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Hélène Bernier-Farella

De la nécromancie antique à la nécromancie byzantine,


Les concepts de « survivance » et de « superstition » en question.

Jean-Claude Schmitt avait mis en garde les historiens contre l’emploi du terme
« superstition » utilisé à propos de pratiques religieuses jugées « dépassées » du Moyen âge
occidental, en remarquant que le sens à la fois normatif et relatif donné à ce concept par
l’Église médiévale en rendait l’utilisation actuelle trompeuse1. Ses mises en garde faisaient
écho à d’autres appels à définition formulés depuis les années 1950 et appliqués peu après à la
catégorie de la « magie » paléochrétienne et byzantine2. Qu’en est-il des pratiques décrites
comme des « survivances », catégorie la plus en vogue aujourd’hui chez les historiens pour
caractériser des pratiques souvent héritées du paganisme et qui semblent à première vue
déplacées dans le contexte du christianisme byzantin ? Le cas des rituels de communication
entre défunts et vivants, dont certaines formes semblent directement transposées des pratiques
antiques, servira ici de base à la réflexion sur la nature de ces rites et sur les terminologies,
anciennes et modernes, qui leur sont associées.
Cette interrogation prend place dans le débat ancien, mais dont l’issue est toujours
incertaine, sur la nature de la magie et de ses rapports avec la religion. Si le premier terme
recevra ici des définitions circonstanciées, nous entendrons par « religion » l’ensemble des
relations que les sociétés tissent avec les êtres invisibles tels que les forces naturelles
divinisées, les divinités et les défunts, ainsi que les représentations cosmologiques et
mythologiques qui sous-tendent ou recoupent ces relations.
Parmi les opinions récentes, le plus souvent contrastées, qui tentent de déterminer les
relations entre magie et religion, une tendance propose de gommer la dichotomie qui les
opposerait l’une à l’autre pour faire de ces deux ensembles des phénomènes apparentés, unis
dans un même continuum religieux3. Depuis plusieurs décennies il est admis par les
anthropologues que la dichotomie qui eut longtemps cours pour distinguer radicalement les
deux phénomènes n’a plus lieu d’être. Demeure cependant le problème, dans les sociétés
examinées (l’antiquité gréco-romaine et le monde byzantin) de l’existence de deux champs
sémantiques distincts qui cohabitent pour différencier les pratiques « ordinaires » des rites
magiques ; les voies pour communiquer avec les esprits des morts ne font pas exception.
Quels sont les fondements, anciens comme actuels, de ces catégories ?

Communiquer avec les esprits des morts pendant l’Antiquité


Il a déjà été remarqué que la nécromancie (nekuomanteivaς), le fait de recevoir des défunts
des connaissances cachées, n’est pas systématiquement assimilée à une pratique magique dans
l’antiquité4. Une large part de la nécromancie se présentait en effet comme une méthode

1
J.-Cl. Schmitt, Les superstitions in Histoire de la France religieuse, J. Le Goff - R. Rémond,
vol. I, Paris 1988, pp. 417-551, sp. 420.
2
A. A. Barb The Survival of Magical Arts in The Conflict between Paganism and Christianity
in the Fourth Century, éd. A. Momigliano, Oxford 1963, pp. 100-125, pour qui la magie
découle bien de la religion, même s’il l’envisage comme une part corrompue de cette
dernière.
3
Une notice historiographique du problème dans C. Faraone - D. Obbink, Magika Hiera.
Ancient Greek Magic and Religion, New York – Oxford 1991, pp. VI.VII.
4
D. Ogden, Greek and Roman Necromancy, Princeton - Oxford 2001, p. XX.

1
oraculaire traditionnelle, possédant ses sanctuaires, les nekuomanteia contrôlés parfois par les
cités et les oracles héroïques, très proches des oracles des morts5.
La pratique, assez peu diffusée, visait surtout à régler des problèmes d’impureté rituelle
due aux meurtres, d’objets précieux perdus dans les entrailles de la terre ou d’interrogation à
propos de l’au-delà. Ce type de nécromancie n’était pas assimilé au champ sémantique de la
magie, ce qui apparaît à la lecture des récits d’Hérodote, narrant sans embarras l’évocation de
sa femme défunte par le tyran Périandre, ou à celle d’un épisode similaire, transmis par
Pausanias et Plutarque à propos de l’âme de Cléonice rappelée par le régent Pausanias de
Sparte6.
Des rituels semblables se déroulaient en privé, sur les tombes de certains morts ou encore
dans les puits, supposés être des canaux de communication vers les Enfers. Des spécialistes de
cette divination existaient, mais tout un chacun pouvait se rendre sur un tombeau et interroger
les morts. Seule une partie des récits qui relatent ces épisodes nocturnes les associent à la
catégorie du magique. Quelques défunts proposent même par le truchement de leurs épitaphes
de répondre depuis l’au-delà aux inquiétudes des passants, comme celle d’Amias, une
prêtresse de Thyatire qui promet une vision à qui déposera ses offrandes sur sa tombe7.
La nekya relatée par Philostrate8, destinée à interroger l’âme d’Achille, est ainsi
dépourvue de toute association magique. Dans les poèmes homériques, fondateurs à bien des
égards, qui contiennent la première description d’un épisode de nécromancie grecque, une
association assez lâche est tissée entre le savoir des magiciens et la nécromancie. Si c’est
Circé qui révèle à Ulysse le lieu et les rites nécessaires à l’évocation du fantôme de Tirésias,
le héros se rend seul sur le lieu prévu et c’est seul également qu’il pratique les rites libérant
les âmes des défunts, dont celle du devin Tirésias9. La connaissance de la nécromancie
appartient à Circé, magicienne et initiée, mais Ulysse ne devient pas son égal en
l’accomplissant. Où tracer une limite conceptuelle signifiante entre pratiques rituelles
« ordinaires » et pratiques « magiques » ?

