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Du MEME AUTEUR Dix ANNES DV ANALYSES TENTUELLES DE FASB c BLIOGRAPIE ANALYTIOUE, Price de C. METZ. Numéro spécial de la revue Linguistique et Sémiologie, n° xe ‘sité de Lyon I, janvier 1977. ame eee JEANNEDARC A L'BCOLE, Essa ENIOTIQUE, Klincksieck, collection Semiosis, 1980, ‘Cuygasas Er RéALrTE (en collaboration avee J-Ch. LYANT 7 nena ais (ec ), CIEREC, Université de Saint- TELEVIsIONSAAUTATIONS (en collaboration avec F, CASEITH ae F, CASerTD, Communications, Sexi ‘Cove Br PRODUCTION DE SENS, és : collection Cinéma et Audiovisuel, A. Cain, 1990, SOUS LA DIRECTION DE ROGER ODIN Professeur de Sciences de l'information et de la communication ‘aT'Universté de Ia Sorbonne Nouvelle (Paris 11) le film de famille usage privé, usage public Cet ownage a éié réalisé dans le cadre du FRescau europden de recherche sur le cinéma et Paudivituelgrice 2 une subvention de Minisiore de VEnseignement Supérieur et de 1a Recherche (contrat n°92V0831). MERIDIENS KLINCKSIECK “DANGER PHOTOCOPILLAGE ‘ott, a que rel sot pation do pen TUELELIVRE Si vous soubaitez étretenu au courant de la publication de nos ouvrages, il Vous sufit d’en faire la demande aux Editions Méridiens Klincksieck/ Armand Colin, 5, rue Laromiguitre, 75241 Paris Cedex 5, raphie de Mare Feri (©) apts une vidéo faa ‘Tous droits de traduction, d'adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. Toute reproduction ou représentation intégrale ou partell {que ce soit, des pages publiges dans le préseat ouvrage, fate sans 'autorisation de Féditer est illite etconstitue une contrefagon. Seules sont autorisées une par, les reproductions strictement réservées & usage privé du copiste et non destinées A une utilisation collective, et d'autre part, les courtes citations justifies par le ‘caratére scientifique ou d'information de I'euvre dans laquelle elles sont incorpo: 60s (art. L. 122-4, L. 122-5 et L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle), © Librairie des Méridiens Klincksieck et Cie, 1995 ISBN : 2-86563-326-8, INTRODUCTION (On peut & bon droit s’étonner de absence quasi totale d’intérét mani- festé par les chercheurs en cinéma pour le film et Ia vidéo de famille; absent des dictionnaires ou des encyclopédies', absent des histoires du ‘cinéma? ainsi que de la théorie du cinéma, le film de famille est véritable- ment I'oublié de ce grand mouvement de réflexion sur le cinéma qui s'est ‘développé depuis les années soixante. On peut certes trouver & ce silence ‘quelques raisons. La premire est la domination incontestable, dans I'imaginaire social, du film de fiction. Pour I'immense majorité des gens, le seul cinéma qui compte, le cinéma «tout court», ¢"est le film de fiction; C. Metz Ie notait aga «La formule de base qui n'a jamais changé, c'est celle qui consiste & appeler “film” une grande unité qui nous conte une histoire et “aller au cinéma’, c'est aller voir cette histoire.»* Dans ces conditions, il n'est pas surprenant que les chercheurs se soient intéressés en priorité & ce type de productions. L’emprise du cinéma de fiction ne suffit cependant pas & expliquer Pindifférence a 1’égard du film de famille; le film industriel, le film péda~ gogique, le film expérimental et méme le film pornographique, pour ne citer que quelques exemples, ont donné lieu a de multiples travaux. C'est que le film de famille ne bénéficie d'aucun des éléments de considération ‘ i i ; i 5 i a 13, Jean-Pierre Esquenazi L'EFFET «FILM DE FAMILLE» institution et son objet Liinstitution du film de famille Dans son livre sur Foucault, Deleuze écrit: «Foucault remarque qu'une institution a nécessairement deux péles ou deux éléments : des “éléments” et des “régles". Elle organise en effet de grandes visibilités, des champs de visibilités et de grandes énongabilités, des régime d’énoncés,»! En ce sens, ily a une institution du film de famille : celle-ci détermine, d'abord, des liewx od des objets nommeés «films de famille» Peuvent étre vus. Ces lieux sont les salons familiaux, Ensuite, cette insti- tution est caractérisée par un type de jeu de langage au sujet de ces objets les spectateurs de ces films admettent y reconnafire un événement qui les conceme directement. Ils ne parlent de ces films que sur le mode de attendrissement, ou de I’émotion, ou du souvenir, Ils sont insensibles & la présentation que le film fait de cet événement. D'oi existence d'un discours second, qui parle des films de famille des autres et qui insiste sur 208 LE FILM DE FAMILLE -actére négligg, indifférent & tout effet discursif. On admet aisément ae ses films, tout possible» dans un film de famille, De ce point de vue, purement discursif, De Vimpossibilité de caractériser le « film de famille » Estce qu de essence une inition ds i de Faille on peu indure Fedtence uy gene bets epecique? Les ns qu sont sae intttonacient fms defile» nts des earactis- aaa praphgues popes? Comment eu «fin de fale» ee aplqade” Appton cee question A, et tiguons une premiere "ton iremie im auctions sa procton “Un Am et un “im de famille, quand Hl «€ rlisé dans le exc ami bien nen fae et anton deer ai Turd parce que cera auteurs dont ls fins mont jamais Contre comme des flng defame, ot toujours revenue ces eens de preuion familikes comme ies sels acepables pour ae Sepense’ per exemple, Fassbinder ov Cassavetes. Ensuite pce Gul fase Pima ds sation gal endem cquvoque ce etre Sih eure