MARDI 4 FÉVRIER 2020
76E ANNÉE– NO 23349
2,80 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE
WWW.LEMONDE.FR –
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO
ARGENT — SUPPLÉMENT  OÙ PLACER SON ÉPARGNE EN 2020
Chine : les conséquences de l’épidémie
▶ A ce jour, le coronavirus a conta­
miné au moins 17 200 personnes et
fait plus de 360 morts dans le pays
▶ Cette crise, révélatrice des failles du
système national de santé, fragilise
la Chine et pénalise son économie
▶ Alors que des mesures radicales
sont prises à l’étranger, Pékin
dénonce une stigmatisation
PAGES 2 À 4 ET 30
A l’aéroport de Wuhan, lors de l’évacuation de ressortissants de l’Union européenne, le 1er février. AREK RATAÏ/AP
La bataille sur la réforme des retraites gagne l’Assemblée nationale
L’ opposition a déposé pas moins
de 22 000 amendements à la ré­
forme qui entre à l’Assemblée na­
tionale, et espère ainsi voir s’éterniser la
discussion sur le projet de loi sur les re­
traites. « Nous allons assumer que nous
faisons de l’obstruction », a affirmé Jean­
Rwanda
Sœur Gertrude
et sa conscience
face aux fantômes
du génocide
PAGE 19
Algérie 220 DA, Allemagne 3,70 €, Andorre 3,50 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,10 €, Cameroun 2 400 F CFA, Canada 5,70 $ Can, Chypre 3,20 €, Côte d'Ivoire 2 400 F CFA, Danemark 36 KRD, Espagne 3,50 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,10 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,20 €, Guyane 3,50 €,
Hongrie 1 330 HUF, Irlande 3,50 €, Italie 3,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 3,20 €, Malte 3,20 €, Maroc 22 DH, Pays-Bas 3,80 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,40 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,10 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA
Luc Mélenchon, qui préside le groupe La
France insoumise. « C’est le gouverne­
ment qui fait obstruction à un débat par­
lementaire sur un sujet majeur pour le
pays », a de son côté estimé le député (PS)
des Landes Boris Vallaud. Sans être fon­
damentalement contre une réforme des
Photographie
A Paris, Claudia
Andujar en
défense des
Indiens du Brésil
PAG E S 2 2 - 2 3
retraites, la droite proteste également
contre l’idée d’examiner le texte en un
laps de temps très court, sans possibilité
d’en modifier le contenu.
Le Rassemblement national n’exclut
pas, de son côté, de voter la motion de
censure que déposerait la gauche, en cas
Rugby
Avec Fabien
Commerce
Galthié, les Bleus Quand la valse  LE POINT
des prix donne 
de retour sur le
devant de la scène
le tournis
PAGE 18
Sous l’influence d’algo­
rithmes très élaborés,
LE REGARD DE PLANTU le prix d’un produit en
vente en ligne peut va­
rier d’un moment à
l’autre. Cette pratique,
dite de « tarification dy­
namique », a de quoi
égarer le client
PAGES 16- 17
1
ÉDITO RIAL
AUX ÉTATS­UNIS,  Notre-Dame du Nil
LES DÉMOCRATES  AVEC
À L’HEURE DU CHOIX 
P AG E 30
ET IDÉES – PA G ES 2 7 - 2 8
Education
Ces enseignants 
qui ont perdu
confiance en 
leur ministre
le vent de contestation des ré­
formes lancées par Jean­Michel
Banquer s’étend désormais au­
delà des cercles syndicaux et mi­
litants classiques. Le Monde a in­
terrogé des professeurs dont cer­
tains avaient voté dès le premier
tour pour Emmanuel Macron
en 2017 et qui expriment
aujourd’hui leur désillusion et
parfois leur colère.
La refonte du lycée, des pro­
grammes et du bac voulue par le
ministre de l’éducation a créé un
« climat anxiogène ». La politique
de revalorisation des salaires
entreprise par le ministre est
contrecarrée par la réforme des
retraites, qui pourrait faire de
la profession la grande perdante
du nouveau système.
Face à des perturbations encore
sporadiques, plusieurs rectorats
menacent de sanctionner les en­
seignants qui envisageraient de
perturber les épreuves du bac.
PAGE S 8- 9
Paris
Anne Hidalgo 
accusée de 
clientélisme 
A l’approche des élections
municipales, la maire
socialiste de Paris et son
de recours au 49.3 par le gouvernement équipe font l’objet de criti­
et le groupe majoritaire. Ces derniers af­ ques sur les subventions
firment s’opposer à cette extrémité accordées à certaines as­
d’une adoption du texte sans vote, mais
souhaitent clore le débat avant les élec­
sociations. Anne Hidalgo
tions municipales. repousse ces accusations
PAGE 10 PAG E 11
“POÉTIQUE ET UNIVERSEL” “SUBTIL ET DÉLICAT”
L E S F I L M S D U TA M B O U R C H A P T E R 2 PRÉSENTENT
TRANSFUGE
ET
PA R L E R É A L I S AT E U R D E S Y N G U É S A B O U R P I E R R E D E PAT I E N C E
Toronto
International
Film Festival
SÉLECTION OFFICIELLE 2019
CONTEMPORARY WORLD CINEMA
FILM D’OUVERTURE
PHOTO : SOPHIE DAVIN © 2019 LES FILMS DU TAMBOUR - CHAPTER 2 - FRANCE 2 CINÉMA - BELGA PRODUCTIONS - MOONSHAKER II - CRÉDITS NON CONTRACTUELS
U N F I L M D E AT I Q R A H I M I
SANTA AMANDA MUGABEKAZI ALBINA SYDNEY KIRENGA ANGEL UWAMAHORO CL ARIELL A BIZIMANA BELINDA RUBANGO SIMBI ET PASCAL GREGGORY
DESIGN GRAPHIQUE :
D ’A P R È S L’ O U V R A G E D E S C H O L A S T I Q U E M U K A S O N G A © G A L L I M A R D 2 0 1 2 - P R I X R E N A U D O T
LE 5 FÉVRIER AU CINÉMA
 INTERNATIONAL
0123
2| MARDI 4 FÉVRIER 2020

C O R O N AV I R U S

La Chine dénonce 
sa mise en 
quarantaine
Les autorités chinoises critiquent
les mesures prises par de nombreux
pays, Etats­Unis en tête, contre
la propagation du virus, alors que
le bilan ne cesse de s’alourdir

pékin ­ correspondant pour apporter une réponse coordonnée à la

crise sanitaire. En Chine, ces informations

D
eux semaines après la mo­
bilisation générale contre
le coronavirus décrétée par
Xi Jinping le 20 janvier, la
« guerre contre le démon »
est loin d’être gagnée. Bien
au contraire. Avec 2 829 nouveaux cas
annoncés lundi 3 février, portant à plus de
17 200 le total des personnes infectées en
Chine, l’épidémie, qui a causé plus
de 360 décès, ne cesse de progresser. Une
ville, Wenzhou, pourtant située à plus
de 800 kilomètres à l’est de Wuhan, l’épicen­
tre de l’épidémie, a été à son tour mise en
quarantaine dimanche. Ses 9 millions d’ha­
bitants n’ont plus le droit de sortir de chez
eux, à l’exception d’un membre de chaque
famille tous les deux jours, pour se ravi­
tailler. Par ailleurs, le coronavirus a fait son
premier mort à l’étranger : un résident de
Wuhan, arrivé aux Philippines le 21 janvier, y
est mort dimanche 2 février. L’internationa­
lisation de la crise, officialisée par l’Organi­
sation mondiale de la santé (OMS) le 30 jan­
vier, amène la Chine à se battre sur un
nouveau front depuis ce week­end : le ter­
rain diplomatique.
Entre les voisins (Corée du Nord, Russie,
Mongolie, Kazakhstan, Népal) qui ferment
leurs frontières terrestres et des pays comme
l’Australie, la Nouvelle­Zélande et Israël qui, à
la suite des Etats­Unis, interdisent depuis ce
week­end l’entrée de leur territoire aux
étrangers venant de Chine, ce pays a l’im­
pression d’être lui­même placé en quaran­
taine. Les pays du G7 – dont Pékin n’est pas
membre – ont en outre prévu de se concerter
sont passées sous silence. Au contraire, c’est
la solidarité internationale qui est mise en
avant. A la fin du journal télévisé de 19 heu­
res, dimanche, une présentatrice a lu, imper­
turbable, les communiqués de soutien, voire
de félicitations venus du Laos, du Pakistan,
d’Afrique du Sud, du Liban, d’Iran, d’Argen­
tine, du Mexique et du Costa Rica.
Ce journal télévisé qui, il y a encore deux
semaines, ne consacrait que quelques minu­
tes à l’épidémie, diffuse désormais d’innom­
brables reportages sur les vaillants soldats et
personnels de santé, souvent membres du
Parti communiste, présentés comme luttant
sans relâche contre le coronavirus. Lundi
3 février, Le Quotidien du peuple, l’organe
officiel du Parti communiste, consacre une
audacieuse page à « la contribution impor­
tante de la Chine à la santé du monde ».
LIGNE DE DÉFENSE CLAIRE
Mais le réseau diplomatique et la presse offi­
cielle en anglais font entendre un tout autre
son de cloche : celui d’une Chine exaspérée
d’être mise en quarantaine. « L’interdiction
faite aux étrangers qui ont voyagé en Chine
durant les quatorze derniers jours d’entrer aux
Etats­Unis est la réponse la plus extrême
parmi tous les pays. Nous sommes en droit de
demander aux Etats­Unis de faire preuve de
respect pour la Chine [en raison des] immen­
ses sacrifices qu’elle fait dans son combat
contre le désastre », écrit Hu Xijin, le rédac­
teur en chef du Global Times sur Twitter. « Il
faudrait éviter les actions unilatérales comme
les restrictions de voyager prises à l’encontre
des citoyens chinois par certains pays, même
Les Indonésiens
en provenance
de Wuhan (Chine)
sont aspergés après que l’Organisation mondiale de la santé
d’antiseptique s’est prononcée contre, car de telles mesures
à l’aéroport peuvent affecter les économies [ainsi que ] le
de Batam partage d’information et d’échantillons de mi­
(Indonésie), crobes et de virus qui constituent un élément
le 2 février. déterminant dans la recherche contre l’épidé­
INDONESIAN FORIEGN mie », écrit le China Daily lundi 3 février.
MINISTRY/AP La ligne de défense de la Chine est claire.
S’appuyant sur le soutien reçu depuis le
28 janvier par le directeur général de l’Organi­
sation mondiale de la santé, le docteur Te­
dros Adhanom Ghebreyesus, Pékin s’estime
irréprochable dans son combat contre le
virus. Xi Jinping n’a­t­il pas déclaré le 28 jan­
vier qu’il n’avait aucun doute que la Chine
allait gagner cette « guerre » ? Mais la propa­
gande hésite. Bien que Xi Jinping parle de
« démon », d’autres relativisent le virus. S’ins­
pirant de Donald Trump, le porte­parole du
ministère des affaires étrangères, Zhao Li­
jian, a recours aux lettres capitales sur Twit­
ter pour diffuser l’essentiel de son message :
« AUCUNE RAISON DE SURRÉAGIR ET DE PA­
NIQUER. Le nouveau coronavirus de Wuhan
se situe tout en bas de la liste des virus mortels
dans l’histoire. Pourtant il apparaît comme
plus meurtrier et effrayant. La raison est l’in­
formation à l’ère du numérique. Notre pru­
dence et le sens des responsabilités sont plus
importants à l’ère du numérique », explique­
t­il. Selon Pékin, non seulement la Chine est
désormais une grande puissance scientifi­
que à la pointe de la lutte contre les épidé­
mies, mais le coronavirus n’est pas si dange­
reux que « l’hystérie des médias occidentaux »
le laisse supposer. « Par exemple, alors que
certains médias occidentaux consacrent des
“unes” retentissantes au coronavirus chinois
(…), peu de médias ont fait leurs gros titres sur
le rapport du centre pour la prévention et le
contrôle des maladies du 31 janvier qui dit
qu’actuellement 10 000 personnes sont mor­
tes et 180 000 hospitalisées aux Etats­Unis en
raison de la grippe », écrit le China Daily.
Pourtant, il arrive même aux diplomates
chinois de déraper. L’ambassadeur de Chine
en Israël, Dai Yuming, s’est permis de faire
un parallèle avec la Shoah. « Des millions de
juifs étaient massacrés et de nombreux juifs
étaient interdits d’entrée dans certains pays.
Des pays leur ont ouvert leurs portes : la Chine
était l’un d’entre eux », a expliqué l’ambassa­
deur au cours d’une conférence de presse…
avant de présenter ses excuses. Une sortie
qui témoigne de la nervosité des dirigeants
chinois. L’ambassadeur chinois aux Etats­

Les Etats­Unis se barricadent et s’inquiètent pour leur économie

Le pays demande formellement à ses ressortissants de ne pas se rendre en Chine, placée au niveau d’alerte le plus élevé

new york ­ correspondant chemin du retour, ils ont d’abord La Chine a été placée en risque 4, t­il déclaré au New York Times. Les cours du pétrole à 52 dollars le ba­ navirus allait « aider à accélérer le
fait étape en Alaska, où ils ont subi le niveau le plus élevé : les Etats­ fausses alertes se sont multi­ ril. Cette baisse est désastreuse retour d’emplois en Amérique du

I l n’y a pas de raison que les

Américains paniquent. » Le
conseiller pour la sécurité
nationale de Donald Trump, Ro­
bert O’Brien, a tenté, dimanche
2 février sur la chaîne CBS, de ras­
surer la population face au nou­
veau coronavirus. Celle­ci a at­
teint le territoire des Etats­Unis ;
le pays compte onze cas confir­
més, dont un de transmission in­
terhumaine sur le sol américain –
un homme contaminé par son
épouse de retour de Chine.
Pourtant, l’Amérique se barri­
cade, comme ont pu l’expérimen­
ter les 195 passagers rapatriés par
le département d’Etat en prove­
nance de la région de Wuhan (pro­
vince chinoise du Hubei), où le vi­
rus est apparu. L’équipage venu
les chercher avait revêtu des te­
nues blanches isolantes. Sur le
les premiers contrôles, puis ils
ont été acheminés sur une base
militaire de Californie. Ils y sont
retenus en quarantaine, pour
deux semaines, depuis le 29 jan­
vier. L’un des passagers a cherché
à s’enfuir, mais il a été rattrapé.
Fausses alertes
A compter de dimanche 2 février
à 17 heures, les autorités améri­
caines ont interdit l’entrée de
leur territoire aux étrangers
ayant séjourné au cours des qua­
torze jours précédents en Chine.
Cette restriction, dénoncée par
Pékin, ne s’applique pas aux rési­
dents permanents et à la famille
immédiate de citoyens améri­
cains. Quant aux Américains
s’étant rendus dans la région de
Wuhan, ils subiront deux semai­
nes de quarantaine.
Unis demandent formellement à
leurs ressortissants de ne pas s’y
rendre. Les principales compa­
gnies aériennes ont décidé de ces­
ser de desservir le pays ; Delta et
United interrompront leur ser­
vice à partir du 6 février. Toute­
fois, American et United conti­
nuent, pour l’instant, à desservir
Hongkong. Les vols en prove­
nance de Chine sont désormais
dirigés vers sept aéroports princi­
paux (JFK à New York, Chicago,
Los Angeles, San Francisco,
Seattle, Atlanta, Honolulu).
Les mesures de prophylaxie ont
suscité un commentaire dubitatif
du docteur Michael Osterholm,
directeur du Centre de recherche
sur les maladies infectieuses à
l’université du Minnesota. « La
vache est déjà hors de l’étable, et
on parle d’en fermer la porte », a­
pliées sur les campus, tandis que
des remarques antichinoises sont
recensées çà et là. A New York,
alors qu’un premier cas doit en­
core être confirmé officiellement,
un festival célébrant le Nouvel An
chinois a été annulé.
La crise a aussi pesé sur Wall
Street, l’indice Dow Jones perdant
2,09 % vendredi. Les entreprises
américaines implantées en Chine
sont frappées, tel Starbucks, qui y
a fermé la moitié de ses 4 300 ca­
fés. Apple a tiré le rideau de ses
Apple Store et a fermé, jusqu’au
9 février, ses usines chinoises. Les
sociétés technologiques s’inquiè­
tent de la rupture des chaînes
d’approvisionnement avec la
Chine. La chute attendue de la
croissance de l’ex­empire du Mi­
lieu, voire du produit intérieur
brut (PIB) mondial, a fait chuter le
pour les producteurs texans d’hy­
drocarbures, soutiens électoraux
de Donald Trump. Les actions des
principales sociétés pétrolières,
Exxon, Mobil et Chevron, ont
perdu environ 4 %.
D’autres préoccupations
Les Américains sont particulière­
ment inquiets des conséquences
économiques de l’épidémie née
en Chine, et ils ne se satisfont pas
de la comparaison rassurante
avec celle de SRAS (syndrome res­
piratoire aigu sévère), apparu
dans le même pays en 2002 : à
l’époque, la Chine représentait 5 %
de l’économie mondiale, contre
18 % aujourd’hui. Le secrétaire
au commerce américain, Wilbur
Ross, a suscité une polémique en
prédisant jeudi sur la chaîne con­
servatrice Fox News que le coro­
Nord ». Les propos de l’adminis­
tration ont ensuite été plus apai­
sants. « Le président Trump veut
tout faire pour aider le président
Xi », a déclaré le conseiller pour la
sécurité nationale, Robert
O’Brien. La Maison Blanche a pro­
posé d’envoyer à Pékin une assis­
tance médicale.
Quelques jours après avoir si­
gné un accord commercial avec la
Chine, Donald Trump lui­même
n’a pas tweeté sur le sujet. Avec les
Américains, il a d’autres sujets de
préoccupation : la finale du Super
Bowl de dimanche soir – rempor­
tée par les Kansas City Chiefs –, le
lancement de la primaire démo­
crate dans l’Iowa lundi 3 et l’ac­
quittement attendu à l’issue de
son procès en destitution, proba­
blement mercredi 5 février. 
arnaud leparmentier
0123
MARDI 4 FÉVRIER 2020
L’AMBASSADEUR  23 malades, à ce jour, ont été confirmés.
CHINOIS  apporter une réponse face au nouveau
AUX ÉTATS­UNIS  noncé dimanche le ministre allemand
POINTE UN « VIRUS  ché au sein de l’Union européenne avec
POLITIQUE QUI  10 personnes contaminées. « Nous som­
EMPÊCHERAIT LA  férence téléphonique des ministres de la
CHINE ET LES ÉTATS­
UNIS DE TRAVAILLER  après un entretien téléphonique à ce
MAIN DANS LA MAIN »
Unis, Cui Tiankai, a lui pointé un « virus poli­
tique qui empêcherait la Chine et les Etats­
Unis de travailler main dans la main pour
faire face à leurs défis communs ». Pour la
Chine, les Etats­Unis cherchent à profiter du
virus pour l’affaiblir. Lundi 3 février, lors du
point de presse quotidien du ministère des
affaires étrangères chinois, sa porte­parole,
Hua Chunying, a accusé les Etats­Unis de
« n’avoir fourni aucune assistance concrète »
et de n’avoir fait « que créer la panique ».
AFFAIRE DE GÉOPOLITIQUE
Détail révélateur, sur les six points de vue
publiés ce lundi 3 février sur le site du quoti­
dien Global Times, quatre concernent les
réactions occidentales, notamment améri­
caines, au coronavirus : « Les Etats­Unis sont
immoraux en attaquant le combat de la
Chine contre le virus », « le virus déchaîne le
racisme dans les sociétés occidentales », « le
virus ne donnera pas plus de pouvoir aux
Etats­Unis dans la deuxième phase des négo­
ciations commerciales », « les accusations et
les insultes ne détourneront pas la Chine du
combat contre le coronavirus ». Pour Pékin, le
virus est désormais autant affaire de géopo­
litique que de santé publique.
Et cela risque de durer tant que l’épidémie
ne sera pas sous contrôle. Zhong Nanshan, le
scientifique de 83 ans qui a été l’un des pion­
niers de la lutte contre le SRAS en 2003 et qui
est une idole en Chine, a d’ailleurs assombri
ses prévisions : le 28 janvier, il affirmait que le
pic de l’épidémie serait atteint « dans sept ou
dix jours ». Mais, le 2 février, il a repoussé cette
échéance à « dix à quatorze jours ». Autre
signe de l’aggravation de la crise : alors que la
Chine insiste sur la transparence dont elle
fait preuve, le magazine Caixin, le journal le
plus en pointe sur l’épidémie, n’a pas pu
« pour des raisons techniques » diffuser, di­
manche, son dernier article : il montrait, à
l’aide de multiples témoignages, que de nom­
breux décès n’étaient pas pris en compte
dans les chiffres officiels. 
frédéric lemaître
Plus de 360 morts, plus de 17 200 infections
Nombre de cas d’infection par le coronavirus confirmés,
au 3 février à 9 heures
Allemagne
10
Canada
4 Corée du Sud
France
6 15
Etats-Unis
11
Macao 8 Espagne 1
Vietnam 6 Suède 1
Russie 2 Népal 1
Royaume-Uni 2 Cambodge 1
Italie 2 Sri Lanka 1
Inde 2 Finlande 1
Infographie Le Monde
Un peu partout en Europe, la peur s’installe
L’Allemagne est le pays le plus touché par le nouveau virus, avec 10 malades confirmés, devant la France
P ont aérien pour rapatrier des
ressortissants, suspension des
vols commerciaux, mesures
partielles de confinement : alors que le
nombre de personnes atteintes du
coronavirus en Chine ne cesse d’aug­
menter, 17 200 selon le dernier bilan
fourni par Pékin lundi 3 février, et
362 morts, dont un aux Philippines,
l’Europe s’alarme et tente d’empêcher
la propagation du virus sur son sol où
Les pays du G7 vont se concerter pour
coronavirus apparu en Chine, a an­
de la santé, dont le pays est le plus tou­
mes convenus qu’il doit y avoir une con­
santé du G7 » pour donner une réponse
« uniforme », a expliqué Jens Spahn,
sujet avec son homologue américain.
« Cela ne sert à rien si un pays prend
des mesures tout seul », a­t­il poursuivi,
soulignant que cela s’ajoute à la coordi­
nation européenne déjà en cours.
« Nous sommes favorables à tout ce qui
permettrait une meilleure coordination
internationale, un meilleur échange
d’informations », a approuvé de son
côté la ministre française Agnès Buzyn.
La France est le deuxième pays le plus
touché par le virus avec six malades
confirmés. Mais l’annonce dimanche
La Russie se dit peu touchée et expulse les malades étrangers
Moscou accompagne ses mesures de protection de messages de sympathie envers son partenaire chinois
moscou ­ correspondance
L a Russie n’a pas lésiné en annon­
çant, lundi 3 février, qu’elle pro­
céderait à l’expulsion des étran­
gers contaminés par le coronavirus. Le
virus « a désormais été ajouté à la liste
des maladies particulièrement dange­
reuses. Cela nous permet de procéder
aux expulsions des étrangers infectés et
de mettre en œuvre des mesures spécia­
les telles que le placement en isolement
et la quarantaine », a déclaré le premier
ministre, Mikhaïl Michoustine, lors
d’une réunion gouvernementale re­
transmise à la télévision. Cette décision
s’ajoute à d’autres mesures prises la se­
maine dernière dans cet immense pays
voisin de la Chine, où deux personnes
atteintes ont officiellement été recen­
sées le 31 janvier, deux Chinois placés à
l’isolement dans des hôpitaux de la ré­
gion de Tioumen dans l’Oural pour l’un,
et à Tchita, en Extrême­Orient, pour
l’autre. Moscou a ainsi décidé de fermer
ses quelque 4 250 km de frontières ter­
restres avec la Chine, de couper les
liaisons ferroviaires, de restreindre ses
Emirats arabes
unis 5
Thaïlande 19
Singapour 18
Malaisie 8
Source : 2019-nCoV Global Cases by John Hopkins CSSE
du premier décès aux Philippines, hors
de Chine, a relancé les inquiétudes sur
sa propagation. Partout en Europe, la
peur s’instille.
Au Royaume­Uni, l’inquiétude a gagné
les campus britanniques après les deux
premiers cas déclarés de coronavirus le
31 janvier. Les deux personnes contami­
nées – un jeune homme et sa mère, à en
croire les médias nationaux – reve­
naient de Wuhan, et l’étudiant est inscrit
à l’université de York (nord de l’Angle­
terre). L’université n’a pas fermé ses
portes, mais a mis en place un numéro
d’urgence. Dimanche, son recteur ten­
tait de rassurer les étudiants, en préci­
sant que le jeune malade n’avait ni parti­
cipé à la fête du Nouvel An chinois orga­
nisée par l’établissement ni à aucune re­
mise de diplôme récente.
Production de masques en prison
Fin janvier, plusieurs universités du
pays, qui compte un important contin­
gent d’étudiants chinois, plus de
100 000, ont averti qu’elles isoleraient
tous ceux revenant de Chine, après y
avoir passé le Nouvel An. L’université de
Derby a ainsi mis en quarantaine – pour
quatorze jours – un « tout petit nombre »
d’étudiants rentrés d’un séjour à Wu­
han avant que les vols depuis cette ville
soient supprimés. Pour l’instant, cepen­
dant, il n’est pas question de fermer les
frontières du pays aux Chinois.
Six compagnies aériennes européen­
nes ont déjà annoncé qu’elles suspen­
vols ou encore de restaurer un régime
des visas pour les touristes chinois,
nombreux en Russie, et de suspendre
leur délivrance pour les travailleurs.
Si Moscou a proposé à Pékin de tra­
vailler ensemble au développement
d’un vaccin, l’heure est avant tout au
pragmatisme. Les contrôles dans ses
aéroports sont renforcés, les vols vers
Pékin, Shanghaï, Canton et Hongkong
limités. La compagnie aérienne Ural
Airlines, populaire auprès des Chinois
pour les voyages en Europe via un tran­
sit en Russie, a suspendu ses services.
Des avions de l’armée russe devraient
évacuer dans les prochains jours les
Russes présents dans les provinces chi­
noises touchées par l’épidémie, dont
celle du Hubei, son épicentre. M. Mi­
choustine a proposé, lundi, de reporter
à une date ultérieure le Forum écono­
mique russe de Sotchi, prévu du 12 au
14 février. « La situation est sous con­
trôle », a­t­il assuré, lundi matin, en af­
firmant que la Russie disposait de « tous
les médicaments et moyens de protec­
tion nécessaires ». Mais Moscou s’est
bien gardé de traiter en paria la Chine,
international | 3
Chine
17 222 infections
361 morts
Japon
20
Taïwan 10
Hongkong 15
Philippines
2 infections
1 mort
Australie
12
LES PAYS DU G7 
VONT SE CONCERTER 
POUR APPORTER  période limitée. Un avion de l’armée de
UNE RÉPONSE FACE AU  terrir lundi matin sur un aéroport mili­
NOUVEAU CORONAVIRUS
daient ou réduisaient leurs vols à desti­
nation de la Chine. Air France­KLM,
Austrian Airlines, Lufthansa et Swiss
Air ont adopté cette mesure jusqu’au
9 février. British Airways l’a étendue
jusqu’au 29 février, à l’exception de
Hongkong. Quant à Finnair, la compa­
gnie ne prévoit pas de reprendre ses
vols avant le 23 mars.
L’Italie, où deux malades ont été re­
censés, a annoncé la fermeture de son
espace aérien aux vols partis de Chine
(ainsi que de Hongkong, de Taipei et
de Macao), jusqu’au 28 avril, et les vi­
sas sont également suspendus, hors
cas d’urgence et situations familiales,
jusqu’au 13 février.
Une réaction radicale qui a provoqué
l’inquiétude des acteurs des secteurs
de l’hôtellerie et du tourisme – les
réservations pour le carnaval de
Venise sont au plus bas – tandis que,
du côté des secteurs d’exportation, la
crainte est plutôt que ces précautions
jugées excessives ne provoquent l’irri­
tation chinoise.
sa grande alliée depuis 2014 et le début
des nouvelles tensions entre Moscou et
les Occidentaux. Le chef du Kremlin,
Vladimir Poutine, a d’ailleurs tenu à ac­
compagner le durcissement du disposi­
tif de protection d’un message de sym­
pathie à Xi Jinping. Il lui a « exprimé sa
confiance : grâce aux mesures décisives
prises par les dirigeants chinois, la pro­
pagation de l’épidémie sera stoppée et
les dégâts qu’elle provoquera seront mi­
nimisés », dans un télégramme, lui of­
frant « toute l’assistance nécessaire ».
Crêpes et vodka
Car la situation bouscule le rapproche­
ment que Vladimir Poutine et Xi Jinping
ont mis en scène ces dernières années.
Lors d’un forum à Vladivostok en sep­
tembre 2018, les deux présidents
avaient partagé crêpes et verres de
vodka tout en suivant de loin des exerci­
ces militaires conjoints. Le président
chinois rappelle régulièrement que Pé­
kin est le premier investisseur étranger
dans le développement de l’Extrême­
Orient russe. Et des financements chi­
nois sont attendus pour la nouvelle
▶▶▶
Après la France et l’Allemagne, l’Italie
a également décidé de rapatrier ses res­
sortissants qui devraient être, à leur
tour, confinés à leur arrivée pour une
l’air, qui s’est rendu à Wuhan, devait at­
taire de Rome avec à son bord 67 per­
sonnes. En Chine, certaines ambassa­
des, comme la République tchèque, ne
délivreraient plus de visas aux Chinois,
ou simplement des visas d’urgence
dans le cas du Luxembourg.
En Hongrie, où aucun cas de contami­
nation n’a été annoncé, on fabrique à
tour de bras des masques de protection
dans les prisons du comté de Hajdu et
de Satoraljaujhely, en réponse à la
menace du coronavirus. Selon le site
Népszava, deux équipes de prisonniers
se relaient toutes les douze heures
pour produire quotidiennement
20 000 masques. Et plus de 320 000 de
ces objets de protection seraient stoc­
kés à divers endroits du pays.
Dans ce contexte, la Commission
européenne a annoncé le 31 janvier
une subvention de 10 millions d’euros
pour soutenir la recherche sur le nou­
veau coronavirus pour lequel aucun
traitement n’a encore fait ses preuves.
Bruxelles a lancé un appel d’urgence
pour des projets de recherche « qui
feront avancer notre compréhension
sur l’épidémie ». 
isabelle mandraud
(avec nos correspondants)
usine de gaz liquéfié que Novatek cons­
truit avec Total dans l’Arctique. En dé­
cembre, les deux présidents ont salué
l’inauguration « historique » du gazoduc
connectant, via plus de 2 000 km de
tuyaux, les gisements de Sibérie orien­
tale à la frontière chinoise. Autant de
projets à la forte dimension politique.
Leur relation est devenue d’autant
plus forte malgré leurs historiques mé­
fiances mutuelles que les deux capitales
s’allient régulièrement contre des initia­
tives occidentales. En juin dernier, Xi
Jinping était reçu en hôte d’honneur au
forum de Saint­Pétersbourg, le « Davos
russe ». A la tribune, alors qu’une tren­
taine de contrats sino­russes ont été si­
gnés, le chef du Kremlin a célébré une
amitié à un « niveau sans précédent » et
promis « une puissante impulsion sup­
plémentaire ». Xi Jinping, lui, a rappelé
avoir « rencontré Vladimir Poutine près
de trente fois ces six dernières années.
C’est mon meilleur ami et un excellent
collègue ». Les deux présidents doivent
se retrouver cette année lors du sommet
du Brics en juillet à Saint­Pétersbourg. 
nicolas ruisseau

4 | international
C O R O N AV I R U S
Face au virus, les failles
du système de santé chinois
L’hôpital public, au cœur du système de soins, n’est pas préparé
à affronter l’épidémie, faute de personnel et de lits
shanghaï, pékin ­ correspondants
C
hen Nini, 32 ans, attend
dans le couloir de l’hôpi­
tal numéro 3 de Wuhan,
où sa mère, mourante,
est maintenue en quarantaine. Fin
décembre 2019, la maman, Chen
Wantao, 59 ans, est allée acheter de
la viande au marché de Huanan,
d’où est partie l’épidémie quelques
semaines plus tôt. « Si elle avait su
qu’il y avait un risque là­bas, elle n’y
serait jamais allée. Mais à cause du
gouvernement de Wuhan, qui
contrôlait l’information, elle ne
savait pas. C’est comme ça qu’elle a
été infectée… », soupire sa fille.
Rhume, fièvre… Mi­janvier, Chen
Wantao présente les symptômes
du nouveau coronavirus. Le 18,
alors que la Chine assure toujours
que ce dernier n’est pas transmis­
sible entre humains, elle est ad­
mise à l’hôpital. Prises de sang et
radio des poumons suggèrent
qu’elle souffre d’une pneumonie.
Les médecins parlent de cette nou­
velle épidémie qui fait rage, mais
ne mènent pas les tests qui per­
mettraient de détecter le virus.
Aucun lit n’est disponible, Chen
Wantao doit rentrer chez elle.
Une semaine plus tard, la Chine a
reconnu l’ampleur de la maladie,
le président chinois, Xi Jinping, a
donné l’alerte. Chen Nini emmène
sa mère à l’hôpital Hankou, l’un de
ceux qui ont été désignés pour
prendre en charge les patients in­
fectés par le virus. « Il y avait plus de
1 000 patients qui faisaient la
queue, mais toujours pas de lits,
poursuit la jeune femme. On a dû
revenir faire la queue chaque jour
pour un traitement en ambula­
toire, alors que l’état de ma mère de­
venait critique : elle pouvait à peine
respirer, devenait incontinente, et
sa fièvre ne descendait pas. »
Le diagnostic n’est toujours pas
confirmé : « Les hôpitaux utilisent
souvent l’excuse du manque de kits
de diagnostic pour ne pas faire les
tests, et ne pas admettre ma mère
parce qu’il n’est pas prouvé qu’elle a
le coronavirus. Mais la réalité, c’est
qu’ils n’ont pas assez de lits »,
avance Chen Nini. Le 27 janvier,
A Carry­le­Rouet : « Moi aussi j’ai flippé, au début. Mais en vrai, ça va »
Alors que l’atmosphère s’est apaisée autour du centre où 180 rapatriés de Chine sont en quarantaine, un autre lieu de confinement a ouvert
carry­le­rouet, aix­en­provence
(bouches­du­rhône) ­
envoyée spéciale
C’ est un dimanche d’hiver
méditerranéen presque
classique dans le petit
port de Carry­le­Rouet (Bouches­
du­Rhône). Un temps doux, une
mer calme, des promeneurs et
leurs chiens, des enfants sur la
plage. Seule anomalie dans cette
carte postale : après avoir dépassé
le port, la minuscule route qui per­
met habituellement de rejoindre
le centre de vacances niché dans la
pinède est bloquée par deux gen­
darmes. Plus loin, au niveau de la
plage, un bateau de la gendarme­
rie maritime empêche aussi l’ac­
cès au club de vacances, nuit et
jour. C’est là, perchées au­dessus
de l’une des criques de la Côte
Bleue, que sont confinées depuis
vendredi 31 janvier et pour deux
« LES HÔPITAUX UTILISENT 
SOUVENT L’EXCUSE  sont allés à Wuhan ne sont plus
DU MANQUE DE KITS  « Cela faisait sept jours que j’étais
DE DIAGNOSTIC POUR  symptôme. L’infirmière m’a dit que
NE PAS FAIRE LES TESTS »
CHEN NINI
fille d’une patiente
lueur d’espoir, enfin, Chen Nini re­
çoit un message du directeur des
urgences de l’hôpital de Hankou :
un lit sera disponible dans l’après­
midi, le personnel est en train de
le nettoyer. Sa mère est sous oxy­
gène dans un couloir des urgen­
ces. Mais le lit n’est plus disponible
quelques heures plus tard. « Quel­
qu’un qui a des relations a dû pas­
ser devant nous », se désole Chen
Nini. Deux jours plus tard, sa mère
reçoit finalement un lit, sur lequel
elle se meurt en ce moment.
Pas de médecine de ville
Les médecins sont quasi sûrs
qu’elle a le coronavirus, mais ils
n’ont toujours pas pu faire les
analyses, officiellement faute de
kits de diagnostic. Cela ne change­
rait pas grand­chose à la condi­
tion de sa mère, car aucun traite­
ment n’est disponible. On ne peut
que s’attaquer aux symptômes,
en intubant les patients peinant à
respirer par exemple. Mais sans
preuve qu’elle a été infectée par le
virus, l’Etat ne prend pas en
charge les frais médicaux. Sans
compter son séjour à l’hôpital, la
famille de Chen Wantao a déjà
dépensé 20 000 yuans (environ
2 600 euros) depuis le 29 janvier.
Dans le Hubei, le couvre­feu fait
en outre des dommages collaté­
raux. Chen Xiaofeng, 53 ans, a un
cancer du sein. Elle habite
Huangshi, à une centaine de kilo­
mètres à l’ouest de Wuhan, où elle
se rend toutes les semaines pour
son traitement et pour acheter
ses médicaments. Mais sa ville a
été mise en quarantaine à son
tour le 29 janvier. Quand elle s’est
tournée vers l’hôpital de sa ville
semaines les 180 personnes rapa­
triées de Wuhan (Chine), foyer de
l’épidémie de pneumonie causée
par le coronavirus 2019­nCoV.
Le vent de panique qui avait
soufflé dans la station balnéaire à
l’annonce de leur arrivée semble
s’être apaisé. Difficile de savoir si
ce sont les propos rassurants du
maire (Les Républicains, LR), Jean
Montagnac, ceux du directeur de
l’Agence régionale de santé, Phi­
lippe De Mester, ou le départ hâtif
des quelques habitants très en
colère qui ont calmé les esprits.
Peut­être un peu des trois.
C’est en tout cas l’avis de Cali Ca­
vanelli, 50 ans, qui propose depuis
trois jours du café aux gendarmes
postés sur la petite route. La veille,
son mari les avait invités pour
boire un verre à la maison. « Au dé­
part, quand je les ai vus se laver les
mains, je lui ai dit : mais tu es fou,
on ne sait pas s’ils n’ont pas des
avec sa prescription, le personnel
s’est tenu à distance : les gens qui
reçus à l’hôpital de Huangshi.
allée à Wuhan, et je n’avais aucun
l’hôpital n’acceptait aucun patient
passé par Wuhan, s’agace
Mme Chen. Mon état s’est déjà dété­
rioré, c’est une question de vie ou
de mort ! Il n’y a plus de transports
publics, je suis trop faible pour aller
à l’hôpital à pied, et maintenant,
j’ai peur d’être infectée si j’y vais. »
Au moment où la Chine dit être
capable de construire un hôpital
en une dizaine de jours, les situa­
tions de Chen Wantao et de Chen
Xiaofeng (sans relation entre elles)
illustrent le désarroi des Chinois
face à la maladie. Dans ce pays où
la médecine de ville n’existe pas,
l’hôpital public est au cœur du sys­
tème de soins. Qu’ils aient un can­
cer ou une bronchite, c’est là que se
rendent les Chinois. Dans des im­
menses hôpitaux publics où les
patients se sentent le plus souvent
perdus. « Il ne faut jamais aller à
l’hôpital seul, confie une mère de
famille pékinoise. Il faut au moins
être deux pour ne pas perdre sa
place dans la liste d’attente tout en
courant à droite et à gauche faire
les différentes démarches. »
Plusieurs heures voire plusieurs
jours d’attente sont nécessaires
pour voir un spécialiste quelques
minutes. « Le nombre de consulta­
tions par jour et par médecin varie
entre 60 et 80. Quand l’hôpital est
fortement renommé, ce chiffre at­
teint 100 patients par jour et par
médecin et jusqu’à 200 patients les
jours de pic », décrivait Carine
Milcent, chercheuse au CNRS
dans la revue Perspectives chinoi­
ses fin 2016. Si la Chine continue
de consacrer une part relative­
ment faible de son produit inté­
rieur brut aux dépenses de santé
(environ 5 %), la forte croissance
de celui­ci depuis vingt ans s’est
accompagnée d’une amélioration
spectaculaire de l’offre de soins.
« Le problème est que cet argent
est mal utilisé. La Chine a énormé­
ment progressé dans les infras­
microbes ! Et puis j’ai réalisé que ça
ne sert à rien. Il ne faut pas être in­
sensible au malheur des autres. »
« Ils ont le droit au repos.
Qu’est­ce que vous voulez qu’il ar­
rive ? », interroge Magalie, une voi­
sine de 69 ans. Cette retraitée re­
fuse tout de même de donner son
nom de famille, par peur de repré­
sailles « de ceux qui sont vraiment
remontés et qui n’apprécieraient
pas qu’on dise que tout va bien ».
Emplacement isolé
Dès vendredi, la pharmacie de
Carry­le­Rouet a été dévalisée de
ses masques. Certains riverains
regardaient d’un air méfiant les
chiens, chats et tourterelles qui,
eux, pourraient s’aventurer dans
la zone de confinement. Lors de la
réunion d’urgence organisée par
la mairie dans une salle commu­
nale, vendredi soir, certains
s’étaient insurgés que les rapa­
tructures médicales – mais pas
assez dans les personnels. On
manque de professionnels quali­
fiés. En partie parce que l’hôpital
est une structure publique et que
les médecins sont peu payés »,
explique Cai Jiangnan, président
de la China Healthcare Innova­
tion Platform Academy.
Défiance des patients
Résultat : « Il y a de nombreux des­
sous­de­table et de potentiels con­
flits d’intérêts entre le corps médi­
cal et les patients », poursuit­il.
Pour augmenter leurs revenus et
ceux de la structure qui les em­
ploie, il est de notoriété publique
que nombre de médecins ont ten­
dance à prescrire trop de médica­
ments. D’où une défiance des pa­
tients à l’égard du personnel hos­
pitalier qui se traduit notamment
par un nombre élevé d’actes de
violence à l’égard du corps médi­
cal. Entre la fouille à l’entrée de
l’hôpital et un bracelet­alarme qui
permet aux personnels soignants
d’appeler la police en cas de pro­
blème, chaque structure cherche
le meilleur moyen d’y faire face.
Par ailleurs, se soigner coûte
cher. Si 95 % des patients bénéfi­
cient d’une couverture de base,
les restes à charge sont prohibi­
tifs : 36 % des frais médicaux sont
payés par les patients chinois, se­
lon les chiffres de l’OMS en 2017.
Il n’est pas rare qu’une personne
atteinte d’une grave maladie
doive emprunter de l’argent
auprès de ses proches pour se
soigner. Pour Cai Jiangnan, la so­
lution passe par la création de
« médecins de famille » généralis­
tes et par une part plus grande
accordée au secteur hospitalier
privé qui, pour le moment, joue
un rôle secondaire dans l’offre de
soins. « Si la santé est une priorité
du gouvernement, son idéologie le
pousse à voir la santé uniquement
comme un bien public », déplore
ce spécialiste. Comme le SRAS,
l’actuelle épidémie va sans doute
contraindre la Chine à repenser à
nouveau son système de santé. 
frédéric lemaître
et simon leplâtre
triés « ne soient pas plutôt parqués
dans des bateaux », loin des terres.
Mais dimanche, sur la plage, des
familles s’installent comme tous
les week­ends. Joëlle Botella et son
fils, Tom Cavalier, restaurateurs
sur le port, demandent l’autorisa­
tion de livrer des oursins aux rapa­
triés « en geste de soutien ». La sta­
tion fête le début de son « oursi­
nade », un mois consacré au fruit
de mer, une tradition vieille de
soixante ans dans cet ex­village de
pêcheurs. Les gendarmes se con­
certent, mère et fils patientent – et
le plateau finira par passer la bar­
rière, avec un chaleureux « Merci »
des hommes postés à l’entrée.
« Moi aussi, j’ai flippé, au début,
concède Tom Cavalier. Mais en
vrai, ça va. Ceux qui étaient à l’ori­
gine de la psychose sont partis. »
Mais, alors que les choses sem­
blent s’apaiser à Carry­le­Rouet, la
tension est montée à 40 km de là,
En France, 150 chambres
d’isolement disponibles
pour l’accueil des patients
Les autorités sanitaires se disent prêtes
à faire face à une multiplication des cas
F ace au risque de propaga­
tion du coronavirus, les
autorités sanitaires françai­
ses ont jusqu’à présent privilégié
une stratégie de « barrage ». Tous
les cas confirmés – six à ce jour,
dont cinq en Ile­de­France – ont
été immédiatement isolés dans
des chambres étanches, à pres­
sion négative, dans lesquelles l’air
ne peut que rentrer. Selon la
direction générale de la santé
(DGS), trente­six établissements
de santé sont aujourd’hui identi­
fiés en métropole et en outre­mer
comme immédiatement aptes à
prendre en charge des cas confir­
més « dans des conditions de sécu­
rité maximales », en raison no­
tamment de la présence en leur
sein d’un laboratoire de diagnos­
tic microbiologique (dit LSB3).
Au sein des services de maladies
infectieuses et tropicales et/ou de
réanimation de ces trente­six éta­
blissements, ce sont 150 chambres
d’isolement qui sont aujourd’hui
disponibles pour accueillir des cas
avérés. En Ile­de­France, les hôpi­
taux parisiens Bichat et Pitié­Sal­
pêtrière disposent par exemple
chacun de sept lits adultes, tandis
qu’une dizaine d’enfants pour­
raient être pris en charge à l’hôpi­
tal Necker. Cette capacité d’accueil
(quatorze places adultes en Ile­de­
France) pourrait toutefois vite
paraître limitée en cas de multipli­
cation du nombre de cas.
« Dispositifs complémentaires »
« En cas de nécessité d’assurer
conjointement la prise en charge
de nombreux patients, des dispo­
sitifs complémentaires de renfor­
cement de l’offre hospitalière
seraient mis en œuvre dans les
régions en fonction de l’impor­
tance de l’épidémie », promet la
DGS. En Ile­de­France, une
quarantaine de chambres à
pression négative supplémentai­
res pourraient être dégagées,
dont certaines à l’hôpital Henri­
Mondor, à Créteil, portant leur
total à plus de cinquante, annon­
ce­t­on à l’Assistance publique­
Hôpitaux de Paris (AP­HP).
Si davantage de cas devaient
être reconnus, « nous ne serions
à Aix­en­Provence, le deuxième
site choisi par le gouvernement
pour héberger les nouveaux mis
en quarantaine. Dimanche après­
midi, un avion avec 65 Français à
bord a atterri à Istres. Ses passa­
gers ont été acheminés vers l’Ecole
nationale supérieure des officiers
de sapeurs­pompiers (Ensosp)
d’Aix­en­Provence. D’après les
premiers tests réalisés, aucun
n’aurait été contaminé par le coro­
navirus, selon des déclarations
d’Adrien Taquet, secrétaire d’Etat
auprès de la ministre de la santé.
L’établissement, situé dans la
zone artisanale des Milles, a été
choisi pour son emplacement re­
lativement isolé. La mairie, qui af­
firmait avoir « appris par la
presse » la nouvelle, s’est d’abord
fendue vendredi d’un communi­
qué véhément. « Je suis d’autant
plus inquiète qu’il s’agit d’un virus
dont on n’a pas déterminé précisé­
0123
MARDI 4 FÉVRIER 2020
SI DAVANTAGE DE CAS 
DEVAIENT ÊTRE 
RECONNUS, « NOUS 
NE SERIONS PLUS EN 
STRATÉGIE DE BARRAGE, 
MAIS DE PRISE EN CHARGE 
DE L’ÉPIDÉMIE »
FRANÇOIS CRÉMIEUX
directeur général adjoint
de l’AP-HP
plus en stratégie de barrage, mais
de prise en charge de l’épidémie »,
explique François Crémieux, le
directeur général adjoint de
l’AP­HP. Depuis une semaine, les
infectiologues, biologistes et ur­
gentistes du groupe hospitalier
se préparent à cette éventualité,
« tout en faisant le pari que la
stratégie de barrage fonctionne ».
En cas de besoin, le dispositif de
prise en charge pourrait être
étendu « à l’ensemble des services
de maladies infectieuses, voire
des autres services de médecine »,
précise M. Crémieux. Autrement
dit, des chambres individuelles
standard simples – et non plus
des chambres à pression néga­
tive – pourraient être réquisi­
tionnées, le personnel soignant
étant alors tenu de respecter un
strict protocole de protection,
avec masque et surblouse.
Troisième étage du dispositif,
dans l’hypothèse où le nombre de
cas se révélerait vraiment impor­
tant, les autorités sanitaires pour­
raient abandonner la stratégie
d’une prise en charge hospitalière
systématique et choisir une prise
en charge ambulatoire. « Si on
était dans une situation qui deve­
nait vraiment épidémique et qu’on
se retrouvait débordés, ce qui n’est
pas impossible, on demanderait
aux gens présentant des formes bé­
nignes de rester confinés chez eux
pendant quelques jours et de por­
ter un masque », assure François
Bricaire, infectiologue et membre
de l’Académie de médecine. 
françois béguin
ment la période d’incubation et la
dangerosité », écrivait la maire (LR)
d’Aix, Maryse Joissains.
Dimanche, et après avoir eu le
préfet des Bouches­du­Rhône et la
ministre de la santé, Agnès Buzyn,
au téléphone, l’élue est revenue
sur ses propos. « J’ai fait des criti­
ques parce que je ne savais pas ce
qui se passait », a­t­elle dit aux
journalistes devant l’Ensosp. Pré­
cisant qu’elle ne souhaite pas que
ces « réfugiés » se sentent « fli­
qués », elle a tout de même insisté
sur le besoin « de bien vérifier le
contrôle des issues », tout en affir­
mant que le « suivi médical des per­
sonnes la rassurait grandement ».
Quant aux rumeurs de salariés
de la zone artisanale qui auraient
prévu, lundi, d’exercer leur droit
de retrait, l’élue veut les tranquil­
liser : une réunion publique sera
organisée mardi. 
sofia fischer
0123
MARDI 4 FÉVRIER 2020
Amélie de Montchalin,
le 7 janvier, à l’Elysée.
JACQUES DEMARTHON/AFP
Après le Brexit, un « délitement
pernicieux peut se produire »
La secrétaire d’Etat aux affaires européennes, Amélie de Montchalin, pose
ses conditions à un accord rapide sur la relation future entre Londres et l’UE
ENTRETIEN
bruxelles ­ bureau européen
A
mélie de Montchalin,
34 ans, est secrétaire
d’Etat chargée des af­
faires européennes du
gouvernement français depuis
mars 2019. Cette économiste, di­
plômée de HEC, a été brièvement
députée (LRM), membre de la
commission des finances, avant
de succéder à Nathalie Loiseau.
Le Royaume­Uni est sorti
de l’UE le 1er février et souhaite
parvenir à un accord sur sa
relation future avec les Vingt­
Sept avant le 31 décembre.
Cela vous semble­t­il possible ?
Nous ne sacrifierons pas l’accord
sur notre relation future avec le
Royaume­Uni – son contenu, ses
équilibres et les garanties qu’il ap­
portera – sous prétexte qu’il fau­
drait signer coûte que coûte avant
onze mois. Sur le plan commer­
cial, le degré d’ouverture que nous
pourrions consentir dépend du
degré de convergence, normative
et réglementaire, auquel le Royau­
me­Uni consentira pour l’agricul­
ture, l’environnement, le social, la
fiscalité, les normes sanitaires, les
aides d’Etat… Si Londres accepte
un alignement réglementaire, on
pourra signer avant le 31 décem­
bre. Si l’on nous demande de tout
retricoter, alors il faudra prendre
le temps nécessaire pour y arriver.
Mais Boris Johnson refuse
l’alignement réglementaire
et l’idée de négocier
au­delà du terme fixé…
Le mandat octroyé à Michel Bar­
nier [chargé de négocier pour
l’Union européenne] doit dire :
d’accord pour zéro tarif et zéro
quota, mais alors aussi zéro dum­
ping. Ce qui ne veut pas dire, j’in­
siste, zéro contrôle douanier. Au­
delà du problème commercial, il y
a les questions de pêche, de sécu­
rité, de défense, de transport aé­
rien… Nous ne serons d’accord sur
rien tant qu’il n’y aura pas d’ac­
cord sur tout. Il n’est pas question
de saucissonner les négociations.
Et donc de risquer que
les Vingt­Sept se divisent,
puisqu’ils n’ont pas tous
les mêmes intérêts…
Des experts des Etats membres
se sont déjà réunis et ont per­
mis de recenser les problèmes
à résoudre. Il est apparu qu’il
y avait très peu de distance en­
tre les Vingt­Sept, ou entre eux
et la Commission. C’est notre in­
térêt, et celui de nos concitoyens,
de rester unis et d’être clairs
dans ce que nous demandons au
Royaume­Uni.
Nous devons surtout conserver
l’exigence absolue d’une action
européenne qui ne soit pas
paralysée par cette négociation
sur le Brexit. La Commission doit
sortir de la logique de celles qui
l’ont précédée : des stratégies et
des ambitions qu’on se fixe, mais
pas toujours les moyens suffi­
sants pour les atteindre.
Y a­t­il donc, en bout de ligne
du Brexit, un risque d’affaiblis­
sement pour l’Union ?
Bien sûr. Mais le risque n’est pas
vraiment le Brexit, c’est l’incapa­
cité à répondre concrètement aux
objectifs fixés : « l’Europe qui pro­
tège sa souveraineté », « l’Europe
puissance, et puissance indus­
trielle »… Désormais, il faut faire.
Il nous faut les résultats concrets
de ce que l’on décide. Il faut donc,
certes, savoir comment on négo­
ciera avec les Britanniques mais
également, durant ces onze mois,
être capable de dire aux gens que
ce qui a pu nourrir la campagne
pour le Brexit ne trouvera pas de
ferment dans d’autres pays. Le dé­
litement pernicieux peut se pro­
duire si nous n’accélérons pas no­
tre capacité à mettre en œuvre
nos projets, nos objectifs et nos
ambitions. Le Brexit va alimenter
les fantasmes de ceux qui, ici ou
là, veulent que leur pays sorte de
l’Europe. Si l’Europe est tétanisée,
elle leur donnera des arguments.
Les premiers doutes
quant à la capacité à mettre
en œuvre le Green Deal
apparaissent. A tort ?
Ce projet nous oblige à la cohé­
rence. Il faut mettre de l’argent
dans le budget pour le climat et
l’environnement. Nous devrons
être cohérents, aussi, sur le
plan commercial : si l’on veut
opérer une véritable transition
agro­environnementale, on ne
pourra pas, sous prétexte d’une
« On ne peut
pas applaudir
Greta Thunberg
le lundi et dire, le
mardi, à Donald
Trump : “on va
faire un accord” »
prétendue raison supérieure,
signer un accord avec les Améri­
cains qui voudraient abaisser
nos standards.
Pourtant, Ursula von der Leyen,
la présidente de la Commis­
sion, veut se rendre à Washing­
ton pour relancer les négocia­
tions sur un accord commer­
cial, aujourd’hui à l’arrêt…
On ne peut pas applaudir [la mi­
litante suédoise] Greta Thunberg
le lundi et dire, le mardi, au [prési­
dent américain] Donald Trump :
« on va faire un accord ». La France
est claire sur ce point et il faudra
que la Commission européenne
reste très vigilante.
Les discussions s’annoncent
rudes sur le futur budget
européen, pour la période 2021­
2027, alors qu’il représentera
quelque 1 % du PIB des Etats
membres. N’est­ce pas ridicule ?
Il faudra un budget à la hauteur
de nos ambitions. Il est prévu que
25 % du budget soit consacré à la
lutte contre le réchauffement cli­
matique, ce chiffre doit monter à
30 % au moins. Il faut aussi consa­
crer 10 % du budget à la biodiver­
sité et à la lutte contre la pollu­
tion. Que fait­on, en outre, pour
les revenus des agriculteurs, l’in­
novation pour la transition écolo­
gique, l’intelligence artificielle, le
soutien aux PME ?
Où en est le projet de punir
budgétairement – en limitant
les fonds de cohésion ou régio­
naux auxquels ils peuvent pré­
tendre – les pays qui ne respec­
teraient pas l’Etat de droit ?
Un budget, c’est un outil politi­
que. La conditionnalité, sur la
convergence sociale ou l’Etat de
droit, s’inscrit dans cette logique.
Il semble assez logique qu’un
pays qui ne respecte pas ces
conditions ne bénéficie par de
l’intégralité de son enveloppe.
Peut­on vraiment croire à
« l’Europe puissance » que vous
évoquiez quand on voit les
derniers développements à
propos de la Libye ou de l’Iran ?
Pas de défaitisme ! Sur l’Iran,
nous continuons de tenir un dis­
cours commun. Sur la Libye, c’est
à Berlin que s’est déroulé le récent
processus diplomatique…
Qui a prôné un cessez­le­feu,
qui n’est pas appliqué…
Le sujet, c’est effectivement
notre capacité à mettre en œuvre
ce qui est dit, que ce soit la relance
de la mission « Sophia » et la nou­
velle mission dans le détroit
d’Ormuz. La Commission doit
nous aider à aller plus vite. Je ne
suis pas certaine, par ailleurs, que
sur tous les sujets il faille une
expression systématique des
Vingt­Sept. Un nombre limité de
pays peut désormais agir et por­
ter une voix européenne.
La Commission promet un
vaste plan pour la migration.
Qu’en attendez­vous ?
Que l’on sache qui se présente
aux frontières, avec une véritable
stratégie de lutte contre la migra­
tion illégale et économique, et
donc contre les passeurs. Deuxiè­
mement, un système d’asile com­
mun qui évite les actuels mouve­
ments entre pays européens.
Troisièmement, l’instauration
d’une véritable solidarité entre les
pays pour l’accueil des personnes
en demande de protection, cou­
plée à une politique de renvoi.
Quatrièmement, une politique
d’aide au développement dans les
pays d’origine et de transit.
La solidarité, une série de pays,
à l’Est, n’en veulent pas…
La discussion a été bloquée par
la discussion sur la relocalisation
obligatoire, les quotas, etc. Mais
personne ne conteste le caractère
indispensable de règles commu­
nes pour l’asile, et le principe de
solidarité doit trouver à s’appli­
quer dans tous les pays. 
propos recueillis par
virginie malingre
et jean­pierre stroobants
international | 5
Opération « Barkhane » :
600 militaires en renfort
La France cherche à répondre à la pression
des groupes djihadistes au Sahel
P révu depuis plusieurs se­
maines par l’état­major, va­
lidé dans ses modalités par
le président de la République, Em­
manuel Macron, en conseil de dé­
fense le 29 janvier, le renforce­
ment en effectifs de l’opération
française « Barkhane » au Sahel a
été détaillé, dimanche 2 février,
par la ministre des armées, Flo­
rence Parly. Ce seront 600 militai­
res de plus, ce nombre incluant les
220 légionnaires déjà confirmés
lors de ses vœux aux armées par le
chef de l’Etat. « Il s’agit d’un effort
pour les armées françaises », a sou­
ligné le communiqué ministériel.
A quoi ces renforts serviront­
ils ? D’abord à concentrer les
coups contre le groupe Etat isla­
mique dans le grand Sahara, qui
sévit dans la région dite des « trois
frontières », aux confins du Mali,
du Niger et du Burkina Faso. Les
nouveaux effectifs français, ajou­
tés aux deux groupements tacti­
ques déjà engagés sur le terrain et
à trois bataillons de 600 hommes
de la force du G5 Sahel, condui­
ront à un total de 2 500 militaires
capables de ratisser la zone.
Le but est de pouvoir « augmen­
ter le tempo des opérations », pré­
cisait­on, dimanche, au ministère
des armées. Mais aussi de rendre
la manœuvre terrestre des Fran­
çais plus efficace ainsi que de fa­
voriser l’accompagnement des
forces africaines.
Situation sécuritaire dégradée
Parmi les quelque 400 nouveaux
militaires déployés, un groupe
de combat des forces spéciales,
50 hommes environ, viendra
former « le noyau de Takuba », la
petite coalition européenne de
commandos que Paris tente de­
puis des mois de faire naître. Une
vingtaine d’aviateurs serviront
le nouveau drone Reaper at­
tendu par ailleurs à Niamey.
Il n’est pas, en revanche, prévu
de nouveaux moyens aériens, no­
tamment en hélicoptères, préci­
se­t­on à Paris. Les sources minis­
Un ex­détenu auteur
d’une attaque à Londres
Boris Johnson veut durcir les règles
de détention des condamnés pour terrorisme
londres ­ correspondante
L ondres a connu une nou­
velle attaque terroriste di­
manche 2 février. Il était
14 heures, à Streatham, quand un
homme armé d’une machette,
s’en est pris aux passants de ce
quartier animé du sud de Lon­
dres, faisant trois victimes, dont
une dans un état sérieux. Porteur
d’une fausse ceinture explosive, il
a été très rapidement abattu par
des policiers en civil. Comme fin
novembre 2019, lors du drame du
London Bridge, qui avait fait deux
morts (deux jeunes victimes, tout
juste diplômées de l’université),
l’auteur de l’attaque venait d’être
libéré de prison, ce qui n’a pas
manqué de relancer le débat sur la
justice antiterroriste au Royau­
me­Uni. « Pourquoi l’ont­ils laissé
sortir ? », titrait déjà le Daily Mail
dans son édition du 3 février.
« Il était sous surveillance »
Boris Johnson, qui devait pronon­
cer son premier discours post­
Brexit sur la relation future entre
Royaume­Uni et Union euro­
péenne (UE) lundi, devait aussi, à
l’occasion, insister sur sa volonté
de durcir les conditions d’empri­
sonnement des personnes con­
damnées pour terrorisme. « Nous
Pour le ministère
des armées, le but
est de pouvoir
« augmenter
le tempo
des opérations »
térielles assurent, en outre,
qu’aucune autre mission, ou opé­
ration, n’a dû être dégarnie pour
réaliser ce petit renfort.
La situation sécuritaire du Sahel
est très dégradée, comme vient à
nouveau de le rappeler le secré­
taire général des Nations unies
(ONU), Antonio Guterres, dans un
rapport. Les pays du Sahel ont
perdu 1 500 soldats en 2019, les
pertes les plus élevées depuis
2012, date à laquelle les djihadis­
tes avaient manqué de faire tom­
ber la capitale du Mali, Bamako.
Le bilan se monte à 4 000 civils
tués en 2019, ajoute l’ONU. En
concentrant les moyens sur les
trois frontières, l’état­major es­
père des résultats visibles, que le
président Macron lui a deman­
dés. Les renforts « nous font espé­
rer qu’on va obtenir une bascule »,
avait indiqué à la presse le général
François Lecointre, chef d’état­
major des armées, le 22 janvier.
Les groupes islamistes mena­
cent l’Afrique de l’Ouest franco­
phone, et l’état­major français,
avec la direction de la coopération
de sécurité et de défense du minis­
tère des affaires étrangères, ont
déjà un œil sur les frontières du
Togo, du Bénin, de la Côte d’Ivoire
et de la Guinée. Récemment, des
éléments armés venant du Bur­
kina ont été repoussés à la fron­
tière du Togo. « Parmi les groupes
armés ou les trafiquants locaux, on
commence à avoir des gens qui se
revendiquent des groupes du nord
de la région, et qui adaptent leurs
modes d’action », explique une
source militaire. 
nathalie guibert
allons annoncer des réformes fon­
damentales concernant la prise en
charge des terroristes », a annoncé
le premier ministre dimanche.
L’homme abattu par la police di­
manche s’appelait Sudesh Am­
man – son identité a été confirmée
par les autorités en soirée. Il avait
20 ans, était sorti de prison quel­
ques jours plus tôt, après n’avoir
effectué que la moitié de sa peine.
Il avait été condamné en 2018 à
trois ans et quatre mois d’enfer­
mement, à l’âge de 18 ans, pour dif­
fusion de matériel terroriste et col­
lecte d’informations utiles à l’or­
ganisation d’attaques terroristes.
« Il était sous surveillance, c’est la
raison pour laquelle la police est
intervenue si rapidement, a confié
une source ministérielle au Guar­
dian : cela aurait pu être bien pire
que cela n’a été. » Fin janvier, le
gouvernement Johnson a déjà
présenté devant la Chambre des
communes un projet de loi visant
à mettre fin à la libération auto­
matique de prison des condam­
nés pour faits de terrorisme, qui
devraient à l’avenir purger au
moins les deux tiers de leur peine.
Le premier ministre a aussi pro­
mis le recrutement de 20 000
nouveaux policiers dans les cinq
prochaines années. 
cécile ducourtieux
 0123
6 | international MARDI 4 FÉVRIER 2020

