisée par le premier choc ou la
première déstabilisation, comme le cas dramatique de Laure Manaudou vient
de le montrer de façon exemplaire.
Reste un autre déficit à combler en terme de compétence et qui se traduit par
un étrange paradoxe : les jeunes se définissent et sont reconnus comme très
débrouillards mais aussi comme redoutant l’épreuve de la formalisation des
techniques créatives. Face à l’apprentissage de ces méthodes, ils se trouvent
très mal à l’aise voire réticents à les aborder. La compétence qui en découle
s’établit donc à un faible niveau car la débrouillardise est une chose qui ne
permet pas d’aborder ni de résoudre des problèmes impossibles, comme tout
AF_LMP_Corps.fm Page 76 Vendredi, 24. octobre 2008 11:42 11

76 Le Manager positif

projet d’entreprise en comporte. En effet si le brainstorming est plus ou moins


connu, des techniques plus évoluées comme les analogies, l’identification
personnelle, la visualisation et le rêve éveillé dirigé sont parfaitement
ignorées.
En outre, ces diplômés sont aussi démunis en termes d’efficacité personnelle.
La « tchatche » n’est pas suffisante pour parler en public avec aisance et struc-
turer son propos. Comme l’avait bien vu Louis Jouvet « L’improvisation, ça ne
s’improvise pas ! ». Quant à l’expression écrite, elle manque de simplicité, les
plans semblent inconnus et les comptes rendus et rapports manquent – comme
à l’oral – de structure et d’approfondissement. En outre les qualités d’analyse
sont limitées à des épreuves scolaires, la synthèse demande un trop grand
effort pour dégager des lignes de force de la réalité complexe des situations
organisationnelles qu’ils doivent décrypter et maîtriser. Les méthodes
d’analyse de problèmes sont souvent ignorées, surtout par les littéraires, et le
travail en groupe ne fait nullement partie d’une culture scolaire, basée sur un
bachotage stérile excluant autrui, dans laquelle l’égocentrisme et la compéti-
tivité ont été privilégiés au détriment de l’animation d’un groupe, le passage en
force et l’autorité au détriment du leadership et de la maîtrise de la dynamique
de groupe, si utile au moment de prendre en charge un projet.

4.3.2 Une culture générale anémique


À travers cette image des compétences relationnelles faisant défaut aux jeunes
diplômés que l’entreprise recrute, apparaît un programme de formation initiale
déterminant l’intégration d’un jeune dans un organisme de travail. Malheureu-
sement l’apprentissage de l’orthographe, à propos de laquelle les chefs
d’entreprise se lamentent, prendra plus de temps. Des mots rabâchés pendant
le cursus scolaire, comme « étymologie » qui comporte toujours un « h »,
n’enrichissent pas le vocabulaire qui reste d’autant plus pauvre que la lecture
est absente. La culture générale, elle aussi, se révèle anémique, malgré les
virées sur le « net »… Nous avons donc introduit dans nos enseignements
universitaires des comptes rendus de lectures obligatoires. Les dirigeants sont
aussi étonnés de l’ignorance de ces mêmes diplômés concernant la règle de 3
alors que le calcul mental le plus simple est inexistant. Quant à faire dessiner
une carte de France à des doctorants, autant se préparer à accepter un dessin
aussi stupéfiant que l’une des plus jolies perles du bac : Édith de Nantes s’est
mariée avec Louis XIV !
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Ah, les jeunes ! 77

Ainsi ces carences appauvrissent la stature relationnelle de ces jeunes qui, en


découvrant le monde de l’entreprise, doivent s’adapter à un nouveau mode de
communication, décoder un réseau relationnel différent et surtout plus
complexe que celui dont ils ont l’habitude, exigeant en termes de vocabulaire,
de culture générale, de compréhension d’autrui, de normes, de procédures et
de savoir-être.