par Hier avec Eva Braun dans fee pnp sera (eu ne sot qu) un fim de fanlen? Dene qo auour hi nous tions ps ees de Ka lens come ee coeponens ethan aene ft iat eer Tes Fatencock, tums en 1917 pat le Jin Ad umm? On vot bien que Ia nar de a «famille en sion et asec Pappicaton dena entre de faite eats tourné dans des contons non protesioneles iG Shoues ses arangen pes, Ons imagine ce qu'on Godard pour die SFontel cere Te potectomntisme cx aie de normes flats, qu sc modifen rapidement et radesement Tentons al de dfn fn defame pa som conten > 2) Un fm ext on fim de fale quand il monte ds évéoements tunis» Cs ote lu seul ext laement insane Ta premioe eneias neck La pote nn aur ost un LEFFET «FILM DE FAMILLE» 209 scéne du Parrain® constituerait alors un film de famille. On voit que ‘méme la combinaison des crit@res de produetion et de contenu donnerait des résultats ambigus. Des films comme Nanouk l'esquimaw?, ou comme Love stream’, restent difficiles 2 apprécier. Nous pouvons cependant préciser notre critére en éliminant les films qui se donnent comme des fictions : de ce point de vue, «un film serait un film de famille quand il ‘montre des événements familiaux vrais». Il suffirait alors de poster une caméra devant la table d'un repas familial pour obtenir un «film de famille». A nouveau des difficultés apparaissent : d’abord que veut dire vérité? Les comédiens du Parrain peuvent prétendre, & juste titre, qu'ils ont effectivement mangé pendant le tournage du repas. Lé probléme est de déterminer qui décide de la vérité éventuelle des éyénements en question. Par ailleurs, il semble difficile d’admettre qu’un «film de famille» puisse se manifester sous la banniére de n’importe quel genre filmique. Les exemples que nous avons choisis peuvent induire l'idée que I'uti- lisation d'un critére esthétique permettrait de résoudre le probleme 3) «Un film de famille serait un film notoirement mal fait, qui ne pourrait en aucun cas étre redevable dun jugement esthétique.» Et Cassa- Vetes est, comme on sai, un artiste; il serait donc impossible de confondre ses films avec ceux d'un vulgaire pére de famille. Mais quand un artiste le devient-il? Est-ce qu'un film de Cassavetes toumé & lage de dix ans est gj une , ni la «laideur» d'un film qui peuvent déterminer ce jugement. Toutefois, ces différents crittres, suggérés par l'intuition ordinaire de ce qu’est un film de famille, ne doivent pas étre définitivement abandonnés, Nous les retrouverons un pet plus loin, comme des caractérisations secondaires du «film de famille» Din jeu de langage a Vautre 1 semble done impossible de caractériser certains films comme des films de famille, propres & 'institution du film de famille, comme nous 210 LE FILM DE FAMILLE aera any dene ewenctou concept da de fail en sk SL nous devonsrenncer A carrer certains Sms comme des fittest niguement come des ims defile nots sommes ee ria aioeto ot ea ocala pe do elalons cae un fin re Tavera pet une vison farted film, savoir ete 2 re raoled'e concer directement pate im, Ex nous impetion scan 4 quella) condion() consroant 1) ce flim; Serer Sem potion cn Si pout recy done evison font : Tai easy do rSpondee, nots oy avec cette nouvelle question (queda td sere jute langage ence A Fnstatlon in ett arc cee inition presippore une eponce postive Als Gheion A :Tigtttion cot sev de qi ms ele pare ot de quee Sea pls poe ar aquest B no pecoppoms pl va env sere dak on eat de q's som des fs de oil agit cepa easemble ds fms, eee sie un type de relation 1) dont fa Saisie condons, 2) equi fautenss easter La je de image obs ste la question B peut ue nommé «thtore ctnmitloslonaale du dimw’ ode qui veut doe tenie comple Foto pois pr es lns sr ds specturs dona Conditions de la vision «familiale» d’un film La réception Nous cherchons maintenant & donner des réponses & 1a question B : et nous chercherons cette réponse dans le cadre dune théorie communica tionnelle du film. Nous pouvons, dans ce cadre, utiliser les concepts par lesquels Hans Robert Jauss traite de l'ceuvre littéraire, L’auteur de Pour tune esthétique de la réception distingue l'effet d'une aeuvre de sa r6 tion: «L'une — effet — est déterminée par le texte, et l'autre — la réception — par le destinataire.»* Distinguant avec Jauss effet de la réception, nous distinguons deux types de conditions nécessaires & la production d'une vision familiale. Le premier renvoie au film, au type effets que celui-ci peut produire. Le second intéresse la réception. Insis- tons sur le fait quills sont tous deux nécessaires. Un film peut ainsi produire ou non cette Iecture suivant la réception & laquelle il est soumis imaginons Isabella Rossellini qui regarde Stromboli®, Regarde-t-elle sa mére filmée par son pere, ou ’histoire d'une femme déplacée? ‘evenimenincrtec, La poco non ert etn it LBFFET «FILM DE FAMILLE» au Considérons d’abord les conditions renvoyant a la réception du film elles renvoient au positionnement du spectateur vis-2-vis du film, Dans la vision familiale, le spectateur se trouve interpellé directement pat le film, qui s'adresse & lui comme & un particulier. La vision «familiale» d'un film ne se produit donc que pour un ensemble fini de spectateurs : tous ceux qui, & des titres divers, ont des relations d'intimités avec une personne ou un fait impliqués par le film. La caractéristique de cet ensemble est que chacun de ses éléments est concerné physiquement par le film: le discours du film, entendu en tant que «film de famille», s'adresse ses spectateurs comme des particuliers, et il ne devient compréhensible que pour un élément de cet ensemble de spectateurs inter- pellés physiquement. En effet, les significations produites par la projection d'un «film de famille» sont soumises Ia condition générale d'«intériorité» que Habermas formule ainsi dans le premier tome de la Théorie de Vagir communicationnel «Les signficaions, qu'elle soient incorporées dans des actions, es institutions, des produits du travail, des mots, des contextes de coopération ou des documents, ne peuvent s‘ouvre que de 'intrieur.»