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Africanistes
Bellin Paul. L'enfant saharien à travers ses jeux. In: Journal de la Société des Africanistes, 1963, tome 33, fascicule 1. pp. 47-
104;
http://www.persee.fr/doc/jafr_0037-9166_1963_num_33_1_1366
PAR
P. BELLIN
1. dar Khzin : maison à coupole composée d'une seule rhorfa et qui sert le plus souvent d'entrepôt
à dattes.
2. Hutte de paille.
> 3. Coupole.
4. Nous emploierons fréquemment ce terme dans le cours de cet exposé. Précisons donc que
nous le prenons dans son sens étymologique le plus étroit, en lui refusant toute nuance
péjorative de légèreté ou d'inconscience.
l'enfant saharien a travers ses jeux 49
similitude de comportement risque cependant de nous faire
confondre deux attitudes psychologiques différentes : différence non de
degré, mais de nature. L'adulte pense à l'objet de son travail ; son
effort n'est qu'un moyen ; son but est l'œuvre achevée. Son activité
se projette hors de lui-même. Travailler c'est s'oublier. Or, l'enfant
ne s'oublie jamais. Son égocentrisme a été maintes fois signalé. Le
jeu, le résultat de la partie, les jouets, ne sont pas plus à l'enfant
que les agrès ne sont à l'athlète. Il ne vise que lui-même, et
l'exercice qui développera ses capacités. L'action ludique est, avant tout,
auto-éducative.
C'est ici qu'il convient de faire une distinction : quand Chérif
perfectionne son adresse manuelle et ses réflexes par la pratique du
barkadenbu, il obéit seulement à une tendance profonde qui
commande le mouvement, comme le bébé qui hurle pour fortifier ses
poumons. On peut donc, avec Biihler x, parler de jeu fonctionnel.
Dans un ordre d'idées quelque peu différent, on notera aussi que
l'enfant imite parfois le comportement de l'adulte. Le jeune hartani
irrigue une plantation imaginaire. Le jeune Targui joue à capturer
et à maîtriser les chamelons. Ici, nous sortons du domaine des
impulsions psycho-motrices, indépendantes de la personnalité du sujet.
L'enfant a cette fois en vue des activités adultes précises.
Cependant, au Sahara, les exemples de cette attitude sont moins
nombreux qu'on pourrait s'y attendre. Dans l'ensemble des jeux que
nous avons étudiés, nous avons été surpris de ne pouvoir reconnaître
à l'imitation du monde adulte la place primordiale que semblent lui
accorder les psychologues. Dans le cadre qui nous occupe, la parodie
du travail des aînés est peut-être nécessaire pour expliquer certains
jeux ; elle n'est pas suffisante pour expliquer le jeu. Certes, on peut
toujours trouver des analogies ! Mais, en quoi les jeux de sig, les
jeux de billes, le tamkara, rappellent-ils le mode de vie du jardinier
de l'oasis ou de l'éleveur de caprins ? On peut objecter avec Jean
Chateau 2, que le jeu est précisément un détour, que l'on n'aperçoit
pas toujours dans les moyens employés le but poursuivi, que le
boxeur se prépare au combat par le saut à la corde.
Nous l'avons déjà admis : le caractère permanent du jeu véritable
(celui que pratique le jeune Saharien, et que nous distinguons
nettement des divertissements de grandes personnes) est son rôle
formateur. Ce que nous contestons, en ce qui concerne du moins le cadre
saharien, c'est qu'il agisse principalement par imitation servile, par
1. Jardins en entonnoirs.
52 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
des palmeraies et les font travailler par d'autres ; des sédentaires de
fraîche date qui élèvent encore un petit troupeau К
Chaîne d'oasis au milieu des sables, ensemble complexe à tous égards,
le Soûf présente cependant une certaine unité économique. Si les
enfants de ce pays semblent préférer à tous autres les jeux sur damier,
est-ce parce qu'ils y trouvent une image du milieu, ou est-ce par
réaction contre celui-ci, par « compensation » ?
