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Maurice Druon

de l’Académie française
TISTOU
LES POUCES VERTS
Illustrati ons : Jacqueli ne Duhème
HACHETTE Jeunesse
Mauri ce Druon

Mauri ce Druon, né à Pari s en 1918, a reçu le Pri x


Goncourt à trente ans, pui s s’ est lancé dans une grande
séri e de romans hi stori ques. Élu à l’ Académi e françai se en
1966, i l a été mi ni stre des Affai res culturelles de 1972 à
1974. Dans son œuvre, qui pei nt la soci été sous des
couleurs sombres et sati ri ques, Tistou est comme une
peti te fleur i nattendue qu’ i l a dédi ée aux enfants. Nées
avec le conte, les i mages de Jacqueli ne Duhème en sont
i nséparables.

© Mauri ce Druon, 1968.


Avant-propos
Ti stou les Pouces verts est le seul conte pour enfants
que j’aie écrit, et le seul sans doute que j’écrirai jamais.
Il m’amusa, un jour, entre deux tomes des Roi s
Maudi ts et-comme pour me détendre, de m’essayer à un
genre littéraire que je n’avais point encore abordé, et fort
éloigné de tous mes autres ouvrages. Je me suis aperçu,
chemin faisant, que les différences portaient seulement
sur la forme et l’expression, mais que les problèmes de
fond restaient bien les mêmes.
Et d’abord parce qu’il n’y a pas vraiment d’enfants
auxquels on doive s’adresser précisément. Il y a de
futures grandes personnes, et puis aussi d’anciens
enfants. Jamais, dans la vie courante, je ne prends le ton
enfantin pour parler à un enfant ; je ne l’imagine pas si
niais qu’il me faille niaiser pour m’en faire entendre.
Quand j’étais petit, et qu’on usait avec moi de cette
mauvaise façon, cela me vexait beaucoup, et je pensais,
sans bien sûr oser l’exprimer : « Voici un Monsieur bien
bête qui éprouve le besoin de s’accroupir pour faire
semblant d’être de ma taille. »
Le personnage de Tistou est un petit garçon de cette
espèce-là, qui n’admet pas que les grandes personnes lui
expliquent le monde à l’aide d’idées toutes faites. Et
comme il ouvre – c’est la vertu essentielle de l’enfance –
un œil neuf sur les êtres et les choses, il met souvent en
déroute le raisonnement des grandes personnes qui ont
le jugement faussé par les lunettes de l’habitude,
Particulièrement, il ne comprend pas pourquoi, puisqu’on
vit plus heureux avec de bons sentiments qu’avec de
mauvais, avec la liberté qu’avec la contrainte, avec la
justice qu’avec l’arbitraire, avec la paix qu’avec la guerre,
disons très simplement avec le bien qu’avec le mal, les
hommes ne parviennent pas à s’accorder pour vivre dans
le bien.
Pour ma part, et c’est probablement ce qui me reste
d’enfance, je n’ai pas encore compris ni admis cette
incapacité.
Tout enfant est impatient d’agir dans le sens du bien
commun, et il attend pour cela le miracle d’être grand. Et
puis, quand il est grand, généralement, il a oublié ce qu’il
voulait faire, ou bien il y a renoncé. Et rien ne se produit. Il
y a seulement une grande personne de plus, sans
miracle.
Tistou, lui, a la chance, et c’est là où commence la
féerie, de pouvoir agir étant petit. Et il agit en se servant
des fleurs, qui sont, exactement comme l’enfance,
promesse et espérance.
Comment ce petit homme, cette promesse d’homme,
emploie-t-il les fleurs pour rappeler aux anciens enfants
que nous sommes qu’ils peuvent vivre plus heureux ?
C’est ce que le conte va vous apprendre.
Mais il est bien évident que Tistou n’est pas un enfant
comme les autres.
Il me le prouve depuis dix ans par les amis qu’il me fait
à travers le monde et qui sont de tous les âges.

Novembre 1967.
Chapitre 1
Où l’auteur, à propos
du nom de Tistou,
fait quelques réflexions
Ti stou est un nom bi zarre que l’ on ne trouve dans aucun
calendri er, ni en France ni en d’ autres pays. Il n’ y a pas de
Sai nt Ti stou.
Or i l exi stai t un peti t garçon que tout le monde appelai t
Ti stou… Ceci méri te quelques expli cati ons.
Un jour, tout de sui te après sa nai ssance, alors qu’ i l
n’ étai t pas plus gros qu’ un pai n de ménage dans une
corbei lle de boulanger, une marrai ne en robe à manches
longues, un parrai n en chapeau noi r, avai ent porté ce peti t
garçon à l’ égli se et annoncé au curé qu’ i l s’ appelai t
Françoi s-Bapti ste. Ce jour-là, comme la plupart des
nourri ssons dans sa si tuati on, ce peti t garçon avai t
protesté, cri é, étai t devenu tout rouge. Mai s les grandes
personnes, qui ne comprennent ri en aux protestati ons des
nouveau-nés, avai ent soutenu avec assurance que cet
enfant se nommai t bi en Françoi s-Bapti ste.
Pui s la marrai ne en manches longues, le parrai n en
chapeau noi r, l’ avai ent ramené dans son berceau. Tout
aussi tôt s’ étai t produi te une chose étrange : les grandes
personnes, comme si elles n’ avai ent plus été capables de
former avec leur langue le nom qu’ elles avai ent donné à
l’ enfant, s’ étai ent mi ses à l’ appeler Ti stou.
Le fai t, di ra-t-on, n’ est pas rare. Combi en de peti ts
garçons et de peti tes fi lles sont i nscri ts à la mai ri e ou à
l’ égli se sous le nom d’ Anatole, de Suzanne, d’ Agnès ou de
Jean-Claude, et que l’ on n’ appelle jamai s autrement que
Tola, Zette, Puce ou Mi stouflet !
Ceci prouve si mplement que les grandes personnes ne
savent pas vrai ment notre nom, pas plus qu’ elles ne savent
d’ ai lleurs, en dépi t de ce qu’ elles prétendent, d’ où nous
venons, ni pourquoi nous sommes au monde, ni ce que
nous avons à y fai re.
Les grandes personnes ont, sur toutes choses, des
i dées toutes fai tes qui leur servent à parler sans réfléchi r.
Or les i dées toutes fai tes sont généralement des i dées mal
fai tes. Elles ont été fabri quées i l y a longtemps, on ne sai t
plus par qui ; elles sont très usées, mai s comme i l y en a
plusi eurs, à propos de n’ i mporte quoi , elles ont ceci de
prati que qu’ on peut en changer souvent.
Si nous ne sommes nés que pour deveni r un jour une
grande personne parei lle aux autres, les i dées toutes fai tes
se logent très faci lement dans notre tête, à mesure qu’ elle
grossi t.
Mai s si nous sommes venus sur la terre pour accompli r
un travai l parti culi er, qui réclame de bi en regarder le
monde autour de soi , les choses ne vont plus si faci lement.