« Je ne vis plus à Jérusalem, mais dans une prison »

Le « plan de paix » américain restreint la souveraineté de l’Autorité palestinienne sur la périphérie est de la ville

jérusalem ­ correspondant
L’Autorité

B
ienvenue à Jérusalem ! A
l’extrémité nord de la
ville, derrière les tourel­
les de garde et les barbe­
lés israéliens, derrière les voitures
qui s’agglutinent au point de pas­
sage vers les territoires palesti­
niens de Kalandia, on aperçoit
une zone industrielle en déshé­
rence, une usine de séparation
des déchets et un aéroport aban­
donné… Dans ce décor de fin du
monde, la « vision » de Donald
Trump pour une « paix » israélo­
palestinienne a délimité, le plus
sérieusement du monde, une
« zone touristique spéciale » ré­
servée à la future capitale de Pa­
lestine. C’est voir loin.
Capitale confetti, capitale crou­
pion ou dépotoir… L’administra­
tion Trump, qui a reconnu la sou­
veraineté israélienne sur l’en­
semble de Jérusalem, mardi
28 janvier, a concédé à l’Autorité
palestinienne une souveraineté
réduite comme peau de chagrin
sur la lointaine périphérie orien­
tale de la ville. Elle entend rejeter
l’essentiel de la future capitale
palestinienne derrière le mur de
séparation. Elle maintient le con­
trôle des forces de sécurité israé­
liennes sur les lieux saints. Elle
ampute au passage la ville d’une
part de sa population arabe, qui
menace sous peu de supplanter
la majorité juive.
Deuxième étape : le Parlement
de Palestine. Héritage des ac­
cords d’Oslo de 1993, ce bâtiment
est juché sur la colline d’Abou
Dis, à l’est, derrière des monts de
terre herbeuse, où le calcaire af­
fleure. Jamais achevée, la struc­
ture moderniste tapissée de
pierre jaune, aux ouvertures
béantes, est aujourd’hui un re­
fuge pour les pigeons.
Le plan de partage selon l’administration Trump
Jérusalem
capitale « une
et indivisible »
de l’Etat israélien
Abou Dis
capitale
hypothétique
du futur Etat
palestinien
Limite
de la municipalité
de Jérusalem
Barrière
p de séparation
ogie
capitale
« indivisible ».
palestinienne
hériterait moins
d’une capitale
que d’un
indémêlable
sac de nœuds
du Likoud, le parti au pouvoir,
monte chaque semaine depuis
2005 au mont du Temple, sur l’es­
planade des Mosquées pour les
musulmans. Il rêve de l’édifica­
tion d’un nouveau temple juif
sur le lieu saint.
Pour lui, le plan Trump « est un
pas merveilleux dans le processus
de rédemption du peuple d’Israël,
qui revient chez lui sans verser une
goutte de sang ». Le plan améri­
cain appelle à terme à instaurer
une liberté de prière pour toutes
les religions sur le mont. Tous
peuvent le visiter aujourd’hui,
mais seuls les musulmans sont
Sur la colline d’Abou Dis autorisés à s’y recueillir. Ce « statu
(Cisjordanie), le 29 janvier. quo », des militants comme
EMMANUEL DUNAND/AFP M. Glick ne cessent de l’entamer.
Entre leurs mains, le texte amé­
ricain est explosif. « Il emploie le
vocabulaire de l’extrême droite
En contrebas, le maire d’Al­ Un panneau rouge israélien cinq ans sur cette enclave, à l’om­ salem, soit 120 000 à 140 000 per­ sioniste religieuse, et celui de leurs
Aizaria, Issam Faroun, déplie le borde la route qui lie Al­Aizaria et bre du mur de séparation. Quel­ sonnes. Derrière le mur de sépara­ soutiens évangéliques améri­
journal et une carte, qu’il étudie Maalé Adoumim, signalant l’en­ que 900 familles s’y entassent tion, mais dans les limites admi­ cains. L’accepter serait un sui­
depuis mardi. Sa ville, la Bétha­ trée dans une zone à haut risque. Si dans des immeubles construits nistratives de la ville, c’est un sas cide », résume l’analyste palesti­
nie de la Bible, est située au beau Israël finit par annexer les territoi­ sans permis. Ce château de cartes d’éviction. L’épuisement, le chô­ nien Mahdi Abdul Hadi, membre
milieu d’un futur Etat de Pales­ res qu’il occupe en Cisjordanie de­ est situé dans les limites de la mage ou une violence sans con­ du comité suprême du Waqf, la
tine. La vieille route de Jéricho la puis la guerre de 1967, comme l’y municipalité de Jérusalem, c’est­ trôle dans le quartier poussent ses fondation pieuse jordanienne
traverse : le principal axe de com­ autorise à terme la « vision » amé­ à­dire en théorie sous souverai­ habitants un à un à accepter leur qui gère l’esplanade.
munication qui lie les territoires ricaine, les pavillons blanc et rouge neté israélienne. défaite, et à partir vers la Cisjorda­ Dès jeudi, l’ambassadeur améri­
du Nord et du Sud. « C’est un gou­ des colons de Maalé Adoumim se­ « Pour nous, ici, c’est Jérusalem. nie. La « vision » américaine les y cain en Israël, David Friedman, est
let d’étranglement », dit­il en sou­ raient les premiers à rejoindre le Tous nos liens vont vers la ville : éjecterait tous d’un seul bloc. revenu sur cette proposition : le
pirant. Depuis 1977, la colonie is­ territoire israélien. Depuis le week­ mon travail, les écoles des enfants, statu quo sur les lieux saints serait
raélienne voisine de Maalé end des 1er et 2 février, le gouverne­ la clinique de ma mère », dit Nihal « Accepter serait un suicide » respecté, jusqu’à ce qu’une solu­
Adoumim a grignoté son terri­ ment signale qu’il pourrait opérer Mukahal, la quarantaine, mère de « Je ne vis déjà plus à Jérusalem, tion négociée au conflit soit trou­
toire, à l’est. ainsi, ville par ville. cinq enfants et mariée à un Palesti­ mais dans une grande prison », es­ vée. Mais ce discret pas en arrière
nien de Cisjordanie. Mme Mukahal time, résigné, Maher Abou Al­ n’a pas rassuré Amman, dont le
Sas d’éviction a peur que le plan Trump ne lui re­ Saed, administrateur scolaire, plan Trump ne mentionne pas la
Kalandia A Al­Aizaria, environ 10 000 an­ tire sa carte de résidente. En 2019, derrière l’unique entrée de son souveraineté sur les lieux saints.
ciens résidents des quartiers pa­ sa mère a fait un arrêt cardiaque. quartier. Un commissariat de po­ M. Glick veut croire que le pre­
Abou Dis, capitale
lestiniens de hypothétique
Jérusalem­Est, con­ Aucune ambulance ne vient à Al­ lice israélien est caché derrière mier ministre, Benyamin Néta­
quis et annexésdu par Israël
futur Etaten 1967, Chayah : la famille a foncé seule ces barrières, mais ni la police ni nyahou, « appliquera le plan » s’il
chassés par la palestinien
pression immobi­ sur la route des colonies. les éboueurs n’entrent à Choua­ est réélu lors des législatives israé­
lière, travaillentselon le plan Trump « Ici, les gens se convainquent
Chouafat encore à Jérusa­ fat. La drogue et les armes circu­ liennes, prévues le 2 mars. De re­
lem et y paient leurs taxes. « Le pire qu’ils vivent encore à Jérusalem. Ça lent librement. Avec ces enclaves, tour d’une tournée dans des égli­
Les Palestiniens
Vieille qui pourrait leur arriver, ce serait leur permet de tenir. Mais que se l’Autorité palestinienne hériterait ses évangéliques du Texas, qui fi­
n’auraient le droit
Ville que les autoritésd’installer
israéliennes les si­ passera­t­il quand ils sauront que moins d’une capitale que d’un in­ nancent ses activités, celui­ci re­
Al-Aizaria leur capitale
Maalé tuent ici et leurque
enlèvent leur carte ce n’est plus le cas ? », interroge la
dans un « Jérusa- démêlable sac de nœuds, relégué partira à Washington, jeudi, pour
JÉRUSALEM de résident », soupire
lem-Estle» maire.
composé de sœur de M Mukahal, Suheir. par l’Etat hébreu hors de sa vue. un traditionnel petit déjeuner na­
me
Ouest Est Adoumim
C’est aussi la promesse faite par
quartiers situés au-delà Cette calamité pèse sur le camp de Dimanche 2 février, à quelques tional de prière, en présence de
le plan Trump auxde
du mur habitants
séparation,d’Al­ réfugiés de Chouafat, un peu plus kilomètres de là, Yehuda Glick M. Trump. Aux côtés d’amis pas­
Chantier abandonné Chayah, une collinedélaissés
pentue par qui au nord. Avec la banlieue voisine est allé prier avec une ferveur teurs, il priera pour la reconstruc­
du Parlement aujourd’hui
2 km
dominelalamunicipalité
ville de M. de Jérusalem.
Faroun. Un de Kafr Aqab, il concentre environ particulière au cœur battant de la tion du Temple. 
palestinien
L’emplacement
quartier neuf a pousséexact de la capitale
depuis un quart de la population de Jéru­ vieille ville. Cet ancien député louis imbert
pourrait être à Abou Dis.

Face à Trump, la Ligue arabe met ses divergences en sourdine

Les Etats membres ont rejeté, au Caire, le plan américain, comme demandé par Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne

beyrouth, jérusalem ­ Fraihat, analyste palestinien basé à façade propalestinienne. L’im­ « Je n’entrerai pas dans l’histoire des Emirats arabes unis et du Ba­ Fort de ce premier succès, Mah­
correspondants Doha. Ce n’était pas gagné du tout. pression d’un effritement des po­ comme celui qui a vendu Jérusa­ hreïn, les deux monarchies du moud Abbas entend poursuivre sa
Le soutien de ses pairs semblait un sitions arabes traditionnelles lem », a grondé le patriarche pa­ Golfe qui se sont le plus rappro­ croisade contre le plan Trump. Il

M ahmoud Abbas ne
pouvait pas rêver
meilleur résultat. La
réunion extraordinaire de la Li­
gue arabe, à laquelle le président
de l’Autorité palestinienne avait
appelé, en réaction à la présenta­
tion du plan de paix de Donald
Trump, a abouti, samedi 1er fé­
vrier, à un rejet ferme et unanime
de ce document très décrié.
L’organisation, réunie à son
siège au Caire, a indiqué dans un
communiqué qu’elle « rejetait l’ac­
cord (…) américano­israélien, étant
donné qu’il ne respecte pas les
droits minimaux et les aspirations
du peuple palestinien ». La Ligue a
ajouté que les dirigeants arabes se
sont engagés « à ne pas coopérer
avec l’administration américaine
pour mettre en œuvre ce plan ».
« C’est un succès pour Abbas, qui a
réussi à réunir de nouveau le
monde arabe autour de la cause
palestinienne, estime Ibrahim
peu vacillant ces derniers jours. »
Dévoilé mardi 28 janvier à la
Maison Blanche par Donald
Trump et Benyamin Nétanyahou,
le premier ministre israélien, le
prétendu « deal du siècle » ac­
corde aux Palestiniens un Etat
croupion, mité par les colonies
juives, amputé de la vallée du
Jourdain, avec, en guise de capi­
tale, de lointains faubourgs de Jé­
rusalem­Est. Un arrangement en
rupture complète avec les termes
de référence du conflit, notam­
ment le plan Abdallah de 2002,
endossé par la Ligue arabe. Ce
texte appelle à la création d’un
Etat palestinien sur les territoires
de 1967, débarrassés des colonies,
avec Jérusalem­Est pour capitale.
Mais la présence à la Maison
Blanche, au milieu des partisans
extatiques de Benyamin Nétanya­
hou, des ambassadeurs émirati,
bahreïnien et omanais, avait ré­
vélé quelques fissures dans cette
s’est accentuée à la lecture des
communiqués de réaction des
différentes chancelleries.
Si plusieurs pays comme la Tuni­
sie, l’Algérie, l’Irak et la Jordanie
n’ont pas caché leur circonspec­
tion, d’autres, très dépendants des
Etats­Unis, comme l’Egypte, l’Ara­
bie saoudite et les Emirats arabes
unis, ont jugé bon de « saluer les ef­
forts » de M. Trump et d’appeler à
la reprise des négociations, sans
faire référence au plan Abdallah.
Argument massue
Mais samedi, dans la vaste salle
de réunion de la Ligue arabe, ces
divergences de vue ont été mises
en sourdine. Le discours offen­
sif de M. Abbas, qui a annoncé la
rupture de toutes les relations, y
compris sécuritaires, entre
l’Autorité palestinienne, d’une
part, et Israël et les Etats­Unis,
d’autre part, a été chaleureuse­
ment applaudi.
lestinien. Un argument massue
sur la scène diplomatique arabe,
que son prédécesseur, Yasser Ara­
fat, avait déjà brandi, à l’issue de
l’échec des négociations de paix
de Camp David, en 2000.
Les ministres des affaires étran­
gères ont récité l’un après l’autre
les éléments de langage habituels
des Etats arabes sur la question pa­
lestinienne. Le chef de la diploma­
tie saoudienne, le prince Fayçal
Ben Farhan, a assuré que cette
cause restait la « priorité » du
royaume et que son soutien à la
création d’un Etat palestinien sur
les territoires de 1967, avec Jérusa­
lem­Est pour capitale restait in­
changé. Son homologue égyptien,
Sameh Choukry, a aussi réaffirmé
le soutien de son pays à la création
d’un Etat palestinien sur la base du
plan de paix arabe.
Les seuls participants à la réu­
nion à s’être un peu écartés de
cette partition sont les ministres
chées d’Israël ces dernières an­
nées, du fait de leur hostilité com­
mune à l’Iran. Tout en soulignant
l’importance des frontières de
1967, ces responsables ont réitéré
leur appréciation du plan Trump,
soulignant qu’il ne s’agissait pas
d’une solution définitive.
Les 22 pays membres de la Li­
gue ont ratifié le communiqué fi­
nal. Il s’agit d’un revers pour l’ad­
ministration américaine, qui es­
pérait sûrement que l’un ou plu­
sieurs de ses alliés rompent le
consensus arabe sur cette ques­
tion. « On peut estimer que c’est
une déclaration de pure forme,
mais rien n’obligeait ces pays à
l’adopter, observe l’analyste Ibra­
him Fraihat. S’ils l’ont fait, c’est
qu’ils estimaient qu’il n’était pas
dans leur intérêt de prendre posi­
tion publiquement contre la Pa­
lestine. Cette cause, quoi qu’on en
dise, conserve sa force dans l’opi­
nion publique arabe. »
devrait plaider dans les prochains
jours devant l’Organisation de la
conférence islamique, l’Organisa­
tion de l’unité africaine et le Con­
seil de sécurité de l’ONU. Sur le ter­
rain, en Cisjordanie, les observa­
teurs s’interrogent sur l’arrêt de la
coordination sécuritaire avec Is­
raël, annoncé par le président pa­
lestinien. Cette mesure, promise à
plusieurs reprises, n’a jusqu’ici ja­
mais été mise à exécution.
Des membres des services de sé­
curité palestiniens affirmaient,
samedi soir, n’avoir pas reçu l’or­
dre de rompre les contacts avec
leurs homologues israéliens. Dès
mardi, la directrice de la CIA, Gina
Haspel, s’était par ailleurs fait con­
firmer, à Ramallah, par le chef du
renseignement palestinien, Ma­
jed Faraj, et par le ministre des af­
faires civiles, Hussein Al­Sheikh,
que la coopération avec l’agence
américaine se poursuivrait. 
benjamin barthe et l. i.
0123
MARDI 4 FÉVRIER 2020
Irak : la rue
en colère contre
le nouveau
premier ministre
Mohamed Taoufik Allaoui
est soutenu par les formations
chiites au pouvoir
bagdad ­ envoyée spéciale
S
ur la place Tahrir de Bag­
dad, et dans les foyers de
la contestation antipou­
voir dans le sud de l’Irak,
les manifestants ne décolèrent
pas après la désignation, samedi
1er février, du nouveau premier
ministre. Des milliers de contes­
tataires ont encore brandi, di­
manche, de grandes bannières ar­
borant le portrait de Mohammed
Taoufiq Allaoui, barré d’une croix
rouge et de la mention « rejeté par
ordre du peuple ». A leurs yeux, cet
ancien ministre des télécommu­
nications de 65 ans, choisi par les
formations chiites au pouvoir, in­
carne un système politique et une
élite dont ils réclament la chute.
Le responsable politique chiite,
qui se présente comme indépen­
dant, a multiplié les gestes en leur
direction. « Je vous demande de
poursuivre les manifestations, car
si vous n’êtes pas avec moi, je serai
seul et je ne pourrai rien faire », a­
t­il appelé dans une vidéo diffu­
sée samedi sur les réseaux so­
ciaux, leur promettant : « Mainte­
nant, je travaille pour vous. » Dans
une adresse télévisée à la nation,
Mohammed Taoufiq Allaoui a en­
suite promis de former un gou­
vernement représentatif, d’orga­
Un rebelle islamiste syrien soupçonné
de crimes de guerre arrêté en France
Majdi Mustapha Nameh, titulaire d’un visa Erasmus, était membre du groupe Jaych Al­Islam réclame l’accès aux boîtes noires du vol PS752
L a barbe est plus fine. Et, sur
les images qu’il poste sur les
réseaux sociaux, il a troqué
le treillis pour la toge universitaire.
Il se présente comme « un cher­
cheur en sécurité et terrorisme. Spé­
cialisé sur la Syrie », inscrit à l’uni­
versité Karabuk, en Turquie, et col­
laborant au centre d’études Toran
d’Istanbul. Il a également étudié à
Budapest. Majdi Mustapha Na­
meh, 30 ans, a été arrêté à Mar­
seille, le 29 janvier. Il serait présent
sur le territoire depuis trois mois
au titre d’un visa Erasmus dans le
cadre d’un échange universitaire
avec l’université d’Aix­Marseille,
selon la fiche qu’il a publiée il y a
deux mois sur un forum en ligne.
Ancien combattant, dirigeant et
porte­parole de Jaych Al­Islam
(« Armée de l’islam »), le plus puis­
sant groupe rebelle islamiste de la
région de Damas, les familiers de
la guerre en Syrie le connaissent
sous le nom de guerre d’« Islam Al­
louche » – en référence au chef de
guerre Zahran Allouche. Forte de
20 000 hommes, cette faction con­
trôla d’une main de fer des pans
entiers de la région de la Ghouta
après avoir éliminé ses adversaires
et fait main basse sur les ressour­
ces du territoire, assiégé sept ans
durant par les forces du régime sy­
rien. Jaych Al­Islam a été régulière­
ment accusé de commettre des cri­
mes contre les civils ayant vécu
sous son joug de 2011 à 2018.
L’interpellation de l’ex­porte­pa­
role du groupe salafiste et sa mise
niser des élections anticipées, de
lutter contre les ingérences étran­
gères et la corruption et de rendre
justice aux manifestants tués –
543 depuis le 1er octobre, selon un
bilan de la Commission irakienne
pour les droits de l’homme, pu­
blié dimanche.
Le revirement d’Al-Sadr
Ses promesses n’ont pas con­
vaincu les manifestants. « Il est lié
aux partis [au pouvoir], nous ne
voulons pas de lui », juge Abdallah,
un ouvrier de 29 ans, qui campe
sur la place Tahrir depuis le 25 oc­
tobre. Né à Bagdad et ingénieur de
formation, Mohammed Taoufiq
Allaoui a débuté sa carrière politi­
que comme député après l’inva­
sion américaine de 2003. Il a été
un temps membre du bloc laïque
Iraqiya, dominé par les sunnites
et dirigé par son cousin Iyad Al­
laoui. A deux reprises, il a été mi­
nistre des télécommunications
(2006­2007 et 2010­2012) et a dé­
missionné pour protester contre
l’inaction du premier ministre
Nouri Al­Maliki face à la corrup­
tion. Il a ensuite résidé au Royau­
me­Uni et au Liban.
Sa désignation à l’issue d’un ac­
cord entre les formations politi­
ques chiites le condamne davan­
tage aux yeux des protestataires.
Jaych Al-Islam
avait fait défiler
des hommes et
femmes alaouites
enfermés dans
des cages
en examen pour « actes de torture
et complicité », « crimes de
guerre » et « complicités de dispa­
ritions forcées », « marque le début
de la première information judi­
ciaire portant sur les crimes com­
mis en Syrie par le groupe rebelle is­
lamiste », se félicite la Fédération
internationale des droits de
l’homme.
La FIDH, la Ligue des droits de
l’homme, le Centre syrien des mé­
dias (SCM) et les familles d’une
vingtaine de victimes avaient dé­
posé une plainte en juin auprès du
pôle crimes contre l’humanité du
Parquet national antiterroriste.
Jaych Al­Islam est notamment
soupçonné de la disparition de Ra­
zan Zaitouneh, enlevée le 9 dé­
cembre 2013, une figure du soulè­
vement populaire de 2011 et lau­
réate du prix Sakharov remis par le
Parlement européen. Elle avait cri­
tiqué les violations des droits hu­
mains commises par toutes les
parties du conflit.
« Nous avons des éléments qui
nous amènent à penser qu’[Islam
Allouche] a été impliqué dans cet
Manifestation contre
le premier ministre,
Mohammed Taoufiq
Allaoui, place Tahrir,
à Bagdad, dimanche
2 février.
LAURENT VAN DER STOCKT
POUR « LE MONDE »
Après de longues tractations, et
un ultimatum du président Ba­
rham Salih, les coalitions Sairoun,
de Moqtada Al­Sadr, et Al­Fatah,
des chefs des factions armées de
la Mobilisation populaire, l’ont
choisi pour succéder à Adel Ab­
del­Mahdi, qui avait démissionné
sous la pression de la rue, le
29 novembre 2019. La fin du blo­
cage politique doit beaucoup à
l’ultime revirement de Moqtada
Al­Sadr, qui n’a cessé de souffler le
chaud et le froid sur la contesta­
tion, qu’ont rejoint nombre de ses
partisans.
Ses espoirs déçus de s’imposer à
la tête du mouvement, le chef po­
puliste s’est entendu avec ses ri­
vaux politiques chiites pour for­
mer un gouvernement. L’arrivée
sur la place Tahrir, samedi, des
gros bras de la milice Brigades de
la paix (Saraya Al­Salam) de
M. Sadr a été un message clair
qu’il entendait reprendre en
main la contestation par la force.
Le ministre canadien des affaires étrangères
enlèvement », déclare Mazen
Darwish, avocat et président du
SCM, qui espère que son arresta­
tion permettra de « connaître la vé­
rité sur ce qui est réellement arrivé à
Razan et à ses compagnons » kid­
nappés avec elle, Wael Hamada,
cofondateur des comités locaux
de coordination, le militant Sa­
mira Al­Khalil et l’avocat Nazem Al
Hammadi.
Le président du SCM dit avoir
réuni les témoignages d’autres
victimes qui « impliquent directe­
ment Islam Allouche dans une série
de crimes commis par le groupe »,
dont l’enrôlement d’enfants et le
recours à la torture. Une double
peine imposée à la population, en
plus du siège cruel du régime, et
un rappel de la face sombre de la
militarisation de la révolution.
« Lutte contre l’impunité »
En 2011, en réaction à la répression,
des groupes armés font leur appa­
rition dans l’arrière­pays de la ca­
pitale. Parmi eux, Liwa Al­Islam
(« Brigade de l’islam »), commandé
par un salafiste, Zahran Allouche.
Arrêté et mis en prison en 2009, ce
fils d’un prédicateur exilé en Ara­
bie saoudite a été amnistié en
juin 2011 avec plusieurs centaines
d’autres détenus islamistes.
Alors que le régime étrangle la
Ghouta, Zahran Allouche émerge
du chaos. Sa brigade est devenue
l’« Armée de l’islam ». Autoritaire
et dévot, bénéficiant de fonds en
provenance des pays du Golfe, il
Le premier
ministre a promis
de rendre justice
aux manifestants
tués – 543 depuis
le 1er octobre
Coiffés de casquettes bleues, la
mine patibulaire, des centaines
de miliciens ont repris le « restau­
rant turc », le donjon du sit­in,
chassant ses occupants à coups de
tubes métalliques. Des manifes­
tants ont témoigné au Monde
avoir été aussi chassés de leurs
tentes et battus pour avoir brandi
des bannières contre M. Allaoui.
Dimanche, après un message de
Moqtada Al­Sadr appelant à un re­
tour à la normale, des centaines de
miliciens sadristes ont continué à
se déployer sur la place Tahrir et
l’ont ouverte à la circulation. Cho­
s’impose en assassinant ou en re­
tenant ses opposants dans ses geô­
les. Celui qui a un jour appelé à
« nettoyer Damas de ces ordures de
chiites et alaouites » fait, défiler
dans les rues des hommes et fem­
mes alaouites enfermés dans des
cages. Des « boucliers humains »
contre les bombardements du ré­
gime, disent ses hommes. Des ota­
ges en fait. Sous la pression de ses
parrains régionaux, le groupe re­
centra par la suite son discours. La
mort de son chef, à l’été 2015, mar­
quera le début de son déclin.
Le travail conjoint du SCM, de la
FIDH et de la LDH avait déjà abouti
à l’émission, par des juges d’ins­
truction français, de mandats d’ar­
rêts internationaux, en octo­
bre 2018, contre trois hauts res­
ponsables de l’appareil sécuritaire
du régime syrien : Ali Mamlouk, Ja­
mil Hassan et Abdel Salam Mah­
moud. Ils sont accusés de « com­
plicité de crimes contre l’huma­
nité », liés à la disparition, à la tor­
ture et à la mort de deux
ressortissants franco­syriens : Ma­
zen et Patrick Dabbagh.
« La lutte contre l’impunité doit
concerner toutes les parties coupa­
bles de crimes de guerre ou de cri­
mes contre l’humanité », estime
Mazen Darwish, qui se félicite du
« travail opiniâtre de la justice fran­
çaise depuis des années et contre
toutes les parties. Ce qui est aussi la
meilleure façon de protéger la
France les Français ». 
madjid zerrouky
international | 7
qués de ce revirement, de nom­
breux manifestants dénoncent
un coup de poignard dans le dos
de la part de Moqtada Al­Sadr. « Il
est contre nous, il ne nous a soute­
nus que pour servir son propre inté­
rêt, critique Saïf, 24 ans. Ici, c’est de­
venu trop dangereux avec les sa­
dristes. On veut rejoindre Nassiriya
[Sud], où la véritable révolution se
poursuit, sans infiltration des mili­
ces ou des partis. »
Les sadristes se défendent de
vouloir étouffer la contestation.
« Nous sommes venus en grand
nombre pour protéger le peuple, à
la fois des agents infiltrés du gou­
vernement qui menacent les ma­
nifestants pacifiques, et des agita­
teurs qui, parmi eux, incendient
des bâtiments publics et bloquent
les écoles », assure Ibrahim Al­Je­
bari, le responsable sadriste en
charge du sit­in. Il dénonce toute­
fois la « feuille de route étrangère »
des manifestants qui rejettent le
nouveau premier ministre, et ap­
Ottawa appelle l’Iran
à la « coopération »
montréal ­ correspondance
I nvité samedi 1er février de
l’émission Internationales sur
TV5 Monde, en partenariat
avec Le Monde, le ministre des af­
faires étrangères canadien, Fran­
çois­Philippe Champagne, a ré­
clamé aux autorités iraniennes
une meilleure coopération dans
l’enquête sur la catastrophe aé­
rienne dans laquelle cinquante­
six citoyens canadiens ont été
tués, le 8 janvier, à Téhéran. « No­
tre enjeu aujourd’hui, c’est d’avoir
accès aux boîtes noires du vol
PS752 », a affirmé M. Champagne.
Si l’Iran a reconnu sa responsabi­
lité « accidentelle » dans le tir des
deux missiles qui ont abattu le
Boeing ukrainien, le pays a refusé
jusqu’ici de confier à un pays tiers
l’examen de ces boîtes noires.
Après une rencontre, la veille, avec
le président de l’Organisation de
l’aviation civile internationale, le
ministre a lancé un appel pour que
Téhéran accepte cette ouverture.
« Enquête criminelle »
M. Champagne s’est dit déterminé
à obtenir de l’Iran « qu’il fasse toute
la lumière sur les circonstances de
l’accident, qu’il mène une enquête
criminelle et agisse pour offrir des
compensations financières aux fa­
milles de victimes ». Ce n’est qu’à
ces seules conditions de « coopéra­
tion et de transparence » qu’une
pelle à lui donner le temps de faire
ses preuves. « Nous allons conti­
nuer à manifester pour nous assu­
rer qu’il forme un gouverne­
ment répondant aux demandes
du peuple », ajoute­t­il.
Mohammed Taoufiq Allaoui
aura trente jours pour former son
gouvernement, une fois sa nomi­
nation avalisée par le Parlement.
L’ambassade américaine à Bag­
dad et la représentante des Na­
tions unies pour l’Irak, Jeanine
Hennis­Plasschaert, l’ont appelé à
mettre en œuvre les réformes ré­
clamées par la rue. La composi­
tion du gouvernement sera un
premier test de sa marge de
manœuvre. L’absence de base
partisane le rend tributaire,
comme son prédécesseur, des
pressions des partis qui l’ont
choisi. Lui a assuré qu’il se retire­
rait si ces derniers tentaient de lui
imposer des candidats aux porte­
feuilles ministériels. 
hélène sallon
éventuelle reprise des relations di­
plomatiques entre Ottawa et Téhé­
ran pourrait être envisagée, a ex­
pliqué le ministre.
M. Champagne a vanté les bon­
nes relations du Canada avec son
partenaire historique, les Etats­
Unis. « Des amis et des alliés »
avec qui Ottawa vient de signer le
« plus grand accord commercial
au monde, l’Alena 2 ». Il a préféré
minimiser au passage les ten­
sions récurrentes entre Donald
Trump et le premier ministre ca­
nadien, Justin Trudeau : il s’est
montré prudent sur le « plan de
paix » présenté par Donald
Trump pour le Proche­Orient,
mardi 28 janvier. Le ministre ca­
nadien s’est contenté d’affirmer
que « la position du Canada a tou­
jours été de soutenir une solution
à deux Etats », a­t­il indiqué.
Le nouveau ministre des affaires
étrangères de Justin Trudeau a
également insisté sur la « voix sin­
gulière » du Canada sur la scène in­
ternationale. Si son pays vit une
crise diplomatique sans précédent
avec la Chine, depuis l’arrestation,
fin 2018, à Vancouver, de la direc­
trice financière de Huawei à la de­
mande des Etats­Unis, s’il est fâché
avec l’Inde et l’Arabie saoudite et
n’entretient plus aucun dialogue
avec la Russie, « c’est parce que
quand on parle fort pour défendre
des principes et des valeurs comme
le fait le Canada, il y a des répercus­
sions », a­t­il déclaré. 
hélène jouan
 FRANCE
0123
8| MARDI 4 FÉVRIER 2020

B A C C A L A U R É AT

Nouveau bac : 
Jean­Michel 
Blanquer face à 
une semaine test
Les épreuves de contrôle continu
ont lieu à partir de lundi dans la
majorité des établissements parisiens.
Une défiance profonde s’est installée
entre le ministre de l’éducation
et de nombreux enseignants

Q
u’on puisse le
décrire comme
un « enseignant
radicalisé » le
ferait « presque
rire », s’il n’avait
pas la convic­
tion que quelque chose de grave
se joue sur le terrain de l’éduca­
tion. « Au départ, j’étais plutôt par­
tant pour une réforme du lycée,
pour changer la façon de travailler,
donner plus de choix aux élèves…
Et même, confie Nicolas Herla, en­
seignant dans un lycée de Charen­
te­Maritime, pour toucher à ce to­
tem qu’est le bac. »
L’agrégé de mathématiques, qui
s’est toujours considéré de centre
HORS-SÉRIE
gauche (« plutôt de sensibilité ro­
cardienne »), s’est laissé tenter par
le vote Macron en 2017, comme
environ un tiers des enseignants
dès le premier tour. « J’avais envie
de changement, d’un souffle nou­
veau », dit­il. Près de trois ans
sont passés, et il a le sentiment
d’avoir « basculé ». Jusqu’à se pro­
noncer, il y a quelques jours, en
faveur de la grève de la sur­
veillance des premières E3C, les
nouvelles épreuves de contrôle
continu du baccalauréat. « Ma
posture n’est pas politique, répète
Nicolas Herla. Je suis simplement
dégoûté tant par ce qui se passe en
classe que par la manière dont on
parle de nous dans les médias. On
Devant le lycée
Charlemagne,
à Paris,
le 16 janvier.
JULIEN MUGUET
POUR « LE MONDE »
est bien plus qu’une “minorité
vocale” [expression utilisée par
M. Blanquer], s’énerve ce non
syndiqué. A ne pas nous écouter,
le gouvernement prend le risque
de nous perdre ! »
C’est aussi l’avertissement que
formule Julien, professeur de phi­
losophie dans le Sud­Ouest, syn­
diqué « certaines années » mais
pas « systématiquement », et qui a
requis l’anonymat avant de té­
moigner. « A mots plus ou moins
couverts, l’idée qui revient en salle
des professeurs est celle­ci : on a
pensé que le vote Macron était évi­
demment préférable au vote
Le Pen ; on se dit à présent que cela
n’aurait peut­être pas été pire. J’en­
tends ça dans la bouche de collè­
gues qui n’ont jamais transigé sur
leurs valeurs et, franchement, cela
naît­on dans l’entourage du mi­
« PEUT­ÊTRE QUE LA  nistre, alors que des appels au
DÉCEPTION NE SERAIT  boycott résonnent un peu par­
tout, y compris dans des « grands
PAS AUSSI FORTE  établissements », peu habitués à
donner de la voix.
SI ON N’ATTENDAIT PAS  tenir, en tout cas sur le long
BEAUCOUP DE NOTRE  « RUPTURE D’ÉGALITÉ »
Les syndicats d’enseignants ont
MINISTRE DE TUTELLE,  fait feu de tout bois pour dénon­
cer la désorganisation de l’exa­
SALUÉ DANS L’OPINION  men, et la « rupture d’égalité »,
selon eux, entre les candidats in­
COMME UN EXPERT » duite par ces épreuves d’un nou­
JEANNE veau type. Le 10 janvier, la quasi­
professeure des écoles totalité des organisations repré­
sentatives de l’enseignement
public ont écrit à M. Blanquer
type de promesse résiste mal à pour demander l’annulation de
l’exercice du pouvoir. » cette première session d’E3C (la
D’un professeur à l’autre, les réforme en prévoit trois, répar­
mêmes formules reviennent : il ties sur deux ans, valant pour
proviseurs évoquent des « pertur­
bations » dans presque la moitié
des lycées où les épreuves ont
déjà eu lieu, et d’un report dans
10 % à 15 % d’entre eux. « Le front
contre front me paraît difficile à
terme », prévient Philippe Vin­
cent, du syndicat des proviseurs
de l’UNSA.
Sans entrer dans la bataille de
chiffres, les observateurs du pay­
sage scolaire reconnaissent être
surpris par l’« aspect transgressif »
des actions en cours. Leur inquié­
tude se cristallise sur au moins
deux points, à commencer par
l’irruption dans le jeu des lycéens.
« Le mouvement social lancé en
décembre, et qui rebondit avec la
crise du bac, contredit les analyses
dominantes qui prédisaient la fin

L’HISTOIRE
m’inquiète », confie­t­il. est question de « perte de sens du 30 % de la note finale du bac). Le de la conflictualité sociale, souli­
métier », d’élèves qu’on aimerait 16 janvier, une intersyndicale du gne Laurent Frajerman, spécia­
« TERREAU CONFLICTUEL » « mieux accompagner ». D’une privé a pris position à son tour. liste du syndicalisme enseignant

DE
Un témoignage isolé ? « En salle « loi confiance » devenue « syno­ Inspecteurs, proviseurs, parents à l’Institut de recherches de la
des profs, une exaspération très nyme de défiance ». Du « précé­ d’élèves ont aussi exprimé leur FSU. Les professeurs sont des léga­

L’HOMME
forte s’exprime », affirme Sophie
Vénétitay, porte­parole du SNES­
FSU, syndicat majoritaire dans le
Une aventure de 7 millions d’années. Et après ? secondaire. Dans le primaire
aussi, le « terreau est devenu con­
flictuel », font valoir SNUipp­FSU
et SE­UNSA.
Au­delà des cercles syndicaux, il
suffit de tendre l’oreille pour en­
tendre des enseignants, y com­
pris parmi ceux qui se définissent
comme « apolitiques », mettre
des mots sur la déception ressen­
tie. « Peut­être qu’elle ne serait pas
aussi forte si on n’attendait pas
beaucoup de notre ministre de tu­
ÉDITION 2020 telle, salué dans l’opinion comme
un expert », témoigne anonyme­
ment Jeanne, professeure des
écoles en région parisienne.
A peine nommé, Jean­Michel
Blanquer a accordé aux ensei­
L’HISTOIRE DE L’HOMME gnants, en signe d’apaisement,
ce qu’ils n’avaient cessé de récla­
ÉDITION 2015 mer lors du quinquennat de
Un hors-série François Hollande : un retour sur
188 pages - 12 € les très impopulaires réformes
Chez votre marchand de journaux du collège et des rythmes scolai­
et sur Lemonde.fr/boutique res. « Il nous avait aussi promis
une pause dans les réformes, re­
prend Jeanne. Il faut croire que ce
dent » qu’a constitué la grève
« inédite » du baccalauréat
en 2019. De cette réforme du ly­
cée menée « à marche forcée ».
Des « espoirs déçus », de la « re­
valo [revalorisation salariale] at­
tendue ». Et, sans surprise, du
« coup de massue » de la réforme
des retraites.
« Les E3C jouent comme un déto­
nateur, avance la syndicaliste So­
phie Vénétitay. Dans ce contexte
éruptif, chaque prise de parole du
ministre de l’éducation est scrutée,
commentée… » Au ministère, on
en a pris bonne note. Jean­Michel
Blanquer ne s’exprime plus, de­
puis quelques jours, sur la situa­
tion dans les lycées. Même si un
« point d’étape » est prévu en fin
de semaine prochaine.
Car la semaine qui s’ouvre est
cruciale : l’organisation des pre­
mières épreuves du « bac Blan­
quer », censées s’échelonner jus­
qu’à la fin février, battra son plein
dans les lycées parisiens qui, dans
leur grande majorité, ont choisi
de convoquer leurs élèves de 1re à
compter de lundi 3 février. C’est
une « semaine test », recon­
mécontentement, avec des argu­
ments qui parfois se recoupent,
parfois non.
Si Paris fait figure de « capitale
de la contestation » avec près de la
moitié des enseignants déclarés
grévistes, le 5 décembre 2019, lors
du premier appel unitaire contre
la réforme des retraites (du ja­
mais­vu depuis le mouvement de
2003), les contours et les effets de
la mobilisation actuelle sont dif­
ficiles à cerner. Il suffit de feuille­
ter la presse quotidienne régio­
nale pour se laisser convaincre
que la colère est diffuse : chaque
jour renvoie l’écho d’actions – ou
de tentatives d’actions – menées
un peu partout, et pas seulement
dans les lycées. Dans le sillage des
journées de mobilisation inter­
professionnelle, de nouvelles
modalités de protestation ont vu
le jour. Ici une « nuit des écoles »,
là des jets de manuels ou de carta­
bles, ailleurs des « retraites aux
flambeaux »…
Pour l’institution, ces initiatives
restent « circonscrites ». Les syndi­
cats, eux, assurent qu’elles font
tache d’huile. Pris en tenailles, les
listes, je doute qu’ils aillent beau­
coup plus loin. Le danger pour le
gouvernement, à rester inflexible,
est que toutes les colères, y com­
pris celle de la jeunesse, des lycées
et des quartiers, s’agrègent. »
Deuxième risque identifié : ce­
lui qui pèse sur la gouvernance
du système. « Ce qui me semble
préoccupant, c’est que les cadres à
tous les niveaux, des recteurs aux
chefs d’établissement, se retrou­
vent sous une très forte pression
et risquent la rupture avec leurs
équipes, avance un ancien rec­
teur. Leur légitimité risque d’être
remise en cause, ce qui rendrait le
système peu gouvernable. » Les
menaces de sanctions agitées,
ces derniers jours, par un certain
nombre de recteurs et de provi­
seurs, qui n’hésitent pas à en ap­
peler aux forces de l’ordre, à envi­
sager de porter plainte contre
des enseignants ou de distribuer
des « zéros pointés » aux lycéens
bloqueurs, sont un signe de cette
fébrilité.
L’« alignement des planètes »,
disent les spécialistes des ques­
tions scolaires, est compliqué : le
0123
MARDI 4 FÉVRIER 2020
« DEVANT LE CLIMAT  « en renfort » dans son lycée pour
ANXIOGÈNE QUI SÉVIT  assurer la surveillance des écrits
AU SEIN DE L’ÉDUCATION  mais il n’en rejette pas moins les
NATIONALE, JE ME REPLIE 
SUR MA CLASSE, J’ESSAIE 
DE ME PRÉSERVER »
DOMINIQUE
enseignante en CP
mécontentement né du projet de
refonte des pensions, et qui se
cristallise autour des épreuves du
bac, pourrait prendre un nouvel
élan avec l’annonce, imminente,
de la répartition des moyens
d’enseignement pour la rentrée
2020 (les « DHG » dans le jargon
des professeurs). D’autant qu’on
attend un millier de postes en
moins dans le second degré, pour
30 000 élèves de plus dans les
collèges et lycées.
« Une dynamique est lancée, et la
minimiser n’aura pas d’autre effet
que d’augmenter notre détermi­
nation », reprend Nicolas Herla,
l’enseignant de mathématiques.
En écoutant M. Blanquer à la ra­
dio, le 19 janvier, affirmer que
99,9 % des enseignants étaient
d’accord avec lui quand il dit
qu’« on peut aimer son métier et
ne pas perturber les choses » (et
non que 99,9 % étaient d’accord
avec sa réforme du bac, comme
cela a pu être interprété), l’envie
lui est venue de « vérifier la
chose ». « J’ai contacté un collègue.
Je lui ai dit : “Chiche, on lance une
pétition !” » Mis en ligne, le texte
récolte 25 000 signatures le pre­
mier jour, autant le deuxième…
« Si on m’avait dit qu’on aurait dé­
passé les 90 000 signatures, je ne
l’aurais pas cru », assure l’ensei­
gnant. Sur Twitter, le hashtag
#jesuis0,1 % rivalise avec #bacas­
trophe ou #stopE3C.
Parmi ceux qui se tiennent à
l’écart du mouvement, des réser­
ves s’expriment aussi. « Je me sens
tiraillé », confie Marc, professeur
d’histoire­géographie. Appelé
du bac, il s’« est exécuté », dit­il,
« conséquences concrètes » de la
réforme du lycée : « Le groupe
classe qui implose, les program­
mes qui s’alourdissent »… Domini­
que, chargée d’un CP dédoublé,
promesse­phare du candidat
Macron, s’est longtemps sentie
« à l’abri ». Ce n’est plus le cas. « De­
vant le climat anxiogène qui sévit
au sein de l’éducation nationale, je
me replie sur ma classe, j’essaie de
me préserver, explique­t­elle. C’est
d’abord un moyen d’essayer de
garder la foi en mon métier. »
CHANTIER
Le ministre de l’éducation con­
serve cependant, pour les analys­
tes politiques, toute la confiance
de l’Elysée et de Matignon. Son
image aux yeux de l’opinion n’est
pas – ou très peu – dégradée. Sa
communication est maîtrisée. Et
M. Blanquer garde dans sa man­
che un atout : la revalorisation
tout juste mise en chantier. Elle
peut aussi devenir sa faiblesse. « Il
s’est battu avec Bercy pour l’obte­
nir, et voilà que le dossier retraites
sort et qu’il découvre, comme tout
le monde, que les enseignants,
sans compensation, pourraient
être les grands perdants de la
réforme, raconte un proche du
ministre. L’imbrication des deux
sujets, je suis sûr qu’il ne l’avait pas
anticipée. » Depuis plusieurs se­
maines, les syndicats sont reçus
au ministère pour en discuter.
Une sortie de crise – ou au
moins une accalmie – peut­elle
venir d’un « ajustement » des
épreuves du bac ? Le comité de
suivi de la réforme du lycée sem­
ble plaider en ce sens. Réuni le
28 janvier, il a fait le constat que la
« formule hybride des E3C est con­
traire à l’esprit de simplification de
la réforme du bac ». Des proposi­
tions seront faites à M. Blanquer
en mars. Rien ne filtre de ce qu’il
serait prêt à en faire. 
mattea battaglia
Epreuves du bac perturbées : des menaces
de sanctions contre les enseignants
Plusieurs rectorats ont envoyé des courriers aux grévistes et certains ont porté
plainte. Les professeurs dénoncent une « criminalisation de l’action syndicale »
E n trente ans de syndica­
lisme, je n’avais jamais
reçu une lettre comme
celle­là. » Cet enseignant du
lycée Bourdelle de Montauban
(Tarn­et­Garonne) – qui a pré­
féré garder l’anonymat,
comme tous les professeurs in­
terrogés – n’en revient pas.
Pour avoir pénétré dans l’en­
ceinte de son propre établisse­
ment le 20 janvier lors du blo­
cage des épreuves communes
de contrôle continu, les E3C, il a
reçu un courrier du recteur de
Toulouse lui rappelant les
obligations statutaires de neu­
tralité et de dignité des fonc­
tionnaires et l’article du code
pénal qui punit d’un an d’em­
prisonnement et 7 500 euros
d’amende l’intrusion dans un
établissement scolaire « dans le
but d’[en] troubler la tranquil­
lité ou le bon ordre ».
Cinq autres enseignants du
lycée Bourdelle et neuf du ly­
cée Clément­Marot de Cahors
ont reçu le même courrier. « Il
convenait de distinguer le droit
de grève du fait de pénétrer
dans l’enceinte d’un lycée pour
perturber un examen », précise
au Monde le rectorat de Tou­
louse. « On n’a insulté personne,
s’indigne de son côté l’ensei­
gnant. On a tous très peur, et on
ne se sent plus du tout respectés
dans nos opinions. »
Dans plusieurs académies,
des menaces de sanctions ont
été observées à l’encontre de
fonctionnaires ayant participé
Blocus, confusion et reports
troublent le contrôle continu
Les premières épreuves du nouveau bac ont été émaillées d’incidents.
Le ministère de l’éducation assure que « 60 % des élèves ont composé »
A lors que débute la troi­
sième semaine des
E3C, les épreuves com­
munes de contrôle continu du
nouveau « bac Blanquer », la
contestation se poursuit dans
certains établissements, em­
menée par une partie des en­
seignants, des lycéens et des
parents d’élèves. Le ministère
de l’éducation nationale assure
que « 60 % des élèves ont com­
posé ». Le SNPDEN­UNSA, syn­
dicat majoritaire des chefs
d’établissement, évoque des
tensions et reports d’épreuves
dans environ 30 % des lycées.
A Paris, où de nombreux ly­
cées commencent à composer,
une mobilisation s’est organi­
sée au cours du premier week­
end de février contre la garde à
vue de quatre lycéens ayant par­
ticipé à un blocus au lycée Mau­
rice­Ravel, où les épreuves ont
été reportées. Trois de ces élè­
ves, tous scolarisés en classe de
1re, ont été déférés samedi 1er fé­
vrier au parquet de Paris et fe­
ront l’objet d’une mesure de ré­
paration pénale. Me Lucie Si­
mon, avocate de deux d’entre
eux, conteste leur garde à vue
de « plus de trente heures », « dis­
proportionnée » selon elle par
rapport à la gravité des faits, et
relevant de « l’intimidation ». Le
parquet de Paris, contacté par Le
Monde, n’a pas donné suite aux
sollicitations.
à perturber le déroulement des
épreuves du nouveau bac. Cel­
les­ci sont rejetées par une par­
tie de la communauté ensei­
gnante, qui regrette leur im­
préparation et dénonce des
conditions inéquitables de
passation.
« Logique de rébellion »
A Nîmes, une vingtaine de pro­
fesseurs du lycée Alphonse­
Daudet ont reçu un courrier du
rectorat de Montpellier, pour
avoir refusé d’organiser les E3C
dans leur lycée, le 13 janvier.
« Les collègues ont répondu
qu’ils s’étaient mis en grève et
que ce droit les protégeait, ex­
plique le responsable local du
SNES­FSU, syndicat majoritaire
dans le second degré. A la suite
de ça, le rectorat a renoncé à en­
gager des sanctions disciplinai­
res. » Ailleurs, les proviseurs de
l’académie d’Aix­Marseille ont
reçu un courrier du recteur les
enjoignant à rappeler, « avec
pédagogie mais si besoin avec
fermeté », les sanctions encou­
rues par les professeurs « entrés
dans une logique de rébellion
qui est la négation complète du
statut de fonctionnaire ».
Parfois, l’éducation nationale
est allée jusqu’à déposer une
plainte. C’est le cas à Clermont­
Ferrand, ou cinq participants
au blocage du lycée Blaise­Pas­
cal le 18 janvier ont été enten­
dus par la police sous le régime
de l’audition libre, le 29 jan­
vier, dans le cadre d’une
Le lycée Maurice­Ravel était
depuis plusieurs jours le théâ­
tre de fortes tensions. Le 27 jan­
vier, jour de l’épreuve d’his­
toire, les lycéens ont découvert
un sujet portant sur une
période qu’ils n’avaient pas
encore étudiée. « Tout le monde
est sorti en criant dans les cou­
loirs, il y a eu un mouvement de
foule et beaucoup de confusion,
a raconté un élève de 1re joint
par Le Monde. Une vitre s’est bri­
sée, et il y a eu des salles où les
tables étaient renversées. On ne
sait toujours pas à quelle date
les épreuves seront reportées. »
Problème de sécurité
L’émotion est également res­
tée forte toute la semaine au ly­
cée Montesquieu de Bordeaux,
où les élèves de 1re sont les
seuls à avoir pu pénétrer dans
l’établissement, mardi matin,
alors qu’une épreuve des E3C
était prévue pour le début
d’après­midi et que celle de la
veille avait été reportée. « La
direction n’a laissé entrer que
les 1res, pour éviter d’avoir de
nouveau un blocus, raconte
une enseignante. Des profs ont
refusé de prendre les élèves, en
larmes, stressés, incapables de
composer. »
Selon plusieurs sources, con­
firmant des images filmées et
diffusées sur les réseaux so­
ciaux, les issues d’une annexe
enquête ouverte pour « infrac­
tion d’intrusion non­autorisée
dans un établissement d’ensei­
gnement ».
Parmi eux se trouvent deux
enseignants, deux étudiants et
un lycéen, a confirmé au
Monde le parquet de Clermont­
Ferrand, qui précise que
d’autres auditions d’ensei­
gnants sont prévues dans les
jours à venir et que l’affaire
pourrait aller jusqu’au tribunal
si les personnes « refusent de
s’expliquer ». Les enseignants
concernés risquent également
des sanctions disciplinaires.
Didier Pagès, entendu par la
police mercredi, est membre
fondateur du syndicat SUD et
enseigne en institut médico­
éducatif. Pour cet habitué des
luttes syndicales, la convoca­
tion n’est pas « une surprise » ni
un « choc », même si celle­ci
témoigne, selon lui, d’une « vo­
lonté de faire des exemples » en
convoquant « des responsables
syndicaux ». Des responsables
locaux du SNES­FSU et de la
CGT éduc’action font égale­
ment partie des enseignants
inquiétés.
« Réponse disproportionnée »
Ailleurs, les procédures lais­
sent des traces, comme à
Montbrison (Loire), où la pro­
viseure du lycée Beauregard a
porté plainte pour vol contre
treize enseignants qui avaient
organisé une « rétention de
copies » à l’issue des E3C. La
À PARIS, LES LYCÉENS 
DE MAURICE­RAVEL ONT 
DÉCOUVERT UN SUJET  Guist’hau de Nantes et Victor­
D’HISTOIRE PORTANT  non sans heurts avec les
SUR UNE PÉRIODE  légèrement blessé mardi à Ren­
QU’ILS N’AVAIENT PAS  nes, assure l’antenne locale du
ENCORE ÉTUDIÉE
du lycée Montesquieu avaient
été cadenassées mardi matin
pour éviter des intrusions, au
risque de créer un problème de
sécurité. Le rectorat se défend
en affirmant qu’aucun cours
n’a eu lieu dans ce bâtiment et
que les élèves présents s’y sont
« introduits » « malgré la sur­
veillance » des lieux.
Au lycée Valin de La Rochelle,
une quinzaine d’élèves n’ont
pas été autorisés à se rendre à
l’épreuve de rattrapage d’his­
toire­géographie, organisée le
30 janvier à la suite d’un blocus
la semaine précédente, et se­
ront notés 0 sur 20. Selon nos
confrères de Libération et du
Parisien, il s’agit de ceux qui
ont été « identifiés » par la di­
rection de l’établissement
comme « meneurs » du blocus.
Enfin, dans plusieurs établis­
sements qui organisaient des
épreuves au cours de la se­
france | 9
plainte a été classée sans suite,
le 31 janvier, mais les profes­
seurs sont sous le choc. « Vous
imaginez, pour un enseignant,
ce que ça signifie d’être accusé
de vol ?, témoigne l’une d’entre
eux, la gorge nouée. On a voulu
marquer le coup, symbolique­
ment, en gardant les copies
quelques heures, justement
pour ne pas pénaliser les élèves
en faisant grève le jour de leurs
épreuves. La réponse est
disproportionnée. » Le rectorat
de Lyon a confirmé qu’il étu­
diait pour sa part la possibilité
de sanctions, avançant que la
« rétention des copies est
constitutive d’une faute
professionnelle ».
Dans un communiqué de
presse publié le 28 janvier, une
intersyndicale enseignante
CGT­FO­SNES­SUD dénonce
des « pressions » et des « mena­
ces » à l’encontre des ensei­
gnants et lycéens opposés à la
tenue des E3C, et souligne une
« criminalisation de l’action
syndicale ». Ces différents rap­
pels à l’ordre interviennent au
moment où le ministère de
l’éducation nationale confirme
des retenues sur salaire pour
4 000 enseignants qui avaient
participé à la « grève des notes »
du bac 2019, en refusant, par
exemple, de corriger les copies
ou de faire remonter les notes.
Une cinquantaine de blâmes et
d’avertissements ont égale­
ment été prononcés. 
violaine morin
maine passée, le passage des
E3C s’est fait sous le regard des
forces de l’ordre, appelées par
exemple devant les lycées
et­Hélène­Basch de Rennes,
lycéens. L’un d’entre eux a été
SNES­FSU. Une plainte a par
ailleurs été déposée par le rec­
torat pour un départ de feu,
jeudi, à l’intérieur du lycée Vic­
tor­et­Hélène­Basch.
Ailleurs, les épreuves se sont
souvent passées sans encom­
bre, même si les élèves de 1re
sont nombreux à témoigner
d’un stress supplémentaire lié
aux menaces de blocus et aux
reports. « Je suis contente que
ce soit enfin derrière moi et pas
reporté à nouveau », témoigne
Anna, élève de 1re au lycée Jules­
Guesde de Montpellier, qui a
passé ses épreuves jeudi et
vendredi, au lieu de la semaine
précédente.
Pour Eléa, scolarisée au lycée
Sévigné, dans la banlieue ren­
naise, « on sent qu’on passe le
bac, parce que tout y est », les
bureaux séparés, les copies
fournies par les surveillants et
les sacs rassemblés au fond de
la salle. « Mais tout est quand
même un peu bâclé », juge
l’adolescente. 
v. m.