Les catégories anciennes employées pour définir ces pratiques – lorsque les auteurs
ressentent le besoin de préciser une telle distinction – ne sont pas fixes, ce qui en complexifie
l’analyse historique. Une première opposition, heuristique, est initiée par Platon avant d’être
largement reprise10. Elle oppose des moyens de communication directs avec le divin tels que
les visions et délires inspirés, aux moyens de communication « artificiels » avec les divinités
ou les défunts, qui nécessitent le truchement d’une technique oraculaire moins fiable. Cette
classification ne recoupe en rien la distinction entre une méthode qui serait « religieuse » et
une autre qui serait « magique ». Chez Platon, la magie apparaît par ailleurs dans un ensemble

5
Un sanctuaire à Ephyra en Thesprotie était considéré comme une entrée des Enfers
(Hérodote V, 92) de même que celui du Ténare dans le Magne. Cf. D. Ogden Op. Cit. p. 17
ss. L’équivalent héroïque le mieux connu est sans doute celui de Trophonios, géré par la cité
de Lébadée. Cf. Pausanias IX. 39 ; P. Bonnechère, Trophonios de Lébadée. Cultes et mythes
d’une cité béotienne au miroir de la mentalité antique. Leiden 2003.
6
Hérodote V. 92, d-f ; Pausanias III. 17, 8-9, Plutarque, De sera. Num. Vind. 555c, Pausanias
III, 17. c.
7
Épitaphe de la prêtresse Ammias, IIe s. ap. J.-C., TAM n° 1055, R. Lattimore Themes in
Greek and Latin Epitaphs, Urbana 1942, n° 100.
8
Philostrate, Vie d’Apollonios de Thyane, IV 16 (v. 220 ss.) Éd. Jones p. 348.
9
Odyssée XI, v. 518-541.
10
Platon Phèdre 244 b-d, puis Cicéron De Divinatione 1. 9. 12. Cf. W.R. Halliday Greek
Divination: A Study of its Methods and Principles. Chicago 1967.

2
plus vaste qui constitue ce que l’on peut définir comme le religieux11. Mais l’aspect artificiel
donc falsifiable d’une méthode dépendant de spécialistes explique que la nécromancie soit
parfois vue comme l’œuvre de charlatans.
Ainsi, Artémidore d’Éphèse, au IIe siècle ap. J.-C., trace dans son traité Sur les oracles
des songes, méthode inspirée directement des dieux selon les classifications antiques, une
séparation significative entre les devins dignes de foi et les fieffés charlatans12. Or sa
distinction ne recoupe pas le critère platonicien. Les « devins dignes de foi » comprennent
ainsi les astrologues, les augures, les haruspices qui lisent les entrailles des victimes, opérant
tous selon des techniques artificielles. Parmi les charlatans se trouvent en premier lieu des
pythagoriciens, souvent présentés comme inspirés directement de la divinité, accompagnés
d’une troupe de devins aux pratiques parfois obscures comme ceux qui prophétisent à partir
des formes du corps, de fromages ou de cribles. Parmi eux Artémidore compte les
nécromanciens. La ligne de partage semble bien se trouver ici entre ceux qui possèdent une
légitimité institutionnelle – les augures des sanctuaires – parmi lesquels l’auteur ne manque
pas d’intégrer les onirocites dont il veut légitimer le statut et les autres. Cela recoupe-t-il les
classifications issues d’autres types de sources ?

Les sources normatives, écrits moraux ou juridiques, considèrent parfois la


nécromancie privée comme une pratique répréhensible. Cependant, c’est le but poursuivi qui
est jugé et non la méthode en soi. Faire parler les morts ou leur demander d’agir fut ainsi
interdit par la législation romaine dès 33 av. au même titre que les autres pratiques
divinatoires, dans la mesure où cela pouvait nuire à autrui ou mettre en cause l’intégrité des
empereurs13. Cette distinction s’approche, sans la recouper totalement, des classifications
articulées entre rite pieux et daisidaimonia, la démesure religieuse. Ainsi Plutarque, qui
déclare que ceux qui font parler les morts sont pleins de daisidomania, relate ailleurs sans le
moindre embarras une vision nécromantique de l’au-delà par le philosophe Timarchos,
obtenue en dormant dans le sanctuaire de Trophonios à Lébadée14. Dans ce dernier cas, le but
poursuivi était bien une connaissance désintéressée et le moyen, un oracle officiel.