Les i dées toutes fai tes refusent de rester sous notre crâne ;
elles nous sortent de l’ orei lle gauche juste après qu’ elles
sont entrées par notre orei lle droi te ; elles tombent par terre
et elles se cassent.
Nous causons ai nsi de graves surpri ses d’ abord à nos
parents et ensui te à toutes les grandes personnes qui
tenai ent si fort à leurs fameuses i dées !
Et c’ est justement ce qui se produi si t avec ce peti t
garçon qu’ on avai t appelé Ti stou, sans lui demander son
avi s.
Chapitre 2
Où l’on présente à la fois
Tistou, ses parents,
et la Maison-qui-brille
Les cheveux de Ti stou étai ent blonds et fri sés au bout.
Imagi nez des rayons de solei l qui se fussent tous termi nés
par une peti te boucle en touchant la terre. Ti stou avai t des
yeux bleus grands ouverts, des joues roses et fraîches. On
l’ embrassai t beaucoup.
Car les grandes personnes, celles surtout qui ont de
larges nari nes noi res, des ri des sur le front et du poi l dans
les orei lles, embrassent tout le temps les peti ts garçons
aux joues fraîches. Elles di sent que cela fai t plai si r aux
peti ts garçons ; c’ est encore une de leurs i dées toutes
fai tes. C’ est à elles, les grandes personnes, que cela fai t
plai si r, et les peti ts garçons aux joues fraîches sont bi en
genti ls de leur procurer cet agrément.
Tous les gens qui voyai ent Ti stou s’ écri ai ent :
— Oh ! le joli peti t garçon !
Mai s Ti stou n’ en ti rai t pas orguei l. La beauté lui semblai t
une chose naturelle. Il s’ étonnai t que tous les hommes,
toutes les femmes et tous les peti ts enfants ne fussent pas
comme ses parents et lui -même.
Car les parents de Ti stou étai ent l’ un et l’ autre fort
beaux, i l faut nous hâter de le di re, et c’ est en les regardant
que Ti stou avai t pri s l’ habi tude de penser qu’ i l étai t normal
d’ être beau, alors que la lai deur lui parai ssai t une
excepti on ou une i njusti ce.
Le père de Ti stou, qui s’ appelai t Monsi eur Père, avai t
les cheveux noi rs et soi gneusement collés à la bri llanti ne ; i l
étai t grand, très bi en vêtu ; i l n’ avai t jamai s la moi ndre
peti te poussi ère sur le col de son veston et i l se parfumai t à
l’ eau de Cologne.
Madame Mère étai t blonde et légère ; ses joues étai ent
douces comme la peau des fleurs, ses ongles étai ent
roses comme des pétales de roses, et lorsqu’ elle sortai t
de sa chambre elle répandai t autour d’ elle un parfum de
bouquet.
Vrai ment Ti stou n’ étai t pas à plai ndre, car en plus de
Monsi eur Père et de Madame Mère, qu’ i l avai t pour lui tout
seul, i l profi tai t de leur i mmense fortune.
En effet, Monsi eur Père et Madame Mère, vous l’ avez
déjà compri s, étai ent fort ri ches.
Ils habi tai ent une magni fi que mai son à plusi eurs étages
avec un perron, une véranda, un grand escali er, un peti t
escali er, de hautes fenêtres ali gnées par rangées de neuf,
des tourelles coi ffées de chapeaux poi ntus, et tout autour
un superbe jardi n.
Dans chaque pi èce de la mai son se trouvai ent des tapi s
si épai s, si moelleux que l’ on y marchai t en si lence. Pour
jouer à cache-cache, c’ étai t mervei lle, et aussi pour couri r
sans pantoufles, chose défendue qui fai sai t di re à Madame
Mère :
— Ti stou, mets les pantoufles, tu vas prendre froi d !
Mai s Ti stou n’ attrapai t jamai s de rhume, à cause des
gros tapi s.
Il y avai t aussi la rampe du grand escali er, la rampe en
cui vre, bi en asti quée, un i mmense S majuscule à plusi eurs
bosses, né dans les hauteurs de la mai son et qui tombai t
comme un éclai r d’ or sur la peau d’ ours du rez-dechaussée.
Dès qu’ i l étai t seul, Ti stou enfourchai t la rampe et
s’ élançai t pour des descentes verti gi neuses. Cette rampe
c’ étai t son toboggan pri vé, son tapi s volant, son chemi n
magi que, que chaque mati n le valet Carolus poli ssai t,
fourbi ssai t avec une ardeur farouche.
Car Monsi eur Père et Madame Mère avai ent le goût de
tout ce qui bri lle, et l’ on se donnai t grand mal pour les
sati sfai re.
Le coi ffeur, grâce à la bri llanti ne dont nous avons déjà
parlé, avai t réussi à fai re de la chevelure de Monsi eur Père
un casque à hui t reflets que tout le monde admi rai t. Les
chaussures de Monsi eur Père étai ent si bi en ci rées, si
bi en frottées, qu’ elles semblai ent, lorsqu’ i l marchai t, lancer
devant lui des éti ncelles.
Les ongles roses de Madame Mère, chaque jour
passés au poli ssoi r, bri llai ent comme di x peti tes fenêtres
au lever du solei l. Autour du cou de Madame Mère, à ses
orei lles, ses poi gnets et ses doi gts, sci nti llai ent colli ers,
boucles, bracelets et bagues de pi erres préci euses, et
lorsqu’ elle sortai t le soi r, pour aller au théâtre ou au bal,
toutes les étoi les de la nui t semblai ent ternes à côté d’ elle.
Le valet Carolus, uti li sant une poudre de son i nventi on,
avai t fai t de la rampe le chef-d’ œuvre que l’ on sai t. Il se
servai t aussi de cette poudre pour asti quer les boutons de
portes, les flambeaux d’ argent, les cri staux des lustres, les
sali ères, les sucri ers et les boucles de cei ntures.
Quant aux neuf voi tures qui couchai ent dans le garage, i l
fallai t presque chausser des lunettes noi res pour les
regarder. Lorsqu’ on les mettai t en route toutes ensemble et
qu’ elles avançai ent dans les rues, les gens s’ arrêtai ent le
long des trottoi rs. On aurai t di t la galeri e des Glaces en
promenade.
— Mai s c’ est Versai lles ! s’ écri ai ent les plus i nstrui ts.
Les di strai ts ôtai ent leur chapeau, croyant saluer un
enterrement. Les coquettes en profi tai ent pour se mi rer
dans les porti ères et se repoudrer le nez.
À l’ écuri e, on nourri ssai t neuf chevaux, plus beaux les
uns que les autres. Le di manche, lorsqu’ i l y avai t des
vi si tes, on i nstallai t les neuf chevaux dans le jardi n, pour
orner le paysage. Le Grand Noi r allai t sous le magnoli a en
compagni e de sa femme Belle Jument. Le poney
Gymnasti que prenai t sa place près du ki osque. Devant la
mai son, sur l’ herbe verte, on ali gnai t les si x chevaux
grosei lle, une race de chevaux rouges, extrêmement rares,
qu’ on élevai t chez Monsi eur Père et dont i l étai t très fi er.