Les pions du damier sont, ici, des crottes de chameau, ou de petites
pierres. Le jeune Soûfi se désintéresse de la nature et de l'aspect
des accessoires matériels. Sous la futilité des choses, il aperçoit
l'essentiel : la position relative des pions sur les cases de l'échiquier, la
translation de quelques points sur certaines lignes privilégiées du
plan. Ces jeux auto-éducatifs ne sont pas la découverte des êtres et
des rapports mathématiques à partir du concret, mais bien plutôt
un exercice de fonctions mentales. Les objets, trous dans le sable ou
crottes de chameau, n'interviennent qu'en tant qu'accessoires,
soutiens de l'imagination : ce que sont au mathématicien les schémas
tracés à la craie sur le tableau noir.
Notons enfin qu'on retrouve dans les différents jeux sur damier
des enfants sahariens toutes les manières de progresser et de prendre
des différents pions des échecs, mais la synthèse n'est pas faite.
En ce qui concerne le vocabulaire, je remarque encore que mett ou
mat, c'est tout un (arabe о '* = mort).
+ + + + +
+ + + + +
+ + • •
• • • • •
• • • • • a A a1
Fig. 1 Fig. 2
a4 A a3 a2 В a3
С
В a2 a1 A a
D
a a1 a5
Fig. 3 Fig. 4
La partie est finie lorsqu'un joueur a pris tous les pions du joueur
adverse.
Voir tides des Harratin (noirs) et Touareg.
a с
a A b В
b A al С d
Fig. 5 Fig 6
a 1
b К
с
•1
F g d h
•
J e
Fig 7
Mise en place des pions. — Chaque joueur garde ses pions en main.
Puis le premier joueur place deux pions, le second deux à son tour,
le premier deux autres, etc. en toute liberté. Lorsque tous les pions
sont placés, une case quelconque reste vide.
Progression des pions. — Les pions se déplacent parallèlement
aux côtés du damier. Lorsque le jeu se trouve bloqué pour l'un des
joueurs, celui-ci saute son tour et c'est l'adversaire qui joue et, peut-
être, rejoue une ou plusieurs fois.
Gagne le joueur qui parvient à aligner ses pions soit parallèlement
aux côtés du damier (a-b-c-d-e ou f-g-d-h-i) soit en diagonale (j-g-c-k-1).
Voir ťmbl des Cha'mba et aqrad des Kel Hoggar.
A partir du moment où l'on permet l'alignement suivant les dia-
56 SOCIETE DES AFRICANISTES
gonales, l'exercice devient beaucoup plus fécond : il faut re-structurer
sans cesse le champ perceptif (l'expression « champ perceptif » n'est,
d'ailleurs, ici, qu'à demi exacte, puisque l'opération se pratique sur
des structures qui n'ont pas encore d'existence concrète. Ce n'est
pas quand l'adversaire a déjà aligné cinq pions qu'il est temps d'aviser !
En fait, l'esprit travaille sur des schemes).
Nous n'insisterons pas sur la difficulté du jeu, ni sur la
bienfaisante gymnastique mentale qu'il impose : chacun le connaît ; chacun
en a pratiqué une variante, appelée « le scorpion » ou « le morpion »
par les élèves des classes de cinquième et de quatrième des écoles
secondaires. (Dans le Soûf, le fart est apprécié par tous les jeunes,
adolescents ou enfants, mais jamais, semble-t-il, avant ce que les
pédagogues appellent « l'âge du calcul »).
LA KAABA
LA NECOUE
MEDINE
LE CAIRE
28
27
26
21 22 23 24 25
20 19 18 17 16
LE
11 12 MINARET 14 15
10 9 8 7 6
1 2 3 4 5
Fig. 8
l'enfant saharien a travers ses jeux 57
cipe de la progression est proche de celui de la course de petits
chevaux. Le parcours est figuré sur le schéma 8. Six baguettes tiennent
lieu de dés.
Vocabulaire. — Le minaret est la case centrale (13) du damier.
La Kaaba, La Mecque : c'est le terme du voyage, la case d'arrivée
qui est précédée du Caire et de Médine.
lham (viande) : côté brut des baguettes.
chham (graisse) : leur côté poli. Nous dirions pile ou face.
sig : coup qui consiste à amener cinq chham et un lham ou bien
cinq lham et un chh'am.
sig de six : six chh'am.
sig de douze : six Шат.
