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Actes des congrès de la Société

des historiens médiévistes de


l'enseignement supérieur public

Le prince ou le pouvoir de séduire


Madame Christiane Raynaud

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Raynaud Christiane. Le prince ou le pouvoir de séduire. In: Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de
l'enseignement supérieur public, 23ᵉ congrès, Brest, 1992. Les princes et le pouvoir au Moyen Age. pp. 261-284;

doi : https://doi.org/10.3406/shmes.1992.1622

https://www.persee.fr/doc/shmes_1261-9078_1993_act_23_1_1622

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Christiane RAYNAUD

LE PRINCE OU LE POUVOIR DE SÉDUIRE

Dès le XIIe siècle en France et surtout en Angleterre, l'histoire


d'Alexandre est très populaire1. Elle est pour les souverains2 un moyen
d'expliquer les nouvelles formes du pouvoir et de les faire accepter3. A la
cour de Bourgogne, elle accompagne les tentatives4 de Philippe le Bon
pour obtenir une couronne^. En 1447, le duc demande à Jean Wauquelin de
lui soumettre un exemplaire papier6 de son Livre des conquestes et faits
d'Alexandre le Grand, puis en 1448 une copie de luxe7. Avant une

1. P. Durieu, "L'Histoire du bon roi Alexandre", manuscrit à miniatures de la collection


Dutuit, Études d'art ancien et moderne, tome XIII, (1903, janv.-fév.), 38 p. P. Meyer,
"Alexandre le grand dans la littérature du Moyen Age. Histoire de la légende",
Bibliothèque française du Moyen Age, 3 et 4 (1886), p. 313-329. G. Raynaud de Lage,
"Les romans antiques et la représentation de l'antiquité dans le Moyen Age", Les
premiers romans français et autres études littéraires et linguistiques, Droz, 1976,
p. 247-291. Le Roman d'Alexandre, Bien dire et bien aprandre, n° 6, Lille, 1984.
2. M. Gosman, "Le roman de toute chevalerie et le public visé. La légende au service de
la royauté", Neophilologus, vol. LXXII, n° 3, july 1988, p. 335.
3. J.-C. Smith, "Portable propaganda - Tapestries as princely metaphors at the courts of
Philip the Good and Charles The Bold", Art Journal, 48 (1989), p. 123-129.
4. A.-M. et P. Bonnenfant, "Le projet d'érection des états bourguignons en royaume en
1447", Moyen Age, XLV (1935), p. 10-23. Y. Lacaze, "Philippe le Bon et l'Empire :
bilan d'un règne", Francia, 9 (1981), p. 133-175 et Francia, 10 (1982), p. 167-227.
5. Dans les années 1440, au moment où Philippe le Bon entame des négociations pour
obtenir une couronne, Wauquelin compile un Roman d'Alexandre pour son cousin
Jean de Bourgogne, comte d'Etampes, gouverneur de Picardie, sans doute un des
négociateurs.
6. Le ms. fr. 1419 de la B.N. (378 feuillets, 29 x 20 cm) un dessin avec armoiries, est
réalisée dans l'officine de Wauquelin à Mons. Peu de mécènes ont pris la peine de
faire exécuter de telles copies d'essai.
7. Le ms. Fr. 9342 de la B.N. (227 feuillets, parchemin, 43 x 23 cm, 82 miniatures et
décorations marginales) est également réalisé à Mons dans l'officine de Wauquelin.
262 Christiane RAYNAUD

nouvelle démarche, il fait faire entre 1457 et 1459, une troisième copie
ornée de deux cent quatre miniatures dont la plus grande part est de
Guillaume Vrelant et une vingtaine de Liévin van Lathem8 .

Cet intérêt pour Alexandre n'est pas complètement neuf9, mais


jusque-là le conquérant était relégué à une seconde place. Wauquelin10 en
fait un souverain des contrées bourguignonnes et un des ancêtres de la
dynastie. Le grand turc, ayant eu vent de ces revendications11, les aurait

'Le siècle d'or de la miniature flamande, le mécénat de Philippe le Bon", Bruxelles,