4.4 Des attentes, oui mais pas de devoirs

4.4.1 Une entreprise imaginaire


Face à cette « génération petits pots » qui n’a eu aucun effort à produire pour
mâcher ses premières nourritures en compote, aucun effort pour des enfants
qui recevaient dès le plus jeune âge un argent de poche dépensé en friandises
et gadgets inutiles, aucun effort non plus pour obtenir la dernière Game Boy,
aucun devoir en famille pour dire bonjour, mettre le couvert ou seulement
ranger ses affaires, aucun effort enfin pour un bac donné à la session de
rattrapage avec trente points de retard pourvu que ces points largement
accordés lors de la première session fussent compensés par l’occitan ou le
tennis. Comme nous pouvons en attester en tant que président de jurys du bac
de rattrapage, nous avons dû consentir à accorder le diplôme (sur instruction
ministérielle) à des candidats ayant obtenu 2 ou 3 en anglais, en français ou en
mathématiques, malgré un déficit conséquent final, et céder à la pression des
gentils professeurs du lycée. L’université récupère les mêmes cancres un an
plus tard et constate avec effroi que la moitié ne passe pas en deuxième année
et qu’au final 7 % des élèves de 6e parviennent à Bac + 5.
La vie active est donc vécue par une difficile entrée en matière car la sélection
des grandes entreprises est féroce : elle sanctionne impitoyablement l’amateu-
risme et l’impréparation des candidats à l’embauche. Ceux qui ont fait une
filière professionnelle s’en sortent le mieux car ils possèdent quelques bases et
leur choix technique leur confère un atout de taille : un ancrage dans la réalité
des entreprises. Ils peuvent ensuite d’autant mieux progresser que le bac tech-
nique, voire le BTS obtenu, leur permet des sauts de situation professionnelle
importants. Le bain dans la réalité des entreprises leur a permis de comprendre
l’importance de la formation qu’ils peuvent reprendre grâce à un CIF, leur DIF
ou des VAE, malgré les embûches qui parsèment un tel parcours. La
promotion interne fait le reste et leur stratégie personnelle, conciliant ambition
et investissement professionnels, leur permet des sauts avantageux.
AF_LMP_Corps.fm Page 78 Vendredi, 24. octobre 2008 11:42 11

78 Le Manager positif

Le meilleur exemple est constitué par ce BTS commercial qui, après cinq années de
vente de produits agricoles, a su négocier son expérience dans un secteur connexe
d’activité en doublant son salaire précédent, puis après encore cinq années, créait son
entreprise.

Ceux qui sortent des grandes écoles sont normalement sur une voie royale car
ils bénéficient de préjugés favorables : les managers supposent toujours que
leur formation leur a permis d’être adaptables, facilement malléables et tout de
suite opérationnels. Or cette apparente adaptabilité n’est en rien de la
plasticité : il s’agit plutôt d’un rituel de soumission pour obtenir rapidement un
emploi qui leur permette d’assouvir leurs passions extérieures puis, si l’herbe
s’avère plus verte dans le pré d’à côté, aller voir ailleurs pour cumuler tous les
avantages qu’ils en attendent :
– autonomie ;
– aucune bride sur le cou ;
– responsabilités immédiates ;
– direction de groupes et surtout de projets ;
– voyages à l’étranger.
La cerise sur ce gâteau crémeux est symbolisée par des signes extérieurs de
reconnaissance de leur réussite professionnelle dans le cadre de 35 heures dont
ils n’ont toujours pas compris qu’elles ne s’adressent pas à eux mais à des
employés qui cumulent les handicaps du tripalium originel :
– dures contraintes et délais impératifs ;
– rythme de travail ;
– souffrance issue de la charge physique et mentale ;
– absence d’autonomie et de progression ;
– pénibles conditions de travail ;
– pression autoritaire d’un encadrement archaïque ;
– précarité de la condition liée à l’absence de formation continue ;
– fins de mois difficiles pour un pouvoir d’achat en berne sans espoir de
l’améliorer ;
– horizon de retraite qui s’éloigne chaque jour davantage.
Un jeune ingénieur nous confiait qu’il avait compris son rôle de manager quand,
pendant un stage chez Michelin et dans une ambiance de fournaise, il avait
soulevé les gueuses de fonte qui servaient de moules aux pneumatiques…
AF_LMP_Corps.fm Page 79 Vendredi, 24. octobre 2008 11:42 11