10 | france
Retraites : guérilla d’amendements à l’Assemblée
Le texte va être examiné en commission à partir de lundi. Les oppositions veulent faire durer les débats
A
près la concertation
avec les partenaires so­
ciaux, après la bataille
des cortèges dans la
rue, la réforme des retraites arrive
dans l’enceinte de l’Assemblée na­
tionale lundi 3 février. Le texte va
être examiné à partir de 16 heures
en commission spéciale. Et c’est
une véritable guérilla parlemen­
taire, dont le groupe La France in­
soumise (LFI) a pris la tête, qui
s’annonce.
Pas moins de 22 000 amende­
ments ont été déposés, un record
pour cette mandature. Plus de
19 000 émanent du groupe con­
duit par Jean­Luc Mélenchon.
« C’est notre manière de faire
comme les avocats ou les profes­
seurs. Ils jettent leurs robes et leurs
manuels pour montrer leur opposi­
tion à la réforme. Nous, on jette ces
19 000 amendements au pied du
gouvernement », explique le dé­
puté (LFI) de Seine­Saint­Denis,
Alexis Corbière.
En plus de la bataille d’amende­
ments, les groupes de gauche –
« insoumis », communistes, socia­
listes – se sont entendus pour dé­
poser une motion de censure. Les
seconds souhaitent qu’elle se dou­
ble d’une motion référendaire –
proposant à l’exécutif de soumet­
tre un projet de loi à référendum.
Autant d’étapes de procédures qui
peuvent ralentir l’adoption du
texte à l’Assemblée nationale.
« Nous allons assumer que nous
faisons de l’obstruction, a expliqué
M. Mélenchon sur BFM­TV. Parce
que, de la même manière qu’un
syndicaliste fait grève pendant
quarante­trois, quarante­cinq, cin­
quante jours et perd tout son sa­
laire, les députés manqueraient à
leur devoir s’ils n’utilisaient pas
toutes les armes possibles pour re­
tarder la décision finale qui pour­
rait s’imposer sans ça mécanique­
ment dans l’Hémicycle. Si on lais­
sait faire, en trois jours ils ont fini. »
Un calendrier serré
La quantité d’amendements dé­
posés, qui traditionnellement
augmente pour l’examen en
séance, laisse augurer d’un débat
interminable, notamment dans
les délais impartis. En théorie, le
vote de la loi est prévu le 3 mars,
l’Assemblée nationale se mettant
en pause le 6 mars, à une semaine
des élections municipales.
Ce calendrier prévoit donc cinq
semaines pour aller au bout de ce
texte. Un délai serré dont les oppo­
sitions vont tenter de jouer pour
repousser l’examen de la réforme.
Le gouvernement recule sur le congé pour le décès d’un enfant
Les députés de la majorité avaient rejeté, jeudi, la mesure allongeant à douze jours le repos accordé aux parents après la mort d’un enfant mineur
L a « honte ». Le mot a été
martelé à plusieurs reprises
dans l’hémicycle, jeudi
30 janvier, et s’est invité tout au
long du week­end sur les groupes
de messagerie des ministres, ainsi
que sur les réseaux sociaux. En
cause, un pataquès gouverne­
mental et parlementaire sur un
sujet éminemment sensible : le
deuil d’un enfant mineur, qui
frappe environ 4 500 familles cha­
que année.
Faut­il faire passer de cinq à
douze jours le congé légal ac­
cordé aux parents après une telle
perte ? C’est cette question, dé­
battue jeudi à l’Assemblée natio­
nale, lors de l’examen d’une pro­
position de loi du groupe UDI,
Agir et indépendants, qui a mis le
feu aux poudres.
En commission, le texte avait été
vidé de sa substance par les dépu­
tés de La République en marche
(LRM) et du MoDem, et sa mesure
phare supprimée. En séance, son
Manifestation contre la réforme des retraites, le 29 janvier, à Paris. JULIEN MUGUET POUR « LE MONDE »
« C’est dévoyer le rôle du Parlement,
c’est dégrader le rôle d’un parle­
mentaire, c’est au fond, devant les
Français, dire qu’on ne veut pas le
débat », a dénoncé, dimanche ma­
tin, sur Franceinfo, Marc Fesneau,
ministre des relations avec le Par­
lement, fustigeant la « stratégie
d’obstruction » en particulier de
LFI. « C’est le gouvernement qui fait
obstruction à un débat parlemen­
taire sur un sujet majeur pour le
pays », s’agace pour sa part le dé­
puté (PS) des Landes Boris Vallaud.
L’opposition ne décolère pas des
conditions d’examen du texte. Ils
n’ont eu qu’une semaine depuis sa
présentation en conseil des minis­
tres pour s’en emparer et déposer
des amendements. Sans compter
le fait que la réforme compte
vingt­neuf ordonnances qui dé­
possèdent les élus d’une partie de
la rédaction. « Deux ans et demi de
travail ministériel, deux ans de con­
certation et quatre jours pour man­
ger 1 500 pages d’étude d’impact et
un projet de loi. C’est insultant et
déshonorant pour le Parlement. Ils
emmènent tout le monde dans le
mur », s’indigne M. Vallaud.
Cherchant elle aussi à incarner ce
rapporteur, le député du Nord Guy
Bricout, a souhaité la réintroduire.
Il a été soutenu au­delà de son
camp par les représentants de plu­
sieurs groupes (socialiste, Les Ré­
publicains, La France insoumise).
Mais la ministre du travail, Mu­
riel Pénicaud, s’y est opposée, au
motif que le financement de cet
acte de solidarité ne devrait pas re­
poser sur les employeurs. « Ce que
vous proposez, c’est un congé payé
à 100 % par l’entreprise ! », a­t­elle
fait valoir, en suggérant qu’un tel
effort serait difficile à supporter
pour les petites sociétés. Suivant
l’avis du gouvernement, les dépu­
tés LRM ont donc voté contre et la
mesure a été rejetée, par 40 voix
contre 38. En revanche, un amen­
dement ouvrant la « possibilité
pour l’employeur de créer un
compte de don » de RTT au décès
d’un enfant mineur a été adopté.
Tollé immédiat sur les bancs de
l’Assemblée. Dans un même élan,
François Ruffin (La France insou­
combat, la droite mettait en scène
sa colère, salle des Quatre­Colon­
nes, au Palais­Bourbon, mardi
28 janvier. En écharpe, la quasi­to­
talité des élus Les Républicains
(LR), Damien Abad, leur président
de groupe en tête, s’est présentée
devant les caméras pour « dénon­
cer les conditions d’examen inac­
ceptables que le gouvernement im­
pose au Parlement sur cette ré­
forme des retraites ». Dans son allo­
cution, le député de l’Ain estime
que le parti ne peut pas « accepter
de devoir examiner » un projet de
loi sur les retraites, sans « rien [sa­
voir] de son financement ! »
« Il nous emmène dans le mur »
« Nous voulons un texte complet,
sans ordonnances », avance le dé­
puté (LR) du Pas­de­Calais Pierre­
Henri Dumont, qui explique que
son parti est « pour les réformes »
mais pas « cette réforme ». Car,
pour la droite, dont l’électorat clas­
sique est sensible au réformisme
sur les retraites ou sur le marché
du travail, il est impensable d’être
dans l’obstruction.
Le parti de la rue de Vaugirard
souhaite saisir cette occasion pour
mise) et Pierre Cordier (Les Répu­
blicains) ont dit « leur honte » face
à « l’évidement d’un texte qui devait
être consensuel ».
La polémique s’est poursuivie
vendredi et tout le week­end, cho­
quant jusqu’au patron du Medef
lui­même : « Nous avons découvert
le sujet sur les réseaux sociaux. Il
faut donc qu’on en discute avec le
ministère du travail, mais
aujourd’hui je ne connais pas un
patron qui refuserait des jours sup­
plémentaires à un collaborateur
qui a perdu son enfant. Surtout, il
faut relativiser l’impact, qui sera
très faible, heureusement : on ne
parle que de 9 000 salariés maxi­
mum, si les deux parents faisaient
le choix de ce congé, sur 26 millions
d’actifs », explique Geoffroy Roux
de Bézieux.
Dès vendredi soir, un communi­
qué commun du ministère du tra­
vail et du secrétariat d’Etat à la pro­
tection de l’enfance annonçait une
« concertation » avec les acteurs as­
montrer qu’il peut incarner
« une troisième voie » entre un
« gouvernement obstiné » et une
gauche « décrédibilisée », explique
M. Abad. Pour ce faire, LR votera les
articles potentiellement compati­
bles avec son corpus idéologique.
La décision de voter la loi ou pas
sera, en revanche, prise ultérieure­
ment en réunion de groupe. Pour
le reste, la formation, qui a pensé
un projet alternatif, souhaite le dé­
cliner sous forme d’amende­
ments. Plus de 1 100 ont été dépo­
sés et un colloque sur le thème des
retraites devrait être organisé par
LR, le 12 février, au Palais­Bourbon.
Les socialistes, eux aussi, pro­
mettent un travail de fond pour
mettre au jour toutes les « chaus­
se­trappes du texte », prévient Va­
lérie Rabault, présidente du
groupe socialiste à l’Assemblée
nationale. « Il faut continuer à
montrer que ce projet est tellement
mal ficelé qu’il nous emmène dans
le mur », insiste la députée de
Tarn­et­Garonne.
Quant au Rassemblement natio­
nal (RN), qui prétend incarner la
seule véritable opposition sur le
sujet, il pourrait se contenter de
sociatifs et les partenaires sociaux
pour « améliorer » le dispositif.
Sans parvenir à stopper l’incendie.
Le lendemain, l’Elysée est inter­
venu à son tour, fait rarissime, Em­
manuel Macron demandant au
gouvernement « de faire preuve
d’humanité ».
Au sein de plusieurs cabinets mi­
nistériels, « il y a eu une grosse indi­
gnation, assez unanime », rap­
porte une source. « On a considéré
que c’était une erreur politique et
une erreur humaine », poursuit­
elle, en soulignant clairement la
responsabilité de Mme Pénicaud.
Emmanuel
Macron a
demandé au
gouvernement
de faire « preuve
d’humanité »
profiter de la bataille menée par la
gauche. Marine Le Pen n’exclut pas
de voter la motion de censure.
« On va la lire, on va regarder quel
est son contenu » et « nous ferons
tout ce qui est dans notre pouvoir
de députés pour empêcher que ce
texte s’applique aux Français », a­t­
elle déclaré à LCI, mardi 28 janvier.
Mais comment peser dans les
débats sans groupe à l’Assemblée
nationale et avec un seul de ses
cinq députés, Sébastien Chenu, au
sein de la commission spéciale ? Le
RN a pris l’option de l’opposition
stricte au texte en déposant
soixante­cinq amendements seu­
lement, proposant de supprimer
chaque article du texte.
« Rentrer la tête »
« Finalement, le fait que LFI ait dé­
posé 19 000 amendements, c’est
une chance pour nous, ça radicalise
les deux côtés, ça pousse le gouver­
nement jusqu’au 49.3, et nous ap­
paraissons comme la seule partie
tempérée dans un paysage chaoti­
que », espère­t­on du côté de LR.
L’idée d’utiliser l’article 49.3 de
la Constitution, qui permet au
gouvernement de faire adopter
Une autre source proche du dos­
sier rappelle que la position de
l’exécutif avait été arrêtée après
une réunion interministérielle.
Sous­entendu : il serait un peu fa­
cile de faire porter le chapeau à un
seul membre du gouvernement.
La ministre du travail, dans un
entretien au Parisien, dimanche, a
reconnu que « la décision prise col­
lectivement n’était pas la bonne »,
et assuré que « l’allongement à
douze jours va revenir au Sénat
sous la forme d’un amendement
gouvernemental ».
« Raté gigantesque »
Mais plusieurs parlementaires
LRM trouvent que le rétropéda­
lage arrive un peu tard. « Elle avait
en charge le suivi et l’arbitrage de ce
texte et, une nouvelle fois, elle a fait
la preuve de sa grande efficacité »,
enrage un poids lourd de la majo­
rité. C’est un « raté gigantesque »,
reconnaissent des députés, qui
mettent aussi en cause le chef des
0123
MARDI 4 FÉVRIER 2020
« J’assume
de dire qu’il faut
réfléchir
à un 49.3
de dissuasion,
et je l’ai proposé
au premier
ministre »
PATRICK MIGNOLA
président du groupe MoDem
un texte sans vote parlementaire
(à condition qu’une motion de
censure ne soit pas adoptée), a été
brandie par le député de Savoie
Patrick Mignola, président du
groupe MoDem, partenaire de La
République en marche (LRM).
« J’assume de dire qu’il faut réflé­
chir à un 49.3 de dissuasion et je l’ai
proposé au premier ministre
[Edouard Philippe]. En clair, si l’op­
position se montre raisonnable en
diminuant le nombre d’amende­
ments à quelques milliers, alors,
cet outil n’a pas besoin d’être dé­
clenché. Sinon, il peut être envi­
sagé », a­t­il confié au Figaro.
Le gouvernement rejette, pour le
moment, cette option. « Je n’entre
pas dans ce débat parlementaire
avec l’idée que nous essaierions de
faire de la coercition », a déclaré,
sur Franceinfo, Marc Fesneau, lui­
même issu des rangs du MoDem.
Ce mois d’examen pourrait
donc virer à la guerre des nerfs,
dans laquelle la majorité semble
hésiter sur l’attitude à adopter.
Gilles Le Gendre (Paris), chef de
file de LRM au Palais­Bourbon, a
invité ses troupes à ne pas dépo­
ser trop d’amendements. En réu­
nion de groupe mardi, le prési­
dent (LRM) de l’Assemblée natio­
nale, « Richard Ferrand, nous a de­
mandé de rentrer la tête », relate
un pilier de la majorité.
Une ligne qui ne fait pas l’unani­
mité. « Il faut arrêter d’avoir peur
d’exciter les oppositions et sortir de
la position défensive », tempête un
cadre de la majorité, soucieux de
« ne pas laisser le Parlement
comme caisse de résonance aux
oppositions ». A un mois des muni­
cipales, la majorité espère ne pas
perdre, même symboliquement,
la bataille du Parlement. 
sarah belouezzane,
abel mestre,
manon rescan,
lucie soullier,
et sylvia zappi
députés LRM, Gilles Le Gendre, ac­
cusé de n’avoir jamais présenté, et
encore moins abordé cette propo­
sition de loi en réunion de groupe.
« Je suis très en colère contre ceux
qui, en off, rejettent la faute sur les
parlementaires présents ou nous
traitent de “cons”. Ils ont été loyaux
vis­à­vis du gouvernement. C’est
compliqué de critiquer la loyauté »,
dénonce de son côté Aurore Bergé,
députée des Yvelines et porte­pa­
role de LRM, en réaction à des pro­
pos tenus par un ténor de la Ma­
cronie dans Le Parisien.
Pour la direction du groupe LRM
à l’Assemblée, il faut désormais
éteindre la controverse : « Nous
sommes alignés avec le gouverne­
ment pour rouvrir – rapidement –
la question et revoter (…). Dans un
domaine aussi sensible, nous de­
vons écouter l’émotion et trouver
tous les moyens de l’apaiser. » 
bertrand bissuel,
solène cordier
et alexandre lemarié
0123
MARDI 4 FÉVRIER 2020 france | 11

Hidalgo défend
sa politique d’aide
aux associations
En 2020, la Mairie de Paris devrait verser
283 millions d’euros de subventions.
Certaines devaient être votées lundi

M
arie­Claire Carrère­ Versini, l’adjointe chargée de la so­
Gée est en colère. lidarité, a déjà préparé sa réponse.
« Cette affaire est un « Les bagageries que nous ouvrons
scandale financier sont toujours confiées à des asso­
et patrimonial inouï », tempête la ciations de quartier, et le local est
présidente du groupe Les Républi­ adapté, explique cette ancienne
cains (LR) au Conseil de Paris, tête ministre chiraquienne. Pourquoi
de liste de Rachida Dati dans le refuser le beau aux SDF, quand c’est
14e arrondissement. L’objet de son possible ? »
courroux ? Une subvention de Le dossier est emblématique des
500 000 euros soumise lundi 3 fé­ interrogations récurrentes sur la
vrier au conseil municipal. Elle politique de la maire PS, Anne Hi­ Conférence de presse d’Anne Hidalgo, à Paris, le 28 janvier. CYRIL BITTON/DIVERGENCE POUR « LE MONDE »
doit permettre de réhabiliter un dalgo, et de son équipe en matière
pavillon construit en 1840, villa d’aide aux associations. Le sujet
Saint­Jacques (14e), pour en faire n’a rien d’anecdotique. En 2020, la presque réduit à cela. Sur 219 déli­ lon une liste quasiment immuable nancements, pour ne pas dépen­
une « bagagerie solidaire » où les Ville a prévu de verser aux associa­ bérations, 135 portent sur des sub­ depuis le début du mandat », af­
Une enveloppe dre uniquement de la Ville »… et
sans­abri pourront entreposer tions 283 millions d’euros, soit ventions. Paris devrait donner firme ce soutien de Benjamin Gri­ sur deux que celle­ci ne puisse être accusée
leurs affaires. 3,5 % de son budget. « Nous som­ 198 000 euros à la Maison des veaux, le candidat de La Républi­ de gestion de fait. Quant au fait
« La cause des SDF est juste, re­ mes l’une des rares collectivités liens familiaux, 99 600 euros à la que en marche (LRM) à la Mairie.
est inférieure que les mêmes associations reçoi­
connaît Marie­Claire Carrère­Gée. françaises à avoir maintenu le ni­ crèche parentale Balustrade (11e), Avec Anne Hidalgo, « il suffit de à 5 000 euros. vent régulièrement de l’argent, il
Mais confier la rénovation de ce veau des subventions durant l’en­ 1,6 million à l’Association interna­ dire qu’on veut sauver la planète, s’agit là encore d’un choix reven­
lieu très sensible à une association semble de la mandature, malgré la tionale des maires francophones, prôner le développement durable
Mais certaines diqué. Des conventions de trois
surgie de nulle part, pour un mon­ baisse des dotations de l’Etat », se 5 000 euros à Paris Gay Métropole, et la diversité pour avoir de bonnes peuvent dépasser ans sont désormais signées avec
tant énorme et avec des risques ju­ flatte­t­on à l’Hôtel de ville. Un 15 000 euros à la Fédération fran­ chances de toucher sa dîme, sur­ la moitié des associations subven­
ridiques élevés, ça ne va pas. Il y a geste politique : la majorité rose­ çaise d’aviron, etc. tout si on se positionne bien à gau­
les 5 millions tionnées, afin de « sécuriser leur fi­
d’autres endroits pour créer des ba­ vert au pouvoir depuis 2001 tient à Une enveloppe sur deux est infé­ che », assènent les journalistes d’euros nancement ».
gageries. On laisse entendre qu’on favoriser la vie associative. rieure à 5 000 euros. Mais certai­ Airy Routier et Nadia Le Brun dans Ces efforts de transparence
est très social, très participatif, mais nes peuvent dépasser les 5 mil­ Sainte­Anne ! (Albin Michel, 2019). n’empêchent pas les controver­
c’est du grand n’importe quoi, Soupçon de clientélisme lions d’euros, comme celles desti­ Emmanuel Grégoire rejette ca­ etc., ainsi que les maires d’arron­ ses. Comme celles sur la bagage­
comme souvent à Paris ! » La Ville est ainsi une vaste ma­ nées à des structures qui n’ont tégoriquement ces accusations. dissement, ont leur mot à dire. rie du 14e, ou celle, en 2018, sur les
Le dernier Conseil de Paris avant chine à distribuer des fonds, qui guère d’associatives que la forme « Les aides aux associations ? Bien Donc qu’intervient la politique. 3 000 euros accordés à la Fédéra­
les élections a beau être court et passent tous par le conseil munici­ juridique, à l’image du Théâtre du sûr, soutenir tel ou tel secteur, Logiquement, la Ville lâche plus tion des associations de solidarité
sans enjeu majeur, il n’échappera pal. Privé de grands projets à cause Châtelet, du Théâtre de la Ville, ou dans tel ou tel quartier, constitue facilement des fonds pour des ini­ avec tou⋅te⋅s les immigré⋅e⋅s
pas à la polémique. Dominique des élections, celui de lundi sera de l’ASPP, qui gère les cantines du un acte politique, observe le pre­ tiatives qui correspondent à ses (Fasti). Dénonçant les « prises de
personnel de la Ville. mier adjoint de la maire. Mais je priorités, comme la solidarité ou position particulièrement radica­
Copinage ? Nouvelle forme de réfute tout clientélisme. Il ne s’agit l’écologie. Surtout si elles sont si­ les » de cette structure qui em­
100 000 euros pour acheter un logement clientélisme, après celui pratiqué pas de donner des coups de pouce tuées dans des quartiers populai­ ploie des expressions comme
par Jacques Chirac et Jean Tiberi ? aux amis. Tout est transparent, res jugés délaissés, et ont déjà été « racisme d’Etat », la droite en
Benjamin Griveaux propose de mettre à disposition des classes Le soupçon revient régulière­ évalué, contrôlé. » validées par un vote des habitants avait fait une affaire politique, de
moyennes un apport de 100 000 euros pour l’achat d’un apparte- ment. En particulier à l’approche dans le cadre du budget participa­ même que Benjamin Griveaux.
ment. « Ce n’est pas un prêt, mais un apport, précise le candidat des élections. Lors du précédent Efforts de transparence tif, à l’image de la bagagerie de la « Pas d’argent public pour des as­
de La République en marche (LRM) à la Mairie de Paris dans un conseil, à la mi­décembre 2019, Pour couper court aux suspicions, villa Saint­Jacques. sociations dont les positions sont
entretien au Parisien publié dimanche 2 février. Et au moment de l’élu macroniste Jérôme Dubus a les aides aux associations suivent Le résultat de ce tri ? Sur quelque contraires aux valeurs de la Répu­
la revente, la Ville prendra une part de la plus-value qui sera pla- profité de l’examen du budget un protocole précis. Petites ou 70 000 associations recensées à blique », avait martelé le futur
fonnée autour de 20 % du prix du bien. » Quelque 20 000 loge- pour lancer une nouvelle attaque, grandes, toutes les structures doi­ Paris, 3 300 ont demandé des sub­ candidat, alors porte­parole du
ments seraient concernés en six ans, soit « un investissement de dénonçant « une course clientéliste vent fournir leurs comptes, leurs ventions en 2018, et 2 655 en ont gouvernement. Mais l’Etat
2 milliards d’euros ». Pour améliorer la situation du logement à aux subventions ». « Ces subven­ bilans, détailler leurs projets. Les obtenu, soit huit sur dix, selon la n’ayant pas stoppé pour autant
Paris, l’ancien secrétaire d’Etat propose par ailleurs que la Ville tions ne reviennent pas à toutes les dossiers sont ensuite instruits par Mairie. « Mais on ne donne jamais ses propres aides à la Fasti, la ville
prenne en location les 100 000 logements vacants recensés dans associations, mais à un nombre les services de l’Hôtel de ville, ana­ 100 % de l’argent souhaité, précise a fini par confirmer la sienne, sus­
la capitale. « Derrière, elle s’occupera de sous-louer à ceux qui en très restreint d’entre elles, sélection­ lysés, et sélectionnés. C’est ici que Emmanuel Grégoire. On incite les pendue quelques mois. 
ont besoin. Comme cela, on couvrira le risque à leur place. » nées à la discrétion de l’exécutif, se­ les adjoints au sport, à la culture, associations à chercher des cofi­ denis cosnard

Martine Aubry axe sa quatrième campagne sur le social et l’écologie

L’actuelle maire de Lille a présenté son programme samedi. En tête des sondages, elle a renouvelé plus de la moitié de ses colistiers

lille ­ correspondance La maire a donc décidé de se re­ écologique sans justice sociale. » mes valeurs sont claires, je n’ai ja­ soir du 15 mars. Les Verts, poussés cette étrange campagne lilloise,
présenter pour « faire de Lille une Pour cela, elle s’est entourée d’une mais changé. » Figure emblémati­ par leur bon résultat aux élections l’ancienne directrice de cabinet de

I nutile de chercher le local de

campagne de Martine Aubry.
Il n’y en a pas. Officiellement,
la maire de Lille préfère que les mi­
litants se retrouvent dans des
lieux chaleureux, comme les bis­
trots lillois, au plus près des habi­
tants. Officieusement, les mauvai­
ses langues rappellent que, même
à Lille, le Parti socialiste doit serrer
les cordons de la bourse. « Les mili­
tants PS ont le même document à
distribuer depuis décembre, iro­
nise Stéphane Baly, candidat d’Eu­
rope Ecologie­Les Verts (EELV).
Même Thierry Pauchet [candidat
divers droite] avait plus de maté­
riel de campagne. »
Martine Aubry a pourtant bien
l’intention de conserver le beffroi
de Lille. Samedi 1er février, c’est
dans la nouvelle mairie de l’éco­
quartier des Bois­Blancs qu’elle a
présenté sa liste et son pro­
gramme pour les élections muni­
cipales de mars. Une première sor­
tie médiatique après l’annonce de
sa candidature le 28 novem­
bre 2019 dans les colonnes de La
Voix du Nord. L’édile mettait alors
fin à un faux suspense après avoir
annoncé en 2013 que son troi­
sième mandat serait le dernier.
ville de référence du mieux­vivre so­
cial et écologique ». Son pro­
gramme, axé autour d’une « ville
durable et apaisée », met en avant
la nécessité d’une « métamor­
phose paysagère ». Plus de
20 000 arbres plantés d’ici à 2026,
l’aménagement de 90 hectares
supplémentaires d’espaces verts,
la création d’un réseau express
vélo, d’une maison des mobilités
durables ou d’un pôle d’excellence
Euraclimat…
Si le visage de la ville de Lille a été
profondément modifié, notam­
ment à l’occasion de Lille 2004 Ca­
pitale européenne de la culture, le
manque d’espaces verts et les pro­
blèmes de pollution pèsent dans
le bilan. « Lille est une ville béton­
née, socialement fracturée, à plu­
sieurs vitesses », dénonce le candi­
dat de La France insoumise (LFI)
Julien Poix. Pas de quoi faire plier
la maire, qui annonce vouloir
construire 8 000 nouveaux loge­
ments entre 2020 et 2026, en plus
des 23 400 déjà construits entre
2008 et 2020. « On continuera à
construire car il faut aussi répondre
à ceux qui veulent se loger à Lille »,
affirme­t­elle. A 69 ans, la socia­
liste insiste : « Pas de transition
liste composée pour moitié de so­
cialistes. Figurent aussi des per­
sonnalités de la société civile, des
membres du PCF, du PRG, de Li­
berté écologie fraternité et du
Mouvement des citoyens. Une
liste renouvelée à 57 %.
Pour gérer les dossiers sécurité,
elle a fait appel à Jean­Claude Me­
nault, ancien directeur de la police
du Nord. L’équipe est créditée de
30 % des voix selon un sondage Ip­
sos Sopra­Steria paru en décem­
bre, soit cinq points de moins que
son score du premier tour en 2014.
De quoi l’inquiéter ? « Il y a une ver­
satilité générale où chacun ne sait
plus où il habite, répond­elle. Moi
« Lille est une
ville bétonnée,
socialement
fracturée,
à plusieurs
vitesses »
JULIEN POIX
candidat
de La France insoumise
que de la gauche, Martine Aubry
souhaite un large rassemblement.
« On est de gauche et on partage les
mêmes valeurs avec le centre », pré­
cise­t­elle. Comme en 2014, elle a
d’ailleurs choisi le bleu ciel pour sa
campagne. Pas le rose. Mais elle se
défend de tout accord avec la
droite. « J’entends ça depuis trois se­
maines. C’est faux, dit­elle. Mais on
s’est toujours respecté. »
« Pas d’espoir ni de souhait »
Vendredi, les candidats de droite
Thierry Pauchet et Marc­Philippe
Daubresse ont annoncé faire al­
liance. Trait d’union entre les deux
hommes ? Valérie Petit, macro­
niste qui a quitté le parti présiden­
tiel, La République en marche
(LRM). Cette dernière prévient : « Si
Martine Aubry est en tête mais en
difficulté au soir du premier tour, je
préférerai qu’elle s’associe à un cen­
tre droit modéré et constructif. »
Marc­Philippe Daubresse, ex­mi­
nistre de la jeunesse et des solida­
rités actives, confirme : « Martine
Aubry n’est pas une ennemie. »
Fait étonnant, l’ancienne minis­
tre qui a mis en place les 35 heures
il y a vingt ans, pourrait donc trou­
ver le soutien du centre droit au
européennes à Lille (21,7 %), rap­
pellent de leur côté que « l’alliance
avec Martine Aubry n’est pas auto­
matique ». Samedi matin, la maire
actuelle est restée floue sur un ac­
cord potentiel avec EELV : « Je n’ai
pas d’espoir ni de souhait. Jusqu’ici
nous étions une équipe dans la ma­
jorité municipale et là, je ne com­
prends pas leur façon de prendre de
la distance ou de dire que les bon­
nes choses qui ont été réalisées,
c’est eux. Ce n’est pas correct. »
Le candidat EELV Stéphane Baly,
crédité de 18 %, réagit : « Il y a la vé­
rité et la vérité selon Martine Aubry.
Nous faire ce procès, c’est presque
grossier. On sent une certaine fébri­
lité or, le PS – et pas qu’à Lille –
quand il fallait se ranger derrière
lui, c’était automatique, mais l’in­
verse ne l’est pas. » Stéphane Baly
espère bien arriver en tête au soir
du premier tour. Il a d’ores et déjà
lancé l’idée que Martine Aubry
puisse devenir son adjointe à la
culture. A droite, Thierry Pauchet
n’a aucun doute sur le fait que les
Verts et Martine Aubry partiront
ensemble pour le second tour.
Aucune liste n’annonce en tout
cas son intention de rejoindre
celle de Violette Spillebout. Dans
Martine Aubry investie par LRM et
soutenue par le MoDem, l’UDI, les
radicaux, l’UDE et les Sociaux­dé­
mocrates lillois, est créditée de
15 % des voix. A 46 ans, la candi­
date estime que le programme so­
cialiste est un copier­coller de ce­
lui qu’elle a présenté il y a quinze
jours : « Si Martine Aubry est désor­
mais pour la vidéoprotection et
qu’elle veut verdir la ville, réjouis­
sons­nous ! »
Violette Spillebout doit présen­
ter sa liste dans les prochains
jours. Elle prévient : « On a vrai­
ment les nouveaux visages de la so­
ciété civile. La dynamique est de no­
tre côté. » Et pour faire face à l’ab­
sence de réserves de voix pour le
second tour, elle prévient : « On ira
les chercher chez les Lillois qui ont
envie de s’engager pour un nou­
veau souffle. » De quoi perturber
Martine Aubry ? Sans citer son ad­
versaire, la maire de Lille moque le
manque de cohérence dans son
programme, « succession de dix ou
quinze mesures ». Et prévient : « Il
faut savoir ne pas être dans la dé­
magogie, ne pas courir derrière ce­
lui qui crie le plus fort et ne pas cé­
der au dégagisme ambiant. » 
laurie moniez

12 | france
Dans le Var, Guerini déploie sa stratégie contre le RN
Le délégué général de LRM souhaite que le parti présidentiel s’adapte aux situations locales
var ­ envoyé spécial
I
ci, ça va se jouer entre le Front
et Macron. » A la terrasse de
La Cantina, bar populaire du
centre de Cuers, un client ré­
sume le combat qu’il voit se profi­
ler dans la petite ville du Var pour
les élections de mars.
Stanislas Guerini est à deux pas
et, s’il l’entendait, apprécierait sû­
rement la prédiction. Ce samedi
1er février, le délégué général de La
République en marche (LRM) par­
court le département d’ouest en
est. Un déplacement pour décli­
ner sur un terrain historiquement
favorable au vote d’extrême
droite la stratégie élaborée par le
mouvement présidentiel pour
contrer le Rassemblement natio­
nal (RN). Et positionner LRM
comme principal barrage à la for­
mation de Marine Le Pen. Un plan
de bataille destiné aux prochaines
municipales, mais aussi aux dé­
partementales et aux régionales.
Cuers, 11 500 habitants, à une
vingtaine de kilomètres de Tou­
lon, fait partie des 131 villes fran­
çaises où les experts de LRM
voient un potentiel de progres­
sion élevé pour le RN. « La liste
n’est pas exhaustive et ce ne sont
pas forcément des communes qui
vont basculer aux prochaines mu­
nicipales, précise Stanislas Gue­
rini. Mais identifier ces 131 villes,
c’est regarder les choses telles
qu’elles sont. Dans la lutte contre le
Front national, je ne crois ni
au déni ni au renoncement. Et en­
core moins à la pactisation. »
« Des solutions »
Le chef des « marcheurs » ne
nomme le mouvement de Marine
Le Pen que par son appellation
historique. Et sur la place de
l’église de Cuers, au soleil de Pro­
vence, il réfute toute tentative de
mise en scène d’un duel qui, en ef­
façant les autres formations poli­
tiques, bénéficierait à LRM. « Nous
n’agitons pas les peurs. On sait que
la petite boutique du FN prospère
sur les difficultés, sur un discours
misérabiliste, sur les crises. A cha­
que fois qu’on apporte des solu­
4 FÉVRIER 2020 O21 SAINT-ÉTIENNE
LA COMÉDIE DE SAINT-ÉTIENNE
Entrée gratuite - inscription sur o21.lemonde.fr
Stanislas
Guerini,
sur le plateau
de CNews,
en avril 2019.
LIONEL BONAVENTURE/AFP
tions à ces crises, avec des person­
nes de la société civile très implan­
tées dans leur territoire, on fait re­
culer le Front », insiste M. Guerini.
Avant de rallier Saint­Raphaël,
où les élus LRM du Grand Sud­Est
sont en formation sur le sujet et où
une réunion publique ponctue sa
visite, le délégué général vient
soutenir sa candidate à Cuers. Di­
rectrice d’école depuis douze ans,
ex­MoDem, Christine Ibanez colle
à merveille au profil défini par
M. Guerini. Sa liste s’appelle Revi­
taliser Cuers et elle prévoit, notam­
ment, la réalisation d’un nouveau
plan d’eau de loisirs et d’un cam­
ping dans la commune. « Nos
concitoyens ont peur alors que
nous n’avons pas de problèmes de
sécurité, se désole l’enseignante.
Nous avons besoin de leur montrer
qu’on apporte des solutions autres
que la haine et la peur de l’autre. »
Au comptoir du café voisin, Pier­
re­Laurent Chable, jeune candidat
du RN, découvre la visite de Sta­
nislas Guerini avec surprise.
« LRM a besoin de transformer ça
en duel pour exister et cacher son
manque d’implantation hors des
grandes villes. Ce n’est pas forcé­
ment bon, car les gens n’aiment
pas qu’on stigmatise leur com­
mune », s’agace celui qui, à 36 ans,
est aussi le secrétaire général du
groupe RN au conseil régional.
« Jouer les patriotes contre les
mondialistes est une stratégie dan­
gereuse. Un jour ou l’autre, ça va
basculer », complète son colistier
Régis Chevrot, conseiller munici­
pal élu dans la ville voisine de Sol­
liès­Pont en 2014.
Quand il rejoint Saint­Raphaël
en début d’après­midi, Stanislas
Guerini est accueilli par plus de
200 élus et militants. A l’extérieur
d’une salle sous surveillance,
quelques « gilets jaunes » et mili­
tants de La France insoumise pro­
testent symboliquement. A l’inté­
L’aile gauche de la majorité s’organise
pour « faire contrepoids » à la droite
Le Drian et Dussopt ont lancé, samedi , Territoires de progrès
C ela commençait à devenir
un serpent de mer : depuis
le début du quinquennat,
le projet de fédérer un pôle de gau­
che au sein de la Macronie était ré­
gulièrement évoqué, sans jamais
se produire. C’est désormais offi­
ciel. Le ministre des affaires étran­
gères, Jean­Yves Le Drian, et le se­
crétaire d’Etat à la fonction publi­
que, Olivier Dussopt, ont lancé, sa­
medi 1er février, un mouvement
baptisé Territoires de progrès. Bâti
autour de ces deux anciens socia­
listes ralliés à Emmanuel Macron,
ce collectif indépendant de La Ré­
publique en marche (LRM) veut
davantage faire entendre la sensi­
bilité de gauche au sein de la majo­
rité, alors que la ligne de l’exécutif
penche à droite. « Ce mouvement
aspire à peser sur les orientations
du gouvernement et à faire contre­
poids à ses alliés du centre droit »,
énonce le texte fondateur, signé
par une soixantaine d’anciens
élus socialistes, militants ou
membres de la société civile.
« C’est un espace pour ceux qui
souhaitent soutenir la majorité,
sans adhérer forcément à LRM et
en gardant une liberté de ton », ex­
plique Olivier Dussopt, qui se ré­
jouit de la naissance de ce pôle sus­
ceptible « d’élargir la majorité pré­
sidentielle ». « Ce sont des gens qui
rieur, une délégation d’avocats de
Draguignan prendra brièvement
la parole pour dénoncer, dans le
calme, la réforme des retraites.
Désistements au second tour
Des candidats venus d’Avignon,
de Saint­Maximin, montent à la
tribune. Brune Poirson, la secré­
taire d’Etat auprès de la ministre
de la transition écologique et soli­
daire, qui, en 2017, a repris la cir­
conscription vauclusienne de
Marion Maréchal­Le Pen – qui ne
se représentait pas –, exhorte les
troupes « à faire du porte­à­porte »
et à « être fiers des mesures du gou­
vernement ». « On m’avait dit ne
perds pas ton temps, c’est impossi­
ble », rappelle­t­elle.
A la frontière orientale du Var,
Saint­Raphaël apparaît comme
l’endroit parfait pour décliner la
diversité des stratégies de LRM
dans ces municipales. Dans la
commune voisine de Fréjus,
ont voté pour Emmanuel Macron à
la présidentielle, venant du Parti so­
cialiste, du monde écolo ou syndi­
cal et de la société civile. Ils veulent
aller plus loin sur des questions de
justice sociale, en particulier sur les
retraites, ou la décentralisation. »
Décisions « trop à droite »
M. Le Drian et M. Dussopt se don­
nent pour objectif de fédérer des
électeurs de gauche de M. Macron
à la présidentielle. Et surtout rete­
nir ceux issus du Parti socialiste,
qui sont tentés de rejoindre leur
camp d’origine. Leur argumen­
taire ? Eux seuls portent une gau­
che de gouvernement, responsa­
ble et mesurée, face au PS, qui,
dans l’opposition, est devenu
membre de « la gauche protesta­
taire », notamment aux côtés de La
France insoumise. « La social­dé­
mocratie a déménagé, elle a quitté
le PS. Elle doit se retrouver dans la
majorité présidentielle », a déclaré
le ministre des affaires étrangères
lors d’un discours, samedi, à Pan­
tin (Seine­Saint­Denis), en appe­
lant à « la remobilisation d’une
gauche de gouvernement ferme­
ment républicaine, résolument so­
ciale et écologiste, porteuse d’un ré­
formisme humain ».
Sans surprise, la naissance de ce
« pôle de gauche » est accueillie
conquise en 2014 pour le FN par
David Rachline, le mouvement
présidentiel apporte son soutien
à l’élue Les Républicains (LR), Lau­
rence Fradj. « Aller à la municipale
en disant qu’on va lutter tout seul,
ce n’est pas la solution gagnante. A
Fréjus, des personnalités se sont
rassemblées et ont décidé de pro­
poser un nouveau projet », détaille
Angélique Fernandes, chef de file
LRM de la ville, qui doit figurer
sur la liste de Mme Fradj.
A Saint­Raphaël, LRM a investi
une des siens, Sandrine Hac­
quard, car, justifie Stanislas Gue­
rini, « nous sommes dans une ville
où nous avions bien besoin de por­
ter une candidature antisystème ».
« Enfin, dans les communes où
nous avons une implantation
moindre, j’assume de dire que je
préfère ne pas avoir de liste LRM
pour ne pas ajouter de la com­
plexité à la complexité », complète
le délégué général.
avec enthousiasme à la direction
de LRM. « Il contribue à élargir et
renforcer la majorité de projet
autour du président », se réjouit le
délégué général adjoint de LRM,
Pierre Person, qui veut y voir « un
premier signal dans la reconquête
des sociaux­démocrates ». A l’in­
verse, le patron du Parti socialiste,
Olivier Faure, se montre cinglant.
A ses yeux, ce pôle de gauche créé
essentiellement par d’anciens ca­
marades ralliés à la Macronie,
« c’est le petit groupe des alcooli­
ques anonymes, qui se retrouve
après la gueule de bois : “Bonjour, je
m’appelle Jean et j’ai découvert un
matin que j’avais trahi tout ce que
j’avais porté jusqu’ici…” ».
Ce lancement intervient alors
que l’aile gauche de la majorité se
montre de plus en plus remuante
contre un pouvoir accusé de pren­
dre des décisions « trop à droite ».
Lors du dernier bureau exécutif de
LRM, le 29 janvier, plusieurs dépu­
tés ont pesté contre le trop grand
nombre d’élus de droite investis
par le parti présidentiel pour les
municipales. A l’Assemblée, cer­
tains élus issus du PS évoquent
également la possibilité de consti­
tuer un groupe autonome. Pas sûr
que la création de ce « pôle de gau­
che » parvienne à les rassurer. 
alexandre lemarié
0123
MARDI 4 FÉVRIER 2020
A Fréjus,
conquise en 2014
pour le FN par
David Rachline,
LRM apporte son
soutien à l’élue
Les Républicains
Si M. Guerini voit dans cette
adaptation aux situations locales
une stratégie « claire et simple »,
dans la salle varoise, quelques
« marcheurs » pointent, eux, des
paradoxes. Un animateur d’un
collectif LRM de Draguignan
s’étonne ainsi du soutien apporté
à certaines listes très proches de
Marc Giraud, président LR du dé­
partement, dont il dénonce les
coupes « en matière de politique
sociale ». Le député (LRM) des Al­
pes­Maritimes Cédric Roussel ar­
rive de Nice pour s’étonner, lui, de
la situation dans sa ville. La veille,
lassé d’attendre une investiture
de la formation macronienne, il a
renoncé à défier le maire (LR),
Christian Estrosi. « La cinquième
ville de France n’aura pas de liste
En marche, ce qui fait plus les affai­
res de M. Estrosi que de notre
parti », regrette­t­il.
Adaptable au premier tour, LRM
promet une stratégie homogène
au second. Face à ses élus et mili­
tants, Stanislas Guerini n’a voulu
laisser aucun doute. « Nos candi­
dats, s’ils sont placés en troisième
position et donc pas en mesure de
battre le RN, je leur demanderai de
se désister ou de fusionner leur
liste avec celle du candidat le
mieux placé », a­t­il expliqué.
Dans le Var, le délégué général
n’a pas manqué de rappeler un
antécédent célèbre. Celui, en 2015,
du désistement de Christophe
Castaner, alors au PS, pour empê­
cher Marion Maréchal­Le Pen et le
FN de prendre la région Provence­
Alpes­Côte d’Azur. Un souvenir
qui, à Saint­Raphaël, a soulevé les
applaudissements. 
gilles rof
S OC IAL
Enfants maltraités :
un soutien financier
pour 30 départements
Places en foyers, interventions
chez les familles en difficulté,
meilleur accompagnement
des enfants handicapés pla­
cés : 30 départements bénéfi­
cieront en 2020 d’un soutien
financier en faveur de la
protection de l’enfance, a an­
noncé lundi 3 février, Adrien
Taquet. Les départements
sélectionnés devront conclure
avec l’Etat, « d’ici à juin 2020,
un contrat avec des projets
et des priorités en matière de
prévention et de protection de
l’enfance », a détaillé le secré­
taire d’Etat chargé de la pro­
tection de l’enfance. – (AFP.)
JEU NESS E
L’exécutif envisage
de généraliser le service
national universel
dès 2024
Le gouvernement espère
que tous les jeunes de 16 ans
feront leur service national
universel (SNU) en 2024, soit
deux ans avant la date initia­
lement envisagée, a indiqué
le secrétaire d’Etat en charge
de la jeunesse, Gabriel Attal,
dans un entretien à Ouest­
France, publié dimanche.
Voulu par Emmanuel
Macron, le dispositif
expérimenté depuis 2019
sur la base du volontariat
est appelé à se généraliser
à l’ensemble d’une classe
d’âge, soit 800 000 adoles­
cents, et à devenir obligatoire.
 ÉCONOMIE & ENTREPRISE
0123
MARDI 4 FÉVRIER 2020 | 13

L’Inde tente de relancer une économie atone 
Face à une croissance en berne et à un chômage élevé, le budget du gouvernement Modi prévoit des baisses d’impôt

new delhi ­ correspondante mentaires sur le marché du tra­ gouvernement va vendre la tota­ secteur agricole, qui ne repré­ développer le Make in India, est à
vail, les experts estiment qu’une lité de sa compagnie aérienne, Air sente que 15 % du produit inté­
Les aides présent confronté à une double

L’
économie indienne va
mal, et le gouverne­
ment commence à l’ad­
mettre à mots couverts.
Face à une croissance atone et à
un chômage élevé, l’équipe du
premier ministre, Narendra Modi,
réélu de manière triomphale en
mai 2019, a présenté, samedi 1er fé­
vrier, un budget destiné à relancer
l’activité par la consommation.
Au cours des huit derniers mois,
son cabinet a, au contraire, tenté
de soutenir l’offre par une baisse
de l’impôt sur les sociétés de 30 %
à 22 % et par l’injection massive de
liquidités dans les banques publi­
ques, au risque de faire déraper le
déficit. Ces mesures ont réduit les
marges de manœuvre et les recet­
tes de l’Etat, mais n’ont pas encore
produit l’effet escompté sur les in­
vestisseurs en raison de la fai­
blesse de la demande, le principal
moteur de la croissance. A cela
s’ajoutent la persistance d’une
crise bancaire profonde et la bu­
reaucratie encore si pesante en
Inde, sans parler du climat politi­
que que nombre de chefs d’entre­
prise jugent anxiogène.
La veille de la présentation du
budget, le rapport annuel sur
l’état de l’économie indienne
avait confirmé les difficultés que
croissance en deçà de 8 % ne peut
pas satisfaire les besoins de l’Inde,
deuxième pays le plus peuplé de
la planète, avec 1,3 milliard d’habi­
tants. « Une faible demande mon­
diale a affecté l’Inde, de même
qu’un ralentissement de l’investis­
sement en raison de problèmes
dans le secteur financier, faisant
chuter la croissance à un plus bas
depuis une décennie », écrit le
conseiller économique en chef du
gouvernement indien, Krishna­
murthy Subramanian.
Précarisation de l’emploi
Pour alourdir encore le climat, il a
révisé à la baisse le chiffre de la
croissance de l’exercice précé­
dent, celui de 2018­2019, à 6,1 % au
lieu des 6,8 % calculés dans un
premier temps. Une petite note
d’espoir, toutefois : il considère
que l’exercice 2020­2021 pourrait
être meilleur, avec un rythme de
croissance compris entre 6 % et
6,5 %. « Le gouvernement doit utili­
ser son mandat fort pour mettre
en œuvre rapidement des réfor­
mes, qui permettront à l’économie
de rebondir fortement en 2020­
2021 », est­il écrit dans le rapport
annuel. Pas sûr que le gouverne­
ment ait répondu aux attentes du
conseiller économique.
India, et le principal assureur du
pays, LIC. L’argent ainsi dégagé
servira de levier pour financer les
projets d’infrastructures.
Le 31 décembre 2019, la ministre
a levé le voile sur un programme
de chantiers de 1 300 milliards
d’euros dans l’énergie, les trans­
ports (avec notamment la cons­
truction de cent nouveaux aéro­
ports) les villes ou encore les sys­
tèmes d’irrigation. Elle a assuré,
dans un entretien au quotidien
Hindustan Times, disposer, après
consultation des différents Etats
de l’Union indienne et du secteur
privé, d’une liste de 6 500 projets.
Afin de relancer la consomma­
tion, le gouvernement cible les
classes moyennes, qui bénéficie­
ront d’un régime simplifié d’im­
pôt sur le revenu avec des taxes
réduites pour les particuliers qui
renoncent aux niches fiscales. Le
CONTENU PARTENAIRE
rieur brut, mais emploie plus de la
moitié de la population, obtient
une hausse de 13 % des crédits
budgétaires. Les aides sont no­
tamment destinées à venir en
aide aux paysans lourdement en­
dettés et exposés aux effets du
changement climatique et à l’éro­
sion de sols après des années
d’utilisation massive d’engrais.
Sans surprise, l’opposition a ac­
cueilli le budget avec réserve. « Le
discours de la ministre des finan­
ces reflète bien l’action du gouver­
nement, a jugé Rahul Gandhi, dé­
puté du Parti du Congrès, la prin­
cipale formation d’opposition.
Beaucoup de répétitions, de di­
gressions, de bavardages, mais
rien ne se passe. Le pays souffre,
bien sûr, et les jeunes ont le senti­
ment qu’ils n’ont pas d’avenir. »
« L’idée que le gouvernement se
fait des “réformes” est d’accorder
sont notamment
destinées
à venir en aide
aux paysans
lourdement
endettés
de petits allégements fiscaux aux
contribuables », ironise Palaniap­
pan Chidambaram, ex­ministre
des finances et membre du Parti
du Congrès, qui appelle à de gran­
des réformes structurelles pour
sortir le pays de la crise. Aux yeux
des experts, la stratégie économi­
que du gouvernement souffre
d’un manque évident de lisibilité.
Narendra Modi, qui avait été élu
en 2014 sur la promesse de créer
20 millions d’emplois par an et de
crise, économique et politique.
Depuis deux mois, des centaines
de milliers d’Indiens manifestent
quotidiennement dans tout le
pays contre le projet de réforme
de la loi sur la nationalité, mais
aussi contre la dégradation de
leurs conditions de vie.
Le 8 janvier, les syndicats ont fait
défiler des milliers de citoyens
lors d’une grève générale pour
protester contre le chômage, les
privatisations et son corollaire, la
précarisation de l’emploi et la
baisse des revenus. L’inflation a at­
teint, en décembre 2019, son plus
haut niveau en cinq ans (7,5 %).
Une pression intenable pour les
foyers modestes fragilisés par la
forte hausse du prix des denrées
de base comme l’oignon ou les to­
mates. Le salaire moyen en Inde
ne dépasse pas 200 euros. 
sophie landrin

Réussir la transition écologique

traverse le sous­continent, avec Dans un discours au Parlement
une prévision de croissance à 5 % de deux heures quarante, le plus
pour l’exercice fiscal en cours (qui long de l’histoire selon la presse
s’achèvera le 31 mars 2020), le indienne, la ministre des finan­
niveau le plus bas depuis la crise ces, Nirmala Sitharaman, a an­
financière de 2008. noncé deux séries de mesures :
Avec l’arrivée, chaque mois, de une réorganisation de l’impôt et
1 million de personnes supplé­ la poursuite des privatisations. Le
Des privatisations pour stopper
la dérive du déficit public
l’annonce, samedi 1er février, de l’introduction en Bourse de
Life Insurance Corporation of India (LIC), a constitué une
énorme surprise en Inde. L’opération promet d’être la plus
importante de ces dix dernières années et relègue au second
plan la privatisation en cours de la compagnie aérienne Air
India et du groupe pétrolier Bharat Petroleum.
Elle montre en tous les cas combien la question des finances
publiques inquiète le gouvernement Modi. Avec le ralentisse­
ment économique observé depuis le printemps 2018, celui­ci
ne parvient plus à maîtriser la dérive du déficit, que le précé­
dent ministre des finances, Arun Jaitley, mort en août 2019, se
faisait fort de maintenir en deçà de 3,3 % du produit intérieur
brut (PIB). Celle qui lui a succédé, Nirmala Sitharaman, s’at­
tend à un taux de 3,8 % sur l’exercice fiscal en cours qui s’achè­
vera fin mars, et a fixé son objectif pour l’exercice 2020­2021 à
3,5 %… grâce à la privatisation partielle de l’assureur LIC.
Sans cette opération exceptionnelle, le déficit public de
l’Inde toucherait, en 2021, la barre des 4 % du PIB, en raison de
la baisse des recettes fiscales, imputable d’une part au coup
de frein subi par la croissance économique et, d’autre part,
aux mesures de relance annoncées depuis l’été 2019, au
premier rang desquelles la forte baisse du taux de l’impôt sur
les sociétés (22 % contre 30 % auparavant).
Une variable d’ajustement à un coup
L’équation de Mme Sitharaman va être difficile à résoudre,
d’autant plus qu’il a été décidé de baisser l’impôt sur le revenu
des particuliers, afin d’encourager les classes moyennes à
consommer. Pour limiter l’impact financier de cette mesure,
qui pourra représenter une diminution de dix points du taux
d’imposition pour certaines catégories de la population, l’exé­
cutif a prévu d’instituer un nouveau barème à sept tranches,
contre quatre jusqu’ici. Il a en outre décidé de supprimer 70 des
100 niches fiscales qui grèvent les recettes de l’Etat.
Comme le font remarquer les analystes financiers, la ques­
tion du déficit se posera de nouveau dans un an, les privatisa­
tions étant une variable d’ajustement à un coup. La vente
d’une partie du capital de LIC donnera naissance à la plus
grosse capitalisation boursière du pays (entre 101 milliards et
127 milliards d’euros). LIC, créé en 1956 par la nationalisation et
la fusion de 245 compagnies d’assurances et de prévoyance, est
considéré comme l’un des plus beaux bijoux de famille du
sous­continent. Le groupe emploie 112 000 personnes, compte
Il est 17h et la grande salle de l’hôtel de ville de Bordeaux peine à contenir un public venu en nombre.
Professionnels, étudiants, politiques et citoyens sont réunis sous les ors de la République à l’occasion
d’une nouvelle conférence Le Monde Cities, organisée avec La Poste. Si le bâtiment qui accueille la
rencontre est une vénérable institution, son sujet reste éminemment contemporain.
Qu’est-ce qu’une transition écologique juste et efficace ? Issus du monde institutionnel, associatif ou acadé-
mique, les experts réunis sur scène vont tenter de répondre à une question plus épineuse qu’il n’y paraît.
Si la nécessité d’une transition est un constat largement partagé aujourd’hui, les modalités de son
exécution et de sa mesure restent vivement débattues. Une discussion à laquelle
Le Monde Cities a apporté sa pierre !
Penser de manière systémique sociaux, sinon nous allons faire une transition pour les plus riches.”
A l’image des écosystèmes naturels, les réseaux de la transition écolo- Véritable moteur pour valoriser ce vivier humain, la formation est sur
gique ont besoin d’inventer de nouvelles synergies et des collaborations toutes les lèvres et l’ensemble des intervenants décrit un vrai besoin
inédites. Cette transversalité, que la plupart des intervenants appellent d’accompagnement, des professionnels comme des populations.
de leurs vœux, reste fondamentale pour éviter une dispersion des Alors que l’horloge de l’hôtel de ville sonne 19h, Jacques Lemaire,
énergies. “Le principal enjeu reste de faire travailler le mille-feuille délégué régional Nouvelle Aquitaine de La Poste propose une conclu-
administratif de conserve”, explique Pierre Crépeaux, directeur du sion qui sonne comme un programme. “J’ai retenu l’importance du
service Environnement de Lorient. “Il faut organiser la réciprocité maillage de l’action, du devoir d’agir, d’une transition juste - qui
entre les territoires. En France, nous avons beaucoup de plans à tous n’oublie personne - d’une formation plus que jamais nécessaire,
les niveaux, mais leur articulation n’est pas toujours assurée”, ajoute d’une transversalité de l’action, et d’un besoin d’adhésion ! ”.
Arnaud Leroy, Président de l’Agence de l’Environnement et de la
Maîtrise de l’Énergie (ADEME).
Face à ces fonctionnements en vase clos, de nouvelles coopérations
émergent et permettent d’unir les forces en présence pour de meilleurs
résultats. La fédération Soliha, qui œuvre pour améliorer les conditions
d’habitat des français, a ainsi passé un accord avec La Poste afin
d’accélérer les rénovations énergétiques, essentielles à la transition
écologique. “Nous nous sommes appuyés sur la force de frappe de la
Poste, mais aussi sur son capital confiance. Le facteur rentre dans des
foyers auxquels nous n’avons pas accès”, explique Terangi Henrio,
directrice adjointe de Soliha Nouvelle Aquitaine.
Derrière ces nouvelles collaborations, on retrouve le besoin de cohé-
rence posé par l’impératif écologique. “Il ne suffit pas d’avoir plus
d’investissement vert si dans le même temps on continue de financer
l’économie brune”, fustige Arnaud Leroy.
L’humain comme mesure de la transition
Quel que soit le mode d’organisation ou la complexité des systèmes
mis en place, les intervenants s’accordent sur un point : la prise en
compte de l’humain et l’adhésion du grand public restent les premiers
indicateurs de succès pour la transition écologique. Arnaud Leroy
© Jean-Maurice Chacun

290 millions de clients et gère l’équivalent de 358 milliards appuie sur l’importance de “sortir du cercle des initiés” alors que
d’euros de fonds d’assurance­vie. Terangi Henrio insiste sur “l’aspect psychologique” de la transition
Sa mise sur le marché, si elle réussit malgré la conjoncture écologique. Maud Lelièvre, déléguée générale de l’association des
morose, aidera le gouvernement Modi à atteindre en 2021 un Ecomaires et chargée du développement durable à Saint-Denis,
objectif de recettes de privatisation inédit (26,6 milliards rappelle les fondamentaux d’une transition juste. “Elle doit être
d’euros), plus de trois fois supérieur à celui de cette année.
L’opération phare du moment, Air India, demeure à ce stade partagée, accessible et soutenable. Nous avons besoin d’indicateurs
hypothétique. Lundi 27 janvier, le ministère des finances a pu­ Arnaud Leroy, président de l’ADEME
blié un nouvel appel à candidatures portant sur 100 % du capi­
tal. En 2018, une première tentative de privatisation portant
sur 76 % du capital avait fait chou blanc, faute de candidats. 
guillaume delacroix (bombay, correspondance)
 0123
14 | économie & entreprise MARDI 4 FÉVRIER 2020

Eolien : « La France n’est pas assez ambitieuse »

Pour Magnus Hall, PDG de l’énergéticien suédois Vattenfall, le marché français de l’électricité est « très important »

ENTRETIEN Des entreprises énergétiques

sortent du charbon en vendant
réchauffement. C’est bien, mais
de manière temporaire. Ensuite,
Pourtant, en Europe, ce secteur
est dans une situation difficile…
« Très peu de avec le fournisseur historique, ce
serait différent. Mais ce n’est pas

