Vous êtes sur la page 1sur 30

ENTITÉS ET POLITIQUES PUBLIQUES

L’ÉTAT ACTIONNAIRE
Rapport public thématique

Synthèse

Janvier 2017
g AVERTISSEMENT

Cette synthèse est destinée à faciliter la lecture et l’utilisation du


rapport de la Cour des comptes.

Seul le rapport engage la Cour des comptes.

Les réponses des administrations et des organismes concernés


figurent à la suite du rapport.
Sommaire

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .5

1 Un ensemble vaste et hétérogène, des défis majeurs . . . . . . . . . . .7

2 Une situation financière préoccupante . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .11

3 Les contradictions de l’État actionnaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .17

4 Des progrès de gouvernance notables, des carences


persistantes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .21

Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes


5 Les voies de progrès . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .2 5

Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29

Recommandations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30

3
Introduction

L’État est-il un bon actionnaire ?

Utilise-t-il ses participations dans les entreprises à bon escient, comme un outil
de politique publique ?

La Cour des comptes a cherché à répondre à ces questions en examinant l’utilisation


qui a été faite, entre 2010 et 2016, des participations publiques – exclusives,
majoritaires ou minoritaires – au capital des entreprises. L’État actionnaire est
considéré ici au sens large : l’État stricto sensu, incarné par l’Agence des participations
de l’État (APE), mais aussi la Caisse des dépôts et consignations (CDC), établissement
public à statut sui generis, et Bpifrance, détenue à parité par l’État et la Caisse
des dépôts.

L’État n’est pas un actionnaire comme un autre. Aux préoccupations patrimoniales


habituelles d’un actionnaire s’ajoutent des enjeux de nature plus générale qui
justifient la participation publique dans l’entreprise. La multiplicité des objectifs
poursuivis, souvent contradictoires, caractérise ainsi l’État actionnaire. Il en
résulte des difficultés récurrentes que la Cour a de nouveau constatées et qui
conduisent à s’interroger sur l’efficacité de l’actionnariat public. Pour autant, les
participations dans les entreprises restent, en France, un outil d’intervention

Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes


particulièrement développé, au regard de ce que l’on constate dans des pays
comparables.

Le rapport Nora sur les entreprises publiques estimait déjà en 1967 que
« le secteur public offre l’image d’un paysage aux frontières imprécises et à la
physionomie chaotique ». Il dénonçait « la dilution des responsabilités » et
recommandait de donner aux entreprises publiques une très large autonomie
de gestion. En 2003, le rapport Barbier de La Serre déplorait en des termes
très proches la confusion des rôles remplis par l’État à l’égard des entreprises
publiques, l’identification insuffisante de la fonction d’actionnaire, le manque
d’orientations claires données aux dirigeants, le mauvais fonctionnement des
conseils d’administration et une présence excessive de l’État dans la gestion
des entreprises. L’Agence des participations de l’État a été créée en 2004 pour
remédier à ces dysfonctionnements.

Dans une économie de marché, l’intervention de l’État comme producteur de biens


et de services marchands reste discutée. Sans ignorer ces débats de doctrine,
l’approche retenue par la Cour a été volontairement pragmatique. À partir d’une
série d’analyses sectorielles, elle a cherché à apprécier concrètement l’aptitude
de l’État à utiliser le levier de l’intervention en fonds propres, à identifier les
conditions requises pour en tirer le meilleur parti, et à en mesurer les effets sur
les finances publiques.

5
1 Un ensemble vaste
et hétérogène, des défis majeurs

Un niveau élevé de participations bourse, pour une valorisation totale


dans un large éventail de secteurs de 77,4 Md€ à la fin de 2016. L’APE
est le principal actionnaire, suivi par
Les participations publiques dans la Caisse des dépôts et consignations,
les entreprises représentent un puis par Bpifrance. Dispersé entre
vaste ensemble de 1800 entreprises différentes mains et de nombreuses
détenues directement, à titre exclusif, lignes, ce patrimoine reste toutefois,
majoritaire ou minoritaire. Sa valeur en l’absence de publications synthé-
comptable est d’environ 100 Md€ à la tiques régulières, mal connu, malgré
fin de 2015. Au sein de ce portefeuille, l’importance du capital public
62 participations sont cotées en immobilisé.

Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes


Le portefeuille des participations publiques
dans les entreprises au 31 décembre 2015

Source : Cour des comptes


Notes : les totaux sont effectués après élimination des données rela-
tives à Bpifrance, elle-même détenue à parité par l’État et la CDC ; à
l’exception des fonds d’investissement, ne sont retenues ici que les
participations de premier rang.

La France est l’un des pays de l’OCDE participation publique et même une
dans lesquels la part des entreprises à sur six si l’on se réfère au seul emploi
participation publique est la plus salarié hors fonction publique. Les
importante. Elles emploient 2,4 millions participations publiques sont présentes
de salariés, soit 10 % de l’emploi dans un très large éventail de secteurs :
salarié total : une personne sur dix audiovisuel, énergie, transports, services,
est employée par une entreprise à finances et industrie.
7
Un ensemble vaste et hétérogène,
des défis majeurs

Effectifs des entreprises publiques Un portefeuille hétérogène


(à détention majoritaire par l’État)
dans quinze pays de l’OCDE, à fin 2012
et peu mobile
Intimement lié à l’histoire politique et
sociale, le secteur public revêt en
France une forte dimension culturelle et
symbolique qui porte la marque, toujours
profonde, de l’héritage colbertiste.
Davantage que dans d’autres pays, les
représentations collectives influencent
les comportements des acteurs
politiques, administratifs et syndicaux.
Le portefeuille des participations
publiques y doit plus à l’histoire qu’à
Source : Cour des comptes d’après données une quelconque logique.
OCDE, APE