On ne peut pas davantage évoquer la nature des rituels pour soutenir les différentes
catégories d’évocation des morts car une proximité très forte existe entre les consultations aux
nekuomanteia et les rites de nécromancie privée15. Par ailleurs ces rituels s’apparentent très
fortement à d’autres rituels officiels et aux rituels funéraires ordinaires. Dans le récit
homérique, seul le sacrifice du sang d’un taureau noir distingue l’évocation de Tirésias des
offrandes ordinaires faites aux défunts, ce qui recoupe la distinction entre les rituels héroïques
et les rites funéraires16. Le sacrifice du sang du taureau était sans doute l’élément clé chargé
de réanimer les morts, ce qui n’était pas le but recherché dans le culte ordinaire des défunts,
qui visait à se les rendre propices. On retrouve ce même élément sacrificiel dans le récit de la
consultation déjà mentionnée de Périandre ainsi que dans une formule de defixione destinée à
des héros et à de gladiateurs, sur la tombe de défunts « morts de mort violente » et « morts

11
Platon Le Banquet 202e- 203a.
12
Artémidore d’Éphèse Oneirocriticon, II. 69 – 70, éd. R. Pack Artemidori Daldiani
Onirocriticon libri V Leipzig 1963, pp. 195-196.
13
Dion Cassius 49, 43 ; la condamnation est renouvelée sous Auguste en 11av. J.-C., sous
Tibère en 16 ap. J.-C. (Tacite, Annales 2.32) puis sous Claude (Ibid. 12, 52).
14
Plutarque, Moralia, Timarchos, 590-592.
15
D. Ogden, Op. Cit. p. 7.
16
Ibid. p. 7 n. 12 et 13.

3
avant l’heure » supposés particulièrement actifs17. Le rituel devait durer trois jours sur la
tombe de l’un de ces défunts.
De même les formules de nécromancie visant à nuire emploient souvent des phrases
rituelles que l’on retrouve aussi dans des contextes cultuels officiels. C. Faraone a ainsi
montré à quel point les formulaires des defixiones, destinés non seulement à des morts
dangereux mais aussi à des divinités chtoniennes, s’apparentaient à celui de prières
ordinaires18. De plus, qu’il s’agisse du rituel destiné aux ancêtres, aux consultations
nécromantiques dans les sanctuaires ou aux consultations individuelles auprès des tombes, les
logiques à l’œuvre et les implications eschatologiques qui sous-tendent ces différentes voies
sont en effet communes : il faut, pour que le contact soit possible entre les deux univers, que
les esprits des défunts subsistent, qu’ils puissent être interrogés ou avoir le désir de se
manifester librement aux vivants et qu’ils soient porteurs d’une connaissance propre. Cette
proximité théologique éclaire par ailleurs la grande proximité rituelle qui existe entre ces
différentes voies de communiquer avec les esprits.

Ces exemples tendent à montrer que dans l’antiquité la frontière délimitant la nécromancie
magique de la nécromancie ordinaire prend corps autour de la notion de contrôle
institutionnel. On ne trouve pas de différence « phénoménologique » entre les deux, ce qui
peut expliquer que la pratique soit jugée différemment par un même auteur. La dangerosité du
contact avec les âmes des morts pour l’intégrité de la pureté rituelle des communautés peut
expliquer le rejet de la forme individuelle, non contrôlée, de la nécromancie. Le danger rituel
était augmenté par le type de défunts que l’on invoquait. Les esprits les plus aptes à revenir et
à répondre aux vivants étaient ceux qui avaient connu une mort particulièrement polluante,
ceux qui avaient le plus de mal à « passer » et que S. I. Jonhston appelle à juste titre les morts
sans repos, les restless dead. On compte parmi eux précisément les défunts habituellement
évoqués dans les formule de defixiones, les morts laissés sans sépultures (a[tafoi), les ahores
qui sont morts prématurément ou encore les défunts affligés d’une mort violente19. La
pollution attachée à ces morts impures ainsi que les divinités vengeresses qu’elles engendrent
amènent les cités à prévoir pour s’en purifier des moyens cathartiques propres20.
On comprendrait ainsi la tendance des institutions à vouloir contrôler les formes les plus
libres de rituels jugés par ailleurs efficaces. La frontière, extérieure en soi à la sphère
religieuse, qui semble séparer le magique des autres types de rites, recoupant celle, normative,
du licite et de l’autorisé face à l’illicite et au non contrôlé, tend à se radicaliser
significativement mais sans surprise sous l’Empire. Auguste, entreprenant une restauration
religieuse du monde dont il avait la charge, fait brûler des monceaux de rouleaux prophétiques