Départ. — Pour sortir de la première case où son pion se trouve en
position de départ, un joueur doit faire sig (5 et 1). Le sig de six et
le sig de douze ne permettent pas de prendre le départ. Lorsqu'un
joueur fait sig (5 et 1), il avance d'une case et rejoue.
Le père, la mère et le djinn. — Le premier pion qui prend le départ
est le père, le second le djinn, le troisième la mère. Père et mère
progressent d'une case par point, le djinn avance de deux cases par
point.
Décompte des points. — Après avoir jeté ses baguettes, le joueur
progresse d'un nombre de cases égal au nombre de baguettes chh'am
si le pion est père ou mère et d'un nombre de cases double de celui
des baguettes chh'am si le pion est djinn.
Dépassement. — L'un des joueurs est, par exemple, dans la case 3.
L'autre joueur, dont le pion est père ou mère, est en position de
départ dans la case 1 ; il fait sig (5 et 1), vient en case 2, rejoue et
fait 3 ; il dépasse le premier joueur et se place dans la case 5. Le
premier joueur ayant été dépassé retourne case 1 et doit faire sig
(5 et 1) pour en sortir une nouvelle fois. Il n'est pas tenu compte de
la qualité de père, djinn ou mère du pion dépassé ni de celle du pion
qui dépasse.
De jolis coups de dés. — (Avec un pion père ou mère) un joueur
fait sig (5 et 1), avance d'une case, rejoue et progresse d'un nombre
de cases égal au nombre de baguettes chham obtenu en rejouant.
Il fait sig de six, rejoue et progresse d'un nombre de cases égal au
nombre de baguettes chham obtenu en rejouant. Il fait sig de douze,
rejoue trois fois et progresse d'un nombre de cases égal au nombre
de baguettes chham obtenu en rejouant. Il faiťsí^ de six, rejoue et
amène sig (5 et 1), il avance de sept cases. Il fait sig de douze, rejoue
donc trois fois ; s'il fait sig (5 et 1) — que ce soit la première, la
deuxième ou la troisième fois — il avance de treize cases. Les mêmes
58 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
privilèges s'attachent au sig de six et au sig de douze pour le
passage du Minaret, des trois cases terminales (Le Caire, Médine et la
Kaaba) et des cases 26, 27 et 28.
Passage du Minaret. — (Avec un pion père ou mère) pour
pénétrer dans la case 13 — pour monter au Minaret — il faut faire sig
et pour en descendre de même. Son pion étant dans la case 11, un
joueur amène trois ; il se place dans la case 12 car il est arrêté par le
Minaret. Étant dans la case 10, il fait sig, se place donc en 11, puis il
rejoue, fait deux et se place dans la case 12. Étant dans la case 2,
il fait sig de douze et sig : il doit avancer de 13 cases ; il ne s'arrête
pas au Minaret et se place en 15.
Le Caire, Médine et la Kaaba. — Soit un pion père en 25. Pour
entrer en 26, il faut faire sig, de même pour passer de 26 à 27, de
27 à 28 et de 28 au Caire. Ensuite il faut faire trois fois sig pour passer
du Caire à Médine et une fois sig pour faire achever son voyage au
pion père. Pour placer le deuxième pion, le djinn, dans la case de
départ, il faut faire deux fois sig ; un nouveau sig est exigé pour que
ce pion quitte la case 1.
Quelques exemples de progression. — Soit un pion en 22. Le joueur
fait sig de douze et sig, soit treize points. Avec le pion père, la
progression est la suivante : case 23 (1), case 24 (2), case 25 (3), case 26
(4), case 27 (5), case 28 (6), Le Caire (7, 8, 9), Médine (10), La Mecque
(11) et le voyage du père est terminé. Pour le 12e point, le joueur place
son djinn dans la case 1 et pour le 13e le djinn va dans la case 2.