Les garçons d’ écuri e, en uni forme de jockey, courai ent,
la brosse en mai n, d’ un cheval à l’ autre, car i l fallai t que les
ani maux bri llent aussi , surtout le di manche.
— Mes chevaux doi vent être comme des joyaux, di sai t
Monsi eur Père à ses jockeys.
Cet homme fastueux étai t bon ; on s’ empressai t donc de
lui obéi r. Et les jockeys brossai ent les chevaux, neuf poi ls
dans un sens, neuf poi ls dans l’ autre, si bi en que la croupe
des chevaux grosei lle ressemblai t à d’ énormes rubi s bi en
tai llés. Les cri ni ères et les queues étai ent tressées de
papi er d’ argent.
Ti stou adorai t tous ces chevaux. La nui t, i l rêvai t qu’ i l
dormai t parmi eux, sur la pai lle blonde de l’ écuri e. Le jour, i l
allai t à tout moment leur rendre vi si te.
Lorsqu’ i l mangeai t un chocolat, i l mettai t le papi er
d’ argent soi gneusement de côté et le donnai t au jockey
chargé de soi gner le poney Gymnasti que. Car de tous les
ani maux, Gymnasti que étai t de beaucoup son préféré ; et
cela se comprend pui sque Ti stou et le poney étai ent à peu
près de même tai lle.
Ai nsi , vi vant dans la Mai son-qui -bri lle, auprès de son
père, un homme sci nti llant, et de sa mère, un vrai bouquet,
au mi li eu de beaux arbres, de belles voi tures et de beaux
chevaux, Ti stou étai t un enfant très heureux.
Chapitre 3
Où l’on apprend
à connaître Mirepoil,
ainsi que l’usine
de Monsieur Père
Mi repoi l, ai nsi s’ appelai t la vi lle où Ti stou étai t né et dont
la mai son et surtout l’ usi ne de Monsi eur Père fai sai ent la
fortune et la réputati on.
Mi repoi l, à premi ère vue, étai t une vi lle comme toutes
les autres, avec égli se, pri son, caserne, bureau de tabac,
épi ceri e, bi jouteri e. Et pourtant cette vi lle comme toutes les
autres étai t connue dans le monde enti er parce que c’ étai t
à Mi repoi l que Monsi eur Père fabri quai t des canons très
demandés, des canons de tous cali bres, des gros, des
peti ts, des longs, des canons de poche, des canons
montés sur roues, des canons pour trai ns, pour avi ons,
pour tanks, pour bateaux, des canons pour ti rer par-dessus
les nuages, des canons pour ti rer sous l’ eau, et même une
vari été de canons extra-légers fai ts pour être portés à dos
de mulets ou de chameaux dans les pays où les gens
lai ssent pousser trop de cai lloux et où les routes n’ arri vent
pas à passer.
En un mot, Monsi eur Père étai t marchand de canons.
Depui s qu’ i l avai t l’ âge d’ écouter et de comprendre,
Ti stou s’ entendai t répéter :
— Ti stou, mon garçon, c’ est un bon commerce que le
nôtre. Les canons ne sont pas comme les paraplui es, dont
personne ne veut lorsqu’ i l fai t du solei l, ou comme les
chapeaux de pai lle, qui restent en devanture pendant les
étés pluvi eux. Quel que soi t le temps, on vend du canon.
Les jours où Ti stou n’ avai t pas fai m, Madame Mère le
condui sai t à la fenêtre et lui montrai t, très loi n, tout au fond
du jardi n, bi en au-delà du ki osque où se tenai t le poney
Gymnasti que, l’ usi ne monumentale qui appartenai t à
Monsi eur Père.
Madame Mère fai sai t compter à Ti stou les neuf
i mmenses chemi nées qui crachai ent du feu toutes à la foi s,
pui s elle le ramenai t vers son assi ette en lui di sant :
— Mange ton potage, Ti stou, car i l te faut grandi r. Un
jour lu seras le maître de Mi repoi l. Fabri quer des canons,
c’ est très fati -gant, et l’ on n’ a que fai re de freluquets dans
nos fami lles.
Car nul ne doutai t que Ti stou ne prît un jour la sui te de
Monsi eur Père pour di ri ger l’ usi ne, tout comme Monsi eur
Père avai t pri s la successi on de Monsi eur Grand-Père
dont le portrai t en pei nture, le vi sage encadré d’ une barbe
bri llante et la mai n posée sur un affût de canon, pendai t au
mur du grand salon.
Et Ti stou, qui n’ étai t pas mauvai s garçon, s’ appli quai t à
manger sa soupe au tapi oca.
Chapitre 4
Où Tistou
est envoyé à l’école
et n’y reste guère
Jusqu’ à l’ âge de hui t ans, Ti stou i gnora l’ école. Madame
Mère, en effet, avai t préféré commencer elle-même
l’ i nstructi on de son fi ls et lui ensei gner les rudi ments de la
lecture, de l’ écri ture et du calcul. Les résultats, i l faut en
conveni r, n’ étai ent pas mauvai s. Grâce à de très joli es
i mages achetées spéci alement, la lettre A s’ étai t i nstallée
dans la tête de Ti stou sous l’ apparence d’ un Âne, pui s
d’ une Alouette, pui s d’ un Ai gle ; la lettre B sous la forme
d’ une Bi lle, d’ une Boule, d’ un Ballon, et cætera. Pour le
calcul, on se servai t d’ hi rondelles posées sur des fi ls
électri ques. Ti stou avai t appri s non seulement à
addi ti onner ou à soustrai re, mai s i l parvenai t même à
di vi ser, par exemple, sept hi rondelles par deux fi ls… ce qui
produi t troi s hi rondelles et demi e par fi l. Comment une
demi -hi rondelle pourrai t-elle se teni r sur un fi l électri que,
cela c’ est une autre affai re que tous les calculs du monde
n’ ont jamai s pu expli quer !
Lorsque Ti stou attei gni t son hui ti ème anni versai re,
Madame Mère consi déra que sa tâche étai t termi née et
qu’ i l fallai t confi er Ti stou à un véri table professeur.
On acheta donc à Ti stou un très joli tabli er à carreaux,
des botti nes neuves qui lui serrai ent les pi eds, un cartable,
un plumi er noi r décoré de personnages japonai s, un cahi er
à grandes li gnes, un cahi er à peti tes li gnes, et on le fi t
condui re par le valet Carolus à l’ école de Mi repoi l qui avai t
très bonne réputati on.
Tout le monde s’ attendai t à ce qu’ un peti t garçon si bi en
vêtu, qui avai t des parents si beaux et si ri ches, et qui
savai t déjà di vi ser les hi rondelles par moi ti és et par quarts,
tout le monde s’ attendai t à ce que ce peti t garçon-là fît des
mervei lles en classe.
Hélas, hélas ! L’ école eut sur Ti stou un effet i mprévi si ble
et désastreux.
Lorsque s’ ouvrai t le lent défi lé des lettres qui marchent
au pas sur le tableau noi r, lorsque commençai t à se
dérouler la longue chaîne des troi s-foi s-troi s, des ci nq-foi sci
nq, des sept-foi s-sept, Ti stou éprouvai t un pi cotement
dans l’ œi l gauche et tombai t, bi entôt profondément
endormi .