Ah, les jeunes ! 79

4.4.2 Un manager modèle


Terminons par les trois attentes qui décident de la pérennité dans une fonction
qui réunirait pourtant toutes les conditions évoquées ci-dessus. Le chef doit
être :
– un apprenant ;
– une source de savoir constante ;
– un modèle de comportement.
Autant dire qu’il est à l’opposé de ces chefs, petits et grands qui jouent encore
les remakes des adjudants du Vietnam ou de l’Algérie qu’ils furent dans leur
jeunesse.
Nous avons encore le souvenir cuisant de cet antihéros qui nous cornaquait
dans un séminaire destiné aux partenaires sociaux censé leur présenter « le
post-taylorisme ». Au moment des questions, un doigt se lève et ce
« scrogneugneu-directeur-de-production-de-l’usine-qui-devait-être-le-modèle-
suprême-du-manager-post-taylorien », bondit sur ses pieds en s’époumonant :
« Oh, vous, je vous connais ! Je sais pourquoi vous voulez poser une question,
vous êtes de la CGT ! » J’ai mangé mon chapeau et rangé mes espoirs de
changer le monde, celui-là en tout cas : nos routes se sont séparées.

4.5 Préparez vos questions


Les autres catégories de jeunes définies par Hervé Sérieyx ne sont guère en
mesure d’intéresser les entreprises car leur formation et leurs désirs, sans bien
savoir dans quel ordre se fait la causalité entre ces deux paramètres, sont plus
ou moins exclus de la course à l’emploi. Ils passent leur temps dans l’errance,
parce que mal préparés à cette course à l’emploi pérenne, de petits boulots en
contrats précaires. Ils sont surdiplômés par rapport à leur sous-motivation,
écœurés du travail par leurs parents et moulinent un discours contre la société
polie aux mythes verts et antimondialistes. N’adhérant pas au système, ils en
sont exclus par ses gardiens et vivotent en attendant une proposition impro-
bable. Errant entre l’être et le néant, ils vont poursuivre le rêve d’une existence
libertaire grâce à leurs talents bureautiques qui leur font espérer une mythique
activité rémunératrice en surfant sur le net. Mais les start-up ont vécu et la toile
est désormais aux mains de capitalistes qui ont réussi le prodige dont ils
rêvent : devenir milliardaires sans être aliénés par le travail traditionnel.
AF_LMP_Corps.fm Page 80 Vendredi, 24. octobre 2008 11:42 11

80 Le Manager positif

Pour essayer de donner une chance supplémentaire à ces « exclus-reclus-


perclus » tels que les nomme Hervé Sérieyx81, il est temps que les managers
puissent répondre au questionnement que se posent les dirigeants à leur
endroit, comme à l’égard de tous les jeunes qu’ils croisent un jour de sélection
ou encadrent au sein de leurs équipes (Tableau 4.1).
Tableau 4.1 Entraînez-vous à détecter des jeunes motivés

Questions à poser Réponse fournie Arguments cités par le


à un jeune par un jeune candidat candidat pour vous
un jour d’embauche à l’embauche convaincre (faits,
ou d’accueil chiffres, noms, dates,
preuves)
1 Avez-vous vraiment
envie de travailler ?
2 Qu’est ce qui pourrait
vous motiver
durablement ?
3 Quel est votre projet
dans la vie ?
4 Quel est votre projet
professionnel ?
5 Que connaissez-vous
de notre société ?
6 Quelles sont les valeurs
auxquelles vous tenez ?
7 Qu’évoquent pour vous
les termes : fidélité,
effort, devoir,
engagement, équipe ?
8 Que pensez-vous des
autres : les jeunes,
l’autre sexe, les anciens,
les collègues,
l’encadrement ?