17
D. K. Preisendanz Papyri Graecae Magicae. Die Grieschischen Zauberpapyri I, Stuttgart
1973 (1928), p. 118, PGM IV. l. 1390 – 1495 ; l. 1393 : « biaivwn », l. 1401 : fqimevoiς
ajwvroiς biomovroiς ».
18
C. A. Faraone The Agonistic Context of Early Greek Binding Spells In Magika Hiera,
Oxford 1991, pp. 3-33.
19
S. I. Johnston Restless Dead, Encounters between the Living and the Dead in Ancient
Greece. Londres 1999.
20
Voir par exemple les tablettes rituelles de Selinonte à propos des elastores, esprits
vengeurs : M. H. Jameson –D. R. Jordan – R. D. Kotanski A Lex sacra from Selinous (GRBM
11), Durham 1993, l. 7 et S. I. Johnston op. Cit. p. 49.

4
« dépourvus d’autorité ou sans autorité suffisante21 ». Le terme d’autorité employé est ici
éloquent de la ligne de partage du religieux officiel et du magique. Qu’en est-il dans le
contexte chrétien où, dès le IVe siècle s’élaborent de strictes normes religieuses et un appareil
institutionnel chargé de les diffuser ?

Communiquer avec les morts à l’ère chrétienne


Dans le contexte de la chrétienté naissante, la nécromancie ne fut pas immédiatement
condamnée par les Pères. Macaire d’Égypte, trouvant un crâne dans le désert, n’hésita pas à
l’interroger – il est vrai sans user d’artifice – sur la personne à qui il avait appartenu et sur le
lieu où se trouvait à présent son âme22. Si la nécromancie était irrémédiablement associée au
paganisme, l’auteur des Apophtegmes, désireux de faire l’éloge du saint Père, aurait sans
doute hésité à livrer ce récit.
En détournant la théorie platonicienne de la mancie, l’apologétique chrétienne présente
ensuite une rupture radicale. Platon proposait de voir des daimones, esprits intermédiaires
entre les hommes et les dieux, se charger de véhiculer les messages divins23. Détournant
l’idée dans une visée polémique, Eusèbe de Césarée applique à l’ensemble des processus
mantiques, puis à l’ensemble des manifestations païennes, une origine démonique, devenue
bientôt démoniaque. Dans le Contre Hiérocles, il fait de la nécromancie pratiquée par
Apollonios de Thyane sur la tombe d’Achille une pratique illicite24. Dans la Préparation
Évangélique, le père enseigne ensuite aux aspirants chrétiens, au cours d’une diatribe contre
les pratiques de divination, que les dieux païens sont de simples cadavres de personnages
morts depuis longtemps ; les cultes hellènes se trouvent donc assimilés à des pratiques de
nécromancie et à de la sorcellerie. Dans la même œuvre se trouve un deuxième glissement,
plus largement repris chez les Pères du Ve siècle, qui assure que l’ensemble des dieux païens
sont des daimones, et que les honorer est un acte de daisidémonia, deisidaimoniva entendu
dans le sens nouveau de culte rendu aux daimones25. Suivant une logique désormais
largement partagée, Théodoret de Cyr renchérit : les démons « s’efforçant d’affermir leur
puissance, se sont fait fort de connaître d’avance et de prédire l’avenir, trompant par là surtout
les hommes facilement dupes. C’est pour cela qu’ils ont installé partout sur terre leurs ateliers
de duperie, qu’ils ont inventé les tricheries des oracles, les devins qui prophétisent avec de la
farine ou avec leur ventre, ou avec des morts26 ».
Jean Chrysostome achève le raisonnement : les anciens devins, comme les nécromants
qui continuent d’officier à son époque, font œuvre de magie (magganeuvein), pratique à
laquelle il associe l’idolâtrie (eijdwlolatreῖa)27. La divination et la nécromancie deviennent
donc régulièrement associées à des vestiges de pratiques païennes elles-mêmes associées à un
culte démoniaque. Le canon 61 du concile In trullo, institue que les devins, les sorciers et

21
Suétone Auguste, 31, 1 : « nullis vel parum idoneis auctoribus », éd. et trad. H. Ailloud,
Paris 1980, p. 156.
22
Macaire d’Égypte, Apophtegme 38, P.G XXXIV, col. 257.
23
Platon Le Banquet 202e-203. Cf. S. I. Johnston Ancient Greek Divination, Oxford 2008. pp.
9-15.
24
Eusèbe de Césarée Contre Hieroclès 28, éd. M. FORRAT, SC n°333, Paris, 1986, p. 158.
Philostrate Vie d’Apollonios de Thyane IV. 16. éd. Jones p. 348.
25
Eusèbe de Césarée Préparation évangélique II, 3, l. 1-4 et II, 7-10. E. des Places, Paris, SC
n° 228, 1976, pp. 80-84.
26
Théodoret de Cyr, Thérapeutique des maladies Helléniques X. 3-5. Éd P. Canivet, SC 57,
pp. 360-361.
27
Jean Chryostome Sur Mathieu, Homélie XLII, PG LVII, col. 453.