Les principales participations publiques dans les entreprises


Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes

Source : Cour des comptes


Notes : En cas de co-détention par des actionnaires publics, la participation est affectée à
l’actionnaire détenant la part la plus élevée. Les actionnaires sectoriels (CNES, CEA, BRGM,
IFPEN) et les établissements publics hors de son champ d’intervention (comme l’INA) sont
8 présentés ici, par simplification, avec l’APE.
Un ensemble vaste et hétérogène,
des défis majeurs

Le portefeuille de l’APE, le plus À l’exception de celui de Bpifrance, le


important (80,2 Md€ à la fin de portefeuille des participations
2015), résulte principalement des publiques est peu mobile, même si la
trois vagues de nationalisation qui Caisse des dépôts et consignations a,
ont marqué le XXème siècle, lors du en 2016, annoncé son intention de
Front populaire (1936), dans l’immédiat céder différentes participations, et a
après-guerre (1946) et au début des commencé à le faire.
années 80 (nationalisations de 1982) et
des quatre programmes de privatisation Des entreprises confrontées à
intervenus ensuite, depuis le milieu des des défis majeurs
années 80 (1986-1988, 1993-1995,
1997-2002, 2002-2007). Il rassemble Dans un contexte de concurrence accrue
des participations dans les anciens de la part des acteurs traditionnels et
monopoles, des participations minori- des nouveaux acteurs numériques, les
taires dans le secteur industriel, des défis sont aujourd’hui considérables
structures de défaisance, des sociétés pour les entreprises à participation
financières, et des entreprises présentes publique, qu’il s’agisse des transports
dans les médias, les jeux d’argent et de ferroviaires (ouverture du rail à la
hasard ou les services. concurrence, nouveaux modes de
transport collaboratif, croissance du low
La composition du portefeuille de la

Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes


cost aérien), de l’énergie (restructuration
Caisse des dépôts et consignations est
de la filière nucléaire, prix bas de
avant tout liée à la spécificité de cet
l’électricité, surproduction, incertitudes
établissement public créé en 1816. Ses
sur le pétrole et les énergies carbonées)
participations (évaluées à 22 Md€ à fin
ou des services, particulièrement
2015) relèvent de trois ensembles : les
affectés par la transformation
filiales « opérateurs », qui sont des
numérique (La Poste et l’audiovisuel
héritages des missions d’aménagement
et de développement de l’économie public). La responsabilité première
française confiées à la Caisse après- de l’État actionnaire est d’anticiper
guerre (CNP Assurances, Transdev, ces transformations et d’aider les
Egis, Société nationale immobilière) ; entreprises qu’il détient à s’adapter.
les filiales « investisseurs », de création
plus récente, comme Bpifrance ; et De tels changements sont possibles,
les participations minoritaires dites comme le montrent les exemples des
stratégiques (Compagnie nationale anciens monopoles La Poste et Orange,
du Rhône, GRTgaz, La Poste, Société dont la réforme du statut juridique a
de financement local, Belambra). débuté en 1991 et s’est accompagnée,
dès l’origine, d’une évolution du statut
Bpifrance détient à fin 2015 un porte- de leurs personnels. Il en va de même
feuille d’environ 16 Md€ de participations dans le secteur de la défense, où les
minoritaires dans de grandes entreprises anciens arsenaux, transformés en sociétés,
(Orange, Eutelsat, Eiffage, Gemalto, ont pu se restructurer tout en conservant
Technicolor, Technip, etc.), des entreprises des compétences de pointe reconnues
à taille intermédiaire (ETI) et des petites internationalement. L’État, dans les cas
et moyennes entreprises (PME), considérés, a apporté la preuve de son
directement ou via des fonds d’inves- aptitude à accompagner la transformation

9
tissement. des entreprises dont il est actionnaire.
2 Une situation financière
préoccupante
Les résultats financiers, s’ils ne sont lourde perte (- 10,1 Md€), fruit des
pas le seul indicateur de l’efficacité de difficultés structurelles du système
la politique d’intervention en fonds ferroviaire (SNCF) et des grands
propres, n’en constituent pas moins opérateurs de l’énergie (Areva, EDF).
un élément d’appréciation essentiel. Or
La rentabilité financière des entreprises à
la situation financière globale des
participation publique chute lourdement
entreprises à participation publique
pour s’établir à 2,8 % en moyenne entre
s’est sensiblement dégradée au cours des
2010 et 2015, contre 10 % pour les
dernières années et pèsera fortement à
entreprises de l’indice SBF 120. La
l’avenir sur les finances publiques.
valeur boursière du portefeuille coté
décroche sensiblement, avec une baisse
Des performances financières de 54 % entre 2006 et 2016, à périmètre
contrastées, mais globalement constant. Alors que la performance du

Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes


dégradées portefeuille de l’APE était meilleure
que celle du CAC 40 avant 2010, cette
Entre 2010 et 2015, les performances situation s’est inversée depuis cette
financières des entreprises à participation date : - 29 % de 2010 à 2016 pour
publique ont été contrastées, avec une l’APE, contre + 28 % pour le CAC 40,
nette détérioration globale pour les notamment en raison du poids de
entreprises relevant de l’APE. Cette l’énergie dans le portefeuille public
dernière enregistre en 2015 une très (près de la moitié).