81. H. Sérieyx, op.cit., p. 15-25.


AF_LMP_Corps.fm Page 81 Vendredi, 24. octobre 2008 11:42 11

Ah, les jeunes ! 81

Tableau 4.1 Entraînez-vous à détecter des jeunes motivés (fin)

Questions à poser Réponse fournie Arguments cités par le


à un jeune par un jeune candidat candidat pour vous
un jour d’embauche à l’embauche convaincre (faits,
ou d’accueil chiffres, noms, dates,
preuves)
9 Qu’évoquent pour vous
les termes : courtoisie,
ponctualité, discrétion,
patience, modestie,
émulation ?
10 Quels sont vos
passions, loisirs, passe-
temps favoris ?
11 Que connaissez-vous
des contraintes, règles
du jeu, normes et
procédures de
l’entreprise en général
et de la nôtre en
particulier ?
12 Que faites-vous pour
améliorer votre niveau
de culture générale ?
13 Quels sont les droits et
devoirs réciproques
d’un salarié et du
manager qui le prend en
charge ?
14 Quelle image avez-vous
de vous-même ?
15 Que disent les autres de
vous (famille, amis,
professeurs) ?

Terminez votre rencontre avec les jeunes examinés un jour d’entretien de


sélection en leur demandant de rédiger un compte rendu de ce moment capital
pour leur avenir et jugez sur pièce. Continuez en demandant une confirmation,
AF_LMP_Corps.fm Page 82 Vendredi, 24. octobre 2008 11:42 11

82 Le Manager positif

par mail et poste, de la candidature de votre jeune potentielle recrue. Vous


obtiendrez alors des précisions utiles sur les réelles motivations de la personne
rencontrée et pourrez décider en connaissance de cause.
Si vous êtes prêt à vous investir et à jouer le rôle de mentor attendu, vous
pouvez le faire adhérer le candidat choisi puis l’aider à progresser. Pensez que
vous devrez donner tous les rudiments, les bases, les règles sociales – et bien
davantage encore – qui permettent de vivre en société, de manifester un inves-
tissement déterminé dans l’action, de s’engager dans un travail d’équipe.
Élaborez un programme de tutorat qui permettra à ce jeune, à qui vous donnez
une chance, de faire éclore l’enthousiasme et l’implication nécessaires pour
réussir à s’imposer dans la fonction que vous lui proposez.
Évitez cependant de vous bercer d’illusions car, comme le résume Hervé
Sérieyx : « Ces jeunes qui savent ce qu’ils veulent devenir ne restent que si on
leur permet de réaliser leur projet et encore faut-il, bien sûr, que le salaire soit
attrayant, l’ambiance sympathique, les possibilités de maintenir ses compé-
tences techniques au niveau “up to date” satisfaisantes et les rythmes de
travail compatibles avec une vie équilibrée. »82
Il est aussi possible d’imaginer que, comme les précédentes générations qui
rêvaient d’un idéal propre à toute jeunesse, celle-ci sera vite aspirée par les
réalités de la vie, la pression de la société de consommation et les diktats de la
nouvelle économie mondialisée. Cette dernière vient de mettre en place un
nouveau besoin matériel pour ces jeunes diplômés que nous embauchons :
posséder une maison et vite. Avec l’augmentation des prix de l’immobilier de
Paris à Beijing en passant par New York ou Abu Dhabi, une nouvelle chaîne
aussi lourde que dorée s’ajoute aux autres besoins de la société nomade83 qui
les attend : un crédit sur trente ans (et plus) dont il faut bien payer les
échéances mensuelles. Inéluctablement, il leur faudra donc accepter les
contraintes qui en découlent et le salariat devient alors une forme moderne
d’esclavage qui sera forcément acceptée et servie par cette jeunesse qui aurait
voulu vivre sans asservissement, sans brides ni attaches, sans maître ni
d’autres dieux que ces objets nomades qu’ils affichent comme des amulettes.

82. H. Sérieyx, op.cit. p. 99.


83. J. Attali, Une brève histoire de l’avenir, Fayard, 2006.
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5
Ah, les vieux !

Ô rage, ô désespoir, ô vieillesse ennemie !