exposition du 12 avril 1959, C. Sterling, "Les ducs de Bourgogne et la civilisation
franco-flamande", Les arts plastiques, n° 3 (1951), 5e série, p. 163-204. G. Dogaer,
M. Debae, La librairie de Philippe le Bon, catalogue d'exposition, Bruxelles, 1967.
J.-C. Smith, The artistic patronage of Philip the Good, duke of Burgundy,
Ph. D. dissertation, Columbia university, New York, 1979, p. 362-368.
8. Cette copie, ms. 456 de la collection Dutuit est conservéeParis,"
au musée du Petit-Palais.
(E. Rahir, La collection Dutuit, Livres et manuscrits, 1889, p. 176-178.
G. Doutrepont, La littérature française à la cour des ducs de Bourgogne, Paris, 1909,
reprint Genève, 1970, p. 143-146. P. Durrieu, La miniature flamande à la cour de
Bourgogne, 2 vol., Paris, 1931, tome II planche XLIV). Le copiste est David Aubert.
L'attribution à Liévin Van Lathem permet une datation approximative du manuscrit
puisqu'il travaille pour le duc entre 1457-1459, d'autres éléments abondent en ce sens.
G. Dogaer, Flemish miniature painting in the 15th and 16th centuries, BM Israël BV,
Amsterdam, 1987, p. 99-106 sur Guillaume Vrelant et p. 133-136 Liévin van Lathem.
Pour situer le ms. 456 par rapport à la tradition iconographique sur Alexandre :
D.-J. Ross, Alexander historiatus, a guide to medieval illustrated Alexander literature,
Warburg Institute surveys, Londres, Warburg Institute, 1963 et "Alexander historiatus
a supplement", Journal of the Warburg and Courtauld institutes, vol. 30 (1967), The
Warburg institute university of London, p. 383-388 ; Lexicon Der Christlichen
Dconographie, Herder, 1968, p. 94-96 ; et par rapport à la production de cette période,
A. von Euw, J.-M. Plotzek, Die handschriften der Sammlung Ludwig, Cologne, 1982,
vol. 3, p. 250-256 et pi. XIII6, p. 212, 213, 214 à 224. D. Thoss, Flamische
Buchmalerei Handschriften-Schâtze ans dem Burgunderreich, Ausstellung der
Handschriften - und Inkunasammlung der ôsterreichischen Nationalbibliothek,
Prunksaal, 21 mai-26 octobre 1987, Akademische druck - u. Verlagsnastalt graz,
1987, p. 31-34.
9. Il a été, sinon suscité, du moins encouragé par les Enseignements d'Aristote à
Alexandre. Le grand conquérant intervient aussi dans le Débat d'honneur entre
Annibal, Alexandre et le consul romain Scipion, traduit par Jean Miélot. Il n'est pas
alors un modèle de vertu. Cf. G. Doutrepont, op. cit., p. 143.
10. Il suit Jacques de Guise : Chroniques de Hainaut, qu'il a traduites dans le ms. Bibl.
royale de Bruxelles 9242, 9243, 9244 (1448-1468) pour Philippe le Bon.
11. Y. Lacaze, "Politique méditerranéenne" et projets de croisade chez Philippe le Bon ;
de la chute de Byzance à la victoire chrétienne de Belgrade (mai 1453-juillet 1456)",
Annales de Bourgogne, Tome XLI (1969), fascicule I, janvier-mars, n° 161, p. 5-42 ;
fascicule III, avril-juin, n° 162, p. 81-132. F. Babinger, Mahomet III le conquérant et
LE PRINCE OU LE POUVOIR DE SÉDUIRE 263

considérées comme un défi. Même si la lettre de Mehmet II de l'automne


1455, signée "vrai héritier du roi Alexandre", est un faux, elle est
révélatrice des enjeux de cette légende généalogique.

A côté de ces liens si forts avec la grande politique et la croisade,


l'histoire d'Alexandre, parfois qualifiée12 de littérature romanesque,
colorée, romantique et décadente, propose la mise en pratique d'un
humanisme d'État13. Le programme iconographique du ms. 456 de la
collection Dutuit14, qui multiplie les scènes de la vie publique et privée1^,
contribue à l'adapter aux réalités bourguignonnes. Le héros de l'Antiquité
devient alors un prince parfait, défenseur de la justice et de la paix, et un
souverain exemplaire.

Le prince parfait

Le manuscrit s'ouvre sur une image de dédicace, (fig. l)16 au cadre


monumental original17. A l'intérieur de la ville18 s'affairent trois

son temps 1432-1481, trad, française, Paris, 1954. A.-J. Vandcrjagt, Laurens Pignon,
o.p., confessor of Philip the Good, p. 24-25 (note 70).
12. A cet égard le sentiment est général, d'après A.-J. Vanderjagt, op. cit., p. 17 malgré
Y. Lacaze, "Le rôle des traditions dans la genèse d'un sentiment national au
XVe siècle. La Bourgogne de Philippe le Bon", BEC, t. LXXIX, (1971), p. 358.
13. A.-J. Vanderjagt, op. cit., p. 31-74. G. Ouy, "Paris, l'un des principaux foyers de
l'humanisme en Europe au début du XVe siècle, Bulletin de la Société de l'histoire de
Paris et de l'Ile de France, 1967-1968, Paris, 1970, p. 71-98.
14. Toute ma gratitude va aux conservateurs qui m'ont permis et facilité la consultation du
manuscrit. Le roman de Wauquelin est divisé en deux livres, le premier en 157
chapitres (jusclu<au mariage d'Alexandre), le second 128, avec 98 miniatures
consacrées en grande partie aux aventures extraordinaires d'Alexandre.
15. Les miniatures ont de 7 à 10 x 18 cm ou 18 x 18 cm. Elles sont plus nombreuses que
dans la version du fr. 9342 où les scènes de guerre constituent plus de la moitié du
programme iconographique.
16. Fig. 1 : F 7 à comparer avec l'image du F 5 ms. fr. 9342 de la B.N. et surtout la
miniature P 1 du ms. 9242 de la B.R. de Bruxelles des Chroniques du Hainaut ou
encore f° 6 du ms. 2549 de l'Osterreischisches Nationalbibliothek de Vienne du
Roman de Cirart de Roussillon, ou enfin le f° 2, tome III du ms. 10976 de la B.R. de
Bruxelles, de l'Instruction d'un jeune prince de Guillebert de Lannoy et le f° 38 v° du
ms. 9017 de la B.R. de Bruxelles Composition de la Sainte Écriture, (1462). L'image
de présentation revêt un caractère moins solennel, auquel contribue la station debout
de Philippe, et surtout G. Vrelant renonce à faire un portrait fidèle du duc.
17. Les miniatures de présentation citées en note 16 qui se déroulent dans le cadre d'une
salle du palais, sans vue sur l'extérieur.
264 Christiane RAYNAUD

serviteurs, dont un faucon au poing rappelle le goût du duc pour la


chasse19, plaisir royal par excellence. Sur le fronton du palais20 figurent
les armes de Philippe et sur les vitraux Bourgogne ancienne et Flandres.
Dans la salle le copiste David Aubert21 offre à genoux son manuscrit au
prince22. Le duc, debout comme à son habitude23, main gauche sur la
hanche pour affirmer son autorité24, s'apprête à recevoir le livre. Coiffé
d'un chaperon pourpre, vêtu d'une robe bleue damassée25 et ourlée de
précieuses fourrures, il porte le collier de la Toison d'or. La chevelure est
belle, le visage mince un peu pâle, les joues délicatement colorées.
L'enlumineur ne cherche pas à faire un portrait fidèle du duc qui a soixante
et un ans26.

