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Anthropogonie Et Eschatologie Dans Loeuv
Anthropogonie Et Eschatologie Dans Loeuv
SHI῾I ESOTERICISM
BIBLIOTHÈQUE DE L’ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES
SCIENCES RELIGIEUSES
VOLUME
177
© BREPOLS PUBLISHERS
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L’ÉSOTÉRISME SHI‛ITE
SES RACINES ET SES PROLONGEMENTS
SHI‛I ESOTERICISM:
ITS ROOTS AND DEVELOPMENTS
Sous la direction de
Mohammad Ali Amir-moezzi
Édité avec
Maria De Cillis
Daniel De smet
Orkhan mir-K Asimov
H
F
La Bibliothèque de l’École des hautes études, sciences religieuses
All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system,
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or otherwise without the prior permission of the publisher.
D/2016/0095/220
ISBN 978-2-503-56874-4
e-ISBN 978-2-503-56875-1
10.1484/M.BEHE-EB.5.110802
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The Institute of Ismaili Studies
The Institute of Ismaili Studies was established in 1977 with the object
of promoting scholarship and learning on Islam, in the historical as well as
contemporary contexts, and a better understanding of its relationship with
other societies and faiths. The Institute’s programmes encourage a perspec-
tive which is not confined to the theological and religious heritage of Islam,
but seeks to explore the relationship of religious ideas to broader dimensions
of society and culture. The programmes thus encourage an interdisciplinary
approach to the materials of Islamic history and thought. Particular atten-
tion is also given to issues of modernity that arise as Muslims seek to relate
their heritage to the contemporary situation. Within the Islamic tradition, the
Institute’s programmes promote research on those areas which have, to date,
received relatively little attention from scholars. These include the intellectual
and literary expressions of Shiʿism in general, and Ismailism in particular.
In the context of Islamic societies, the Institute’s programmes are informed
by the full range and diversity of cultures in which Islam is practised today,
from the Middle East, South and Central Asia, and Africa to the industrialized
societies of the West, thus taking into consideration the variety of contexts
which shape the ideals, beliefs and practices of the faith. These objectives are
realised through concrete programmes and activities organized and imple-
mented by various departments of the Institute. The Institute also collaborates
periodically, on a programme‑specific basis, with other institutions of lear-
ning in the United Kingdom and abroad.
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ANTHROPOGONIE ET ESCHATOLOGIE
DANS L’ŒUVRE DE MUḤSIN FAYḌ KĀSHĀNĪ
L’ésotérisme shī‘ite entre tradition et syncrétisme
Mathieu terrier
CNRS
1. Pour une synthèse de cette évolution, voir M. A. Amir‑Moezzi et Ch. Jambet, Qu’est-ce que le
shî‘isme ?, Paris 2004, p. 181‑206.
2. R. Savory, « The principal offices of the Ṣafavid State during the reign of Ismâ’îl I » (907‑30/1501‑
24), BSOAS 23 (1960), p. 91‑105 ; le même, « The principal offices of the Ṣafavid State during
the reign of Ṭahmâsp I » (930‑84/1524‑76), BSOAS 24 (1961), p. 65‑85, tous deux repris dans
id., Studies on the History of Ṣafavid Iran, Londres 1987 ; S. A. Arjomand, The Shadow of God
and the Hidden Imam, Chicago – Londres 1984, p. 105‑201 ; R. J. Abisaab, Converting Persia.
Religion and Power in Safavid Empire, Londres – New York 2004. Des chercheurs iraniens,
citons R. Ja‘fariyān, Dīn va siyāsat dar dawre-ye ṣafavī, Qumm 1370 h.s./1991 ; S. H. Aqājarī,
Muqaddame-yī bar monāsabāt dīn o dowlat dar Irān-e ‘aṣr-e ṣafavī, Téhéran 1389 h.s./2010‑
2011.
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3. Sur ce procès conflictuel, voir M. A. Amir‑Moezzi et Ch. Jambet, Qu’est-ce que le shî‘isme ?,
p. 207‑239. Sur son évolution à la dernière période safavide, voir A. J. Newman, « The nature of
the Akhbārī/Usūlī Dispute in Late Safawid Iran », BSOAS 55/1 (1992), p. 21‑51, et BSOAS 55/2
(1992), p. 250‑261.
4. L. Lewisohn, « Sufism and the school of Iṣfahān : Taṣawwuf and ‘Irfān in Late Safavid Iran
(‘Abd al‑Razzāq Lāhījī and Fayḍ‑i Kāshānī on the Relation of Taṣawwuf, Ḥikmat and ‘Irfān) »,
dans L. Lewisohn et D. Morgan (éd.), The Heritage of Sufism, 3 vol., Oxford 1999, III, p. 63‑134,
en particulier p. 67‑77 ; A. Newman, « Sufism and anti‑Sufism in Safavid Iran », Iran 37 (1999),
p. 95‑108 ; K. Babayan, Mystics, Monarchs, and Messiahs, Cultural Landscapes of Early Modern
Iran, Londres 2002, p. 403‑437.
5. Sur l’apparition de ce terme et son sens technique par rapport au soufisme, voir H. Corbin, En
islam iranien. Aspects spirituels et philosophiques, 4 tomes, Paris 1972, III, p. 153 et IV, p. 22.
Pour une discussion de sa traduction par « gnose », voir Ch. Jambet, Mort et résurrection en
islam. L’au-delà selon Mullâ Sadrâ, Paris 2008, p. 103‑104.
6. Par exotérisme, j’entends la codification et le contrôle de la religion extérieure, collective,
cultuelle et juridique ; par ésotérisme, l’enseignement initiatique, plus ou moins secret, d’une
doctrine spirituelle.
7. H. Corbin, La philosophie iranienne islamique aux xviie et xviiie siècles, Paris 1981 ; T. Lawson,
« The Hidden Words of Fayḍ Kāshānī », dans M. Szuppe (éd.), Iran : Questions et connaissances,
vol. II, Périodes médiévale et moderne, Paris 2002, p. 427‑447 ; S. Kamada, « Fayḍ al‑Kāshānī’s
Walāya : the Confluence of Shi‘i Imamology and Mysticism », dans T. Lawson (éd.), Reason and
Inspiration in Islam, Londres 2005.
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1. Biographie
Le parcours de Fayḍ Kāshānī nous est en partie connu grâce à son auto-
biographie intitulée Sharḥ al-ṣadr, composée en 1065/1654‑1655 à l’âge de
cinquante‑huit ans 13. Né en 1007/1598‑1599 dans une famille iranienne tradi-
tionnelle de Kāshān, il est le fils d’un célèbre juriste‑théologien, Muḥammad b.
Murtaḍā, doté d’une riche bibliothèque. À l’âge de vingt ans, après un infruc-
tueux séjour à Ispahan, il reçoit à Shīrāz une instruction dans les sciences reli-
gieuses exotériques et le ḥadīth de Mājid b. Hāshim al‑Baḥrānī (m. 1028/1619),
13. Édité dans Dah risāla-yi Muḥaqqiq-i buzurg Fayḍ-i Kāshānī, éd. R. Ja‘fariyān, Qumm 1371
h.s./1992 ; résumé en arabe dans Fayḍ Kāshānī, ‘Ilm al-yaqīn, éd. M. Bīdārfar, 2 vol.,
Qumm 1426/1384 h.s./2005‑2006, introduction, p. 9‑15.
l’un des chefs du courant akhbārī. De retour à Ispahan, il poursuit son instruc-
tion dans les sciences religieuses auprès de Shaykh Bahā’ī (m. 1030/1621).