M
agnus Hall est le
PDG de Vattenfall,
groupe public sué­
dois d’énergie pré­
sent dans sept pays européens,
avec des barrages hydroélectri­
ques, des centrales nucléaires et
des éoliennes – notamment en
mer. Il est également le président
de Eurelectric, l’association euro­
péenne des industriels du sec­
teur. Vattenfall s’est par ailleurs
lancé en octobre 2018 sur le mar­
ché de l’électricité pour les parti­
culiers.
L’UE vient de se fixer un objec­
tif de « neutralité carbone »
en 2050. Pensez­vous que la
transition énergétique va dans
le bon sens pour atteindre
cet horizon ?
Je suis optimiste. La discussion
va dans la bonne direction, aussi
bien au niveau des institutions
européennes que dans les gran­
des entreprises énergétiques.
J’espère que le Green Deal euro­
péen présenté par la Commission
européenne va permettre une ac­
célération.
La solution en Europe pour
réduire les émissions de CO2
passe par une électrification
massive des usages. Cela con­
leurs centrales à d’autres,
qui continuent à les faire
fonctionner. C’est ce qu’à fait
Vattenfall en Allemagne
en 2016…
Les investisseurs qui achètent à
bas prix des centrales savent
qu’elles vont finir par fermer et
misent sur le fait qu’ils vont ga­
gner un peu d’argent dans l’inter­
valle. Je ne pense pas que cela ar­
rête le changement, qui viendra
de toute façon. D’abord, la société
accepte de moins en moins la
production d’électricité à partir
de charbon. Et puis il y a une vé­
rité économique : il devient de
plus en plus difficile de gagner de
l’argent avec le charbon en Eu­
rope. Pour notre part, nous avons
vendu nos mines et nos centrales
parce que nous savions que ces
actifs sont devenus trop risqués
financièrement.
Le développement des éner­
gies renouvelables en Europe
peut­il se poursuivre ? Dans
plusieurs pays, comme en Alle­
magne, le développement de
l’éolien semble atteindre une
limite.
La croissance va continuer et en
particulier l’éolien en mer, dont
l’acceptabilité sociale est plus
il faudra faire autrement. Com­
ment faire dans la phase sui­
vante ? C’est la question la plus
importante. Dans une perspec­
tive de neutralité carbone, il fau­
dra miser sur l’hydroélectricité et
le stockage, mais l’essentiel sera
la capacité à faire varier la de­
mande d’électricité, pour avoir
plus de flexibilité du côté des
consommateurs.
Pensez­vous que l’énergie
nucléaire soit nécessaire
pour le futur mix électrique
européen ?
Un système avec beaucoup
d’énergies renouvelables a be­
soin de moyens de production en
continu en appui. Le nucléaire
peut jouer ce rôle. Tous les pays
ne feront pas ce choix. Mais
compte tenu de l’urgence climati­
que, je ne partage pas l’idée qu’il
faudrait sortir complètement du
nucléaire.
Pour assurer le développement
du nucléaire dans le futur, il fau­
drait arriver à faire baisser les
coûts, tout en conservant un ni­
veau élevé de sûreté. En réalité,
l’argument le plus solide contre
le nucléaire aujourd’hui n’est pas
la question de la sûreté, mais les
coûts. L’industrie doit travailler
sérieusement sur ce sujet.
Le nucléaire n’est pas « vert »,
car ce n’est pas une énergie re­
nouvelable, mais c’est une solu­
tion qui n’émet pas de CO2 et il
faut la prendre en compte. Nous
allons électrifier davantage les
usages, donc nous allons avoir
besoin à la fois des énergies re­
nouvelables – qui vont concen­
trer l’essentiel des investisse­
ments – et du nucléaire. Pour
moi, une Europe sans nucléaire
n’aurait pas beaucoup de sens.
Vattenfall est entré en 2019 sur
le marché français des particu­
pays auront
encore une
dépendance au
charbon
dans quelques
années sur
le continent »
MAGNUS HALL
PDG de Vattenfall
liers pour concurrencer
notamment EDF. Pourquoi ?
Notre objectif est d’être dans les
cinq plus gros fournisseurs
d’électricité dans les cinq prochai­
nes années. Pour nous, la France
est un marché très important.
Pour les consommateurs, le fait
d’avoir plus de choix et de la con­
currence est une bonne chose. Si
tous les clients étaient heureux
forcément le cas.
Vous comptez aussi investir
dans l’éolien en mer. La France
est­elle à la hauteur dans
ce domaine ?
Le gouvernement français dé­
montre son soutien au secteur,
mais il n’est pas suffisamment
ambitieux en la matière. Nous
sommes inquiets des retards
pris : l’appel d’offres au large de la
Normandie ne sera en réalité pas
attribué avant le premier semes­
tre 2022. Sans accélération immé­
diate, seule la moitié des projets
annoncés seront attribués d’ici à
la fin 2023.
C’est pourtant une opportunité
énorme pour la France : il y a de
très nombreux investisseurs et
développeurs qui n’attendent
que ça. C’est notre cas, et nous ne
sommes pas les seuls. 
propos recueillis par
nabil wakim

NOUVELLE GAMME PEUGEOT

cerne d’abord le transport, le simple. Nous allons assister à
chauffage et l’industrie, qui ont plus d’investissements dans ce
aujourd’hui beaucoup trop re­ domaine, comme l’a récemment

cours à des énergies fossiles. En
Suède, c’est grâce à l’électricité
que nous avons réduit de ma­
nière importante l’usage des
HYBRIDE RECHARGEABLE
souligné une étude de l’Agence
internationale de l’énergie (AIE).
On voit que plusieurs pays
européens accélèrent dans ce do­

UNBORING THE FUTURE*

énergies fossiles.
Pensez­vous qu’il est possible
de mener à bien la sortie
du charbon en Europe dans
les prochaines années ?
Les réponses sont forcément
différentes selon les pays. En
Pologne, par exemple, cela va
prendre du temps. Mais je pense
que très peu de pays auront
encore une dépendance au char­
bon dans quelques années sur le
continent et qu’on va assister à
une accélération des fermetures
des centrales.
Le plus difficile est de faire face
aux enjeux sociaux et d’emplois
qui se posent. L’Allemagne a pré­
senté il y a quelques jours un plan
important pour soutenir cette
transition hors du charbon dans
les régions qui sont concernées.
maine, et cela pour deux raisons :
d’abord, les coûts ont fortement
baissé. Et ensuite, si l’on compare
avec l’éolien terrestre, la produc­
tion en mer est bien supérieure,
et elle est continue.
Les investisseurs sont d’ailleurs
au rendez­vous. Ils viennent
taper à notre porte tous les jours
pour investir dans les énergies
renouvelables.
Pensez­vous que le gaz
peut être l’énergie de
la transition, comme l’affir­
ment certaines compagnies
pétrolières ?
Nous devons nous appuyer sur
le gaz, mais pas sur le long terme,
parce qu’il est n’est pas neutre en
carbone. On voit des pays qui
remplacent le charbon par le gaz,
parce qu’il contribue moins au

ÉNERGIE
Occupation d’une
centrale à charbon
en Allemagne
Des militants anti­charbon
ont occupé, dimanche 2 fé­
vrier, la centrale Datteln 4,
dont la mise en service, pré­
vue à l’été 2020, est critiquée,
alors que l’Allemagne compte
abandonner ce minerai. Plus
d’une centaine de personnes
se sont introduites dans la
matinée sur le site implanté
dans l’ouest du pays. L’exploi­
tant de la centrale, Uniper, a
lancé des poursuites. – (AFP.)
AU TO M O B IL E
Le milliardaire canadien
Lawrence Stroll entre au
capital d’Aston Martin
Le constructeur britannique
de voitures de sport Aston
Martin, en difficulté finan­
cière, a annoncé, vendredi
31 janvier, une prochaine le­
vée de fonds de 500 millions
de livres (595 millions
d’euros) et l’entrée à son capi­
tal du milliardaire canadien
de la F1 Lawrence Stroll, avec
un groupe d’investisseurs.
Ce consortium obtiendra
une part de 16,7 % du capital,
tandis que M. Stroll devien­
dra président exécutif
de l’entreprise. – (AFP.)
S AT E L L I T E S
Le fonds belge CNP
prend le contrôle
du français CLS
Le fonds d’investissement
belge Compagnie nationale à
portefeuille (CNP) a annoncé,
lundi 3 février, être devenu
l’actionnaire majoritaire du
groupe de services satellitai­
res CLS, sis à Toulouse et ex­
ploitant les balises de sur­
veillance Argos, avec 66 % du
capital. Le Centre national
d’études spatiales français
(CNES) possède 34 % de l’en­
treprise toulousaine, fondée
en 1986. – (AFP.) JUSQU’À 59 KM D’AUTONOMIE EN 100 % ÉLECTRIQUE**
Kinéis lève À PARTIR DE 29 G CO2 /KM ***
100 millions d’euros
La société toulousaine Kinéis
a annoncé, lundi 3 février,
avoir levé 100 millions
d’euros pour financer sa
constellation de nanosatelli­
tes dévolus à l’Internet des
objets et dont le lancement
est prévu fin 2022. Kinéis a
été créée en septembre 2018 (1) Les valeurs de consommation de carburant, d’émissions de CO2 et d’autonomie indiquées sont conformes à la procédure d’essai WLTP sur la base
par CLS, l’opérateur histori­ de laquelle sont réceptionnés les véhicules neufs depuis le 1er septembre 2018. Cette procédure WLTP remplace le cycle européen de conduite
que du réseau de balises Ar­ (NEDC), qui était la procédure d’essai utilisée précédemment. Les conditions d’essai étant plus réalistes, la consommation de carburant et les
gos, qui reste actionnaire de émissions de CO2 mesurées selon la procédure WLTP sont, dans de nombreux cas, plus élevées que celles mesurées selon la procédure NEDC. Les
référence, avec 32 % du capi­ valeurs de consommation de carburant, d’émissions de CO2 et d’autonomie peuvent varier en fonction des conditions réelles d’utilisation et de
tal, contre 26 % pour le CNES différents facteurs tels que : la fréquence de recharge, le style de conduite, la vitesse, les équipements spécifiques, les options, les types de
pneumatiques, la température extérieure et le confort thermique à bord du véhicule. Veillez à vous rapprocher de votre point de vente pour plus de
et 20 % pour Bpifrance. Des
renseignements. Plus d’informations sur peugeot.fr.
industriels détiennent entre
1 % et 5 %. – (Reuters.)
 0123
MARDI 4 FÉVRIER 2020
En Allemagne, accalmie
inattendue sur les loyers
Après des années de hausse, les prix tendent à stagner,
voire à légèrement baisser, dans les grandes villes du pays
berlin ­ correspondance
C
ela aura été laborieux,
mais c’est désormais
chose faite : sept mois
après l’annonce, par la
mairie de Berlin, d’un projet de
loi de gel des loyers dans la
capitale allemande, le Parlement
régional de la ville­Etat a voté,
jeudi 30 janvier, en faveur de ce
dispositif aussi inédit que contro­
versé. Plus rien ne s’oppose à l’en­
trée en vigueur de cette mesure
complexe, qui interdit toute aug­
mentation des loyers supérieure
à l’inflation pour une durée de
cinq ans, sous peine d’amende
allant jusqu’à 500 000 euros.
Fustigée par de nombreux dé­
tracteurs qui la jugent excessive,
voire anticonstitutionnelle, et
* Pour un futur qui ne soit pas ennuyeux.
GAMME PEUGEOT HYBRIDE RECHARGEABLE : Valeurs WLTP(1) : Autonomie moyenne : **SUV PEUGEOT
3008 HYBRID4 : 59 km ; PEUGEOT 508 SW HYBRID : 52 km ; PEUGEOT 508 HYBRID : 54 km / Émissions de CO2 (cumulées) : ***SUV PEUGEOT
3008 HYBRID4 et PEUGEOT 508 HYBRID : 29 g/km ; PEUGEOT 508 SW HYBRID : 30 g/km / Consommation mixte (pondérée) : SUV PEUGEOT
3008 HYBRID4, PEUGEOT 508 SW HYBRID et PEUGEOT 508 HYBRID : 1,3 l/100 km.
mettent en doute son efficacité,
la nouvelle loi s’applique de façon
rétroactive à compter du
18 juin 2019, et concerne environ
1,5 million de logements dans la
capitale, soit la quasi­totalité du
parc locatif privé. « Nous avons
franchi une étape importante,
s’est réjouie Katrin Lompscher,
ministre du logement au sein du
gouvernement régional du Land
de Berlin et principale architecte
de cette réforme. Le plafonne­
ment des loyers interrompt l’aug­
mentation parfois absurde des
prix sur le marché du logement. »
Pour les Berlinois, dont 80 % sont
locataires de leur logement, cette
nouvelle loi est du pain bénit :
d’après un sondage publié en
novembre 2019, ils étaient 71 % à
approuver le dispositif.
Il semble pourtant que le mar­
ché n’ait pas attendu les mesures
draconiennes de la mairie de Ber­
lin pour reprendre son souffle,
après plusieurs années de hausse
effrénée. Au quatrième trimestre
de 2019, les loyers ont même di­
minué de 1,2 % par rapport à leur
niveau du dernier trimestre de
2018 pour les logements nouvel­
lement loués dans la capitale alle­
mande, selon une étude publiée
le 20 janvier par F + B, une société
de recherche et de conseil en
immobilier.
Le loyer moyen calculé par ces
experts (9,10 euros du mètre
carré) reste modéré par rapport à
d’autres capitales européennes,
mais Berlin a connu une folle dé­
cennie qui a vu le loyer médian
au mètre carré bondir de 104 %
économie & entreprise | 15
depuis 2009, d’après des calculs
du site immobilier Immowelt,
publiés en juillet 2019.
Ce tassement des prix à la loca­
tion observé par F + B n’est pas
cantonné à Berlin. Au niveau
national, les loyers définis dans
les nouveaux contrats de bail si­
gnés entre octobre et décem­
bre 2019 étaient inférieurs de
0,3 % au montant observé sur la
même période un an auparavant,
à en croire le baromètre de F + B,
un indice trimestriel calculé à
partir des données de marché de
plus de 30 millions de logements
dans toute l’Allemagne.
Effet d’ordre psychologique
« Cela signifie que la tendance à la
stagnation, voire à la légère
baisse, constatée par F + B sur les
loyers dès le premier trimestre de
2019, se poursuit », note l’étude,
qui précise qu’à l’instar de la capi­
tale, 11 des 50 villes les plus chères
du pays ont vu les loyers baisser.
C’est notamment le cas à Mu­
nich, la ville où le coût du loge­
ment bat tous les records. Dans
l’opulente capitale bavaroise, le
loyer moyen s’est établi à
16,40 euros par mètre carré pour
les nouveaux contrats de loca­
tion signés au quatrième trimes­
tre de 2019, ce qui représente un
Pour les
Berlinois,
dont 80 % sont
locataires de leur
logement,
la nouvelle loi sur
le gel des loyers
est du pain bénit
recul de 0,6 % par rapport aux
trois derniers mois de 2018, relè­
vent les experts. La tendance est
également à la baisse dans
d’autres villes de Bavière, comme
Ingolstadt, qui abrite le siège du
constructeur automobile Audi,
avec un repli de 0,7 %, ou encore
la station de ski de Garmisch­Par­
tenkirchen, où le recul a été plus
net, avec – 4,4 %. Dans le reste du
pays, là où les loyers ont aug­
menté, les hausses étaient sou­
vent bien plus modérées qu’au
cours des années précédentes.
Ainsi, ils n’ont progressé que de
0,1 % à Hambourg et de 0,5 % à
Francfort.
Pour Michael Voigtländer, di­
recteur du pôle immobilier et
marchés financiers à l’institut
économique IW de Cologne, cette
accalmie sur les prix n’est guère
surprenante. « A Munich, les
loyers ont fini par atteindre des
niveaux qu’ils peuvent difficile­
ment dépasser », observe­t­il. Se­
lon lui, une combinaison de fac­
teurs explique l’actuel ralentisse­
ment. A Berlin comme à Munich,
un nombre croissant de citadins,
fuyant les loyers élevés des
quartiers centraux, s’installent
en banlieue. En outre, la pression
PERTES & PROFITS | INGENICO/WORDLINE
p a r p h i l i p p e e s c a nd e
Paiements : une
solution française
On les a tous fréquentés de près,
ces petits terminaux de paiement
dans les magasins et les restau­
rants. Le grand spécialiste du sec­
teur, le français Ingenico, va se
marier avec son compatriote
Worldline, pour former le leader
européen du paiement, de la
transaction chez le commerçant
à l’infrastructure informatique
qui gère la relation avec les ban­
ques. Une opération valorisée à
7,8 milliards d’euros.
L’ensemble réalisera un chiffre
d’affaires de 5,3 milliards d’euros
employant près de 20 000 per­
sonnes dans le monde. Une con­
centration de plus dans un uni­
vers en plein bouillonnement
grâce à l’essor du commerce en li­
gne et à la dématérialisation du
règlement des achats. Bientôt fi­
nies les cartes à puces, on réglera
désormais de plus en plus ses
emplettes avec son téléphone
mobile et demain avec son pouce
ou sa tête. L’anonymat de l’achat
avec un bon vieux billet, déjà sé­
rieusement écorné, le sera encore
plus demain à l’ère de la recon­
naissance faciale.
Dans ce monde effervescent,
des acteurs de tout bord jouent
des coudes. Les banques bien sûr,
toujours à la recherche de relais
de croissance, les spécialistes du
domaine comme Ingenico ou
Worldline, et enfin, les start­up
qui fleurissent de toutes parts.
Sans oublier les Google, Apple,
Facebook ou Amazon aux
moyens considérables. Apple ré­
cemment se vantait d’être de­
venu une banque grâce à son ac­
cord avec Goldman Sachs sur les
cartes de crédit et à son système
de paiement Apple Pay.
Autant dire que, pour les histo­
riques du domaine, il était temps
de sortir de l’ombre. Ils évoluent
pour l’instant dans un certain
confort. Sur les terminaux tradi­
tionnels, Ingenico et son concur­
rent américain, Verifone, ont fait
démographique pesant sur les
grandes métropoles s’est atté­
nuée du fait de la baisse de l’im­
migration et des migrations inté­
rieures. « Et certaines villes,
comme Hambourg, construisent
davantage de logements qu’aupa­
ravant ; en conséquence, les loyers
ont augmenté plus lentement »,
explique M. Voigtländer.
En effet, sous l’impulsion d’Olaf
Scholz, ancien maire de Ham­
bourg devenu ministre des finan­
ces au sein du gouvernement
d’Angela Merkel, la deuxième
ville d’Allemagne a construit plus
de 55 000 logements entre 2011 et
2019. Cela couvre 91 % des be­
soins en logement des citadins à
moyen terme, calcule l’institut de
recherche Empirica.
Pour finir, les mesures adoptées
par la mairie de Berlin et dans
d’autres villes afin de contenir la
hausse des loyers ont eu un effet
au moins d’ordre psychologique.
« Cela a sans doute rendu les
loueurs plus prudents », suggère
Michael Voigtländer. Après
plusieurs années de surchauffe,
la tendance est donc dorénavant
à la stabilisation, pronostique
l’économiste.
L’accalmie devrait aussi concer­
ner les prix à l’achat. En effet, les
taux d’intérêt ayant atteint un ni­
veau plancher, le coût du crédit
devrait cesser de diminuer et la
demande devrait donc augmen­
ter à un rythme plus modéré
dans les grandes métropoles. La
capitale pourrait toutefois faire
figure d’exception. « Le gel des
loyers entrave la construction de
logements neufs, donc le marché
immobilier devrait rester tendu à
Berlin », prédit M. Voigtländer. 
jean­michel hauteville
le ménage en rachetant leurs
principaux concurrents. A eux
seuls, ils détiennent près des
deux tiers du marché. Mais ce­
lui­ci ne procure plus vraiment
de croissance. Le français a donc
mis le cap sur les services de paie­
ment, puis sur l’infrastructure in­
formatique qui permet de gérer
les transactions et surtout de les
sécuriser. C’est ce besoin absolu
de fiabilité, pierre angulaire du
développement du paiement en
ligne, qui constitue la principale
barrière à l’entrée. Pas étonnant
donc qu’Ingenico et Worldline se
soient croisés. Le premier avait
rejeté, en novembre 2018, une of­
fre de la banque Natixis.
Vieilles connaissances
Worldline, ex­filiale du groupe
informatique Atos, a vu celui­ci
céder la majorité de ses actions
en novembre 2019, peu de temps
après la démission de son PDG,
Thierry Breton, nommé en octo­
bre commissaire européen à
l’industrie et au numérique.
Worldline avait déjà pris du
champ en 2018 à l’occasion du
rachat de son concurrent suisse
Six Payment, devenu un impor­
tant actionnaire. Premier ges­
tionnaire en Europe d’infras­
tructures de paiement, le nou­
veau groupe dispose désormais
de tous les outils de la chaîne du
paiement, du commerçant de
quartier aux grands centres de
données, pour faire face à l’as­
saut des barbares de l’Internet
qui envahissent le secteur.
L’opération amicale est, de plus,
effectuée entre vieilles connais­
sances. C’est le fidèle lieutenant
de Thierry Breton, Gilles Grapi­
net, PDG de Worldline, qui pren­
dra la direction de l’ensemble et
le président d’Ingenico, qui sera à
la tête du conseil d’administra­
tion du nouveau groupe n’est
autre que Bernard Bourigeaud, le
fondateur d’Atos en 1997. 