5
ceux qui prédisent l’avenir et tous ceux qui ne fuient pas « ces mortelles pratiques païennes »
(ojlevqria taῦta kai ;eJllhnika ;ejpithdeuvmata) doivent être excommuniés.
Il faut distinguer pour la période chrétienne entre la construction de la norme
religieuse qui assimile tout élément de l’ancienne religion à de la magie réprouvée et la norme
juridique. Constantin, dans sa législation contre les nécromants, reprend tout à fait les
catégories proposées pour l’antiquité : la mort doit frapper ceux qui opèrent la divination en
privé, alors que la consultation dans les temples publics et selon les rites officiels demeure
autorisée, bien qu’elle soit qualifiée de superstition28. Valentinien Ier agit de même, autorisant
les haruspices mais interdisant à la fois la pratique maléfique de la nécromancie nocturne et la
divination des astrologues29.

Les catégories de « survivances » et de « superstitions » employées régulièrement par


les historiens pour décrire la nécromancie et la divination byzantines ne semblent pas différer
radicalement des classifications forgées par l’apologétique des Pères de l’Église, même si la
volonté polémique en est absente. La « survivance » s’applique en effet à ce qui aurait dû
disparaître mais qui, contre toute attente, a survécu. Henry Maguire présente en alternative
ouverte le concept de « survival », de continuité et de « revival », se demandant dans quelle
mesure les pratiques magiques sont des éléments du monde classique qui ont survécu jusqu’à
Byzance, comme partie de son héritage antique30. Nous préférerons distinguer le « survécu »
de « l’héritage » ou de la continuité : en matière religieuse en effet, la survivance tend à
indiquer un fait appartenant à un système obsolète, devenu ainsi « irrationnel » car déplacé et
se trouvant ainsi étranger dans le paysage religieux actualisé. Qu’en est-il de la nécromancie
dans les contextes eschatologiques et théologiques du début de la période byzantine ?
S’apparente-t-elle à une anomalie persistante ou bien trouve-t-elle une place cohérente dans le
paysage religieux du temps ?

Tout d’abord, la nécromancie semble toujours prospère en pleine période byzantine


même si elle entraîne désormais à l’encontre de celui qui la pratique une accusation grave de
paganisme. En accuser son ennemi permet de le flétrir aisément et certaines occurrences
peuvent avoir été surtout des biais politiques, à l’instar de celles qui frappent les iconoclastes
comme Constantin le Copronyme, le patriarche Jean le grammairien ou son frère le patrice
Arsabèr, auxquels tous les qualificatifs de devins, nécromanciens, païens et magiciens furent
accolés31. Il arrive que d’autres sources littéraires la mentionnent en passant parmi d’autres
techniques de divinations32.
Des sources issues de la pratique en attestent la continuité effective, à différentes
époques. Des inscriptions datées du VIe siècle de notre ère, provenant d’Apamée de Syrie,
conservent des sorts dirigés contre la faction des Bleus, qui en appellent aux morts avant

28
Cod. Theod. IX. XVI. 1-2 ; de même sous Valentinien I Cod. Theod XVI. X.2-6 qui
autorise les haruspices mais interdit à la fois les pratiques maléfiques de la nécromancie
nocturne et la divination des astrologues.
29
Cod. Theod. XVI. X. 2-6.
30
H. Maguire Byzantine Magic Dumbarton Oaks Research Library and Collection
Washington DC 1995, p. 1.
31
Sur Constantin, Zonaras Epitome III, 264, 17. Pour Jean le Grammairien, Georges le Moine
éd. de Boor p. 778 ; Théophane continué éd. Bekker p. 635 et P. Magdalino L’Orthodoxie des
astrologues, Paris 2006, pp. 57-61 qui suppose probable l’exercice de la pratique astrologique
par le patriarche.
32
Par exemple Georges Cedrenus, Chronographie, 146.

6
l’heure pour accomplir leur dessein33. Les papyrus magiques conservent également des
chaînes difficilement datables mais continues de pratiques semblables à une date plus
avancée. À la lecture d’un épisode de craniomancie conservé sur un papyrus de la fin de la
période byzantine on trouvera de nombreuses raisons de partager le jugement du canon 61 du
concile In trullo, qui voit dans la nécromancie un héritage direct des rites païens, tant les
éléments de continuité sont nombreux. D’autres éléments appartiennent cependant à un
langage rituel proprement chrétien, dans un processus de superposition qui n’est pas propre à
la divination.
Le texte34 fournit des instructions pour « obtenir des réponses de la part d’un crâne »,
partie du corps qui dès l’antiquité, était cruciale dans la pratique des nécromants35 : il est
conseillé de prendre un crâne et de le laver trois nuits de suite avant de le draper dans une
étoffe de lin pur et de le placer au croisement de trois routes, sur les ossements d’un animal et
sur la fourrure d’une belette. Il faudra inscrire sur le front du crâne la formule magique bouak
sariak Lucifer (c'est-à-dire Lucifer phénico-syrien). La formule devra être exorcisée afin que
la vérité puisse être transmise depuis l’au-delà. Le nécromant devra ensuite placer le crâne
dans un lieu inconnu (des autres ?), à l’aube précisément, et accomplir un jeûne total de trois
jours. La réponse lui parviendra dans son sommeil.