Il n’ étai t pourtant ni sot ni paresseux ni fati gué non plus. Il
étai t plei n de bonne volonté.
« Je ne veux pas dormi r, je ne veux pas dormi r », se
di sai t Ti stou.
Il vi ssai t les yeux au tableau, collai t ses orei lles à la voi x
du maître. Mai s i l sentai t veni r le peti t pi cotement… Il
essayai t de lutter par tous les moyens contre le sommei l. Il
se chantai t tout bas une très joli e chanson de son
i nventi on :

Un quart d’hirondelle,
Est-ce que c’est la patte
Ou est-ce que c’est l’aile ?
Si c’était de la tarte
Je la couperais en quatre…

Ri en à fai re. La voi x du maître se changeai t en


berceuse ; i l fai sai t nui t sur le tableau noi r ; le plafond
chuchotai t à Ti stou : « Pstt, pstt, par i ci les beaux rêves ! »
et la classe de Mi repoi l devenai t la classe aux songes.
— Ti stou ! cri ai t brusquement le maître.
— Je ne l’ ai pas fai t exprès, monsi eur, répondai t Ti stou,
révei llé en sursaut.
— Cela m’ est égal. Répétez-moi ce que je vi ens de
di re !
— Si x tartes… di vi sées par deux hi rondelles…
— Zéro !
Le premi er jour d’ école, Ti stou rentra chez lui les poches
plei nes de zéros.
Le second jour, i l reçut en puni ti on deux heures de
retenue, c’ est-à-di re qu’ i l resta deux heures de plus à
dormi r dans la classe.
Au soi r du troi si ème jour, le maître remi t à Ti stou une
lettre pour son père.
Dans cette lettre, Monsi eur Père eut la douleur de li re
ces mots :
Monsieur, votre enfant n’est pas comme tout le monde.
Il nous est impossible de le garder.
L’ école renvoyai t Ti stou à ses parents.
Chapitre 5
Où le souci pèse
sur la Maison-qui-brille
et où l’on décide,
pour Tistou,
d’un nouveau
système d’éducation
Le souci est une i dée tri ste qui presse la tête au révei l et
y reste accrochée toute la journée. Le souci se sert de
n’ i mporte quoi pour entrer dans les chambres ; i l se faufi le
entre les feui lles avec le vent, i l se met à cheval sur la voi x
des oi seaux, i l court le long des fi ls de sonnettes.
Ce mati n-là, à Mi repoi l, le souci s’ appelai t : « Pas
comme tout le monde. » Le solei l ne se déci dai t pas à se
lever. « C’ est bi en ennuyeux de devoi r révei ller ce pauvre
Ti stou, se di sai t-i l. Dès qu’ i l aura les yeux ouverts, i l se
rappellera qu’ i l a été chassé de l’ école… »
Le solei l mi t une sourdi ne à sa dynamo et jeta des peti ts
rayons de ri en du tout, empaquetés de brume ; le ci el resta
gri s au-dessus de Mi repoi l.
Mai s le souci a plus d’ un tour dans son sac ; i l s’ arrange
toujours pour se fai re remarquer. Il se gli ssa dans la grosse
si rène de l’ usi ne.
Et chacun dans la mai son entendi t cette grosse si rène
cri er :
— Pas comme tout le mon-on-onde ! Ti stou n’ est pas
comme tout le mon-on-onde !
Ai nsi le souci pénétra dans la chambre de Ti stou.
« Que va-t-i l m’ arri ver ? » se demanda celui -ci . Et i l
renfonça la tête dans l’ orei ller ; mai s i l ne put pas se
rendormi r. C’ étai t désespérant, avouez-le, de si bi en
dormi r en classe et si mal dans son li t !
Madame Améli e, la cui si ni ère, grommelai t toute seule,
en allumant ses fourneaux :
— Pas comme tout le monde, notre Ti stou ? Et qu’ est-ce
qui me le prouve ? Il a deux bras, deux jambes… alors ?
Le valet Carolus, tout en asti quant la rampe de l’ escali er
d’ un mouvement rageur, répétai t :
— Pas comme ti le monde, Ti sti ! Qu’ on vi enne mi le
di re, à mi !
Carolus nous tenons à le préci ser, avai t un léger accent
étranger.
À l’ écuri e, les jockeys se chuchotai ent :
— Pas comme tout le monde, un enfant si genti l… Vous
y croyez, vous ?
Et comme les chevaux partagent les souci s des
hommes, les pur-sang grosei lle eux-mêmes parai ssai ent
nerveux, frappai ent leurs bat-flanc, ti rai ent sur leur longe.
Troi s cri ns blancs avai ent poussé brusquement au front de
Belle Jument.
Seul le poney Gymnasti que demeurai t étranger à cette
agi tati on et mangeai t son foi n d’ un ai r tranqui lle en
découvrant ses belles dents blanches termi nées par un
peti t as de trèfle.
Mai s à part ce poney qui jouai t l’ i ndi fférent, chacun en
véri té se demandai t ce qu’ on allai t fai re de Ti stou.
Et ceux qui se posai ent la questi on avec le plus
d’ i nqui étude étai ent forcément ses parents.
Devant sa glace, Monsi eur Père se fai sai t bri ller la tête,
mai s sans joi e et par habi tude.
« Voi là un enfant, réfléchi ssai t-i l, qui semble plus di ffi ci le
à élever qu’ un canon. »
Rose sur ses orei llers roses, Madame Mère lai ssa
gli sser une larme dans son café au lai t.
— S’ i l s’ endort en classe, comment l’ i nstrui re ?
demanda-t-elle à Monsi eur Père.
— La di stracti on n’ est peut-être pas une maladi e
i ncurable, répondi t celui -ci .
— La rêveri e, en tout cas, est moi ns dangereuse que la
bronchi te, repri t Madame Mère.
— Il faut tout de même que Ti stou devi enne un homme,
di t Monsi eur Père.
Après cet échange de fortes paroles, i ls se turent un
moment.
moment.
« Que fai re, que fai re ? » pensai ent-i ls chacun de son
côté.
Monsi eur Père étai t un homme aux déci si ons rapi des et
énergi ques. Di ri ger une usi ne de canons vous trempe
l’ âme. D’ autre part, i l ai mai t beaucoup son fi ls.
— C’ est très si mple ; j’ ai trouvé, déclara-t-i l. Ti stou
n’ apprend ri en à l’ école ; eh bi en ! i l n’ i ra plus dans aucune
école. Ce sont, les li vres qui l’ endorment ; suppri mons les
li vres. Nous allons essayer sur lui un nouveau système
d’ éducati on… pui squ’ i l n’ est pas comme tout le monde ! Il
apprendra les choses qu’ i l doi t savoi r en les regardant
di rectement. On lui ensei gnera sur place à connaître les
cai lloux, le jardi n, les champs ; on lui expli quera comment
foncti onnent la vi lle, l’ usi ne et tout ce qui pourra l’ ai der à
deveni r une grande personne. La vi e, après tout, c’ est la
mei lleure école qui soi t. On verra bi en le résultat.