En 1029/1620, il se rend à La Mecque où, après avoir effectué son ḥājj, il
reste étudier le ḥadīth avec Muḥammad b. Ḥasan Al‑‘Āmilī (m. 1030/1621) 14.
En 1030/1621, il se rend à Qumm où il rencontre Ṣadr al‑Dīn Shīrāzī alias
Mullā Ṣadrā (m. 1050/1640‑41). Il demeure huit ans auprès de lui, pratiquant
« les exercices et les combats spirituels » (al-riyāḍiyyāt wa-l-mujāhadāt)
jusqu’à acquérir « une claire vision de la science ésotérique » (baṣīra fī ‘ilm
al-bāṭin). Il accompagne son retour à Shīrāz en 1040/1630‑31 et reste son élève
deux autres années avant de prendre son indépendance pour retourner aux
sciences religieuses traditionnelles 15.
L’affiliation de Fayḍ Kāshānī à la confrérie des Nūrbakhshī, ancêtre des
Ni‘matullāhī, revendiquée au XXe siècle par Ma‘ṣūm ‘Alī Shāh, l’un des maîtres
de la seconde confrérie, reste sujette à caution 16. Son grand‑père et son père
entretenaient apparemment des relations avec des milieux soufis, comme en
témoignaient leurs surnoms respectifs de faqīr et de shāh 17. Mais aucune par-
ticipation active de Fayḍ Kāshānī n’est attestée au sein d’un ordre qui fut per-
sécuté à la fin du XI/XVIIe, après que notre homme occupa des fonctions
officielles dans l’État safavide.
Fayḍ Kāshānī est appelé deux fois à la cour d’Ispahan, par Shāh Ṣaf ī (1038‑
1052/1629‑1642) puis par Shāh ‘Abbās II (1052‑1077/1642‑1666). Son premier
séjour semble s’être soldé par un constat désabusé et un départ en retraite spi-
rituelle. Rappelé en 1069 ou 1070/1659 par Shāh ‘Abbās II, qui apprécie sa
conjonction de la voie mystique à la voie religieuse traditionnelle, il accepte
non sans hésitation de se rendre à la cour pour diriger la prière à Ispahan et
la propagation de la foi dans le royaume. Un tikya est bâti pour lui à Ispahan
et il dédie plusieurs ouvrages au shāh, mais l’opposition des juristes littéra-
listes à son encontre va croissante. À la mort de Shāh ‘Abbās II, il retourne à
Kāshān se vouer à sa piété personnelle 18. En somme, si Fayḍ Kāshānī ne subit
14. H. Algar, « Fayz‑e Kāšānī », Encyclopaedia Iranica, New York 1999, IX, p. 452‑454, voir p. 452.
15. Fayḍ Kāshānī, Sharḥ al-ṣadr, cité dans ‘Ilm al-yaqīn, introduction, p. 9‑10 ; S. H. Rizvi, Mullā
Ṣadrā Shīrāzī, p. 16‑17 ; W. C. Chittick, « Muḥsin‑i Fayḍ‑i Kāshānī », p. 475.
16. Ma‘ṣūm ‘Alī Shāh, Ṭarā’iq al-ḥaqā’iq, éd. M. J. Maḥjūb, 3 vol., Téhéran 1382 h.s./2003‑04, I,
p. 183, II, p. 322 et III, p. 215. K. M. al‑Shaybī, al-Ṣila bayn al-taṣawwuf wa l-tashayyu‘, 2 vol.,
rééd. Beyrouth – Bagdad 2011, II, p. 373, juge l’information digne de foi ; L. Lewisohn, « Sufism
and the school of Iṣfahān », p. 115, la juge incertaine mais compréhensible ; H. Algar, « Fayz‑e
Kāšānī », p. 452‑453, la juge forgée et estime que Fayḍ Kāshānī doit être vu comme une figure
indépendante.
17. M. Kompānī Zāre‘, « Az maktab‑e Kāshān tā maskan‑e jānān », dans Fayḍ-pažūhī, p. 15‑46,
voir p. 16‑17.
18. Fayḍ Kāshānī, Sharḥ al-ṣadr, cité dans ‘Ilm al-yaqīn, p. 11‑14. Voir aussi ‘A. Khāleqī, Andīsheh-ye
siyāsi-ye Fayḍ Kāshānī, Qumm 1387 h.s./2008‑2009, p. 23‑25. L. Lewisohn, « Sufism and the
school of Iṣfahān », p. 112, comme S. H. Rizvi, Mullā Ṣadrā Shīrāzī, p. 17, affirment après
H. Corbin, La philosophie iranienne islamique, p. 181, que Fayḍ déclina l’offre du shāh. H. Algar,
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pas autant d’attaques que son maître Mullā Ṣadrā, ni de persécutions que Qāḍī
Sa‘īd Qummī (m. 1103/1691), il n’eut pas non plus une carrière d’intellectuel
organique, mais semble plutôt avoir oscillé entre la participation à la poli-
tique religieuse du royaume et une position quiétiste. En ceci, son parcours
est éminemment révélateur des problèmes théoriques et pratiques du shī‘isme
moderne.
2. Bibliographie
Fayḍ Kāshānī, qui établit lui‑même le catalogue ( fihrist) de ses œuvres à
la fin de sa vie, est l’auteur de près de cent vingt livres dans les domaines du
ḥadīth, de la philosophie, de l’éthique, du tafsīr et de la jurisprudence 19. Ses
deux premiers grands ouvrages, composés solidairement, sont ‘Ayn al-yaqīn
fī uṣūl al-dīn et ‘Ilm al-yaqīn fī uṣūl al-dīn (achevés en 1042/1632‑33), por-
tant sur les principes de la religion (unicité divine, prophétie, imāmat, escha-
tologie) d’un double point de vue rationnel (‘aqlī) et traditionnel (shar‘ī) 20 ;
le premier puise très largement dans les ouvrages de Mullā Ṣadrā, quand le
second est davantage tributaire des traditions imāmites croisées à de nom-
breuses citations d’Ibn ‘Arabī et de Mullā Ṣadrā. Le compendium de ce
dernier ouvrage, Anwār al-ḥikma (rédigé en 1043/1633‑34), ajoute encore
des idées philosophiques à cette somme de théologie. La courte épître Zād
al-sālik de 1043/1633‑34 expose l’éthique soufie à l’appui de ḥadīths imāmites.
Al-Maḥajja al-bayḍā’ (achevé en 1046/1636‑37) est une reprise critique, du
point de vue shī‘ite, du fameux Iḥyā’ ‘ulūm al-dīn d’al‑Ghazālī (m. 505/1111) ;
Kāshānī présente son livre comme une « rectification » (tahdhīb) et une
« revivification de la revivification » (iḥyā’ al-iḥyā’) effectuée par Ghazālī 21.
L’ouvrage intitulé Kalimāt maknūna, achevé en 1057 ou 1060/1647‑48 ou
1650, est un dense traité d’ésotérisme shī‘ite et de gnose qui a particulière-
ment suscité l’intérêt des chercheurs depuis les travaux pionniers de Henry
Corbin 22. Très différent, l’opuscule al-Kalimāt al-ṭarīfa de 1060/1650 est un
art. cit., p. 453, affirme qu’il refusa l’offre de Shāh Ṣafī mais accepta celle de ‘Abbās II. Sur la
polémique autour du rôle de Fayḍ à Ispahan, voir K. Babayan, Mystics, Monarchs, and Messiahs,
p. 410‑411.