Évolution comparée du portefeuille coté de l’APE (à périmètre constant) et du CAC 40


(base 100 au 31 décembre 2006)

11
Source : Cour des comptes d’après données APE
Une situation financière préoccupante

Valeur boursière des vingt principales participations publiques cotées


au 31 décembre 2016
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes

Sources : Cour des comptes d’après données de marché


Notes : Les taux de détention recouvrent l’ensemble des participations publiques. La valeur boursière
est celle correspondant à la part détenue par les actionnaires publics et non à la capitalisation
totale des entreprises.

12
Une situation financière préoccupante

Les filiales et participations de la une grande disparité, avec des rentabilités


Caisse des dépôts et consignations ont voisines de + 30 % et d’autres de - 35 % ;
connu des performances variables au et l’investissement dans les PME enre-
cours de la période examinée, mais gistre des performances positives mais
avec une contribution au budget de variables.
l’État globalement positive entre 2010
et 2015. Les résultats se redressent Dans l’ensemble, les performances sont
depuis 2013, après les années 2011 et très différentes selon les secteurs. Les
2012 marquées par le sinistre Dexia. entreprises à participation minoritaire
des secteurs de la défense et de
S’agissant des participations détenues l’aéronautique connaissent des
par Bpifrance, les performances doivent résultats financiers continûment
être appréciées avec la prudence que positifs. Dans l’industrie, on relève
requièrent à la fois le faible recul l’amélioration de la situation des
depuis la création de la banque et la constructeurs automobiles et une
nature particulière de certains de ses forte appréciation de leur valorisation
investissements (capital risque). Le boursière : celle de PSA Groupe a doublé
portefeuille de grandes entreprises (+ 121 %) depuis l’acquisition de 14 %
affiche un multiple d’investissement de ses titres par l’État en 2014 et celle

Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes


positif ; le portefeuille d’ETI fait ressortir de Renault a crû de 93 % depuis 2010.

Résultat net des entreprises du portefeuille de l’APE


par secteur d’activité (en Md€)

Source : Cour des comptes d’après données APE

13
Une situation financière préoccupante

À l’inverse, la situation des entreprises d’actifs, investi 8 Md€. La contribution


des secteurs de l’énergie, des transports au désendettement a été modeste :
ferroviaires et de l’audiovisuel, détenues 2,3 Md€ en six ans, soit moins de
majoritairement ou exclusivement, 400 M€ par an en moyenne.
est tendue :
- dans l’énergie, la perte de valeur est Il a reçu, sur la même période,
substantielle et ne résulte pas 25,9 Md€ de dividendes. Leur niveau
seulement du contexte dégradé est resté élevé jusqu’en 2011-2012, avec
du marché mondial. La capitalisation des taux de distribution supérieurs à la
boursière d’EDF (détenue à 84,9 % moyenne des entreprises du CAC 40, qui
par l’État) a baissé de 70 % entre son ont pesé sur la situation financière des
introduction en bourse en novembre entreprises concernées (notamment
2005 et la fin de l’année 2016 EDF). Depuis 2012, le montant des
(20 Md€), le titre ayant été exclu du dividendes a, en revanche, connu une
CAC 40 en 2015. La capitalisation baisse continue, imputable principale-
d’Areva, détenue à 83 % par le CEA et ment au secteur de l’énergie. Cette
l’État, a baissé de plus de 90 %, tendance devrait se prolonger dans les
atteignant 1,6 Md€ fin 2016 ; prochaines années : l’État ne pourra
pas, au moins dans un avenir proche,
- les dépréciations massives enregis-
continuer à prélever un niveau équivalent
trées dans les comptes de la SNCF en
à celui qu’il a obtenu au début des
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes

2015 (près de 12 Md€) sanctionnent


années 2010. Alors que les dividendes
un manque de rentabilité devenu
en numéraire se sont élevés en
chronique ;
moyenne à 3,8 Md€ par an entre 2010
- la situation financière de l’audiovisuel et 2015, leur montant devrait chuter à
public est fragile : son excèdent brut 1,8 Md€ en 2016, soit le niveau le plus
d’exploitation combiné a baissé de faible depuis 2005.
25 % entre 2010 et 2015 et ses
résultats nets sont constamment
négatifs depuis 2013. Dividendes versés en numéraire à l'État
(en M€) – périmètre APE
Ces évolutions ne sont pas seulement
conjoncturelles. Elles reflètent aussi
des difficultés structurelles, dont les
effets vont continuer à se manifester
dans les prochaines années, et peser
sur les finances publiques.

Des contributions au budget de


l’État en baisse et des besoins
croissants

Les perspectives pour les finances


publiques sont tout aussi inquiétantes. Source : Cour des comptes d’après données
En données cumulées sur la période rapports de l’État actionnaire
2010-2015, l’État a cédé pour 8,5 Md€

14
Une situation financière préoccupante

L’État engage par ailleurs des crédits, publiques une partie de ses propres
comparativement plus importants, au engagements : il mobilise la Caisse
profit des entreprises publiques, des dépôts et consignations pour
notamment dans les secteurs ferroviaire entrer à ses côtés au capital d’au-
et audiovisuel : 10 Md€ par an, dont tres entreprises et laisse certaines
6 Md€ pour la seule SNCF. Ces dépenses entreprises publiques s’endetter à
sont liées pour une part aux spécificités l’excès, leur dette n’étant pas incluse
de ces entreprises à participation dans la dette des administrations
publique et aux dysfonctionnements de publiques (dite « maastrichtienne »).
l’État, qui impose par exemple des
investissements non rentables au La structure financière des entreprises
groupe SNCF et se voit ensuite amené à publiques (détenues à plus de 50 % par
contribuer à son exploitation. l’APE) s’est fortement dégradée. Leur
dette financière nette, qui atteignait
La prise en compte de l’ensemble des 136,6 Md€ à la fin de 2015, a augmenté
flux liés aux participations de l’État de 63 % depuis 2007. Elle représente, à
(opérations en capital, dividendes, la fin de 2015, 150 % de leurs capitaux
crédits budgétaires) fait finalement propres (contre un ratio de 25 %
ressortir un bilan déséquilibré pour seulement pour les entreprises du
les finances publiques. Encore ce CAC 40) et 4,8 années d’excédent brut
bilan ne tient-il pas compte du fait d’exploitation (contre 2,9 en 2007).
que l’État reporte sur d’autres entités

Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes


Dette financière nette (en Md€ - échelle de droite) et ratios
de soutenabilité (échelle de gauche) des entreprises suivies par l’APE

Source : Cour des comptes d’après données APE

Les besoins budgétaires liés aux satisfaire ces besoins avec les seules
participations dans les entreprises ressources de cession prévues à brève
sont devenus inhabituellement élevés, échéance. Il faudra donc soit amplifier
en raison de la dégradation de la fortement le programme de cessions,
situation financière des grandes entre- soit mettre à contribution le budget
prises publiques et des recapitalisations général et augmenter ainsi la dépense
annoncées dans l’énergie (7 Md€ dès et la dette publiques.
15
2017). Il ne paraît pas possible de
3 Les contradictions
de l’État actionnaire

La difficulté principale de l’État La puissance publique exerce tous


actionnaire tient à ce qu’il doit en ces rôles simultanément, en donnant
permanence concilier des objectifs à chacun une pondération différente :
nombreux et souvent contradictoires. souvent, la défense de ses intérêts
Leur confrontation tend à faire passer patrimoniaux et de l’intérêt social des
au second plan les préoccupations entreprises qu’il détient passe après
patrimoniales : l’État est ainsi affaibli les autres objectifs. La variété des
par ses propres contradictions. objectifs a aussi pour effet de multi-
plier les interlocuteurs : une même
Un État multicéphale entreprise peut avoir plusieurs
dizaines de correspondants. Cette
Contrairement à un gestionnaire d’ac- polyphonie administrative et politique

Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes


tifs privé, dont l’objectif principal, affaiblit l’État face aux dirigeants des
sinon unique, est la valorisation de son entreprises et entrave sa capacité
patrimoine, l’État est un actionnaire d’anticipation.
atypique soumis à une pluralité
d’exigences. L’État actionnaire coexiste
avec l’État porteur de politiques
Des conflits d’objectifs
publiques et prescripteur de missions et d’intérêts permanents
de service public, l’État gestionnaire des
Les nombreux exemples analysés
finances publiques, l’État régulateur
par la Cour soulignent les tensions
et l’État client.
auxquelles l’État actionnaire est
Les différents rôles confronté en permanence et les
d’un État multicéphale difficultés chroniques rencontrées
pour les surmonter, avec plus ou
moins succès.

Dans certains secteurs, la conciliation


des différents objectifs de l’État
est fluide. Dans le cas de La Poste,
l’ensemble des intervenants
publics (actionnaires, régulateur,
prescripteur de missions de service
public) a su accompagner la trans-
formation de l’entreprise. Dans le
secteur de la défense et de l’aéro-
nautique, l’État réussit à concilier
des objectifs variés, notamment les
intérêts essentiels de la Nation,
ceux de l’État client et ceux de
Source : Cour des comptes l’État actionnaire. 17
Les contradictions de l’État actionnaire

Il en va de même dans le cas des parti- été particulièrement fortes. Ainsi la


cipations minoritaires dans l’industrie politique tarifaire a-t-elle été utilisée
et les télécommunications, mais on en faveur des consommateurs et au
peut s’interroger sur la capacité réelle détriment de l’équilibre financier
de l’État à peser sur la stratégie de ces d’EDF. L’État, actionnaire très
entreprises, ainsi que sur l’intérêt du majoritaire d’EDF et d’Areva, n’a pas
maintien à terme de sa présence. La su empêcher la dégradation de la
volonté des pouvoirs publics de situation financière de ces entreprises.
préserver leur influence peut y consti- Il a lui-même contribué à cette
tuer un frein au développement des situation, dans un contexte certes
entreprises sur le plan international ou marqué par une crise mondiale du
pour les opérations de consolidation secteur (accident de Fukushima,
industrielle. La réticence de l’État à voir fluctuations des prix de l’énergie);
sa participation diluée et son influence
réduite a été une des raisons, parmi - dans le secteur de l’audiovisuel
d’autres, de l’échec de la tentative de public, s’entremêlent, non sans
rapprochement entre Orange et confusion, la mise en œuvre des
Bouygues début 2016. objectifs de politique publique
(soutien à la création, diversité et
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes

Les tensions sont les plus fortes dans qualité des programmes), un dis-
des secteurs où l’État est resté un positif réglementaire complexe
actionnaire dominant ou exclusif : (cahiers des charges et contrats
d’objectifs lourds et redondants),
- dans le domaine des transports et la présence d’une autorité de
ferroviaires, l’État porte des régulation investie du pouvoir de
demandes nombreuses et contra- nomination des dirigeants. Dans
dictoires : création de lignes à un contexte où les dirigeants des
grande vitesse dont l’exploitation entreprises ne sont désignés ni par
sera déficitaire ; soutien à la filière leur actionnaire ni par leur conseil
industrielle ferroviaire, conduisant à d’administration, mais par l’auto-
demander à la SNCF de commander rité de régulation (le Conseil supé-
de nouvelles rames dont l’utilité est rieur de l’audiovisuel), la fonction
incertaine et la rentabilité négative ; d’actionnaire a du mal à trouver sa
modernisation inachevée de l’orga- place et à faire prévaloir les inté-
nisation du système ferroviaire. rêts propres des entreprises
Sans stratégie à long terme, l’État concernées. La situation d’ensem-
agit fréquemment au détriment des ble des médias de service public
intérêts économiques du groupe porte la trace de ces
SNCF et de son équilibre financier, contradictions : gouvernance ina-
aggravant son endettement ; daptée, réformes inabouties,
modèle économique structurelle-
- dans le secteur de l’énergie, les ment fragile, résultats financiers
contradictions entre les multiples négatifs.
objectifs poursuivis par l’État ont
18
Les contradictions de l’État actionnaire