Pierre Corneille, Le Cid

S’il est une image dévastatrice pour le moral des intéressés, c’est bien celle
forgée par l’ensemble des préjugés colportés au sujet des salariés qui
dépassent l’âge fatidique des 50 ans. Habituellement appelés les « seniors »
nous préférons les appeler « jeniors » pour réserver l’appellation senior à ceux
qui sont partis à la retraite après l’âge légal fixé, depuis 2003, à 65 ans. Non
contents de supporter dans leurs amours le fameux démon de midi ou les
chaleurs de la ménopause, ils doivent supporter l’étiquette infamante de has
been et de radoteur patenté, plus dans le coup au plan professionnel. Tout se
passe alors comme si les entreprises procédaient à un grand coup de balai pour
évincer les plus de cinquante ans pour n’y maintenir qu’un jenior sur trois.
Des manœuvres dilatoires en tout genre précèdent cette éviction : les invita-
tions aux réunions se font plus rares, les remarques sur la santé ou la forme
physique se multiplient, les informations importantes semblent disparaître, les
responsabilités s’amenuisent, les directions de projets deviennent des
souvenirs et des placards s’ouvrent en grand entre deux étages ou dans le fond
d’un sombre couloir.
AF_LMP_Corps.fm Page 84 Vendredi, 24. octobre 2008 11:42 11

84 Le Manager positif

Un début d’explication à ces jugements à l’emporte-pièce, qui conduisent à ces


situations discriminatoires, est fourni par le graphique ci-dessous (Figure 5.1) :
il existe une forte corrélation entre l’envoi en « formation-tout-au-long-de-la-
vie » et la performance. Quand la première action décline, la seconde s’effondre
pour les populations de plus de 50 ans84, augmentant leur inadaptation supposée
et justifiant ainsi leur éviction massive du monde du travail.
Les travaux récents d’Aubert et Crépon85 montrent que la performance d’un
salarié croît jusqu’à 45 ans, se stabilise jusqu’à 50 ans pour décroître ensuite
légèrement. Dans tous les cas, le niveau atteint en fin de cycle actif est toujours
supérieur à ce qu’il était avant 40 ans.

Figure 5.1. Performance et formation


au cours de la carrière d’un salarié
En rapprochant la formation et la performance, nous avons obtenu le graphique ci-dessus
(Figure 5.1) qui synthétise et compare ces deux informations, et permet de comprendre l’intérêt
de continuer à former les jeniors pour maintenir et accroître leur efficacité. Ainsi la performance
(trait pointillé) est très faible en début de carrière alors que l’investissement formation (trait plein)
est important et les deux courbes plongent à partir de 50 ans, quels que soient les secteurs
d’activité.

Il est une autre réalité qu’il s’agit de prendre en compte pour changer notre
façon de voir et décider de mettre en œuvre une politique dynamique des
ressources humaines pour remettre ou maintenir en selle les jeniors (mais aussi

84. Laîné F., Les seniors et la formation continue, Premières synthèses DARES, n° 12,
mars 2003.
85. In Les seniors et l’emploi en France, La Documentation française, 2004, p. 102 et 104.
AF_LMP_Corps.fm Page 85 Vendredi, 24. octobre 2008 11:42 11

Ah, les vieux ! 85

les jeunes, comme nous en avons expliqué la nécessité pour le management


dans le chapitre 4 précédent) au sein et au service des organismes de travail.
Actuellement il y a 2 actifs pour un retraité or, au rythme où ce ratio se dégrade
il y aura, en 2050, un actif pour un retraité. Par conséquent, les caisses de
retraite seront vides en 2015, et probablement avant si nous laissons la
tendance actuelle se développer en laissant 2 jeniors sur 3 sans travail. Comme
nous l’avons précédemment indiqué86 et comme le souligne Jacques Attali :
« Pour maintenir le ratio actuel d’actifs par retraité, il faudrait alors accepter
d’augmenter soit les impôts, soit la natalité, soit l’immigration »87.
L’option prise par le gouvernement et applicable dès 2013, outre l’augmen-
tation des cotisations vieillesse, est d’indexer le départ à la retraite sur l’espé-
rance de vie. Pour les enfants naissant en 2010, cette espérance s’établit à
77 ans pour les hommes et 84 ans pour les femmes ; elle croît d’un trimestre
chaque année…88

5.1 Des jeniors dévalorisés


Dans l’entreprise, les générations se croisent, collaborent fréquemment, mais
communiquent difficilement. En effet, les relations de travail sont parasitées
par de nombreux préjugés dont les jeniors ne sont pas les premiers à faire les
frais, après avoir été nouveaux, jeunes, nuls, incompétents, comme nous
l’avons montré dans les chapitres précédents.