Cinq des huit membres de son entourage sont couverts, situation


exceptionnelle27. Un seul des quatre dignitaires de la Toison d'or est tête

18. Elle reste à déterminer Lille, Bruges, Bruxelles, Gand ? Les tons de gris et de rose
sont caractéristiques de la manière de G. Vrelant.
19. E. Picard, "La vénerie et la fauconnerie des ducs de Bourgogne", MSE, IX (1880),
p. 297-418.
20. Alors qu'un serviteur s'éloigne à l'intérieur de la ville avec le cheval du visiteur, un
autre franchit le seuil du palais.
21. J. Wauquelin est mort depuis 1452. David Aubert est tête nue.
22. Sur Philippe le Bon : P. Bonnenfant, Philippe le Bon, Bruxelles, Renaissance du
Livre, 1955 ; J. Calmette, Les grands ducs de Bourgogne, Paris, Albin Michel, 1976 ;
R. Vaughan, Philip the good. The apogee of Burgundy, Londres, Harlow Longmans,
XVIII, 456, p. 1970 ; J. Huizinga, "La physionomie morale de Philippe le Bon",
Annales de Bourgogne, IV (1932), p. 101-129.
23. C. Commeaux, La vie quotidienne en Bourgogne au temps des ducs Valois (1364-
1477), Paris, Hachette, 1979, p. 45 reprend le trait signalé par G. Chastellain dans
Chroniques, t. VII, n° 8, p. 213-226.
24. F. Gamier, Le langage de l'image au Moyen Age, 1. 1. Signification et symbolique,
Paris, Le Léopard d'Or, 1982, p. 185.
25. M. Beaulieu, J. Bayle, Le costume en Bourgogne de Philippe le Hardi à Charles le
Téméraire, Paris, 1956.
26. R. Van Luttervelt, "Les portraits de Philippe le Bon", Les arts plastiques, Bruxelles,
1951, p. 183-196 ; Exposition Liège et Bourgogne, musée de l'art wallon, oct.-
nov. 1968, Liège, 1968, p. 172-173 n° 178 et 179.
27. Jusque-là dans les images de présentation l'entourage du duc est découvert à deux ou
trois personnages prestigieux près, ensuite ce n'est plus le cas ainsi f° 1 du ms.
fr. 22547 de la B.N., Histoire du grant Alexandre de Macedone, par Quinte Curce,
traduction française de Vasco de Lucena, copié en 1470 par Yvonnet le Jeune et
enluminé par Loyset Lyédet.
LE PRINCE OU LE POUVOIR DE SÉDUIRE 265

nue. Il est placé derrière Philippe et lui ressemble. Vêtu de vert28, cheveux
coupés à l'écuelle, Charles, comte de Charolais (?) a vingt-quatre ans. Sa
position effacée et l'absence du chancelier Rolin illustrent, depuis l'éclat du
17 janvier 1457, le triomphe des Croy29. Au premier plan, Antoine, comte
de Porun, premier chambellan du duc, et à gauche Jean, seigneur de
Chimay, sont près des piliers30, de trois-quart dos et le visage de profil31.
Enfin, avec une robe bleue comme son père32, le grand bâtard Antoine de
Bourgogne approuve la scène. Pourtant rien de tout cela n'est bien certain.
L'intérêt de la miniature est ailleurs dans la présentation de Philippe
comme prince parfait.

Sa première qualité est la beauté, reflet de l'âme33. Sa prestance


manifeste aux yeux de tous sa précellence. L'élégance du costume, une
obligation, va de pair avec celle du geste. L'étiquette de la cour dont il
s'entoure est à l'image du bon ordre de la chose publique et de l'harmonie
du monde. Enfin le rôle de mécène de Philippe suffit à prouver sa sagesse,
malgré l'absence de gens d'âge autour de lui. "Peinture de l'homme
extérieur"34, de la personnalité, la même démarche humaniste se retrouve
pour Alexandre.

28. Symbole de jeunesse (M. Pastoureau, Couleurs, images, symboles, Paris, 1989, Le
Léopard d'Or, p. 16), elle paraît avoir ici une valeur politique, voire polémique.
29. J. Bartier, "Une crise de l'État bourguignon : la réformation de 1457", Hommage au
professeur P. Bonnenfant, Bruxelles, 1965, p. 501-511.
30. Place symbolique de leur nouveau rôle dans l'État.
31. Cette position montre toute l'attention qu'ils accordent à la scène et leur zèle.
32. La couleur est identique mais elle n'est pas damassée, la fourrure est moins large et
d'une nature différente. Le personnage est très proche du célèbre portrait de Roger
van der Weyden, "L'homme à la flèche", où l'on s'accorde à reconnaître Antoine de
Bourgogne en 1456 lors de son élection comme chevalier de l'Ordre de la Toison d'Or
(musée royal des Beaux-arts à Bruxelles). A. Boinet, "Un bibliophile du XVe siècle.
Le grand bâtard de Bourgogne", BEC, LXVII, (1906), p. 255-269. Cette qualité est un
autre élément d'explication pour la figuration flatteuse du personnage.
33. L.-K. Borne, "The perfect prince : a study in thirteenth and fourteenth century ideals",
Speculum, V-VIII, (4 oct. 1928), p. 470-504 ; G. Duby, "L'image du prince en France
au début du XIe siècle", Cahiers d'histoire, 1972, p. 211-216 ; C. Gauvard, "Portrait
poète"
du prince
dans
d'après
Guillaume
l'oeuvrededeMachaut,
Guillaumepoète
de Machaut
et compositeur,
: étude surColloque
les idées table
politiques
ronde,
du
Reims, 19-22 avril 1978, Klincksieck, 1982, Actes et colloques, n° 23, p. 23-39.
34. G. Ouy, op. cit., p. 87.
266 " Christiane RAYNAUD

Comme Charolais35, il reçoit une éducation soignée36. Fig. 237 les


toits en coupole et l'exotisme théâtral des vêtements38 évoquent Sicambre.
Alexandre vient avec zèle, ce que traduit sa position en marche, s'informer
auprès du "maître des philosophes". L'enfant est conscient de sa dignité :
main gauche sur la hanche, il tient de la main droite un bâton de
commandement. Pointe d'humour, son jeune lévrier blanc a aussi fière
allure. Aristote en costume doctoral est au début d'une démonstration39.
L'image rend mal toute la saveur du texte qui décrit "le plus noble
philosophe du monde" sortant de sa chambre, pâle et mal peigné parce qu'il
a beaucoup travaillé40.