16 | économie & entreprise
DOSSIER
O
n ne peut décidément plus
croire en rien. Dans les an­
nées 1980, quand Mam­
mouth ou Darty nous pro­
mettaient les prix les plus
bas du marché, on les
croyait. Quand Pierre Bellemare nous jurait
qu’on allait faire une superbe affaire en
achetant ce magnifique assortiment de cas­
seroles en aluminium synthétique anti­
adhésif « pour seulement 399,99 francs », on
n’avait pas le choix, on le croyait. Et quand
Philippe Risoli nous donnait sur TF1 le juste
prix du robot laveur de sol dernier cri, là
encore on le croyait. Mais aujourd’hui, à
quoi peut­on se fier, quand son propre collè­
gue de bureau vient d’acheter sur le même
site que nous la même paire de baskets,
exactement dans la même pointure, mais à
20 euros de moins ?
Paradoxe de notre époque : alors que nous
n’avons jamais eu autant de moyens de
comparer les prix, nous sommes aussi de
moins en moins nombreux à payer le même
prix. Oubliées les sempiternelles soldes de
début d’année qui s’achèvent début février
dans la plus grande indifférence. Qu’on parle
de tarification dynamique, ou évolutive, les
prix fluctuent désormais en permanence, au
rythme des promotions incessantes, mais
aussi en fonction de l’heure de la journée, de
la demande, du taux d’occupation, et d’une
litanie de critères plus ou moins connus et
appréciables. Pour les uns, cette instabilité
des étiquettes provoque de véritables addic­
tions, quand pour d’autres, on s’approche­
rait plutôt de l’allergie. En atteste le sujet épi­
dermique des prix du train. Qui n’a pas en­
tendu un proche, un voisin ou un collègue
de bureau trouver insupportable la discrimi­
nation tarifaire pratiquée par la SNCF ?
TARIFICATION DYNAMIQUE
Alors, que faut­il attendre de ces prix à
géométrie variable ? Sont­ils une bonne
nouvelle pour les consommateurs que nous
sommes, ou cachent­ils des pratiques dé­
loyales et discriminantes de la part des en­
treprises ? « Pour commencer, il faut déjà
bien avoir à l’esprit que la tarification dyna­
mique, qui consiste à faire varier les prix en
fonction des conditions du marché et de l’of­
fre et la demande, n’est pas un phénomène
aussi récent qu’il n’y paraît », explique Erwan
Gautier, économiste à l’université de Nan­
tes. Depuis sa naissance en 1938, la SNCF
pratique une forme de discrimination par
les prix, en facturant moins cher les jeunes,
les personnes âgées, ou encore les militai­
res. Dans le commerce physique, personne
n’a jamais contesté l’happy hour avant
20 heures, l’évolution des prix à la pompe,
ou la baisse du prix des téléviseurs pendant
les Coupes du monde.
Il est toutefois certain qu’avec l’avènement
d’Internet et la sophistication des algo­
rithmes, les choses ont pris une autre di­
mension. C’est au tournant des années 1980
qu’a émergé la première forme aboutie de
tarification dynamique, avec le yield mana­
0123
MARDI 4 FÉVRIER 2020
dans l’optimisation tarifaire. Se livrant une
concurrence effrénée, les géants comme
Amazon, eBay, Walmart, Cdiscount, ou en­
core Fnac.com, qui représentent désormais
la moitié du commerce mondial en ligne,
ont en effet émergé dans la vente de pro­
duits high­tech et de grande consommation,
grâce à ces prix cassés évoluant en temps
réel. Surfant sur la multiplication des ca­
naux de distribution et jouant sur les diffé­
rents services additionnels aux produits
(prix et délais de livraison, notamment), ces
distributeurs en ligne ont définitivement
fait exploser l’unicité des prix.
Pour donner une idée de l’ampleur du phé­
nomène : en 2013, une étude de chercheurs
américains estimait que les prix sur Ama­
zon variaient 2,5 millions de fois par jour,
avec certains prix pouvant changer toutes
les dix minutes. A l’origine de cette valse
ininterrompue, un algorithme dont l’objec­
tif est de garantir chaque jour les tarifs les
plus compétitifs du marché en s’alignant
quasi systématiquement sur les prix les plus
bas constatés sur Internet. « Qu’ils agissent
en tant que plate­forme d’e­commerce ou en
tant que distributeur, ces mastodontes analy­
sent en permanence les sites concurrents
pour aligner leurs prix, ou favoriser tel ou tel
revendeur. Chacun développe ensuite ses pro­
pres stratégies de rentabilité, de partenariats
ou de promos ciblées », précise M. Hebrard.
47 % DES VÊTEMENTS ACHETÉS EN PROMO
C’est l’autre tendance favorisée par l’e­com­
Magasin de vêtements merce : la surenchère promotionnelle a elle
au premier jour des soldes, aussi largement contribué à intensifier l’effet
à Paris, le 9 janvier 2019. yoyo. A quelques rares exceptions près, tou­
CHRISTIAN HARTMANN/REUTERS tes les entreprises ont investi ce créneau ul­
tra­porteur, provoquant la frénésie des con­
sommateurs. « Prenez l’exemple de Darty ou
Ikea : même les marques qui se sont dévelop­
pées en promettant les prix les plus bas possi­
La valse des prix
ble en permanence se sont mises à pratiquer
les prix barrés », souligne Philippe Moati, pro­
fesseur d’économie à l’université Paris­Dide­
rot et cofondateur de l’Observatoire société
et consommation. Selon le bureau d’étude
Kantar Worldpanel, 47 % des vêtements se­
au rythme
raient aujourd’hui achetés en promotion,
pendant les soldes, ou les opérations ponc­
tuelles de type Black Friday.
Pour les entreprises, bien sûr, les prix algo­
rithmiques sont une véritable bénédiction.
Déjà parce qu’avec Internet, le menu cost (le
des algorithmes
coût du changement de prix) disparaît tota­
lement. Mais surtout, parce que cette élasti­
cité des prix permet de gonfler les profits, à
la fois en augmentant le prix (pour les
clients prêts à payer cher), mais aussi en
augmentant les volumes d’achat, grâce à
une baisse de prix pour gagner de nouveaux
acheteurs. « Par leur puissance, les algorith­
Véritable bénédiction pour les entreprises, la fluctuation mes permettent de pousser très loin ce que le
marketing et le pricing [la tarification] ont
permanente des prix permet d’optimiser les profits. commencé à faire dans les années 1960 : à sa­
voir s’approcher au plus près du prix que cha­
Cet effet yoyo peut provoquer des réactions que client est prêt à payer, en n’agissant plus
opposées chez les consommateurs : les « joueurs », sur 5 ou 10 variables, mais sur des dizaines ou
des centaines », développe Kai Bandilla, par­
qui flairent la bonne affaire, et ceux pour qui ces tarifs tenaire de gestion chez le cabinet de conseil
Simon Kucher & Partners.
élastiques engendrent une perte de lisibilité et de repères Dans une étude de 2014, des chercheurs
américains ont, par exemple, démontré que
si Netflix utilisait 5 000 variables liées au
comportement de l’internaute (comme le
temps passé à visionner des films) et prati­
gement (technique marketing et commer­ connu sous le nom de « revenue manage­ quait des prix différenciés selon les clients,
ciale basée sur une tarification et une offre ment », le système s’étend progressivement EN 2013, UNE  ses profits pourraient grimper de 12,2 %.
flexibles) dans l’aviation. Profitant de la dé­ aux compagnies ferroviaires, à l’hôtellerie, ÉTUDE ESTIMAIT  « Dans le secteur des transports, on estime
régulation du secteur aux Etats­Unis, le pa­ pour gagner aujourd’hui les salles de specta­ que le “yield management” aurait rapporté
tron de Delta Airlines imagine un système cles – l’Opéra de Paris vient de s’y mettre –, QUE LES PRIX  entre 3 % et 8 % de marges supplémentaires
de gestion tarifaire destiné à optimiser le les festivals, et même les stades de football. aux entreprises, grâce à un panier moyen et
stock de places disponibles, et donc son chif­ Mais, ces dernières années, le phénomène SUR AMAZON  un taux de remplissage plus élevé », illustre
fre d’affaires. Le principe de base est relative­ s’est répandu bien au­delà des secteurs à de son côté Bertrand Le Moigne, associé
ment simple : pour répondre à une capacité « offre fixe ». « L’e­commerce, et plus spécifi­
VARIAIENT  chez Sia Partners.
d’accueil fixe et périssable, le prix évolue en quement les places de marché, a été un gigan­ 2,5 MILLIONS  Et côté consommateur ? C’est plus contras­
fonction de la demande, mais aussi du tesque vecteur de propagation de la tarifica­ té. Certains, ceux que l’on qualifierait de
temps qui reste à l’opérateur pour remplir tion dynamique », explique Pierre Hebrard, à DE FOIS PAR JOUR joueurs, voient dans ces prix évolutifs la pos­
son avion ou son établissement. Egalement la tête de Pricemoov, une société spécialisée sibilité de faire des bonnes affaires et de pa­
La lutte contre les promotions trompeuses se renforce
c’est une condamnation discrète dont Sepho­ ligne. Selon l’association UFC­Que choisir, qui s’est une consommation plus éthique et responsable.
ra s’est bien gardé de faire la publicité. Le 25 octo­ penchée sur le phénomène, tous les e­commer­ Quoi qu’il en soit, les géants du commerce en ligne
bre 2019, l’entreprise de cosmétiques a été condam­ çants ou presque auraient recours à ces différentes feraient bien de prendre garde, car les choses pour­
née à payer une amende de 40 000 euros par la techniques de prix barrés mensongers, et autres raient se corser à l’avenir. Après avoir assoupli la dé­
15e chambre correctionnelle du tribunal de grande comptes à rebours bidons, véritables « pousse­à­la­ finition du prix de référence en 2015, la Commission
instance de Nanterre pour avoir affiché des promo­ consommation ». C’est ainsi que, lors du dernier européenne vient de faire adopter une nouvelle di­
tions trompeuses pendant les soldes d’hiver 2017. A Black Friday, l’UFC révélait que, sur 31 603 produits rective, qui définit le prix de référence comme étant
l’origine de la sanction, une cinquantaine de pro­ étudiés, seuls 8,3 % auraient vu leur prix baisser, en le plus bas appliqué durant les trente jours précé­
duits faussement étiquetés en solde sur Internet, moyenne de 7,5 %. Soit très loin des – 50 % ou – 70 % dant l’annonce. De quoi (en théorie) éviter les éti­
alors que ces derniers étaient vendus moins cher affichés. Et le pire dans tout ça, c’est que ça marche ! quettes barrées totalement fictives.
en promotion quelques jours avant le début des En décembre 2019, les députés français ont égale­
soldes. « Ce type de jugement n’est pas une première « Il faut éduquer les gens » ment adopté un amendement pour définir comme
en France : des sites comme Amazon, Zalando ou en­ Selon l’UFC, les produits les plus (faussement) bra­ « agressives » les pratiques commerciales qui ont
core H&M ont déjà été épinglés pour pratiques com­ dés seraient aussi les plus vendus. « Les gens sont de­ pour objet de « donner l’impression que le consom­
merciales trompeuses. Le site Vente­privee est égale­ venus drogués aux promotions ; c’est pourquoi il faut mateur bénéficie d’une réduction de prix comparable
ment devant le juge pénal pour avoir affiché des prix les éduquer en leur faisant comprendre que les bon­ à celle des soldes (…) en dehors de leur période légale ».
de référence ne correspondant à aucune réalité éco­ nes affaires à 50 % ou plus, ça n’existe pas », estime Selon certains observateurs, si ces différentes mises
nomique », explique Loïc Tanguy, directeur de cabi­ Grégory Caret, directeur de l’observatoire de la con­ en garde ne suffisent pas, le commerce en ligne
net à la direction générale de la concurrence, de la sommation à l’UFC­Que choisir. Prenant le contre­ pourrait finir par se voir appliquer un encadrement
consommation et de la répression des fraudes. pied, de plus en plus d’enseignes, se revendiquant du très strict des promotions, à l’image de ce qui a été
En quelques années, la pratique des promos trom­ mouvement No­soldes, ont d’ailleurs décidé d’arrê­ récemment adopté dans l’alimentaire. 
peuses a littéralement envahi le commerce en ter toute politique de rabais, dans le but de favoriser j. d. l. b.
0123
MARDI 4 FÉVRIER 2020
LA CRAINTE DU  Transports collectifs
CONSOMMATEUR ?  Née aux Etats-Unis dans le secteur aérien,
QUE L’ALGORITHME  par la SNCF au début des années 2000.
SE RETOURNE  Exemple, de prix observés pour une course Uber
CONTRE LUI,  en TGV, le 31 janvier, en seconde classe,
EN UTILISANT 
CERTAINES DONNÉES  31 38
PERSONNELLES
rier contre le marché. En atteste le succès des
applications comme camelcamelcamel, qui
surveille l’évolution des prix sur Amazon et
prévient le client en cas de baisse éventuelle.
Pour les moins joueurs en revanche, ces ta­
rifs élastiques représentent plutôt une perte
de lisibilité et de repères. Une raison qui a
fait, a contrario, le succès des formules
d’abonnement, comme dans les médias ou
la musique. « C’est le pendant de cette course
aux prix cassés : nous vivons dans un monde
pas très rassurant où nous craignons de
payer pour les autres. Cela peut freiner cer­
tains actes d’achat, estime M. Moati. Les gens
sont d’autant plus perdus qu’ils ont le senti­
ment qu’il existe un fondement objectif au
prix. Pour eux, il doit être en partie égal à la
valeur des choses produites et pas seulement
le résultat de l’offre et la demande. »
Voici la limite à cette ultravolatilité du prix :
l’incompréhension du client, qui peut trou­
ver la boîte noire algorithmique arbitraire,
injuste, ou abusivement discriminante. A
plusieurs reprises, l’application de VTC Uber
s’est fait épingler ces dernières années pour
avoir augmenté ses prix à des moments plus
qu’inopportuns, au lendemain d’attentats
par exemple. « Pour éviter ce type de décisions
contraires à la morale ou à l’intégrité, de nom­
breuses entreprises remettent aujourd’hui de
l’humain dans leur logiciel de tarification »,
observe à cet égard Stéphane Bazoche, asso­
cié chez Deloitte. La crainte suprême du con­
sommateur ? Que l’algorithme se retourne
contre lui, en utilisant certaines données
personnelles à son insu. En 2000, Amazon a
mené une expérience consistant à vendre de
manière aléatoire le même DVD 3 dollars
(2,72 euros) à 4 dollars plus cher que le prix
standard. Très rapidement, la tentative a
tourné au fiasco, obligeant son PDG, Jeff
Bezos, à s’excuser, et à promettre solennelle­
ment de ne jamais fixer ses prix en fonction
de variables individuelles…
« VERS DES PRIX PERSONNALISÉS »
Vingt ans plus tard, et de manière assez
étonnante d’ailleurs, il semblerait que les
entreprises aient retenu la leçon. « Empiri­
quement, on a beaucoup de mal à prouver
que les entreprises, en dehors de certains sec­
teurs, comme l’assurance ou la banque, prati­
quent les prix à la tête du client. Certes, elles
font de la discrimination de base, liée à l’âge
par exemple, mais elles vont rarement jusqu’à
utiliser les données comportementales de
leurs clients pour fixer les prix », explique
l’économiste Emmanuel Combe. « Ce n’est
pourtant pas faute d’en avoir envie : selon une
récente enquête Deloitte, la première motiva­
tion des marques pour développer l’usage de
l’intelligence artificielle serait même d’évoluer
vers des prix et des promotions personnali­
sées. Mais pour le moment, elles craignent de
provoquer des sentiments d’injustice chez le
client », ajoute M. Combe, à l’origine d’une
étude passionnante de la Fondation pour
l’innovation politique sur les prix personna­
lisés. Selon lui, pour contourner le pro­
blème, les entreprises préfèrent recourir à
des méthodes indirectes de différenciation,
comme les coupons de réduction ciblés, ou
une présentation personnalisée des résul­
tats des recherches en ligne.
Il n’empêche, à terme, les observateurs
sont nombreux à imaginer un monde où les
prix seront fonction des moyens financiers
de chacun. « Sans aller jusqu’à l’identification
involontaire, les compagnies aériennes sont
aujourd’hui capables de définir des typologies
de clients très précises, qui aboutiront in fine à
des offres dimensionnées aux revenus de cha­
cun », témoigne un consultant sous le cou­
vert de l’anonymat. Et pour cela, pas besoin
d’enfreindre le Règlement général sur la pro­
tection des données (RGPD) européen, qui
interdit d’utiliser des données personnelles
et de profiler des consommateurs, sans leur
consentement explicite. On pourrait tout à
fait imaginer qu’une entreprise de taxis
fasse payer plus cher un client qui voyagerait
entre deux quartiers huppés d’une grande
ville… En 2015, un rapport de la Maison Blan­
che estimait d’ailleurs que les prix personna­
lisés représentaient une piste intéressante
de redistribution des richesses. En France,
pays de la justice sociale, mais aussi de l’éga­
lité, et de l’interdiction des discriminations,
l’idée de faire payer plus cher les riches pro­
met en tout cas de jolis débats. 
julie de la brosse
la « tarification dynamique » a été adoptée
Nombre de prix proposés pour un trajet Lyon-Paris
en euros (prix consultés le 29 janvier).
45 48 5256
72
76
83
Onze tarifs allant 90 Des prix de plus
0
de 31 à 97 euros 97
100
en plus optimisés
Commerce en ligne
Sur les places de marchés comme Amazon,
certains vendeurs utilisent la tarification
algorithmique pour faire fluctuer leurs prix
automatiquement et en temps réel.
Prix d’un même livre chez quatre revendeurs
sur Amazon entre les 1er et 23 janvier 2017, en dollars.
Vendeur 1 Vendeur 2 Vendeur 3 Vendeur 4
11 Le prix du vendeur 1 varie de plus de 40 %
9
7
Le prix du vendeur 4 suit les mêmes évolutions
5 que les autres vendeurs, dans une proportion moindre
1er janvier 2017 23 janvier 2017
Un secteur en forte croissance
Chiffre d’affaires de l’e-commerce en France, en milliards d’euros
100
92,6
80 81,7
71,5
60 62,9
55
40 49,5
43,6
20 36,5
30
0
2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018
Comment les prix sont personnalisés grâce aux données
En analysant l’historique de l’internaute, le vendeur peut savoir s’il a déjà fait
des recherches pour acheter ce produit. Si c’est le cas, il peut augmenter ses prix,
car il en déduit que l’acheteur a vraiment envie de son produit.
L’équipement de l’internaute peut potentiellement jouer sur les prix.
S’il possède un Mac, il est catalogué comme étant plus riche et pouvant payer
un peu plus cher le produit.
Si l’internaute a utilisé un comparateur de prix pour accéder au site du vendeur,
il est classé parmi les acheteurs vigilants et pourra bénéficier de prix plus bas
que d’ordinaire.
SOURCES : FEVAD, PARLEMENT BRITANNIQUE, SNCF, NUMERAMA, ZOO D’INDIANAPOLIS, THIERRY PÉNARD, L’OBSOCO
« Après Adam Smith, le prix, dépouillé de toute dimension
morale, n’est plus que le résultat de l’offre et de la demande »
jean­claude daumas, professeur émérite
à l’université de Franche­Comté et membre
honoraire de l’Institut universitaire de
France, est l’auteur de La Révolution maté­
rielle. Une histoire de la consommation,
France XIXe­XXIe siècle (Flammarion, 2018).
Pendant très longtemps, les prix
étaient négociés. A partir de quand
la notion de prix fixe apparaît­elle
dans le commerce ?
Les prix fixes et affichés apparaissent avec
les magasins de nouveautés, des boutiques
qui vendent toutes sortes d’articles de
mode (tissus, gants, dentelles, chapeaux,
etc.) et se multiplient pendant la première
moitié du XIXe siècle. C’est le Petit Saint­
Thomas, créé en 1810 à Paris, à l’angle des
rues du Bac et de l’Université, par le Nor­
mand Simon Mannoury, qui révolutionne
les méthodes de vente : entrée libre (le client
n’a pas l’obligation d’acheter), prix fixe et af­
fiché (ce qui supprime le marchandage),
paiement comptant, soldes, promotions,
catalogues. Les grands magasins, et notam­
ment Au Bon Marché, fondé par Aristide
Boucicaut, qui a fait ses armes au Petit Saint­
Thomas, reprennent ces méthodes en les
appliquant à une plus large échelle, d’où
leur succès impressionnant : les ventes du
économie & entreprise | 17
VTC
Les plates-formes de réservation
de VTC appliquent une majoration
quand la demande est forte.
à Paris, lors de la grève du 13 septembre 2019,
en euros.
27,15 € 45,25 €
18,1 €
Prix de base Majoration
liée à la forte
Prix final
demande
Etablissements de loisirs
Les parcs d’attractions et les parcs
de loisirs font varier leurs prix d’entrée
face à une demande fluctuante.
Billets d’entrée adulte au zoo d’Indianapolis
en mars 2020, en dollars
dix-neuf tarifs différents pour 31 jours
8,45 10,95 15,95
7,95 8,95 9,95 13,2 15,2 17,7
7,7 $ 18,2 $
8,2 9,2 10,45 14,2 15,45 16,95
8,7 11,2
Des évolutions mal perçues par des utilisateurs de plus en plus
friands d’achats en ligne
Avis des Français concernant la tarification dynamique en fonction de la demande
pratiquée par les compagnies de VTC ou de taxis, en %
44 % totalement injuste 26 % plutôt juste
27 % plutôt injuste 3 % totalement juste
Si l’adresse IP de l’internaute renvoie vers une zone où les habitants
sont classés comme aisés, les prix pratiqués par le vendeur peuvent être
plus élevés que d’habitude.
Si l’acheteur s’est identifié sur le site du vendeur, il peut bénéficier
de prix plus bas, car celui-ci peut récompenser la fidélité de son client.
Infographie : Philippe da Silva, Maxime Mainguet
Bon Marché passent de 542 000 francs tous les jours sur tous les produits. Les pro­
en 1852 à 72 millions en 1877 ! motions pour relancer les ventes n’apparaî­
tront que plus tard.
Quel rôle les prix vont­ils jouer
dans le développement de la société Ces dernières années, on a vu émerger
de consommation ? la notion de « juste prix » dans la grande
La société de consommation n’a pu se dé­ distribution. Celle­ci a­t­elle un fonde­
velopper qu’à la faveur des prix bas. Appa­ ment historique ou économique ?
rus à la fin des années 1920, les magasins à On trouve dans les écrits d’Aristote et de
prix uniques (Uniprix, Prisunic, Monoprix) saint Thomas d’Aquin l’idée que l’échange
annoncent les grandes surfaces. La formule doit être mutuellement profitable aux deux
est simple : implantation au cœur des villes, parties : ne pas vendre (ou acheter) au juste
décor sommaire, articles standards, pas de prix serait injuste. Cette idée irrigue la pen­
vendeurs et prix bas. Mais c’est après­ sée économique jusqu’au XVIIIe siècle. Mais,
guerre que s’impose la vente en masse à après Adam Smith (1723­1790), le prix va être
prix cassé. En 1951, Edouard Leclerc invente dépouillé de toute dimension morale. Il
la première épicerie discount à Landerneau n’est plus que le résultat de l’offre et de la de­
(Finistère), où il vend des produits courants mande, dans un marché concurrentiel non
avec une marge réduite en s’approvision­ faussé. Ces dernières années, on a vu réappa­
nant directement auprès des fabricants. Il raître la notion de juste prix pour protester
faut attendre le supermarché (1959) et sur­ contre la situation des agriculteurs qui n’ar­
tout l’hypermarché – Carrefour crée le pre­ rivent pas à vivre de leur travail. Mais, à mon
mier à Sainte­Geneviève­des­Bois (Es­ sens, on confond juste prix et prix juste. On
sonne) en 1963 – pour réunir grande sur­ peut parler de prix juste lorsque les consom­
face, implantation en périphérie, libre­ser­ mateurs, au nom d’un engagement social
vice et « petits prix ». Mais, à la différence ou écologique, sont prêts à payer plus cher
des discounters américains, qui appliquent que le prix de marché afin d’assurer au pro­
le principe « un îlot de pertes dans un océan ducteur un prix rémunérateur. Mais il s’agit
de profit », les hypermarchés français se alors plutôt d’un prix contre le marché. 
sont développés autour de l’idée de prix bas propos recueillis par j. d. l. b.
18 | sports
Tournoi des six nations : les promesses des Bleus
Le XV de France version Fabien Galthié a remporté le crunch (24­17), dimanche, face à l’Angleterre
RUGBY
E
vacuons l’idée tout de
suite. Dire que l’équipe
d’Angleterre s’est désu­
nie, au Stade de France,
dimanche 2 février, pour son
premier match du Tournoi des
six nations, parce que le Royau­
me­Uni a quitté l’Union euro­
péenne (UE) deux jours plus tôt
est trop facile.
Et injuste pour les acteurs du
crunch remporté (24­17) par le XV
de France au terme de 80 minu­
tes d’intense combat pour la pre­
mière sortie de Fabien Galthié
comme sélectionneur. Mais
pour l’anecdote, les remainers
écossais auront, à coup sûr,
apprécié que l’homme du match,
Grégory Alldritt, qui a tant fait
pour bouter les Anglais hors du
camp bleu, soit pour moitié ori­
ginaire de chez eux.
Car pendant près d’une heure,
l’équipe de France a rossé le
récent vice­champion du
monde. Vingt­quatre à zéro, alors
que la pluie et les Marseillaise du
public tombaient sur la pelouse.
« Il faut reconnaître que les Fran­
çais ont été excellents en pre­
mière période », a dit, groggy,
Eddie Jones, sélectionneur aus­
tralien de l’Angleterre. Cliniques,
même. Plus anglais que les
Anglais. Car c’est de l’autre côté
de la Manche qu’arrive l’inspira­
tion du jeu français, combinant
agressivité et efficacité.
Le sceau de Shaun Edwards
Après la rencontre, les joueurs tri­
colores ont assuré que les propos
préliminaires de Jones leur an­
nonçant « une mise à l’épreuve »
d’une « intensité et d’une violence
physique » auxquelles les jeunes
Bleus n’avaient jamais été
confrontés n’avaient guère eu
d’impact sur leur motivation.
« Les manageurs s’envoient des pi­
ques, nous, on est resté concentrés
sur ce qu’on voulait faire, a évacué
Grégory Alldritt, la pommette
meurtrie, mais le visage barré
d’un sourire. Et comme c’était
mettre du combat et de l’intensité,
ça tombait bien. »
« On marque trois essais. Sous la
pluie, face aux Anglais, ça veut
dire quelque chose ! » Fabien Gal­
thié a beau avoir insisté pour
mettre en avant le « savoir­faire
offensif » de ses jeunes pousses, si
l’équipe de France a brillé diman­
che, c’est avant tout par son
Novak Djokovic, l’éternel incompris
Le Serbe, vainqueur dimanche à Melbourne de son 17e Grand Chelem, n’a pas toujours la reconnaissance qu’il mérite
TENNIS
O n fut loin du chef­
d’œuvre qu’il avait signé
il y a un an presque jour
pour jour face à Rafael Nadal, « le
plus grand match de [s]a vie », se­
lon lui. Il lui aura fallu cinq sets au
lieu de trois, mais l’épilogue est le
même : dimanche 2 février, No­
vak Djokovic a remporté l’Open
d’Australie (6­4, 4­6, 2­6, 6­3, 6­4).
Pour sa troisième tentative (après
Roland­Garros 2018 et 2019), Do­
minic Thiem a échoué à briser
l’hégémonie du trio magique Fe­
derer­Nadal­Djokovic, ce fameux
« Big 3 » qui pèse 56 titres en
Grand Chelem et a fait main basse
sur les 13 derniers.
Huit finales à Melbourne, huit ti­
tres, personne n’a fait mieux que
le Serbe dans l’histoire du tennis.
Plus le tableau se dépeuplait, plus
les observateurs lui prédisaient
une 17e couronne en Grand Che­
lem. La conjecture avait le don
d’agacer Roger Federer, mais l’is­
sue semblait inéluctable. Depuis
Les joueurs français célèbrent leur victoire sur l’Angleterre, dimanche 2 février, au Stade de France. FRANCK FIFE/AFP
« Il faut
reconnaître
que les Français
ont été excellents
en première
période »
EDDIE JONES
sélectionneur australien
de l’Angleterre
acharnement défensif. « Quand
on était à cinq mètres de notre li­
gne et que je regardais à ma droite
et ma gauche, je voyais tout le
monde prêt à en découdre, s’est fé­
licité Grégory Alldritt. Et ils n’ont
pas avancé d’un mètre, ils ont
même reculé. On a défendu notre
ligne comme des fous, et ça leur
a peut­être fait mal à la tête. »
Une défense frappée du sceau
de Shaun Edwards, nouvel
entraîneur des Bleus dans ce
domaine, et Anglais le plus à la
fête dimanche. Débauché au
Pays de Galles après avoir fait de
2008 et son premier sacre, le futur
numéro un mondial est en lévita­
tion aux antipodes.
Dimanche, il est devenu le troi­
sième joueur de l’histoire à faire
le grand huit dans le même ma­
jeur, après… Nadal à Roland­Gar­
ros et Roger Federer à Wimble­
don. « Je joue pour écrire l’his­
toire », disait­il à Paris, en juin.
Ses deux aînés sentent un peu
plus le souffle de leur cadet sur
leur nuque. Avec cette victoire, il
n’est plus qu’à deux longueurs
de l’Espagnol (19 titres) et à trois
du Suisse (20).
« Stagner, c’est régresser »
Le Serbe a commencé la quin­
zaine dans l’ombre ; il n’y en avait
que pour ses deux rivaux. Surtout
Federer. La statue était déjà éle­
vée. Après les victoires mira­
culeuses du Suisse à Melbourne,
elle a désormais une cape de
super­héros sur le dos. Djokovic,
lui, avançait dans son coin, rirait
bien qui rirait le dernier. Devant
la presse, le Serbe se fait souvent
la défense de cette formation
l’une des plus impénétrables du
monde, l’ancienne star du rugby
à XIII britannique est regretté par
nombre de ses compatriotes,
qui déplorent que la Fédération
anglaise n’ait pas eu le bon goût
de le ramener au pays.
Edwards le taiseux n’a encore
que quelques mots de vocabu­
laire à son actif dans la langue de
Molière, mais les Bleus parlent
déjà couramment son idiome
sur le terrain. Celui imposant
aux joueurs de se jeter corps et
âme dans la bataille défensive,
d’une « agressivité intelligente »
permettant de stopper l’adver­
saire, mais aussi de muer la
défense en attaque.
Le deuxième essai français illus­
tre cette approche, après que
Charles Ollivon a contesté un bal­
lon aérien, finalement retombé
dans les mains de Vincent Rattez,
qui a déposé ses adversaires avant
de servir son capitaine, au départ
et à la conclusion de l’action. « Je
n’ai besoin que de deux ou trois
mots pour me faire comprendre »,
assurait l’Anglais dans Le Monde
attendre mais, depuis trois ans,
en finale des Grands Chelems, il
est toujours à l’heure.
Sur le court, il y a encore des
accès de colère, des raquettes bri­
sées, des gestes d’humeur,
comme ce fut le cas dimanche.
Après avoir remporté facilement
la première manche, on crut que
les deux suivantes ne seraient
qu’une formalité. Mais Djokovic
est sorti de son match : il s’est
d’abord agacé contre le public, qui
encourageait un peu trop son
adversaire à son goût, puis contre
l’arbitre, qui lui colla deux aver­
tissements d’affilée pour dépas­
sement de temps au service.
Pour beaucoup, le passage à
vide aurait été fatal. C’est oublier
que le Serbe est un compétiteur
né. Son instinct de survie lui per­
met de renverser des situations
compromises et de serrer le jeu
au moment opportun. Il coule
mais refait surface.
Qui a oublié sa masterclass, le
14 juillet 2019, en finale de Wim­
bledon face à Federer (7­6, 1­6, 7­6,
daté 1er février, et le message est
passé. Dimanche, les Français ont
été présents sur tous les ballons,
gênant chaque sortie de balle de
l’adversaire, mais ne perdant plus
de temps à parler avec l’arbitre.
Plier mais ne pas rompre
« On avait des bases solides, mais
l’apport de Shaun dans l’agressi­
vité et le combat a encore élevé
notre niveau et ce soir, on a fait
une très belle prestation défen­
sive », s’est satisfait Grégory All­
dritt. La troisième­ligne fran­
çaise composée du Rochelais, de
François Cros et d’Ollivon a
réussi tous ses plaquages tentés
lors du premier acte.
Et pour la première fois depuis
1988 dans le Tournoi, l’Angleterre
est restée muette en première pé­
riode. Il aura même fallu attendre
la 57e minute pour que le promet­
teur mur bleu érigé par Edwards
s’ébrèche une première fois.
Mais en dépit d’un Bernard Le
Roux – seul trentenaire rescapé
de la précédente équipe – devenu
machine à plaquer, et d’un Gaël
Fickou embrassant son nouveau
4­6, 13­12) ? Ce jour­là, il y avait un
match dans le match : chacun des
deux joueurs s’efforçait de rester
concentré pour ne pas faire tom­
ber le masque émotionnellement
devant l’autre. Il faut avoir le sang
réfrigéré pour sauver deux balles
de match dans le 5e set. Surtout
quand tout un stade prie pour
vous voir perdre.
Contre Federer, le Serbe se pré­
pare à l’hostilité. Face à Thiem, il
s’y attendait peut­être un peu
moins. Sur sa balle de match, son
premier service atterrit dans le
filet. Un spectateur s’en félicita.
Quand l’Autrichien commit une
ultime faute en coup droit, la pre­
mière réaction de Djokovic ne fut
pas de lever les bras au ciel mais
d’embrasser au loin l’insolent.
« Serbia against the world », pou­
vait­on lire sur le tee­shirt d’un
supporteur serbe. Dimanche, une
nouvelle fois, ce fut Novak contre
le reste du monde.
Son jeu de relance et ses qualités
défensives confinent parfois au
surnaturel. Son sens de la lecture,
rôle de capitaine de la défense,
tout n’a pas été rose face aux An­
glais. « On doit encore essayer de
garder une haute intensité et un
gros niveau défensif plus long­
temps dans le match », poursuit
Alldritt. De fait, à la fin de la ren­
contre, la muraille tricolore a bien
failli s’effondrer.
Car avec ce XV de France, on a
parfois l’impression de se retrou­
ver prisonniers d’un jeu vidéo.
Perpétuellement condamnés à
reprendre la partie à la même
sauvegarde, même si d’un jour à
l’autre, on avance un peu plus. Ça
tourne vite, un match. Et les
Bleus, qui rageaient d’être deve­
nus spécialistes des « défaites en­
courageantes », ont payé pour re­
douter les secondes périodes – la
dernière fois au Japon, lors du
quart de finale du Mondial 2019
perdu face aux Gallois (19­20).
« Mener 24 à 0 à la 50e minute,
c’était beaucoup, a apprécié Fa­
bien Galthié après la rencontre. Il
fallait bien s’attendre à une réac­
tion des Anglais. » De nouveau pi­
quant, le XV de la Rose est alors
tombé sur le râble des Bleus. Par­
Rarement
apprécié pour
lui-même, il est
sans cesse
comparé à
ses aînés Nadal
et Federer
son jeu de jambes et son replace­
ment express frôlent souvent la
perfection, mais cette perfection
n’émeut pas. Nombreux sont les
suiveurs à lui reprocher son man­
que de panache ou cette person­
nalité forcée qui cherche tant à
être aimée. Il n’aura jamais l’aura
d’un Federer ou le titre de « plus
grand combattant de l’histoire du
tennis » décerné à Nadal.
Il y a quelque chose d’injuste à ne
pas reconnaître le Serbe à sa juste
valeur, même dans les victoires les
plus indiscutables. Car Novak
Djokovic n’a eu d’autre choix que
0123
MARDI 4 FÉVRIER 2020
fois littéralement, à l’image du ta­
lonneur remplaçant Luke Cowan­
Dickie, dont le coude a traîné sur
le crâne de Charles Ollivon après
le second essai glissant du capi­
taine français, provoquant une
ébauche de bagarre générale au
fumet d’anciens crunchs.
Par la grâce de deux numéros
d’équilibriste de leur ailier Jonny
May – bien aidé par une ligne
arrière française subitement
spectatrice –, à un quart d’heure
de la fin, les Anglais avaient
remonté quatorze points de
débours et se rapprochaient des
mollets français.
L’art de « faire le dos rond »
Et puisque les jeunes Bleus de
Galthié restent les héritiers de
leurs prédécesseurs, il a fallu
« faire le dos rond », a admis l’ailier
Vincent Rattez. Avant d’exulter,
quand la pièce est, cette fois, tom­
bée dans leur escarcelle.
« On s’est retrouvés pas mal sous
pression. On avait un ballon glis­
sant, des phases de ruck compli­
quées, des Anglais en face, donc ça
n’était jamais évident », a analysé
Antoine Dupont après le match.
Pour le demi de mêlée français,
auteur d’une sortie aboutie en dé­
pit d’une erreur de jugement en
toute fin de match, l’équipe de
France ne manque pas de travail
avant le deuxième match du
Tournoi des six nations, diman­
che 9 février, face à l’Italie, dont le
scénario s’annonce diamétrale­
ment différent.
A défaut de se lancer dans de
grandes envolées, Dupont et
compagnie ont su se montrer ef­
ficaces, marquant sur chacune de
leurs occasions, ou presque. Avec
comme consignes : « Occuper au
pied, et ne pas prendre trop de ris­
ques depuis chez nous », a dévoilé
le demi de mêlée toulousain. Pour
le jeu flamboyant, on repassera ;
la mission première, répétée
comme un mantra par le staff des
Bleus au fil de leur prise en charge
du destin des Français, était sim­
ple : « Regagner des matchs, vite. »
Et en filigrane, éviter de perdre
pied en seconde période et dilapi­
der une énorme avance.
Dimanche, ces deux missions
ont été accomplies. Et devant un
Stade de France comble, comblé
et reconquis en moins d’une
heure, Fabien Galthié a réussi son
premier pari. Celui d’un rêve bleu
dont la suite reste à écrire. 
clément martel
de se construire dans l’adversité. Il
sait comment ne pas paniquer et
renverser des situations compro­
mises parce qu’il est habitué à ce
que les choses n’aillent pas dans
son sens. Il a appris à ne compter
que sur lui parce qu’il ne peut se
fier à la foule. Le commun des
mortels en serait durablement
affecté. Lui en a pris son parti : il
a transformé cette fatalité en
recette pour gagner.
Rarement apprécié pour lui­
même, il est sans cesse comparé à
ses deux aînés. Quand bien
même il a gagné 17 Grands Che­
lems, même si c’est lui le meilleur
en Grand Chelem et en Masters
1000 depuis dix ans, le Serbe est
condamné à tenir la chandelle.
C’est là le drame de Djokovic. Il
est arrivé un peu trop tôt ou un
peu trop tard dans le scénario du
film. Trop tard pour jouer les pre­
miers rôles avec Federer et Nadal,
trop tôt pour ne pas faire partie du
casting. Mais la course aux Oscars
n’est pas encore terminée. 
élisabeth pineau
0123
MARDI 4 FÉVRIER 2020
Au Rwanda, sœur Gertrude
et sa conscience
maredret (belgique) ­ envoyée spéciale
L
e livre est là, entre deux pots de
confiture et des chaussons pour
bébés : Rwanda 1994. La parole de
sœur Gertrude (éditions Saint­
Augustin, 2018). Visage rond et
regard limpide, l’intéressée sou­
rit sur la couverture de ce témoignage, en
vente dans la boutique d’artisanat de
l’abbaye belge de Maredret. Avec sa coiffe
sombre et ses cheveux grisonnants, sœur
Gertrude a l’air parfaitement inoffensive. On
lui donnerait le Bon Dieu sans confession.
En 2001, pourtant, la justice belge n’a pas
été de cet avis. A l’issue d’un procès de plu­
sieurs semaines, la cour d’assises de Bruxel­
les condamne Consolata Mukangango, sœur
Gertrude en religion, à quinze ans de réclu­
sion pour son implication dans les massacres
perpétrés autour du couvent rwandais de
Sovu, dont elle était la supérieure. Pour la
première fois en Belgique, quatre citoyens
rwandais, dont deux religieuses, sont recon­
nus coupables d’avoir participé plus ou
moins directement au génocide des Tutsi, au
printemps 1994.
Libérée à la moitié de sa peine, sœur Ger­
trude a regagné l’abbaye de Maredret, près de
Namur, maison mère de son ordre bénédic­
tin. Elle y défend aujourd’hui une version des
faits fort différente de celle sanctionnée
en 2001 par la justice. Un homme lui apporte
une aide inattendue : Jérôme Gastaldi, cadre
supérieur dans une société internationale ba­
sée au Luxembourg. Franc­maçon soucieux
d’« équité », ce Français installé à la frontière
belgo­luxembourgeoise est sincèrement
convaincu de l’innocence de son amie. C’est
lui qui a recueilli sa « parole » pour le livre.
Mais qui est sœur Gertrude ? Ce matin de
janvier, lorsqu’elle vient ouvrir la porte de
l’abbaye, son sourire est celui d’une religieuse
affable, emmitouflée dans des superpositions
de vêtements serrés autour d’elle. C’est qu’il
fait frisquet dans cette immense bâtisse néo­
gothique, grise au milieu d’une forêt grise. Le
long des couloirs, des moniales originaires du
Rwanda, du Congo ou de Madagascar promè­
nent leurs mines frigorifiées. Elles sont 19,
sous la houlette de mère Bénédicte, une vieille
Alsacienne aux traits délicats qui s’excuse de
ne pas se souvenir de tout. Ici, c’est plutôt
sœur Gertrude qui fait tourner la boutique,
croit­on comprendre. Elle qui répare la chau­
dière, organise l’accueil des groupes, dirige les
ventes d’artisanat et cherche désespérément
les fonds pour chauffer ce lieu glacial. A ses
moments perdus, elle prend des cours d’orgue
à l’abbaye voisine de Maredsous, où vivent
des moines bénédictins.
DES TENSIONS AU COUVENT
Quand des policiers sont venus la chercher
pour la conduire au tribunal, en avril 2001,
mère Bénédicte en fut bouleversée. « Je t’ai
toujours crue, n’est­ce pas ? », dit­elle en se
tournant vers sa consœur. Cette dernière a
été emmenée avec sœur Kisito, une autre an­
cienne du couvent de Sovu, accusée elle aussi
de participation au génocide. Condamnée à
douze ans de réclusion, Julienne Mukabutera
(son nom civil) a bénéficié d’une libération
anticipée. Elle vit à Maredret, mais ne s’ex­
prime pas publiquement sur le passé.
Comme durant le procès, sœur Gertrude est
la « vedette » de cette histoire. Née en 1958 de
mère hutu et père tutsi, entrée en religion à
l’âge de 19 ans, Consolata Mukangango est
élue supérieure du couvent bénédictin de
Sovu à 35 ans, après des séjours d’étude en Bel­
gique. La communauté compte alors 31 reli­
gieuses, dont 17 tutsi. Certaines n’ont pas plus
de 20 ans. A l’entendre, « il régnait une certaine
anarchie » au sein du couvent, où des factions
s’opposaient depuis son élection. Prise en
tenaille dans des conflits de pouvoir, mère
Gertrude affirme aujourd’hui qu’elle n’avait
alors ni la confiance en elle « ni la maturité ni
les techniques de management » pour maîtri­
ser la situation. Peu de temps avant le début
du génocide, elle cherche à démissionner,
mais sa hiérarchie ne le lui permet pas.
C’est dans cette ambiance tendue que sur­
viennent, en avril 1994, les premières tueries
aux abords du couvent. Sovu est proche de
Butare, deuxième ville du pays, où les génoci­
daires n’ont pas immédiatement sévi avec la
même frénésie qu’à Kigali, la capitale, livrée
Cette religieuse rwandaise, condamnée en 2001 par
la justice belge pour son comportement lors du génocide
de 1994, continue de clamer son innocence. « Le Monde »
l’a rencontrée dans son couvent, en Belgique
Consolata Mukangango, alias sœur Gertrude, à Bruxelles, le 3 février 2000. ROBERT VANDEN BRUGGE/AFP
au chaos dès le 7 avril. Le 17, cependant, des
rumeurs poussent des centaines de villa­
geois à tenter de se réfugier auprès des reli­
gieuses de Sovu. De son propre aveu,
Gertrude ne les accueille pas, de peur, dit­elle,
d’attirer sur elle et sur les autres moniales la
fureur des miliciens interahamwe, responsa­
bles de la plupart des crimes commis cette
année­là. A partir du 18, elle refoule donc les
villageois vers un centre de santé géré par sa
communauté, mais situé à l’extérieur de
l’enceinte. Ne restent entre les murs que ses
occupantes habituelles, les familles de cinq
religieuses tutsi et certains réfugiés ayant
réussi à se glisser par des trous dans la
clôture, sans être vus des miliciens.
La condamnation prononcée par la cour
d’assises de Bruxelles s’appuie sur les récits de
religieuses tutsi, mais aussi de rescapés venus
du Rwanda pour témoigner. En cause : l’atti­
tude des sœurs Gertrude et Kisito durant les
trois vagues de massacres perpétrés à proxi­
mité du couvent. Le 22 avril, des centaines de
personnes périssent dans et autour du centre
de santé ; le 25, les miliciens font sortir tous les
réfugiés présents dans le couvent et liquident
sur place une cinquantaine d’entre eux, épar­
horizons | 19
gnant les familles des moniales tutsi ; mais le
« CROYEZ­VOUS  6 mai, ces familles, soit une trentaine de per­
QUE NOUS AVIONS  sonnes au total, sont finalement exécutées.
Sœur Gertrude n’a pas informé les réfugiés
ENCORE UNE  du massacre prévu le 25, alors qu’elle­même
avait été avertie la veille par Emmanuel
INTELLIGENCE POUR  Rekeraho, le chef de la milice locale. Persua­
dée d’être visée elle aussi, elle avait d’abord
RÉFLÉCHIR ? NOUS  fui avec une partie des religieuses, avant de
ÉTIONS TRAQUÉES,  retourner au couvent, « pour mourir chez [el­
les] ». Surtout, deux semaines plus tard, elle
SANS SECOURS,  envoie une lettre accablante, qui sera fatale
aux familles des religieuses restées sur place.
NOUS AVONS  Ce document, reproduit dans le livre de
TRAVERSÉ DES  Jérôme Gastaldi, est une « Demande de protec­
tion aux autorités » adressée le 5 mai au bourg­
VALLÉES DE SANG » mestre (l’équivalent du maire) de Butare.
Sœur Gertrude s’y plaint de la présence de
CONSOLATA
personnes venues « de manière désordonnée
MUKANGANGO
et qui s’obstinent à rester » dans le monastère.
religieuse bénédictine
Autrement dit, les fameuses familles. « Je vous
demande avec insistance monsieur le bourg­
mestre que la date du 6/05/1994 soit la date
limite : il faut que tout soit terminé à cette date
pour que les travaux habituels du monastère se
poursuivent sans inquiétude. » La dernière
partie du texte est soulignée.
« Que tout soit terminé »… Pour l’avocate
Michèle Hirsch, conseil des parties civiles
lors du procès de 2001, l’intention criminelle
ne fait aucun doute : « Quand on connaît la
terminologie du génocide, ces mots voulaient
dire : “Venez terminer le travail.” » C’est
d’ailleurs ainsi que l’ont entendu les « autori­
tés », accourues sur place en moins de vingt­
quatre heures, machettes à la main. Pour
sœur Gertrude, en revanche, la panique ex­
plique sa démarche. « J’ai pris des décisions
que je regrette, mais je pensais qu’ils seraient
seulement déplacés. » Et puis, affirme­t­elle,
« cette lettre, je l’ai signée, mais pas écrite ». Un
certain Gaspard Rusanganwa, voisin du cou­
vent et adjoint de Rekeraho, aurait lui­même
rédigé le texte en insinuant que les religieu­
ses étaient en danger. Au procès, Rekeraho a
pourtant soutenu ne pas avoir eu l’intention
d’éliminer les sœurs, ni leurs familles.
CHOIX DIFFICILES
Sœur Gertrude est soupçonnée d’accointan­
ces avec Rekeraho, ce qu’elle nie absolument.
Tout au plus reconnaît­elle des relations fon­
dées sur la crainte. Car la peur est au centre de
ces événements. Celle des victimes, bien sûr,
mais aussi celle de sœur Gertrude, qui assure
avoir alors été confrontée à des choix terribles.
« Mettez­vous dans la peau de quelqu’un qui a
une famille à défendre, dit­elle. S’il ne s’agissait
que de ma vie à moi, je l’aurais donnée. Mais
fallait­il que je livre ma communauté ? » Dans
ces torrents d’horreur, suggère­t­elle, le sens
commun n’avait plus cours. « Croyez­vous que
nous avions encore une intelligence ? Nous
étions traquées, sans secours, nous avons tra­
versé des vallées de sang. Il faut l’avoir vécu. »
A quel saint se vouer, dans une situation
chaotique, où les morts finissent par devenir
plus nombreux que les vivants ? L’un des sou­
tiens de la religieuse, inattendu là encore,
vient d’une femme tutsi qui a perdu cinq
membres de sa famille en 1994. Appelons­la
Marie – elle ne souhaite pas donner son nom,
par crainte d’éventuelles représailles contre
elle ou ses proches restés au Rwanda. Elle
aussi plaide l’affolement, l’incapacité à raison­
ner normalement, les choix qui finissent par
tuer. « J’ai bien vu à quel point on ne savait que
faire, explique cette femme dont la famille
était amie avec celle de Consolata
Mukangango. On reproche aux survivants
d’être toujours là. Moi­même, je me pose la
question. J’étais l’aînée, j’aurais peut­être dû
obliger mon frère et ma belle­sœur à se cacher
au même endroit que moi. Ils ont pris une autre
direction, ils en sont morts. » Puis elle ajoute :
« Croyez­vous que je pourrais même approcher
sœur Gertrude, si je la croyais coupable ? »
Jérôme Gastaldi, lui, est persuadé que son
amie « a fait ce qu’elle a pu ». Il suggère que
les dissensions entre religieuses auraient
poussé certaines à charger leur ancienne
mère supérieure. « L’une d’elles est même ve­
nue ensuite à Maredret pour demander par­
don à sœur Gertrude, disant qu’elle avait subi
des pressions, affirme­t­il. Et puis, si la mère
supérieure avait été dans la haine, n’aurait­
elle pas livré ces gens dès le départ ? » Il soup­
çonne enfin le procès d’avoir servi à « purger
l’histoire » belge, encombrée d’un lourd
passé colonial. « Mais attention, je ne suis
pas négationniste, conclut­il. Je ne réfute pas
la réalité du génocide. »
Indissociable de tout génocide, la question
du négationnisme n’en plane pas moins sur
l’histoire rwandaise. Selon Me Hirsch, elle a
d’ailleurs tout récemment refait surface dans
un nouveau procès lié aux massacres de
1994. Le 19 décembre 2019, Fabien Neretsé,
haut fonctionnaire rwandais, a été
condamné à vingt­cinq ans de prison par la
cour d’assises de Bruxelles pour génocide et
crimes de guerre. La justice a tranché, démê­
lant les fils de l’histoire. Dans le cas de sœur
Gertrude, elle a aussi dépassé la fameuse
question miroir : « Qu’auriez­vous fait à sa
place ? » Dans son livre Comment devient­on
génocidaire ? (Grip, 2013), le juge Damien Van­
dermeersch, qui a instruit le procès de 2001,
rappelle une phrase d’Hannah Arendt, dans
Responsabilité et jugement : « Ceux qui choi­
sissent le moindre mal oublient très vite qu’ils
ont choisi le mal. » Il arrive que les choix
soient difficiles, observe­t­il, mais certaines
options n’en restent pas moins criminelles.
La justice est là pour servir de boussole,
quand le sang a cessé de couler. 
raphaëlle rérolle
20 | disparitions
Mary Higgins Clark
Ecrivaine américaine
L’
assassin est connu. Ce
sont « les complications
du grand âge » qui ont
emporté Mary Higgins
Clark, 92 ans, à Naples (Floride), le
31 janvier, a annoncé Simon
& Schuster, maison d’édition de la
« reine du suspense ».
Depuis 1975 et La Maison du
guet (Albin Michel – comme tous
ses romans –, 1984), « chacun de
ses 56 livres a été un best­seller.
Plus de 100 millions d’exemplai­
res de ses ouvrages ont été impri­
més aux Etats­Unis ; ce sont des
best­sellers internationaux, qui
ont été traduits dans toutes les
langues principales, et dans bien
d’autres, moins répandues », sou­
ligne l’hommage. La romancière
aux 3 millions de lecteurs par an
(en moyenne) était également re­
connue par ses pairs : en 2000,
elle avait reçu le prestigieux
Grand Master Award décerné
par l’association des Mystery
Writers of America.
C’est notamment à ses origines
irlandaises que « MHC » attribuait
ses talents de conteuse : « Tous les
Irlandais sont des conteurs d’his­
toires. Et, quand il arrive qu’un récit
traîne ou tourne à l’incohérence, je
vous garantis que l’auditoire ne se
gêne pas, là­bas, pour vous inter­
rompre sans ménagement ! » Mary
Higgins naît le 24 décembre 1927
dans le Bronx (New York), d’un
père immigré irlandais, cafetier
(mort en 1939), et d’une mère dont
les aïeux venaient du même pays.
Après avoir été secrétaire, puis
rédactrice, dans une agence de
publicité, et hôtesse de l’air à la
compagnie Pan Am, elle épouse,
en 1950, un ancien collègue, War­
ren Clark, et cesse de travailler, ce
qui lui permet de s’inscrire à la
New York University et de pren­
dre des cours d’écriture – ses pre­
miers poèmes remontent à ses
6 ans. En 1956, la revue Extension
achète pour la première fois l’une
Santu Mofokeng
Photographe sud­africain
S
antu Mofokeng avait
l’étoffe des grands, de
ceux qui questionnent
sans arrêt leur pratique,
dédaignent l’esbroufe et, derrière
l’évidence, traquent la com­
plexité et les nuances. Chroni­
queur patient de l’inconscient
d’un pays fracturé par l’apar­
theid, le photographe sud­afri­
cain s’est éteint dimanche 26 jan­
vier, à l’âge de 64 ans, des suites
d’une longue maladie.
Né à Soweto le 19 octobre 1956,
le jeune Mofokeng embrasse la
photo à l’âge de 17 ans. Recruté
pour les anniversaires et les ma­
riages, il capture d’abord le quoti­
dien des siens dans le township.
C’est dans les citadelles de la
presse blanche, au magazine
Bleed, où il sera assistant au labo­
ratoire de photo en 1981, puis
dans les journaux de la Chambre
des mines, que l’autodidacte fait
d’abord ses gammes. En 1985, il
adhère au collectif multiracial
Afrapix, fondé trois ans plus tôt
par des professionnels et ama­
teurs pratiquant une photogra­
phie de combat. On lui com­
mande des images de révolte et
de répression. Lui préfère s’atta­
cher aux conditions de vie des
Noirs, aux états flottants et aux
zones grises qui, en creux, disent
tout de la ségrégation.
Aux stéréotypes de la lutte et de
la pauvreté, Santu Mofokeng pré­
fère l’étrange et l’ambigu, les con­
de ses nouvelles, inspirée par son
expérience d’hôtesse de l’air.
Elle en a publié quelques­unes
quand son mari meurt, en 1964.
Elle multiplie alors les emplois,
écrit pour la radio, mais ne re­
nonce pas à son rêve de signer un
roman, se levant à 5 heures cha­
que matin pour écrire avant de
s’occuper de ses cinq enfants. Les
lettres de refus s’accumulent,
qu’elle conserve précieusement
sans se décourager, convaincue
qu’elle tiendra un jour sa revan­
che, et deviendra une écrivaine
célèbre (« Même si je n’aurais ja­
mais pu rêver de l’être à ce point. »)
En 1968, son premier roman, ins­
piré par la vie de George Washing­
ton, paraît. Le Roman de George et
Martha ne rencontre aucun suc­
cès, mais l’essentiel est qu’elle a
réussi à être publiée. A sa réédi­
tion sous un autre titre en 2000,
c’est un best­seller (il sortira en
France en 2007).
C’est qu’entre­temps « MHC »
est devenue « la reine du sus­
pense ». En 1975, La Maison du
guet (qui paraîtra en France dix
ans plus tard) est sa première in­
cursion du côté du polar, et un
beau succès. Accusée d’avoir as­
sassiné ses deux enfants, une
femme quitte la Côte ouest pour
la Côte est, change de vie, donne
naissance à deux autres enfants,
lesquels disparaissent à leur
tour… La lectrice d’Agatha Christie
veut, comme elle l’expliquera
bien plus tard au New York Times,
que le lecteur se dise : « Ça pour­
rait être moi, ça pourrait être ma
fille. Ça pourrait nous arriver. »
En 1977, La Nuit du renard, son
deuxième roman, est un point de
bascule dans sa vie, très efficace
démonstration de son talent pour
le suspense. Il sera son premier
roman publié en France, en 1979,
chez Albin Michel. Francis Esmé­
nard, patron de la maison d’édi­
tion, confie en 1999 à L’Express :
trastes de noir et blanc qui mar­
quent sa toute première série
en 1986, « Train Church », sur le
phénomène des trains­églises,
plus tard publié par Steidl. « Le
défi a toujours été pour moi de
créer des images qui ne soient ni
prisonnières des contraintes im­
posées par l’Etat, ni soumises aux
exigences de la lutte contre ce
même Etat », précisera­t­il dans le
catalogue de l’exposition que lui
avait consacrée le Jeu de paume à
Paris en 2011.
A l’urgence du photojourna­
lisme, Santu Mofokeng oppose
l’essai photographique construit
sur la durée. « Il arrivait toujours
trop tard sur les lieux des événe­
ments et ne pouvait pas repar­
tir aussi vite que les autres, ra­
conte Corinne Diserens, com­
missaire de l’exposition du Jeu de
paume. Au lieu de s’arrêter sur
l’événement, d’être dans la trans­
mission immédiate, il prenait le
temps d’accumuler les images
puis de les éditer, de réduire l’en­
semble à une essence, en tra­
vaillant le rapport à des textes
courts. » Santu Mofokeng fera
dès lors de la lenteur sa force.
« La complexité humaine »
En 1988, il rejoint l’African Stu­
dies Institute à l’université de Wi­
twatersrand, à Johannesburg, un
refuge qui lui permet de prati­
quer dix ans durant une photo­
graphie de la recherche, sans la
« Ce vendredi­là, je n’avais aucun
manuscrit urgent à emporter pour
le week­end. Il y avait sur un bu­
reau un exemplaire du manuscrit,
en anglais, de La Nuit du renard.
Pourquoi a­t­il retenu mon atten­
tion ? Peut­être le titre original, A
Stranger Is Watching, accrocheur,
et qui définit assez bien, on le sait
maintenant, la griffe Mary Hig­
gins Clark : quelqu’un vous épie,
vous guette, que vous ne soupçon­
nez pas. Je suis revenu le lundi en­
thousiasmé par ma lecture. J’ai fait
immédiatement lire le roman
dans la maison, et voilà. »
Self-made-women
Voilà : Albin Michel crée pour
Mary Higgins Clark la collection
« Spécial Suspense », et attribue à
l’écrivaine une traductrice, Anne
Damour, toujours à pied d’œuvre
aujourd’hui. La Nuit du renard
remporte en France, en 1980, le
Grand Prix de littérature policière.
L’argent de ces deux livres pro­
cure à Mary Higgins Clark la li­
berté de reprendre ses études :
en 1979, elle sort diplômée de phi­
losophie de la Fordham Univer­
sity. Elle ne cesse évidemment pas
d’écrire, fignolant la recette de ses
romans, publiés au rythme d’au
moins un par an. Ses héroïnes
sont des self­made­women, qui
ont travaillé dur pour accéder à
un statut social élevé, pourvoyeur
de rêve pour les lecteurs, mais pas
inaccessible : rédactrice de mode,
décoratrice, dessinatrice de bi­
joux, agente immobilière… Elle se
documente beaucoup pour situer
ses intrigues dans des mondes
comme les cliniques de chirurgie
esthétique, les croisières de luxe
ou le monde politique.
Elle construit ses romans par
courts chapitres, qui accrochent
le lecteur, et lui font tourner les
pages. Dans son Dictionnaire des
littératures policières (Joseph K,
2003), le spécialiste Claude Mes­
Dans les
années 1990.
STEVE TANCHE/
COURTESY LUNETTA
BARTZ/MAKER
pression des « deadlines ». Au
cours de cette période, il se lance
dans l’essai photographique Ru­
mours/The Bloemhof Portfolio,
explorant la mémoire rurale de
son pays, et surtout The Black
Photo Album, où il collecte et re­
produit les images de la petite
bourgeoisie noire de 1890 à 1950,
une somme qui sera exposée
en 1997 à la deuxième Biennale
de Johannesburg. « Lorsque nous
plède souligne le recours à « de
nombreux ingrédients destinés à
faire palpiter les âmes sensibles :
coups de téléphone mystérieux,
maison en flammes, tueurs sadi­
ques et fou mystique en liberté,
tendre romance entre l’héroïne et
son sauveur, et bien sûr une bonne
dose de mystère ». Ajoutons que le
gore n’est pas le genre de « MHC »,
pas plus que les scènes de sexe. Ce
qui met son livre à la portée de
tous les publics. En 1988, elle de­
vient, selon le New York Times, la
première auteure à signer un con­
trat à huit chiffres.
19 OCTOBRE 1956 Nais-
sance à Soweto
(Afrique du Sud)
1997 Participe à la Biennale
de Johannesburg
2011 Exposition
au Jeu de paume, à Paris
2013 Expose
au pavillon allemand
à la Biennale de Venise
26 JANVIER 2020 Décès
en Afrique du Sud
Son succès jamais démenti jus­
tifie pareil record, qu’elle pu­
blie des thrillers purs, s’essaie
aux livres pour enfants (deux),
écrive en collaboration avec sa
fille Carol Higgins Clark (cinq ro­
mans) ou avec l’avocate Alafair
Burke. « Mes livres, disait­elle
souvent, fonctionnent comme un
train fantôme. Vous achetez un
ticket et, à partir de là, je vous pro­
mets des sueurs froides. » Jusqu’à
son dernier souffle, elle aura pi­
loté son train fantôme, sans ja­
mais se lasser. 
raphaëlle leyris
regardons ces portraits, nous sa­
vons qu’ils nous disent quelque
chose de la manière dont ces gens
se percevaient, insiste le photo­
graphe. Ils nous imposent de les
regarder à travers leurs yeux, car
ils se les sont appropriés. »
Bien qu’une bonne génération
les sépare, on aura souvent com­
paré Santu Mofokeng à son aîné
et mentor, le photographe David
Goldblatt, mort en juin 2018 :
0123
MARDI 4 FÉVRIER 2020
En 2004. MIKE DERER/AP
24 DÉCEMBRE 1927 Nais-
sance à New York
1968 « Le Roman de George
et Martha », premier roman
1975 « La Maison du guet »,
premier polar
1977 « La Nuit du renard »,
Grand Prix de littérature
policière en 1980
2000 Grand Master Award
31 JANVIER 2020 Mort
à Naples (Floride)
même attachement à un pays dé­
chiré, même lucidité dénuée de
misérabilisme. « Ils n’ont pas eu
les mêmes conditions de vie, pré­
cise toutefois Corinne Diserens.
En tant que Noir, pendant les an­
nées d’apartheid, Mofokeng n’a
pas pu circuler librement, contrai­
rement à Goldblatt. »
Après les élections de 1994 me­
nant Nelson Mandela au pou­
voir, Santu Mofokeng sillonnera
le pays, l’œil ouvert, l’esprit tou­
jours critique. « Le paysage était
capital pour lui, insiste Corinne
Diserens. C’était aussi bien le pay­
sage familier que celui métaphysi­
que et mystique. Le paysage était
lié pour lui à la mémoire, à l’idéo­
logie, à l’endoctrinement et aux
préjugés. » Déjouant encore et
toujours les clichés, il photogra­
phie aussi bien les cimetières où
furent enterrés les fermiers
blancs assassinés avec leur fa­
mille que les rituels religieux
dans les grottes de Motouleng et
de Mautse. En 1996­1997, son
essai sur les paysages hantés
par les tragédies le conduira
jusqu’à Auschwitz et Ravens­
brück, dont il reviendra avec
des images aussi sobres que gla­
çantes. « Toute son œuvre parle
d’injustice, résume Corinne Dise­
rens. Pour autant, il ne faisait
pas de photographie pour ju­
ger mais pour travailler la com­
plexité humaine. » 
roxana azimi
0123
MARDI 4 FÉVRIER 2020
Albert Aghazarian
Intellectuel palestinien
En 2001. LEILA GORCHEV/AFP
J
érusalem a perdu l’un de ses
fils les plus attachants. L’in­
tellectuel Albert Aghazarian,
palestinien d’origine armé­
nienne, y est décédé jeudi
30 janvier, à l’âge de 69 ans. Histo­
rien, éducateur, conteur, guide et
interprète, doté d’une personna­
lité flamboyante et malicieuse à la
fois, il avait le don d’humaniser la
Vieille Ville de Jérusalem, ce dé­
dale de ruelles pavées, cadenassé
par les religions et la politique,
dont il connaissait chaque recoin.
« Il avait cette civilité et cette to­
lérance exceptionnelle, caractéris­
tique des anciens Jérusalémites,
témoigne Hoda Al­Imam, la fon­
datrice d’un centre d’études, im­
planté non loin de l’esplanade
des Mosquées. Dans une cité de
plus en plus étouffante, que beau­
coup d’intellectuels quittent à re­
gret, il faisait preuve d’une légè­
reté fascinante. »
Albert Aghazarian est né
en 1950, dans le quartier armé­
nien de la Ville sainte, de parents
ayant fui le génocide de 1915 per­
pétré par le gouvernement otto­
man. Il étudia d’abord à Jérusalem
et Ramallah, avant de partir à Bey­
routh, où il obtint une licence en
sciences politiques, puis à l’uni­
versité Georgetown de Washing­
ton, où il décrocha un master en
études arabes contemporaines.
Esprit libre
L’ouverture sur l’étranger fut une
constante de la carrière de ce ci­
toyen du monde, qui parlait sept
langues – arabe, arménien, fran­
çais, anglais, hébreu, turc et espa­
gnol – « mais une seule à la fois »,
comme il se plaisait à dire. A la
Palestine, sa patrie de cœur, il of­
frit son énergie débordante, sa
verve rabelaisienne et sa culture
encyclopédique.
Il fut le rédacteur en chef adjoint
du quotidien Al­Quds, entre 1973
et 1976 et un membre fondateur
du Forum intellectuel arabe,
en 1977, à Jérusalem. Puis, il diri­
gea, entre 1980 et 2002, le bureau
des relations publiques de l’uni­
versité de Bir Zeït, au nord de
Ramallah, foyer de militantisme,
soumis au harcèlement de l’ar­
mée d’occupation israélienne.
Face aux descentes des soldats,
aux arrestations arbitraires et
aux ordres de fermeture qui s’in­
tensifièrent durant la première
intifada (1987­1993), Albert Agha­
zarian défendit haut et fort,
auprès des diplomates étrangers
et de la presse internationale, le
droit à l’éducation de la jeunesse
palestinienne.
Son brio à ce poste lui valut
d’être nommé co­porte­parole de
la délégation palestinienne à la
18 AOÛT 1950 Naissance
à Jérusalem
1973-1976 Rédacteur en
chef adjoint du quotidien
« Al-Quds »
1980-2002 Dirige le bureau
des relations publiques
de l’université de Bir Zeït
1991 co-porte-parole
de la délégation palesti-
nienne à la conférence
de paix de Madrid
30 JANVIER 2020 Mort
à Jérusalem
conférence de paix de Madrid,
en 1991, aux côtés de Hanan
Ashrawi, une professeur de litté­
rature anglaise de Bir Zeït,
aujourd’hui membre du comité
exécutif de l’OLP. Une expérience
qu’il aimait relater, en rappelant
comment il tint tête à son vis­à­
vis israélien, un jeune quadra
du Likoud, promis à une longue
carrière : Benyamin Nétanyahou,
premier ministre depuis plus de
dix ans de l’Etat hébreu.
Par la suite, Albert Aghazarian
fut approché à plusieurs reprises
pour assumer des responsabilités
au sein de l’Autorité palestinienne
(AP), notamment celle de minis­
tre de la culture et d’ambassadeur
en France. Mais cet esprit libre,
sceptique à l’égard des accords
des paix d’Oslo, déclina ces offres,
préférant se consacrer à la recher­
che et à l’interprétariat. Lorsque
Yasser Arafat, président de l’AP,
appelait le téléphone familial, ses
enfants avaient pour consigne de
répondre qu’il n’était pas là…
Sa petite maison de pierre, ni­
chée dans le quartier arménien,
tenait lieu de salon culturel. Elle
voyait défiler ses amis, Palesti­
niens comme Israéliens, ainsi que
beaucoup d’étrangers, diploma­
tes, chercheurs et journalistes,
tous ravis par sa conversation
érudite, ponctuée de rigolades et
de bons plats, concoctés par Ma­
deleine, son épouse.
La visite se terminait rituelle­
ment par une immersion dans la
Vieille Ville, son univers fétiche,
où il était connu de tous comme
Al­Ustaz (le « professeur »). D’un
pas enjoué, alternant anecdotes,
bons mots et statistiques, ce pas­
seur né pouvait aussi bien faire
revivre la reine Mélisende que les
combats de 1948, à la création
d’Israël. Il célébrait « le pouvoir de
la culture » et dédaignait « la cul­
ture du pouvoir ». Il défendait un
credo laïc, fraternel et pluraliste,
devenu tristement désuet dans
le P roche­Ori ent
d’aujourd’hui. 
benjamin barthe
Le Carnet
Vous pouvez nous envoyer
vos annonces par mail :
carnet@mpublicite.fr
en précisant vos coordonnées
(nom, adresse, téléphone et votre éventuel
numéro d’abonné ou membre de la SDL)
Réception de vos annonces :
du lundi au vendredi
jusqu’à 16 heures
le samedi et les jours fériés
jusqu’à 12 h 30
Pour toute information
complémentaire Carnet :
01 57 28 28 28
AU CARNET DU «MONDE»
Naissance
Vialas (Lozère).
Marie-Claire et Yves LEMOINE
ont la joie de faire part de la
naissance de leur petit-fils
Luca ROBIN-LEMOINE,
le 26 janvier 2020, au Puy-en-Velay.
Brice et Rachel,
ses parents,
Luis,
son frère,
sont très heureux !
Anniversaire de naissance
Une femme
et deux filles avec un gendre et demi,
Cinq chiens autour de quatre
reconversions,
Vingt cheveux sous mon melon
avec Georges c’est bon,
Après soixante-dix ans, quelle est
la suite ?
Décès
Jean-Max CHEVALIER
est parti pour une ultime plongée
vers le Grand Bleu, le 24 janvier 2020,
à 19 h 48.
Sylvie,
sa femme,
Elsa et Maxime,
ses enfants,
Ann-Marie, Richard,
leurs conjoints,
Arthur,
son petit-fils,
Nous pleurons un mari aimant et
un père d’une infinie tendresse.
Nous remercions chaleureusement
Jérémy, Clément, Cindy, Léa et Linda
ainsi que toute l’équipe de l’HAD de
Nantes. Par leur présence et leur
efficacité, ils nous ont permis de
prendre soin de lui à la maison dans
son long combat contre la maladie.
Je m’en irai dormir
dans le paradis blanc,
[…] Retrouver les baleines
Parler aux poissons d’argent
Comme, comme, comme avant… »
Michel Berger.
Claire Marcadeux,
François Dupuigrenet
Desroussilles,
ses enfants
Et sa famille tout entière,
ont la douleur de faire part du décès,
à Paris, le 28 janvier 2020, à l’âge de
quatre-vingt-douze ans, de
Guy DUPUIGRENET
DESROUSSILLES.
Une cérémonie religieuse aura
lieu le mercredi 5 février, à 10 h 30,
en l’église Saint-Médard, 141, rue
Mouffetard, Paris 5e.
Ni fleurs ni couronnes.
Des dons par chèque envoyés à
l’unité des soins palliatifs de l’hôpital
Cognacq-Jay, 12, rue Eugène Millon,
75015 Paris.
claire.marcadeux@hotmail.fr
Valérie Magneron,
sa compagne,
Arnaud et Félicien Godineau,
ses fils,
ont la douleur de faire part du décès
de
Hergo,
photographe,
survenu le mardi 28 janvier 2020,
à son domicile parisien.
Un hommage lui sera rendu en la
salle Mauméjean, au crématorium
du cimetière du Père-Lachaise, 71, rue
des Rondeaux, Paris 20e, le mercredi
5 février, à 10 heures.
L’inhumation aura lieu aux
Sables-d’Olonne, le jeudi 6 février,
à 14 heures.
oeilbarok@free.fr
Gilles Petit-Idatte
et Pierrette Chastel,
son fils et sa belle-fille,
Rodel Lapuz,
ont la tristesse de faire part du décès
du
professeur
Jean-Marie IDATTE,
PU-PH honoraire
des Hôpitaux de Paris,
ancien chef du service
de néphrologie
de l’hôpital Saint-Louis de Paris,
survenu le 28 janvier 2020.
Une cérémonie aura lieu le
mercredi 5 février, à 15 h 30, au
crématorium du cimetière du Père-
Lachaise, Paris 20e.
Condoléances sur registre.
16, rue Saint-Gilles,
75003 Paris.
jean-marie.idatte@orange.fr
Francis Kalifat,
président du CRIF,
les anciens présidents du CRIF,
les membres du comité directeur
et de l’assemblée générale
ainsi que le personnel du CRIF,
ont la tristesse d’annoncer le décès
de
Théo KLEIN,
ancien président du CRIF
et du Congrès juif européen (CJE),
ancien résistant,
avocat aux barreaux
de Paris et d’Israël,
président d’honneur
du musée d’art et
d’histoire du Judaïsme,
survenu le 28 janvier 2020,
dans sa centième année.
Ses obsèques seront célébrées au
cimetière du Montparnasse, Paris 14e,
le mercredi 5 février, à 15 heures.
Sans fleurs ni couronnes.
Cet avis tient lieu de faire-part.
(Le Monde du 31 janvier.)
Madeleine Thoby-Le Duc,
sa femme,
Pierre et Sibylle Le Duc,
Serge et Judy Le Duc,
ses enfants,
Muriel Bertin,
sa belle-fille,
Pierre Bertin,
son beau-fils,
Thomas Bardou, Baptiste Choin,
Simon Le Duc-Ortiz,
ses petits-enfants,
Les amis qui l’ont accompagné
jusqu’au bout,
remercient Isabelle Giraudeau qui l’a
si bien aidé
et ont la profonde tristesse
d’annoncer le décès de
Michel LE DUC,
qui nous a quittés ce 23 janvier 2020,
dans sa maison de Saint-Nazaire.
Docteur en économie, urbaniste,
professeur retraité de l’Ecole
d’architecture de Paris, consultant
en économie urbaine, président
d’honneur de l’ACAD, il aimait les
voyages, apprivoiser les langages.
Ses cendres seront emportées au
gré des vents de l’océan pour un
dernier voyage que nous ne
pourrons hélas partager.
Moulins-lès-Metz.
Micheline,
son épouse,
François et Bernard,
ses fils,
Audrey, Arnaud, Elisa, Claire,
Alexandre,
ses petits-enfants,
ont la tristesse de faire part du décès
de
M. Pierre LEWIS,
chevalier de la Légion d’honneur,
officier de l’ordre national du Mérite,
président honoraire
de la Ligue de l’enseignement
FOL 57,
survenu le 29 janvier 2020,
à l’âge de quatre-vingt-onze ans.
La célébration religieuse de ses
funérailles aura lieu le mardi
4 février, à 10 h 30, à Moulins-Saint-
Pierre.
carnet | 21
Christiane MacArthur,
née L’ÉTENDART,
s’est éteinte le 21 janvier 2020, à l’âge
Conférence
de quatre-vingt-quinze ans, à son
domicile de Manhattan (New York).
Elle est née le 21 novembre 1924
à Paris 4e arrondissement dans
l’appartement de ses parents,
Amédée L’Étendart et Suzanne Anne
Marie, Cochoix de son nom de jeune La puissance américaine :
fille. assise et évolutions
Lorsque les Allemands envahirent stratégiques
la France en 1940, la famille quitta
son domicile de La Varenne-Saint- Conférences 2020
Lundi 18 heures - 20 heures
Hilaire, en région parisienne, pour
trouver refuge dans la maison de Inscription :
campagne L’Étendart, en Sologne, chairestrategique.univ-paris1.fr
près de Romorantin, tout au long
de l’Occupation. L’éducation de
• 10 février,
Christiane dut être interrompue
par la guerre, mais elle lut un très Bruno Tertrais,
grand nombre de livres dans la directeur adjoint
bibliothèque paternelle et nourrit de la Fondation pour la recherche
ainsi une passion durable pour la stratégique (FRS), Paris, France
littérature, incluant les auteurs Encore un siècle américain ?
classiques français et des écrivains Les atouts stratégiques de l’Amérique
britanniques traduits comme Walter face à ses concurrents
Scott. Amphithéâtre Oury,
Sorbonne, 14, rue Cujas, Paris 5e.
De retour à Paris après la guerre,
Christiane travailla comme mannequin
et apparut dans plusieurs publicités • 17 février,
qui, avant l’invention de la Aaron Friedberg,
télévision, étaient diffusées pendant professeur, Politique et Affaires
les entractes dans les cinémas internationales,
français. Elle prit aussi des cours de Princeton University, Etats-Unis
dessin et de peinture dans une école L’intensification de la rivalité
Etats-Unis - Chine
d’art, deux autres passions qu’elle
dans les domaines économiques
allait cultiver durablement.
et technologiques
En 1947, elle rencontra J. Roderick
Amphithéâtre Oury,
MacArthur, un journaliste américain
Sorbonne, 14, rue Cujas, Paris 5e.
travaillant pour United Press, qui
avait été conducteur d’ambulance au
• 24 février,
sein de l’American Field Service, au
Anthony Blinken,
service de la Première Armée
ancien secrétaire d’Etat adjoint
Française. Au début de l’année 1948,
des Etats-Unis
ils se marièrent à Paris. Leur premier
auprès du président Barack Obama,
enfant, Grégoire, naquit en décembre
Quels défis de sécurité internationale
1948. En 1952, la famille s’installa à
pour les Etats-Unis ?
New York, dans l’Upper West Side, où
Amphithéâtre Oury,
deux autres enfants allaient naître,
Sorbonne, 14, rue Cujas, Paris 5e.
Solange et John R. (Rick). Christiane
suivit des cours de l’American • 2 mars,
Language Program à l’université Kazuto Suzuki,
Columbia. Ayant acquis un niveau vice-doyen et professeur,
satisfaisant en anglais, elle voua une École supérieure de politique
admiration particulière pour John publique,
Dos Passos, plus particulièrement
Université d’Hokkaido, Japon,
pour son roman Manhattan Transfer Enjeux stratégiques
et sa trilogie USA. Plus tard, femme
entre les Etats-Unis et l’Asie,
au foyer dans les environs de Amphithéâtre Oury,
Chicago, elle fit découvrir à ses Sorbonne, 14, rue Cujas, Paris 5e.
enfants un large panel de livres et
d’auteurs, dont la Mythologie • 9 mars,
d’Hamilton, Il parlait avec les Philip Gordon,
mammifères, les oiseaux, les ancien sous-secrétaire d’Etat
poissons de Konrad Lorenz, les aux Etats-Unis
romans de Graham Greene, tout auprès du président Barack Obama
livre de Victor Hugo comme d’Albert
Fausse promesse : Les Etats-Unis
Camus, et Le Comte de Monte-Cristo et la tentation du changement
d’Alexandre Dumas.
de régime au Moyen-Orient,
Après la mort de son mari en 1984,
Amphithéâtre Oury,
Christiane regagna New York et Sorbonne, 14, rue Cujas, Paris 5e.
Paris, où elle retrouva sa jeune sœur
bien-aimée, Claude, qui disparut • 16 mars,
avant elle. Grégoire mourut en 2001 Maya Kandel,
et Solange en 2012. Christiane repose chercheuse associée
au cimetière de Sag Harbor (Long à l’université Paris 3 Sorbonne
Island). Elle survit par son fils, Rick, Nouvelle (CREW),
et quatre petits-enfants, Sophie, en charge des Etats-Unis
Emme, Henri et Grace. et des relations transatlantiques
au Centre d’Analyse, de Prévision
et de Stratégie (CAPS)
Marc et Christine Michel,
Catherine et André Herbelin, du ministère de l’Europe
ses enfants, et des Affaires Etrangères, France,
Jacques, Arnaud, Cécile, Pierre, Les dilemmes stratégiques
de la relation Etats-Unis - Iran,
Alice, Matthieu, Anne, Clara,
ses petits-enfants, Amphithéâtre Oury,
Sorbonne, 14, rue Cujas, Paris 5e.
Ses neuf arrière-petits-enfants,
• 23 mars,
font part du décès de
Alexandra de Hoop Scheffer,
Mme Jacques MICHEL, directrice de la recherche
née Annick ROULLEAUX, et du bureau de Paris
du Think Tank German Marshall,
le 29 janvier 2020, dans sa quatre- Fund of the United States, France,
L’interventionnisme militaire
vingt-quinzième année.
en mutation : la fin
d’un cycle américain
La cérémonie religieuse sera
et l’émergence d’une gestion
célébrée le vendredi 7 février,
de crises désoccidentalisée.
à 10 heures, en l’église Notre-Dame-
Amphithéâtre Oury,
de-Compassion, place du Général-
Sorbonne, 14, rue Cujas, Paris 5e.
Kœnig, Paris 17e, suivie de
l’inhumation au cimetière des
Batignolles, Paris 17e.
Les nouvelles frontières
technologiques
Son épouse,
de la défense européenne
Sa famille,
• 30 mars,
ont la tristesse de faire part du décès Timo Pesonen (sous réserve),
de Finlande,
directeur général pour le marché
M. Marcel VAL, intérieur, l’industrie, l’entreprenariat
ingénieur acousticien, et les PME, auprès de la Commission
auteur, conférencier, européenne.
Amphithéâtre Oury,
survenu le 28 janvier 2020, à Paris. Sorbonne, 14, rue Cujas, Paris 5e.
Société éditrice du « Monde » SA
Président du directoire, directeur de la publication Louis Dreyfus
Directeur du « Monde », directeur délégué de la publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
Directeur de la rédaction Luc Bronner
Directrice déléguée à l’organisation des rédactions Françoise Tovo
Direction adjointe de la rédaction Philippe Broussard, Alexis Delcambre, Benoît Hopquin, Franck Johannes,
Marie-Pierre Lannelongue, Caroline Monnot, Cécile Prieur
Directrice éditoriale Sylvie Kauffmann
Rédaction en chef numérique Hélène Bekmezian, Emmanuelle Chevallereau
Rédaction en chef quotidien Michel Guerrin, Christian Massol, Camille Seeuws
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Secrétaire générale de la rédaction Christine Laget
Conseil de surveillance Jean-Louis Beffa, président, Sébastien Carganico, vice-président
 CULTURE
22 |
PHOTOGRAPHIE
Davi Kopenawa, le 30 janvier à la Fondation Cartier pour l’art contemporain, à Paris. EDOUARD CAUPEIL POUR « LE MONDE »
« Un sentiment d’impunité 
s’est installé en Amazonie »
Alors que s’ouvre une exposition de photographie à la Fondation Cartier
sur la lutte des Yanomami, le chaman et leader indigène Davi Kopenawa
alerte sur les nouvelles menaces qui pèsent sur la forêt et sur son peuple
ENTRETIEN
I
l a l’autorité naturelle d’un pape ou
d’un prince, en beaucoup plus sim­
ple. A 54 ans, silhouette bonhomme,
mains costaudes, Davi Kopenawa,
chaman et leader du peuple indigène
yanomami du Brésil, est un homme
en colère. Face à la destruction de la forêt et à
l’avancée meurtrière des trafiquants de bois
et orpailleurs clandestins, il sonne l’alarme.
A la Fondation Cartier pour l’art contem­
porain, à Paris, le 30 janvier, il a ouvert la
formidable rétrospective consacrée à la pho­
tographe Claudia Andujar aux côtés de
l’artiste­activiste et de l’anthropologue
Bruce Albert. C’est avec eux, en 1992, qu’il
parvint à faire démarquer la Terra Indigena
Yanomami, territoire de 96 650 kilomètres
carrés. Une terre menacée par les projets mi­
niers, ouvertement soutenus par le gouver­
nement de Jair Bolsonaro.
Quand Davi Kopenawa parle, c’est avec une
force de conviction contagieuse, forgée par
un souverain détachement des choses maté­
rielles. Enfant, il a vu son groupe d’origine,
dans l’Etat d’Amazonas, décimé par les mala­
dies propagées par les Blancs. Révolté par les
deuils, mais intrigué par la puissance des
Blancs, Davi quittera sa région natale pour
travailler à la Funai, la Fondation nationale de
l’Indien où il s’efforcera de « devenir un
Blanc ». Il finira seulement par y contracter la
tuberculose. Guéri, il parcourra le territoire
yanomami et tirera de cette expérience une
compréhension de la logique prédatrice de ce
qu’il nomme le « peuple de la marchandise ».
Vendredi 30 janvier, Davi Kopenawa a livré au
Monde sa lecture de la situation.
On estimait à 20 000 les chercheurs d’or
illégaux sur votre territoire en janvier.
Est­ce la pire période que vous affrontez
depuis la dictature militaire ?
Ils sont désormais 25 000… Dans le passé,
nous avons déjà été confrontés à plusieurs
dangers, notamment lors de la construction
de la route entre Manaus et Boa Vista du­
rant la période militaire. Des communau­
tés ont été décimées par des bombes.
Aujourd’hui, nous vivons une même réalité
que celle de l’époque de la dictature. Le pré­
sident Jair Bolsonaro est lui­même un
homme de l’armée.
Dans les années 1980, plus d’un millier
« SI LE MONDE de Yanomami ont péri en raison des
D’ICI NE PRÊTE PAS  maladies et des violences qui ont accom­
pagné l’arrivée de 40 000 orpailleurs.
ATTENTION À CE QUE  En quoi la situation est­elle différente ?
Elle n’est pas différente. Les chercheurs d’or
LE GOUVERNEMENT  des années 1980 sont revenus. Ce sont les
mêmes qui ont tué mes frères. Les mêmes
DE JAIR BOLSONARO  qui ont dévasté notre région. Ce retour des
EST EN TRAIN garimpeiros remonte à 2016. Quand Bolso­
naro a pris le pouvoir, l’orpaillage illégal a
DE FAIRE AU BRÉSIL,  beaucoup augmenté. Ce n’est pas seulement
la faute du président. Il y a le soutien des sé­
CELA SERA  nateurs, de nombreux députés et politiciens
EFFECTIVEMENT à Brasilia, des hommes d’affaires et de gens
importants partout au Brésil.
LA FIN » Les garimpeiros ne sont pas seuls.
Bolsonaro et ses proches les aident à se pro­
curer du gasoil pour les bateaux. Ils n’ont
plus leurs vieux fusils de chasse, mais des
mitraillettes. Ils sont aussi connectés à Inter­
net. A certains endroits, ils ont de vraies
0123
MARDI 4 FÉVRIER 2020
maisons en dur où ils stockent de l’alcool, où
ils vivent avec leurs femmes. Partout, ils pol­
luent, détruisent la nature et les hommes, ré­
pandent leurs maladies avec la bénédiction
de Brasilia. Un véritable sentiment d’impu­
nité s’est installé.
Jair Bolsonaro a dit que les militaires bré­
siliens n’avaient pas bien fini leur travail,
contrairement aux soldats nord­améri­
cains qui ont massacré les Indiens.
Récemment, il s’est félicité que les
Indiens soient en train de devenir
« humains ». Comment réagir ?
Je dis souvent que je ne suis pas triste, je
suis révolté. Il nous considère comme des
animaux. Moi, je ne veux pas l’écouter. Ce
sont mes amis qui me racontent. Il dit ces
choses­là pour que je m’énerve contre lui.
Faut­il réagir et l’attaquer aussi ? Je ne le
pense pas. C’est son jeu, comme un enfant
qui ne sait pas bien se disputer. Il a la « bou­
che sale », la boca suja, comme on dit.
Assistons­nous à une offensive finale
contre les Indiens commencée il y a cinq
siècles, comme le dit l’anthropologue
Eduardo Viveiros de Castro ?
Oui, c’est cela, le « peuple de la marchan­
dise » est en train de gagner cette guerre qui
a commencé quand les Blancs ont tué pour
prendre le pouvoir. Cela s’est passé aux Etats­
Unis. Et c’est en train de se passer chez nous.
C’est une idée que nous partageons avec
Raoni [chef indigène kayapo], Ailton Krenak
[chef indigène krenak] et d’autres caciques. Si
le monde d’ici ne prête pas attention à ce que
le gouvernement est en train de faire au
Brésil, cela sera effectivement la fin.
Etes­vous fatigué ?
Non, je me sentirai fatigué quand il ne res­
tera plus qu’un seul Yanomami sur terre. Là,
je pourrai dire que la fatigue est arrivée.
Heureusement, mon peuple est toujours vi­
vant. Je ne peux donc pas me plaindre. Je
suis encore jeune, je peux continuer. Je peux
verser mon propre sang pour mon peuple.
Mais je n’aimerais pas verser mon propre
sang chez les autres. Pour me tuer, il faudra
venir chez moi. Et s’ils n’aiment pas les In­
diens, qu’ils nous tuent tous ensemble.
Selon Stephen Corry, le directeur
de Survival International, seul un tollé
général et mondial peut arrêter le
racisme d’un Bolsonaro et ses consé­
quences tragiques. Qu’en dites­vous ?
Il faut que le monde entier se lève pour
faire du bruit. Il faut beaucoup de gens pour
réunir cette force et mettre la pression sur
les autorités pour qu’elles commencent à
nous respecter et expulsent les orpailleurs.
Est­ce une solution pour les Yanomami
de s’armer contre les garimpeiros ?
Si on commence à s’armer, on se tuera les
uns les autres. Ce n’est pas une bonne idée. Je
ne veux pas d’une guerre entre les Blancs et
0123
MARDI 4 FÉVRIER 2020
mon peuple. Nous ne sommes pas en train de
voler, nous ne sommes pas en train d’extraire
l’or pour le revendre à l’étranger.
Personne ne peut dire que les Yanomami
ont tort. Nous avons raison de dénoncer la
situation. Nous sommes sur notre territoire
qui a été délimité et reconnu. Une guerre ne
servirait à rien. Nous continuerons à lutter
avec notre voix et les documents officiels
que nous avons obtenus.
Raoni, le chef kayapo, a rassemblé des
centaines de caciques en pleine forêt
pour dénoncer « un projet de génocide »
du gouvernement. Qu’en pensez­vous ?
L’union entre les peuples indigènes est très
importante. On aimerait organiser des réu­
nions plus souvent sur nos terres avec tous
les leaders des peuples autochtones qui lut­
tent. Mais les heures de vol sont chères. Nous
manquons de ressources. Il faut donc comp­
ter sur le soutien de tous nos partenaires.
L’exposition de photos de Claudia Andu­
jar s’inscrit­elle dans cette mobilisation ?
Cette exposition aide énormément la lutte
des peuples indigènes. Elle ouvre le chemin,
et nous sommes juste derrière. Tout cela par­
ticipe à la découverte de notre histoire aux
gens qui ne connaissent pas notre réalité.
Que vous a apporté le regard
de Claudia Andujar ?
Elle m’a aidé à m’éveiller, elle m’a alerté sur
la guerre des Blancs contre les Indiens,
comme une mère qui explique les dangers à
ses enfants. Elle m’a enseigné à ne pas faire
confiance aux peuples des villes qui ont tou­
jours cette cupidité et cette avidité de l’argent.
Dans votre livre « La Chute du ciel » (Plon,
2010) écrit avec Bruce Albert, vous
envisagez la disparition de la forêt et de
ses habitants. Comment s’opère­t­elle ?
Les Blancs détruisent l’Amazonie parce
qu’ils ne savent pas rêver. S’ils pouvaient
comme nous entendre d’autres paroles que
celles de la marchandise, ils sauraient se
montrer moins hostiles envers nous.
Vous, les peuples des villes, vous n’êtes pas
des chamans qui entrez en contact avec les
esprits. Nous, nous connaissons les dangers,
nous savons interpréter les signes des périls.
Les capitalistes, les politiciens et les grands
hommes d’affaires veulent arracher toutes
les racines de la terre. Ils ne peuvent pas
s’imaginer qu’à force d’extraire tous les mi­
nerais ils vont faire tomber le ciel.
Nous, nous rêvons et alertons les Blancs
pour les prévenir qu’il ne faut pas continuer
ainsi. Dans le futur, peut­être en 2021 ou 2023,
si les Yanomami disparaissent, il va falloir at­
tendre un peu et voir ce qui se passera. Le ciel
ne va pas vous prévenir. Vous allez tous dor­
mir pour ne pas sentir cet énorme poids tom­
ber sur vous. Bolsonaro, lui, fait beaucoup de
bruit, il aboie comme un chien. Mais quand le
ciel tombera, on n’entendra plus rien. 
propos recueillis par nicolas bourcier
culture | 23
Claudia Andujar prête ses images
et donne une voix aux Indiens
La Fondation Cartier, à Paris, expose l’œuvre riche et complexe de l’artiste brésilienne,
qui a consacré une grande partie de sa vie à la défense des Yanomami
EXPOSITION truction d’une route en territoire
indien fait des ravages. Ses ima­ ELLE A PARTAGÉ 
quelqu’un meurt, on efface systé­
matiquement toute trace de son
A la Fondation Cartier, à Pa­
ris, les images flottent,
suspendues au plafond,
comme des îles au milieu de la
mer. Dans le monde de la photo­
ges terribles, prises depuis la vitre
d’un camion, montrent l’héca­
tombe due à la rougeole ou la
grippe, la mendicité qui se ré­
pand, la violence des orpailleurs,
LA VIE DES YANOMAMI, 
LEUR LANGUE, 
LEURS CHASSES, 
passage sur terre – jusqu’à l’em­
preinte des pas.
La photographe a convaincu la
communauté de la laisser utiliser
la photographie pour servir leur
graphe Claudia Andujar, les In­ l’acculturation – désormais circu­ cause. Elle a aussi collaboré avec
diens s’abandonnent à l’élément lent des slips synthétiques et des
LEURS LONGUES  les Indiens en les faisant dessiner
liquide, les yeux fermés. Des cou­ calendriers pornographiques… MARCHES EN FORÊT  leur monde tangible et spirituel
leurs surnaturelles baignent la fo­ selon leurs propres termes, puis
rêt, soudain devenue rose vif. Les Machine à souvenirs ET LEURS CÉRÉMONIES en incluant dans ses livres leurs
gestes décomposés des êtres sont Devenue activiste, militante des dessins abstraits et poétiques,
comme arrêtés, frappés d’illumi­ droits des Yanomami (qui verront ainsi que leurs commentaires.
nations fulgurantes. leur territoire reconnu en 1992), mains à des numéros. La photo­ « Pour Claudia Andujar, la chose la
La photographe de 88 ans, ins­ Claudia Andujar laisse alors l’art graphe reviendra sur cette ambi­ plus importante n’a jamais été la
tallée à Sao Paulo, a consacré l’es­ de côté et se sert désormais de la guïté, en revisitant ces images photographie, mais les Indiens. Elle
sentiel de sa vie à la défense des photographie comme d’un outil d’identité dans sa série « Marca­ a essayé de leur donner une voix »,
Indiens Yanomami du Brésil, de lutte et de sensibilisation. dos » (« marqués »), en 1981. insiste le commissaire. Elle conti­
dont le mode de vie et le territoire Dans le cadre d’une campagne de A partir des années 2000, elle nue de le faire, en faisant circuler
sont menacés par les appétits éco­ vaccination, elle fait ainsi poser n’a cessé de réinterpréter et retra­ ses images à l’heure où de nouvel­
nomiques des Blancs. L’exposi­ les Indiens, un numéro autour du vailler ses archives. Sa méthode les menaces planent sur le terri­
tion de la Fondation Cartier met cou, pour leur constituer un dos­ séduit d’ailleurs par sa façon cons­ toire indien, attisées par la mon­
« Catrimani bien en valeur la richesse et la sier médical. Un « étiquetage » qui tante de questionner les limites de tée des cours de l’or et le laisser­
(Roraima), complexité de cette œuvre singu­ sauve des vies, mais qui symbo­ la photographie, de douter de sa faire du président Bolsonaro. 
Brésil, lière : la photographe a beau avoir lise en même temps la violence légitimité à représenter le monde. claire guillot
1972­1976 ». mis ses images au service d’une d’une société dominante sur une Des interrogations particulière­
CLAUDIA ANDUJAR / cause, celles­ci ne peuvent être ré­ autre. Pour Claudia Andujar, le ment aiguës dans le cas des Yano­ « Claudia Andujar, La Lutte
FONDATION CARTIER duites à leur seul message politi­ processus renvoie aussi un écho mami, pour qui la photographie, Yanomami », à la Fondation
que. Ni anthropologiques, ni do­ plus douloureux, celui d’un autre machine à souvenirs, est en soi Cartier (Paris 14e).
cumentaires, ni exotiques, les génocide qui réduisit des hu­ problématique : chez eux, lorsque Jusqu’au 10 mai.
photos de Claudia Andujar occu­
pent plutôt un espace onirique et
subjectif, reflet d’une vision inté­
rieure. « Claudia Andujar est un
personnage solitaire, explique le
commissaire Thyago Nogueira,
qui a monté l’exposition après
plusieurs années de travail sur ses
archives. Elle a moins essayé de dé­
noncer par ses images que d’inven­
ter de nouvelles façons de voir, de
chercher à représenter l’invisible. »
La photographe a partagé la vie
des Yanomami, leur langue, leurs
chasses, leurs longues marches
en forêt et leurs cérémonies. Dans
l’exposition, les légendes jouent
intelligemment sur des registres
variés – anthropologie, mytholo­
gie, témoignage –, comme pour
dérouler les différentes couches
de sens possibles. Avec des expé­
rimentations multiples – pelli­ “INTELLIGENT, SUBTIL,
cules infrarouges, vaseline sur DRÔLE, JUSTE ET ÉLÉGANT”
FRANCE INTER
l’objectif, jeux de flou et de lu­
mière, superpositions – la photo­
graphe cherche à traduire visuel­ “UNE OEUVRE PRÉCIEUSE”
lement les rapports particuliers LE MONDE
des Yanomami aux animaux, leur
communion à la « forêt­monde »,
les visions nébuleuses nées des “UN GRAND FILM.”
TÉLÉRAMA
transes chamaniques, la danse
joyeuse des esprits invisibles…
Une plongée vertigineuse
Dans la maison communautaire,
un enfant caressé d’une lumière
tombée du toit semble un spectre
ou un ange. Son célèbre livre
Amazonia (Editora Praxis, 1978),
aux couleurs psychédéliques, réa­
© BIZIBI - ARTE France Cinéma – SCOPE PICTURES – LES FILMS DU 10 – AUVERGNE-RHÔNE-ALPES CINÉMA.
lisé avec son ex­mari George Love
et exposé à la Fondation, invente
une plongée vertigineuse et
éblouie dans la forêt, sans aucune
légende. La photographe, qui dit
Création graphique © 2019, SND TOUS DROITS RESERVES.
avoir trouvé chez les Indiens une
nouvelle famille (la sienne a été
assassinée dans les camps nazis),
n’a pourtant jamais peint leur
monde comme un éden idéal et
intouché. « Ma photographie a
grandi avec l’intérêt, l’engagement
et l’affinité que j’ai ressentis pour
l’Indien, écrivait­elle en 1974. Cela FABRICE LUCHINI, MAGISTRAL,
n’a jamais été de la curiosité, DANS UNE BRILLANTE COMÉDIE
comme certaines personnes ont
EN BLU-RAY, DVD ET VOD
vis­à­vis d’un endroit exotique. Ja­
mais. Pour moi, ce fut toujours une
relation d’homme à homme. »
Après l’éblouissement initial, la
seconde partie de l’exposition se
fait bien plus sombre. Car, à partir
de 1973, la photographe assiste au
choc de deux mondes. La cons­