Soit un pion en 23. — Le joueur fait sig de douze et sig, soit encore
treize points. Le pion père progresse ainsi : case 24 (1), case 25 (2),
case 26 (3), case 27 (4), case 28 (5), Le Caire (6, 7, 8), Médine (9),
La Mecque (10) et son voyage est terminé. Pour le 11e point, le djinn
va en case 1, pour le 12e il va en 2 et pour le 13e point en 4 puisqu'il
progresse par bonds de deux cases.
Précisions sur la progression du djinn. — Le djinn, deuxième pion
à faire le voyage, avance de deux cases par point sauf en quittant la
case de départ et le Minaret où le sig libérateur ne lui permet de
progresser que d'une case. Après la case 25, le djinn progresse comme
le père et la mère.
Quelques exemples de progression du djinn. — Soit un djinn en case 5 ;
le joueur fait sig, place son pion en 7, rejoue et fait trois ; il place
son pion en 12 où il est arrêté par le Minaret. Soit un djinn en 22 ;
le joueur fait sig de douze et sig ; il va case 24 (1), case 25 (2), case 26
(3), case 27 (4), case 28 (5), au Caire (6, 7, 8), à Médine (9), à la Kaaba
(10) et son deuxième pion, le djinn, a terminé son voyage. Avec le
11e point, le troisième pion, la mère, est amené dans la case de départ,
L ENFANT SAHARIEN A TRAVERS SES JEUX 59
avec le 12e il va en 2 et avec le 13e, il va en 3. Soit un djinn en 22 ;
le joueur fait sig de six et sig ; il va case 24 (1), case 25 (2), case 26 (3),
case 27 (4), case 28 (5), au Caire (6, 7, 8) ; il devra faire un sig pour
sortir du Caire.
Fin de la partie. — Gagne le joueur qui, le premier, a conduit tous
ses pions, l'un après l'autre à la Kaaba. Le nombre de joueurs n'est
pas limité.
On retrouve bien dans ce jeu le caractère religieux du pays. Chaque
village, dans le Soûf, possède sa mosquée, relevant de telle ou telle
confrérie. Ceux des habitants qui ont fait le pèlerinage à La Mecque
sont relativement nombreux. Ce jeu révèle aussi la tendance du
Soûfi à regarder vers l'Est. La grande route, pour lui, ne conduit pas
à Alger, par Biskra ; c'est celle de Tunis. S'il décide de quitter le pays
et d'aller se fixer ailleurs, ce sera le plus souvent 1 en Tunisie. Le
Caire aussi exerce un attrait magique.
Dans le deuxième jeu de sig, nous trouvons encore ce besoin de
déplacement. Cette fois, cependant, on ne marche pas vers un but
sacré et précis : on tourne en rond. Mieux ! On va alternativement
d'un bord à l'autre du damier, comme certaines familles d'ici dont la
vie est un perpétuel va-et-vient entre le troupeau de chèvres et la
palmeraie.
•Сз •F6
7 8 9 10 11 12
+e T 15 +c + b •f-a
+Г,з 16 17 18
Fig. 9
1 #...#...#...#...#...# 4 3
( 2 ) f 2 <_>
'
ji 4*+.. .+...+...+...+...+ '1
Fig. 10 Fig. 11
1 V 5 1
II VI 6 2
III VII 7 3
IV VIII 8 4
Fig. 12
8) Tante thmi-thma.
Les enfants forment un demi-cercle en se tenant par la main.
Athman est à l'une des extrémités du demi-cercle, donnant la main
à Kina. Bachir est à l'autre extrémité. C'est Bachir qui ouvre le jeu :
Bachir à Athman. — « Ma tante thmi-thma. »
Athman. — Combien as-tu cuit de galettes ?
Bachir. — Cent moins deux.
Athman. — Qui le dernier ?
Bachir à tous les enfants sauf Kina. — Kina, Kina, Kina, Kina !
Et Bachir qui mène la ronde passe entre Athman et Kina. Puis
Bachir et Athman reprennent leur dialogue et la ronde passera,
cette fois entre Kina et l'enfant qui le précède. A chaque fois le nœud
se resserre ; la ronde se disloque ; les enfants dans un amusant désordre,
prenant appui sur les pieds et les coudes, s'arc-boutent et font saillir
le ventre.