Savant et érudit, le jeune prince est aussi favorisé des dieux41. Il


bénéficie comme tout grand roi de songes prophétiques dès l'âge de dix
ans42. Fol. 12, la chambre représentée est belle. L'entrée est
symboliquement ornée d'une niche où trône un empereur barbu, qui tient
l'épée de justice et s'appuie sur un globe (Charlemagne). Sur le sol, un
dragon43 enroule sa queue autour de l'oeuf dont il sort44, ce que le texte
interprète comme l'annonce de la domination du monde par le conquérant.

Adulte, le prince mérite la bienveillante attention des dieux par sa


grande piété45. Fol. 235, le titre du chapitre qui sert de titulus à la
miniature précise : "Comment alixandre parla aux arbres du soleil et de la

35. A.-J. Vanderjagt, Laurens Pignon... op. cit., p. 15, 63 et suiv.


36. Plusieurs images du manuscrit sont consacrées à l'éducation du jeune homme.
J.-H. Hexter, "The education of the aristocracy in the Renaissance", Journal of
medieval history, XXII (1950), p. 1-20.
37. Fig. 2 : f° 22.
38. Ce sont deux manières traditionnelles d'évoquer l'Orient, l' Ailleurs (ici Sicambre !).
39. Le geste est celui de l'enseignement.
40. Le texte précise "issi de sa chambre ou il avoit parfais nouvellement les livres de
logique..."
41. Il tient d'ailleurs une place à part parmi les héros de l'Antiquité aux yeux de l'Église.
G. Cary, "Alexander the great in medieval theology", Journal of the Warburg and
Courtauld Institutes, Londres, XVII (1954), p. 98-114.
42. Charlemagne entre autres est favorisé de tels songes.
43. Puissance créatrice et ordonnatrice, symbole de l'empereur.
44. A la différence du texte, le monstre n'a pas brisé la coquille de l'oeuf, le
rapprochement avec l'empereur tenant le globe est ainsi plus explicite.
45. Cette grande piété est aussi celle de Philippe. Cf. G. Chastellain, op. cit.
LE PRINCE OU LE POUVOIR DE SÉDUIRE 267

lune", et le texte explique qu'il acquiert alors la conviction d'un jour


"conquérir tout le monde". L'épisode est traditionnel46 mais le fait
nouveau, dans l'image, est la façon dont se déroule l'anecdote, la
redécouverte du moi et la beauté du cadre naturel. Seul l'enclos sacré
suggère le caractère dangereux de la démarche du conquérant, rien
n'évoque la prédiction de sa mort. Loin d'avoir besoin d'un intermédiaire,
Alexandre s'adresse directement aux arbres47. A genoux, les mains jointes,
il a déposé son bouclier : humilité nécessaire d'après le texte. Mais il
n'embrasse pas les arbres. A l'extérieur le "preudomme", vêtu de blanc et
avec la longue barbe du sage, attire l'attention de trois capitaines48 sur une
scène qu'ils approuvent.

Respectueux de Dieu, le prince l'est aussi de l'Église mais non sans


nuances. Lzfig. J49 a pour titre : Tymage que alixandre trouva faite a la
semblance de nectanabus". A gauche50, un éclaireur de dos et dont le
cheval a la queue nouée51, a ouvert la route à l'armée du Macédonien. Un
écuyer maîtrise à grand peine Bucéphale, trop petit par rapport à son
maître. Alexandre (le plus grand personnage de l'image) a gardé son
casque, une main sur le genou, l'autre sur la hanche. Cette double
affirmation de pouvoir fait contraste avec l'attitude du prince devant
l'émanation du divin. Le chef du clergé égyptien, trois clercs et les
habitants de la ville viennent en cortège lui présenter non une statue noire,
mais des tables de la loi52.

46. Il annonce la Passion. Dans nombre d'images (d'abord dans l'espace byzantin puis en
Occident) le Christ est encadré par la lune et le soleil de part et d'autre du sommet de
l'arbre de la croix. Pour l'exégèse traditionnelle, Alexandre termine le regnum gréco-
macédonien, suivi du regnum romain, qui prépare la voie à l'Église triomphante.
47. Dans les versions antérieures du roman, il utilise Tévêque" comme intermédiaire.
48. Ils discutent entre eux, sans que l'image permette de dire quel est l'objet de la
discussion. Le texte n'évoque même pas leur présence.
49. Fig. 3 : f° 140.
50. L'armée d'Alexandre s'avance sur le chemin qui part d'une forêt et mène à une ville
orientale aux toits en bulbe (le texte ne précise pas son nom).
51. Ce détail marque l'impuissance, mais d'une manière générale l'infériorité morale ou la
médiocrité d'une appartenance sociale. Peut-être faut-il y voir une allusion au fait que,
recruté parmi les autochtones, il trahit en quelque sorte en guidant l'envahisseur. Seule
sa fonction explique sa place relativement proche d'Alexandre, en tête de la troupe. -
52. L'adoration d'une idole n'est pas compatible avec le rôle d'Alexandre dans l'économie
du Salut. L'enlumineur reprend alors l'épisode de Jérusalem.
268 Christiane RAYNAUD

Le prince, beau, bien conseillé, savant, favorisé des dieux,


respectueux de l'Église sans lui être inféodé, est au service de la justice et
de la paix, car "union et civile concorde ne puet estre entretenu que par
justice qui est lame et lesperit de la chose publicque"53 .