Madame Mère, avec enthousi asme, approuva la
déci si on de Monsi eur Père. Elle regretta presque de
n’ avoi r pas d’ autres enfants auxquels appli quer ce
sédui sant système éducati f.
Pour Ti stou, c’ en étai t fi ni des tarti nes avalées en hâte,
du cartable à traîner, du pupi tre où la tête tombe toute seule
et des zéros par poi gnées dans la poche ; une nouvelle vi e
allai t commencer.
Et le solei l se remi t à bri ller.
Chapitre 6
Où Tistou
prend une leçon de jardin,
et découvre, du même coup,
qu’il a les pouces verts
Ti stou mi t son chapeau de pai lle pour aller prendre sa
leçon de jardi n.
Monsi eur Père avai t jugé logi que de commencer par là
l’ expéri ence du nouveau système d’ éducati on. Une leçon
de jardi n, c’ étai t au fond une leçon de terre, la terre sur
laquelle nous marchons, qui produi t les légumes que nous
mangeons, les herbes dont on nourri t les ani maux jusqu’ à
ce qu’ i ls soi ent assez gros pour être mangés…
— La terre, avai t déclaré Monsi eur Père, est à l’ ori gi ne
de tout.
« Pourvu que le sommei l ne me reprenne pas ! » se
di sai t Ti stou en se rendant à la leçon.
Dans la serre, le jardi ni er Moustache, prévenu par
Monsi eur Père, attendai t son élève.
Le jardi ni er Moustache étai t un vi ei l homme soli tai re,
peu bavard et pas toujours ai mable. Une extraordi nai re
forêt, couleur de nei ge, lui poussai t sous les nari nes.
La moustache de Moustache, comment vous la décri re ?
Une véri table mervei lle de la nature. Les jours de bi se,
lorsque le jardi ni er s’ en allai t la pelle sur l’ épaule, c’ étai t
superbe à voi r ; on aurai t di t deux flammes blanches qui lui
sortai ent du nez et lui battai ent les orei lles.
Ti stou ai mai t bi en le vi eux jardi ni er, mai s i l en avai t un
peu peur.
— Bonjour, Monsi eur Moustache, di t Ti stou en soulevant
son chapeau.
— Ah ! te voi là, répondi t le jardi ni er. Eh bi en ! on va voi r
de quoi tu es capable. Voi ci un tas de terreau et voi ci des
pots à fleurs. Tu vas rempli r les pots avec du terreau,
enfoncer ton pouce au mi li eu pour fai re un trou et ranger les
pots en li gne le long du mur. Après nous mettrons dans les
trous les grai nes qui convi ennent.
Les serres de Monsi eur Père étai ent admi rables et
di gnes en tout poi nt du reste de la mai son. Sous l’ abri des
vi tres éti ncelantes, on entretenai t, grâce à un gros
calori fère, une atmosphère humi de et chaude ; les
mi mosas y fleuri ssai ent en plei n hi ver ; i l y poussai t des
palmi ers i mportés d’ Afri que ; on y culti vai t des li s pour leur
beauté, des tubéreuses et des jasmi ns pour leur parfum, et
même des orchi dées, qui ne sont pas belles et qui ne
sentent ri en, pour une quali té tout à fai t i nuti le à une fleur et
qui s’ appelle la rareté.
Moustache étai t seul maître dans cette parti e du
domai ne. Quand Madame Mère fai sai t vi si ter les serres à
ses ami es du di manche, le jardi ni er, habi llé d’ un tabli er
neuf, s’ i nstallai t sur la porte, ai mable et causant comme
une pi oche.
À la moi ndre tentati ve, de la part d’ une de ces dames,
de toucher aux fleurs, ou seulement d’ en respi rer le parfum,
Moustache bondi ssai t sur l’ i mprudente et lui di sai t :
— Non mai s ! Vous voulez peut-être me les tuer, me les
étrangler, me les suffoquer ?
Ti stou, en accompli ssant la tâche que Moustache lui
avai t donnée, eut une bonne surpri se : ce travai l ne
l’ endormai t pas. Au contrai re, i l y prenai t plai si r. Il trouvai t
que le terreau avai t une bonne odeur. Un pot vi de, une
pelletée, un trou avec le pouce et le tour étai t joué. On
passai t au sui vant. Les pots s’ ali gnai ent le long du mur.
Pendant que Ti stou conti nuai t avec beaucoup
d’ appli cati on, Moustache fai sai t lentement le tour du jardi n.
Et Ti stou découvri t ce jour-là pourquoi le vi eux jardi ni er
parlai t si peu aux gens ; c’ est qu’ i l parlai t aux fleurs.
Vous comprenez ai sément que tourner le compli ment à
chaque rose d’ un massi f, a chaque œi llet d’ un bui sson, ne
lai sse guère de voi x, le soi r venu, pour lancer des « Bonne
nui t, monsi eur » ou « Bon appéti t, madame » ou encore
des « À vos souhai ts ! » lorsqu’ on éternue devant vous,
toutes choses qui font di re de quelqu’ un : « Comme i l est
poli ! »
Moustache allai t d’ une fleur à l’ autre, s’ i nqui étai t de la
santé de chacune.
— Alors, la rose-thé, toujours gami ne ; on joue à garder
des boutons en réserve pour les fai re éclater quand
personne ne s’ y attend ? Et toi , le volubi li s, tu te prends
pour le roi de là montagne, à vouloi r t’ échapper vers le haut
de mes châssi s ! En voi là des façons !
Pui s i l se tourna vers Ti stou et lui cri a de loi n :
— Alors, c’ est pour aujourd’ hui ou c’ est pour demai n ?
— Ne vous i mpati entez pas, professeur ; je n’ ai plus que
troi s pots à rempli r, répondi t Ti stou.
Il se hâta de termi ner et alla rejoi ndre Moustache à
l’ autre bout du jardi n.
— Voi là, j’ ai fi ni .
— Bon, nous allons voi r ça, fi t le jardi ni er.
Ils revi nrent lentement, parce que Moustache en profi tai t,
i ci pour féli ci ter une grosse pi voi ne de sa bonne mi ne, là
pour encourager un hortensi a à deveni r bleu… Soudai n, i ls
s’ i mmobi li sèrent, ébahi s, bouleversés, stupéfai ts.
— Voyons, voyons, je ne rêve pas, di t Moustache en se
frottant les yeux. Tu voi s bi en la même chose que moi ?
— Mai s oui , Monsi eur Moustache.
Le long des murs, là, à quelques pas, tous les pots
rempli s par Ti stou avai ent fleuri , en ci nq mi nutes !
Entendons-nous bi en ; i l ne s’ agi ssai t pas d’ une
florai son ti mi de, de quelques pousses hési tantes et pâles.
Non ! dans chaque pot s’ épanoui ssai ent de superbes
bégoni as, et* tous ces bégoni as ali gnés formai ent un
épai s bui sson rouge.
— Ce n’ est pas croyable, di sai t Moustache. Il faut au
moi ns deux moi s pour fai re des bégoni as comme ceux-ci !