De fortes contraintes juridiques nécessitent également un examen


attentif sous l’angle des dispositions
L’ordonnance du 20 août 2014 relative européennes relatives aux aides d’État.
à la gouvernance et aux opérations sur
le capital des sociétés à participation Un cadre budgétaire inadapté
publique a utilement clarifié le cadre
d’intervention de l’État actionnaire. Le cadre budgétaire des opérations
Elle n’a toutefois pas supprimé les relatives aux participations publiques
redondances et les complexités présente plusieurs inconvénients
existantes, comme le recours fréquent préjudiciables à la conduite efficace
à des seuils de détention à portée d’une activité de gestion de partici-
parfois symbolique qui s’ajoutent à pations financières.
des protections réglementaires fortes
comme dans le cas d’Engie ou du Les règles applicables au compte
groupe ADP. En outre, l’ordonnance d’affectation spéciale des participations
ne s’applique pas à toutes les entités financières de l’État (CAS PFE) limitent
du périmètre de l’APE : les établisse- ses marges de manœuvre pour
ments publics n’y sont pas soumis et
conduire ses opérations patrimoniales
les sociétés audiovisuelles ne le sont
et créent une rigidité dans l’utilisation

Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes


qu’en partie seulement.
des ressources disponibles. Parce qu’il
dissocie les opérations en capital
Situé au croisement du droit public et
du droit des sociétés, l’État action- (gérées par l’APE) et les dividendes
naire doit composer avec ces deux (alimentant le budget général), le
régimes juridiques aux logiques parfois cadre budgétaire est inadapté à
contradictoires : le régime public de la l’activité de gestion d’un portefeuille de
tutelle repose sur un contrôle a priori participations. Il ne favorise donc ni une
par des organes extérieurs à l’entreprise, gestion dynamique du portefeuille, qui
quand le droit des sociétés prévoit un supposerait une souplesse accrue
contrôle a posteriori effectué par les dans l’utilisation des produits issus des
organes de gouvernance. Les opérations participations, ni une contribution
concernant les participations publiques significative au désendettement de l’État.

19
4 Des progrès de gouvernance
notables, des carences
persistantes
Confrontés depuis longtemps aux diffi- Si le recul manque pour apprécier les
cultés inhérentes au rôle d’actionnaire, performances de Bpifrance, la détention
les pouvoirs publics se sont efforcés de participations publiques par son
d’y remédier. Les améliorations ont intermédiaire présente des avantages :
été tangibles mais insuffisantes : en la détention déléguée à un tiers protège
les entreprises des injonctions
dépit de ces progrès, l’État n’est pas
contradictoires de l’État ; le caractère
parvenu à maîtriser suffisamment le
minoritaire des participations
jeu de sollicitations contradictoires contraint l’actionnaire public à adopter
auxquelles il est soumis et à respecter un comportement plus proche des
pleinement l’autonomie de gestion bonnes pratiques de marché ; et le

Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes


des entreprises publiques. partage du capital entre l’État et la
Caisse des dépôts constitue un facteur
Des motifs de détention d’équilibre.
partiellement clarifiés Dans l’ensemble, l’existence de ces
différentes doctrines constitue un
Des améliorations ont été réalisées au progrès mais les motifs de détention
cours des dernières années dans le restent encore insuffisamment précisés.
sens d’une meilleure définition des
motifs de détention. Ainsi, la publication, Des améliorations réelles mais
en 2014, des lignes directrices de insuffisantes de la gouvernance
l’État actionnaire a-t-elle donné une
cohérence, au moins rétrospective, au La gouvernance a progressé grâce à
portefeuille de l’État. Pour utile qu’elle une professionnalisation aujourd’hui
soit, la clarification des motifs d’inter- reconnue de la fonction d’actionnaire
vention reste cependant partielle. public et à la mise en place d’outils et
Elle n’a pas eu d’effets visibles sur de procédures appropriés : diffusion
la composition et le périmètre du des bonnes pratiques, séparation plus
fréquente entre les fonctions de prési-
portefeuille de l’APE. La Caisse des
dent du conseil d’administration et de
dépôts et consignations dispose d’une
directeur général, attention portée
doctrine d’actionnaire incomplète. aux relations avec les entreprises
Bpifrance a publié en 2013 une doctrine (contractualisation, fixation des objec-
d’investissement, articulée avec celles tifs), promotion de la responsabilité
de l’État et de la Caisse. sociale et environnementale.