? Le discours du film, interprété comme discours familial, n'est acces- sible qu'aux membres de la famille Le film Mais pour qu'une telle réception soit possible, c'est-A-dire pour qu'une réception actualise un effet «film de famille» dont le film serait porteur, quelle propriété doit contenir ce film? Dans son essai Les individus, Strawson cherche notamment & caracté- riser la référence comme acte, et 4 différencier deux sortes de références Ia référence aux termes particuliers et la référence aux termes tniversaux. Ces deux catégoties de termes s’opposent par le style de leur introduction dans le langage : les premiers sont introduits dans un style nominal, les seconds dans un style assert (grossirement dit, les premiers s"opposent aux seconds comme les objets aux concepts). A ces deux types de termes correspondent deux fagons de référer : pour introduire avec suceés un universel, «le fait requis n'est pas, dans le sens requis, un fait concernant le monde. C'est un fait concernant le langage» ®, Mais pour introduire un Particulier, «il n'est pas seulement universellement nécessaire qu'une proposition empirique d’un genre nettement défini soit vraic... Il est également nécesssire qu'on sache qu'une proposition de cette sorte est LE FILM DE FAMILLE Nous irons qu'un film peut apparatre 4 un certain spectatur part cali comme un"efilm de familew parce que ce film est susceptible CTintodoire pour ce specateur un terme pariulier, au sens que donne Surawson cette expression ' ‘Onne peut pas manquer dre frappé parla contiguité de la défnition de cet eifet familial» avec effet « documentare> dont onc film", Dans Vetfet «documentaire», au lieu que Te spectateur soit i mnéme le preuve empiri du film comme est la echniguecinénatoprapbigue elem prea Mats quand le spetateursccorde sux images du film une valeur EScumentairecil stppese essentellement la présence, sur Tes iewx de F'evenement d'une camera paiculire: ce qu garaniteffet «documen- tae» cesta caméra quia enegists cet événement, Et cette caméra est Alors e ubsttat du spectater: fe lm est erédibleempiriguement parce gil monte ee qu le spevtateur aurat pu voir sav 6 a. Aude de TReonstaation que la ntion de réalisme es lige Ala ception, nous rou- ons ict une deseription dela situation «documentaire> of i «film de famille» joue un role paradigmatque. Le phénoméne de reconnaissance hatlsgt, st aparem dans Tem de famille, svat Te fondemen syehologique de Tefet «documentairen. EL nous pourrions consider Fete «dovumentire» comme un effet «film de famille» affbli, ov pénérlisgs dan ew de famille», le spectateur se reconnat; alors que fans le edocumentaite nl rocomaitia caméra comme un substitu de $0 Cette discussion renvoie ala eapacité contologigue> du cinéma tlle aque André Bazin a deriva «L'image (photographigue] peut etre floue, déformée, décolorée, sans valeur documentaire, elle procéde par sa gendse de I'ontologie du modelos elle est le mod2te.» ‘Comme auteur y insiste, e’est la réception du film qui sen trouve profondément influencée CCete gentse automatique a bouleversé radicalement a psyeho- logie de Fimage.» Et ce que nous trouvons au départ de cette « capacité ontologique» du cinéma, c'est un effet analogue & introduction acceptable de termes particuliers dans le langage. Strawson montre qu'une telle introduction présuppose, en fin de comptc, un geste désignatif (Strawson écrit «) d'espace-temps et induire son domaine de crédibilité référentielle; —et le type de lecture référentielle d’un spectateur donné, On peut alors prendre la mesure de ’évolution de 'appréciaton du «réalisme» dun film, " La vision familiale Crest done autour de la notion d’introduction de particuliers que se nnoue la possibilité d'une vision familiale dun film. Non seulement le film introduit un fait donné pour vrai, qui implique certains des participants au film, mais le spectateur du film est dans Ja position de savoir que ce fait-Ia est vrai, et ce savoir Ini vient de ce qu'il est lui-méme un particulier : il s‘agit d'un savoir empirique. C’est-a-dire que I'effet «film de famille» se produit pour un spectateur qui est luicméme le garani de la vérité des faits montrés-par-te-film= Dans ce cas, effet et réception sont non seulement niécessaites pour qué se produise la vision familiale du film, mais dans leurs définitions respectives, ils sont étroitement intriqués dans un contexte communicationnel. Contexte qu’on peut formuler de cette — un film montre un événement particulier, dont il affirme qu'il a eu lieu, (cette affirmation peut engager le preneur d'images); et le spectateur, en tant qu'il est un particulier, est Iui-méme le garant de cette assertion, a4 LEFILMDE FAMILLE 1 semble qui nos soyons en mesute de comprendre Péchee des aittéets entecs proposes pour epéret des «fms