Un prodi ge est un prodi ge ; on commence par le
constater et ensui te on essai e de l’ expli quer.
Ti stou demanda :
— Mai s pui squ’ on n’ avai t pas mi s de grai nes, Monsi eur
Moustache, d’ où vi ennent ces fleurs ?
— Mystère… mystère…, répondi t Moustache.
Pui s, brusquement, i l pri t entre ses mai ns rugueuses les
peti tes mai ns de Ti stou, en di sant :
— Montre-moi donc tes pouces !
Il exami na attenti vement les doi gts de son élève, au-
dessus, au-dessous, dans l’ ombre et dans la lumi ère.
— Mon garçon, di t-i l enfi n après mûre réflexi on, i l t’ arri ve
une chose aussi surprenante qu’ extraordi nai re. Tu as les
pouces verts.
— Verts ? s’ écri a Ti stou, fort étonné. Moi , je les voi s
roses, et même plutôt sales pour le moment. Ils ne sont pas
verts.
— Bi en sûr, bi en sûr, tu ne peux pas le voi r, repri t
Moustache. Un pouce vert est i nvi si ble. Cela se passe
sous la peau ; c’ est ce qu’ on appelle un talent caché. Seul
un spéci ali ste peut le découvri r. Or je sui s spéci ali ste et je
t’ affi rme que tu as les pouces verts.
— À quoi ça sert, les pouces verts ?
— Ah ! c’ est une quali té mervei lleuse, répondi t le
jardi ni er, un vrai don du Ci el ! Voi s-tu, i l y a des grai nes
partout. Non seulement dans la terre ; mai s i l y en a sur le
toi t des mai sons, sur le rebord des fenêtres, sur les
trottoi rs, sur les pali ssades, sur les murs. Des mi lli ers, des
mi lli ards de grai nes qui ne servent à ri en. Elles sont là,
elles attendent qu’ un coup de vent les pousse vers un
champ ou un jardi n. Souvent elles meurent, pri ses entre
deux pi erres, sans avoi r pu se changer en fleurs. Mai s si un
pouce vert se pose sur une de ces grai nes, où qu’ elle soi t,
la fleur pousse, i nstantanément. Du reste, tu en as la
preuve devant toi . Tes pouces ont découvert dans la terre
des grai nes de bégoni as, et tu voi s le résultat. Croi s-moi ,
je t’ envi e ; ça m’ aurai t été bi en uti le, dans mon méti er,
d’ avoi r les pouces verts.
Ti stou ne parut pas enchanté de la révélati on.
— On va encore di re que je ne sui s pas comme tout le
monde, murmura-t-i l.
— Le mi eux, répli qua Moustache, c’ est de n’ en parler à
personne. À quoi bon évei ller la curi osi té ou la jalousi e ?
Les talents cachés ri squent toujours de nous atti rer des
ennui s. Tu as les pouces verts, c’ est entendu. Eh bi en !
garde-le pour toi , et que cela reste un secret entre nous.
Sur le carnet de notes, remi s par Monsi eur Père, et que
Ti stou devai t fai re si gner à la fi n de chaque leçon, le
jardi ni er Moustache écri vi t si mplement :
Ce garçon présente de bonnes dispositions pour le
jardinage.
Chapitre 7
Où l’on confie Tistou
à Monsieur Trounadisse,
qui lui donne
une leçon d’ordre
Sans doute le tempérament explosi f de Monsi eur
Trounadi sse lui venai t-i l d’ une longue fréquentati on des
canons.
Monsi eur Trounadi sse étai t l’ homme de confi ance de
Monsi eur Père. Monsi eur Trounadi sse survei llai t les
nombreux employés de l’ usi ne et les comptai t chaque
mati n pour s’ assurer qu’ i l n’ en manquai t aucun ; i l regardai t
à l’ i ntéri eur des canons pour voi r s’ i ls étai ent bi en droi ts ; i l
véri fi ai t le soi r la fermeture des portes et souvent travai llai t
tard dans la nui t afi n de contrôler l’ ali gnement des chi ffres
dans les grands li vres de comptes. Monsi eur Trounadi sse
étai t un homme d’ ordre.
Aussi Monsi eur Père avai t-i l pensé à lui pour poursui vre
dès le lendemai n l’ éducati on de Ti stou.
— Aujourd’ hui , leçon de vi lle et leçon d’ ordre ! cri a
Monsi eur Trounadi sse, debout dans le vesti bule et comme
s’ i l s’ étai t adresse à un régi ment.
Il convi ent de préci ser que Monsi eur Trounadi sse avai t
été dans l’ ai mée avant d’ être dans les canons, et s’ i l
n’ avai t pas i nventé la poudre, au moi ns i l savai t s’ en servi r.
Ti stou se lai ssa gli sser le long de la rampe.
— Veui llez remonter, lui di t Monsi eur Trounadi sse, et
descendre par les marches.
Ti stou obéi t, bi en qu’ i l lui semblât i nuti le de remonter
pour redescendre, pui squ’ i l étai t déjà en bas.
— Que portez-vous sur la tête ? demanda Monsi eur
Trounadi sse.
— Une casquette à carreaux…
— Alors mettez-la droi te.
N’ allez pas croi re que Monsi eur Trounadi sse étai t un
méchant homme ; i l avai t seulement les orei lles très
rouges, et pour un oui ou pour un non ai mai t à se tacher.
« J’ aurai s préféré conti nuer mon éducati on avec
Moustache », se di sai t Ti stou.
Et i l se mi t en route à côté de Monsi eur Trounadi sse.
— Une vi lle, commença Monsi eur Trounadi sse qui avai t
bi en préparé la leçon, se compose, comme vous pouvez le
voi r, de rues, de monuments, de mai sons et de gens qui
habi tent dans ces mai sons. À votre avi s, qu’ est-ce qui est
le plus i mportant dans une vi lle ?
— Le jardi n des plantes, répondi t Ti stou.
— Non, répli qua Monsi eur Trounadi sse, le plus
i mportant, dans une vi lle, c’ est l’ ordre. Nous allons donc
vi si ter d’ abord le monument où l’ on mai nti ent l’ ordre. Sans
ordre, une vi lle, un pays, une soci été, ne sont que du vent et
ne peuvent durer.
L’ ordre est une chose i ndi spensable et, pour conserver
l’ ordre, i l faut puni r le désordre !
« Certai nement, Monsi eur Trounadi sse doi t avoi r rai son,
pensa Ti stou. Mai s pourquoi cri e-t-i l si fort ? Voi là une
grande personne qui a une voi x de trompette. Faut-i l fai re
tant de brui t, à cause de l’ ordre ? »
Dans les rues de Mi repoi l, les passants se retournai ent
sur eux, et Ti stou en étai t gêné.
— Ti stou, ne vous lai ssez pas di strai re. Qu’ est-ce que
l’ ordre ? demanda Monsi eur Trounadi sse d’ un ton sévère.
— L’ ordre ? C’ est quand on est content, di t Ti stou.
Monsi eur Trounadi sse fi t « Hum ! » et ses orei lles
devi nrent plus rouges qu’ elles n’ étai ent d’ habi tude.