19. Pour une description statistique et sommaire de son œuvre, voir W. C. Chittick, « Muḥsin‑i Fayḍ‑i
Kāshānī », p. 475‑476.
20. Fayḍ Kāshānī, khuṭba du ‘Ayn al-yaqīn, cité dans ‘Ilm al-yaqīn, I, introduction, p. 87‑88.
21. Fayḍ Kāshānī, Al-maḥajja al-bayḍa’, éd. ‘A. al‑Ghaffārī, 8 parties en 4 vol., Qumm 1435/2013‑
2014, I, p. 52, muqaddima.
22. Fayḍ Kāshānī, Kalimāt maknūna, éd. ‘A. ‘Alizādeh, Qumm 1390 h.s./2011‑2012, parmi d’autres
éditions. H. Corbin, Corps spirituel et terre céleste, Paris 1979, p. 206‑210 ; T. Lawson, « The
Hidden Words of Fayḍ Kāshānī » ; S. Kamada, « Fayḍ al‑Kāshānī’s Walāya ».
23. M. M. Bar‑Asher, Scripture and Exegesis in Early Imāmī Shiism, Leiden 1999, p. 93‑101 ; le
même, « The Authority to interpret the Qur’an », dans F. Daftary et G. Miskinzoda (éd.), The
Study of Shi’i Islam. History, Theology and Law, Londres 2014, p. 149‑162.
24. ‘Ilm al-yaqīn, I, introduction, p. 29‑32.
25. Sur cette œuvre, K. Babayan, Mystics, Monarchs, and Messiahs, p. 417 ; L. Lewisohn, « Sufism
and the school of Iṣfahān », p. 119‑122 ; M. Kompānī Zāre‘, « Ghawrī dar movājehe‑ye Fayḍ
Kāshānī bā taṣavvof », dans Fayḍ-pažūhī, p. 747‑770, voir p. 761.
26. Voir L. Lewisohn, Ibid., p. 123‑128, cite et analyse cette œuvre d’après le rapport d’un maître
ni‘matullāhī, Majdhūb ‘Alī Shāh (m. 1238/1823).
27. Fayḍ Kāshānī, Uṣūl al-ma‘ārif, éd. J. al‑D. Āshtiyānī 1375 h.s./1996‑1997 ; H. Corbin, La philo-
sophie iranienne islamique, p. 179‑187.
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28. Fayḍ Kāshānī, Dīwān-e ash‘ār, éd. M. F. Kāshānī, Qumm 1381 h.s./2002‑2003 ; Q. Sālārī,
« Maqām‑e shā‘erī‑ye Fayḍ Kāshānī », dans Fayḍ-pažūhī, p. 885‑906 ; ‘A. al‑Ḥ. Zarrīnkūb,
Donbāle-ye jostojū, p. 257.
29. E. Kohlberg, « Aspects of Akhbārī Thought in the Seventeenth and Eighteenth Centuries », dans
N. Levtzion et J. O. Voll (éd.), Eighteenth-Century Renewal and Reform in Islam, Syracuse 1987,
p. 133‑160, repris dans Belief and Law, art. XVII, p. 136‑138. Sur Astarābādī, voir A. J. Newman,
« The nature of the Akhbārī/Usūlī Dispute in Late Safawid Iran », 1992.
30. Al-maḥajja al-bayḍā’, I, p. 507‑529 ; S. H. Aqājarī, Monāsabāt dīn o dowlat, p. 379.
31. E. Kohlberg, « Aspects of Akhbārī Thought », voir p. 142.
32. Sur ce dernier point, voir Ch. Jambet, « Religion du savant et religion du vulgaire : remarques
sur les intentions du commentaire du Livre de la preuve par Mullā Ṣadrā », Studia Islamica 109
(2014), p. 208‑239.
33. Fayḍ Kāshānī, Tafsīr al-ṣāfī, éd. S. M. Emāmiyān, 2 vol., Qumm 1388 h.s./2009‑2010, I, p. 23‑35.
Il paraît imprudent d’affirmer, comme S. Kamada, « Fayḍ al‑Kāshānī’s Walāya », p. 456, que
Fayḍ soutenait la thèse de la falsification du Coran, mais aussi téméraire de le nier catégori-
quement comme Ṭ. Ghulāmī Shīrī, « Taḥrīf nāpadhīrī‑ye Qur’ān‑e karīm az manẓar‑e Fayḍ
Kāshānī », dans Fayḍ-pažūhī, p. 259‑280. On s’accordera avec M. A. Amir‑Moezzi, Le Coran
silencieux et le Coran parlant, p. 87, n. 112, pour souligner l’ambiguïté de sa position.
34. Fayḍ Kāshānī, Al-Kalimāt al-ṭarīfa, éd. A. J. Golbāqī Māsūleh et Z. Nowrūzī Porshokūh,
Téhéran 1384 h.s. /2005, p. 60‑61.
35. Mullā Ṣadrā, Risāla fī ḥudūth al-‘ālam, éd. M. Khājavī, Téhéran 1377 h.s./1999 ; Quṭb al‑Dīn
Ashkevarī, Maḥbūb al-qulūb, al-maqālat al-‘ūlā, éd. I. al‑Dībājī et H. Ṣidqī, Téhéran 1378
h.s./1999. À ce sujet, M. Terrier, « La représentation de la sagesse grecque comme discours et
mode de vie chez les philosophes šī‘ites de l’Iran safavide (xie/xviie siècle) », Studia Graeco-
Arabica 5 (2015), p. 299‑320 ; Idem, Histoire de la sagesse et philosophie shi’ite. L’Aimé des
cœurs d’Aškevarī , Paris 2016.
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Anthropogonie et eschatologie
1. Précision méthodologique
Le mode de composition des ouvrages de Fayḍ Kāshānī n’est pas celui d’un
« auteur » au sens classique du terme, mais celui d’un traditionniste procédant
essentiellement par sélection, assemblage et montage de textes de différentes
sources, formulant entre eux quelques commentaires personnels. Ses sources
sont d’abord les plus anciens recueils de traditions imāmites, mais aussi les
œuvres d’Ibn ‘Arabī et de Mullā Ṣadrā principalement, tantôt cités nommé-
ment, tantôt, dans les œuvres de sa seconde période, sous couvert d’anonymat.
L’analyse qui suit part du principe qu’un tel mode de composition exprime
l’œuvre d’un penseur et non seulement d’un transmetteur. Le choix des cita-
tions, leur agencement et leur introduction ; le dosage des différentes sources
et leur présentation ; le croisement des sources et de leurs différents « jeux de
langage » au sens de Wittgenstein : tout cela relève de décisions réfléchies,
non du hasard ou d’un arbitraire psychique. Suivant ce principe, une pensée
diffusée dans et entre des textes qui ne sont pas tous de nature philosophique
peut revêtir elle‑même un caractère et un intérêt philosophiques.
42. A contrario, son contemporain Ashkevarī tirait parti de son rang subalterne pour formuler clai-
rement ses sympathies ; c’est l’objet de mon « Apologie du soufisme par un philosophe shī‘ite de
l’Iran safavide. Nouvelles remarques sur le Maḥbūb al-qulūb d’Ashkevarī », Studia Islamica 109
(2014), p. 240‑273.
43. Shayh al‑Ḥurr al‑‘Āmilī, Amal al-Āmil, cité dans ‘Ilm al-yaqīn, I, introduction, p. 17.
44. Cité dans Ibid., p. 28 ; également cité et traduit, comme étant la conclusion de la R. al-Inṣāf, par
L. Lewisohn dans « Sufism and the school of Iṣfahān », p. 126.
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45. D. De Smet, introduction à « Part VIII, Philosophy and Intellectual Traditions », dans The Study
of Shi’i Islam, p. 545‑562, voir p. 547‑548.