Malgré la présence d’un élément chrétien - la purification au moyen de l’exorcisme -


le rituel suit un schéma principalement hellène métissé d’éléments du rite funéraire ordinaire,
fréquent dans les rituels analogues en Égypte pour lesquels la documentation est riche36.
Appartiennent au premier le croisement des chemins, le royaume infernal d’Hécate, lieu
également perçu comme zone de contact entre les deux mondes, comme tout emplacement
liminaire. Ce caractère de transition est renforcé par le choix temporel du rite, à l’aube. De
façon évidente le crâne reçoit en outre un ensemble de rites funéraires, qui permettent sans
doute de le transformer, comme les corps des défunts, en objets transitionnels capables de
changer d’état, opération cruciale du rite funéraire compris comme rite de passage37. Comme
le crâne, les défunts étaient purifiés par plusieurs procédés– selon l’acception première du
terme, c'est-à-dire qu’ils étaient mis à part, retranchés du monde des vivants- veillés trois
nuits après avoir été lavés et enveloppés dans un suaire, souvent de lin. L’exorcisme complète
le processus de purification du crâne et le nécromant est également purifié puisqu’il jeûne
pendant trois jours. Le lieu qu’il choisit alors symbolise le même retranchement, puisqu’il doit
33
SEG 34, 1437. W. Van Rengen « Deux défixions contre les Bleus à Apamée » Apamée de
Syrie, Bruxelles 1984. p. 215-219.
34 Codex Parisinus 2425. F. Cumont Catalogus codicum astrologorum graecorum, VII. 3,

Paris 1912, p. 92.


35
Sur les crânes oraculaires : D. Ogden, Op. Cit. pp. 202 ss. G Dimitrokallis La tête coupée
d’Orphée : ré-examination et ré-interprétation d’un Mythe ancien. Actes du XIe Congrès
International d'Études Classiques, Cavala (Grèce), 24-30.8.1999, vol. II, Athènes 2002, pp.
319-330.
36
Des parallèles existent qui montrent un même traitement « funéraire » d’artefacts magiques,
ce qui est cohérent avec la tonalité chtonienne de la « magie » gréco-égyptienne y compris à
la période paléochrétienne. Ainsi PGM I. 1-42.
37
R. Parker Miasma. Pollution and Purification in Ealy Greek Religion, Oxford 1983, pp. 33
ss. qui traduit par « science de la division » la katharsis ou purification. Je renvoie au toujours
actuel A.Van Gennep Les Rites de passages, étude systématique des rites de la porte et du
seuil… Paris 1909, p. 27 et R. Hertz Contribution à une représentation collective de la mort.
Année Sociologique 10 1907, p. 48-137. Sur le rituel funéraire paléochrétien : U. Volp Tod
und Ritual in den christlichen Gemeinden der Antike, Leiden 2002.

7
être « inconnu ». Enfin, toujours en continuité avec les rites hellènes, le sacrifice animal
symbolisé par la fourrure et les ossements d’une belette fait entrer le rituel dans une pratique
héroïque38. Un grand nombre de sources mentionnent dans l’antiquité, dans les sanctuaires à
incubation, la pratique de dormir sur la fourrure de l’animal sacrifié à la divinité. La vision
pendant le sommeil reflète directement la continuité des processus antiques.
Comme nous l’avions souligné pour la nécromancie antique, le langage « magique »
est ici très proche du rituel ordinaire. Ce phénomène est sans doute accentué par le fait que de
nombreux éléments du rituel funéraire se sont maintenus à la période byzantine, à côté de
nouveaux éléments chrétiens qui se surajoutent à partir des IVe-Ve siècles, comme je l’ai
montré ailleurs, au langage rituel antérieur dans un phénomène de dédoublement rituel39. La
continuité est particulièrement prégnante pour les actions rituelles chargées d’établir des liens,
par-delà la mort, entre vivants et défunts, dans ce qui peut être considéré l’instauration d’une
communication rituelle cyclique. Trois jours, sept ou neuf jours, trente ou quarante jours après
la mort, puis tous les ans à sa date anniversaire, les vivants se réunissent sur la tombe et
partagent un repas. Par le biais de ce processus répétitif, le défunt, symboliquement, vient
partager le repas des vivants et au moins dans la mémoire, se mêler à eux40. Malgré cette
continuité avec le rituel antique, la communication instaurée avec les défunts n’est pas
considérée comme superstitieuse ni comme une pratique magique ; elle est établie par les
Pères très précocement puis intégrée à la liturgie canonique des moines, comme le montrent
les textes des Pères puis les liturgies monastiques des défunts, les plus anciennes en la
matière41.