de famille» Thies condition de weatisation ne donnent aucune garantie sur la prstetion de vet un tl fms srt ig qualité empirgue du contens qui fmporte plus que ce conten lemme S) enfin agua rte artistique d film n'a rena voir avee sa vei empiigne) Rernargoons que effet «film de famille» se double dun processus aqui lent cn quel sorte rciproque a Te spectateur fit a preuve du npr su seul presence, efi, interpre commme discours fii, fit pipe eat la proue de son spctatcur: il garant son stafut familial serermtuutanance 2 ensemble foi dont il éat question plus haat Ty & soraeeitteme inherent a effet «fl de famille>, gui ent la rcipro- Ud de efets de resonaissnce entre le lm et som spectateur, D'oh le fait gue le fim iucrprete comme «film de famille» pet te «mal fi, Geeta fat sans tenir compte d'acone norme se tenant en deg’ da Tangage, Cees son Ten avec le domaine emprique prope a famille gsi tapos a production @efesfaniliagy Il suit alors que son spect teur resonnaise un événement «vain, t Uv ait I-meme un savoir Comcerant cot événement (état, sit eectivement, soit virtellemend) our quune vison fama d fim puise se produie. La double recon- Relesece, cell Ju Elm pace specatur etd spectateur par Ie fl, dont Ta moda la plus simple coniste en la présence du specateur a Tint urdu fm, assre Utica deta vision failed fn ‘Aisi, tout est posible dans le «film de famille». Et ce «tout est possible» estce quia tendu possible Ia constttion de insttation du lm Me Yamile:N'importe qu peat prendre une camera et uliser son prof Ie caracsre desigatf de Fimage cinématographigue, et ne revendiguer pour son fim que ce caracitre dsigntf en fe refrant&soi-méme. « Film de famille », «documentaire » et «fiction » Bazin conclut son article « Ontologie de l'image photographique» par une boutade: «D'autre part le cinéma est langage»'’, Boutade qui, d'abord, répond & celle de Malraux et, ensuite, veut mettre en évidence ‘un rapport direct de 'image photographique avec le réel, avant tout traite- ment filmique de ce réel. Nous interprétons plutot ce lien, par analogie avec l'analyse par Strawson des fondements de I’acte de référence dans le langage, comme Ja fagon proprement cinématographique de référer au domaine empirique, Et nous réinterprétons la conclusion de Bazin en une LEFFET «FILM DE FAMILLE» ais indication concernant 1a compréhension des films : il y aurait un effet «documentaire» latent ou virwel dans tout film, dans toute image filmique. Et le «langage» cinématographique serait organisation des ‘manidres diverses de s'arranger avec cet effet « documentaire » [Ne peut-on pas dire également que leffet «film de famille», fonde- ment psychologique de I'effet «documentaire», s'il est particulier & un certain type de réception, n’en demeure pas moins obscurément présent dans toute vision de film? Ne peut-on pas dire que Ia signification que revétent certains films serait incompréhensible sans la prise en compte un effet «film de famille»? Soit par exemple L’homme d'Aran, le film de Robert Flaherty". Il s‘offre comme un film documentaire, mais en <épousant les caractéristiques discursives du film de fiction. On ne peut, par exemple, qu’admirer le montage, évidemment prémédité, de Ia demitre séquence du film, celle de Ia barque prise dans le tempéte, qui méle plans de coupe, vagues et bourrasques, inquigwude fictive et sauvetage rée. Qu’est-ce qui peut justifier alors I’étiquette «documentaire» accordée au m? Sans doute la connaissance par le spectateur du fait suivant Flaherty s'est donné les moyens de connaitre la vie d’une famille d’ Aran, pour la reconstituer dans son film : il a &té un particulier au c6té des parti- cculiers indigenes. Ainsi, L'homme d’Aran est au plus prés d°étre un « film de famille». Et le spectateur accepte I'effet «documentaire > du film s'il Jjuge acceptable, au nom de Ia famille fictive de L’homme d'Aran, sa proximité avec un «film de famille » qu’aurait réalisé cette famille. Ainsi, le «documentaire» L’homme d’Aran ne peut faire admettre ses effets fictionnels que parce qu'il est presque un «film de famille»! Le probléme du sens Une expérience de pensée Nous nous sommes contentés jusqu’ici de considérer les conditions une vision familiale d'un film. Mais le probléme du sens que peut revétir une telle vision reste posé, Nous avons suggéré qu'une vision familiale d'un film n’était pas exclusive d'autres types de visions. Un film peut produire des types dVeffet différents et un spectateur peut situer sa compréhension du film en méme temps & plusieurs niveaux, ou peut-étre vvaut-il micux dire que sa compréhension résulte d'une composition de ces effets. Mais si nous voulons comprendre précisément les effets de sens que produit une vision familiale d'un film, mieux vaudrait pouvoir isoler effet «film de famille» dautres effets. 