5.1.1 L’expérience de l’âge disqualifiée


Vis-à-vis des salariés les plus âgés, un de ces préjugés consiste à déclarer sans
autre forme de procès qu’à partir de 50 ans, ils sont considérés, par rapport aux
plus jeunes, comme des has been radoteurs, inaptes aux nouvelles techno-
logies et exempts de tout projet. À l’égard d’un manager chenu, celui-ci est
forcément étiqueté comme autocratique et féodal par ses jeunes collabora-
teurs. C’est souvent vrai en général et toujours faux en particulier, après
analyse et élucidation du comportement de quelqu’un qui n’a jamais été formé
au management relationnel, sauf exception, ni dans les grandes écoles, ni lors
de formations ultérieures proposées par l’entreprise.

86. A. Labruffe, Seniors : talents et compétences dans l’entreprise, AFNOR Éditions, 2007,
p. 7.
87. J. Attali, op.cit., p. 145.
88. Source INSEE.
AF_LMP_Corps.fm Page 86 Vendredi, 24. octobre 2008 11:42 11

86 Le Manager positif

Le manager expérimenté s’est forgé tout seul, sur le tas, de façon pragmatique,
par essais et erreurs, sur les seuls modèles qu’il a pu copier au cours de sa vie :
le maître, le militaire, le patriarche. Ce modèle a été renforcé par le système
taylorien mis en place dans tous les organismes, de l’école à l’industrie en
passant par l’administration et l’hôpital. Une image de chef, souvent despo-
tique et autocratique, refusant la discussion, niant et réprimant les besoins
psychologiques fondamentaux des membres de son entourage est parfois
renvoyée dans son foyer, sans aménité, par ses enfants ou son entourage
familial. Ce type de management traditionnel provoque désormais la
soumission, la conformité et le découragement chez des cohortes de subor-
donnés démotivés et passifs. Ce sont alors autant de caractéristiques appa-
rentes, montées en épingle par de jeunes collègues, qui ne font que se renforcer
et se rigidifier, passé le cap de la cinquantaine. En outre, ne pouvant accéder à
un autre comportement basé sur des méthodes et des compétences qui ne sont
pas favorisées par l’envoi en formation (ou qu’il rejette quand il parvient à
suivre de tels stages), le cadre se replie sur une position de plus en plus recro-
quevillée. Il cristallise ainsi un comportement dépassé puis sclérosé, fossilisé
dans des structures archaïques de comportement et de relations, complètement
en dysharmonie par rapport aux nouvelles exigences organisationnelles et
déconnecté des besoins psychologiques et des attentes des collaborateurs.

5.1.2 La mise en place d’une stratégie RH auprès des « jeniors »


Pour faire sauter ce verrou d’incompréhension et ce clivage dommageable
pour l’efficacité de tout organisme, il est nécessaire d’instaurer et de renforcer
une politique d’ingénierie des ressources humaines adaptée à la prise en
compte de cette population expérimentée. La participation du management est
capitale pour réussir à positiver cette situation qui détériore le réseau clients-
fournisseurs, détruit le moral de tous et affaiblit la compétitivité de
l’organisme.
Dans tous les organismes, il faut bien comprendre que le report de l’âge légal
de la retraite et les nouvelles dispositions gouvernementales, peu propices à
« éjecter les seniors avant l’heure », imposent dorénavant une prise en compte
offensive de la gestion de ces mêmes jeniors qui voient brusquement passer
leur horizon-retraite de quelques années à plus d’une décennie. La restauration
de la valorisation des jeniors et leur bonification supposent la réalisation prio-
ritaire d’un audit spécifique, ou d’enquêtes dédiées. D’une part, afin d’obtenir
d’eux des informations concernant leurs attentes, leurs espoirs, leurs ambi-
tions et leurs projets ; d’autre part, pour recueillir les moyens d’utilisation de
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Ah, les vieux ! 87