Le défenseur de la justice et de la paix

L'image du fol. 63 montre "comment le roy alixandre fist la paix"


entre Cassanius, un prud'homme dont le frère a été tué au combat, et
Eumenidus d'Arcade, le responsable. Devant le camp54, tous les
protagonistes sont en civil55. A gauche, cinq courtisans56, dont le premier
chambellan, en robe longue, font haie57. Alexandre, seul personnage de
face, tient son sceptre, (l'autre main passée dans la ceinture), et n'a pas un
regard pour la réconciliation qu'il a arbitrée58. Au centre, à l'initiative du
compagnon du prince, les deux justiciables5^ se donnent le baiser de paix
devant sept témoins. Ils entérinent le rétablissement de la concorde, dont ils
sont garants.

Juge de paix, Alexandre est aussi seigneur haut justicier. Pour


châtier un crime de lèse-majesté, comme l'assassinat de Darius, sa justice
est exemplaire60. Fol. 177, devant une ville immense et bien défendue, des

53. Discours prononcé en décembre 1473 devant le Parlement de Malines par Charles le
Téméraire, qui cite ou évoque les auteurs classiques, dont son père est déjà familier,
même si ce n'est pas au même degré (cité par A.-J. Vanderjagt, Laurens Pignon...,
op. cit., p. 576-578).
54. Au premier plan, il est installé, avec le pavillon rouge d'Alexandre, dans une plaine.
55. Ce qui souligne bien la différence de nature des deux pouvoirs, la chose militaire ne se
confond pas avec la justice, seul le prince incarne les deux pouvoirs en permanence,
les autres cumulent les fonctions mais les distinguent.
56. Ils sont de profil, attentifs au déroulement de l'action, qu'ils approuvent.
57. Au second plan deux autres courtisans commentent la scène.
58. L'artiste préfère le représenter de face pour marquer sa majesté en l'absence d'autres
éléments (dais, trône etc.)- L'isolement relatif du personnage contribue au même
objectif. Le sceptre est un attribut constant. Quant à la couronne, elle est royale,
jamais impériale, même si le titre apparaît sans cesse dans le texte.
59. Cassanius est en longue robe noire, sa barbe et son épaisse chevelure sont longues,
mais ne revêtent pas le caractère exceptionnel que signale le texte.
60. Ce nécessaire châtiment explique que J. Wauquelin intègre celui des meurtriers du
prince qui ne se trouvent pas dans les premières versions, puis ont fait l'objet de textes
complémentaires La venjance Alixandre (Jehan le Nevelon) et le vengement Alixandre
(Gui de Cambrai).
LE PRINCE OU LE POUVOIR DE SÉDUIRE 269

cavaliers - un groupe dense d'hommes d'armes et trois civils - approuvent


le supplice. Seule l'armure noire du prince suggère peut-être,
indirectement, la ruse à laquelle il a dû se résoudre pour capturer les
meurtriers, après avoir en "son palais assambler pluiseurs de son
conseil"61. Alexandre, son sceptre dans une main, donne de l'autre le
signal de l'exécution. Cinq fantassins sont par la composition de l'image
rapprochés du gibet comme si la pendaison était surtout à leur intention.
Un des assassins est déjà pendu62, le second guidé par le bourreau monte à
reculons sur l'échelle.

Dispensateur d'une bonne justice, le prince est par excellence le


défenseur de la paix. Avec bravoure, (fol. 31), Alexandre, propose, comme
Philippe en 1424 et 144363 pour éviter "effusion de sang chrestien"64, un
combat singulier au roi Nicolas. Ici la requête est suivie d'effet. Se
trouvent face à face, rangées en ordre de bataille, l'armée du Macédonien,
derrière sa bannière portée par le premier chambellan, et les troupes
ennemies avec turbans, targes65 et qui comptent dans leurs rangs des gens
de couleur. La lance du roi est brisée, son cheval tué sous lui66. Le
conquérant67 se bat de manière chevaleresque, le mézail relevé pour être
comme son adversaire à visage découvert68 .

Mais défendre ses sujets contre les attaques extérieures n'est que le
côté négatif de l'action au service de la communauté. Le souci du bien
public conduit le prince à pratiquer une politique de clémence à l'égard des
vaincus69. Fig. 4 (fol. 127), Liévin Van Lathem est fidèle au texte. Le

61. Le texte ajoute : "et assy pluiseurs aultres... pour a ceulx deviser du pourfit et de la
cose publique". Alexandre les associe au pouvoir, comme un bon prince, et partage
ainsi sa responsabilité dans une ruse contraire au code de l'honneur mais nécessaire au
bon fonctionnement de l'État.
62. Au second plan une roue rappelle que l'exécution se fait sur le lieu où d'ordinaire les
condamnés sont suppliciés, ce qui souligne le caractère normal et donc légitime de la
pendaison, comme la présence de nombreux témoins, peut-être pour compenser
l'absence de la population de la ville.
63. P. Bonnenfant, Philippe le Bon, op. cit., p. 45 et 82.
64. Le combat singulier des deux princes n'empêche finalement pas l'affrontement.
65. Les turbans sont noués sur les casques, les targes ont un umbo proéminent.
66. Les parements du roi sont blancs rehaussés de rouge.
67. Il est revêtu d'une armure or et de parements or et bleu.
68. Le roi Nicolas ne porte pas de heaume, mais un chapel ceint d'une couronne.
69. Cette magnanimité est une des quatre vertus cardinales nécessaires à l'homme pour
préserver la vie en société.
270 Christiane RAYNAUD

camp d'Alexandre est placé sur une hauteur qui commande une ville. Dans
l'espace qui sépare le camp de la place, un monceau de cadavres mêle
hommes et chevaux et rappelle que la bataille a été meurtrière. Dans sa
tente, assis sur son trône et de profil, pour marquer l'attention qu'il porte
au vaincu, Alexandre désigne Porus et lui tend une couronne. Le roi indien
est représenté assis, jambes croisées, une main sur son genou, l'autre
soutenant sa tête pour traduire son malaise physique et moral. Deux autres
prisonniers sont un genou à terre, tête nue, le troisième retire son chapeau.
Ils s'étonnent de la générosité du vainqueur.