216 LE FILM DE FAMILLE Dans ce cadre, on peut faire Mhypothése, toute théorique, d'un film qui ne manifesterait que la capacité désignative de l'image cinématogra- phique et ceci dans un contexte particulier. Un tel film ne serait jugé doug de sens que pour cet ensemble fini de spectateurs évoqué plus haut. C’est- a-dire que nous acceptons, comme expérience de pensée, le jen de langage institutionnel consistant & considérer les films familiaux comme toujours déraillants, & peine regardables pour quiconque n’y trouve pas un intérét personnel : acceptons Ihypothese d'un film qui ne soit capable de produire rien d’autre qu’un effet «film de famille » Un tel film évoquerait, dans un désordre «absolu», un événement particulier. Evénement reconnu comme tel par un spectateur particulier. Ce spectateur voit se suceéder sur I’écran des fragments, dont nous admet- tons le caractére hétéroclite et morcelé. Admettons encore que ne se dégage du film aucune logique spatiale ou temporelle. Le seul fait commun a tous Ies fragments du film demeure la certitude du spectateur familial que chacun d'entre eux a été enregistré lors d'un méme événe- ment. Doit-on admettre que le film par lui-méme est incapable de dégager tun ordre quelconque? Que seul le souvenir de 1’événement rassemble les spectateurs et leur permet de soutenir le désordre du film? Licordre» du film Une observation générale peut conduire notre réflexion: il y a de ordre dans un film, dans tout film, et méme dans n'importe quel morceau de pellicule. Cet ordre n'apparait pas au premier coup d'ecil. Il faut repasser le film pour s'en apercevoir ; alors on voit que ce qui a été projet tune fois est & nouveau dans une conformité parfaite @ la premitre projec tion. L’ordre du film, c'est ordre inévitable et nécessaire de Ia succession des photogrammes lors de Ia projection. De ce point de vue, le cinéma s‘oppose profondément 2 la peinture ou 2 la photographie. Si on a pu Comparer, ou opposer, les spatialités picturale et cinématographique, i faut constater que Ie tableau échappe & tout cadrage temporel, tandis que Ia projection du film se tient dans des limites précises. Et on peut parler un cadre temporel du film. La propriété la plus générale de ce cadre temporel, c'est sa fatalité. La projection du film est un processus tempo- tellement réglé, et cette regle est stricte. Le spectateur est confronté & des images qu'il ne pourra pas retenir : sa perception et son discernement doivent s*exercer durant une durée limitée par le film, Si nous revenons & notre film-hypothise, la fragmentation de I’événe- ment qu'il détermine prend un autre sens: cette fragmentation devient non sculement définitive, mais encore inéluctable, Le défilement de la LEFFET «FILM DE FAMILLE» pellicule dans le projecteur régle selon sa propre fatalité la vision de l'évé- hement que donne le film. Et bien entendu, le spectateur connatt cette régularité, d'autant qu'il en fait & chaque projection l'expérience. C’est- dire que le désordre absolu que nous avons supposé caractéristique de notte film est en méme temps un ordre tout aussi absolu. Que devient alors le rapport du spectateur avec le film interprété comme film de famille et avec la circonstance filmée? Celle-ci lui est présentée sous une forme imémédiable, & laquelle il ne peut que se soumettre. Il est possible que Iui-méme conserve un souvenir précis et différent de cette circonstance. Mais accepter le film comme «film de famille» signifie cependant accepter la « version» qu’en donne le film. Par ailleurs, cette version est la seule qui soit commune aux membres de cet ensemble fini (la «famille ») interpellé parle film. Résumons notre propos: soit un film composé de fragments, «vietimes» de toutes les déformations possibles, et dont les raccords centre fragments apparaissent comme aléatoires. Cependant, la situation de ces fragments demeure fixe : chaque projection les laisse inchangés. Car la projection du film posséde des limites temporelles précises ‘chacun des fragments a une durée fixe, il s'insére inexorablement entre tel et tel autre fragment. La projection apparait réglée par une loi fatale qui est celle de I'éclairement de chaque photogramme selon la fréquence de vingt-quatre photogrammes par seconde. ‘Supposons donc cette fatalité acceptée et reconnue par le spectateur. La circonstance telle qu'elle apparait & V'intérieur du film en devient une figuration inéluctable, infaillible, indéniable de la circonstance « vraie » Cette aptitude & la représentation (accordée par le spectateur) fait du film un objet capable de transcrire la réalité supposée de la circonstance filmée. Crest-A-dire qu'elle en fait un récit de cette circonstance. Vision familiale, récit et mémoire Nous employons ici le terme de récit au sens ott Paul Ricoeur le définit. D°abord la notion implique celle de mise en ordre : «On ne peut ‘guére appréhender Ia connexion d'actions sans en faire le récit.»'* La connexion d'actions devient «récit», quand elle est aeceptée comme fait global, et c'est par ce caractére de cohérence que le récit se fait reconnaitre. Par I'acte de raconter, il s'agit de «faire porter tout le poids de I'intelligibilité sur la connexion en tant que telle établie entre des événements, bref sur l'acte judicatoire de prendre ensemble» ". (Une telle conception s'oppose 2 'idée du récit comme imitation, 218 LEFILM DE FAMILLE comme représentation, ob c'est Ia seule relation entre un modéle et un r&cit qui est en cause.) Le film propose, quel que soit son « désordre», calculé en fonction de normes qui Ii sont extérieures, une apprehension globale qui génére une compréhension de I'événement, un récit de I’événement. On voit que Parbitraire des connexions établies par le film devient, parce que cet arbi- traire est fixé une fois pour toutes, un ordre accepté et reconnu. On peut méme comprendre que I’arbitraire soit ici recherch¢ ; l'ordre que cet arbi- traire recéle se particularise d’autant, et ne devient accessible qu’ aux seuls initiés, membres de