leur expérience et transférer leurs compétences dûment identifiées et


capitalisées dans une cartographie précise.
Il convient donc d’élaborer une stratégie spécifique dont le management doit
être le garant et le fer de lance sur le terrain, conduisant à instaurer et déve-
lopper une ingénierie des ressources humaines globale à l’intention des
jeniors :
– les entretiens professionnels dont nous avons exposé la méthodologie par
ailleurs89, conseillés par la nouvelle loi sur la formation tout au long de la
vie, doivent être mis en place à leur égard pour identifier précisément leurs
compétences et leurs ressources afin de favoriser le transfert de celles-ci
aux jeunes générations qui succéderont dans leurs fonctions ;
– des missions de tutorat vis-à-vis des nouveaux embauchés en contrat de
professionnalisation, ou des intérimaires et stagiaires, des jeunes
embauchés qui manquent généralement d’un encadrement stimulant pour
découvrir les arcanes de l’organisation ;
– la capitalisation des compétences doit faire l’objet d’une procédure spéci-
fique afin que les savoir-faire accumulés par les jeniors – par l’expérience
ou l’observation90 – puissent profiter à l’organisme.

5.1.3 L’image et les atouts des jeniors


La conséquence avantageuse de ces actions de valorisation des ressources
humaines, présentées par les jeniors, est de contribuer à leur donner une
nouvelle impulsion dans leur fin de carrière en renforçant et bonifiant leurs
compétences, en remodelant leur image auprès de jeunes et des nouveaux
qu’ils accueillent, en faisant part de leur expérience dans la conduite des
projets.
Cette action doit pouvoir réactiver leur motivation pour affronter les années
avant la retraite, qu’ils n’avaient pas prévue si éloignée, qui deviennent néces-
saires pour obtenir une pension décente. Le manager positif trouve, dans ces
quelques éléments, des arguments de poids à présenter à l’occasion de sa
prochaine rencontre avec les jeniors qu’il encadre, un jour d’entretien profes-
sionnel de reconversion ou de reclassement.

89. Alain Labruffe, L’entretien professionnel, AFNOR Éditions, 2006.


90. Le Groupe AFNOR définit la capitalisation comme l’« action d’accumuler volontairement
et de manière organisée en vue d’un profit ultérieur » et l’expérience comme « le savoir
acquis par la pratique et/ou l’observation », Norme FD X50-190, p 77-78 in Mise en œuvre
des ISO 9000, 2002.
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88 Le Manager positif

Dans la foulée, cette ingénierie des ressources humaines peut s’élargir à


l’ensemble des équipes et tout au long de la carrière des salariés de l’orga-
nisme, tant le retard actuel de leur prise en compte est patent et les attentes
aiguës. Une fois cette prise de conscience réalisée et concrétisée dans une
action quotidienne des pratiques de l’ingénierie des ressources humaines
présentées dans ce chapitre comme dans le reste de cet ouvrage, le manager
s’apercevra alors que les compétences étant mieux identifiées, le dialogue
étant devenu constant, la motivation est mobilisée et la performance
augmente.
Le tableau 5.1 établit la comparaison des atouts entre les jeniors et des jeunes
de moins de trente ans tels qu’ils sont reconnus au sein des entreprises.

Tableau 5.1 Les atouts des jeniors


Source : OCDE France (2005), p. 105, Enquête emploi des salariés selon l’âge (ESSA), DARES.

Raisons du choix …moins de 30 ans …plus de 50 ans


pour recruter (plutôt qu’une (plutôt qu’une
un salarié de… personne de plus personne de moins
de 30 ans) de 50 ans)
Un junior Un jenior
Compétences spécifiques 33 67
Meilleures connaissances du 7 45
monde du travail
Meilleure conscience 9 42
professionnelle
Moindre nécessité de les former 10 33
Nota bene : les chiffres indiquent les pourcentages d’opinions favorables.

Remarquons que si la reconnaissance des compétences se situe à un bon


niveau, il apparaît clairement que la formation des jeniors est nécessaire,
même si le score obtenu est supérieur à celui des juniors : 67 % des entreprises
estiment insuffisante la formation des jeniors… mais renâclent à les envoyer se
perfectionner ou se former à de nouvelles technologies et à d’autres domaines
de compétences nécessaires. Ce jugement handicape gravement la progression
comme la réinsertion professionnelle des jeniors, ainsi que leur possibilité
d’accéder aux nouvelles technologies ; Toutes trois exigent un effort de
formation et des bases suffisantes pour rendre cet effort efficace.
Rappelons que se