21
Des progrès de gouvernance notables,
des carences persistantes

Certains défauts de surveillance ont Radio et les dérives qui en ont


toutefois été lourds de conséquences : perturbé le cours ont entraîné
un quasi-doublement de son
- l’État n’a pas exercé avec une exi- coût (passant de 230 à 430 M€)
gence suffisante ses responsabilités témoignant là encore d’un manque
d’actionnaire des principaux de vigilance de l’État.
acteurs de la filière nucléaire. Si la
réorganisation de la filière est Par ailleurs, les processus de la décision
désormais engagée, cette remise publique restent trop souvent opaques
en ordre a été tardive. L’État n’a en et les modalités de nomination des
particulier pas traité en temps dirigeants peu satisfaisantes. Les
utile les graves problèmes apparus processus de sélection devraient
chez Areva : stratégie d’expansion être plus rigoureux, plus transparents
aventureuse, surestimation des et plus collégiaux. En particulier, le
capacités à piloter de grands projets, recours à une instance collégiale
dégradation des savoir-faire d’évaluation des candidatures devrait
industriels, investissements hasar- être systématique.
deux et mal maitrisés, gouvernance
inadaptée. Confronté à une impasse Une logique de tutelle
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes

stratégique, le groupe a connu une toujours vivace


forte dégradation de sa situation
financière, avec près de 9,5 Md€ de Dans un pays où la propension de
pertes cumulées depuis 2010. La l’État à intervenir dans l’économie a
restructuration de la filière a été toujours été forte, les fondements et les
engagée par les pouvoirs publics modes de fonctionnement du secteur
(désignation d’EDF comme chef de public ont été établis à une époque où
file de la construction de réacteurs les monopoles des industries de réseau
nucléaires, recentrage d’Areva sur le assumaient des missions de service
cycle du combustible, annonce public, dans un cadre statutaire
des recapitalisations d’EDF et protecteur pour les agents et avec le
d’Areva), mais cette remise en ordre, soutien d’un État fort et disposant de
annoncée en 2015, a été tardive ; moyens financiers importants.

- le coût total du sinistre Dexia Si l’environnement s’est profondément


(participation minoritaire de la transformé, les réflexes anciens
Caisse des dépôts et consignations) perdurent, perpétuant une logique
a été estimé par la Cour à 6,4 Md€, de tutelle aujourd’hui inadaptée. La
partagé entre l’État pour 2,5 Md€ et confusion entre tutelle et actionnariat
la Caisse des dépôts pour 3,9 Md€ demeure, bien qu’il s’agisse de modes
(dont 1 Md€ pour le fonds d’intervention publique très différents,
d’épargne, qui gère le livret A) ; sinon antinomiques. Un actionnaire
intervient dans le cadre des instances
- les difficultés du projet de réha-
de gouvernance de l’entreprise,
bilitation de la Maison de la
chargées collectivement de défendre
22
Des progrès de gouvernance notables,
des carences persistantes

son intérêt social, et non, comme a-t-il par exemple vocation à rester
dans le cas de la tutelle en vertu d’un actionnaire de référence de
pouvoir administratif exercé sur les constructeurs automobiles ou d’un
actes émis par une personne opérateur de télécommunications inter-
publique. Cette confusion restreint le venant sur des marchés aujourd’hui
rôle des conseils d’administration des entièrement concurrentiels ?
entreprises publiques, comme le
montrent les exemples analysés par Le manque de rigueur dans la définition
la Cour (SNCF Réseau, SNCF des objectifs poursuivis emporte
Mobilités, Port autonome de Paris, différentes conséquences : évaluation
imparfaite des résultats effectifs de
France Télévisions, Radio France).
l’actionnariat public, et recouvrements
entre l’APE et Bpifrance d’un côté et
Le statut d’établissement public
entre Bpifrance et le programme
maintenu pour les trois entités du
d’investissements d’avenir (PIA) de
groupe ferroviaire SNCF, présente des l’autre. À part pour la mission de
inconvénients substantiels : fragilité sauvetage d’entreprises en cas de
au regard du droit européen, absence risques systémiques, convenablement
d’intérêt social précisément identifié, remplie, le degré d’atteinte des objectifs
rôle diminué du conseil d’administration. affichés par l’État actionnaire

Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes


Un tel statut juridique entretient appelle des appréciations nuancées.
l’impression que ces entités ne
seraient que des démembrements de L’influence réelle que l’État exerce sur
l’État, au sein desquels celui-ci serait la stratégie des entreprises dont il
légitime à intervenir à tout moment, détient des parts est très variable.
au mépris de leur autonomie de Lorsque l’État est l’actionnaire minoritaire
gestion. Ces inconvénients l’emportent d’entreprises industrielles, il peine à peser
largement sur les avantages immédiats effectivement sur la stratégie des
que la puissance publique a pu y trouver. entreprises, comme dans les cas de
l’industrie automobile ou d’Orange.
Une efficacité incertaine

Si les différents motifs de détention *


sont mieux formalisés aujourd’hui, la
combinaison des doctrines d’intervention
Le maintien de l’approche traditionnelle
permet aux actionnaires publics d’investir de la puissance publique ne peut
dans tous les secteurs de l’économie, constituer un garde-fou contre les
sans que les défaillances de marché, dérives de gestion : l’État est à la fois
les insuffisances de fonds privés ou trop présent dans la gestion et trop
les autres motifs d’intervention ne peu vigilant comme actionnaire. Cet
soient clairement attestés. Loin d’être apparent paradoxe tient à l’insuffisante
théorique, la question des motifs transformation des moyens d’action de
d’intervention se pose de manière l’État et montre la nécessité de faire
concrète, secteur par secteur. L’État évoluer profondément les pratiques.