la famille. Et le narcissisme inhérent au «film de famille» devient sa valeur principale. Paul Ricceur ne s'en tient pas 14: il lie, comme on sait, la mise en intrigue, le devenir-récit, & I’élaboration d’un temps proprement humain il fait "hypothése que «le temps devient temps humain dans la mesure ot il est articulé sur un mode narratif, et que le récit atteint sa signification plénitre quand il devient une condition de existence temporelle»™. affirmation de cette corrélation entre temporalité et récit donne tout son. sens & la discussion précédente: si la vision familiale du film peut entrer fen concurrence avec le souvenir de la circonstance que chaque membre de la famille peut posséder, c'est parce qu’il est capable de donner une forme ‘au temps privé de la famille, de se constituer en souvenir, ou plutot en bloc mémoriel capable de tenir lieu de souvenir, Nous dirons done que aptitude d'un film & devenir mémoire pour une famille passe par sa capa- cité a devenir récit pour cette famille, ou méme elle lui est identique. Nous nous trouvons donc, avec le film interprété familialement, devant une organisation» images arbitraire et finalement involontaire (les ratés sont rarement prémédités), capable cependant de jouer le r6le qu’on lui a assigné, celui de donner une forme au temps, de configurer le temps vécu. Le particulier devant Vuniversel Réception non familiale d’un effet familial Nous avons commencé cette étude en décrivant I'institution du film de famille; nous avons d’abord adopté le jeu de langage propre & cette institution. Et nous avons constaté qu’a l'intérieur de ce jeu de langage, nous ne pouvions pas caractériser autrement qu’ arbitrairement les objets de ‘institution, autrement dit les «films de famille». Nous situant alors dans Je cadre d'une théorie communicationnelle du film, nous avons abouti aux résultats suivants evennerenncrseo La poecopi na LEFFET «FILM DE FAMILLE» 219 —Promiérement, tout film est susceptible de produire des effets «film de famille» quand il est projeté pour un spectateur particulier. Cet effet tient d'une part & la nature désignative (démonstrative) de I'image cinématographique, et d’autre part la garantie personnelle qu’ offre & une image particulitre un spectateur particulier. —B,, deuxitmement, une fois eet effet produit, le film peut s"orga- niser pour son spectateur comme un récit personnel, c’est-i-dire comme une mise en ordre de son temps propre, de sa mémoire. Ce qui rend possible ce devenir-réit du film, cest ce qu'on pourrait appeler Ia fatalité 4e la projection : le déroulement inéluctable de lapellicule dans le projec- teur et des images sur I’éeran. Nous avons nié une spécificité supposée de certains films qui seraient es «films de famille»; et nous avons fait apparaitre ce qui, dans tout film, renvoie au particulier (au sens de Strawson). D'od la possibilité de concevoir la compréhension d'un film par un spectateur donné, comme Vractualisation, relative 2 ce spectateur, de certains effets parmi ceux (effets «film de famille», «documentaire>, «fictionnel>, ete.) produits par le film. Nous avons défini la «vision familiale» d'un film comme actualisation, au niveau de la réception, de effet «film de famille» d'un film donné, et de celui-ci uniquement: que ce film revendique ou non ses effets «film de famille. Séparant effet de la réception, nous nous sommes donné la liberté de traiter 'un sans Iautre. Et nous voudrions pour terminer envisager un cas particulier: celui d'un effet « film de famille» revendiqué comme tel par le film, et d'une réception non familiale. Ce sera l'occasion de confronter Ja particularité affichée de Meffet, ct Puniversalité de réceptions particu ligres, mais quelconques vis-i-vis de la premire. Nous voulons nous inspirer d'un exemple récent. Patrice Gaudin, pire de deux fils hémophiles, pratique le cinéma de famille depuis toujours. Laurent et Stéphane, ses enfants, sont victimes dune transfusion de sang contaminé par le virus HIV. M. Gaudin, d'abord sans se rendre compte de ce qu'il fait, continue & filmer. Puis il le fit en comprenant que Jes images qu'il tourne, il ne les destine pas au cercle familial, mais bien & Ja société tout entire. A cause de ces événements dramatiques, ce qui était un «film de famille» (au sens institutionnel) devient un film particu lier destin€ & Tuniversel. Le film est montré dans I'émission Envoyé spécial, qui lui a donné un cadre : une équipe de télévision a travaillé sur Jes images tournées par le pére des enfants : elle a organisé ces images, et Jeura adjoint la narration par les parents de leur histoire, celle des enfants et aussi celle du film : Ie cadre communicationnel qu’ils revendiquent 20 Le FILM DE FAMILL pour ces images devient I'un des enjeux du film. Décrivons britvement le film Laurent et Stéphane Le film est construit autour de 'altemance des plans du pére et de la mare sur un canapé, de face, détaillant leur histoire, et des images sonores toumées en famille par Patrice Gaudin, Ces images sont la plupart du temps en mouvement, ou plus exactement dans le mouvement : il s‘agit toujours d'accompagner ce qui est en train de se passer. Par exemple, on voit la mére au téléphone qui donne des nouvelles de Laurent & quelqu’un. Elle dit qu’ils communiquent avec lui, qui a perdu l'usage de la parole, par des fiches sur lesquelles sont inscrits des mots-thémes (faim, Stéphane...) ‘Aussit6t la caméra