Nécromancie, rituel funéraire et sainte incubation : un cadre eschatologique cohérent


La continuité dans les relations des vivants avec le monde des esprits ne se limite pas
aux pratiques magiques ni au rituel funéraire ordinaire. Des cultes chrétiens institutionnels
s’inscrivent dans des représentations eschatologiques très proches et s’expriment par un
langage rituel semblable. La pratique ecclésiastique autorise en effet, dans les sanctuaires des
saints et des martyrs, les pieux héros du christianisme à visiter en songe leurs fidèles pour leur
livrer une connaissance ignorée : date de leur mort, destin post mortem, mais aussi nature
d’une affection les touchant et moyen de le résoudre. D’un point de vue théologique, interne
au christianisme, les pratiques saintes et magiques s’opposent radicalement, puisque les
démons des nécromants imitent faussement les âmes des saints pour tromper les chrétiens
crédules et les perdre ; du point de vue de l’historien des religions, ces pratiques reposent sur
des représentations communes et cohérentes.

38
Strabon VI, 3, 9 décrit le rituel oraculaire offert au héros Chalcas en Apulie : le dédicant
doit sacrifier un bélier noir et dormir sur place, enveloppé dans sa dépouille, afin de recevoir
la vision.
39
H. Bernier-Farella La christianisation du rituel funéraire dans l’aire culturelle grecque : un
phénomène de longue durée. Thèse de doctorat, Paris X 2008. (En cours de publication).
40
R. Garland The Greek Way of Death. London 1985. pp 37-47 ; pour la continuité chrétienne
G. Dagron Troisième, neuvième et quarantième jour dans la tradition byzantine : temps
chrétien et anthropologie in Le temps chrétien de la fin de l’Antiquité au Moyen Âge, IIIe-
XIIIe siècles (Colloques internationaux du CNRS 604, Paris 9-12 mars 1981), Paris 1984, pp.
419-430.
41
La Didascalie des Apôtres, éd. Voöbius, 26 ; les Constitutions Apostoliques 17-42, Typikon
de Saint Salvatore de Messine, (XIIes.) et J. Arranz Les Prières presbytérales de la Pannychis
de l’ancien eucologe byzantin et le Panikhida des défunts, II. OCP 41, 1975, pp. 314-343.

8
En effet, les conceptions des chrétiens byzantins sur l’au-delà, parfois divergentes,
semblent s’accorder sur la possible communication entre les deux mondes. Mises à part
quelques rares réticences, comme celles manifestées par Jean Chrysostome arguant que les
âmes des bénis se trouvent immédiatement après la mort dans les mains de dieux alors que
celles des damnés sont emportées dans un lieu souterrain, l’existence d’un temps de latence,
apparenté à un sommeil des âmes, est largement attestée. Aucun dogme, aucun passage
scripturaire ne règle le sort de cette période de latence qui s’étend de la mort à la résurrection
générale, ce qui permet aux anciennes représentations de perdurer. Ce que nous pouvons
appeler des croyances interstitielles, ni tout à fait canoniques ni réprouvées, peuvent donc
trouver place dans les cadres de l’eschatologie canonique, particulièrement flous.
Si les âmes ordinaires sont difficilement tirées de ce sommeil ordinaire – bien que
cela leur arrive parfois – les âmes des saints, qui se trouvent déjà dans le sein d’Abraham et
celles des morts dangereux qui continuent d’errer entre les deux rives, sont particulièrement
actives. L’aspect composite du culte des saints a déjà été mis en évidence ; il s’inscrit pour
une bonne part en pleine continuité avec un langage religieux antérieur au christianisme, qu’il
contribue par ailleurs, selon nous, à légitimer, et ce malgré les mises en doute épisodiques de
certains de ses aspects par les institutions elles-mêmes42. La communication est d’autant plus
aisée pour les martyrs et les saints, qu’ils véhiculent la grâce de dieu et apparaissent tôt
comme des intercesseurs. L’insistance des recueils de miracles sur les limites des pouvoirs
des saints, détenus uniquement par le bon vouloir divin, vient en creux rappeler que pour une
large audience, le saint était sans doute doué de pouvoirs autonomes dont celui d’intervenir
depuis l’au-delà43.
Les moyens de communication sont également d’une remarquable fixité : c’est
pendant le sommeil que les saints livrent leurs connaissances aux fidèles, soit par incubation
soit au cours de visions éveillées qui ne sont pas tout à fait des rêves44. Ces interventions -
contrôlées au moins en partie par l’institution- constituent un topos hagiographique récurrent,
attestant la sainteté du défunt45.
Un récit, issu de la collection des miracles des saints guérisseurs Cyr et Jean, veut
démontrer la supériorité des visites nocturnes des saints en matière de prédictions et de
sauvegarde des chrétiens sur les moyens magiques traditionnels ; ce rapprochement souligne –
puisqu’il entend l’en dédouaner – les ambigüités de la pratique chrétienne. Sophronios expose
donc comment Théophile, un habitant d’Alexandrie paralysé à cause d’un sort maléfique,
reçut à sa demande une vision de la part de Cyr et Jean, après s’être rendu dans le sanctuaire
des martyrs. Les martyrs lui ordonnèrent de se rendre au port et d’acheter par avance la pêche
d’un marin. Quand le filet fut remonté, l’on trouva parmi les poissons un récipient scellé
contenant une petite effigie de bronze percée de clous aux mains et aux pieds, qui, une fois
retirés, libérèrent Théophile de son infirmité46. Plusieurs récits de miracles abordent les
manipulations magiques et l’usage de la nécromancie et illustrent, sinon la réalité des