Pour faire et confirmer la paix, la consolider, le grand capitaine


pratique comme Philippe une habile politique d'alliances matrimoniales70.
Elle a aussi l'avantage de récompenser les plus méritants de ses hommes.
En cette circonstance, le manuscrit manifeste un intérêt nouveau pour la
situation de la femme71, que confirment de multiples exemples. Alexandre,
fol. 131, assis sous un dais rouge72, désigne un premier couple et
encourage avec son sceptre l'époux à prendre la main de la jeune femme. A
droite du prince, son chancelier fait le même geste que lui, ce qui montre la
part qu'il a prise à la décision comme conseiller. Les époux des trois autres
couples présents sont tout attentifs l'un à l'autre. La robe mauve de la jeune
femme au premier plan indique un lien de parenté avec Alexandre. Un
courtisan, las de cette ambiance trop courtoise, préfère le spectacle de la
grand place73.

Le conquérant, fol. 21, montre son respect des règlements


internationaux74. L'image oppose l'attitude du jeune prince aux chevaliers
qui, fol. 145, veulent tuer les messagers de Darius. Alors qu'il est
souffrant et doit s'appuyer sur Eumenidus, le Macédonien se lève pour

70. C.-A.-J. Armstrong, "La politique matrimoniale des ducs de Bourgogne de la Maison
de Valois", Annales de Bourgogne, XL (1968), p. 5-58 et 89-139.
71. G. Ouy, op. cit., p. 90.
72. Alexandre porte une robe mauve. Le titulus est "Du mariage dont la paix fu faicte et
confirmee".
73. F* 88, un courtisan marque de la même manière son scepticisme, voire son mépris
lors du 5e voeu à l'égard de Porus.
74. Philippe montre le même souci à de nombreuses reprises. L. Febvre, "Les ducs Valois
de Bourgogne et les idées politiques de leur temps", Revue bourguignonne, t. XXIII
(1913), p. 27-50.
LE PRINCE OU LE POUVOIR DE SÉDUIRE 271

répondre, dans les règles, au héraut du roi Nicolas. Il le fait, malgré


l'inquiétude de sa mère, en lieu et place de son père, rex inutilis75, qui ne
réagit pas. D'ailleurs l'envoyé du roi Nicolas s'adresse au seul Alexandre.
Rien ne laisse deviner la teneur de son insolent discours. Un genou à terre,
tête nue, en armure or et éperons à mollettes aux pieds, il porte une cotte
flottante avec des armes qui évoquent celles du roi d'Angleterre, pointe
anti-anglaise76. Reçu immédiatement, il interrompt le bon déroulement
d'un banquet. La cour77 vit dans un luxe qui n'a rien de tapageur ; la
vaisselle est d'argent78, le dressoir n'a que deux étages79. Au nombre des
convives, Olympias est la seule femme, mais la reine est à droite de son
marL Le service est assuré par de jeunes nobles, dont les douze
compagnons nés le même jour qu'Alexandre80. Ils sont tête nue, alors
qu'Eumenidus est couvert comme tous les convives, sans avoir pourtant de
place à table. Dans la hiérarchie de la cour, la faveur du prince le situe
avant les écuyers, mais après la famille royale et les grands. Cette image,
qui rend compte de tant de traits de l'étiquette de la cour, présente un
modèle de pouvoir encore très bourguignon. Pourtant Alexandre, souverain
exemplaire, cherche à imposer à ses sujets une conception autoritaire du
gouvernement, telle que Philippe la retrouve dans nombre d'ouvrages sur
l'Antiquité81.

75. E. Peters, The shadow king : Rex inutilis in medieval law and literature, New Haven,
1970.
76. C.-A.-J. Armstrong, England, France and Burgundy in the fifteenth century, Londres,
1983.
77. E. Andre, "Recherches sur la cour ducale de Bourgogne sous Philippe le Bon",
PTSEC (1886), p. 1-5. A. Léman, "La cour des ducs de Bourgogne à Lille", XIII
(1922-1923), p. 293-306 ; O. Cartellieri, La cour des ducs de Bourgogne, Payot,
1946, trad. F. Caussy.
78. Elle est simplement soulignée de minces filets or.
79. Quatre à six dans la réalité.
80. L'équivalent des douze pairs de France.
81. La composition de sa bibliothèque est à cet égard éclairante (cf. supra
A.-J. Vanderjagt, G. Doutrepont, Y. Lacaze, op. cit. et les inventaires de 1420 et
1467).
272 Christiane RAYNAUD

Le prince souverain

La noblesse82 qui tient la première place auprès du prince est


cantonnée dans un rôle d'approbation. La politique matrimoniale montre
les bénéfices qu'elle peut espérer de ce service, mais il y en a d'autres, car
toutes les fonctions lui sont ouvertes83, trait spécifique de la cour de
Bourgogne. L'image du fol. 25 évoque le choix par le Macédonien d'un
nouveau capitaine. Dans son camp et au premier rang de son armée, les
anciens portent genouillères et cubitières d'or et, au grade supérieur,
casque et spallières d'or. Mais Eumenidus qui, d'après le texte tient le
gonfanon du roi, ne porte pas d'or. Il fait partie des pauvres gentilshommes
que le conquérant choisit de recruter sur le conseil d'Aristote. Alexandre
désigne le promu, à genoux et tête nue84, à droite le cercle des cavaliers à
l'entraînement dont il est issu et son cheval. .