24 | culture
Le flamenco
nouveau, entre
talons et baskets
Les chorégraphes ouvrent cet art
ancien à de nouvelles influences
DANSE
L
a nouvelle scène fla­
menca prend ses aises.
Après l’offensive de la star
Israel Galvan, plus que
somptueux dans La consagracion
de la primavera, sur Le Sacre du
printemps, de Stravinsky, à l’affi­
che, du 7 au 15 janvier, du 13ème Art­
Théâtre de la Ville, un tir groupé
de chorégraphes – dont une majo­
rité de femmes – investit le Théâ­
tre national de Chaillot jusqu’au
13 février, pour la quatrième Bien­
nale d’art flamenco.
Tête de pont, David Coria a
ouvert la manifestation sous une
standing ovation, dimanche
26 janvier, avec Fandango, pour
cinq interprètes et quatre musi­
ciens. Sur une piste circulaire
rouge, des sensations paradoxales
claquent au visage. Entre pur fla­
menco et gestuelle contempo­
raine, électro et chants tradition­
nels, avec cascade de grains de riz,
en chaussures mais aussi pieds
nus, cette pièce, sur laquelle pla­
nent les ombres d’Antonio Gadès
(1936­2004) et de Pina Bausch
(1940­2009), offre une épatante
synthèse des avancées de cet art.
« Théâtralement, chorégraphique­
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ment, musicalement, le flamenco
est extrêmement libre depuis quel­
ques années, mais connaît ses raci­
nes, confirme Daniela Lazary, pro­
ductrice installée à Séville. Il est
plus proche aujourd’hui de la
danse contemporaine et de ses ex­
périmentations que de la tradition.
On est aussi à une époque où, avec
Internet, les artistes se regardent et
s’influencent mutuellement. »
Cette ouverture doit beaucoup à
l’incroyable travail mené dès la fin
des années 1990 par des person­
nalités insoumises comme An­
drés Marin, Belen Maya et, évi­
demment, Galvan. Rejeté à ses dé­
buts, cet iconoclaste bardé de prix
a enfoncé tellement de portes
qu’il ne reste plus qu’à s’y engouf­
frer. « Galvan est l’inspirateur indé­
niable de la nouvelle génération,
affirme Corinne Frayssinet­Savy,
ethnomusicologue et anthropo­
logue de la danse. C’est un virtuose
et un rythmicien hors pair, qui ex­
plore tout ce qu’il veut depuis plus
de vingt ans. Il a opéré une telle ré­
volution que les jeunes qui en héri­
tent semblent même beaucoup
moins radicaux que lui. Il a décons­
truit les clichés du flamenco pour
bâtir la danse autour d’idées fortes,
comme la tauromachie dans son
Anna Sato
et Eva
Yerbabuena,
dans « Cuentos
de Azucar »,
à Chaillot,
2019.
JOAN TOMASS
spectacle Arena, ce qui lui permet
de la redéployer autrement dans
un univers poétique à chaque fois
différent. »
Electro, rock et accordéon
Décomplexé, le flamenco nou­
veau ? Au­delà d’une danse tout­
terrain, qui tape du talon sur du
sable mais aussi sur des cailloux,
chamboule sa garde­robe jus­
qu’aux bouts des baskets, ce style
puise à d’autres sources. Parmi les
axes esthétiques empruntés ac­
tuellement par les chorégraphes,
le grand mix musical live est de­
venu une banalité. « Avec une fa­
çon de remettre les musiciens sur le
devant de la scène qui n’existait pas
LE VOLUME 7
9
€ nière qui ne ressemble pas à ce
,99
SEULEMENT
dans les années 1990, précise l’ex­
perte Carole Fierz. Plus question de
sacrifier la musique, qui redevient
constitutive de la danse. »
Parallèlement au noyau dur
chant et guitare, de nouveaux ins­
truments et sons apparaissent. A
la pointe, la tendance électro pré­
sente chez Coria s’affirme chez
Ana Morales, dont le spectacle Sin
permiso. Canciones para el silencio
est aussi fouetté par un batteur
rock. Eva Yerbabuena, médaille
d’or des Beaux­Arts d’Espagne
en 2019, partage le plateau avec la
chanteuse japonaise tradition­
nelle Anna Sato pour Cuentos de
azucar, tandis que Rocio Molina
accueille dans Impulso un accor­
déoniste, ainsi que le chorégraphe
contemporain François Chai­
gnaud, dont le répertoire musical
varie des airs mystiques du
Moyen Age aux mélodies ibéri­
ques du XVIe siècle.
Les échanges entre artistes de
tous bords font un tabac. Andrés
Marin s’est acoquiné avec Barta­
bas pour Golgota (2013), frotté au
hip­hop de Kader Attou dans Ya­
tra (2015)… Il croise les lignes avec
la danseuse étoile de l’Opéra na­
tional de Paris Marie­Agnès Gillot
pour Magma, pas de deux envoû­
tant mis en scène par Christian
Rizzo. « Les frontières doivent être
brisées, insiste Marin. Je crains
plus de créer une photo sépia du
flamenco que de le perdre de vue.
C’est un art du métissage, et c’est
Une scène pour faire défiler le temps
Camille Dagen et Emma Depoid explorent le quotidien et la
perception des sentiments dans « Durée d’exposition », en tournée
THÉÂTRE
C omme son titre l’indique,
Durée d’exposition fait ré­
férence à la photographie.
Mais ce n’est pas un spectacle sur
la photographie. Ses deux auteu­
res, Camille Dagen et Emma De­
poid, s’en servent comme d’un
cadre qui leur permet d’explorer
une autre durée d’exposition :
celle de la représentation, qui
naît dans la nuit du théâtre, s’of­
fre au regard puis s’efface, lais­
sant dans la mémoire des traces
souvent aussi fragmentées que le
réel. Le spectacle joue ainsi avec
la perception et les tours qu’elle
nous joue. Et il le fait d’une ma­
que l’on a l’habitude de voir. Ce
n’est pas une performance, ni
une pièce ni une expérience,
mais du théâtre comme peuvent
en inventer deux jeunes femmes
d’aujourd’hui, solidement for­
mées à l’école du Théâtre natio­
nal de Strasbourg (TNS), dont el­
les sont sorties en 2017, et de
l’Ecole normale supérieure, pour
Camille Dagen.
« Je crains plus
de créer une
photo sépia du
flamenco que de
le perdre de vue »
ANDRÉS MARIN
danseur et chorégraphe
grâce aux rencontres que de nou­
velles formes apparaissent et nous
enrichissent. »
Mélange des genres
La question du genre affleure, re­
mettant en cause la séparation
stricte du masculin et du féminin
présente dans le flamenco. Le jeu
de jambes et les zapateados trépi­
dants des hommes fusionnent
avec les ronds de bras et le buste
flexible des femmes. Les codes
s’entrelacent dans la quête d’un
corps et d’une identité multiples.
« Historiquement, la notion de sin­
gularité de l’artiste est fondamen­
tale et on y revient après des an­
nées passées à reproduire et imiter
un répertoire fossilisé », com­
mente Carole Fierz.
Israel Galvan se travestit de plus
en plus souvent, comme dans El
amor brujo, de Manuel de Falla,
où il arbore une perruque blond
platine. Ana Morales, elle, dans
Sin permiso, bascule du collant­
justaucorps seconde peau au ves­
Durée d’exposition est leur pre­
mier spectacle. Leur enfance de
l’art, en somme. Elles ont travaillé
avec un comédien, Thomas Mar­
dell, et une comédienne, Hélène
Morelli, qui eux aussi viennent de
l’école du TNS. Au début, ils disent
que dans leur équipe, tous sont
nés après la chute du mur du Ber­
lin, et tous ont déjà perdu quel­
qu’un. Cette perte s’entend au sens
large : ce peut être aussi celle d’un
amour, qui traverse le spectacle.
« Etre là et regarder »
Sur le plateau, il y a un trapèze, des
projecteurs sur pieds, un écran et
une horloge où défilent les minu­
tes. Car le temps est compté,
comme sont décomptées les éta­
pes d’une prise de vue dans la pho­
tographie argentique. Toutes s’ins­
crivent clairement sur l’écran, de la
première, « Vérifiez que votre ap­
pareil est en votre possession et en
état de marche », à celle, longue à
exposer, de la fixation de l’image.
Au cadre défini par ces conseils
s’ajoutent des cadres dessinés sur
le plateau par des rubans adhésifs.
On pourrait penser qu’ils sont là
0123
MARDI 4 FÉVRIER 2020
ton­pantalon. « Je veux me rap­
procher de ma part masculine à
travers le souvenir de ma relation
avec mon père », confie­t­elle.
Plus ludique, voire burlesque,
Olga Pericet joue au foot et se dé­
nude dans La espina que quiso ser
flor… pour mieux « transiter entre
le féminin et le masculin, le drame
et l’ironie, la jeunesse et la décrépi­
tude, car c’est dans l’entre­deux
qu’est mon identité ».
Mais comment ces têtes cher­
cheuses sont­elles reçues dans le
milieu espagnol ? « On doit tou­
jours lutter contre ceux qui défen­
dent la tradition », glisse David Co­
ria. L’atout maître pour solidifier
une carrière ? La reconnaissance
de la France. « Notre pays a joué un
rôle de premier plan pour cette
nouvelle scène flamenca, déclare
Corinne Frayssinet­Savy. Il a sou­
tenu les recherches des uns et des
autres, qui ont pu retourner en Es­
pagne et y être acceptés. » 
rosita boisseau
Quatrième Biennale d’art
flamenco, Théâtre de Chaillot,
à Paris, jusqu’au 13 février.
Sin permiso, d’Ana Morales,
le 13 mars à Thonon­les­Bains
(Haute­Savoie).
La Consagracion de la primavera,
d’Israel Galvan, le 10 mars
à Gradignan (Gironde).
Magma, d’Andrés Marin et
Marie­Agnès Gillot, le 16 février
au Creusot (Saône­et­Loire).
pour prémunir contre les aléas de
la prise de vue ou de l’emprise du
jeu. Ils ne font que renforcer le
hors­cadre, tout ce qui déborde et
nous déporte dans la conscience
du quotidien et la perception des
sentiments. C’est ce terrain que le
spectacle explore, non sans hu­
mour ni mélancolie. Il saute les
ruisseaux entre Bérénice, de Ra­
cine, un sonnet de Shakespeare,
un dialogue de François Truffaut
ou une page de Maupassant. Il ef­
feuille les peurs de l’abandon,
s’amuse à danser sur une chan­
son forcément hurlée de Céline
Dion, il s’offre des gestes enfan­
tins, il s’attriste et se reprend
parce qu’il préfère aux larmes un
seau d’eau versé sur la tête et que,
surtout, il ne veut ni peser ni en­
nuyer, mais juste, comme on l’en­
tend dire, « être là et regarder ».
Soit, prendre la mesure de la du­
rée d’exposition de jeunes vies. 
brigitte salino
Durée d’exposition, de Camille
Dagen. Au Maillon, à Strasbourg,
les 4 et 5 février. Au Tandem,
à Douai (Nord), les 28 et 29 avril.
0123
MARDI 4 FÉVRIER 2020 télévision | 25
Des grandes villes de plus en plus réservées aux riches VOTRE
SOIRÉE
TÉLÉ
Un état des lieux consternant du logement dans les métropoles, confisqué par la spéculation immobilière

ARTE Berlin, de Notting Hill, à Londres,

MARDI 4 - 22 H 30 de Harlem, à New York, dans des MARDI  4  FÉVRIER
DOCUMENTAIRE résidences populaires d’Uppsala,
à Toronto ou au cœur de Barce­ TF1

A
vocate de formation,
originaire d’Ottawa,
Leilani Farha fait le
tour du monde. Son
job ? Rapporteuse spéciale de
l’ONU sur le logement convenable.
Dans ce documentaire, qui dresse
un tableau accablant de la situa­
tion du logement dans les grandes
villes pour les plus démunis, le ci­
néaste suédois Fredrik Gertten a
suivi Leilani Farha de Toronto à
Berlin en passant par Londres,
Uppsala (Suède), Barcelone, New
York ou Valparaiso (Chili).
Une « lutte très dure »
Quel que soit le pays, la probléma­
tique est la même : en rachetant
des immeubles, des appartements
ou des terrains, les grands investis­
seurs, fonds de pension en tête,
obligent les habitants les moins ri­
ches à quitter les lieux. Soit en aug­
mentant les loyers, soit en rasant
des immeubles vétustes pour
construire des résidences de luxe.
Quitte à laisser de nombreux loge­
ments vacants, de façon à pouvoir
revendre avec plus­value le plus ra­
pidement possible.
Face à des fonds vautours pour
qui l’immobilier représente un
actif beaucoup plus rentable et
moins risqué que les marchés
A Londres, « les salaires stagnent, les logements deviennent inabordables ». SASHA SNOW/ARTE
boursiers, certains font de la ré­
sistance : grève des loyers, actions
menées avec la municipalité, ra­
chat de logements. Mais le com­
bat est inégal. « La situation ac­
tuelle est extrêmement grave. Les
salaires stagnent, les logements
deviennent de plus en plus inabor­
dables. De quoi ont besoin les gens
pour vivre dignement ? D’un loge­
ment convenable et abordable.
C’est soutenu par le droit interna­
tional », rappelle Leilani Farha.
Le droit et la morale d’un côté,
l’avidité de l’autre ? « Je ne crois pas
que le capitalisme en lui­même
pose problème. Mais est­ce que le
capitalisme débridé dans un do­
maine relevant des droits de
l’homme est problématique ? La ré­
ponse est oui. C’est ce qui distingue
le logement de l’or, en tant que mar­
chandise. L’or n’est pas un droit de
l’homme, le logement si ! », estime
la rapporteuse, soutenue par les
analyses de deux témoins de re­
lone apportent un peu d’espoir à 21.05 Magnum
une situation inquiétante. Selon Série. Avec Jay Hernandez, Zachary
les Nations unies, le droit à un lo­ Knighton, Perdita Weeks (EU, 2019).
gement convenable fait partie des 23.35 Chicago Police
droits de tout citoyen. Reste à Department
trouver des alliés de poids pour Série. Avec Jason Beghe, Jon Seda,
mener le combat face aux fonds Jesse Lee Soffer (EU, 2019 et 2015).
spéculatifs. « J’ai parlé récemment
avec le maire de Londres. Là­bas France 2
aussi, la spéculation sur le loge­ 21.05 Le Grand Oral
ment est un problème majeur. Il Divertissement présenté par
faut que les grandes villes parta­ Laurent Ruquier.
gent leurs stratégies pour mieux 23.40 Celui qui danse
résister. La lutte est très dure », Documentaire d’Olivier Lemaire
souligne Ada Colau, maire de Bar­ (Fr., 2019, 80 min).
celone, qui soutient fortement
l’action menée par Leilani Farha. France 3
Consciente de l’urgence de la si­ 21.05 Prière d’enquêter
tuation, Ada Colau a fondé une as­ Téléfilm de Laurence Katrian. Avec
sociation baptisée The Shift (« le Sabrina Ouazani, Mathieu Spinosi,
changement »), qui réunit des Jérôme Robart (Fr., 2019, 90 min).
maires de grandes villes (Berlin, 22.35 La Vie devant elles
nom interrogés dans le documen­ Barcelone, Montevideo), des asso­ Série. Avec Stéphane Caillard, Alma
taire : la sociologue Saskia Sassen ciations, des collectivités locales. Jodorowsky, Lilly-Fleur Pointeaux,
et Joseph Stiglitz, Prix Nobel d’éco­ On n’est jamais trop nombreux Vladimir Consigny (Fr., 2016).
nomie. Une seule donnée chiffrée pour lutter contre un système fi­
permet de se faire une idée de la si­ nancier qui alimente l’explosion Canal+
tuation : ces trente dernières an­ des loyers et provoque, de fait, 21.00 La Favorite
nées, les prix de l’immobilier ont l’expulsion des plus modestes Film de Yorgos Lanthimos. Avec
grimpé de 425 % dans le grand To­ loin des grands centres urbains.  Olivia Colman, Rachel Weisz,
ronto, alors que le revenu familial alain constant Emma Stone (RU-Irl., 2018, 120 min).
moyen n’a augmenté que de 133 %. 23.00 RBG
Les combats menés par les habi­ Push. Chassés des villes, Documentaire de Julie Cohen
tants avec l’aide d’élus locaux de Fredrik Gertten et Betsy West (EU, 2018, 95 min).
dans les quartiers de Kreuzberg, à (All.­Suè., 2020, 90 min).
France 5
20.50 Enquête de santé
Magazine présenté par
Marina Carrère d’Encausse

« La Favorite », ou deux rivales pour une seule reine et Philippe Charlier.

22.30 C dans l’air
Magazine présenté par
Le cinéaste Yorgos Lanthimos met en scène un ménage à trois féminin à la cour d’Angleterre, au XVIIIe siècle Caroline Roux.

CANAL+ aurait pu craindre qu’un film his­
MARDI 4 - 21 H 00 torique en costumes vienne
FILM amoindrir ce caractère nihiliste et
son sens de la dérision. On sait,
plaisirs et leurs ambitions. A com­
mencer par la souveraine, enfant
gâtée, capricieuse et instable, que
de violentes crises de goutte met­
Arte
20.50 Les Nouveaux Pauvres
demeure intouchable, jusqu’au fait prendre conscience à la fin que Quand travailler ne suffit plus
jour où débarque à la cour sa cou­ son film visait à raconter une tra­ Documentaire de Karin de Miguel
sine Abigail Hill (Emma Stone), dé­ gique histoire d’amour. Celle unis­ Wessendorf et Valentin Thurn
chue de son rang par un père que sant une reine, poupée désarticu­ (All., 2019, 90 min).

Y orgos Lanthimos n’a pas

pour habitude de faire des
ronds de jambe à la so­
ciété contemporaine. Dans Canine
(2009), The Lobster (2015) et Mise à
après avoir vu La Favorite, qu’il lui
eût fallu bien plus que la cour
d’Angleterre, au XVIIIe siècle, pour
l’intimider et l’assagir.
Au château de la reine Anne (Oli­
tent à plat, et que n’intéressent pas
les affaires du pays. Domaines
qu’elle réserve à sa dame d’hon­
neur et favorite, Sarah Churchill,
duchesse de Marlborough (Rachel
le jeu a ruiné. La pauvre fille, qui a
de la volonté à revendre, ne déses­
père pas de gagner les salons d’ap­
parat et de s’y faire une place. Une
décoction de feuilles préparée par
lée, despote autoritaire, petite fille
vulnérable, à une duchesse que
l’intelligence et la dignité ne suffi­
sent pas à mettre à l’abri de la dou­
leur d’une séparation. 
22.30 Push. Chassés des villes
Documentaire de Fredrik Gertten
(All.-Suè., 2020, 90 min).

mort du cerf sacré (2017) régnaient
l’hypocrisie, le mensonge, le
crime, le sectarisme. Des maux
que le cinéaste grec a toujours
soumis à la cruauté et à l’irrévé­
rence, explosant tout sur son pas­
sage, la forme comme le fond. On
via Colman), dernière héritière de
la lignée des Stuarts, qui régna de
1702 à 1714, ce sont les femmes qui
se livrent bataille. Des femmes à
qui Yorgos Lanthimos ne fait pas
de cadeau, les montrant entière­
ment occupées à satisfaire leurs
Weisz), qui, sur le terrain politique,
agit de main de maître. Et qui,
dans l’alcôve, sait aussi prodiguer
ses plaisirs à la reine.
Forte de ce statut, qui la fait à la
fois maîtresse, conseillère et nou­
nou, la duchesse de Marlborough
M6
ses soins sera son sésame. La mix­ véronique cauhapé 21.05 Qui veut être
ture soulage la souveraine, dont mon associé ?
les faveurs ne tardent pas à se diri­ Film américain, britannique Divertissement présenté par
ger vers la nouvelle recrue. et irlandais de Yorgos Julien Courbet.
Le cinéaste sait ruser, explorant Lanthimos (2018). 22.55 Patron incognito
la nature humaine, là où il fait Avec Olivia Colman, Rachel Magazine. Avec Marc Vanhove,
croire à un divertissement. Il nous Weisz, Emma Stone (2 heures). fondateur de « Bistro Régent ».

0123 est édité par la Société éditrice

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du foyer. Eutrophisation : PTot = 0.009 kg/tonne de papier

26 | styles
le vintage
fait
des ravages
Jetant un regard ému
dans le rétroviseur,
les automobilistes sont
toujours plus nombreux
à se rendre au salon
Rétromobile, qui ouvre
à Paris le 5 février.
Explications sur
cet engouement
AUTOMOBILE
L
e petit monde de la voi­
ture en frissonne de plai­
sir : les Français redé­
couvrent leur patrimoi­
ne automobile. Lors de sa pre­
mière édition, en 1976, le salon
Rétromobile avait reçu 3 000 pas­
sionnés de voitures anciennes.
Aujourd’hui, on se bouscule porte
de Versailles, à Paris, où le record
de 132 000 visiteurs établi en 2019
ne tiendra qu’à un fil lors de l’édi­
tion 2020, qui se déroule du 5 au
9 février. Alors que plus d’un
constructeur fera une croix sur le
Mondial de l’automobile, en octo­
bre, ils sont toujours plus nom­
breux à exposer leurs anciennes
gloires à Rétromobile.
Automédon, au Bourget en octo­
bre, Epoqu’auto, le mois suivant à
Lyon ou Le Mans Classic, qui
draine les foules (195 000 specta­
teurs en 2018) tous les deux ans ;
les occasions de s’émouvoir de­
vant les voitures – un mordu d’an­
ciennes dira « les autos » – de son
enfance font recette. Au total, on
recense chaque année en France
quelque 7 000 rassemblements di­
vers et variés. Une nouvelle forme
d’hommage est même apparue ;
l’embouteillage rétro, qui consiste
à simuler un bouchon de voitures
anciennes avec occupants en te­
nue d’époque sortant saucisson et
transistors pour pique­niquer.
Autre signe révélateur, la Fédé­
ration française des véhicules
d’époque (FFVE), qui délivre aux
véhicules de plus de 30 ans
n’ayant pas subi d’altération de
leurs caractéristiques originelles
la fameuse carte de grise de collec­
tion, en a attribué 40 000 en 2019,
contre 30 000 l’année précédente.
On en recense aujourd’hui près
d’un million en France. La FFVE
évalue à 4 milliards d’euros le chif­
fre d’affaires de cette activité dans
laquelle se recyclent nombre de
petits garages de campagne. En ur­
gence, les professions de l’auto­
mobile ont mis en place des pro­
grammes afin de former mécani­
ciens, carrossiers ou selliers capa­
bles d’assurer la restauration de
modèles des années 1950­1980.
Avec un emploi garanti à la clé.
En France, contrairement au
Royaume­Uni ou à l’Allemagne,
l’attachement au passé automo­
bile a longtemps été le fait d’une
petite minorité d’amateurs éclai­
rés. La voiture ancienne a passé la
vitesse supérieure. Elle a élargi son
spectre et conquis ses lettres de
noblesse. Pour recréer l’ambiance
des « trente glorieuses », les pro­
ducteurs de séries ou de films or­
ganisent des castings automobi­
les très serrés et les émissions de
télé­réalité autour des collection­
neurs se multiplient. Aujourd’hui,
0123
MARDI 4 FÉVRIER 2020
Reconstitution
d’un embouteillage
rétro à Lapalisse,
dans l’Allier,
sur la nationale 7,
en 2016.
THIERRY ZOCCOLAN/AFP
de réhabiliter l’automobile tout
court. Peugeot a fait savoir que son
concept­car e­Legend, réinterpré­
tation du coupé 504 de 1969, inspi­
rera en partie le design de ses fu­
turs modèles et vient de redessi­
ner son logo en mode vintage. Re­
nault, qui encourage enfin les
manifestations de collection­
neurs, bichonne huit cents modè­
les historiques dans son usine de
Flins, dans les Yvelines. L’été der­
nier, Citroën s’est retrouvé un peu
dépassé par l’ampleur de la célé­
bration de son centenaire, qui a vu
converger vers la Ferté­Vidame
(Eure­et­Loir), dans son fief histo­
rique, 4 500 voitures et 60 000 vi­
siteurs en deux jours.
Ce retour de flamme soulève
quelques débats, comme c’est le
on peut regarder de travers un
gros SUV hybride aux émissions
cas autour du « rétrofit », terme
qui désigne les voitures ancien­
réduites à une poignée de gram­ nes sur lesquelles on greffe des
mes de CO2 et s’attendrir au pas­ batteries et un moteur électrique.
sage d’une Ford Vedette dont le Pas question, assure la FFVE, de
pot d’échappement crache une fu­ les considérer comme des véhi­
mée bleutée. « La bagnole an­ cules d’époque. L’arrivée dans le
cienne est un objet politiquement périmètre du véhicule de collec­
correct », s’amuse le représentant tion (statut qui permet, notam­
d’une marque française. ment, d’alléger les contraintes du
contrôle technique, mais exclut
Débat autour du « rétrofit » un usage quotidien) de modèles
Prompts à faire la chasse aux tout juste trentenaires largement
vieilles mécaniques des années dieselisés fait émerger un autre
1990, les pouvoirs publics devien­ dilemme. La FFVE et les collectivi­
nent très compréhensifs dès lors d’attendrissement nostalgique des odeurs. Accessoirement, aussi, tés locales pourraient s’entendre
que l’on invoque le patrimoine plus vaste. S’agissant de l’automo­ connaître le frisson de la vitesse POSSÉDER UNE ANCIENNE,  sur un compromis : seules les ver­
automobile. La maire de Paris, bile, pourtant, l’explication sem­ dès 50 km/h. C’EST RENOUER sions à moteur essence bénéfi­
Anne Hidalgo, après avoir banni ble un peu courte. Rayonner de « Les constructeurs ont cons­ cieraient de la dérogation per­
les modèles de plus de 20 ans, a ra­ bonheur au volant d’une Amilcar, cience que, avec la généralisation AVEC UN RAPPORT mettant de circuler dans les zo­
pidement consenti une exception d’une Simca Chambord ou d’une de la voiture électrique, il va devenir nes à faibles émissions. Plus lar­
pour les voitures de collection – de 205 GTI traduit aussi un phéno­ plus difficile de faire valoir une dif­ PLUS INTENSE gement se dessine une réflexion
plus de dix ans leurs aînées – qui mène de compensation. Outre férenciation technique. Pour valori­ sur l’opportunité d’allonger le dé­
n’auront donc pas à se soucier de qu’elles ont souvent mauvaise ser l’identité d’une marque, il est de­
À LA MACHINE,  lai de trente ans au­delà duquel
la vignette Crit’Air. Les dix­sept presse dans les grandes villes, les venu indispensable d’entretenir REDÉCOUVRIR DES BRUITS  une voiture peut entrer dans le
agglomérations ayant décidé de voitures modernes sont tellement l’imaginaire qui l’entoure », souli­ grand registre de la collection.
mettre en place une zone à faibles interchangeables, sophistiquées gne François Roudier, porte­pa­ ET DES ODEURS.  L’âge pivot est aussi une problé­
émissions ont fait preuve de la et confortables qu’elles ont perdu role du Comité français des cons­ matique automobile. 
même mansuétude pour ces gros en sensations. Posséder une an­ tructeurs d’automobiles, qui a ACCESSOIREMENT, AUSSI,  jean­michel normand
pollueurs, il est vrai très peu pré­ cienne, en revanche, c’est s’offrir organisé, le 27 janvier à Paris, un CONNAÎTRE LE FRISSON
sents sur les routes. un voyage dans le temps, renouer atelier de réflexion sur le thème Rétromobile, du 5 au 9 février
Ce regard ému dans le rétrovi­ avec un rapport plus intense à la du patrimoine. Célébrer la voiture DE LA VITESSE DÈS 50 KM/H porte de Versailles à Paris.
seur s’intègre dans un contexte machine, redécouvrir des bruits et ancienne serait aussi un moyen Retromobile.fr
Les tracteurs et le sillon de la collection
tout sauf sectaires, les amateurs de de vingt­quatre tracteurs agricoles, dans vaillé sur des prototypes, avant­guerre. naux. Le chemin étant décidément
véhicules anciens apprécient aussi les le genre spectaculaire. Les organisateurs Elle est priée, après les hostilités, de déve­ court entre compétition automobile et
engins professionnels. Après le gros suc­ ont centré leur propos sur les réalisations lopper son savoir­faire dans le domaine travaux des champs, l’exposition pré­
cès remporté en 2019 par le Berliet T100 de marques toujours en activité. agricole, parallèlement à la production sentera également des tracteurs Merce­
(1957), alias « le géant du désert », la Le plus imposant du lot est le Fiat Versa­ de voitures de sport. Jusqu’en 1963, il na­ des, Alfa Romeo et Aston Martin. Le
45e édition de Rétromobile (du 5 au 9 fé­ tile, un laboureur de 14 tonnes. Toujours quit toute une série de petits engins sou­ doyen du plateau est un Fordson F amé­
vrier) rendra hommage à un autre genre utilisé dans l’est de la France, il est parti­ vent destinés à la viticulture. ricain de 1917, premier tracteur produit
de beauté utilitaire. Quelques semaines culièrement adapté pour préparer la On remarquera surtout le P312 dit à la chaîne et alter ego de la Ford T dans
avant le Salon de l’agriculture, qui se dé­ terre avant les semis. Les plus surpre­ « tracteur du café ». Essentiellement mis le domaine agricole.
roulera du 22 février au 1er mars, le Palais nants sont les trois tracteurs Porsche. La en service au Brésil et dans d’autres pays Le made in France sera représenté par
des expositions de la porte de Versailles, marque créée par l’ingénieur à l’origine d’Amérique du Sud, il ne mesure pas deux Renault. Un HI de 1920, tout juste
à Paris, va recevoir un plateau composé des premières Volkswagen avait déjà tra­ plus de 1,15 m de large afin de pouvoir se centenaire et récemment restauré. Bête
glisser entre les rangs des caféiers. Sa de somme, il pouvait tout faire, y com­
carrosserie profilée à la manière d’une pris tracter les péniches le long des ca­
locomotive n’a pas été sculptée sous la naux. L’autre tracteur au losange, pré­
pression des ingénieurs aérodynami­ senté « dans son jus », date des années
ciens mais pour permettre aux bran­ 1950 et dispose d’un système dit « Rota­
ches de glisser sur sa peau métallique pede », associant roues et chenilles pour
sans se casser. Son unique phare donne réduire la pression au sol. Restauré par la
un curieux air de cyclope à ce mini­ marque, figure aussi un très ron­
tracteur animé par un modeste bicylin­ douillard Citroën Type J à quatre roues
dre diesel refroidi par air. Un choix tech­ motrices. Un prototype développé juste
nique qui fait étrangement écho à la après la seconde guerre mondiale mais
Volkswagen Coccinelle. qui ne fut jamais mis en production.
« Les collectionneurs de tracteurs sont
Une passion envahissante plus jeunes et plus nombreux qu’on pour­
Le Lamborghini R340 (on appréciera la rait le penser. Beaucoup continuent à les
poésie des dénominations en vigueur utiliser pour apporter de la paille aux che­
dans le machinisme agricole) rappelle vaux et ils sont aussi de sortie, l’été, pour
que les racines de la marque italienne de participer aux nombreuses fêtes de la
modèles hypersportifs plongent profon­ moisson », s’enthousiasme Christophe
dément dans la glaise. Marque de trac­ Routier, qui a réalisé le plateau exposé à
teurs avant d’être une marque de fri­ Rétromobile. Une passion de plein air ra­
meurs, Lamborghini présente ici son pidement envahissante qui exige une
best­seller du début des années 1970. Un grange entière. Le collectionneur, fût­ce
engin léger adapté aux petites parcelles de tracteurs agricoles, se contente rare­
et aux terrains pentus qui connut un ment d’une unique acquisition. 
Le tracteur P312 de Porsche. RÉTROMOBILE grand succès dans les champs méridio­ j.­m. n.

0123
MARDI 4 FÉVRIER 2020
George Packer
« La gauche américaine
prépare la présidentiel e
de la plus mauvaise
des manières »
Alors que la course à l’investiture débute le
3 février avec le caucus de l’Iowa, le journaliste
et essayiste américain analyse les tensions
au sein du Parti démocrate
ENTRETIEN
G
eorge Packer est journaliste au
mensuel américain The Atlan­
tic. Egalement dramaturge, ro­
mancier et essayiste, il est no­
tamment l’auteur de L’Améri­
que défaite. Portraits intimes
d’une nation en crise (Piranha, 2015), pour
lequel il a reçu le National Book Award.
En 2019, il a fait paraître Our Man. Richard
Holbrooke and the End of the American
Century (« Richard Holbrooke et la fin du
siècle américain », Knopf, non traduit).
George Packer est le lauréat 2019 du prix
Christopher Hitchens, qui récompense
l’engagement d’un auteur en faveur de la
liberté d’expression.
Donald Trump devrait solliciter
en novembre un second mandat
lors de l’élection présidentielle.
Face à un président aussi controversé,
le candidat que se choisira le Parti
démocrate est­il forcément favori ?
Alors que débute la course
à l’investiture, dans quel état la gau­
che américaine se trouve­t­elle ?
Il est impossible, à ce stade, de faire des
prédictions sur l’issue de l’élection prési­
dentielle. Donald Trump peut très bien
être réélu. La seule chose dont on soit sûr,
c’est que la campagne électorale sera très
brutale. La gauche prépare cette bataille
de la plus mauvaise des manières, puis­
qu’elle est confrontée à de profondes divi­
sions. Deux visions s’opposent, l’une ra­
dicale, l’autre pragmatique.
La première souhaite des changements
profonds ; elle refuse toute demi­mesure,
le compromis relève pour elle de la cor­
ruption. Telle qu’elle est incarnée par le
sénateur du Vermont Bernie Sanders,
cette vision a quelque chose qui rappelle
Trump. Elle cherche à s’imposer à tout
FAUT-IL prix. La seconde vision s’inscrit dans la li­
PROMETTRE DES gnée de Barack Obama et de Bill Clinton ;
elle souhaite réformer le pays, mais de fa­
TRANSFORMATIONS çon plus douce, pas à pas. Le principal re­
présentant de cette tendance est
MAJEURES aujourd’hui Joe Biden, l’ancien vice­pré­
sident de Barack Obama. L’inflexibilité
OU RASSURER du courant radical inquiète les modérés,
LES ÉLECTEURS ? qui craignent qu’elle fasse fuir les élec­
teurs au moment de l’élection. C’est la
POUR LE MOMENT, principale question de la course à l’inves­
titure : qui peut gagner face à Trump ?
PERSONNE NE SAIT Faut­il promettre des transformations
QUELLE APPROCHE majeures ou rassurer les électeurs ? Pour
le moment, personne ne sait quelle ap­
EST LA MEILLEURE proche est la meilleure. Pour ma part, je
ne crois pas que Bernie Sanders puisse
gagner en novembre.
La sénatrice du Massachusetts Eliza­
beth Warren me semble en meilleure po­
sition. Elle est la seule qui peut rassem­
bler les deux courants car elle promet des
changements profonds, tout en sachant
revoir ses positions lorsque c’est néces­
saire. Par exemple, elle défend l’idée d’un
système de santé publique universel,
mais elle s’est montrée sensible aux
craintes et aux critiques que suscite ce
projet. Elle propose désormais d’aller vers
cet objectif étape par étape. Elizabeth
Warren s’exprime en outre sur un ton
posé qui n’a rien d’autoritaire.
La gauche dite « identitaire », qui
mène une défense acharnée des mino­
rités, est parfois présentée comme
une force montante responsable
des difficultés des démocrates.
Quel rôle joue­t­elle dans la course
à l’investiture ?
Elle est très mobilisée en ligne et elle
arrive parfois à faire tanguer les candi­
dats à l’investiture démocrate. Certains
se sentent obligés de lui donner des ga­
ges. Elizabeth Warren en a donné un
exemple. Elle est une figure issue de la
gauche sociale, son engagement politi­
que repose sur son opposition au capita­
lisme financier. Elle a néanmoins cher­
ché à adresser des signaux aux partisans
de cette gauche.
Cette frange de l’opinion est très atta­
chée à l’emploi d’un langage inclusif, par
respect envers les personnes trans [no­
tamment quant au choix du pronom – fé­
minin, masculin, ou neutre – avec lequel
on s’adresse à elles, sans égard au sexe qui
leur a été assigné à la naissance]. Pour
montrer qu’elle est sensible à cette cause,
Elizabeth Warren précise sur son compte
Twitter son identité de genre par la men­
tion des pronoms « she/her » [« elle »]. Pete
Buttigieg, candidat, lui aussi, à l’investi­
ture et maire d’une petite ville du Mid­
west, en fait autant en indiquant sur le
même réseau social « he/him » [« il/lui »].
Ces postures sont mal comprises par
nombre d’Américains. C’est un piège pour
les démocrates et, pour le moment, ils n’y
prennent pas garde.
Vous semblez donc vous méfier
de cette base militante…
Rares sont les Américains qui se sen­
tent concernés par ces débats sociétaux,
comme cette question de pronom. La
population noire, ceux qui ne disposent
pas d’un diplôme universitaire et ceux
qui vivent loin des grands centres
urbains y sont particulièrement indiffé­
rents. Ce type d’enjeux mobilise davan­
tage la jeune génération. Elle n’est pas
sensible qu’à cette question de pronom,
ses préoccupations sont bien plus éten­
dues et poussent le parti vers la gauche.
Cette radicalisation me semble compré­
hensible. Mettez­vous à la place des jeu­
IDÉES
nes Américains. Depuis leur naissance,
le pays va d’échec en échec : la guerre en
Irak, la crise financière, le retour de la
question raciale. Ils peuvent donc légiti­
mement se dire qu’il faut changer notre
manière de faire.
Comment ce fossé générationnel
se manifeste­t­il dans la campagne
pour la primaire démocrate ?
La candidature de Joe Biden en donne
une bonne illustration. Vice­président
sous Barack Obama, il est aujourd’hui
l’un des favoris, notamment parce qu’il
est très apprécié par des électeurs plus
âgés et qu’il est particulièrement popu­
laire au sein de la population noire. Ceux
qui le soutiennent n’appartiennent pas à
l’establishment comme lui, mais ils
voient en lui quelqu’un qu’ils connais­
sent, en qui ils peuvent avoir confiance.
Cependant, sa victoire est loin d’être ac­
quise, notamment parce que les plus jeu­
nes ont tendance à se méfier de lui, dans
la mesure où ils ont jugé décevant le cen­
trisme d’Obama.
La dernière transformation marquante
que Biden a vécue remonte aux années
1990. La sociologie de ses électeurs a
alors commencé à changer, la classe
moyenne supérieure s’est rapprochée du
parti, tandis que la classe populaire le dé­
laissait. Si bien que les ouvriers blancs vo­
tent désormais républicains, alors que les
gagnants de la mondialisation s’identi­
fient aux démocrates.
Vous êtes l’auteur d’une biographie
remarquée de Richard Holbrooke
(1941­2010), l’un des plus grands
diplomates américains,
dont la carrière s’étend de la guerre
du Vietnam à l’Afghanistan.
Il incarnait à sa manière « l’ère
libérale », soit l’époque au cours
de laquelle les Etats­Unis se sont fait
fort de défendre la démocratie,
l’Etat de droit, l’économie de marché
et les droits de l’homme.
Cet idéal américain est aujourd’hui
très affaibli. Les candidats démocrates
se montrent­ils, selon vous, prêts
à le faire revivre ?
Les candidats parlent très peu de rela­
tions internationales. Le sujet a pu être
évoqué à différents moments, mais il dis­
paraît rapidement des débats, ce qui ar­
range Bernie Sanders, dont l’isolation­
nisme est bien connu. Joe Biden, qui a
connu Holbrooke, est vu comme le der­
nier représentant de cette ère libérale. Il
donne l’impression d’être un homme du
passé. Pete Buttigieg est, lui aussi, proche
des idées d’Holbrooke, mais il appartient à
une nouvelle génération. Il croit toujours
au leadership américain, tout en affichant
des objectifs beaucoup plus modestes.
Pouvez­vous nous en dire
davantage sur Holbrooke et l’histoire
de cette ère libérale ?
| 27
Holbrooke est né en 1941, la même an­
née où débute ce que l’on a appelé « le
siècle américain ». Les Etats­Unis en­
trent alors en guerre et s’imposent
comme une nouvelle puissance mon­
diale. Richard Holbrooke disparaît
en 2010, alors que les Etats­Unis en­
traient dans une phase de repli. Il n’a
donc connu qu’une seule Amérique,
celle qui se présentait comme le leader
du monde libre, et il n’a jamais cessé de
croire que les Etats­Unis constituaient le
« pays indispensable ».
Inutile pour autant de se voiler la face :
les valeurs de liberté et de démocratie ne
dictaient pas notre politique étrangère.
Néanmoins, elles jouaient un rôle im­
portant : elles ajoutaient à notre pres­
tige, même auprès de pays qui détes­
taient les Etats­Unis. Aujourd’hui, la légi­
timité de la puissance américaine est
durement atteinte. Après la guerre en
Irak et la crise financière, un malaise
s’est installé au sein de la démocratie
américaine, qui l’empêche d’assumer
désormais son rôle de garante de l’ordre
libéral. Barack Obama s’en est rendu
compte et a fait le choix de moins inves­
tir la scène internationale, tout particu­
lièrement au Moyen­Orient. Mais il
croyait toujours au multilatéralisme.
Auparavant, on nous reprochait notre
interventionnisme, mais aujourd’hui,
on nous reproche notre repli, car le vide
créé est occupé par la Russie, la Turquie,
la Chine, l’Iran. Une chose est peut­être
encore pire qu’un monde sous l’égide de
la puissance américaine : un monde
dont la puissance américaine s’est reti­
rée. Avec l’actuel président, la politique
étrangère américaine relève unique­
ment du rapport de force, sans le
moindre égard aux valeurs universelles.
La seule question qui se pose est de sa­
voir qui obtiendra le meilleur deal. Tout
ceci m’inquiète.
Trump paraît cependant
indéboulonnable à droite…
Le président fait, lui aussi, face à des di­
visions au sein de son camp. Dans les
banlieues cossues, des électeurs conser­
vateurs plus modérés ne l’aiment pas et
pourraient choisir de s’abstenir lors de la
présidentielle. Mais Donald Trump s’ap­
puie sur un électorat dont les convictions
ne changeront pas. Ces Américains, géné­
ralement des chrétiens blancs ruraux et
plus âgés, sont guidés par quelque chose
de viscéral, imperméable aux faits : la dé­
fense de l’identité blanche. Ils croient que
les immigrés, la gauche, les jeunes sont
en train de leur voler leur pays. Pour eux,
Trump est leur défenseur. Il les rassure et
fait sauter certains tabous. Cette partie de
l’opinion ne forme cependant que 35 à
40 % du pays ; elle est en outre vieillis­
sante. Mais cela peut suffire pour l’em­
porter en 2020. 
propos recueillis par
marc­olivier bherer

28 | idées
Yves Aubin Maya Kandel et Martin Quencez
de La Messuzière Le trumpisme n’est pas
Sur le conflit israélo- la nouvelle normalité
palestinien, la voix
de la France s’est éteinte
L
Alors que le plan de paix de Donald Trump bafoue le droit
international, l’ancien diplomate regrette que Paris fasse
profil bas face à Washington au lieu de rappeler les risques
d’une dégradation de la situation en Cisjordanie et à Gaza
D
ès l’annonce, mardi
28 janvier, par Donald
Trump de son plan de
paix sur le conflit israélo­
palestinien, qu’il qualifie d’« ac­
cord du siècle », le Quai d’Orsay
s’est empressé de publier un
communiqué saluant les efforts
du président américain en faveur
d’une solution à deux Etats, qui
soit en conformité avec le droit
international et les paramètres
internationalement reconnus.
Cette prise de position française
précipitée, alors que le ministère
des affaires étrangères reconnaît
devoir examiner avec attention
le plan qui ne lui a pas été trans­
mis préalablement, est surpre­
nante à plusieurs titres. Tout indi­
que, en prenant connaissance
des éléments essentiels de l’ini­
tiative américaine, que le droit
international est proprement
bafoué par Israël avec le soutien
déterminé des Etats­Unis depuis
l’élection de M. Trump.
Les résolutions du Conseil de
sécurité des Nations unies n’ont
empêché ni l’annexion par l’Etat
hébreu de Jérusalem­Est, et les
Etats­Unis d’y installer leur
ambassade, ni l’extension de la
colonisation en Cisjordanie
(435 000 colons dans 130 colo­
nies). La plus récente résolution
de l’ONU, remontant à 2016, à
laquelle l’administration Obama
s’était associée, condamnait clai­
rement la poursuite de la coloni­
sation, « en violation flagrante
du droit international ». La Fran­
ce et l’Union européenne ont
multiplié, sans réelle conviction,
les déclarations se prononçant
pour un Etat palestinien avec Jé­
rusalem­Est pour capitale.
Depuis son élection, Emmanuel
Macron est resté discret sur cette
question, pourtant au cœur de
l’action diplomatique de la
France depuis des décennies, et
s’est contenté de reprendre la
doxa européenne. L’impression
domine, depuis les mandats de
Nicolas Sarkozy et de François
Hollande, que la diplomatie fran­
çaise est dénuée de vision straté­
gique globale sur les différentes
crises du Proche­Orient, qui s’ad­
ditionnent et se nourrissent les
unes les autres. Isoler le foyer de
tensions en Palestine, alors que
sa charge symbolique pèse sur les
autres crises régionales, est une
erreur de perspective. Face à des
situations tragiques de ces der­
nières années, notamment à
Yves Aubin
de La Messuzière a été
ambassadeur au Tchad (1991-
1994) et en Tunisie (2002-2005)
et président du Conseil des
affaires étrangères (2006-2007)
Gaza, la diplomatie émotion­
nelle, et donc du temps court, l’a
emporté sur la diplomatie de
l’anticipation et du temps long.
De récents sondages révèlent
que les Palestiniens dans leur
majorité ne croient plus à la créa­
tion de leur Etat et donnent la
préférence à un Etat unique, dans
lequel ils espèrent bénéficier des
mêmes droits que la popu­
lation israélienne. Mais, dans le
même temps, ils redoutent de
devoir subir une situation
d’apartheid (le mot n’est plus ta­
bou en Israël même). Déjà, la loi
Etat­nation du peuple juif, adop­
tée par la Knesset en juillet 2018,
officialise la discrimination en­
vers les Arabes israéliens.
Point n’est nécessaire d’être
devin pour prévoir de nouvelles
explosions de violences à Gaza et
dans les territoires, dont se nour­
riront des factions plus radicales
que le Hamas. L’Iran soutient le
Jihad islamique, à l’origine des
récents tirs de roquettes sur le
territoire israélien, tandis que
la propagande de l’organisation
Etat islamique (EI) désigne la
reconquête de Jérusalem comme
un objectif prioritaire. Comment
affirmer dans ce contexte que la
question palestinienne aurait
perdu de sa centralité et qu’elle
peut être traitée comme un
conflit de basse intensité ? Si nom­
bre de pays arabes, préoccupés par
les menaces internes qui pèsent
sur leurs régimes et par les ingé­
rences iraniennes, se démobili­
sent, comme l’ont montré leurs
réactions laconiques à l’annonce
du plan Trump, ce ne sera proba­
blement pas le cas des opinions.
Une Europe spectatrice
Au­delà du monde arabe, des
pays musulmans ne manqueront
pas de réagir à la situation des
lieux saints musulmans de Jéru­
salem qui seront placés sous le
contrôle exclusif d’Israël. Une dis­
position du plan Trump prévoit
que l’esplanade des Mosquées
sera accessible aux croyants des
trois religions qui seront autori­
sés à y prier, ce qui est contraire à
une longue jurisprudence.
Il est temps que le président de
la République, qui se réfère à la
ligne gaullo­mitterrandienne et
fait du multilatéralisme un axe
prioritaire de sa politique étran­
gère, donne sa vision sur le règle­
ment du conflit israélo­palesti­
nien, qui passe par le respect de la
légalité internationale, dont s’af­
franchit résolument le président
américain, comme sur d’autres
dossiers internationaux. Or, le
communiqué du Quai d’Orsay
donne malheureusement une
perception d’un alignement sur
la politique américaine.
Rappelons que la France, long­
temps à l’avant­garde de ce dos­
sier, est à l’origine de la déclara­
La France devrait considérer « les conséquences, pour l’Europe, d’une
victoire démocrate » à l’élection présidentielle de novembre aux
Etats­Unis, et cesser d’envisager l’avenir dans une continuité de la
politique étrangère américaine actuelle, estiment les deux historiens
LA DIPLOMATIE
ÉMOTIONNELLE,
ET DONC DU
TEMPS COURT,
L’A EMPORTÉ SUR
LA DIPLOMATIE DE
L’ANTICIPATION
ET DU TEMPS
LONG
tion de Berlin de 1999, qui évo­
quait la création d’un Etat
palestinien « viable et démocrati­
que », avec la perspective de sa
reconnaissance « le moment
venu ». Le moment n’est­il pas
venu ? Il ne s’agit pas de verser
dans une initiative gesticula­
toire en proposant d’emblée une
énième conférence internatio­
nale, qui serait immédiatement
boycottée par Israël et l’adminis­
tration Trump, mais de préserver
la solution de deux Etats.
Par la voix du président de la
République, la France devrait
mettre en garde la communauté
internationale, et plus particu­
lièrement l’Union européenne,
contre le risque majeur pour la
sécurité régionale que ferait cou­
rir la dégradation de la situation
en Cisjordanie et à Gaza. Déjà,
M. Nétanyahou a annoncé son
intention d’annexer sans atten­
dre toutes les colonies et la val­
lée du Jourdain. Si un consensus
européen à 27 est inatteignable,
en raison surtout de l’aligne­
ment des pays d’Europe orien­
tale sur les politiques américaine
et israélienne, des alliances de
circonstance ne sont pas à ex­
clure. Il est urgent de remettre
la question palestinienne dans
l’agenda diplomatique de
l’Union européenne, qui ne doit
pas rester spectatrice.
En direction des Palestiniens, un
encouragement serait adressé
pour que soient organisées des
élections présidentielle et législa­
tives, au cours de l’année 2020,
sous observation européenne,
comme lors des scrutins de 2006.
Une fois les nouvelles autorités
légitimes installées, la France
reconnaîtrait l’Etat palestinien.
Nul doute que plusieurs Etats
européens (neuf d’entre eux le
reconnaissent) suivraient la
démarche française. Ainsi, la
diplomatie de l’audace et de la pré­
vention, prônée par Emmanuel
Macron lors de la dernière confé­
rence des ambassadeurs, trouve­
rait là un champ d’application. 
a ritournelle semble s’imposer
dans le débat français : Donald
Trump ne serait que la continua­
tion de Barck Obama en politique
étrangère, les deux étant le produit d’une
Amérique fatiguée des « guerres sans
fin », déçue par des alliés ingrats, aspirant
à se recentrer sur elle­même pour affron­
ter le seul adversaire à sa mesure : la
Chine. Dans cette vision, Trump repré­
senterait la nouvelle normalité améri­
caine, une évolution que la France aurait
comprise avant les autres, et à laquelle il
faudrait s’adapter sans plus attendre.
L’analyse est intéressante dans ce qu’elle
révèle des priorités françaises, mais elle
reste réductrice. Plus grave, elle risque de
devenir déterministe si elle fait du trum­
pisme le seul horizon d’une politique
américaine pourtant bien incertaine.
Cette vision est d’ailleurs loin d’être parta­
gée par nos partenaires européens, ce qui
nuit à notre capacité d’entraînement pour
construire une Europe souveraine.
Pour autant, elle ne manque pas d’argu­
ments. La présidence Trump est bien l’in­
carnation d’une Amérique qui s’interroge
sur les objectifs de sa politique internatio­
nale et sur son rôle dans le monde. Les
doutes et les divisions quant aux interven­
tions militaires, au rôle des alliés, et à la
possibilité d’un « désengagement » traver­
sent les deux grands partis. Il faut recon­
naître à Donald Trump d’avoir provoqué
le plus large débat américain sur la politi­
que étrangère depuis plusieurs décennies.
D’autres éléments de continuité existent
entre les présidences Obama et Trump :
critique de l’establishment washingtonien
en matière de politique étrangère, insis­
tance pour un nouveau partage du far­
deau transatlantique, réorientation des
priorités vers la Chine et volonté de met­
tre fin aux engagements militaires de lon­
gue durée au Moyen­Orient.
Une vision qui peut cependant devenir
simplificatrice et, à terme, conduire à de
mauvaises interprétations et anticipa­
tions. D’abord, parce que la continuité
Obama­Trump est plus complexe qu’il n’y
paraît, et qu’elle ne saurait prédire des
choix futurs des administrations améri­
caines. En France, le traumatisme de l’été
2013, lorsque la « ligne rouge » fixée sur la
Syrie n’a pas été respectée par Barack
Obama, est perçu comme l’illustration­clé
d’une volonté de « retrait » des Etats­Unis,
qui continue aujourd’hui sous Donald
Trump. Cet épisode n’a pas la même valeur
dans l’analyse que font nos voisins euro­
péens. Car si les politiques étrangères
d’Obama et de Trump font écho aux mê­
mes inquiétudes dans la population amé­
ricaine, l’ancien et le nouveau président ne
partagent pas la même analyse du monde,
et ne proposent pas la même réponse.
Alors que Barack Obama souhaitait ren­
forcer le système d’alliances pour per­
mettre aux Etats­Unis de réduire leur im­
EN CONCEVANT
UNE GOUVERNANCE
TRUMP DE TEMPS
LONG, LA FRANCE
S’EST MIEUX PRÉPARÉE
À UNE RÉÉLECTION
DU PRÉSIDENT
AMÉRICAIN
QUE BEAUCOUP
DE SES VOISINS
0123
MARDI 4 FÉVRIER 2020
Maya Kandel est historienne,
chercheuse à l’université
Paris-III-Sorbonne-Nouvelle
Martin Quencez est historien,
directeur adjoint du think tank
transatlantique German Marshall Fund
of the United States (GMF)
plication directe dans les crises géopoliti­
ques, Donald Trump souhaite, lui, libérer
son pays du poids et des contraintes de
ces alliances, car elles forcent les Etats­
Unis à agir contre leurs intérêts. Pour Ba­
rack Obama, le multilatéralisme devait
faire partie de la solution ; pour Donald
Trump, le multilatéralisme est le pro­
blème. En outre, les choix de politique
étrangère de Donald Trump ne font pas
consensus aux Etats­Unis. Il reste un lea­
der singulier dans l’histoire du pays.
La personnification de la relation
franco­américaine autour du « couple »
Macron­Trump a participé à gommer, en
France, les nuances du débat stratégique
américain, au risque de sous­estimer les
spécificités de la présidence Trump. Son
hostilité au projet européen et au multila­
téralisme en général, son approche pure­
ment transactionnelle des questions éco­
nomiques et sécuritaires et son désintérêt
assumé pour la défense des droits de
l’homme ne seront pas nécessairement re­
pris par une autre administration. Au con­
traire, un démocrate élu après Trump cher­
chera d’abord à restaurer le leadership et le
standing américains dans le monde : les al­
liés démocratiques et respectant l’Etat de
droit seront cajolés et, dans le cas d’un élu
progressiste, les pays perçus comme les al­
liés personnels de Trump (l’Arabie saou­
dite, Israël, mais aussi la Pologne ou la
Hongrie) seront particulièrement visés.
Garder toutes les options ouvertes
En concevant un trumpisme de temps
long, la France s’est mieux préparée à la
possibilité d’une réélection de Donald
Trump que beaucoup de ses voisins. Il est
probable qu’un Trump réélu irait encore
plus loin dans la remise en question des
alliances et de l’architecture internatio­
nales, et l’on peut envisager un retrait
américain de l’Organisation mondiale du
commerce ou de l’OTAN. Mais les résul­
tats des élections de novembre 2020 res­
teront incertains jusqu’au bout, et la
France ne doit pas sous­estimer les
conséquences potentielles, pour l’Eu­
rope, d’une victoire démocrate. La nou­
velle administration aurait pour priorité
de s’opposer à l’héritage de Trump et
pourrait notamment faire des choix dif­
férents pour la coopération en Afrique et
au Moyen­Orient, le soutien aux initiati­
ves de l’Union européenne dans le do­
maine de la défense et la promotion du
multilatéralisme à l’échelle mondiale ; la
diplomatie climatique redeviendrait une
priorité. Cela constituerait une opportu­
nité à ne pas manquer.
Il faut donc complexifier notre analyse
de la politique américaine en gardant
toutes les options ouvertes. La politique
américaine est d’abord marquée par son
extrême polarisation. L’instabilité en est
une des conséquences majeures et la
France doit se préparer à différents scéna­
rios après 2020. Plus qu’une réponse à
Donald Trump et au trumpisme, la souve­
raineté européenne devrait donc se con­
cevoir comme un moyen de défendre nos
intérêts dans un contexte de grande in­
certitude dans la politique étrangère des
Etats­Unis. Cette nuance rendra le dis­
cours français d’autant plus crédible aux
yeux des partenaires européens qui res­
tent divisés quant à la réponse à apporter
à la crise transatlantique actuelle. 
0123
MARDI 4 FÉVRIER 2020 idées | 29

Mikhaïl Khodorkovski,
le proscrit qui défie le Kremlin
L’ex­oligarque emprisonné et finalement gracié en 2013 continue, depuis qu’il est
en exil, à consacrer « l’essentiel de son temps » à l’opposition. Il estime que le soutien
à Vladimir Poutine se réduit, mais que les Russes ne voient pas par qui le remplacer