42
G. Dagron L’Ombre d’un doute. L’hagiographie en question (VIe-XIe siècle), DOP 46,
1992 (Mélanges A. Kazhdan), p. 59-68.
43
Sophronios de Jérusalem, Miracles de Cyr et Jean 30-9.
44
Les rêves comme lieux de visite des âmes des défunts et des volontés divines : J. M.
Santerre Apparitions et miracles à Ménouthis. De l’incubation païenne à l’incubation
chrétienne in Apparitions et miracles, Bruxelles 1991, p. 69-83.
45
Voir les exemples des incubations saintes dans G. Dagron Rêver de Dieu et parler de Soi in
T. Gregory I sogni nel Medioevo. Rome 2-4 Octobre 1983. p. 41, n. 18.
46
Sophronios, Miracle de Cyr et Jean, miracle 35. Éd. N. Fernandez Marcos Los Thaumata
de Sofronio. Contribucion al estudio de la incubatio cristiana, Madrid 1975, p. 318-319.

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envoûtements dans l’Alexandrie du début du VIIe siècle, du moins la réalité de la peur que de
telles pratiques engendraient47.

Ne peut-on, malgré les précautions des Pères chrétiens et au-delà d’une indéniable
différence de statut, rapprocher intrinsèquement les interactions rituelles mises en place entre
les fidèles et les défunts sanctifiés, dans le cadre d’un culte organisé par l’institution
ecclésiastique et les requêtes « magiques » que les chrétiens demandent à d’autres défunts
d’accomplir, au sein de pratiques secrètes et individuelles ? Si on laisse de côté le discours
normatif de l’Église, il semble bien que nous nous trouvions face à deux aspects d’un même
phénomène religieux, la communication avec les esprits de certains défunts à fin de
connaissance, selon une logique proche de celle qui existait déjà dans l’Antiquité : le premier
aspect, magique, individuel, non contrôlé par les institutions, tendant à être interdit et l’autre,
christianisé, institutionnel et autorisé. A la période chrétienne la disqualification du premier
est évidemment renforcée par la continuité avec les pratiques païennes que leur maintien
dénote. Cette distinction, plus structurelle que religieuse, reprend sans les recouper
entièrement les distinctions catégorielles proposées par D. Aune, qui voit dans la magie du
début du christianisme une pratique religieuse socialement « déviante » 48. La dangerosité
rituelle et la peur de l’action religieuse non contrôlée par la communauté a laissé la place à
une situation où la déviance est rendue manifeste par la désignation d’une norme collective.

Dans ce cadre élargi, la nécromancie n’apparaît plus à la période chrétienne comme


une « survivance », ni comme une « superstition », mais comme une pratique concurrente de
celle contrôlée par les instances religieuses, formant avec elle un ensemble eschatologique et
cosmologique unique. Les permanences dont témoignent les aspects magiques s’expliquent
ainsi plus aisément, de même qu’ils illustrent en retour une caractéristique de la
christianisation à Byzance. L’on voit en effet dans les rituels autorisés de dialogue avec les
morts toute la complexité religieuse engendrée par le processus de christianisation, comme
changement religieux désireux de rompre avec des racines antérieures. La christianisation de
la nécromancie semble représentative du processus dans son ensemble. Elle passe en effet,
dans ce cas précis, à la fois par une radicalisation de la norme, rejetant à l’extérieur de la
sphère de la religion autorisée ce qui provient du système précédent, nonobstant une
continuité rituelle et eschatologique qui permet aux nouvelles pratiques chrétiennes de
s’insérer dans un cadre antérieur pérenne. Continuités et innovations religieuses s’articulent
donc dans un dialogue qui, à première vue, forme un ensemble composite mais qui en réalité
demeure cohérent, de part et d’autre du « licite ».

47
On retrouve la mention d’envoûtements causant des maladies chez Sophronios, Miracles de
Cyr et Jean, dans les miracles 21, 27, 35, 55, 56, 59, 63, 68. Éd. N. Fernandez Marcos Op.
Cit. pp. 292-293.
48
D. Aune Magic in early Christianity ANRW 23. 2, 1980, pp. 1506 – 1557, qui y voit une
pratique religieuse socialement déviante.

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