23
5 Les voies de progrès

Pour progresser dans la voie d’un autonomie opérationnelle. Elle faciliterait


actionnariat public plus efficace et pour les cessions ultérieures.
rompre réellement et durablement
avec des comportements solidement L’hétérogénéité du portefeuille de
ancrés dans les habitudes et les modes de participations publiques nécessite de
pensée, des transformations profondes s’interroger systématiquement, à
doivent être envisagées. À cet effet, la intervalles réguliers, sur les justifications
Cour recommande quinze mesures, de la détention de chacun des actifs. Le
regroupées en trois priorités d’action. support de cette réflexion devrait être
une revue de portefeuille, par laquelle
Fixer des objectifs les pouvoirs publics devraient analyser

Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes


stratégiques clairs les motifs essentiels du maintien de
chaque participation et décider des
L’État actionnaire doit se fixer des évolutions à engager.
objectifs plus clairs et appliquer des
stratégies d’intervention coordonnées Encadrer davantage l’exercice
entre les trois principaux actionnaires de la fonction d’actionnaire
publics (APE, Caisse des dépôts et
consignations, Bpifrance). L’existence de Pour garantir l’autonomie des
« niveaux cibles » de détention, corres- entreprises, la Cour recommande tout
pondant à chacun des principaux motifs d’abord d’adapter leur statut juridique,
retenus, guidera utilement les décisions en préparant la transformation des
sur le périmètre des participations. établissements publics ferroviaires
en sociétés. Même si le statut de
Une redistribution des rôles entre société anonyme ne donnera pas une
l’APE et Bpifrance est préconisée, pour protection absolue aux entreprises
spécialiser chacune de ces entités sur publiques contre des décisions néfastes
son cœur de métier, l’APE transférant à économiquement, il renforcerait les
Bpifrance les participations industrielles, moyens à leur disposition pour s’y
pour la plupart minoritaires et cotées. opposer. Ce statut leur confèrerait un
Une telle évolution améliorerait la intérêt social distinct, les doterait de
gouvernance d’entreprises qui seraient conseils d’administration de plein
détenues par une entité elle-même exercice et inciterait les pouvoirs
soumise au droit des sociétés et dont publics à les considérer comme des
les dirigeants disposent d’une réelle entreprises à part entière.
25
Les voies de progrès

D’une manière générale, l’application Limiter les interventions


intégrale de l’ordonnance du en capital au strict nécessaire
20 août 2014 à toutes les entreprises
du portefeuille permettrait de mieux Les constats effectués par la Cour
identifier les différents rôles de l’État, invitent à utiliser l’actionnariat public
de prévenir les conflits d’objectifs avec davantage de discernement. Les
et de moderniser la gouvernance. pouvoirs publics disposent d’alternatives
Ainsi convient-il, dans le secteur de aux participations : outils juridiques de
l’audiovisuel public, de transformer, protection des intérêts essentiels de la
au sein du conseil d’administration, le Nation, définition réglementaire des
statut du représentant du ministère de missions de service public, instruments
la culture et de la communication en de politique industrielle, régulation
celui de commissaire du gouvernement, sectorielle. Ces outils alternatifs
sans droit de vote. pourraient être davantage utilisés,
car souvent au moins aussi efficaces
La Cour recommande aussi l’élabo- que les interventions en fonds propres.
ration et la publication d’un code Si nécessaire, ils peuvent être renforcés
de gouvernance des entreprises à dans certains secteurs comme la
participation publique, définissant les
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes

défense.
règles applicables au fonctionnement
des organes sociaux et aux relations Par ailleurs, le portefeuille des par-
avec l’actionnaire public. ticipations publiques devrait être
redimensionné en fonction des objectifs
L’application de ces différentes de politique publique poursuivis. La
recommandations permettrait de Cour présente à cet égard deux options,
substantiels progrès, mais elles ne entre lesquelles il ne lui appartient pas
suffiront vraisemblablement pas. de trancher. Elles concernent les trois
Pour rendre ces améliorations effectives principaux actionnaires publics, et au
et durables, il est nécessaire d’aller au- premier chef l’APE.
delà et d’envisager une transformation
plus profonde. L’évolution de l’APE La première option vise à ajuster le
vers un statut d’agence autonome périmètre des participations, sans que
dans sa gestion permettrait de faire la réduction des taux de participation
réellement évoluer les pratiques de n’entraîne de pertes d’influence. Cette
l’État actionnaire et d’améliorer la option ne constitue pas une rupture
gouvernance des entreprises qu’il par rapport à la politique actuelle des
détient. participations publiques, puisqu’elle

26
Les voies de progrès

n’implique pas de changement hypothèse, sur ses missions de


substantiel du périmètre. Elle consiste réglementation, de régulation et de
en une adaptation des taux de détention prescription de service public. Un tel
dans des secteurs entièrement ouverts à choix n’interdirait pas à l’État d’être
la concurrence (industrie, télécommuni- actionnaire, mais cantonnerait son
cations, secteur financier) mais aussi rôle à des motifs précis comme le
dans les infrastructures de transport ou sauvetage d’entreprises dont la
l’énergie. Ces opérations pourraient défaillance emporterait des risques
procurer une dizaine de milliards d’euros. systémiques, ou la protection d’entre-
prises présentant des intérêts
La seconde option procède d’un choix essentiels pour la sécurité nationale.
plus marqué, consistant à resserrer
significativement le périmètre, pour De telles opérations devraient, en
répondre à la difficulté intrinsèque que tout état de cause, être mises en
l’État éprouve à assumer simultanément œuvre de façon ordonnée, en veillant à la
ses différentes missions et à surmonter préservation des intérêts patrimoniaux
ses propres contradictions. La puissance de l’État, comme de ceux des entreprises.
publique se concentrerait, dans cette

Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes

27
Conclusion

Les constats effectués par la Cour, appuyés sur une analyse des années 2010 à
2016, appellent une appréciation critique de l’aptitude de l’État à être un bon
actionnaire. Cinquante ans après le rapport Nora, les mêmes faiblesses demeurent :
un portefeuille de participations dispersé et peu mobile, des opérations trop souvent
dictées par l’urgence, un étau de contradictions aboutissant à ce que les autres
objectifs de politique publique l’emportent sur les préoccupations patrimoniales,
aux dépens des entreprises détenues.