— J’ ai remarqué, conti nua Ti stou sans se lai sser
i nti mi der, que mon poney Gymnasti que, par exemple,
lorsqu’ i l est bi en bouchonné, bi en pei gné et qu’ i l a la
cri ni ère tressée de papi er d’ argent, est plus content que
lorsqu’ i l est couvert de crotte. Et je sai s aussi que le
jardi ni er Moustache fai t des souri res aux arbres lorsqu’ i ls
sont bi en tai llés. Ce n’ est pas de l’ ordre, ça ?
Cette réponse ne parut guère sati sfai re Monsi eur
Trounadi sse dont les orei lles devi nrent encore plus rouges.
— Et que fai t-on des gens qui sèment le désordre ?
demanda-t-i l.
— Ils doi vent être puni s, sûrement, répondi t Ti stou, qui
pensa que « semer le désordre c’ étai t un peu comme
« semer ses pantoufles » dans sa chambre ou « semer
ses jouets » dans le jardi n.
— On les met en pri son, i ci , déclara Monsi eur
Trounadi sse en montrant à Ti stou, d’ un grand geste, un
i mmense mur, tout gri s, sans une fenêtre, un mur qui n’ étai t
pas normal.
— C’ est ça, la pri son ? di t Ti stou.
— C’ est cela, di t Monsi eur Trounadi sse. C’ est le
monument qui sert à mai nteni r l’ ordre.
Ils longèrent le mur et parvi nrent devant une haute gri lle
noi re, héri ssée de poi ntes pi quantes. Et derri ère la gri lle
noi re, on voyai t d’ autres gri lles noi res, et derri ère le mur
tri ste, d’ autres murs tri stes. Et tous les murs et toutes les
gri lles étai ent également surmontés de pi quants.
— Pourquoi le maçon a-t-i l mi s ces vi lai ns pi quants
partout ? demanda Ti stou. À quoi cela sert-i l ?
— À empêcher les pri sonni ers de s’ évader.
— Si cette pri son étai t moi ns lai de, di t Ti stou, i ls
aurai ent peut-être moi ns envi e de s’ en aller.
Les joues de Monsi eur Trounadi sse devi nrent aussi
rouges que ses orei lles.
« Étrange enfant, pensa-t-i l. Toute son éducati on est à
fai re. » Et à haute voi x, i l ajouta :
— Tu devrai s savoi r qu’ un pri sonni er est un homme
méchant.
— On le met donc là pour le guéri r de sa méchanceté ?
di t Ti stou.
— On le met là pour l’ empêcher de nui re aux autres
hommes.
— Il guéri rai t sûrement plus vi te si l’ endroi t étai t moi ns
lai d, di t encore Ti stou.
« Ah ! i l est têtu ! » pensa Monsi eur Trounadi sse.
Ti stou aperçut, derri ère les gri lles, des pri sonni ers qui
marchai ent en rond, tête basse, sans prononcer un mot. Ils
parai ssai ent affreusement malheureux, avec leur crâne
rasé, leurs vêtements rayés et leurs grosses chaussures.
— Qu’ est-ce qu’ i ls font là ?
— Ils sont en récréati on, di t Monsi eur Trounadi sse.
« Eh bi en, vrai ! pensa Ti stou. Si c’ est ça leur récréati on,
comment doi vent être leurs heures de classe ! Vrai ment
cette pri son étai t trop tri ste. »
Il avai t envi e de pleurer, et ne prononça pas un mot
pendant tout le chemi n du retour. Monsi eur Trounadi sse
i nterpréta ce si lence comme un bon si gne et pensa que la
leçon d’ ordre avai t porté ses frui ts.
Néanmoi ns, i l écri vi t sur le carnet de notes de Ti stou :
Cet enfant est à surveiller de près ; il se pose trop de
questions.
Chapitre 8
Où Tistou
fait un rêve affreux,
et ce qu’il en résulte
Certes, Ti stou se posai t trop de questi ons ; i l s’ en posai t
même en dormant.
La nui t qui sui vi t la leçon d’ ordre, i l eut un épouvantable
cauchemar. Bi en sûr, les rêves ne sont que des rêves, et i l
ne faut pas leur accorder une i mportance exagérée. Mai s
on ne peut s’ empêcher de rêver.
Or, Ti stou, dans son sommei l, vi t son poney
Gymnasti que enti èrement rasé et qui marchai t en rond
entre de grands murs sombres. Et derri ère lui les pur-sang
grosei lle, la tête rasée eux aussi , habi llés de costumes
rayés, le pi ed lourd et traînard dans des botti nes ri di cules,
tournai ent, tournai ent sans s’ arrêter. Soudai n le poney
Gymnasti que, regardant à droi te et à gauche pour
s’ assurer qu’ on ne le voyai t pas, pri t son élan, bondi t afi n
de franchi r la gri lle et retomba sur les grands pi quants de
fer. Planté là-haut, i l battai t l’ ai r de ses quatre chaussures
et henni ssai t lamentablement…
Ti stou se révei lla en sursaut, le front moi te, le cœur
battant ;
« Heureusement, ce n’ étai t qu’ un rêve, se di t-i l bi en vi te.
Gymnasti que est à l’ écuri e, et les pur-sang aussi . »
Mai s i l ne parvi nt pas à se rendormi r.
« Ce qui serai t si tri ste pour des chevaux doi t être
encore pi re pour des hommes, pensai t-i l. Pourquoi rendre
aussi lai ds ces pauvres pri sonni ers ; i ls n’ en devi endront
pas mei lleurs. Je sai s bi en que moi si l’ on m’ enfermai t là,
même sans avoi r ri en fai t de mal, je fi ni rai s sûrement par
être très méchant. Que pourrai t-on fai re pour qu’ i ls soi ent
moi ns malheureux ? »
Il entendi t sonner onze heures, pui s mi nui t, au clocher de
Mi repoi l. Il conti nuai t de se poser des questi ons.
Et soudai n, une peti te i dée lui gratta le fond de la tête.
« Et si on leur fai sai t pousser des fleurs, à ces gens-là ?
Cela rendrai t l’ ordre moi ns lai d et les pri sonni ers
devi endrai ent peut-être plus sages. Si j’ essayai s mes
pouces verts ? J’ en parlerai à Monsi eur Trounadi sse… »
Mai s i l pensa aussi tôt-que Monsi eur Trounadi sse
devi endrai t tout rouge. Et i l se rappela le consei l de
Moustache : ne pas parler de ses pouces verts.
« Il faut que je fasse cela tout seul, sans qu’ on le
sache. »
Une i dée qui s’ i nstalle dans la tête devi ent résoluti on.
Une résoluti on ne lai sse l’ âme en pai x que lorsqu’ on l’ a
accompli e. Ti stou senti t qu’ i l ne pourrai t pas se rendormi r
avant d’ avoi r mi s son projet à exécuti on.
Il sorti t de son li t, chercha ses pantoufles ; l’ une s’ étai t
cachée sous la commode, et l’ autre… l’ autre ?… l’ autre se
moquai t de lui , pendue à la poi gnée de la fenêtre. Voi là ce
que c’ est, de lancer ses pantoufles en l’ ai r !