46. L. Strauss, La Persécution et l’Art d’écrire, trad. fr. O. Sedeyn, Paris – Tel Aviv 2003, p. 113.
47. M. A. Amir‑Moezzi, « Cosmogony and Cosmology V. In Twelver Shi’ism », EIr, VIII, p. 316‑
322, voir p. 319.
48. M. A. Amir‑Moezzi, Le guide divin dans le shī‘isme originel. Aux sources de l’ésotérisme en
islam, Paris 1992 – 2007, p. 75‑79.
49. Ibid., p. 18‑21 ; le même, « Cosmogony and Cosmology », p. 319‑320 ; le même, « Fin du temps
et retour à l’origine (Aspects de l’imamologie duodécimaine, VI) », REMMM, 91‑94 (2000),
p. 53‑72, repris dans M. A. Amir‑Moezzi, La religion discrète. Croyances et pratiques spiri-
tuelles dans l’islam shi’ite, Paris 2006, p. 297‑315 (trad. ang. « The end of Time and the Return
to the Origin », dans The Spirituality of Shi‘i Islam, I. B. Tauris, Londres 2011, p. 403‑429), voir
p. 304‑305 et références n. 36‑37 (trad. ang., p. 412‑416).
50. M. A. Amir‑Moezzi, Le guide divin, p. 101‑105.
51. Uṣūl al-ma‘ārif, p. 10. Sur les traditions imāmites concernant le « mélange des deux argiles »
(ikhtilāṭ al-ṭīnatayn), voir M. A. Amir‑Moezzi, « Seul l’homme de Dieu est humain. Théologie et
anthropologie mystique à travers l’exégèse imamite ancienne (Aspects de l’imamologie duodé-
cimaine IV) », Arabica 45 (1998), p. 193‑214, repris dans La religion discrète, p. 209‑228, p. 218
(trad. ang. « Only the Man of God is Human ; Theology and Mystical Anthropology According
to Early Imami Exegesis » dans The Spirituality of Shi‘i Islam, p. 277‑304).
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52. Platon, Phédon, 76c‑77b, trad. M. Dixsaut, dans Platon, Œuvres complètes, trad. fr. L. Brisson
(dir.), Paris 2011, p. 1194‑1195 ; Aristote, De l’âme, II, 1‑2, trad. J. Tricot, Paris 1988 – 2010,
p. 87‑103.
53. Mullā Ṣadrā, Ḥudūth al-‘ālam, p. 184‑185.
54. Par « non‑rationnel », il faut entendre non pas l’irrationnel, mais ce qui échappe autant à la justi-
fication qu’à la critique rationnelle. Voir M. A. Amir‑Moezzi dans Le guide divin, p. 47‑48, n. 82.
55. Les références à Platon et Aristote sont miennes.
56. Kalimāt maknūna, chap. 30, p. 84.
a eu lieu le Pacte primordial (mīthāq) 57. Il est ici greffé sur une psychologie
avicennienne, péripatéticienne en son fondement, celle de l’advenue (ḥudūth)
de l’âme sur une certaine mixtion corporelle 58. Les âmes des parfaits ou des
impeccables, elles, préexistent aux corps dans leur substance même. Leurs
âmes particulières sont les émanations d’âmes universelles et remontent à
l’universel par la conjonction avec l’Intellect, première émanation de l’Un
selon la hiérarchie néoplatonicienne : leur procès est celui de l’émanation,
de la conversion et de la réversion. On peut penser que ce schéma du retour
comme mouvement ascendant progressif s’applique non seulement au pro-
phète ou à l’imām, saufs de toute éternité, mais aussi, voire surtout, au philo-
sophe gnostique dont l’âme, d’origine supérieure, doit se sauver elle‑même.
Juste après le passage cité, Fayḍ Kāshānī nomme esprit isthmique (bar-
zakhī) l’esprit qui vient à l’existence après la préparation du mélange, celui
des hommes du commun. Il le définit comme dépouillé de matière mais non
de forme, comprenant la concupiscence et la colère – correspondant aux deux
parties inférieures de l’âme chez Platon. Puis il nomme esprit saint (qudsī)
l’esprit qui existe avant les corps, dépouillé de matière comme de forme, celui
des hommes parfaits. Ainsi, l’esprit isthmique advient par l’advenue des corps
quand l’esprit saint est antérieur à tout corps, comme les anges rapprochés et
les intelligences séparées du cosmos avicennien 59.
Fayḍ Kāshānī atteste que « l’esprit saint appartient exclusivement aux
hommes de l’élite » (al-khawāṣṣ). Le terme est faible pour désigner les qua-
torze Impeccables de l’imāmisme originel et, compte tenu de la description
précédente du Retour des âmes parfaites à Dieu, l’on peut se demander s’il
n’entend pas aussi conférer l’esprit saint aux ‘urafā’, les véritables gnostiques,
ou aux muḥaqqiqūn, « ceux qui réalisent le Vrai ». C’est là que Fayḍ rapporte
du Kāfī une version d’un ḥadīth de l’imām ‘Alī fondateur de ce que l’on peut
appeler une anthropologie shī‘ite :
Les prophètes qui sont les devanciers ont cinq esprits : l’esprit de la sainteté
(rūḥ al-qudus), l’esprit de la foi (rūḥ al-īmān), l’esprit de la puissance (rūḥ
al-quwwa), l’esprit du désir (rūḥ al-shahwa), l’esprit du corps (rūḥ al-badan).
Par l’esprit de la sainteté, ils ont été envoyés prophètes et connaissent les
choses. Par l’esprit de la foi, ils adorent Dieu et ne lui associent rien. Par l’es-
prit de la puissance, ils combattent leur ennemi et soignent leur vie quoti-
dienne. Par l’esprit du désir, ils tirent plaisir de l’alimentation et s’unissent aux
jeunes femmes dans la licéité. Par l’esprit du corps, ils rampent et s’élèvent
par degrés. Les croyants, qui sont les compagnons de la droite, ont les quatre
757
Mathieu Terrier
derniers esprits. Les impies, qui sont les compagnons de la gauche, ont les
trois derniers esprits, comme les bêtes de somme 60.
60. Ibid., p. 85. M. b. Ya‘qūb al‑ Kulaynī, Uṣūl al-kāfī, Beyrouth 1426/2005, K. al‑īmān wa l‑kufr,
bāb al‑kabā’ir, h. 16, p. 479. Voir M. A. Amir‑Moezzi, « Les cinq esprits de l’homme divin
(Aspects de l’imamologie duodécimaine XIII) », Der Islam 92/2 (2015), p. 297‑320.
61. Platon, La République, IV, 435c‑445e, trad. fr. G. Leroux, dans Œuvres complètes, p. 1599‑1611 ;
Aristote, De l’âme, I, 1, 402b1‑9 et II, 3, 414a29‑415a14, p. 22‑23 et 104‑108.
62. Kalimāt maknūna, p. 85. M. b. Ya‘qūb al‑ Kulaynī, Uṣūl al-kāfī, K. al‑īmān wa l‑kufr, bāb ṭīnat
al‑mu’min wa l‑kāfir, h. 1, p. 330‑331.