cherche ces fiches sur une table, les trouve, une main — celle qui ne tient pas le caméscope — les retourne, les montre. La ccaméra peut aussi solliciter un mouvement : quand Laurent retrouve la parole, on le filme. Mais le son demeure inaudible : on entend le pete qui, tout en s’approchant, sollicte son fils afin qu'il parle plus fort. Les gestes quotidiens de la maladie (piqire...) sont eux aussi accompagnés, suivis, et méme précédés par celui qui les connait trop bien. De tout cela Patrice Gaudin s’explique : dune part de Ia maladie de son fils, de son évolution, de I’évolution de leur sentiment vis-a-vis delle (depuis «il ne peut pas ne pas guérir» jusqu’a «il va et veut mourir...»); mais aussi il explicite les raisons qu’il a ou qu'il se donne pour continuer & filmer : d°'abord, dit filme sans savoir pourquoi. Il a toujours filmé, il continue. Puis, prenant conscience de ce qu'endurent ses enfants, il veut montrer : montrer, aux médecins qui ont permis «cela», Ia maladie, son quotidien terifiant, sa litanie de rechutes et d'améliorations, tendue vers la fin inéluctable; c'est alors cette volonté qui le fait continuer & filmer. Volonté que usage de ces plans «accompagnateurs» révélait : en accompagnant, c’est-2-dire en adhérant au tableau de ses enfants malades, ‘en cherchant sans cesse & désigner, la caméra de Patrice Gaudin démontre ‘qu'elle appartient & la maladie, qu'elle y participe. Eile laisse la plus petite distance possible entre cet enfant (essentiellement Laurent, qui est décédé ay -moment du passage de l’émission) et elle-méme. Chaque geste nouveau est suivi avec une attention, une vigilance, qui n'est pas seule- ‘ment volonté de ne rien perdre : mais volonté de participer et par 18 de faire sentir effort, la lutte de l'enfant, ou, quelque fois, son abandon, Seul celui qui sait, celui qui par ailleurs délaisse Ia caméra et soigne, peut parvenir & un tel attachement quasi physique : & "effort des levres de © venenncreen La phelacpe non rie etn EFFET « FILM DE FAMILLE» 21 enfant pour parler répond le haussement léger de Ia caméra, s’efforgant entendre et de faire entendre, confondus & cet instant précis. Mais bien sGr cotte plus courte distance possible entre le pére & la caméra et le fils est cependant distance, et distance infranchissable. $'il y 1 participation aux douleurs du fils, cette «participation» ne peut qu étre métaphorique. La douleur passant de 'un & l'autre change de nature, et si Laurent va mourir, Patrice demeure qui nous raconte cette mort. Dans approche infinie de Patrice il y a sans cesse Pimpossibilité d’approcher réellement, de renverser le cours des choses, de traverser l’enveloppe des corps. Reste lirréductible différence qui fait que la passion d’un corps nest pas celle d’un autre. Mais c'est seulement parce que Patrice Gaudin s'est approché 8 ce point de son fils, s'est tendu vers la moindre manifes- tation de vie de celui-ci, que l'iméductibilité des corps peut apparaitre ‘comme en pleine lumiére, comme le vide irrémédiable entre la caméra et enfant. C’est parce que approche a pris cette forme irremplacablement subjective, c'est parce que la tension par quoi elle se anifeste ne se relache pas, que linfini — la transcendance — de la di rence devient visible, Patrice Gaudin ne s'y arréte jamais, et on ne sent jamais une démission, qui serait apitoiement sur soi-méme. Parfois, Ia caméra s’arréte, demeure immobile comme mesurant l'obstacle, se détournant enfin. Comme dans ce plan oi le frére ainé Stéphane caresse son jeune fiéte, et dit; «pourquoi tu veux nous quitter, ne nous quitte pas»; Laurent hoche imperceptiblement la t@t2, nous devinons sur ces levres : «je veux partir, m’en aller...» Dédoublement du film Ce film dépioie le dispositif de Meffet «film de famille» dans sa tora- lité. P’abord, i montre un événement particulier dont ilaffirme la réalité mone le spectateur familial, garant de cette vérité, parce qu'il est dans la'doubIe situation que nous avons précisée plus hau, Il insiste sur tout ce ue vette particularité engage Ta caméra, nous y avons insisté dans notre description, ne cesse pas de désigner démonsttativement les opérations familiales qu’implique la maladie des enfants. De ce point de vue, le film désigne de manigre trés consciente sa propre définition du «réalisme». Elle le fait en s'approchant au plus prés du corps souffrant des enfants. mais aussi du «corps» compatissant de homme & Ia caméra, ce comps engagé dont une main apparait un moment tandis que l'autre filme, of dont la voix encourage son fils, La notion de «garant>, indispensable & Treffet «film de famille», se concise ici némarquablement. m Lp FILM DE FAMILLE Mais le film Laurent et Stéphane va plus loin encore. Car il exhibe ‘aussi le moment de la réception du film. Patrice Gaudin parle des images qu'il a faites dans T'aprés-coup, c’est-2-dire dans la réception de ces images. Ce faisant, tout d’abord, il fait voir le dédoublement du point de ‘vue dont nous parlions tout & l'heure, c’est-i-dire qu'il s'expose en tant que personne”'. La distance entre ce corps-caméra participant (oh combien...), qu'il a été, et sa parole narratrice, s’exhibe et constitue la référence du film. Ensuite, en parlant de son film, Patrice Gaudin s’en dessaisit, ou plutat il en dessaisit la famille, pour loffrir, en V'occurrence, aux téléspec- tateurs de Envoyé spécial. Ce qu’il offre, c'est quelque chose comme la parole