Bachir, poursuivant Athman. — « Donne-moi mon argent.
Athman. — Attends que les pastèques soient mûres. »
Bachir et Athman, du doigt, tapotent les ventres pour apprécier
le degré de maturité des pastèques. L'enfant choisi (la pastèque
mûre) est jeté dans un camp rouge ou vert et les pastèques sont
ainsi réparties en deux tas. Bachir et Athman se retirent alors et
décident secrètement du camp qui sera le paradis. Ils passent dans
le camp choisi et, avec les élus hurlant d'enthousiasme,
poursuivent les démons en projetant devant eux de grandes brassées de
sable. En vrais démons, les autres leur rendent le même traitement.
Cependant, âgés de huit ou neuf ans, ils savent déjà jouer ensemble,
et non « en présence les uns des autres », selon la distinction que font
les pédagogues. En commun, on donne libre cours à son exubérance,
à son psittacisme. Par ailleurs, on imite l'adulte, on singe la société
des grands : « Mon argent ! » — « Attends... Je suis momentanément
gêné... ». On essaie ses jambes, on essaie ses poumons, on essaie sa voix.
64 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
9) Je me couche.
C'est notre jeu de cache-cache. L'enfant qui dit « je me couche »
s'agenouille et place la tête sur un petit tas de sable pendant que
les autres se cachent. Après un temps, il part à leur recherche. Il
poursuit l'enfant découvert et, s'il l'atteint, celui-ci prend sa place.
Les enfants cherchent à atteindre le tas de sable qui rend «
intouchable ».
Parce que, justement, il échappe peu à peu au monde des femmes,
à la protection de sa mère, le jeune Soûfi éprouve, alors, le besoin de
trouver des refuges. Le tas de sable, inviolable, est un symbole.
C'est alors qu'apparaissent des phénomènes de mimétisme : dans
les jeux, on adopte les attitudes du fennec, du chacal, des moutons.
Il y a de la résignation dans la deuxième période de l'enfance.
11) Le prisonnier.
Les enfants forment un cercle et courent. A l'intérieur du cercle,
un enfant court à quatre pattes et cherche à donner un coup de pied
à l'un quelconque de ses camarades. Celui qu'il atteint prend sa
place.
Ces jeux ne sont pas simple tumulte. Certains ont une valeur
éducative non négligeable, surtout en ce qui concerne le
développement psycho-moteur, et constituent de beaux exemples de jeux
fonctionnels.
13) La marelle.
Il n'y aucune différence avec le jeu de notre enfance. J'ai relevé
deux tracés que reproduisent les figures 13 et 14.
Fig. 13
14) Le cerceau.
Nous voyons dans ce jeu un apport de la civilisation moderne,
qui est celle de la roue. Les enfants courent en poussant devant eux
un cerceau à l'aide d'un fil de fer recourbé à son extrémité. Ils ne le
frappent pas avec une baguette.
16) La chéchia.
Les enfants du Soûf jouent à la chéchia comme les enfants de France
jouent au béret. Ce jeu a pu être introduit par un instituteur.
1. Fort de Polignac = epicentre du nomadisme Ajjer, Djanet = palmeraie. Les sahariens voient
bien l'opposition.
2. Les Touareg Ajjer et Fort Polignac. Étude géographique, historique et médicale par R. Mor-
van et S. Campana. Archives de l'Institut Pasteur d'Algérie. F. XXXVII, n° 3, septembre 1959,
p. 474-549.
3. Les Drs R. Morvan et S. Haut considèrent in « Contribution à l'étude de la population de
Djanet (pays Ajjer)», Archives de l'Institut Pasteur d'Algérie, F. XXXVII, n° 1, mars 1959, p. 73-
100, que le fond du groupe ethnique que l'on couvre du vocable commun de Kel Djanet serait, à
l'origine, un mélange de Tebbou du Tibesti et de Nègres du Kennen auquel se seraient incorporés
des esclaves razziés en Afrique occidentale, les Imedoukaten, les razzieurs, des Touareg Hoggar
libres, les Ihadanaren, des Touareg, Ajjer imrad vassaux des Oraren, les Izgagatens des Fezzanais,
des arabes du Touat, les Kel Terbona, qui longtemps régnèrent, et la descendance de quelques
militaires français.