759
Mathieu Terrier
65. Ibid., p. 86‑87, d’après Ibn al‑Mughāzilī, al-Manāqib. Voir aussi M. Bāqir Majlisī, Biḥār
al-anwār, 111 vol., Beyrouth 1403/1983, XXXVIII, bāb 61, ḥ. 114, p. 147. Pour des traditions
analogues sur la préexistence de l’Imām, voir M. A. Amir‑Moezzi, Le guide divin, p. 101‑105.
66. Le terme employé est nāṣib qui désigne en propre, chez les shī‘ites, les adversaires du calife ‘Alī.
67. Kalimāt maknūna, p. 180.
68. Voir ‘A. al‑Jurjānī, Kitāb al-ta‘rīfāt, éd. G. Flügel, Leipzig 1845, p. 39‑40. ‘Azīl‑Dīn Nasafī,
Kitāb al-insān al-kāmil, éd. M. Molé, Téhéran 1962 – 1983 ; S. Ayada, L’islam des théophanies.
Une religion à l’épreuve de l’art, Paris 2010, p. 129‑190.
69. La formule anthrôpos micros kosmos : « l’homme est un petit monde », est attribuée à Démocrite,
qui fut élève des pythagoriciens, dans DK, II, p. 153, fr. 68 B 43. Rasā’il Ikhwān al-ṣafā’, 4 vol.,
Beyrouth 2006, épître 26, « Que l’homme est un microcosme selon la thèse des philosophes »,
II, p. 456‑479 ; épître 34, « Que le monde est un macranthrope selon la thèse des philosophes »,
761
Mathieu Terrier
III, p. 212‑230. Voir G. de Callataÿ, Ikhwan al-Safa’. A Brotherhood of Idealists on the Fringe of
Orthodox Islam, Oxford 2005, p. 22‑24.
70. Sur la doctrine des Noms divins chez Ibn ‘Arabī, voir S. Ayada, L’islam des théophanies, p. 105‑
127 et sv.
71. Kalimāt maknūna, chap. 53, p. 127‑128.
72. Ibid., chap. 55, p. 129‑131.
73. Ibid., chap. 24, p. 73‑75. Ce problème est l’objet de mon « De l’éternité ou de la nouveauté du
monde : parcours d’un problème philosophique d’Athènes à Ispahan », Journal Asiatique 299.1
(2011), p. 369‑421.
74. Kalimāt maknūna, chap. 56, p. 131‑132. La source de ce ḥadīth est Rajab al‑Bursī, Mashāriq
anwār al-yaqīn, éd. ‘A. al‑Māzandarānī, Qumm 1384 h.s./2005‑2006, p. 77.
75. On la retrouve chez Mīr Dāmād, Jadhawāt wa mawāqīt, éd. ‘A. Owjabī, Téhéran 1380 h.s./2001,
p. 18‑21.
vers comme authentiques : « Ton remède est en toi et tu ne le sais pas, ton
mal vient de toi et tu ne le vois pas / Tu prétends n’être qu’un corpuscule alors
qu’en toi est enveloppé le macrocosme / Tu es le Livre explicite par les lettres
duquel se manifeste le caché » 76.
Dans cet exposé, les références aux membres de la sainte Famille (les
ahl al-bayt) n’interviennent qu’in extremis, comme si Fayḍ Kāshānī éprou-
vait quelque difficulté à identifier l’Homme universel à l’Imām. Car il y a bel
et bien une tension entre l’universalisme du concept d’Homme parfait et la
personnification de l’Imām, comme il y a une tension entre le monisme du
schème néoplatonicien et le dualisme de la pensée shī‘ite. Kāshānī ne cherche
pas à résoudre ces tensions par une voie argumentative dialectique, mais par
une sorte de dispositif symphonique comprenant nombre de silences.
Enfin, dans deux chapitres de son ‘Ilm al-yaqīn nettement inspirés du théo-
phanisme d’Ibn ‘Arabī, après avoir affirmé que le bonheur et la misère dans
la vie future ne sont que les fruits des actions commises ici‑bas et que le châ-
timent des damnés n’est aucunement le fait de la vengeance divine – les ver-
sets présentant ce sens obvie devant être compris métaphoriquement – 77, Fayḍ
Kāshānī soutient encore d’une autre manière l’inégalité foncière des âmes et
la prédestination du bonheur ou de la misère.
La Miséricorde de Dieu a nécessité l’existentiation de toutes les créatures, afin
qu’elles soient les lieux de manifestation de Ses plus beaux Noms, les épipha-
nies de Ses plus hauts attributs. Les anges et ceux qui leurs ressemblent parmi
les bons et les gens du paradis sont des lieux de manifestation de la Grâce
(al-luṭf ). Les démons et leurs alliés parmi les mauvais et les gens de l’enfer
sont les lieux de manifestation de la Domination (al-qahr) […]. Il ne faut pas
attribuer l’injustice et les actions hideuses à Dieu, car cette hiérarchie et cette
distinction – l’advenue d’un groupe sur la voie de la Grâce et d’un autre groupe
sur la voie de la Domination – font partie des nécessités de l’existence et de
l’existentiation du monde, des exigences de la Sagesse et de la Justice 78.
76. Voir Mīr Ḥusayn b. M. al‑Dīn Maybudī, Sharḥ-e Dīwān-i mansūb beh amīr al-mu’minīn ‘Alī b.
Abī Ṭālib, éd. Ḥ. Raḥmānī et S. E. Ashk Shīrīn, Téhéran 1390 h.s./2012, p. 456 et 458 ; Kalimāt
maknūna, chap. 58, p. 134.
77. ‘Ilm al-yaqīn, I, p. 281.
78. Ibid., I, p. 283.
79. Ibid., p. 284. La source est M. b. Ya‘qūb al‑ Kulaynī, Uṣūl al-Kāfī, K. al‑īmān wa l‑kufr, bāb
ākhar minhu, h. 1, p. 354‑355, qui le rapporte du sixième imām.
763
Mathieu Terrier
« Dieu crée le bonheur et la misère avant de créer Ses créatures. L’homme que
Dieu crée heureux, Il ne le hait jamais ; si jamais il fait le mal, Dieu hait son
action mais ne le hait pas, lui. Mais l’homme que Dieu crée misérable, Il ne
l’aime jamais ; si jamais il fait le bien, Dieu aime son action mais ne l’aime pas,
lui. Car si Dieu aime quelque chose, Il ne la hait jamais, et si Dieu hait quelque
chose, Il ne l’aime jamais » 80. Parmi ce que Dieu révéla à Moïse et fit descendre
dans la Torah : « Certes Je suis Dieu et il n’est pas de dieu sinon Moi. J’ai créé
les créatures et J’ai créé le bien ; puis J’en ai versé sur les mains de ceux que
J’aime, bienheureux soient ceux sur les mains desquels J’ai versé [du bien].
Certes Je suis Dieu et il n’est pas de dieu sinon Moi. J’ai créé les créatures
et J’ai créé le mal ; puis J’en ai versé sur les mains de ceux que J’ai voulus,
maudits soient ceux sur les mains desquels J’ai versé [du mal] » 81. (…). Et du
Prophète, il est rapporté : « Le misérable était misérable dans le ventre de sa
mère, le bienheureux était bienheureux dans le ventre de sa mère » 82.
80. M. b. Ya‘qūb al‑ Kulaynī Kulaynī, Uṣūl al-Kāf ī, K. al‑tawḥīd, bāb al‑sa‘āda wa l‑shaqāwa,
h. 1, p. 87 ; A. b. M. al‑Barqī, Al-Maḥāsin, éd. M. al‑Rajā’ī, 2 vol., Qumm 1432/2011,
K. maṣābiḥ al‑ẓulam, bāb al‑sa‘āda wa l‑shaqā’, h.1, I, p. 435 ; Ibn Bābūya, Kitāb al-Tawḥīd,
Beyrouth 1430/2009, bāb al‑sa‘āda wa l‑shaqā’, h. 5, p. 235.