Le prince a besoin de cette noblesse pour se consacrer à la guerre


contre les Infidèles. Riche en aventures dangereuses, elle se termine par
leur soumission. Les peuples vaincus viennent faire hommage au
conquérant et bénéficient en contrepartie des avantages de la paix.
Fig. 585, l'architecture du palais isole trois groupes :
- à gauche, les tributaires en costume exotique attendent à la porte et
sur le seuil un personnage canalise l'entrée de ceux qui arrivent.
- dans la grande salle86 "ducs, comtes, princes, barons" présentent à
Alexandre une épée, un hanap, un coffret remplis d'or87, un écu à
ses armes et une couronne88. Le prince est le plus grand personnage

82. M. -T. Caron, La noblesse dans le duché de Bourgogne 1315-1477, Lille, Presses
Universitaires de Lille, sept. 1987.
83. C.-A.-J. Armstrong, "Had the Burgundian government a policy for the nobility ?"
Britain and the Netherlands, ii, éd. J.-S. Bromley, E.-H. Kossmann, Groningen, 1964,
p. 9-32. W. Paravicini, "Expansion et intégration. La noblesse des Pays-Bas à la cour
de Philippe le Bon", Bijdragen en mededelingen betreffende de geschiedenis der
Nederlanden, 95 (1980), p. 298-314.
84. Il a son casque à la main.
85. Fig. 5: fol. 287 v°.
86. Elle est ouverte sur la campagne, non sur la ville, comme si cette dernière n'était pas
compatible avec le type de pouvoir qu'exerce désormais Alexandre et surtout pour
évoquer la richesse de ces nouvelles terres, et leur "moindre" civilisation.
87. Mais pas sous forme de pièces.
88. L'or est offert par Rome et l'écu armorié par les Français "car ils sont les plus
vigoureux, les plus vaillans" mais le texte ne précise pas pour la couronne.
LE PRINCE OU LE POUVOIR DE SÉDUIRE 273

de l'image. L'absence de dais et le fait qu'il soit en armes


soulignent le rapport de force, même s'il tient un sceptre et accepte
les présents avec bienveillance.
- à droite un des quatre macédoniens se détourne pour marquer sa
désapprobation.

Alexandre, séparé des siens, semble faire passer son profit personnel
avant l'intérêt général, ce qui définit la tyrannie89 .

Cette situation suscite une trahison. Il est empoisonné lors du grand


banquet qui suit son couronnement comme "roi de tout le monde", par un
écuyer tranchant, frère d'Antipater, Jobas90. Fol. 298 l'atmosphère a
changé, à la présence de trois musiciens s'ajoute la plus grande
sophistication du service91. Deux serviteurs (dont l'un avec une serviette
blanche sur l'épaule droite, allusion au véritable rituel que constitue le
service du duc92) se consacrent exclusivement au prince. Alexandre,
désormais trône seul93, sous un dais, devant une table surélevée94. Il
accepte la coupe de poison que lui tend Jobas, mais la figuration peu
flatteuse des convives dilue la responsabilité du meurtre qui devient
collective95.

Empoisonné, le conquérant a le temps d'assurer la transmission de


son pouvoir96. Le texte évoque l'irruption des Macédoniens dans le

89. L'exercice solitaire du pouvoir va de pair avec cette attitude, de même l'emploi de la
force que suggère l'armure.
90. Jobas, d'abord très attaché à son maître, ne supporte pas une petite réprimande, il sert
alors les projets criminels de son aîné.
91. Le panetier ou le maître de l'hôtel près du dressoir surveille le manège des serviteurs
qui apportent des plats de viande différents suivant la qualité des convives et versent
du vin selon les règles, le tout est conforme à l'étiquette de la cour de Bourgogne.
H.David, "L'hôtel ducal sous Philippe le Bon", Annales de Bourgogne, XXXVII
(1965), p. 241-255.
92. O. Cartellieri, op. cit., p. 87-92.
93. Philippe, lors des banquets, est assis au milieu des siens (sa femme, son fils, ses
parents). La disposition des tables marque donc un changement essentiel.
94. Un demi-siècle plus tard, les cérémonies funéraires royales reprennent ce rituel.
95. Quatre rois sont placés en bout de table, conformément à l'étiquette bourguignonne qui
accorde aux hôtes les plus prestigieux une place proche du duc.
96. Une bonne mort permet d'ordonner ses affaires, de se préparer au plan religieux et de
donner un exemple édifiant à son entourage. La tentative de suicide d'Alexandre, qui
274 Christiane RAYNAUD

palais9?, Alexandre leur laisse choisir comme successeur Perdiccas.


Fig. 598, le cadre architectural divise l'image en deux. A gauche, dans la
chambre du prince, Roxane99, deux courtisans et un serviteur se lamentent.
A droite, la grande salle s'ouvre sur un paysage bouleversé par les signes
qui annoncent la fin du roi100. Le déroulement de la scène est modifié par
rapport au texte :
- Alexandre désigne Perdiccas qui se soumet à sa décision101 .

- A genoux, le représentant102 choisi par les Macédoniens en


armes103 confirme la décision d'Alexandre.

- Mais, à droite, elle ne fait pas l'unanimité du groupe des lieutenants


du roi.

A aucun moment de ce long processus n'intervient l'Église. Le dais


qui rejoint le ciel où s'inscrit le courroux des dieux prouve que le roi tire
sa légitimité de Dieu seul104. Quant à Perdiccas, il la tient d'Alexandre qui
écarte son fils Alior, sa mère Olympias et sa femme Roxane. Gouverne
celui qui a les capacités de le faire car le prince est le seul garant de l'unité.