Djanet est un creuset où se sont fondues les races les plus diverses et s'il y a un type Kel Djanet
c'est de la même manière qu'il y a un type américain.
4. Cité page précédente.
l'enfant saharien a travers ses jeux 73
28) Jeux sur damier avec baguettes : issiren (fig. 16, 17 et 18).
C'est à peu de choses près le deuxième jeu de sig présenté dans les
jeux du Soûf.
16
t ^
Fig. 17 Fig. 18
temeli : 0 1 2 3 4 5 6
tesedefi : 6 5 4 3 2 1 0
Points : 6 5 1 3 2 1 4
Tirer l'eau du puits avec une outre en peau de chèvre c'est l'affaire
du jeune garçon et de son compagnon le zébu. Abdallah, l'enfant
noir qui fait pousser le blé du Hoggar, à l'heure méridienne, retrace
dans le sable les carrés et les rigoles de son jardin, puis il répartit
l'eau imaginaire sérieusement, équitablement. Jeu noble : nous
l'appellerons L'enfant maître des Eaux.
54) Comptines.
Le nombre des joueurs importe peu. Les enfants posent les paumes
des mains sur le sable. L'un des joueurs garde une main libre qui
va de main en main, il chante la comptine :
« dam dama dam (onomatopée traduisant un bruit de tambour)
el khedhdhâb (le menteur) win el khedhdhâb (où est le menteur ?) fl
sentwra (dans la ceinture ?) win twra (où est la ceinture ?) fi mamaro
win maro (dans quoi et où Г a-t-il perdue ?) Kank ft таг (la joue d'un
âne). » (Les mots en italique ne sont pas des vocables arabes corrects.)
Il pince la main sur laquelle la comptine prend fin. Le joueur pincé
retourne alors sa main, paume offerte. Le même enfant répète
inlassablement la comptine. L'une après l'autre les mains sont retournées,
offrant les paumes. L'enfant peut alors — ce n'est nullement une
obligation — chanter une seconde comptine :
« ià jrâda (holà ! sauterelle) mélK (il y a un peu de sel) win dek
çalha (où sont les choses ?) wâc tâkul (que manges-tu ?) wâc tčreb
(que bois-tu ?) bin teffâh' (parmi les pommes) win teffâh' (où sont
les pommes ?) h' žab (une amulette) ťomáťicha (des tomates) г fed
ieddek iâ Embarek (soulève ta main holà 1 Embarek) el feth' (la porte
est ouverte). »
La comptine prend fin sur la paume d'une main qui est pincée.
90 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
La main alors se dérobe. Et la comptine reprend. La dernière main
qui reste paume offerte est recouverte de sable et chaque joueur la
frappe du poing cinq fois.
Les deux premières comptines ont été notées à Abalessa. A In-
Salah les enfants chantent avec de légères variantes :
« Dam dama dam Ikdw win Ikdw mesa win mesa mesa twri win twri
zgm К тага (la joue de l'ânesse) râs mohammed (la tête de
Mohammed) gàiï gaiï (le pus). »
« là jrâda mellť wln dik çalha wâch tâkoul wâch tchreb r'ir teffâK
win teffâK Kjâb ďďabaťta w IKaml w zamalla (la charge de chameau
ou de chamelle) iâ Embarek г fed ieddek là el maftoûK. »
A Abalessa les enfants chantent encore en tamahaq :
« Taheragressa waskeïtenfatadouza imaoualen nefella » dont j'ignore
et la transcription et le sens. Je n'en donne ci-dessus qu'une
transcription phonétique approchée.
55) Zdnklelu.
C'est la balançoire faite d'une corde fixée aux branches d'un éthel
ou d'un ťalh' (épineux).
Nombre de places 25 ou 49 9 42
(N)
Nombre de pions 24 ou 48 6 36
(n)
Alignements
recherchés 5 ou 7 3 3
(nombre de pions)
Rapport pions
alignés/places sur 1 1 1/2 ou 3/7
la ligne
64) La luge.