PORTRAIT odyssée, Citizen K, d’Alex Gibney, « l’euphorie d’une reconstitution de

COMME 
épisodes. L’exil lui a imposé une

I
l y a chez Mikhaïl Khodorkovski
une distance tranquille que rien
ne semble devoir troubler. Ni le
maître d’hôtel si parisien, qui met
fin sans ménagement à notre entre­
tien à la brasserie Le Select, à Mont­
parnasse, parce qu’il est l’heure de
préparer les tables pour le déjeuner,
ni les questions sur sa sécurité, dans
un monde assez peu sûr pour les op­
posants russes. « Si on voulait me tuer,
on l’aurait déjà fait », répond­il d’un
haussement d’épaules.
A 56 ans, cet homme, qui a été le
plus riche de Russie avant même d’en
avoir 40, paraît simplement heureux
d’être libre, tant sa vie a été mouve­
mentée jusqu’ici. Sa chute, le 25 octo­
bre 2003, fut aussi spectaculaire que
son ascension d’oligarque à la tête de
la compagnie pétrolière Ioukos, dans
la Russie postcommuniste de Boris
Eltsine. Le jeune Khodorkovski s’était
cru tout permis, y compris de se mê­
ler de politique, de lutte anticorrup­
tion et de société civile. Vladimir Pou­
tine l’a fait arrêter. Condamné à qua­
torze ans d’emprisonnement pour
fraude fiscale en 2005, puis pour dé­
tournement de pétrole en 2010, il a
passé dix ans dans des colonies péni­
tentiaires de Sibérie puis de Carélie,
privé, la plupart du temps, des visites
de sa femme et de ses enfants.
C’est la médiation d’Hans­Dietrich
Genscher, l’ex­chef de la diplomatie
allemande, qui l’a sauvé, le 22 dé­
cembre 2013. Poussé à la mansuétude
à la veille des Jeux olympiques d’hi­
ver de Sotchi, le président Poutine a
gracié son plus célèbre prisonnier,
qui a pu ainsi revoir sa mère – soignée
pour un cancer en Allemagne – avant
sa mort, quelques mois plus tard.
Qu’est­ce que l’exil de Mikhaïl Kho­
dorkovski ? Depuis sa libération, il a
vécu entre la Suisse, l’Allemagne et la
Grande­Bretagne, où un film sur son
vient de lui être consacré. Il assure l’Empire avec l’annexion de la Cri­
avoir prévenu ses geôliers, en signant mée », en 2014, « est en train de
sa demande de grâce, qu’il ne se tai­ s’éteindre ». L’autre élément impor­
rait pas – et il a tenu promesse. « L’es­ tant est la situation de l’économie
sentiel de mon temps, dit­il, je le con­ russe : « Cinq ans de stagnation, ça
sacre à l’opposition en Russie ». Le fait des dégâts. » Au pouvoir depuis
reste est pour sa famille. vingt ans, Poutine, observe­t­il, a bé­
Khodorkovski décrit « deux types néficié de deux facteurs de crois­
d’opposition actuellement en Russie : sance : la hausse des prix du pétrole
l’opposition formelle, qui n’est pas une jusqu’à 2008, et les investissements
opposition réelle, pilotée par le cabi­ étrangers, qui ont apporté des liqui­
net présidentiel. Sa tâche n’est pas fa­ dités au pays. Mais les sanctions im­
cile, mais c’est une condition conforta­ posées par l’Occident à partir de 2014
ble. Et puis il y a l’opposition hors sys­ ont « touché deux cibles » : « elles ont
tème, dont la situation est difficile ». asséché le financement, ce que Pou­
C’est à celle­ci qu’il se consacre, par le tine aurait pu combattre s’il n’avait
biais de sa fondation, Russie ouverte. craint de devoir dépendre de l’Occi­
Elle aide les candidats indépendants dent ; il a donc gardé ses réserves au
aux élections, en particulier locales lieu de les injecter dans l’économie » ;
– poursuivant le travail commencé et elles ont affaibli « le secteur tech­
par l’opposant Boris Nemtsov, assas­ nologique de l’exploration et de l’ex­
siné à Moscou en février 2015 – et ploitation du pétrole ».
fournit une assistance juridique aux
militants poursuivis. Elle « analyse Dix ans loin de tout, c’est long
les informations » que lui transmet­ La société russe, pour autant, n’est
tent ses contacts en Russie. « Tout ce pas sur le point de basculer. Mikhaïl
qui peut être fait à distance, nous le Khodorkovski est convaincu que
faisons », explique­t­il sans livrer plus « quatre Russes sur cinq pensent qu’il
de détails, pour éviter d’alimenter la serait bien que Poutine s’en aille, mais
répression. ils ne savent pas par qui le rempla­
Aujourd’hui, Khodorkovski af­ cer » : « leurs motivations, en réalité,
firme relever plusieurs évolutions sont assez faibles ». L’ancien patron
dans l’opinion russe. D’abord, « la fin de Ioukos évalue entre 30 % et 40 % la
du consensus de Crimée », notable, base électorale du président russe,
dit­il, au cours des six derniers mois : « qui se réduit progressivement » ;
entre 14 % et 16 % de partisans « con­
vaincus » de l’opposition ; et à près de
50 % les gens qui « ne sont pas intéres­
« POUTINE PRÉPARE  sés et qui voteront comme ils pensent
que va voter la majorité ». Tout l’enjeu
UN MODÈLE DANS  est là, pour l’opposition et pour le
LEQUEL IL PLACERA  Kremlin : « influencer ce que pensent
ces 50 % ». « C’est la spécificité du con­
UNE MARIONNETTE  texte russe », analyse Khodorkovski :
« le jour où ces 50 % se mettront à pen­
AU POSTE DE  ser que la majorité des électeurs va vo­
ter contre Poutine, il se retrouvera
PRÉSIDENT » avec seulement 30 % des électeurs ».
MIKHAÏL KHODORKOVSKI Mais Vladimir Poutine, dont le
SES COMPATRIOTES,  principal combat à mener est celui des
L’ANCIEN  didatures indépendantes, juge Marie
MILLIARDAIRE A LA  ces Po. Mais il a buté sur la force ré­
FIBRE NATIONALE  pris que la lutte serait longue. »
SENSIBLE
mandat présidentiel actuel expire
en 2024 et qui n’aura en principe pas
le droit de se représenter, peut­il
quitter le pouvoir ? Beaucoup à Mos­
cou en doutent, depuis l’annonce, le
15 janvier, de futures réformes cons­
titutionnelles qui pourraient per­
mettre à M. Poutine de se maintenir
dans l’appareil d’Etat après 2024.
Pour Mikhaïl Khodorkovski, qui
avoue avoir vu à tort en lui, il y a
vingt ans, un leader susceptible de
moderniser une Russie démocrati­
que, la manœuvre est limpide : « Pou­
tine prépare un modèle dans lequel il
placera au poste de président une ma­
rionnette dépouillée de ses pouvoirs,
et il transférera les leviers du gouver­
nement à un nouveau poste, interprè­
te­t­il. Il s’est clairement inspiré de la
version kazakhe, à ceci près qu’au Ka­
zakhstan, Noursoultan Nazarbaïev
continue de construire un Etat­nation,
alors que Poutine essaie simplement
de protéger ses amis des poursuites
pénales pour vol et corruption, tout en
détruisant les institutions de l’Etat. »
Certains ont vu en Khodorkovski
une alternative possible à Vladimir
Poutine ; lui­même y a cru, au début
de son exil. Lors de sa première inter­
vention publique à l’étranger, en sep­
tembre 2014 au Festival du Monde à
Paris, il a déclaré envisager de devenir
président. Il n’en parle plus. Dix ans
loin de tout, c’est long : la Russie
n’était plus la même lorsqu’il est sorti
de prison, il avait manqué plusieurs
autre forme de distance. « Pour lui, le
élections libres, et il a soutenu des can­
Mendras, politologue au CNRS­Scien­
pressive du système Poutine. Il a com­
L’exil ne lui facilite pas la tâche. « Je
retournerais n’importe quand en Rus­
sie, pour faire de la politique ou tra­
vailler dans les affaires, si je pouvais
me fier au système judiciaire », assu­
re­t­il. Mais les nouvelles procédures
lancées contre lui, qui risque la pri­
son à perpétuité, dès qu’il a exprimé
des velléités d’y retourner, l’en ont
dissuadé : « Le message est clair,
dit­il. Si je reviens, je ne pourrai plus
sortir. » « Curieusement, ajoute­t­il
avec un sourire, aucune instruction
n’a été menée depuis cinq ans sur ces
nouvelles accusations… »
Comme ses compatriotes, l’ancien
milliardaire a la fibre nationale sen­
sible. Invité à Sciences Po à Paris en
octobre 2014, il n’a pas hésité à dé­
fendre l’annexion de la Crimée. Cinq
ans plus tard, l’opinion russe, pense­
t­il, est certes préoccupée par la
poursuite de la guerre dans le Don­
bass, « mais la Crimée, c’est tout à fait
autre chose » : prétendre rendre cette
province à l’Ukraine « serait suici­
daire », pour l’opposant Alexeï Na­
valny – « ou pour n’importe quel
homme politique russe ».
Une question, malgré tout, l’intri­
gue, qu’il finit par poser : « Alors
maintenant, Emmanuel Macron est
le meilleur ami de Poutine ? » Kho­
dorkovski a un souhait à ce sujet :
que le président français soit bien
conscient que son homologue russe
« n’a aucun intérêt à ce que l’Ukraine
réussisse ». Parce que le succès de
l’Ukraine apporterait à l’opposition
russe « son meilleur argument ». 
sylvie kauffmann

L’amende infligée à Airbus, une bonne affaire géopolitique

ANALYSE Ce droit extraterritorial permet d’appliquer
les lois américaines à des personnes ou des
tels désagréments, Paris n’avait qu’à se doter
d’un dispositif anticorruption digne de ce
cain. Cette fois, dans le cadre de l’affaire Air­
bus, la justice française s’arroge 60 % de

P
aradoxalement, la sanction infligée
à Airbus aux termes d’un accord va­
lidé, vendredi 31 janvier, avec le Par­
quet national financier (PNF) en
France, le Serious Fraud Office (SFO) au
Royaume­Uni et le Department of Justice
(DOJ) aux Etats­Unis, et soldant quatre ans
d’enquête sur des faits présumés de corrup­
tion dans le cadre de marchés conclus depuis
2008, n’est pas une si mauvaise affaire.
 CETTE AFFAIRE  Certes, le groupe va devoir payer une
MARQUE UNE ÉTAPE  amende de 3,6 milliards d’euros à ces trois
autorités – un record dans l’industrie. Mais
DANS LA FAÇON  l’essentiel n’est pas là. Cette affaire marque
une étape dans la façon dont les Européens
DONT LES  peuvent se protéger contre l’extraterritoria­
lité du droit américain. Pendant des années,
EUROPÉENS  des dizaines de multinationales ont dû se
PEUVENT  plier, sans pouvoir réagir, à l’arsenal législatif
mis en place par les Etats­Unis. Le Foreign Cor­
SE PROTÉGER  rupt Practices Act (FCPA), les lois Helms­Bur­
ton et D’Amato­Kennedy ou encore l’Interna­
CONTRE LE DROIT  tional Traffic in Arms Regulations (ITAR) ont
EXTRATERRITORIAL  été utilisés comme autant d’armes de guerre
économique pour affaiblir les concurrents
AMÉRICAIN des groupes américains, sous couvert de lutte
contre la corruption, contre le terrorisme ou
de garanties de sécurité pour les Etats­Unis.
Ainsi, il était reproché à Airbus, d’une part,
certaines pratiques consistant à recourir à
des intermédiaires, en infraction avec le
FCPA et, d’autre part, des déclarations
inexactes faites aux autorités américaines
dans le cadre de l’ITAR.
entreprises étrangères, pour peu qu’elles
aient un lien, même ténu, avec les Etats­Unis.
L’utilisation du dollar dans une transaction,
l’existence d’une entité juridique sur le sol
américain, ou le simple transit de courriels
par le biais de serveurs basés aux Etats­Unis
suffisent au DOJ pour exercer des pouvoirs
exorbitants qui s’imposent aux contreve­
nants. L’ITAR, quant à lui, donne aux Etats­
Unis un droit de regard sur la vente de maté­
riel sensible, dès lors que celui­ci contient au
moins un composant américain.
Siemens, Technip, Deutsche Telekom,
Daimler, Rolls­Royce, Total, BAE, BNP Paribas
sont ainsi passés sous les fourches Caudines
de la justice américaine. Le DOJ s’est enrichi
en percevant des amendes colossales, tout en
contribuant à fragiliser des concurrents d’en­
treprises américaines.
La multiplication des affaires a provoqué
une prise de conscience, en France, de la né­
cessité de se prémunir contre l’exterritorialité
du droit américain. L’affaire Alstom, avec le
rachat controversé, en 2014, de la branche
énergie d’Alstom par le groupe américain Ge­
neral Electric (GE), avait été, de ce point de vue,
assez emblématique. L’opération avait eu lieu
au même moment que le règlement avec le
DOJ d’une affaire de corruption, assorti d’une
forte amende à l’encontre du groupe français.
Lorsque le gouvernement français avait
protesté contre les amendes infligées à Tech­
nip, BNP Paribas ou Alstom, Washington avait
eu beau jeu de répondre que, pour éviter de
nom. La loi relative à la transparence et à la
lutte contre la corruption, dite loi Sapin 2, pro­
mulguée en décembre 2016, avait constitué
une première réponse à cette préoccupation.
Ce texte permet, en quelque sorte, de laver
son linge sale en famille, réduisant ainsi con­
sidérablement l’exposition des groupes fran­
çais à l’extraterritorialité américaine. En ac­
ceptant de collaborer avec la justice française,
en lien avec le SFO et le DOJ, Airbus, après
s’être autodénoncé auprès des autorités bri­
tanniques, a évité des poursuites pénales qui
auraient pu aboutir à une interdiction de par­
ticiper à des appels d’offres publics aux Etats­
Unis ou dans l’Union européenne, une situa­
tion qui aurait mécaniquement profité à son
rival américain, Boeing. Certes, l’avionneur
européen a dû se séparer d’une centaine de
collaborateurs impliqués et d’une bonne par­
tie de sa direction, mais le pire a été évité.
Négocier une amende sans aller au procès
La formule avait été testée en juin 2018, lors­
que la Société générale, soupçonnée de cor­
ruption après des transactions avec le fonds
souverain libyen, avait trouvé un accord avec
le DOJ et le PNF en ayant recours à la conven­
tion judiciaire d’intérêt public (CJIP), une
nouvelle procédure permettant de négocier
une amende sans aller au procès ni passer par
une procédure du « plaider coupable ». Cel­
le­ci avait également permis au PNF d’empo­
cher la moitié de la sanction financière, au
lieu d’alimenter en totalité le Trésor améri­
l’amende, contre 20 % pour le SFO et 20 %
pour le DOJ.
« Il s’agit d’un progrès, mais la loi Sapin 2
n’est qu’une réponse défensive au problème de
l’extraterritorialité, explique Frédéric Pie­
rucci, fondateur du cabinet de conseil Ika­
rian. Il faut désormais se doter d’un volet of­
fensif, c’est­à­dire que les pays européens doi­
vent être capables d’exiger également des
sanctions à l’encontre des entreprises améri­
caines fautives afin de rééquilibrer le rapport
de force avec les Etats­Unis. » Ex­cadre d’Als­
tom, M. Pierucci, qui s’est retrouvé au cœur
de l’imbroglio diplomatico­judiciaire au mo­
ment de la vente à GE, a fait de la lutte contre
l’extraterritorialité du droit américain un
cheval de bataille.
A l’instar du travail effectué en droit de la
concurrence, l’UE doit être capable de déve­
lopper son propre pouvoir de sanction dans
le domaine de la corruption, en se dotant
d’outils juridiques d’extraterritorialité. Dans
le secteur aéronautique comme dans bien
d’autres, on ne peut être que frappé par l’asy­
métrie de traitement entre les entreprises
américaines et leurs concurrents. Avant l’af­
faire Airbus, le brésilien Embraer, en jan­
vier 2019, peu de temps après avoir été sanc­
tionné dans le cadre du FCPA, avait dû vendre
sa division commerciale à Boeing. Depuis
l’entrée en vigueur de cette législation,
en 1977, le groupe américain, lui, n’a jamais
fait l’objet de sanction. 
stéphane lauer

30 | 0123
ÉCONOMIE  |  CHRONIQUE
par j ean­ m ic he l b e zat
Un « démon »
et des milliards
L
e « démon » est sorti de
son antre de Wuhan, mé­
gapole industrielle du
centre de la Chine, et se
répand à travers le monde. C’est
ainsi que le président Xi Jinping a
qualifié le 2019­nCoV, ce virus in­
connu responsable de troubles
respiratoires aigus, parfois mor­
tels. Le nouveau « timonier », qui
a tardé à donner l’alerte, en sor­
tira sans doute affaibli. Pour le
reste, l’épidémie ne mettra pas
l’économie mondiale à terre. Et,
après un coup de frein brutal de la
croissance de l’ex­empire du Mi­
lieu, les affaires reprendront sans
doute leur cours dans quelques
semaines, au pire quelques mois.
La crise a éclaté au moment où
l’horizon s’éclaircissait : trêve
dans la guerre commerciale sino­
américaine, baisse des tensions
entre Washington et Téhéran,
prévision de croissance plus opti­
miste du Fonds monétaire inter­
national (+ 3,3 %), regain de con­
fiance des industriels européens.
Si la prospérité repose sur la
confiance et la visibilité, les pro­
chaines semaines s’annoncent
incertaines. Mais, faute de repè­
res sérieux, les conjoncturistes
ont du mal à anticiper les retom­
bées économiques de ce nouvel
avatar du coronavirus. Une incer­
titude qui pèse sur les indices
boursiers mondiaux.
Le précédent du SRAS (syn­
drome respiratoire aigu sévère),
qui avait fait 774 morts en 2003,
est un fragile étalon de mesure.
Les plus optimistes rappellent
que, après un trou d’air, la Chine
avait renoué avec une croissance
à deux chiffres. Le coût mondial
de la pandémie avait été de l’ordre
de 50 milliards de dollars, une
perte minime rapportée à un pro­
duit intérieur brut (PIB) de
39 000 milliards.
Avec dix­sept ans de recul, la
comparaison est hasardeuse. « Le
coup dur pour la Chine pourrait dé­
passer celui observé lors de l’épidé­
mie de SRAS, et la croissance
[+ 6,1 % en 2019] chuter considéra­
blement ce trimestre, peut­être plus
que les 2 % de décélération observés
au deuxième trimestre de 2003 »,
estiment les analystes de Nomura.
Peurs millénaristes
Un pessimisme partagé par Ox­
ford Economics, qui table sur un
recul de 0,2 point de la croissance
mondiale, désormais dépen­
dante de la Chine. Que le FMI
suive la situation « en temps réel »
en dit long sur l’inquiétude am­
biante.
La quarantaine imposée à Wu­
han et à la province du Hubei a
suspendu l’activité de ce hub in­
dustriel, symbole d’un pays inté­
gré à la chaîne de valeur globale.
La Chine pèse déjà 15 % du PIB
mondial (contre 8,7 % en 2003),
ses échanges commerciaux ont
explosé et ses touristes ont dé­
pensé à l’étranger 235 milliards
d’euros en 2017, deux fois plus
que les Américains.
L’Organisation mondiale de la
santé (OMS) elle­même ne sous­
estime pas l’impact économique
du coronavirus. Pour justifier
son refus d’interdire tout
voyage, elle a rappelé, jeudi
30 janvier, que « la restriction de
circulation des personnes et des
biens peut perturber les entrepri­
LA BANQUE MONDIALE  transmission des virus, le docteur
ÉVALUE LE COÛT  actuelle était « prévisible ». A la tête
D’UNE SÉVÈRE  Health Alliance, il assure que, avec
ÉPIDÉMIE DE GRIPPE  pourrait caractériser tous les vi­
À 2 500 MILLIARDS  rus, prévoir une crise et donc l’évi­
DE DOLLARS
Tirage du Monde daté dimanche 2 ­ lundi 3 février : 196 088 exemplaires
0123
MARDI 4 FÉVRIER 2020
LE PARTI 
DÉMOCRATE 
Maison Blanche. L’échec plus que probable ceux d’une fiscalité plus juste, d’une cou­
À L’HEURE 
DU CHOIX
de la procédure de destitution du président
au Sénat a montré la force de l’emprise de
M. Trump sur le Parti républicain, alors que
verture santé plus étendue, d’un salaire mi­
nimum fédéral plus élevé, et d’un retour à
un traitement plus multilatéraliste des af­
la procédure a révélé jusqu’où le président
est prêt à aller – monnayer l’aide des Etats­
Unis à un pays étranger, l’Ukraine, contre
faires mondiales. Les étoiles montantes du
Parti démocrate au Congrès sont des jeunes
femmes qui ne craignent pas d’afficher leur
l’ouverture d’une enquête sur son adver­ radicalisme. En face, Donald Trump fait
LES CONJONCTURISTES saire politique – pour se maintenir au pou­ campagne sur les thèmes identitaires et sur
voir. La présentation, le 28 janvier, de la « vi­ les bonnes performances de l’économie.
ONT DU MAL  sion » du gendre de M. Trump, Jared Kush­ Des quatre candidats qui se détachent en
ner, pour mettre fin au conflit israélo­ ce début de course des primaires, le séna­
À ANTICIPER  palestinien, a fourni un autre exemple de la teur Bernie Sanders est celui qui incarne la
nocivité de la politique extérieure de cette ligne la plus radicale. L’ex­vice­président
LES RETOMBÉES  administration : ce plan, élaboré en parfaite Joe Biden, qui fut huit ans le coéquipier de
ÉCONOMIQUES 
DU CORONAVIRUS L’ enjeu des élections primaires au
sein du Parti démocrate américain,
qui s’ouvrent lundi 3 février avec le
traditionnel caucus de l’Iowa, dépasse lar­
gement, cette année, la question des per­
harmonie avec le premier ministre israé­
lien, Benyamin Nétanyahou, bafoue toutes
les règles du droit international.
Qui peut donc battre Donald Trump en
novembre ? La question pose un véritable
Barack Obama, représente, lui, le courant
centriste. La sénatrice Elizabeth Warren, te­
nante de la gauche sociale, pourrait éven­
tuellement faire le pont entre les deux ten­
dances, de même que Pete Buttigieg, ex­
ses et avoir des effets négatifs sur sonnalités des candidats et de leurs diver­ dilemme au Parti démocrate, qui va devoir maire de South Bend, dans l’Indiana, le plus
l’économie des pays touchés ». gences politiques. Celle ou celui des onze choisir entre raison et idéal. Car l’évolution jeune des quatre.
Mieux maîtrisées, ces épidé­ prétendants qui sera choisi, à l’issue de ce de la ligne politique des militants démocra­ MM. Sanders et Biden sont pour l’instant
mies n’en réveillent pas moins processus, pour prétendre à l’investiture tes n’est pas nécessairement en phase avec en tête. Dans le système américain, cepen­
des peurs millénaristes, alimen­ démocrate à l’élection présidentielle du celle de l’électorat américain dans son en­ dant, l’arbitre final n’est pas le vote popu­
tées par les réseaux sociaux, où 3 novembre portera en effet une lourde res­ semble. Contrecoup de l’échec d’Hillary laire mais le collège électoral, qui a pesé en
défilent la peste noire, qui tua un ponsabilité : barrer la route à un deuxième Clinton à la présidentielle de 2016, le parti a faveur de Donald Trump en 2016. Ce fac­
tiers des Européens au milieu du mandat de Donald Trump. glissé à gauche depuis trois ans. Les thèmes teur tend à favoriser Joe Biden, 77 ans : une
XIVe siècle, et la grippe espagnole, Cette responsabilité ne s’arrête pas aux autour desquels se rassemblent valeur sûre, mais qui n’inspire guère les
responsable de 50 millions de frontières des Etats­Unis. A elle seule, la se­ aujourd’hui les candidats aux primaires, partisans d’un renouvellement en profon­
morts en 1918­1919. maine écoulée a résumé les risques que fe­ avec une ferveur variable, et qui ont permis deur du Parti démocrate. Ces primaires
Ces peurs sont­elles infondées ? raient peser sur le reste du monde quatre aux démocrates de remporter les élections auront en tout cas des observateurs très at­
Sans doute. Mais, en 2017, Bill Ga­ années supplémentaires de trumpisme à la de mi­mandat au Congrès en 2018, sont tentifs de l’autre côté de l’Atlantique. 
tes, fondateur de Microsoft, invi­
tait à se préparer à de telles crises
(et au bioterrorisme) « aussi sé­
rieusement qu’on se prépare à une
guerre ». L’université américaine
Johns Hopkins a publié en octo­
bre 2019 le scénario d’une pandé­
mie de coronavirus, partie du Bré­
sil, qui tuerait 65 millions de per­
sonnes. Et l’OMS elle­même envi­
sage l’apparition d’un agent très
pathogène se transmettant rapi­
dement. En 2018, elle ajoutait
cette « maladie X » à la liste des
sept fléaux inscrits dans son plan
d’action prioritaire contre un
« danger mondial ».
Qu’en serait­il des retombées
économiques de catastrophes sa­
nitaires ? Incapables d’établir des
scénarios précis, les économistes
en sont réduits à modéliser les ris­
ques, avec de grandes marges
d’incertitude : en 2006, le Lowy
Institute for International Policy
évaluait à 4 400 milliards de dol­ 220 PAGES
12 €
lars (10 % de la richesse mondiale)
le coût d’une sévère épidémie de
grippe ; deux ans plus tard, la Ban­
que mondiale ramenait le chiffre
à 2 500 milliards. Il reste que « les
pandémies représentent l’une des
plus grandes menaces pour les
économies », expliquait son prési­
dent, Jim Yong Kim, en 2016.
Sur la liste des « risques émer­
gents » identifiés par les compa­
gnies d’assurances, elles figurent
pourtant loin d’une cyberattaque
de grande ampleur, des effets du
réchauffement climatique, d’une
nouvelle crise financière ou de
graves troubles géopolitiques. Un
classement qui évolue et qu’une
épidémie de grande ampleur peut
vite bouleverser : il a fallu les at­
tentats du 11 septembre 2001 pour
que les assureurs inscrivent le ter­
rorisme à grande échelle au regis­
tre des risques catastrophiques.
Tirant les leçons d’Ebola, qui fit
11 300 morts en Afrique de l’Ouest
entre 2014 et 2016, la Banque
mondiale avait lancé un méca­
nisme destiné à apporter aux pays
pauvres « des financements et des
experts là où une flambée épidémi­
que se déclare et avant qu’elle ne
devienne incontrôlable ». S’il avait
existé lors de la crise d’Ebola, il
aurait sauvé des milliers de vies UN ATLAS EXHAUSTIF Pour chacun des 198 pays du monde, PLANÈTE Les Etats ne sont pas parvenus à des résultats
et, accessoirement, des milliards les chiffres-clés (population, PIB, part du commerce avec la tangibles lors de la COP25, alors que les phénomènes
de dollars. Une contre­attaque ra­ Chine et les Etats-Unis…), une carte et une analyse politique climatiques se multiplient. Les sociétés civiles se sont
pide est encore le plus sûr moyen et économique de l’année par les correspondants du Monde. davantage mobilisées, secouant les consciences pour la
de limiter les pertes. sauvegarde de la planète.
Peut­on faire mieux ? Spécialiste UN PORTFOLIO 17 pages des meilleures photos d’actualité
des maladies infectieuses tra­ de l’année, sélectionnées par le service photo du Monde. FRANCE Emmanuel Macron poursuit ses réformes, malgré le
vaillant sur l’interaction animal­ mouvement des «gilets jaunes» et la vaste contestation
homme­environnement dans la INTERNATIONAL Les protestations populaires qui ont rythmé sociale hostile à la réforme des retraites. Le mécontentement
2019 plongent le monde dans une profonde incertitude, sur du peuple aura-t-il une incidence pour la majorité
Peter Daszak estime que la crise fond de tensions politiques et économiques entre les Etats-
présidentielle lors des élections municipales de mars 2020 ?
Unis et la Chine. Les convulsions du Moyen-Orient accentuent
de l’organisation américaine Eco­
la montée du sentiment d’inquiétude. IDÉES De Kamel Daoud à Nancy Huston en passant par Cécile
quelques milliards de dollars, on Dutheil de la Rochère, Olivier Beaud, Fabienne Brugère,
Patrice Maniglier, Dominique Schnapper… les textes publiés
dans Le Monde qui ont marqué l’année 2019.
ter. Le prix à payer pour chasser
les « démons » du président Xi. 
 argent
FAUT-IL ÉDUQUER
NOS ENFANTS
À L’ARGENT ?
Aborder le sujet peut être délicat,
que ce soit dans la sphère familiale
ou à l’école. Pourtant, les enfants sont
très tôt confrontés à ces questions
PAG ES 2- 3

Diversifier
ses placements
en 2020

Les Français suivront-ils l’invitation du ministre

de l’économie, en investissant dans l’économie réelle
les centaines de milliards d’euros qui « dorment » sur
leurs comptes ou livrets ? Tour d’horizon des possibilités,
plus ou moins risquées, qui s’offrent aux épargnants
PAGES 4 À 9

ILLUSTRATIONS : EMMANUEL ROMEUF

L
ors de l’annonce de la baisse
du taux du Livret A, tombé à
0,5 % le 1er février, le ministre
de l’économie, Bruno Le
Maire, a incité les Français à « diver­
sifier » leurs placements. Il est vrai
de chagrin. Pendant ce temps, le
nombre d’actionnaires individuels
se situe sous la barre des 4 millions,
presque deux fois moins qu’au mi­
lieu des années 2000.
d’entre eux ne se reconnaissent pas
dans les placements qu’on leur pro­
pose et souhaiteraient donner du
sens à leur épargne.
Les gouvernements successifs, qui
ont multiplié les niches fiscales, ont
moyennes entreprises – ne présen­
tent souvent d’intérêt que pour ces
avantages, leur rendement étant très
aléatoire. D’autres dispositifs, ceux
qui sont par exemple destinés à favo­
riser la construction de logements

Chiche ! que, malgré une rémunération qui

ne compense pas l’inflation, l’en­
cours des livrets d’épargne conti­
nue de progresser, dépassant les
410 milliards d’euros. Pire, les Fran­
Editorial çais laissent dormir sur leurs comp­
tes bancaires, qui ne leur rappor­
tent rien, près de 600 milliards
d’euros. Et, quand ils investissent
sur des placements, c’est dans l’as­
surance­vie et massivement (plus
de 1 600 milliards d’euros) sur des
contrats en euros, dont le rende­
ment se réduit aussi comme peau
Une allergie aux risques
Pour autant, il n’est pas certain que
l’appel du ministre soit entendu.
D’abord parce que les épargnants
français restent, dans leur ensem­
ble, allergiques au risque. Une carac­
téristique qui s’explique sans doute
par leur manque de culture finan­
cière. Celle­ci va certainement per­
durer, vu l’accueil mitigé réservé
aux expérimentations d’initiation à
l’école. Les rapports qu’entretien­
nent les Français avec l’argent res­
tent complexes. Une part croissante
aussi leur part de responsabilité : au
fil des années, les placements
ouvrant droit à des économies d’im­
pôts ont proliféré. Progressivement,
ce sont ces avantages fiscaux qui
sont devenus un des principaux fac­
teurs de choix des épargnants, fai­
sant presque passer la qualité intrin­
sèque des placements au second
plan. Certains produits financiers
– on peut citer les fonds d’investisse­
ment de proximité ou les fonds com­
muns de placements dans l’innova­
tion, destinés à soutenir les petites et
accessibles aux plus modestes,
n’ont pas atteint leurs objectifs et ont
parfois mis les épargnants dans des
situations périlleuses.
La chasse aux niches fiscales est
ouverte depuis plusieurs années,
mais elle est loin d’être terminée. Le
gouvernement actuel a aussi engagé
la simplification de la fiscalité de
l’épargne. Pour que les Français
adoptent un comportement plus
rationnel face à l’épargne, cette poli­
tique devra être poursuivie. 
JOËL MORIO

Cahier du « Monde » No 23349 daté Mardi 4 février 2020 ­ Ne peut être vendu séparément
 EN VUE
2| ·
LE MONDE ARGENT
MARDI 4 FÉVRIER 2020

ARGENT
Comment en parler
à ses enfants
logue Nicole Prieur dans son livre La Famille, l’ar­ Si la rémunération des tâches divise, les spécia­
Il y a mille façons d’aborder la gent, l’amour (Albin Michel, 2018), consacré aux listes sont unanimes sur les multiples atouts de « ILS ONT SOUVENT
question, qui fait très tôt partie du enjeux psychologiques des questions matérielles. l’argent de poche régulier, pour transmettre ses
UNE CONSCIENCE
Elle rappelle notamment que, pour nombre de valeurs et préparer la future indépendance fi­
quotidien des enfants. Cela contribue parents séparés, l’argent se retrouve au service nancière de l’enfant. « Souvent accordé à partir de
ANXIEUSE
à les rendre autonomes des règlements de compte – arme de vengeance, l’entrée au collège, il permet de s’exercer à gérer un
chantage, voire contrôle sur la vie de l’ex. budget », explique Pascale Micoleau­Marcel, délé­
« Il est par ailleurs fondamental de ne pas tout guée générale de l’institut La Finance pour tous.
DE L’ARGENT »
mesurer en argent, de montrer qu’il y a des choses Attention, toutefois, là aussi, à laisser l’argent de

A
rgent de poche, disputes entre les gratuites, poursuit Patrick Avrane. L’apprentis­ poche à sa place : l’idée n’est pas de demander à

adultes, cadeaux… De façon ludi­
que ou plus pesante, les enfants
sont très tôt confrontés à l’argent.
Et pour les parents surgit tout
aussi vite une avalanche d’inter­
rogations. Faut­il en donner, de l’argent de po­
che ? Et combien ? Doit­on ouvrir un compte à
son nom ? Comment lui transmettre la sacro­
sainte « valeur de l’argent » ? Lui faire comprendre
que « ça ne tombe pas du ciel », sans pour autant
que cela prenne trop de place dans sa vie d’en­
fant ? Comment éviter qu’il devienne trop maté­
rialiste ? Ou trop dépensier ? Que répondre à
« combien tu gagnes, maman » ? Est­ce judicieux
de lui révéler qu’il a de l’épargne ? De rémunérer
ses bonnes notes ou le coup de main à la maison ?
Il n’y a pas forcément de bonnes réponses, sou­
ligne Patrick Avrane, psychanalyste et auteur de
Petite Psychanalyse de l’argent (PUF, 2015). « Edic­
ter des règles dogmatiques n’a pas de sens, à cha­
que famille de placer le curseur selon son mode de
vie, ses valeurs, la maturité de l’enfant. Le plus im­
portant est de ne pas mettre l’argent en position
de toute­puissance, de le garder à sa juste place.
Ce n’est pas une finalité en soi, mais un outil. »
Doit­on pour autant s’inquiéter quand son ado
raconte qu’elle veut choisir tel métier juste
« parce que ça gagne bien » ? M. Avrane se veut
rassurant : « A 30 ans, ce serait problématique
mais à 14, c’est banal. Trop âgée pour vouloir être
hôtesse de l’air, et pas assez pour savoir ce qu’elle
veut, elle pense qu’avec de l’argent elle pourra voir
ses désirs réalisés. »
Pas toujours évident, toutefois, de ne pas accor­
der trop de pouvoir à l’argent, montre la psycho­
3
sage de la gratuité commence par montrer qu’on un enfant de gérer tout le budget. « Il faut faire la
peut s’entraider en fa­ différence entre les dépenses
mille. Tout rémunérer de base, qui reviennent aux
fausse tout. Quand un parents, et les petits plaisirs,
parent me dit que son
« LE PLUS IMPORTANT qui relèvent de l’argent de
fils ne veut pas s’ha­ EST DE NE PAS METTRE poche. L’enfant a bien QUESTIONS À
biller le matin, je ne vais d’autres choses à apprendre
pas lui conseiller de le L’ARGENT EN POSITION entre 6 et 15 ans, l’important Nicole Prieur
payer pour mettre ses c’est qu’il acquière les bases », philosophe, thérapeute familiale
chaussettes, il faut DE TOUTE-PUISSANCE. précise M. Avrane.
trouver pourquoi. Le « L’argent de poche prépare Les enfants sont-ils à l’aise
payer pour faire ce qu’il
CE N’EST PAS l’indépendance psychique et pour parler d’argent ?
ne veut pas faire ou UNE FINALITÉ EN SOI, financière, il est ressenti Dans mon activité de thérapeute, j’ai été
pour croire ce qu’on dit, comme un marqueur de frappée ces dix dernières années par
c’est le risque qu’il tra­ MAIS UN OUTIL » croissance, c’est structurant », l’évolution de leur rapport à l’argent.
duise : “j’ai de l’argent, ajoute Mme Prieur. Une étape Alors que le sujet reste globalement tabou
je peux tout acheter,
même les gens”. »
Patrick Avrane pas toujours simple pour les
parents, car « accepter l’indé­
chez les adultes, eux en parlent spontané­
ment. Mais ils en ont souvent une cons­
Payer ou pas les ser­ psychanalyste pendance des enfants sup­ cience anxieuse. L’argent, pour eux, c’est
vices ? La question pose qu’ils n’aient plus besoin quelque chose qui risque de manquer,
trouve un retentisse­ que leurs enfants aient besoin même dans les familles aisées. Même
ment dans l’univers d’eux », insiste­t­elle. quand ils ne sont pas directement concer­
technologique. Diana Brondel, qui a créé en 2019 Conséquence : « Les parents doivent accepter de nés, ils sont très exposés à la précarité par
une solution bancaire pour les plus de 12 ans ne pas tout voir et tout savoir (…). Donner de l’ar­ la télévision et, en ville, dans la rue. Ils
nommée Xaalys, n’a pas intégré, dans son appli­ gent de poche à cet âge (…) permet à l’adolescent s’identifient fortement, surtout s’il s’agit
cation, de module permettant au parent de rému­ de cultiver son jardin secret et d’affirmer son d’autres enfants. Sans compter que, dès
nérer l’adolescent qui rend service. « “Appelle ta autonomie », estime dans une chronique la psy­ 8­10 ans, ils sont désormais associés au
grand­mère, tu auras un euro”, ce n’est pas ma vi­ chologue Béatrice Copper­Royer. « L’argent de choix des vacances ou de tel ou tel achat,
sion des choses », dit­elle. A l’inverse, Pixpay, autre poche pose surtout la question du contrôle ou de car les décisions sont prises de plus en
néobanque conçue pour les ados, propose cette la liberté laissée dans son utilisation », confirme plus démocratiquement au sein des fa­
fonctionnalité. « L’ado est notifié sur son app de Gilles Lazuech, sociologue, auteur de L’Argent du milles. Ils sont plus confrontés qu’on ima­
chaque nouvelle mission qui arrive, décrit l’équipe. quotidien (PUR, 2012). Contrôle plus simple à gine à l’argent. L’impact psychologique
Lorsqu’il la réalise, il la coche et le parent est notifié. mettre en œuvre quand l’argent de poche est peut être lourd. Penser que ses parents
Ce service est utilisé par les familles qui veulent géré de façon dématérialisée, par le biais d’un sont fragiles entame l’image de toute­
inculquer le fait que l’argent ne tombe pas du ciel. » compte bancaire, que s’il est liquide… puissance parentale dont les petits ont be­
soin pour avoir confiance en eux­mêmes.
Un outil pour apprendre la générosité ?

Un « brevet » d’éducation financière expérimenté

es rudiments d’un bud­
avec la mise en ligne de fiches
d’évoquer l’argent dans le cadre de
« L’argent de poche permet aussi d’entrer dans des
sociabilisations adolescentes – aller au cinéma,
faire du shopping entre amis, etc., poursuit Gilles
Lazuech. Dès lors que l’autonomisation et la so­
ciabilisation de l’ado passent par cet outil, on com­
prend aisément les problèmes que cela peut cau­
Y a-t-il des spécificités
dans les familles monoparentales
ou recomposées ?
C’est indéniable. Les enfants de parents
séparés entendent beaucoup de disputes
liées à l’argent. « Je ne peux pas te l’offrir,

L get. Les moyens de

paiement. Le calcul des
intérêts d’un crédit ou
d’un livret d’épargne. Autant de
sujets auxquels les collégiens
d’une poignée de classes de 4e se­
ront sensibilisés par leurs profes­
seurs d’ici à la fin mai. A l’issue
d’un enseignement de deux heu­
res, et après avoir répondu à un
quiz, ils se verront remettre un
« passeport d’éducation finan­
cière », dans l’esprit du brevet de
Sécurité routière.
« Cette expérimentation, entamée
en 2019 dans trois collèges de l’aca­
démie de Créteil, est élargie en 2020
dans cinq académies, et il faudra
décider ensuite de sa généralisa­
tion, indique Mark Béguery, direc­
teur de l’éducation financière de la
Banque de France. Dans le cadre de
la formation du citoyen, il est im­
portant que les élèves soient sensi­
bilisés aux questions budgétaires et
financières. C’est un filet de sécurité.
Ces enseignements sont d’autant
plus importants que la dématériali­
sation croissante des moyens de
paiement peut entraîner une diffi­
culté pour toucher du doigt ces
questions, et que des produits ban­
caires et financiers peuvent être
souscrits sans même franchir la
porte d’un établissement. »
L’initiative est menée dans le
cadre de la « stratégie nationale
d’éducation financière », lancée
en 2016 par Bercy et pilotée par la
Banque de France. Une première
action avait été lancée fin 2017
pédagogiques destinées aux en­
seignants du primaire et aux
professeurs de mathématiques du
collège. « Ces supports ont été télé­
chargés 10 000 fois en 2019, un
nombre en progression par rapport
à 2018, mais il y a encore beaucoup
à faire pour qu’ils gagnent en noto­
riété », note M. Béguery.
Un engouement relatif
Comment expliquer cet engoue­
ment tout relatif ? « Ces modules
traitent de sujets qui ne figurent pas
dans les programmes, qui sont déjà
très chargés, répond Pascale Mico­
leau­Marcel, de l’association La Fi­
nance pour tous, partenaire du
projet. Il y a aussi une forte réti­
cence de certains enseignants. Je me
souviens d’attaques de l’un d’entre
eux contre un kit pédagogique que
nous avions réalisé pour le pri­
maire, un des exercices visait à
montrer la différence de coût entre
achat comptant et à crédit et il nous
accusait paradoxalement d’inciter
les enfants au crédit ! »
« Il n’y a en soi pas de tabou sur
l’argent à l’école, la question est
plutôt comment on l’aborde, juge
Francette Popineau, porte­parole
du syndicat Snuipp­FSU. Là où ça
bloque, c’est quand des entreprises
utilisent l’école pour faire passer
un message, pour inciter à capita­
liser ou à emprunter, quand les
banques proposent de venir en
classe. C’est la ligne rouge. Il ne
doit pas s’agir de préparer l’enfant
à s’enrichir individuellement mais
projets collectifs. »
Or, depuis 2015, la Fédération
bancaire française organise l’opé­
ration « J’invite un banquier dans
ma classe ». Des ateliers sont orga­
nisés en CM1 et CM2 autour d’un
jeu de plateau sur les questions de
budget. « Ce n’est pas aux ban­
quiers de donner des cours de fi­
nance, il y a un métier pour cela, ça
s’appelle enseignant, s’insurge
Rodrigo Arenas, coprésident de la
Fédération des conseils de parents
d’élèves (FCPE). On ne demanderait
pas à des employés de McDo de
donner des cours de nutrition à
l’école ! Les intervenants doivent
être labellisés par le ministère. »
La Fédération bancaire française
(FBF) souligne de son côté que les
banquiers « n’entrent dans la classe
qu’à la demande de l’enseignant et
que c’est toujours celui­ci qui mène
le jeu, le banquier n’intervenant
qu’en appui. Il signe en outre une
charte l’engageant à n’évoquer
aucune banque ni aucun produit ».
Pour toucher les jeunes, une
autre initiative est à l’étude.
« Deux heures d’éducation finan­
cière devraient être intégrées au
service national universel, expéri­
menté en 2020 par 30 000 jeunes
de 15 et 16 ans sur tout le territoire.
Ce serait un pendant au passeport,
deux ans plus tard, cela permet­
trait d’entrer davantage dans les
détails », précise la Banque de
France. Action menée, cette fois,
hors école. 
A. BL.
ser dans les familles très précaires. » Il constate
aussi que certains types de rapports à l’argent se
rencontrent davantage dans certains milieux :
« Agriculteurs exploitants et artisans sont plus
concernés par le modèle de l’échange [aide­moi à
peindre les volets et je te donne 10 euros] que les
cadres et professions intellectuelles supérieures.
Ce sont dans ces milieux sociaux à fort capital cul­
turel que le modèle altruiste [l’argent de poche
sans contrepartie] est le plus prégnant, alors que
les ouvriers ou employés sont plus nombreux à
donner de l’argent contre de bons résultats scolai­
res », détaille­t­il dans une étude de 2012.
L’argent de poche peut­il aussi servir à appren­
dre la générosité à sa progéniture ? C’est ce que
pensent les spécialistes américains des finances
personnelles Dave Ramsey et Rachel Cruze. Dans
leur célèbre ouvrage Smart Money Smart Kids
(The Lampo Group Incorporated, 2014, non tra­
duit), ils recommandent aux parents de fournir à
l’enfant trois enveloppes pour qu’il puisse répar­
tir ses sous. Une pour « donner », une pour
« épargner », une pour « dépenser ». Dans cet
ordre. C’est un peu l’idée aussi du projet « Give
Nation », une appli lancée en version bêta en jan­
vier. L’objectif est de proposer aux enfants une
sorte de porte­monnaie électronique, grâce
auquel ils pourront dispatcher leur argent entre
plusieurs « racines » – jouer, épargner, investir,
donner, etc. « On peut aussi parler d’argent sous
l’angle de l’altruisme. L’argent peut permettre de
s’aider soi­même mais aussi la communauté et
d’avoir un impact positif sur la planète », martèle
Arnaud Saint­Paul, le fondateur.
Les néobanques pour ados qui ont émergé ces
derniers mois, comme Xaalys, mais également
Kard, envisagent d’ailleurs d’intégrer à leur offre
une fonctionnalité permettant de soutenir des
actions ou de faire des micro­dons, à la demande
des utilisateurs eux­mêmes. 
AURÉLIE BLONDEL
ton père n’a pas payé la pension », dit­on
facilement. Inconsciemment, ils vont
avoir tendance à comparer ce que chacun
leur donne et à associer « recevoir de l’ar­
gent » et « recevoir de l’affection ». Paral­
lèle qui peut rester ensuite. Dans les fa­
milles recomposées, certaines situations
sont terribles quand la fratrie n’est pas sur
le même plan : je me souviens d’un petit
garçon haï par ses demi­frères, car son
père était aisé et l’emmenait en vacances,
tandis que les autres, d’un autre père, res­
taient à la maison. C’est très perturbant.
Qu’apporte l’argent de poche
au regard de la construction
psychologique ?
Une des grandes particularités des en­
fants est l’impulsivité. Or, l’argent institue
une distance entre désir et objet du désir.
Gérer un budget permet de prendre
conscience qu’il faut anticiper pour s’of­
frir quelque chose. C’est très pédagogique
sur le plan psychique, pour accepter le
temps, l’attente. En outre, pour un couple
qui n’ose pas parler de ces sujets, le ques­
tionnement sur l’argent de poche est un
moment­clé. Il faudra décider d’en don­
ner ou non, combien, quand, et quel de­
gré de liberté laisser à l’enfant. L’un dira
« qu’il en fasse ce qu’il veut », l’autre insis­
tera pour qu’il épargne. Ils devront expli­
citer enfin leur rapport à l’argent, hérité
de leur propre famille. 
PROPOS RECUEILLIS PAR A. BL.
 EN VUE
·
LE MONDE ARGENT
MARDI 4 FÉVRIER 2020 |3
Des cartes de paiement spécifiques pour ados
L’offre destinée aux mineurs s’est élargie en 2019, avec trois nouveaux acteurs. Les comptes sont copilotés par les parents et les enfants

L
es jeunes Français sont­
ils des « Tanguy » bancai­
res ? C’est ce qu’insinue
une étude Exton Consul­
ting de 2016 : les trois
quarts des 16­29 ans ont gardé
l’établissement familial. « On hé­
rite encore de la banque de ses pa­
rents », déplore Scott Gordon, qui
a lancé en septembre une néo­
banque destinée aux adolescents,
Kard, partenaire du Crédit mutuel
Arkéa. La situation serait­elle tou­
tefois sur le point d’évoluer ? C’est
ce qu’espèrent cet entrepreneur,
qui revendique 50 000 clients,
mais aussi les fondateurs de deux
outils bancaires pour mineurs
– Xaalys, créé en avril 2019 en par­
tenariat avec l’Institut pour l’édu­
cation financière du public lancés
et Pixpay, lancé en novembre ac­
compagné par l’incubateur de
start­up de La Banque postale.
Ces jeunes pousses au position­
nement 100 % mobile ou presque
fournissent aux ados une Master­
card « à autorisation systémati­
que » – le compte est interrogé à
chaque opération, impossible de
dépenser plus d’argent qu’ils n’en
ont. Retraits et paiements appa­
raissent en temps réel sur le solde
du compte et il peut être alimenté
instantanément.
Quel contrôle parental ?
Parents et enfant copilotent la
carte, souvent avec leur propre
application, appelées « applis mi­
roirs ». « Le parent peut consulter
les opérations de l’enfant, définir
des plafonds de dépenses quoti­
diennes, interdire les retraits, blo­
quer certains types de paiement,
par exemple en ligne ou sans
contact, voire des secteurs, comme
l’habillement ou la restauration.
Il décide par ailleurs s’il veut être
notifié des mouvements », détaille
Diana Brondel, fondatrice de Xaa­
lys. Pixpay permet même aux pa­
rents de bloquer la carte dans des
établissements précis, par exem­
ple s’ils ne souhaitent pas que
leur ado déjeune au fast­food voi­
sin du collège… « L’idée est de pa­
ramétrer l’application selon ses
souhaits et le degré de maturité de
l’ado », indique Caroline Ménager,
directrice marketing de Pixpay.
En matière de paramétrage,
Kard, qui vise plutôt les grands
ados, a une approche différente.
« Notre discours est centré sur la
responsabilisation, se justifie
M. Gordon. Chez nous, le parent
n’a pas sa propre appli. Il a accès à
un portail Web via lequel il peut
bloquer le compte, consulter le
solde et envoyer de l’argent à l’en­
fant de façon régulière ou ponc­
tuelle, mais c’est le porteur de la
carte qui la paramètre lui­même. »
Autre différence, Xaalys et Kard
sont accessibles dès 12 ans, contre
10 ans pour Pixpay – il n’y a pas
d’âge minimal pour qu’un enfant
dispose d’une carte de paiement à
son nom, à la demande de ses pa­
rents et sous leur responsabilité.
Les tarifs varient aussi : Pixpay fac­
ture 2,99 euros par mois ; Xaalys
aussi, mais il faut prévoir 10 euros
pour l’envoi de la carte ; Kard n’af­
fiche pas de cotisation mensuelle,
mais l’envoi coûte 5,99 euros, et
les retraits 1 euro chacun au­delà
du premier du mois.
« Que les banques s’adressent aux
ados n’est pas neuf. Pour les “cap­
ter” tôt, les établissements histori­
ques proposent aux enfants de
leurs clients des cartes à petit prix,
souvent une douzaine d’euros l’an­
née, voire gratuites, parfois dès 11
ou 12 ans, parfois 15 ou 16 ans, ex­
plique Laure Prenat, directrice gé­
nérale de Panorabanques. Ce qui
change, c’est que des offres vrai­
ment pensées pour les ados appa­
raissent, avec des fonctionnalités
spécifiques. » Du côté des néoban­
ques adultes, certaines avaient
lancé leur solution, comme Nickel,
dès 2015, et Morning, en 2017, avec
là aussi des applis miroirs. Les
banques en ligne, quant à elles, ne
se sont pas ruées sur cette cible
jusqu’ici, même si Boursorama
Banque propose depuis 2018 une
offre gratuite, Kador. Un autre
lancement de néobanque, Vybe,
est annoncé pour fin février.
Un réel besoin
« Il y a un boulevard sur le marché,
seuls 15 % des ados en France dispo­
sant d’une carte de paiement »,
souligne Caroline Ménager. Le be­
soin est pourtant là, estime­t­elle,
les parents craignant que leurs en­
fants ne perdent ou ne se fassent
voler leur liquide. Sans compter
que « les espèces ne sont plus for­
cément adaptées aux achats des
jeunes », estime Marie Degrand­
Guillaud, directrice déléguée de
Nickel. « L’intérêt est aussi pédago­
gique, dit M. Gordon. Gérer son ar­
gent par le biais d’un compte est
plus efficace pour l’éducation fi­
nancière que n’importe quel quiz. »
Face aux propositions des ac­
teurs historiques et des nouveaux
venus, comment choisir la carte
de paiement la plus adaptée à
son ado ? Il faut interroger ses
besoins. Vos exigences, aussi.
L’enfant devra­t­il retirer sou­
vent au distributeur ? Souhai­
tez­vous contrôler de très près
l’usage de la carte ? Entendez­
vous fixer un plafond de dé­
penses quotidien, ou mensuel,
plus classiquement proposé ?
Peuvent­ils suffire ? Avez­vous
envie d’être notifié par SMS
quand le compte est utilisé ?
L’enfant aura­t­il besoin de dé­
poser des espèces ou des chè­
ques ? Une fonctionnalité ca­
gnotte peut­elle lui être utile ?
Puis, scrutez les détails des of­
fres. Sans vous priver de regarder
tout de même du côté des réseaux
traditionnels : certains établisse­
ments, inspirés par les aventures
néobancaires, devraient revoir
leur offre très prochainement, à
l’instar du Crédit agricole. 
A. BL.

Epargne : une tirelire

à la banque
Livrets, assurance-vie, PEL : plusieurs
solutions sont à la disposition des parents

V
otre enfant reçoit des Avec leurs taux faibles, les pla­
chèques de ses grands­ cements à capital garanti ne pro­

parents pour Noël et
ses anniversaires ? Vous
souhaitez épargner pour son
avenir ? Il reste à choisir où placer
N ’ AT T E N D E Z P L U S
tègent toutefois plus toujours de
l’inflation, qui grignote au fil du
temps la valeur réelle du capital.
« Avec un horizon de vingt ans, il

cet argent. « Commencez par défi­
nir l’objectif – première voiture,
études, etc. – et l’horizon du pla­
cement, le nombre d’années que
P O U R FA I R E
serait en outre dommage de ne
pas s’exposer au risque actions
pour aller chercher de meilleurs
rendements en investissant aussi

vous avez devant vous », conseille
Valérie Bentz, responsable du dé­
partement des études patrimonia­
les de l’Union financière de France.
LE POINT SUR
sur les marchés, par le biais des
supports en unités de comptes de
l’assurance­vie, martèle M. Calci.
D’autant qu’on peut lisser le ris­

Mais aussi le niveau de risque ac­
ceptable et le degré de contrôle
que vous souhaitez garder sur
cette épargne, et jusqu’à quand.
« Ce n’est qu’après avoir réfléchi à
tout cela que vient le choix des
produits », souligne Mme Bentz.
« Le premier réflexe est souvent
d’ouvrir un Livret A au nom de
l’enfant », note Anthony Calci,
conseiller en gestion de patri­
moine à Paris. C’est le seul livret
réglementé exonéré d’impôt et
de prélèvements sociaux accessi­
ble dès la naissance, et son pla­
fond est élevé, 20 950 euros. Le
hic : sa rémunération, 0,50 % de­
puis le 1er février, flirte désormais
avec le néant. Quels placements
non risqués font mieux ? D’abord,
le Livret Jeune. Certains établisse­
ments proposent encore des taux
autour de 2 % net. Mais il faut at­
tendre les 12 ans du mineur et le
plafond est bas (1 600 euros).
Le plan d’épargne­logement
(PEL), rémunéré pour les ouvertu­
res actuelles à 1 % brut, est une
autre option à ne pas négliger,
surtout si vous en avez ouvert un
il y a quelques années, quand les
conditions étaient plus avanta­
geuses. Enfin, pour qui refuse tout
risque, l’assurance­vie en fonds en
euros demeure incontournable
malgré l’érosion des rendements.
VOS PLACEMENTS
que, donc l’atténuer, en versant de
petites sommes chaque mois. »
« Dès la naissance »
« Quelle que soit la dose de risque
envisagée pour cette assurance­
vie, vous pouvez soit l’ouvrir à vo­
tre nom, en prévoyant plus tard
d’y piocher pour votre enfant ou AVEC LE DIAGNOSTIC GRATUIT MILLEIS,
de lui faire une donation, soit la
souscrire à son nom, dès la nais­
nos Experts vous disent si votre argent
sance », explique Mme Bentz. La se­ dort depuis trop longtemps.
conde solution permet de « pren­
dre date » : à sa majorité, l’enfant
bénéficiera des avantages fiscaux
des contrats de plus de huit ans.
« Les parents peuvent aussi retar­
der l’échéance jusqu’à 25 ans en si­
gnant un “pacte adjoint” », précise
Laurent Monet, de BNP Paribas.
En pratique, les contrats mi­
neurs sont souvent similaires ou
proches des contrats adultes.
Mais certains ont dessiné une of­
fre vraiment spécifique. « La Ban­
que postale a fait le choix de la
simplicité, avec un seul fonds en
euros et en unités de compte, une
sécurisation progressive du capital
à l’approche des 20 ans et une ga­
rantie de récupérer au moins le
capital versé, net des frais sur les
versements », détaille, par exem­
ple, Mouna Aoun, directrice des
clientèles grand public. 
A. BL.