Les funérailles, fig. 710^, montrent le consensus que le prince a su


créer autour de sa personne. Loin d'évoquer la théorie des deux corps du
roi106 et la continuité du pouvoir, elles soulignent son caractère éphémère.

souffre trop, ne correspond pas à ce schéma mais elle met en valeur le rôle de son
épouse qui le retient.
97. Ils ont pris les armes. Les lieutenants d'Alexandre ne contrôlent pas ce mouvement de
panique.
98. Fig. 6 : fol. 303 v°.
99. Elle porte déjà le voile blanc des veuves.
100. Le ciel est orange, une force mystérieuse projette au sol cinq personnes alors que la
végétation est immobile.
101. Il accepte avec sincérité.
102. Il est tête nue devant le prince.
103. Ils manifestent leur chagrin.
104. Philippe tient son pouvoir du roi de France, mais son fils comme Alexandre tient son
pouvoir de Dieu seul. L. Lenain, "L'Église et l'État au temps des ducs de
Bourgogne", £Dr(1953), p. 46-52.
105. Fig. 7 : fol. 305 v°.
106. E. Kantorowitz, La Théorie des deux corps du roi, Essai sur la théologie politique au
Moyen Age, traduit de l'Anglais par J.-P. et N. Genet, Paris, Gallimard, 1989,
collection Bibliothèque des Histoires, 638 p.
LE PRINCE OU LE POUVOIR DE SÉDUIRE 275

Le début et la fin du cortège107 nous échappent. Le lourd chariot qui porté


la dépouille vient de franchir les eaux du fleuve qui baigne les murs de la
ville et symbolise l'Achéron. En dehors, au second plan, des deux hommes
du peuple qui se découvrent, les vingt-cinq autres personnages sont tous en
deuil, mais sans porter d'armoiries. Le cocher et le conducteur du deuil se
retournent, geste qui traduit leur regret. Le corps repose sur un drap d'or,
vêtu d'une robe or et protégé par une toile de damas108 mais pas de dais.
Le visage et les mains du cadavre sont visibles1 °^. En dehors de la
couronne qu'il porte, les regalia ne sont pas figurés110. Seul l'écu rappelle
qu'Alexandre a conquis son royaume par la force.

Après les funérailles, la dernière partie du livre est consacrée aux


conséquences désastreuses du non-respect des dernières volontés
d'Alexandre par ses lieutenants et aux querelles pour le pouvoir. La
fig. S111 montre par sa composition symbolique comment la désunion prive
le royaume de ses forces vives et l'affaiblit durablement112. De la capitale
de l'empire, Alexandrie, sortent cinq groupes de cavaliers par cinq portes
et dans cinq directions différentes113. Seul le prince, qui incarne l'union
nationale, peut établir la concorde.

Bon exemple du cadre littéraire dans lequel s'inscrit la réflexion


politique au temps de Philippe le Bon, la version de Jean Wauquelin ne
saurait satisfaire Charles le Hardi, latiniste et féru d'histoire. Dès 1462, il
fait traduire par Vasco de Lucena Y Histoire du Grand Alexandre de Quinte

107. Il s'étire dans un paysage délicat composé à droite d'une ville forte placée sous la
protection d'une statue du prince, l'épée à la main (comme la statue d'Hector sur son
tombeau semble encore défendre Troie), et d'un chemin à flanc de colline.
108. Elle est rouge et or.
109. Comme longtemps dans les funérailles royales françaises.
110. Cela tient à leur rôle dans le déroulement des funérailles du roi de France.
111. Fig. 8 : fol. 306 v°.
112. Les querelles pour le pouvoir opposent les lieutenants d'Alexandre et amènent la
guerre. Si la paix n'est pas préservée, la justice ne l'est plus ou du moins ne
fonctionne plus normalement. Plusieurs images sont consacrées à la vengeance que
tirent de ses meurtriers les successeurs d'Alexandre. L'horreur des supplices est à la
mesure du crime de lèse-majesté. Elle est aussi un avertissement sinistre à ceux que
tentent la division et la discorde à la cour de Bourgogne.
113. A la selle des cavaliers richement vêtus, est accroché un baluchon noir qui montre
que le départ n'est pas momentané. L'association dans certains costumes du vert et du
jaune souligne à quel point ce comportement est déraisonnable, chez des hommes que
leur barbe désigne comme sages.
276 Christiane RAYNAUD

Curce. Ainsi les progrès de l'humanisme à la cour de Bourgogne confortent


le pouvoir en place et sont générés par lui : par Philippe pour appuyer ses
prétentions royales, par Charles pour les faire passer dans la réalité, et
construire un état fort, centralisé et indépendant autour de sa personne.
Mais une mise en pratique sans nuances des principes qu'il découvre dans
ses lectures lui aliène une partie de la société politique pourtant séduite par
l'humanisme pragmatique de Philippe le Bon.
LE PRINCE OU LE POUVOIR DE SÉDUIRE 277

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278 Christiane RAYNAUD

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Fig. 2 : Aristote et Alexandre (f° 22)


LE PRINCE OU LE POUVOIR DE SÉDUIRE 279

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280 Christiane RAYNAUD

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LE PRINCE OU LE POUVOIR DE SÉDUIRE 281

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Fig. 5 : L'hommage des peuples vaincus au conquérant (f° 287 v°)


282 Christiane RAYNAUD

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Fig. 6 : Le choix de Perdiccas comme successeur (f° 303 v°)


LE PRINCE OU LE POUVOIR DE SÉDUIRE 283

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Fig. 7 : Les funérailles (f° 305 v°)


284 Christiane RAYNAUD

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Fig. 8 : La désunion des lieutenants d'Alexandre (f° 306 v°)

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