Les objectifs de politique publique poursuivis par l’État, qu’il s’agisse de


l’équipement du pays en infrastructures de qualité, de la protection des intérêts
essentiels de la Nation ou de la compétitivité de l’économie, ne sont nullement
en cause ici. La question centrale posée par ce rapport est celle de l’efficacité et
de l’efficience de l’outil que constitue l’actionnariat pour atteindre ces objectifs,
par comparaison aux autres instruments d’intervention.

Or de nombreux contre-exemples conduisent à douter de cette efficacité. Ainsi,


l’actionnariat public se révèle-t-il rarement le moyen le plus adapté pour contrer,
en profondeur et dans la durée, la perte de compétitivité et la désindustrialisation
de l’économie française. Bien qu’il se veuille stratège, l’État peine à être un
actionnaire de long terme, soucieux d’accompagner les mutations des entreprises.
De surcroît, la nette détérioration de la situation financière des grandes

Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes


entreprises publiques s’accompagne de déséquilibres croissants pour les
finances publiques et de besoins de recapitalisation inhabituellement élevés.

La persistance de certains comportements dans les pratiques de l’État, notamment


une propension à faire fi de l’autonomie de gestion des entreprises, n’en apparaît
que plus préjudiciable et anachronique. La puissance publique gagnerait
pourtant à s’affranchir résolument de la logique de tutelle - ce terme devant
être banni, tant il paraît antinomique de toute forme d’autonomie de gestion.

L’État doit rompre avec une vision inappropriée de son rôle d’actionnaire et avec
son penchant à intervenir sous la pression du moment, par crainte d’apparaître
impuissant. Car lorsqu’il procède ainsi, il ne peut qu’affaiblir les entreprises dont
il est actionnaire et, finalement, s’affaiblir lui-même.

Dans ces conditions, des transformations profondes sont d’autant plus nécessaires
que, depuis cinquante ans, l’environnement s’est grandement modifié. L’économie
s’est ouverte, la concurrence s’est installée, le numérique et la transition énergétique
bouleversent le contexte industriel et commercial, L’entreprise publique n’est
plus le modèle, y compris social, qu’elle a incarné au XXème siècle. La gestion d’un
portefeuille de participations publiques de 100 Md€ se conçoit différemment dans
un pays qui souffre d’un déficit public structurel et supporte une dette publique
de 2 200 Md€.

L’ensemble de ces considérations invite à s’interroger sur le domaine de pertinence


de l’actionnariat public et donc sur le dimensionnement du portefeuille de
participations publiques.

29
Recommandations

Fixer des objectifs stratégiques de commissaire du Gouvernement


clairs pour le ministère de la culture et de
la communication ;
1. articuler les doctrines d’investis-
sement des actionnaires publics et 9. établir un code de gouvernance
coordonner leurs stratégies des entreprises à participation
actionnariales ; publique, traitant notamment de
leurs relations avec leurs actionnaires
2. choisir des niveaux cibles de publics et protégeant l’autonomie de
participation correspondant aux gestion de ces entreprises ;
différents motifs d’intervention ;
10 rendre plus collégiale et plus
3. redistribuer les participations transparente la gouvernance de
entre l’Agence des participations de l’APE, notamment en créant un
l’État et Bpifrance en transférant les comité stratégique et un comité des
participations industrielles minori- nominations ;
taires de l’Agence à Bpifrance ;
11. améliorer l’organisation et le
4. établir et rendre publique une fonctionnement de l’Agence des
doctrine d’intervention en fonds participations de l’État (fonctions
propres de la Caisse des dépôts et centrales et gestion des ressources
consignations, comme opérateur et humaines) et compléter les outils
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes

comme investisseur financier, et de suivi de la performance et de


définir le périmètre cible du groupe maîtrise des risques ;
en le justifiant par la contribution à
l’intérêt général ou par un intérêt 12. faire évoluer le statut de
financier avéré ; l’Agence des participations de l’État
pour la transformer en agence
5. procéder régulièrement à une autonome, mettant en œuvre les
revue de l’ensemble du portefeuille orientations arrêtées par les pouvoirs
des participations, en actualisant, si publics.
nécessaire, le périmètre cible et les
taux de détention pertinents ; Limiter les interventions en capital
au strict nécessaire
6. établir et publier annuellement
un état détaillé de la valeur des 13. utiliser davantage les alternatives
participations publiques et compléter aux participations, notamment les
les informations statistiques de dispositifs juridiques de protection
l’Insee en intégrant les participations des intérêts essentiels de la Nation ;
minoritaires.
14. supprimer les seuils minima de
Encadrer davantage l’exercice détention non justifiés, notamment
de la fonction d’actionnaire pour les participations publiques
dans Aéroports de Paris, CNP
7. préparer l’évolution des entre- Assurances et Engie ;
prises ferroviaires vers un statut de
société anonyme ; 15. redimensionner le portefeuille
de participations publiques en
8. aligner la gouvernance des choisissant entre un ajustement du
entreprises de l’audiovisuel public périmètre et un resserrement plus
sur les dispositions de l’ordonnance significatif.
du 20 août 2014 en créant un poste

Vous aimerez peut-être aussi