0,50 %
C’est le taux minimal du Livret Jeune, qui ne peut être inférieur à celui du
Livret A. Il fait toutefois le grand écart entre établissements. S’il est de 0,75 %
au Crédit agricole, à la Caisse d’épargne Languedoc-Roussillon et à la Banque
Prenez rendez vous avec votre Banquier Privé.
milleis.fr

MILLEIS BANQUE - SA au capital de 55 299 999,66 euros - Siège social : 32 avenue George V - 75008 Paris - Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés
de Paris sous le n° 344 748 041.

populaire Aquitaine-Centre-Atlantique, certains accordent bien plus. Exem-

ples : 2,25 % pour la Banque populaire Méditerranée ; 2 % pour AXA Banque
et HSBC ; 1,60 % au CIC et pour nombre de fédérations du Crédit mutuel.
 DOSSIER
4| ·
LE MONDE ARGENT
MARDI 4 FÉVRIER 2020

Où placer
son épargne
en 2020 ?
Alors que les placements les plus populaires ne rapportent
presque plus rien, tour d’horizon des solutions offertes aux épargnants

E
n cette période de taux bas, mieux vaut (frais d’entrée, investissements plafonnés…) pour y
emprunter qu’épargner. Jamais les place­ accéder. Ensuite, parce que conserver son épargne sur
ments liquides, tel le Livret A, n’ont rapporté ces supports, c’est en fait la voir grignotée progressi­
aussi peu. Tout comme ceux qui assurent une vement par l’inflation, désormais supérieure à leur
sécurité, comme en témoigne l’inexorable rémunération moyenne.
baisse du rendement des fonds en euros des Reste la Bourse. Boudée par les épargnants français
contrats d’assurance­vie. La tâche est d’autant moins depuis la crise de 2008, elle a connu un formidable re­
facile pour l’épargnant en quête bond ces dernières années. Cette
de rémunération qu’il n’existe forte progression, qui est der­
aucune alternative évidente. rière nous, doit rendre prudent
Chacune d’entre elles renferme
À PLUS LONG TERME, l’épargnant qui serait tenté d’y
des pièges. PRIVILÉGIER LES ACTIONS orienter rapidement et massive­
L’investissement immobilier ment son argent. Les marchés
garde une place particulière RESTE LE MEILLEUR MOYEN sont coutumiers des brusques
dans le cœur de l’épargnant retournements.
français. C’est sans doute le pla­ DE FAIRE FRUCTIFIER A plus long terme, privilégier
cement le plus simple à appré­ les actions reste sans doute le
hender. Cependant la conjonc­
SES ÉCONOMIES meilleur moyen de faire fructi­
ture économique et fiscale le fier ses économies. On réservera
rend un peu moins intéressant. Le haut niveau des prix cependant l’investissement en direct à ceux qui ont le
dans un nombre croissant de zones affecte la rentabilité temps et le goût de gérer un portefeuille. Mieux vaut
de l’investissement locatif, tandis que la pression fiscale s’intéresser aux marchés financiers avec des fonds pilotés
s’accentue sur la pierre. Et si les SCPI (sociétés civiles de par des professionnels. Cette méthode permet de diver­
placement immobilier) ont le vent en poupe, elles ne sifier ses investissements et donc de lisser ses risques. Les
sont pas exemptes de risque. plus audacieux pourront s’intéresser au « non­coté »,
L’assurance­vie demeure le placement préféré des c’est­à­dire à des entreprises qui ne sont pas introduites
Français, mais ces derniers ne vont plus pouvoir, en Bourse. Ce type d’investissement est aujourd’hui très
comme aujourd’hui, massivement privilégier les fonds en vogue, même s’il faut toujours se méfier des effets de
en euros. D’abord parce qu’ils sont dissuadés par les mode lorsqu’il s’agit de placements. 
assureurs eux­mêmes, qui multiplient les obstacles JOËL MORIO

Les valeurs de rendement Faut-il revenir sur

en bonne position les actions « value » ?
Outre leurs belles performances en Bourse, ces sociétés offrent plus de visibilité Depuis une dizaine d’années, ces titres
dans un contexte incertain. Mais il ne faut pas se montrer trop gourmand sont tombés en disgrâce auprès des investisseurs

L A
es actions sont l’une des rares
classes d’actifs procurant encore
du rendement », résume Frédéric
Surry, responsable adjoint de
l’équipe de gestion actions de BNP Pari­
bas Asset Management. Ainsi, l’indice
Stoxx 600 affiche un rendement – c’est­
à­dire le dividende versé aux actionnai­
res rapporté au cours de Bourse – de
3,30 %. Une aubaine en comparaison du
0,05 % de l’OAT dix ans, l’emprunt d’Etat
de référence en France.
Il existe une quarantaine de fonds in­
vestis sur les valeurs européennes affi­
chant un rendement supérieur au mar­
ché, qui se trouvent le plus souvent
dans le secteur des finances, de l’éner­
gie, des services aux collectivités, ou
encore de l’immobilier. Ces produits
ont enregistré une performance de
21,96 % en 2019, d’après l’entreprise de
gestion d’actifs Morningstar, en léger
retrait par rapport à l’ensemble des
marchés européens puisque l’indice
Stoxx 600 a atteint 26,8 % l’an dernier.
« Les valeurs offrant un rendement
élevé sont traditionnellement un peu à
la traîne dans des marchés fortement
haussiers, comme c’était le cas en 2019,
car elles sont moins cycliques que la
moyenne », décrypte Florian Allain, gé­
rant de Mandarine Equity Income chez
Mandarine Gestion. En revanche, ces
titres sont bien positionnés pour
2020. « L’heure du rattrapage a sonné :
les valeurs de rendement constituent
l’un de nos principaux paris dans un
contexte de croissance modeste des bé­
néfices et de fin de la baisse des taux
d’intérêt », résume Frédéric Rollin,
conseiller en stratégie d’investisse­
ment chez Pictet Asset Management,
qui privilégie notamment les valeurs
bancaires et de la santé.
Les dividendes restent la clé
« Les valeurs de rendement offrent une
bonne visibilité et une certaine fiabilité
dans un contexte incertain. Nous re­
cherchons des sociétés dont le rende­
ment est élevé, mais aussi des titres affi­
chant une croissance du dividende »,
abonde Frédéric Surry. Son fonds, BNP
Paribas Europe Dividend, est concentré
sur une soixantaine de lignes, aux pre­
miers rangs desquelles des valeurs fi­
nancières (Zurich Insurance, AXA, Cré­
dit agricole), de l’énergie (Enel) et de la
santé (AstraZeneca, Roche). Le rende­
ment des valeurs pharmaceutiques se
situe entre 3 % et 4 %, loin des 5 % voire
plus des titres financiers et pétroliers.
Mais ce savant mélange permet, juste­
ment, d’assurer une diversification
pour limiter le risque.
« Nous cherchons
des valeurs solides
qui ne remettront
pas en cause
leur business plan »
Pierre Toussain
de Oddo BHF A.M.
Car le rendement est un critère à dou­
ble tranchant : « Il ne faut pas être trop
gourmand : les sociétés affichant un
rendement très élevé présentent une
plus forte probabilité que les autres de
réduire leur dividende l’année suivante.
Or c’est précisément ce que nous cher­
chons à éviter », résume Florian Allain.
Le gérant s’intéresse donc aux sociétés
dont le rendement peut être modéré,
mais en croissance régulière : « C’est le
cas de LVMH. Son rendement est infé­
rieur à 2 %, mais il est en augmentation
de 11 % par an depuis vingt­cinq ans »,
ajoute­t­il. Cette valeur trouve sa place
dans le portefeuille aux côtés de titres
financiers comme ING (6,5 % de rende­
ment), Natixis (8 %), ou immobilier
comme Klépierre (7 %).
De son côté, le groupe financier
Oddo BHF A.M. met aussi l’accent sur
la maîtrise du risque. « Nous recher­
chons des valeurs solides qui ne remet­
tront pas en cause leur business plan.
Le dividende doit pouvoir être main­
tenu à un niveau élevé dans la durée, y
compris en cas de ralentissement de
l’économie », confirme Pierre Toussain,
gérant de Oddo BHF Immobilier et de
Oddo BHF Valeurs Rendement. Ce der­
nier fonds s’intéresse notamment aux
financières, à l’énergie, aux services
aux collectivités et à l’immobilier.
« Les valeurs bancaires pourraient bé­
néficier à la fois d’une croissance un
peu meilleure et d’un assouplissement
de leur cadre réglementaire européen »,
ajoute­t­il. 
AGNÈS LAMBERT
u cours de la dernière décennie
boursière, les investisseurs ont
clairement favorisé les valeurs
de croissance, aussi appelées
« growth ». Ces titres disposent d’une
forte visibilité sur leur activité et d’une
belle régularité de leurs performances fi­
nancières au fil du temps. Dans le même
temps, ils ont délaissé les valeurs dites
« value », ou décotées se caractérisant par
un faible niveau de valorisation en raison
de perspectives de profit bien plus aléa­
toires. En Bourse, « la surperformance des
actions de croissance est produite soit par
la croissance de leurs bénéfices par action,
soit par la baisse des taux d’intérêt », rap­
pelle Eric Galiègue, président de Valquant
Expertyse, pour expliquer l’engouement
pour les valeurs de croissance.
Si, ces dernières années, la politique de
taux d’intérêt bas des banques centrales
a été globalement favorable à la bonne
santé des entreprises, elle a clairement
aiguillé les investisseurs vers les valeurs
de croissance, à l’image de LVMH, Airbus
ou encore Dassault Systèmes sur la place
boursière parisienne. En effet, les analys­
tes financiers utilisent des modèles de
valorisation qui, par leur construction,
impactent plus positivement le cours des
titres de croissance dans ce contexte.
Dès lors, compte tenu de la politique
monétaire accommodante menée par les
banques centrales depuis la crise finan­
cière de 2008, on comprend l’engoue­
ment des investisseurs pour les titres
« growth », qui a alimenté une bonne par­
tie de la performance des indices bour­
siers sur la période. « Les valeurs de crois­
sance ne vont pas pouvoir surperformer
éternellement, même s’il est vrai qu’elles
ont un avantage compétitif certain, dans
cet environnement de croissance faible et
de taux zéro », nuance Malik Haddouk, di­
recteur gestion diversifiée chez CPR AM.
D’ailleurs, ce dernier conseille aux in­
vestisseurs « de se reporter sur les valeurs
décotées, afin de prendre leurs distances
avec des valorisations devenues trop éle­
vées pour les valeurs de croissance ».
Les secteurs cycliques délaissés
Parmi ces entreprises sanctionnées ou
délaissées, on peut notamment citer, en
France, celles présentes sur des secteurs
cycliques comme l’automobile ou bien
des activités chamboulées par l’arrivée
de nouveaux concurrents, comme le
secteur bancaire avec les fintech. Ainsi,
rarement l’écart de valorisation entre les
entreprises « value » et « growth » n’a été
aussi important. Un sentiment que par­
tagent de plus en plus de professionnels.
« Dans le passé, les actions de type “va­
lue” ont uniquement sous­performé les
actions de croissance lors des trois pério­
des suivantes : dans les années 1930, à
l’approche de la bulle Internet de la fin
des années 1990 et au cours des dix der­
nières années », analyse Stephen Dover,
responsable des marchés actions chez
Franklin Templeton.
Selon Stephen Dover, l’écart de valorisa­
tion, qui flirte désormais avec son niveau
le plus important depuis 2000, laisse pen­
ser que la période de disgrâce des actions
« value » touche peut­être à sa fin. 
ROMAIN THOMAS

La tentation du « non-coté »
Susceptible de capter de coquettes performances, le « private equity »,
investissement alternatif, n’est pas dénué de risques
E
n matière de placements, le casse­
tête des épargnants reste entier.
Dans une conjoncture de taux
d’intérêt historiquement bas qui
s’éternise, les traditionnels produits fi­
nanciers sans risque ont perdu de leur
saveur. Beaucoup ne rapportent plus
rien, ou presque. Quant à la Bourse, elle
inquiète en raison de sa sensibilité exa­
cerbée aux événements financiers, éco­
nomiques et géopolitiques nationaux
comme mondiaux. Face à ce dilemme,
l’épargnant doit tenter de capter de la per­
formance là où elle se trouve. Or, depuis
quelques années, le « private equity » est
une classe d’actifs qui s’impose comme
une solution alternative performante.
Cela consiste à investir dans l’économie
réelle via des prises de participations
(sous formes d’actions ou d’obligations)
dans le capital de sociétés non cotées en
Bourse. Et l’éventail est plutôt large : cela
va de la start­up à l’entreprise de taille in­
termédiaire (ETI) en passant par la petite
et moyenne entreprise (PME).
Et, en matière de rendements, les résul­
tats du placement private equity font rê­
ver. « C’est la classe d’actifs qui, aujour­
d’hui, engrange les plus belles performan­
ces. Sur la base des fonds déjà débouclés,
les résultats surclassent ceux de la Bourse
et de l’immobilier. Même si les fonds en ac­
tions les moins performants – ceux lancés
au plus mauvais moment, c’est­à­dire
en 2008 – n’ont rapporté que 1,3 fois le ca­
pital investi, la plupart ont généralement
permis de multiplier celui­ci par deux à
trois fois. Certains ont même servi jusqu’à
cinq fois la mise. Les fonds non cotés im­
mobiliers ou obligataires rapportent gé­
néralement moins, avec une fourchette de
6 % à 10 % », explique Patrick Ganansia,
dirigeant fondateur d’Herez. Bien qu’en
prise directe avec la situation économi­
que d’un pays, ce placement s’avère
complètement décorrélé des marchés
financiers éruptifs et volatils.
Aujourd’hui, le moyen le plus simple
d’accéder à cet univers de placements
consiste à acheter des parts d’un fonds. De
plus en plus nombreux, ces véhicules col­
lectifs affichent leur stratégie d’investisse­
ment, collectent pendant une période
donnée, puis constituent un « panier » de
participations dans des sociétés triées sur
le volet. Grâce à cette solution de plus en
plus proposée aux clients fortunés des
banques privées et des cabinets de gestion
en patrimoine, il devient possible d’inves­
tir aux côtés d’investisseurs institution­
nels avisés. Les tickets d’entrée de ces
fonds fermés avoisinent 100 000 euros.
Perte de capital possible
Souvent conseillé à titre de diversifica­
tion, ce placement affiche trois écueils
notables. D’abord, son absence de liqui­
dité. Les titres détenus étant non cotés,
l’investisseur s’engage à les conserver
sans y toucher pendant toute la durée de
vie du fonds, souvent comprise entre sept
et dix ans. Impossible de récupérer les
sommes placées car les entreprises en ont
justement besoin pour financer leur dé­
Des spécialistes
soulignent
depuis peu
le niveau élevé
de ce marché,
un danger
pour les épargnants
veloppement programmé sur plusieurs
années. Ce n’est donc qu’au débouclage
du véhicule, soit lors de la revente pro­
gressive de toutes les participations en
portefeuille, que l’investisseur sera en
mesure de récupérer tout ou partie de sa
mise assortie d’une éventuelle plus­value.
« Il faut donc investir dans ces fonds des
sommes dont on n’a pas besoin à moyen
terme », conseille un gestionnaire de pa­
trimoine. Ensuite, le risque de perte en
capital existe. La défaillance d’une ou de
plusieurs entreprises sélectionnées ou,
pire, une mauvaise conjoncture écono­
mique, sont en mesure d’affecter, voire de
laminer la performance du portefeuille.
Enfin, le paramètre dangereux que
soulignent depuis peu certains spécia­
listes est le niveau élevé de ce marché.
« Ces dernières années, le private equity a
beaucoup augmenté, devenant désor­
mais plus cher que le marché des titres co­
tés des valeurs de petites et de moyennes
capitalisations », précise Jean­Jacques
Friedman, directeur des investissements
chez Natixis Wealth Management. De
son côté, Grégory Frapet, président du
directoire Primonial REIM, signale que
« le non­coté se paie actuellement onze à
douze fois l’EBE [excédent brut d’exploita­
tion], contre seulement huit à neuf fois
pour les titres de sociétés cotées. Un tel
écart n’a pas été relevé depuis 2007, soit à
la veille de la crise financière ».
Ce placement devrait continuer à se dé­
mocratiser avec des tickets d’entrée moins
élevés et par le biais d’enveloppes plus ac­
cessibles au grand public. D’ailleurs, une
récente disposition de la loi Pacte auto­
rise l’entrée, par des unités de compte, de
fonds de capital­investissement et de
private equity jusqu’à 50 % des encours
d’un contrat d’assurance­vie. 
LAURENCE BOCCARA
L’or continuera de briller
Après une très belle année 2019, le métal jaune
devrait, comme valeur refuge, profiter des fortes
tensions géopolitiques et des taux d’intérêt bas
T
ous les indicateurs sont au vert
pour le métal jaune. Après une
hausse de 19 % en 2019, l’or de­
vrait continuer à profiter de
l’environnement macroéconomique et
géopolitique. L’once s’est ainsi bien ins­
tallée au­dessus de 1 500 dollars, contre
1 270 dollars il y a un an. « Les conditions
sont réunies pour que l’or gagne encore
10 % à 15 % dans les prochains mois », in­
dique Christophe Moulin, responsable
des gestions multi assets de BNP Pari­
bas Asset Management. Mais l’or reste
encore loin de son record historique de
septembre 2011, à 1 921 dollars l’once. « Il
est possible que l’on retrouve ponctuelle­
ment ce niveau dans les prochains mois
en cas de fortes tensions géopolitiques.
L’once a ainsi frôlé 1 600 dollars début
janvier à l’annonce de la mort du général
iranien Soleimani », ajoute Vincent Boy,
analyste marché chez IG.
L’or joue ainsi parfaitement son rôle
de valeur refuge en cas de crise. « Il sert
de bouclier contre les incertitudes géo­
politiques mais aussi économiques »,
résume Jean­François Faure, le prési­
dent de la plate­forme d’achat et de
vente d’or en ligne AuCOFFRE.com. Il
est vrai que de l’Iran au Brexit en
passant par la guerre commerciale
entre les Etats­Unis et la Chine, les
sources de tensions sont nombreu­
ses. « Au gré des événements, on peut
observer des pics et des baisses ponc­
tuelles sur le cours de l’or. Mais la ten­
dance haussière demeure pour les pro­
chains mois car elle est portée par la
persistance d’un environnement de
taux bas », ajoute François de Lassus,
consultant pour CPoR Devises, éta­
blissement qui sous­traite l’achat, la
vente et la conservation d’or pour les
banques et leur clientèle.
Principal soutien des cours du métal
jaune, les taux d’intérêt devraient en
effet rester très faibles en 2020. Car,
La revanche
des petites valeurs ?
Moins en vue que les grandes capitalisations,
elles peuvent rester intéressantes à condition
de viser large pour diminuer les risques
L
es professionnels de la Bourse
ont généralement pour habi­
tude de faire le distinguo entre
« les petites valeurs affichant une
capitalisation boursière inférieure à
1 milliard d’euros et les valeurs phares
qui dépassent le cap des 10 milliards
d’euros », rappelle Christian Ginolhac,
président de Gaspal Gestion. Cette
classification a notamment donné
naissance à des indices boursiers spé­
cifiques, comme, en France, l’indice
CAC Mid & Small composé de 190 PME.
A la différence du CAC 40, l’indice
phare de la place parisienne, qui intè­
gre quarante des multinationales trico­
lores comme LVMH ou encore Total.
Comme on l’imagine, leur composi­
tion différente se traduit également par
des performances qui peuvent l’être
tout autant. Ainsi, « l’an dernier, comme
en 2018 du reste, les investisseurs ont pri­
vilégié les grandes capitalisations au
détriment des petites valeurs », précise
Alexandre Hezez, directeur des inves­
tissements chez Richelieu Gestion.
Des produits de gestion collective
Raison de ce désamour ? Le moindre
degré de liquidité de ces titres, c’est­à­
dire qu’il n’est pas toujours facile de
les vendre au moment où on le sou­
haite. Certains gérants de fonds d’in­
vestissement s’en seraient ainsi dé­
tournés, notamment après le mini­
krach boursier de la fin d’année 2018.
Ces titres peuvent aussi enregistrer de
brutales variations de cours suscep­
tibles de donner quelques sueurs froi­
des. Cependant, ces valeurs ne man­
quent pas d’atouts, à commencer par
DOSSIER
·
LE MONDE ARGENT
MARDI 4 FÉVRIER 2020 |5

contrairement aux obligations, l’or ne
délivre pas de rendement. Cet inconvé­
nient n’a plus vraiment d’importance
dans un marché où les taux d’intérêt
obligataires sont presque nuls, voire
négatifs. « Les banques centrales vont
rester accommodantes. Cet environne­
ment de taux d’intérêt très faibles
constitue un facteur de soutien dura­
ble des cours de l’or », juge Christophe
Moulin. Sans compter que les achats
d’or physique par les banques centra­
les se poursuivent, notamment dans
les pays cherchant à s’affranchir de la
domination du dollar, comme l’Inde,
la Chine et la Russie.
Encore plus favorable en euros
En France, la bonne tenue des cours de
l’or ces derniers mois n’a pas échappé
aux épargnants. « Le parcours de l’or est
encore plus favorable en euros qu’en
dollars : le lingot a même inscrit un nou­
veau record historique, à 45 770 euros le
8 janvier 2020 », précise François de
Lassus. Les Français en ont profité pour
revenir sur le marché, à l’achat comme
à la vente. « Certains clients ayant ache­
té lors du précédent pic de marché
en 2011­2012 ont profité de l’envolée des
cours en euros pour vendre un peu en
dégageant des bénéfices », constate
Jean­François Faure.
De son côté, CPOr Devises a enre­
gistré une hausse de son activité de
29 % en 2019, principalement sur les
lingotins et le napoléon 20 francs
(270 euros environ), la pièce de réfé­
rence sur le marché français. « Les
clients achètent de plus en plus sou­
vent plusieurs lingotins, en particulier
des 100 g, 250 g et 500 g plutôt qu’un
lingot de 1 kg. Cela leur permet de
fractionner la revente en fonction de
leurs besoins le jour venu », précise
François de Lassus. 
A. LA.
leurs bonnes performances boursiè­
res sur la durée.
« Historiquement, les petites valeurs
font mieux à long terme que les grandes
valeurs, en raison notamment d’un taux
de croissance des bénéfices bien plus im­
portant », analyse Christian Ginolhac,
qui rappelle que cela constitue un des
moteurs principaux de la performance
boursière d’un titre. Il est généralement
plus facile pour une PME en plein dé­
veloppement de faire progresser ses pro­
fits à un rythme soutenu qu’une multina­
tionale déjà bien établie sur son marché.
Cerise sur le gâteau, pour les investis­
seurs en quête de plus­values, « les petites
capitalisations constituent bien souvent
le vivier des entreprises ciblées par des
opérations de fusion­acquisition », ajou­
te­t­il. Pourtant, il est difficilement ima­
ginable d’espérer leur retour en grâce en
l’absence de flux acheteurs importants
de la part des investisseurs, ce qui ne
semble toujours pas le cas.
Néanmoins, la sous­performance re­
lative des petites valeurs par rapport à
leurs grandes sœurs pourrait inciter
ces dernières à se mettre en quête de
bonnes affaires. Toutefois, à l’heure où
les marchés boursiers évoluent sur des
plus hauts historiques, la prudence
s’impose. Investir de manière sélective
reste donc plus que jamais de mise. Il
est donc conseillé aux épargnants non
initiés qui souhaitent se positionner
sur ce type de valeurs de se tourner
vers des produits de gestion collective,
à travers des fonds spécialisés. En pa­
riant sur plusieurs dizaines de valeurs,
ils permettent de diviser le risque. 
R. TH.
 DOSSIER
6| ·
LE MONDE ARGENT
MARDI 4 FÉVRIER 2020

 

L’assurance-vie
à un tournant
Les fonds en euros sont à bout de souffle et seule
la diversification, et donc une prise de risque,
permet d’espérer des rendements positifs

L
e verdict est tombé : les fonds en Pour faire rebondir l’assurance­vie et
euros d’assurance­vie accusent tenter d’engranger des performances
encore une fois une forte baisse positives, les assureurs n’ont donc
de leurs rendements, avec des qu’un mot à la bouche : la diversifica­
taux majoritairement compris tion. En phase avec Bruno Le Maire, le
entre 1 % et 2 % en 2019, avant prélève­ ministre des finances, ils appellent les
ments sociaux et éventuels impôts. Et épargnants à sortir du compartiment
pour 2020, les assureurs ne laissent garanti pour explorer les autres voies
aucun espoir de redressement, puisque ouvertes dans l’assurance­vie, au tra­
la plupart des professionnels annoncent vers des supports dits « en unités de
déjà une poursuite de la baisse des rému­ compte », c’est­à­dire sans la garantie
nérations, à un rythme de 20 à 30 points permanente du capital investi.
par an, soit 0,2 % à 0,3 %. « Si les taux d’in­ Pour inciter les épargnants à cette bas­
térêt des obligations restent durablement cule, ils sont d’ailleurs de plus en plus en­
bas, le rendement des fonds en euros va clins à majorer les rendements des fonds
progressivement se rap­ en euros des clients ayant
procher de celui du Livret joué cette carte de la diver­
A », prédit Philippe Crevel, LES sification, grâce à des bo­
directeur du Cercle de nus qui augmentent plus
l’épargne. Soit une des­
ASSUREURS ou moins le rendement de
cente autour de 0,5 % à APPELLENT LES base du fonds en euros.
moyen terme… Chez Swiss Life, par exem­
Dans ces conditions,
ÉPARGNANTS ple, le rendement d’un
faut­il enterrer le fonds en À EXPLORER contrat investi à moins de
euros ? « Non, il n’est pas 30 % d’unités de compte général de Neuflize Vie. Cela suppose sultats remarquables, souvent au­delà de qui est en haut de cycle, se retourne.
mort », défend Olivier Sen­
D’AUTRES affiche un maigre 1 % l’an d’accepter une dose de risque à court 20 %, grâce à l’envolée des marchés bour­ Notamment si les taux d’intérêt aug­
tis, directeur général de la VOIES, AU dernier, mais, pour peu terme, mais, selon les promoteurs, ce siers. Un scénario qui a toutefois peu de mentent. » Ce sont aussi des supports
Mutuelle d’Ivry ­ La Frater­ que leur part dépasse risque peut être très faible ou nul à un chances de se reproduire en 2020, puisque très lourdement chargés en frais :
nelle (MIF), qui considère
TRAVERS DES 60 %, c’est un taux de horizon de moyen terme. « Jusqu’ici, ces les marchés ont déjà beaucoup monté. autour de 10 % de frais d’entrée dans les
qu’il représentera encore SUPPORTS DITS 2,50 % qui est accordé sur allocations prudentes ont été décevan­ Dans les contrats grand public, qui dis­ SCPI, par exemple.
« le socle sécuritaire de l’as­ le fonds garanti. D’autres tes, car avec des résultats inférieurs aux posent d’un choix de support limité et Les fonds structurés, eux, ont la parti­
surance­vie ». Un point de
« EN UNITÉS assureurs, chaque année fonds en euros, reconnaît M. de Dumast. n’offrent pas encore de gestion pilotée, ce cularité de promettre un rendement
vue partagé par de nom­ DE COMPTE » plus nombreux, ont adop­ Mais avec la baisse des rendements des sont deux autres familles de produits qui connu d’avance, à condition qu’un indice
breux professionnels, qui té une attitude plus coerci­ fonds garantis, elles offrent pour l’avenir sont mises en avant pour s’affranchir, au boursier déterminé (par exemple l’Euro
estiment que les épar­ tive, en restreignant les plus de chances de gagner plus. » moins partiellement, des fonds en euros : Stoxx 50) stagne ou progresse. Mais,
gnants les plus prudents privilégient le versements dirigés vers le fonds en les supports immobiliers et les fonds dits contrairement aux apparences, ils ne sont
maintien de la valeur de leur capital, euros. Chez Apicil Epargne, par exemple, L’impact de la conjoncture « structurés ». Les supports immobiliers, pas garantis : dès lors qu’ils promettent
quitte à sacrifier la performance. c’est au moins 50 % de l’épargne qui doit Disponibles dans des mécanismes de ges­ sous forme de SCPI (sociétés civiles de un rendement supérieur à 2 % ou 3 %, ils
être investie dans les unités de compte tion pilotée (où une société de gestion se placement immobilier) ou de SCI (socié­ peuvent faire perdre une grande partie du
Attitude coercitive pour accéder, à hauteur de 50 % ou charge de répartir et de faire évoluer tés civiles immobilières), y sont souvent capital en cas de krach boursier. Un élé­
Une sécurité qui est pourtant de plus en moins, aux fonds en euros. Un niveau ex­ l’épargne sur différents marchés finan­ présentés comme sécuritaires – bien ment qui doit conduire à les réserver aux
plus illusoire, puisque de nombreux trême, et bien supérieur aux 20 % à 30 % ciers), ces profils prudents peuvent per­ qu’ils n’offrent aucune garantie sur le ca­ investisseurs avertis, dans le cadre d’une
fonds en euros ne parviennent plus à imposés par d’autres compagnies. mettre d’espérer un rendement de 2 % à pital ou les revenus – et offrant des reva­ diversification du portefeuille d’actions,
protéger l’épargne de l’inflation (1,1 % Quoi qu’il en soit, tous les assureurs 3 % par an, en moyenne. Pour les investis­ lorisations plus attractives. Les SCPI, par et non avec une visée sécuritaire.
l’an dernier). Conséquence : ce compar­ planchent désormais sur des solutions à seurs prêts à supporter un risque supé­ exemple, ont dégagé une performance Au­delà ne reste qu’une possibilité : les
timent, qui recueille encore près de apporter aux épargnants, soit aux côtés rieur, en échange d’un potentiel de gain comprise entre 4 % et 5 % l’an dernier fonds d’actions. « Mieux vaut ne pas y en­
80 % des sommes investies en assu­ des fonds en euros, soit en remplace­ important, des gestions pilotées équili­ (avant frais de gestion de l’assurance­vie à trer maintenant de manière importante,
rance, ne permet plus toujours de main­ ment. « Il est possible de construire des brées, dynamiques ou offensives figurent hauteur de 0,5 % à 1 % par an) et sont esti­ mais privilégier des investissements ré­
tenir le pouvoir d’achat de l’épargne, allocations d’actifs, y compris très pru­ désormais dans de nombreux contrats. mées sécurisantes pour les épargnants. guliers pour limiter les risques en cas de
une fois déduits les prélèvements so­ dentes, afin d’obtenir des rendements su­ Après une année 2018 marquée par de « Pourtant, relativise M. Crevel, ces sup­ retournement », conseille Jean Berthon,
ciaux, et encore plus si l’on tient compte périeurs aux fonds en euros », estime par fréquentes baisses, parfois supérieures à ports immobiliers peuvent aussi subir de président de l’association Gaipare. 
des frais et d’éventuels impôts. exemple Arnaud de Dumast, directeur 10 %, elles ont affiché l’an dernier des ré­ fortes baisses si le marché de l’immobilier, ÉRIC LEROUX

Que vaut le tout nouveau PER ?

Plutôt destiné à des contribuables fortement imposés, le plan d’épargne-retraite issu de la loi Pacte offre plus de liberté
que les produits qu’il remplace, notamment la possibilité de récupérer le capital en une ou plusieurs fois

C
e n’est pas vraiment une nou­
velle corde à l’arc des épar­
gnants, puisque le nouveau
plan d’épargne­retraite issu de
la loi Pacte est appelé à remplacer les
actuels PERP (plan d’épargne­retraite po­
pulaire), ainsi que d’autres dispositifs
comme le Perco (plan d’épargne­retraite
collectif) ou les régimes à cotisations défi­
nies mis en place par les entreprises pour
leurs cadres – et parfois les non­cadres –,
plus connus sous le nom d’« article 83 ».
Pour autant, le PER fait souffler un vent
nouveau sur l’épargne­retraite, car, con­
trairement au PERP actuel, il ne « gèle »
pas le capital à vie. En effet, il autorise
l’épargnant à récupérer, lors de son dé­
part à la retraite, son capital en une ou
plusieurs fois, ou à opter pour la transfor­
mation en rente viagère. Il devrait donc
connaître un plus large succès que le
PERP, dont la seule issue était la rente via­
gère au terme pour 80 % au moins de
l’épargne constituée. « Les débuts sont très
prometteurs », observe Antoine Delon,
président du courtier en ligne Linxea, qui
dit avoir enregistré un volume record de
souscriptions en décembre 2019, lors du
lancement de son produit.
Le plan d’épargne­retraite n’est pas
pour autant un produit fait pour tout le
monde. S’il laisse à la sortie la liberté de
récupérer son épargne sous n’importe
quelle forme, il continue à bloquer les
sommes versées jusqu’à l’âge du départ
à la retraite. A l’inverse de l’assurance­
vie, ce n’est donc pas un produit liquide
susceptible d’être utilisé pour d’autres
besoins. Les seuls cas où l’épargne
pourra être retirée avant la retraite sont
limités : l’achat d’une résidence princi­
pale et les accidents de la vie, tels le
décès, l’invalidité, ou une fin de droit à
l’allocation­chômage.
Un atout fiscal
Aux yeux de beaucoup, son principal
atout est fiscal : les sommes versées
dans ce cadre sont déductibles des
revenus imposables, à hauteur de 10 %
des revenus de l’année précédente. En
contrepartie, les sommes récupérées à
la sortie n’échappent pas au fisc : celles
qui correspondent à des versements
défiscalisés sont imposées avec les
autres revenus du retraité, et les gains
éventuels sont soumis au prélèvement
forfaitaire unique (PFU) de 30 %, com­
posé de 12,8 % d’impôt et de 17,2 % de
prélèvements sociaux.
« C’est un produit qui s’adresse principa­
lement aux contribuables imposés dans
une tranche marginale à 30 %, estime
Marion Capèle, responsable patrimo­
niale chez Natixis Wealth Management.
Dans ce cas, l’économie d’impôt justifie le
blocage des capitaux jusqu’à la retraite. »
Et pour être vraiment gagnant sur ce
point, mieux vaut être lourdement im­
posé durant la vie active et beaucoup
moins lors de la retraite : le changement
de tranche marginale permet alors
d’économiser beaucoup d’impôts pen­ dant bien moins généreuses que celles de indolores. Nombre des premiers PER
dant la vie active, et d’en supporter l’assurance­vie, et avec un fonctionne­ assurance mis sur le marché facturent
moins lors de la retraite. ment différent, car c’est l’âge du décès qui en effet le prix fort sur les versements,
Certains assureurs mettent en avant la conditionne le mode d’imposition. jusqu’à 5 % des sommes investies, et
possibilité de ne pas déduire fiscalement souvent près de 1 % par an sur les capi­
les versements réalisés, en contrepartie Gestion pilotée taux gérés, qui s’ajoutent aux frais des
de quoi ces sommes ne seront pas im­ Si le décès intervient avant 70 ans, les supports financiers retenus.
posables lors de la sortie (à l’exception capitaux non utilisés sont transmis aux Quelle que soit la forme du plan, les
des gains financiers, toujours soumis au bénéficiaires, qui profitent chacun d’un épargnants se verront systématique­
PFU de 30 %). Autant dire que l’option abattement de 152 500 euros. En revanche, ment proposer une gestion pilotée, qui
n’est guère avantageuse, si le décès intervient après conduit à répartir l’épargne sur diffé­
puisque l’épargnant doit 70 ans – la probabilité de rents supports financiers, et donc sans
tout de même bloquer A l’inverse loin la plus forte –, seul un garantie sur le capital. Les promoteurs
son épargne pour ob­ abattement de 30 500 euros doivent proposer au moins trois profils,
tenir une exonération de l’assurance- est accordé, à partager entre plus ou moins risqués, qui devraient
partielle d’impôt qu’il vie, ce n’est tous les bénéficiaires. « De permettre de répondre à la plupart des
peut très bien décrocher plus, ajoute Mme Capèle, cet besoins. Rien n’empêche cependant les
avec l’assurance­vie, sou­ pas un produit abattement est global et doit investisseurs avertis de s’en affranchir
vent dans de plus larges liquide être partagé avec les autres et d’opter pour une gestion libre, qui
proportions. contrats d’assurance­vie. » leur permettra de constituer leur porte­
Cela dit, les personnes susceptible Ainsi, pour les personnes feuille à leur guise et de le faire évoluer
qui souhaitent se consti­ d’être utilisé qui disposent déjà de mon­ lorsqu’ils le jugent nécessaire.
tuer un capital pour la tants supérieurs aux abatte­ « Dans la mesure où l’horizon de place­
retraite dans ce cadre pour d’autres ments dans leur assurance­ ment est connu à l’avance, soit l’âge de
disposent de deux op­ besoins vie, il n’y a rien à gagner de départ à la retraite, le PER permettra de
tions, en choisissant soit plus avec le PER assurance. mener une gestion plus diversifiée et
un PER assurance, soit Le PER compte­titres, mieux adaptée, d’autant qu’il sera généra­
un PER compte­titres. A l’heure actuelle, comme son nom l’indique, prend la lement alimenté par des versements régu­
à notre connaissance, seuls les PER assu­ forme d’un compte financier où l’épar­ liers qui lissent les points d’entrée sur les
rance existent, car les professionnels les gne est investie dans des fonds d’inves­ marchés », estime Gilles Belloir, directeur
estiment plus intéressants. Ils permet­ tissement collectifs (sicav, FCP…). Il ne général de Placement­direct.fr. Il laissera
tent par exemple de bénéficier de la sécu­ propose pas de fonds en euros ni d’exo­ ainsi plus de place aux actions et répon­
rité d’un fonds en euros et d’un léger nérations successorales. Cependant, ces dra donc à l’ambition du gouvernement,
avantage successoral en cas de décès, formules pourraient s’avérer moins qui est d’orienter plus d’épargne vers
puisque des exonérations sont accordées onéreuses que celles reposant sur l’as­ l’économie dite « productive ». 
aux bénéficiaires. Celles­ci sont cepen­ surance­vie, où les frais sont loin d’être E. LX.
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CE CONTRAT PRÉSENTE UN RISQUE DE PERTE EN CAPITAL. LES PERFORMANCES PASSÉES

NE PRÉJUGENT PAS DES PERFORMANCES FUTURES ET NE SONT PAS CONSTANTES DANS LE TEMPS.

(1) Performances théoriques, annualisées puis moyennées, du mandat Equilibré, pour la période du 30/09/2009 au 30/09/2019, fournies par Generali Vie,
nettes de frais de gestion du contrat, nettes de frais propres aux supports en unités de compte, hors fiscalité et prélèvements sociaux.
Détails du calcul des performances disponibles sur www.boursorama-banque.com/assurance-vie/#brs-gp10

(2) Le contrat comporte des frais annuels de gestion précisés dans la Notice d’Information valant Conditions Générales du contrat Boursorama Vie.
Boursorama est immatriculée auprès de l’Organisme pour le Registre des Intermédiaires en Assurance sous le nº 07 022 916 en tant que courtier
en assurance. Boursorama Vie, contrat groupe d’assurance vie à adhésion individuelle et facultative libellé en euros et/ou unité de compte,
assuré par Generali Vie, entreprise régie par le code des Assurances. Le document d’information clé du contrat contient les informations essentielles
de ce contrat. Vous pouvez obtenir ce document auprès de votre courtier ou en vous rendant sur le site www.generali.fr
 DOSSIER
8| ·
LE MONDE ARGENT
MARDI 4 FÉVRIER 2020

L’immobilier
devient moins
rentable
En 2019, le nombre de transactions a battu
des records, notamment grâce aux investisseurs,
incités par des crédits peu chers. Mais la hausse des prix
risque de peser sur les taux de rentabilité en 2020
E
n 2019, les taux de crédit histori­
quement bas – moins de 1 % sur
vingt ans en septembre – ont
dopé le marché immobilier.
« Cette conjoncture financière
exceptionnelle a permis de dépasser, pour
la première fois en France, le million de
transactions », constate Philippe Taboret,
directeur général adjoint du courtier en
prêts immobiliers Cafpi. Parmi les ache­
teurs, tous les professionnels ont remar­
qué un net retour des investisseurs,
après les années 2017 et 2018 en demi­
teinte, durant lesquelles ils avaient un
peu boudé la pierre. « En 2019, plus d’une
transaction sur quatre réalisées dans no­
tre réseau l’a été au titre d’un investisse­
ment locatif », confie Laurent Vimont,
président de Century 21 France.
Revers de la médaille : si cet engoue­
ment généralisé pour la pierre a soutenu
le marché, il a aussi entraîné une nou­
velle poussée inflationniste. Désormais,
les prix ont dépassé leurs précédents
records quasiment partout en France.
Selon la Fnaim, le tarif moyen du mètre
carré était, fin 2019, de 2 700 euros, soit
une progression de 3,1 % sur un an. Un
chiffre qui cache de fortes disparités
puisque sur la même période les prix ont
augmenté de 7,3 % à Nantes, 5,7 % à Paris
et à Lyon, 4,4 % à Toulouse et 3,5 % à
Rennes, mais seulement de 1 % à Lille,
Marseille et Strasbourg.
Cette moyenne ne reflète d’ailleurs pas
tout à fait la réalité de l’investissement
locatif. « Dans notre ville, les hausses de
prix ont été nettement plus fortes pour les
petits deux­pièces bien placés, qui se
louent très facilement et que les investis­
seurs s’arrachent », constate Philippe
Descampiaux, directeur des agences Des­
campiaux­Dudicourt, à Lille. Dans les ag­
glomérations de taille plus modeste, les
progressions tarifaires ont été moindres,
Les SCPI, une bonne affaire, mais pas sans risques
Les sociétés civiles de placement immobilier ont remporté un franc succès en 2019, mais il ne faut pas sous-estimer l’instabilité du marché
L
e succès des sociétés civiles de pla­
cement immobilier (SCPI) ne se dé­
ment pas et s’est accentué en 2019.
L’Institut de l’épargne immobilière
et foncière (IEIF) estime qu’elles représen­
tent désormais une capitalisation de
64 milliards d’euros, contre seulement
18,9 milliards en 2009. Quant à la rentabi­
lité, elle est estimée à 4,35 % en 2018, soit
3,8 points de plus que la rémunération of­
ferte par le Livret A à l’heure actuelle. Cela
explique que 820 000 Français aient déjà
été séduits par ce type d’investissement.
Mais certains oublient parfois qu’acheter
une part de SCPI n’est pas un placement
purement financier et consiste à devenir
propriétaire immobilier.
Le principe est le suivant : des sociétés
de gestion collectent des fonds. Avec cette
somme, elles achètent des bureaux et des
commerces, parfois des entrepôts ou des
logements qu’elles louent ensuite. Cha­
que investisseur est propriétaire d’un
morceau de ce portefeuille et reçoit des
dividendes issus des loyers. La rentabilité
de la SCPI dépend donc de la santé du
marché immobilier et de la conjoncture
économique. En effet, il faut que les lo­
caux soient occupés par des locataires
ayant les moyens de payer le loyer, ce qui
est plus facile en période faste. En 2019, la
situation a été favorable aux investis­
seurs. Mais quid de 2020 ?
mais là aussi les investisseurs ont dopé le
marché. « L’an passé, beaucoup de clients
ont préféré acheter dans une ville à proxi­
mité de chez eux, pour assumer la gestion
locative », soutient Laurent Vimont.
Un placement sécuritaire
Parallèlement à ces hausses de prix, les
loyers n’ont pas progressé aussi vite.
Aussi, le rendement locatif brut moyen a
continué de s’effriter. Aujourd’hui, un
appartement parisien loué rapporte
quasiment moitié moins qu’il y a vingt
ans. Pire, pour les bailleurs qui raison­
nent en termes de rendement net, et non
brut, la perte est encore plus forte. Car si
depuis 2017 la fiscalité des produits fi­
nanciers s’est fortement allégée, ce n’est
pas le cas pour celle qui touche l’immo­
bilier. Aujourd’hui, il est soumis à un
impôt spécifique, l’impôt sur la fortune
immobilière (IFI). Les propriétaires
paient aussi la taxe foncière, qui grimpe,
et les loyers sont imposés avec les autres
revenus et soumis en plus aux prélève­
ments sociaux de 17,2 %. « Un investisse­
ment locatif rapporte de 7 % à 8 % brut en
moyenne dans les quartiers centraux de
notre ville, soit de 3,5 % à 4 % net une fois
tous les impôts et taxes déduits », note
Jean­Luc Lieutaud, directeur du cabinet
Lieutaud, à Marseille.
Pourtant, les investisseurs sont tou­
jours là, car si les rendements de la
pierre baissent, il en est de même pour
ceux des produits financiers. « Malgré
les hausses de prix, il y aura toujours de
l’investissement locatif dans les métropo­
les dynamiques en 2020, car la pierre rap­
porte plus que les fonds en euros des as­
surances­vie », souligne Laurent Giboire,
président du groupe Giboire, à Rennes.
En outre, la rentabilité n’est plus le seul
critère que les particuliers prennent en
compte. « L’immobilier est devenu une
Paradoxalement, le succès de la collecte
de fonds pourrait déséquilibrer certaines
sociétés de gestion. Une fois l’argent col­
lecté, elles doivent acheter des locaux et
les choix d’acquisition peuvent être
moins intéressants dans un marché très
compétitif avec, en conséquence, une
rentabilité moindre. « Une collecte trop
abondante ne joue pas en faveur des SCPI,
car cela peut avoir un effet négatif sur les
performances », confirme Jonathan Dhi­
ver, fondateur de MeilleureSCPI.com, qui
conseille les investisseurs. Même si les
taux de rentabilité sont très honorables,
les performances ont déjà eu tendance à
s’effriter ces dernières années. La rentabi­
lité était de 6,07 % en 2009, elle dépassait
encore 5 % en 2014 et elle est passée sous
la barre des 4,5 % depuis 2017. Même si les
responsables des sociétés de gestion pro­
mettent que 2020 sera une bonne année,
on ne peut que constater que la courbe
n’est pas bien orientée.
Le capital n’est pas garanti
Autre élément de fragilité : une grande
partie des acquisitions ont eu lieu en ré­
gion parisienne et surtout dans le Grand
Paris, avec un tiers des investissements
mobilisés dans ce secteur. Certaines SCPI,
comme LF Grand Paris Patrimoine ou
SCPI PF Grand Paris de Perial, se sont
d’ailleurs spécialisées dans ce domaine.
« IL Y AURA
TOUJOURS DE
L’INVESTISSEMENT
LOCATIF DANS LES
MÉTROPOLES
DYNAMIQUES
EN 2020, CAR LA
PIERRE RAPPORTE
PLUS QUE LES FONDS
EN EUROS DES
ASSURANCES-VIE »
Laurent Giboire
président du groupe Giboire
Les SCPI parient donc sur la réussite du
Grand Paris. Si le projet prend du retard,
notamment la construction des trans­
ports en commun, les résultats ne seront
sans doute pas à la hauteur des attentes
des investisseurs. « La SCPI, comme tout
placement dans l’immobilier, doit être en­
visagée sur le long terme, il faut savoir at­
tendre pour recueillir les fruits de l’investis­
sement », estime Eric Cosserat, directeur
général de Perial Asset Management.
Les types d’immeubles achetés consti­
tuent également une fragilité. Les bu­
reaux ont concentré la très grande par­
tie de la collecte de 2019 – 3,9 milliards
d’euros, les commerces 1 milliard, les hô­
tels 300 millions, les Ehpad 200 millions.
« Les SCPI évitent les logements, dont la
gestion est parfois plus complexe, et se
concentrent plutôt sur l’immobilier ter­
tiaire, plus rentable », précise David Seksig,
directeur général de Novaxia Investisse­
ment. Mais investir dans les bureaux
comporte des inconvénients : ils doivent
être très bien entretenus et régulièrement
modernisés pour fidéliser le locataire.
Enfin, les investisseurs courent le ris­
que d’un retournement du marché im­
mobilier. Dans ce cas, les vendeurs de
parts de SCPI seraient beaucoup plus
nombreux à vouloir vendre à des ache­
teurs inexistants. Les parts seraient
alors cédées au rabais. Le conseiller fi­
sorte de lingot d’or : il représente un in­
vestissement sécuritaire, qui permet de
s’assurer des revenus à la retraite ou un
capital en cas de revente », affirme Lau­
rent Vimont. Tant que les taux de crédit
restent bas, l’écart entre le loyer reçu et
la mensualité à rembourser demeure
faible. « Cela permet donc à beaucoup
d’investisseurs, notamment des jeunes
trentenaires, de devenir propriétaires,
avec un moindre effort d’épargne à réali­
ser tous les mois », analyse Jean­Luc Lieu­
taud.
Point noir toutefois : fin 2019, un rap­
port critique du Haut Conseil de stabilité
financière a souligné le poids trop im­
portant de l’endettement dans le budget
des ménages. Il a incité les banques à
restreindre l’accès au crédit, conseil réi­
téré par le gouverneur de la Banque de
France à la mi­janvier. Pour le moment,
les établissements financiers jouent le
nancier ou le conseiller en gestion de pa­
trimoine qui commercialise les SCPI doit
d’ailleurs indiquer clairement que le ca­
pital n’est pas garanti, que les dividendes
peuvent varier à la hausse comme à la
baisse, et que la liquidité, même si elle
est organisée, peut être limitée. Des in­
vestissements dans des SCPI ne peuvent
donc remplacer des placements sur des
fonds en euros parfaitement garantis ou
des livrets de Caisse d’épargne.
Quelques précautions à prendre
« Néanmoins, les SCPI sont une façon
d’obtenir des rendements un peu plus dy­
namiques et cela peut être intéressant, à
condition de ne pas y consacrer l’intégra­
lité de son patrimoine. Entre 10 % et 20 %
semble être une bonne proportion », pro­
pose Frédéric Puzin, président de Corum
Asset Management. Il faut également
bien choisir sa SCPI. Cela implique de se
renseigner sur le portefeuille immobi­
lier, notamment en regardant les adres­
ses des biens. Les sites Internet de la
SCPI, les brochures d’information an­
nuelles ou trimestrielles sont également
à consulter, afin d’en savoir plus sur le
type de biens que ses statuts lui permet­
tent d’acquérir. Se renseigner sur les
locataires, notamment pour les grands
immeubles de bureaux, est aussi intéres­
sant. Une grande entreprise ou un insti­
jeu, puisque le taux de crédit moyen est
remonté à 1,2 % sur vingt ans, et il est
désormais compliqué d’emprunter sur
des durées plus longues ou de se finan­
cer sans apport.
Mais cette nouvelle donne va surtout
peser sur les dossiers de crédit des em­
prunteurs précaires (primo­accédants,
CDD, intérimaires…). « Elle aura assez peu
d’impact sur l’immobilier locatif, car les
investisseurs ont plutôt un bon profil et
intéressent les banques, qui vont donc
continuer à leur prêter », assure Philippe
Descampiaux. L’an prochain, les particu­
liers vont donc continuer d’investir dans
la pierre, notamment dans les grandes
métropoles. Du fait de cette forte de­
mande, toujours supérieure à l’offre, les
hausses de prix devraient donc perdurer,
mais à un rythme moindre, de l’ordre de
2 % à 4 % selon les villes. 
MARIE PELLEFIGUE
tutionnel comme une banque, une com­
pagnie d’assurances sont évidemment
rassurants, surtout quand le bail restant
à courir est encore long.
Avant d’acheter des parts, il faut penser
à inclure dans le calcul les divers frais
prélevés. Les frais d’entrée ou de sous­
cription, qui servent à couvrir l’enregis­
trement et à rémunérer l’intermédiaire
qui vous a vendu la SCPI, se situent aux
alentours de 10 % à 12 % du montant in­
vesti. Un seuil déjà très élevé à ne pas dé­
passer ! Ensuite, les frais de gestion, qui
rémunèrent la société de gestion, doi­
vent être pris en compte. Ils représentent
de 9 % à 14 % des loyers annuels. Cons­
cient de ce frein à l’investissement, No­
vaxia a lancé une SCPI baptisée Neo, sans
frais d’entrée.
Mais attention, en cas de retrait avant
cinq ans, des frais d’entrée de 6 % sont
alors appliqués et les frais de gestion
sont assez élevés, pour atteindre 15 % en­
viron. « Une solution pour éviter ces frais
d’entrée est d’inclure des SCPI dans un
contrat d’assurance­vie. Cela permet éga­
lement d’assurer la liquidité en cas de re­
vente », conseille Philippe Le Chevalier,
conseiller en gestion de patrimoine. En­
fin, il faut demander la date de création
de la SCPI, car une création récente aug­
mente les risques. 
NATHALIE COULAUD
 DOSSIER
·
LE MONDE ARGENT
MARDI 4 FÉVRIER 2020 |9
Le Denormandie est-il intéressant ?
Destiné aux investisseurs qui souhaitent rénover un logement ancien
en bénéficiant d’avantages fiscaux, le dispositif cherche encore son public

L
e dispositif Denormandie
va­t­il enfin démarrer ?
« Tout est fait dans ce sens et
la loi de finances pour 2020
élargit les possibilités offertes aux
investisseurs », martèle le minis­
tère du logement. Son but est de
rénover des logements vétustes
dans des villes moyennes en
perte d’attractivité pour y rame­
ner des habitants. L’investisseur
bénéficie d’avantages fiscaux non
négligeables calqués sur le régime
Pinel prévu pour le logement
neuf. Le Denormandie permet
ainsi à un investisseur qui rénove
un logement ancien de profiter
d’une réduction d’impôts de 12 %
s’il le loue pendant six ans, de
18 % pendant neuf ans et de 21 %
pour douze ans.
Cette réduction peut atteindre
63 000 euros pour un investisse­
ment de 300 000 euros maxi­
mum. De plus, les travaux doivent
représenter au moins 25 % de
l’opération immobilière – prix
d’achat et montant des travaux.
Pour un achat à 150 000 euros, la
rénovation doit atteindre au mini­
mum 50 000 euros.
L’investissement ne peut pas
être réalisé n’importe où et doit
se situer dans l’une des 245 villes
du programme « Action cœur de
ville » ou ayant signé une opéra­
tion de revitalisation du terri­
toire. Depuis la loi de finances
pour 2020, l’ensemble du périmè­
tre de la ville est désormais éligi­
ble et pas seulement le centre­
ville. Une condition a cependant
été posée : il doit s’agir d’une
« zone de bâti continu », c’est­à­
dire sans coupure de plus de
200 mètres entre deux bâti­
ments. « Impossible de rénover un
ancien bâtiment de ferme à l’écart,
même s’il est situé sur le territoire
de la commune », précise Loïc
Guinchard, directeur commercial
chez Buildinvest Patrimoine, qui
réalise des opérations Denor­
mandie. La liste des travaux pos­
sibles a également été élargie :
sont désormais comprises les ex­
tensions d’un bâtiment, comme
l’ajout d’une pièce par exemple,
l’isolation de la toiture, des murs
donnant sur l’extérieur, des fenê­
tres et aussi des changements de
systèmes de production d’eau
chaude et de chauffage.
Beaucoup de contraintes
En dépit de ces changements et
des avantages fiscaux non négli­
geables, les conseillers en gestion
de patrimoine hésitent à
conseiller ce dispositif à leurs
clients. « Le Denormandie appa­
raît comme complexe et manque
de visibilité, même si le principe est
intéressant », explique Benjamin
Prod’homme, directeur associé
d’Inter Invest Immobilier. Les
contraintes font également hési­
ter les investisseurs : outre le
montant des travaux qui peut
sembler lourd, la location du
logement rénové est ensuite très
réglementée, avec des loyers pla­
fonnés en fonction de la zone
dans laquelle il est situé, et des
conditions de ressources pour les
locataires selon les mêmes règles
que celles du Pinel.
Autre frein : le Denormandie
comprend des villes moyennes
aussi diverses que Vannes, Beau­
vais, Bayonne, Pau ou Perpignan.
Y investir implique de bien les
connaître et d’être certain de la
demande locative. La filière, qui
pourrait aider les investisseurs à
surmonter ces obstacles, n’est pas
encore en place alors qu’il est pos­
sible de s’adresser facilement à un
promoteur immobilier ou même
à son conseiller financier dans le
cas du Pinel. Pour autant, « on sent
un frémissement de la part du pu­
blic dans certaines villes comme à
Limoges, où des projets commen­
cent à se monter », estime Loïc
Guinchard. L’année 2020 permet­
tra de vérifier s’il se confirme. 
NATHALIE COULAUD

Le filon
de la colocation
meublée
Si elle permet de bons rendements locatifs,
la solution présente des inconvénients

E
n matière d’investisse­
ment immobilier locatif, la
formule en vogue est la co­
location meublée. Cumu­
ler ces deux particularités permet
à un propriétaire bailleur de jouer
sur deux tableaux : optimiser le
rendement et limiter la fiscalité
des revenus locatifs.
D’une part, un logement par­
tagé permet de fractionner le
loyer entre plusieurs locataires :
chaque occupant paie sa quote­
part. Avec ce scénario, surtout réa­
lisable avec des trois­pièces et
plus, la colocation est susceptible
de rapporter de 10 % à 15 % de plus
qu’avec un locataire unique (cou­
ple, famille…). « Les rendements
locatifs annuels peuvent ainsi at­
teindre entre 6 % et 8 % », affirme
Serge Harroch, fondateur et asso­
cié d’Euclide Financement.
Autre atout de la colocation :
c’est une bonne parade pour se
protéger des impayés de loyer et
de la vacance locative. Si une
chambre n’est pas louée quelques
mois ou semaines, les autres oc­
cupants continuent de payer leur
part du loyer. Reste que seuls les
biens situés dans un marché loca­
tif tendu où se loger coûte cher
sont adaptés à ce type d’habitat
citadin. La proximité ou la facilité
d’accès d’une faculté ou d’une
école constituent des éléments
positifs susceptibles d’assurer,
sur la durée, un flot régulier de
candidats locataires.
D’autre part, il s’agit d’opter
pour de la location meublée non
professionnelle. Il faut donc
proposer un logement prêt à vi­
vre. Le décret du 31 juillet 2015
dresse une liste de onze équipe­
ments obligatoires. Toutefois,
pour disposer d’un logement se
démarquant de la concurrence,
mieux vaut proposer bien plus
que ce minimum requis et jouer
la carte du confort, du bien­être
et des prestations de qualité.
L’atout de ce régime locatif per­
met de limiter la pression fis­
cale : le contribuable passe du
régime d’imposition sur les
revenus fonciers à celui des bé­
néfices industriels et commer­
ciaux. Grâce à une mécanique
d’amortissement du bien, des
meubles et des charges sur une
période de vingt à vingt­cinq ans,
c’est un moyen efficace de perce­
voir des revenus locatifs peu ou
pas fiscalisés.
Limiter la pression fiscale
Depuis quelques années, des so­
ciétés (Colocatère, MyRoom…)
proposent aux particuliers des
opérations sur mesure et « clés en
main ». Leurs prestations vont de
la recherche d’une maison ou
d’un appartement à la gestion lo­
cative, en passant par la réalisa­
tion de travaux destinés à rendre
les lieux adaptés à la vie en colo­
cation (espaces privatifs et collec­
tifs) et à la mise en location.
Si attractive soit­elle, la coloca­
tion s’avère « complexe à tenir sur
la durée, car il faut maîtriser en
permanence certaines variables »,
reconnaît Jerôme Rusak, prési­
dent, associé fondateur de L&A
Finance. Ainsi, dans une coloca­
tion, le turnover des locataires
est réputé élevé, ce qui nécessite
de se charger sans délai de leur
remplacement. De plus, un lieu
occupé par plusieurs personnes
a tendance à se dégrader plus
vite. « Il faudra veiller en perma­
nence à l’état général de l’habita­
tion et au bon fonctionnement
des équipements », ajoute Benja­
min Spivac, ingénieur patrimo­
nial chez Amplegest. 
LAURENCE BOCCARA
 DÉPENSER
10 | ·
LE MONDE ARGENT
MARDI 4 FÉVRIER 2020

Le retour en grâce des Français

/ ART / Derrière les premiers de cordée encensés par le marché, bien d’autres noms des années 1950-1960 méritent d’être redécouverts

M
ade in France. Ce slogan de l’abstraction lyrique avant de glisser
cocardier, adopté par les vers un style plus épuré. « Il s’est toujours
consommateurs pour des remis en question, a beaucoup évolué et
raisons éthiques ou prati­ son œuvre est plus variée que celle de Ma­
ques, a longtemps paru dé­ thieu ou Soulages », observe Pierre­Henri
placé dans un monde de l’art réfractaire Benhamou, codirecteur de la galerie pari­
aux frontières. Voilà encore dix ans, il sienne ETC, qui présentera en mars sa sé­
était déconseillé d’acheter les artistes rie des Reports dans une gamme située
français des années 1950­1960. Trop rin­ entre 30 000 et 250 000 euros. Sur la foire
gards, trop peu connus à l’étranger. De­ Galeristes, en 2019, cette enseigne présen­
puis cinq ans, toutefois, un travail de relec­ tait ses dessins autour de 12 000 euros. « Il
ture a permis d’en revaloriser quelques­ y a tous les ingrédients pour que les prix de
uns – Martin Barré, Hans Hartung ou Degottex continuent de progresser : une
Pierre Soulages –, et les masse critique, des
prix de leurs œuvres œuvres d’envergure,
ont fortement grimpé. « IL VAUT MIEUX des séries très distinctes
Moins empêtrées dans et une esthétique qui
d’anciens débats idéo­ S’INTÉRESSER colle au goût du jour,
logico­esthétiques, de AUX ARTISTES expressive mais dans
plus jeunes galeries un minimalisme noir
considèrent avec curio­ AVEC UN VOLUME et blanc, observe Paul
sité ces décennies. D’ŒUVRES Nyzam, spécialiste
« Dès qu’on lit les inten­ chez Christie’s. Devant Etude pour « Effet esthétique de l’inversion des fonc­ « Carrés concentriques », 1958, de Vera Molnar.
tions et méthodologies DISPONIBLES une de ses toiles, on tions par la fluctuation de l’attention », 1960, de COURTESY GALERIE ONIRIS - RENNES
propres à chaque ar­ SUFFISANT » n’est pas projeté dans le Vera Molnar. COURTESY GALERIE ONIRIS - RENNES
tiste, ça devient très in­ salon de nos grands­
téressant, remarque le Franck Prazan parents, mais dans un
galeriste Jocelyn Wolff. marchand d’art esprit contemporain. » Galerie de France, la Hongroise Judit Reigl une pensée du néant qu’elle cherche dans années 1960 », explique Florent Paumelle,
Nous avons certaine­ Son prix record de fut longtemps dans l’ombre de son com­ la Chine antique. » Son confrère Bertrand directeur de la galerie rennaise Oniris, qui
ment à apprendre de 245 000 euros remonte patriote Simon Hantaï. Voilà encore Grimont s’est, de son côté, passionné présente les dessins de cette période entre
cet art existentialiste de crise, de ces artis­ à 2007. Mais pour Stefano Moreni, vice­ quinze ans, ses prix plafonnaient autour pour les peintures abstraites de Geneviève 13 000 et 20 000 euros.
tes qui prennent en charge la négativité. » président de Sotheby’s France, « très sou­ de 20 000 euros. Depuis cinq ans, un revi­ Claisse, composées de cercles et de trian­ Un dernier conseil : s’intéresser à la pro­
Derrière les premiers de cordée encen­ vent, pour faire bouger un marché, il faut val est en cours avec, en 2016, un prix gles aux couleurs vives, qu’il présente duction graphique, abondante mais en­
sés par le marché, d’autres noms méri­ qu’une œuvre majeure sorte, ce qui permet record de 411 000 euros chez Sotheby’s entre 5 000 et 80 000 euros. De son côté, core négligée, des artistes les plus célè­
tent d’être redécouverts. « 350 artistes aux collectionneurs de prendre conscience pour une œuvre de 1955. Diane Lahumière, dont la galerie est spé­ bres des années 1950. On trouve de beaux
vivaient dans ces années­là de leur pein­ de l’importance d’un artiste ». C’est chose cialisée dans l’abstraction géométrique, buvards de Jean Fautrier de 5 000 à
ture à Paris, mais, pour la grande majo­ faite : en décembre 2018, deux œuvres ont Colette Brunschwig, Vera Molnar… défend le travail subtil de Marcelle Cahn. 10 000 euros et des fusains de Nicolas de
rité, le train est passé, admet le marchand décroché plus de 130 000 euros aussi bien Jocelyn Wolff s’est, lui, attaché au travail Autre figure à redécouvrir, Vera Molnar, Staël de 20 000 à 40 000 euros. « La diffé­
parisien Franck Prazan. Il faut s’intéresser chez Christie’s que chez Artcurial. de Colette Brunschwig, dont il propose 96 ans, pionnière de l’art digital, dont le rence de prix entre leurs dessins et leurs
aux artistes qui ont eu un succès par le Le regard devrait surtout se porter sur les œuvres entre 2 000 et 40 000 euros. travail rigoureux mais sensible com­ peintures est parfois de 1 à 10, remarque
passé, et pour lesquels le volume d’œuvres les femmes des années 1950, marginali­ « C’est le prototype de l’artiste­intellectuelle mence à être célébré par les musées. « Ses Franck Prazan. Il vaut mieux acheter un
disponibles est suffisant. » sées par leurs confrères, et auxquelles le qui peint, dessine, écrit et pense, explique­ œuvres des années 1950 sont recherchées, très beau dessin des bonnes années qu’une
C’est le cas de Jean Degottex, qui fut, Musée Soulages, à Rodez, rend hommage t­il. Son travail fait le lien entre une méta­ car elles posent les bases intellectuelles de peinture tardive de qualité moyenne. » 
avec Georges Mathieu, l’un des chefs de fil jusqu’au 10 mai. Bien que défendue par la physique juive, l’abstraction moderne et sa démarche avec l’ordinateur à la fin des ROXANA AZIMI

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