81. A. b. M. al‑Barqī, Maḥāsin, K. maṣābiḥ al‑ẓulm, bāb khalq al‑khayr wa l‑sharr, h.1, I, p. 440.
82. Ibn Bābūya, Tawḥīd, bāb al‑sa‘āda wa l‑shaqā’, h. 3, p. 234.
83. Ch. Jambet, Mort et résurrection, p. 165‑172.
de son âme avec son corps et, dans une certaine mesure, du libre‑arbitre ;
et comment la résurrection majeure, elle, dépend de la création primor-
diale des croyants et des incroyants, et se voit par là même rigoureusement
prédéterminée.
1. La résurrection mineure
Au sujet de la résurrection mineure, Fayḍ Kāshānī reprend de son maître
Mullā Ṣadrā l’idée que celle‑ci se produit dans le « monde imaginal » ou le
« monde des icônes » (‘ālam al-mithāl), un monde perçu par l’imagination
séparée (khayāl munfaṣil), intermédiaire entre le monde intelligible et le
monde sensible, pour cette raison aussi appelé « isthmique » (barzakhī). Si la
thèse d’un au‑delà imaginal remonte à Avicenne, le concept de « monde des
icônes » est hérité de l’école de Suhrawardī 84. De ce monde, l’une des défini-
tions les plus claires est l’œuvre de notre penseur, ainsi traduite par Henry
Corbin : « un monde où se corporalisent les esprits et où se spiritualisent les
corps » 85. Ibn ‘Arabī distinguait entre « l’Isthme où se trouvent les esprits après
leur séparation de la vie d’ici‑bas et l’Isthme situé entre les esprits immaté-
riels et les corps » ; Mullā Ṣadrā, et Fayḍ Kāshānī après lui, abolissent cette
distinction et font du monde de l’au‑delà et du monde intermédiaire un seul
et même monde, identifié au « monde des icônes » 86. On se souvient que Fayḍ
Kāshānī appelait « esprit isthmique » l’esprit naissant avec le corps. C’est ce
même esprit qui sera le sujet de la résurrection mineure. Le chapitre LXVI des
Kalimāt maknūna commence ainsi :
L’Isthme (al-barzakh) est la condition (ḥāla) située entre la mort naturelle et
la grande résurrection (ba‘th) pour les non parfaits. Dieu Très‑Haut dit : « Un
isthme se trouve derrière les hommes jusqu’au jour où ils seront ressuscités ».
(XXIII, 100) 87. Pendant cette durée, dans le monde de l’Isthme, l’esprit aura
pour seul vêtement ce corps iconique (mithālī) dans lequel l’homme se voit
dans le sommeil. Dans le ḥadīth prophétique : « Le sommeil est frère de la
mort », « Comme vous dormez, vous mourrez, et comme vous vous réveillez,
84. Sur Avicenne, voir J. Y. Michot, La destinée de l’homme selon Avicenne, Louvain 1986.
L’attribution à Avicenne du livre Ithbāt al-nubuwwāt soutenant ce point de vue est toutefois
contestée par D. Gutas, Avicenna and the Aristotelian Tradition, Leyde 1988, rééd. 2014, p. 485‑
489.
85. Kalimāt maknūna, chap. 31, p. 87‑89, traduit dans H. Corbin, Corps spirituel et terre céleste,
p. 206‑210. Chez Ṣadrā, à propos de la « tombe réelle », voir Ch. Jambet, Mort et résurrection,
p. 59‑65.
86. Mullā Ṣadrā, Risālat al-shawāhid al-rubūbiyya, dans Majmū‘e-ye rasā’el-e falsafi-ye Ṣadr al-mu-
ta’allihīn, éd. Ḥ. Najafjī Esfahānī, Téhéran 1375 h.s./1996‑1997, § 88, p. 304.
87. Traduction D. Masson légèrement modifiée pour correspondre à la lecture de Fayḍ Kāshānī.
Les traductions suivantes du Coran seront empruntées à D. Masson ou J. Berque et modifiées
au besoin.
765
Mathieu Terrier
vous ressusciterez ». Dieu dit : « Dieu accueille les âmes au moment de leur
mort ; Il reçoit aussi celles qui dorment, sans être mortes » (XXXIX, 42) 88.
Pour Fayḍ Kāshānī, le corps iconique ( jasad mithālī) dont l’esprit dis-
pose après sa séparation de l’ici‑bas est le même que celui dont il dispose au
cours de cette vie et par lequel il agit dans le corps sensible, un corps né à
partir du corps matériel élémentaire, celui‑ci étant comme son enveloppe ou
son cocon. Le corps iconique est donc ontologiquement intermédiaire entre
l’esprit immatériel et le corps charnel, comme le monde iconique est intermé-
diaire entre le monde intelligible et le monde sensible. Sa vie est « comme la
vie essentielle », laquelle est la vie purement intellectuelle, quand la vie sen-
sible n’est qu’une vie métaphorique. C’est dans ce corps iconique ou isthmique
que l’homme connaîtra la première rétribution, celle de la tombe ou de la
résurrection mineure 89. Fayḍ Kāshānī accorde cette conception philosophique
avec la tradition imāmite en disant que la forme isthmique subsistant après la
mort a pour métonymies, dans les paroles rapportées des imāms, l’argile pri-
mordiale dont les hommes ont été créés et l’os sacrum (‘ajb al-dhanab) :
Dans le Kāfī, « On demanda à l’imām al‑Ṣādiq si le corps du mort était entière-
ment anéanti [après sa mort]. Il répondit : “Oui, jusqu’à ce qu’il ne reste rien de
la chair et des os, sauf l’argile par laquelle il a été créé. Elle reste dans la tombe
en tournant sur elle‑même, jusqu’à ce que [l’homme] soit recréé d’elle comme
il a été créé la première fois”. Le fait de tourner sur elle‑même est une méta-
phore pour son transport d’état en état selon des cycles. Elle ne se corrompt pas
car elle est incorruptible ». Dans une tradition prophétique : « Dieu fait naître
la vie dernière sur l’os sacrum qui subsiste de cette vie d’ici‑bas. C’est sur lui
que la dernière naissance est composée ». Dans le Tafsīr attribué au onzième
imām [Abū Muḥammad al‑‘Askarī], au sujet de la parole de Dieu : « Moïse dit
à son peuple : “En vérité, Dieu vous ordonne d’immoler une vache” (…) Nous
avons dit : “Frappez le cadavre avec un membre de la vache” Voici comment
Dieu rend la vie aux morts » (II, 67‑73), l’imām dit : « il s’agit de l’os sacrum,
avec lequel le fils d’Adam a été créé et sur lequel il sera composé de nouveau
quand il sera rappelé à une nouvelle création » 90.
767
Mathieu Terrier
94. Kalimāt maknūna, p. 151‑152, inspiré d’al-Futūḥāt al-makkiyya, bāb 63, IV, p. 414, 419, 422‑423
(Y), II, p. 161‑165 (S).