L'enfant prend place sur une pierre plate avec laquelle il se laisse
glisser sur la pente sablonneuse de la berge d'un oued.
Ce sont des sports aristocratiques ; le goût du risque y a une bonne
part. Ce sont aussi ce que les pédagogues appellent des « jeux de
prouesse ». Il s'agit d'étonner, de défier les partenaires, d'affirmer
sa supériorité en courage ou en adresse. Nous retrouvons ce
caractère dans le tiraut et le tamkara (fais-en autant !...).
65) tiraut.
Il s'agit de construire sur le sable un triangle de points avec les
empreintes des pointes de 3 doigts, index, majeur et annulaire,
le majeur un peu en avant, en reprenant à chaque coup une ou deux
des trois empreintes. On peut avoir de la base au sommet de l'un des
triangles les moins présomptueux 4, 3, 2 et 1 points.
l'enfant saharien a travers ses jeux 97
68) La meule.
On édifie un petit tas de sable à surface plane au centre duquel
on fiche un rameau. Au centre d'une de ces plaques de boue séchée,
curieusement lisses, qu'on rencontre parfois dans le lit des wîdân
— et qui se prêtent si parfaitement à l'aquarelle-gouache — on creuse
un trou d'un diamètre supérieur à celui du piquet et on enfile la plaque
autour du piquet. Dans le bord de la plaque, sur la moitié seulement
de son épaisseur, on creuse un petit trou où l'on fiche une brindille
de la taille d'une allumette. Tout ceci est à l'image de la meule
effectivement utilisée par les femmes du khiâm, la brindille latérale
servant à faire tourner la plaque autour du piquet central. Puis, par le
trou central, on vide du sable qui figure le blé ou le mil à moudre.
Et tourne le broyeur ! En fait, ce n'est nullement le sable qui est
moulu mais le sable qui, par frottement, use la boue en une poudre
grise et très fine chassée par rotation hors du système.
Moudre du blé, c'est une activité bien peu digne pour un Targui !
Même s'il est encore enfant ! Il est vrai qu'à cet âge on n'a pas encore
parfaitement assimilé les préjugés sociaux. Mais ne nous empressons
pas de conclure, d'après des apparences peut-être trompeuses !
Dans le jeu de la meule, il semble bien que la parodie du travail ne
constitue pas l'attrait principal, mais seulement un point de départ,
un moyen :
Une roue qui tourne, c'est très joli, c'est même fascinant pour un
enfant du désert. D'ailleurs, personne n'échappe au charme
mystérieux qui émane du phénomène de la rotation : qu'on pense seule-
l'enfant saharien a travers ses jeux 99
ment aux manèges, à la roue de la loterie, à la valse... Et cette
poussière impalpable qui apparaît comme par enchantement, et que la
force centrifuge étale en une gracieuse auréole, n'est-ce pas
merveilleux, féerique? Certes, le jouet est l'image de la meule, ustensile
pratique ; l'enfant sait, avec sa raison, que le sable qu'il verse
représente du blé ou du mil. Mais il l'oublie. L'imitation n'est pas la fin
de son comportement. Il ne se soucie pas de moudre des céréales
ou de faire semblant ; ce n'est pas en tant que telle qu'il a choisi la
meule, mais seulement parce que celle-ci lui a semblé propre à
servir de jouet (de même lorsque le jeune Européen s'empare d'un
balai, c'est pour en faire un cheval, un avion, une lance, et non pour
singer sa mère faisant le ménage).
69) La sauterelle-lumignon.
Une brindille dont l'extrémité est en tison est liée par un fil à une
patte de la sauterelle qui, libérée, vole loin dans la nuit. Les enfants
prennent un grand plaisir à suivre des yeux les courbes que décrit
le tison-feu de position.
De ces jeux-spectacles, on peut en rapprocher d'autres qui semblent
répondre au même besoin d'émotions esthétiques et de création
artistique.
1. J'ai présenté à la Société Préhistorique française une « pointe de flèche en coquille d'oeuf
d'autruche », découverte au Tassili des Ajjer par le lieutenant Olivier, dans laquelle mon collègue Hugot
voit un chameau-jouet.
l'enfant saharien a travers ses jeux 101