d'un corps. C’est au nom de son engagement comme particulier, personne particuliére, qu’il adresse le film & T'aytre, l'autre qui n'appar- tient pas 2 la famille Gaudin. Il se co témoin au sens fort que donne Lacan a ce terme —— “Le tdmoignage, ce n'est pas pour rien que ga sappee en latin testis, et qu'on témoigne toujours sur ses coulles. Dans tout ce qui est, de Vordre du témoignage, ily a toujours engagement du sujet, elute Virtulle 2 quoi I organise est toujours Iafent» Lieffet «testimonial» Comme on Je voit, la revendication d'un effet «film de famille» produit une sorte de dédoublement du film : ce dernier contient des effets «fil de famille», mais également des effets dun autre ordre, qui concer: nent le premier, et que nous avons référés au régime communicationnel du témoignage: une personne A vient raconter un fait pour une autre personne B, étrangére & ce fait. Et la personne A s’engage elle-méme comme garant de la vérité de sa narration. Le tSmoignage est ainsi profon- :ment subjectf. Il s‘agit, par définition, dune parole particuliére. Cette parole particuliére, quand elle est assumée comme telle, engage alors celui qui I’écoute : celui-ci est mis dans la position de devoir porter jugement sur elle. Nous avons montré que des effets « film de famille» peuvent appa- raftre sans qu'il y ait eu intention de les produire. C'est alors la réception familiale qui sert de garant, qui témoigne pour la vérité empirique particu- edu film, Mais dans le cas de Laurent et Stéphane, c’est-A-dire lorsque Ie film revendique effet «film de famille, quand il affiche son intention familial, il prend sur lui cette garantie. Il incorpore la réception familiale en lui-méme. C’est-2-dire qu’il produit un effet «testimonial » LCBFFET «FILM DE FAMILLE» Alors il affiche sa particularité, mais en la destinant & Puniversel. IL ne contente plus de montrer (de désigner) son corps dans un geste qui dit «Voici!» il produit en méme temps une «pensée>» de ce corps : une posi- tion testimoniale qui exprime Ientrelacs de vu et de su, de comps et esprit, de subjectf et d’objectif, dont Ia personne est faite. Un tel effet produit pour Ie spectateur un fait et une parole particu- ére sur ce fait. Ajoutant une parole réflexive au fait lui-méme, parole qui est adressée non pas seulement & l'ensemble fini des spectateurs fami- liaux, mais surtout a l'ensemble extensif de tous ces particuliers qui sont devant leur particularité comme M. Gaudin devant la sienne. La «familia- rité> prétend ici valoir pour une familiarité universelle, un type de familiarté, dirait Strawson. Le spectateur devient juge par lui-méme de cette prétention. Comme un juré dans un tribunal vaut pour n’importe quel citoyen, le spectateur est appelé & fonder son jugement en tant qu'il serait nimporte quel spectateur. Ici, bien sir, la vision familiale se dépasse : elle constitue un lien, précisément défini, entre le particulier et P'universel NoTES 1G. Deleuze, Foucauly, Editions de Minuit, 1986, p. 83 2. The godfather, 1972, de Francis Coppola, 3. Nanook of the north, 1920-1921, de Robert Faherty 4. Love siream, 1984, de John Cassavetes. 5. HR. Jauss, Pour une esthétique de la réception, Coll. Tel, Gallimaed, 1978 (75) p.246. 6. Stromboli, 1951, de Roberto Rossellini. 7.1. Habermas, Théorie de l'agir communicationnel 1, Fayard, 1987 (81), p. 128. 8.11 doit re clair que par «famille» nous entendons cet ensemble fini dont nous parlions plus hau 9. PI. Strawson, Les inividus, Galimaed, 1973 (58), p. 206. 10. Ld ibe, p. 207 11 Nous ne partons pas ii du cinéma d’ animation, 12 A. Bazin, Qu'est-ce que le cinéma’, Editions du Cert, 1975, p. 14 Bid, ibid, p13, 14 PR. Strawson, op. ct, p. 216. 15. A. Bazin, op. cit, p. 17 16, «D'aute part, le cinéma est une industrie,» 17. Man of Avan, 1932, de Robert Flaherty 18.P. Ricorur, «Evénement et sens», in L'espace et le temps, Vrin, 1991, p17, LE FILM DE FAMILLE 19, P. Ricaur, Tempe et récit 1, Gallimard, 1983, p. 69. 20. 1d, bi, p85 21. Strawson éerit ce propos : «Ce que j'entends parle concept de personne, c'est concept d'un type d'entte tele que, a La fir, des prédicats aribuant des tats ‘conscience et des prédicas attibuant des caractérstiques corporells, une situation physique et, sont, et sont également, appicables um seul individu de ce type», in Les individus, p. 114. 22, J. Lacan, Les psychoses, Seuil, 1981, p. $0. BIBLIOGRAPHIE-INFORMATION: Propositions bibliographique Photographie, film et video de famille AasMAN Susan, Van der camera en de ploeg, Een stulle naar (armateur) film als vegionaal historisehe bron, Rijksuniversitit Groningen, Geschiedeniswinkel fever 1993, ALLARD Laurence —"Thise de doctorat_: L’espace public du Cinéma privé, Université de Paris I 1993 ‘L'argument du langage privé de Witigenstien et la publicsstion du film subject», RSS, vol. 13, n° 1-2, p. 195-359, 1993 — «Des cinéastes amatcurs se parlent. Analyse de discours», Médliascope, n° 6, ‘écembre 1993, Du film de famille & archive audiovisuelle privée», Médiascope, 1°7, [AUER Michael et ORY Miche, Histoire de la caméra ciné amateur, Les étions de Amateur, 1979, BoURDIEU Pierre (sous ta direction de), Un art moyen, essai sur les usages sociaux de Ja phozographie, Editions de Minuit, 1965, (CAMPER Fred : «Some Notes on the Home Movie, The Jounal of Film and Video, vol. 38, a” 34, Summer-Fall 1986, p. 9-14

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