95. Kalimāt maknūna, chap. 75, p. 173 ; Biḥār al-anwār, VI, bāb 8, ḥ. 116, p. 267, d’après al-Kāfī.
houris, des châteaux, des éphèbes, des perles, des coraux […]. Selon un ḥadīth
saint (qudsī) : « Ô fils d’Adam ! Je t’ai créé pour la subsistance. Je suis vivant
et immortel. Obéis‑moi en ce que Je t’ordonne, abstiens‑toi de ce que Je t’in-
terdis, et Je te rendrai comme moi vivant et immortel. Je suis Celui qui dit à
une chose ! “Sois !” Et elle est. Obéis‑moi en ce que Je t’ordonne et Je te ren-
drai comme moi : quand tu diras à une chose “Sois !”, elle sera ! » 96. De même,
l’enfer est deux enfers : un enfer intelligible qui advient aux cœurs des hypo-
crites, des orgueilleux et des menteurs ; un enfer sensible qui brûle les corps,
préparé pour les impies. Paradis et enfer se trouvent seulement dans le monde
imaginaire corporalisé 97.
Le paradis intelligible est créé par l’âme intellective elle‑même en vertu des
connaissances saintes acquises ici‑bas, le paradis sensible par l’imagination
en vertu des actions pieuses accomplies ici‑bas. L’on comprend que le paradis
intelligible n’est accessible qu’aux vrais savants, gnostiques ou « hommes de
réalisation spirituelle ». Fayḍ Kāshānī soutenait déjà dans ses Anwār al-ḥikma
cette thèse d’un paradis et d’un enfer créés dans l’âme, en même temps qu’elle
et avec elle : « Il faut savoir que le paradis et l’enfer naissent seulement de
l’âme. Ils sont deux états de l’âme, dans le lieu de l’âme. Ils adviennent à toute
âme en même temps qu’elle advient elle‑même, puis ils croissent avec les
actions, les perceptions, les caractères et les habitudes de l’âme, que celle‑ci
acquiert du début à la fin de sa vie » 98. Cette thèse, conjoignant une généa-
logie aristotélicienne et avicennienne de l’âme avec une eschatologie fidèle à
la littéralité des promesses et menaces coraniques, doit être héritée de Mullā
Ṣadrā 99. La perspective selon laquelle l’âme engendre son propre devenir,
qui lui est immanent, est en effet une conséquence du principe ṣadrien du
« mouvement substantiel » (al-ḥaraka al-jawhariyya) 100. Sur le rapport essen-
tiel entre l’âme et le paradis ou l’enfer, Kāshānī rapporte également, dans ses
Anwār al-ḥikma, une conception tirée d’Ibn ‘Arabī :
Il dit dans les Futūḥāt : « L’enfer a des images partielles qui sont la nature et
les passions de chacun, de ses débuts à ses derniers jours. L’âme a des portes et
des sens – au nombre de sept – qui sont les portes mêmes de l’enfer. Elles ont
la forme d’une porte qui, quand elle ouvre sur un lieu, ferme l’accès à un autre
lieu ; sa fermeture à un logis est son ouverture à un autre logis. Ces portes sont
ouvertes pour les deux groupes, les gens de l’enfer et les gens du paradis, à
l’exception de la porte du cœur, qui est fermée aux gens de l’enfer pour tou-
jours : “Les portes du ciel ne leur seront pas ouvertes et ils n’entreront pas au
96. Également cité dans Biḥār al-anwār, XC, bāb 24, p. 376.
97. Kalimāt maknūna, chap. 75, p. 170‑172 ; Uṣūl al-ma‘ārif, chap. 10, p. 174‑176.
98. Fayḍ Kāshānī, Anwār al-ḥikma, éd. M. Bīdārfar, Qumm 1425/1383h.s./2004‑2005, p. 371.
99. Ch. Jambet, Mort et résurrection.
100. Ch. Jambet, L’acte d’être. La philosophie de la révélation chez Mollâ Sadrâ, Paris 2002, index
« Mouvement – essentiel, substantiel », sv.
769
Mathieu Terrier
paradis avant qu’un chameau ne passe par le chas d’une aiguille” (VII, 40).
Car la voie (ṣirāṭ) de Dieu est plus fine qu’un cheveu, celui qui la parcourt a
besoin d’être au comble de la subtilité et de la finesse, ce qui est difficile aux
sots ignorants, en particulier du fait de leur illusion et de leur soumission à leur
opinion, sans soumission véritable à Dieu et sans suivre une droite guidance.
Les portes du brasier sont donc au nombre de sept, et les portes du paradis sont
huit. Cette porte qui ne s’ouvre pas pour ceux‑là, par laquelle nul d’entre eux
n’entre et qui est dans le mur “au-dedans duquel loge la Miséricorde, tandis
qu’en face se trouve le châtiment” (LVII, 13), c’est‑à‑dire l’enfer qui “pénètre
jusqu’aux cœurs” (CIV, 7) – l’enfer a dans les cœurs une pénétration, pas une
entrée, du fait de la fermeture de cette porte –, [cette porte] est dans le paradis
entourée de contrariétés » 101.
2. La résurrection majeure
Fayḍ Kāshānī ne distingue pas clairement ce qui relève de la résurrection
mineure et ce qui relève de la résurrection majeure. Mais il présente deux
conceptions distinctes : la première est celle du devenir immanent de l’âme
après sa séparation du corps et de la vie d’ici‑bas ; la seconde est celle de
son destin final, consécutif au Jugement transcendant, lors et à la suite de la
« grande résurrection » (al-qiyāma). La première conception est d’origine et de
nature philosophique ; la figure de l’Imām, on le constate dans ce qui précède,
y est peu présente. La seconde conception, elle, est théologique et l’Imām
y tient une place centrale. Au sujet du Retour final des âmes à Dieu revient
aussi le concept de l’Homme parfait, identifié plus nettement à l’Imām qu’au
chapitre de la cosmogonie. Dans le chapitre LXXII de ses Kalimāt maknūna,
101. Anwār al-ḥikma, p. 365‑366 ; Ibn ‘Arabī, al-Futūḥāt al-makkiyya, chap. 371, faṣl 6, « sur la
Géhenne, ses portes, ses stations et ses marches (darakāt) », IX, p. 332‑334 (S), dont le texte
n’est pas cité littéralement mais résumé et glosé par notre auteur. Voir aussi Kalimāt maknūna,
chap. 80, p. 185.
102. Ibn Bābūya, Ma‘ānī al-akhbār, éd. ‘A. al‑Ghaffārī, Beyrouth 1410/1990, p. 31‑32, pour la pre-
mière tradition ; la seconde se trouve aussi dans Tafsīr al-Sāfī, II, p. 155. M. Bāqir Majlisī, Bihār
al-anwār, LXVIII, p. 226, mentionne ce ḥadīth sans l’attester : « Il est rapporté dans certains
récits que les imāms sont les justes balances »
103. Kalimāt maknūna, chap. 72, p. 164‑165.
771
Mathieu Terrier
celui qui ne le connaît pas en cette vie glisse [et tombe] de la voie droite de la
vie dernière » […]. Dans les Baṣā’ir al-darajāt, on interrogea al‑Ṣādiq sur la
parole de Dieu : « Ceci est pour Moi une voie droite (hādhā ṣirāṭ ‘alayya mus-
taqīm) ». L’imām dit : « Par Dieu !, la voie droite est ‘Alī. Par Dieu, ‘Alī est la
voie et la balance » 104.
Dans le chapitre LXXIX de ses Kalimāt maknūna, ainsi que dans Anwār
al-ḥikma, Fayḍ Kāshānī fait de l’Imām ou de l’Homme parfait celui qui par-
tage le paradis et l’enfer (al-qasīm bayn al-janna wa l-nār). Ceci parce que,
selon une tradition rapportée du sixième imām, « l’amour [de ‘Alī] est foi et
la haine de lui est impiété ; or le paradis n’a été créé que pour les hommes de
foi, et l’enfer pour les hommes d’impiété » 105. D’un savant non nommé, notre
auteur rapporte qu’il ne s’agit pas de l’amour pour son être individuel ayant
existé un certain temps dans le monde sensible, mais de l’amour pour sa réa-
lité divine et son rang intelligible universel et prééternel 106.
Dans le chapitre LXXXI, Fayḍ Kāshānī identifie l’Homme parfait ou
l’Imām aux mystérieux A‘rāf de la sourate VII, généralement interprétés
comme des dunes ou des redans séparant physiquement le paradis et l’enfer.
L’exégèse imāmite identifiant les imāms aux A‘rāf est déjà recueillie dans le
Kāfī et commentée, avant notre auteur, par son maître Mullā Ṣadrā 107. Il rap-
porte cette tradition rapportée des Baṣā’ir al-darajāt :
Un homme vint trouver le Prince des initiés et lui demanda la signification
de la parole : « Sur les A‘rāf, il y a des hommes qui les reconnaissent tous par
leurs signes distinctifs » (VII, 46). ‘Alī lui dit : « Nous sommes les A‘rāf, nous
connaissons nos auxiliaires par leurs signes distinctifs. Et nous sommes les
plus savants (a‘rāf ) : Dieu ne fait rien connaître si ce n’est par la voie de notre
connaissance. Nous, les A‘rāf, siégerons au jour de la Résurrection entre le
paradis et l’enfer. Nul n’entrera au paradis sans qu’il nous connaisse et que
nous le connaissions. Nul n’entrera en enfer sans qu’il nous rejette et que nous
le rejetions. Ceci car Dieu, s’Il avait voulu, aurait fait connaître aux hommes
de quoi Le connaître, proclamer Son unicité et venir d’eux‑mêmes à Sa porte.
Mais Il a fait de nous Ses portes, Sa voie droite, Sa voie et la porte qui mène
à Lui » 108.
104. Ibid., chap. 73, p. 166 ; Ibn Bābūya, Ma‘ānī al-akhbār, p. 32, pour la première tradition. La cita-
tion attribuée au Coran ne se trouve pas dans la Vulgate.
105. Kalimāt maknūna, chap. 79, p. 182, d’après Ibn Bābūya, ‘Ilal al-sharā’i‘, éd. et trad. pers. Ḥ.
Qāsemī, 2 vol., Qumm 1389 h.s./2010‑2011, bāb 130, ḥ. 1, I, p. 438.
106. Kalimāt maknūna, chap. 79, p. 183‑184. Voir aussi Anwār al-ḥikma, p. 360 et suiv.
107. Voir là‑dessus H. Corbin, En islam iranien, I, p. 310‑320.
108. Kalimāt maknūna, chap. 86, p. 186 ; Al‑Ṣaffār al‑Qummī, Baṣā’ir al-darajāt, éd. ‘A. Zakīzādeh
Renānī, 2 vol., Qumm 1389 h.s./2010‑2011, bāb 16, ḥ. 1775, II, p. 782.
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114. Tafsīr al-Sāfī, II, p. 216 ; ‘Alī b. Ibrāhīm al‑Qummī, Tafsīr al-Qummī, éd. M. al‑Abṭaḥī al‑Iṣ-
fahānī, 3 vol., Qumm 1435/2013‑2014, II, p. 703‑704.
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115. Fin de citation du long ḥadīth rapporté d’Abū Isḥāq al‑Laythī, Kalimāt maknūna, chap. 78, p. 180‑
182 ; cité dans M. Bāqir Majlisī, Bihār al-anwār, LXIV, bāb 3, ḥ. 21, p. 104‑108.
116. Kalimāt maknūna, chap. 76, p. 174 ; Uṣūl al-ma‘ārif, X, p. 179 ; Mullā Ṣadrā, Al-ḥikma al-mu-
ta‘āliyya fī l-asfār al-arba‘a, éd. M. ‘Aqīl, 3 vol., Beyrouth 1432/2011, III, p. 728.
117. Mullā Ṣadrā, Al-ḥikma al-muta‘āliyya, III, p. 729.
118. Anwār al-ḥikma, p. 408‑415. Voir aussi ‘Ilm al-yaqīn, II, p. 1321‑1326, et encore de Fayḍ Kāshānī,
Nawādir al-akhbār, éd. M. al‑Anṣārī al‑Qummī, Téhéran 1391 h.s./2012‑2013, p. 524‑529. Il
s’agit dans les trois cas du dernier chapitre.
intention. C’est le contraire pour l’hôte du paradis. Celui‑là, “son intention est
pire que son action”. Celui‑ci, “son intention est meilleure que son action”. Les
intentions perpétuent le séjour des gens du paradis et celui des gens de l’enfer.
Dieu dit : “Chacun agit selon son intention, mais votre Seigneur connaît par-
faitement celui qui est le mieux dirigé dans le chemin droit” (XVII, 84) » 119.
Puis Fayḍ Kāshānī enchaîne avec plusieurs citations d’Ibn ‘Arabī qui
changent sensiblement la donne eschatologique :
L’auteur d’al-Futūḥāt al-makkiyya dit : « Ceux qui éprouvent la douleur
reçoivent la rétribution du châtiment à hauteur de la durée de sa vie passée
à s’abaisser dans l’ici‑bas. Quand le terme aura expiré, Dieu instaurera pour
eux un bienfait dans la demeure où ils se trouveront à perpétuité. Car s’ils
entraient au paradis, ils souffriraient de l’inadéquation de leur nature fon-
cière. Mais ils jouiront du feu et du glacis dans lesquels ils se trouveront,
des piqures de serpents et d’araignées, comme les gens du paradis jouiront
de l’ombre, de la lumière et des baisers prodigués aux belles houris, car leur
naturel le nécessite. Ne vois‑tu pas que le scarabée est d’une nature propre à
être affectée négativement par le parfum de la fleur mais à jouir de la puan-
teur, que l’homme échauffé par la colère est dérangé par l’odeur du musc ? » 120
Il déclare dans les Fuṣūṣ al-ḥikam : « Les hôtes de l’enfer (ahl al-nār) ont leur
terme final dans la faveur [divine] (al-na‘īm), mais en enfer. Car au terme de la
durée du châtiment, la forme du feu (nār) deviendra nécessairement fraîcheur
et paix pour ceux qui s’y trouvent, et ce sera là leur faveur » 121.
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Fayḍ juxtapose ainsi deux positions antinomiques sur le destin final des
damnés : la thèse orthodoxe du châtiment éternel, également soutenue par
Mullā Ṣadrā, et la thèse hétérodoxe du bienfait des damnés, reçue d’Ibn
‘Arabī. Suivant le principe herméneutique formulé par Leo Strauss, on peut
légitimement supposer que Fayḍ considérait la plus secrète comme la plus
vraie et soutenait donc le parti des « savants des dévoilements » plutôt que
celui des « savants des traces écrites ».
Conclusion
124. Anwār al-ḥikma, p. 414, d’après Mullā Ṣadrā, Risāla fī al-wāridāt al-qalbiyya, dans Idem,
Majmū‘a al-rasā’il al-tis‘, Téhéran 1302/1885, p. 264.
125. Sur la notion de plan d’immanence, G. Deleuze et F. Guattari, Qu’est-ce que la philosophie ?,
Paris 1991, p. 38‑40.
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