Ti stou se gli ssa hors de la chambre ; les gros tapi s
étouffai ent ses pas. Doucement, i l gagna la rampe, se
lai ssa gli sser sur le ventre.
Dehors, la lune étai t plei ne. Elle avai t gonflé ses deux
joues avec de l’ ai r tout neuf.
La lune est plutôt favorable aux gens qui se promènent
la nui t. À pei ne aperçut-elle Ti stou, dans sa longue
chemi se blanche, au mi li eu de la pelouse, qu’ elle se donna
vi te un grand coup de poli ssoi r en se servant d’ un nuage
qui se trouvai t à portée de sa mai n.
« Si je ne vei lle pas sur ce garçon-là, se di t-elle, i l i ra
fi ni r le nez dans un fossé. »
Elle reparut, plus bri llante que jamai s, et elle adressa
même un message à toutes les étoi les de la Voi e lactée,
afi n qu’ elles envoi ent leurs mei lleurs rayons.
Ai nsi , protégé par la lune et par les étoi les, Ti stou,
moi ti é marchant, moi ti é courant par les rues désertes,
arri va sans encombre jusqu’ à la pri son.
Il n’ étai t pas bi en tranqui lle, on le comprend. C’ étai t sa
premi ère expéri ence.
« Pourvu que mes pouces verts foncti onnent bi en !
Pourvu que Moustache ne se soi t pas trompé ! »
Ti stou appli qua ses pouces partout où i l put, par terre, à
l’ endroi t où le mur s’ enfonçai t dans le trottoi r, et dans les
trous entre les pi erres, et au pi ed de chaque barreau de
gri lle. Il travai lla très consci enci eusement. Il n’ oubli a pas les
serrures de la porte d’ entrée, ni même la guéri te où
dormai t un gendarme.
Et quand i l eut fi ni , i l rentra chez lui , et cette foi s
s’ endormi t sans di ffi culté.
Le valet eut même toutes les pei nes du monde, le
lendemai n mati n, à le révei ller.
— Ti sti , voyons, i l fi grrand sôl i lle !
Le valet Carolus, nous croyons vous l’ avoi r déjà di t,
parlai t avec un léger accent étranger.
Ti stou avai t une questi on sur le bout de la langue, mai s i l
n’ osa pas la poser. Il n’ eut toutefoi s pas longtemps à
attendre pour connaître te résultat de son entrepri se.
Car la pri son… Ah ! là, là ! Un coup de canon ti ré par
Monsi eur Trounadi sse sur la grand-place de Mi repoi l
n’ aurai t pas fai t plus de brui t. Imagi nez l’ effarement de
toute une ci té devant un parei l prodi ge ! Imagi nez la stupeur
des Mi ropoi lus (ai nsi se nomment les habi tants de
Mi repoi l) en découvrant leur pri son transformée en château
de fleurs, en palai s des mervei lles !
Avant di x heures, la vi lle enti ère étai t au courant de la
fabuleuse nouvelle. À mi di , toute la populati on se tenai t
assemblée devant le grand mur couvert de roses et les
gri lles changées en charmi lles.
Pas une fenêtre de la pri son, pas un barreau qui n’ eût
reçu sa part de fleurs ! Les ti ges gri mpai ent, s’ enroulai ent,
retombai ent ; des cactus, sur la crête des murs,
remplaçai ent partout les affreux pi quants.
Le plus curi eux étai t peut-être la guéri te où le
chèvrefeui lle avai t poussé si vi te que le gendarme de
garde s’ y trouvai t i mmobi li sé. Les plantes avai ent pri s son
fusi l pour tuteur et bloqué rentrée : La foule, ébahi e,
contemplai t ce gendarme qui , paci fi que et rési gné, fumai t
sa pi pe à l’ abri d’ une tonnelle.
Personne ne pouvai t s’ expli quer ce mi racle, personne…
sauf, bi en entendu, le jardi ni er Moustache, qui vi nt voi r, lui
aussi , et reparti t sans ri en di re.
Mai s l’ après-mi di , lorsque Ti stou, ayant remi s son
chapeau de pai lle, s’ avança vers lui pour prendre sa
deuxi ème leçon de jardi n, Moustache l’ accuei lli t par ces
mots :
— Ah ! te voi là, toi ! Pas mal, pas mal, le coup de la
pri son. Pour un début, c’ est un joli début.
Ti stou se senti t un peu gêné.
— Sans vous, Monsi eur Moustache, je n’ aurai s jamai s
su que j’ avai s les pouces verts, di t Ti stou en mani ère de
remerci ement.
Mai s Moustache n’ ai mai t guère les effusi ons.
— C’ est bon, c’ est bon, répondi t-i l. Mai s tu as abusé du
chèvrefeui lle. Et pui s fai s attenti on à l’ ari stoloche. C’ est un
gri mpant qui fourni t bi en, mai s sa feui lle est sombre. La
prochai ne foi s, force un peu sur le volubi li s ; ça mettra une
note de gai eté.
Ai nsi Moustache devi nt le consei ller secret de Ti stou.
Chapitre 9
Où les savants
ne découvrent rien,
mais où Tistou, lui,
fait une découverte
Les grandes personnes ont la mani e de vouloi r à toute
force expli quer l’ i nexpli cable.
Tout ce qui les surprend les agace, et, dès qu’ i l se
produi t dans le monde quelque chose de nouveau, elles
s’ acharnent à vouloi r démontrer que cette chose nouvelle
ressemble à une autre qu’ elles connai ssai ent déjà.
Qu’ un volcan s’ étei gne pai si blement, comme une
ci garette à bout de course, et voi là aussi tôt une douzai ne
de savants à lunettes qui se penchent au-dessus du
cratère, écoutent, reni flent, se font descendre par des
cordes, s’ écorchent les genoux, remontent, enferment de
l’ ai r dans des tubes, font des dessi ns, écri vent des li vres,
se di sputent, au li eu de constater si mplement : « Ce
volcan-là s’ est arrêté de fumer ; i l doi t avoi r le nez
bouché. »
Sont-i ls jamai s arri vés, au bout du compte, à nous di re
comment les volcans foncti onnent ?
Le mystère de la pri son de Mi repoi l fourni ssai t aux
grandes personnes une bonne occasi on de s’ agi ter. Les
journali stes et les photographes arri vèrent les premi ers,
parce que c’ est leur méti er, et i ls occupèrent
i mmédi atement toutes les chambres de l’ hôtel du Peti tSai
nt-Jean et des Ambassadeurs qui étai t le seul de la
vi lle.
Pui s accoururent d’ un peu partout, en trai n, en avi on, en
taxi , et même certai ns à bi cyclette, les savants qu’ on
appelle botani stes et qui s’ occupent de couper les fleurs en
quatre, de leur donner des noms di ffi ci les, de les fai re
sécher sur du papi er buvard et de voi r en combi en de
temps elles perdent leurs couleurs.
Leur méti er exi ge beaucoup d’ études.
Quand des botani stes se rassemblent i ls forment un
congrès. Il y avai t donc à Mi repoi l un congrès de
botani stes. S’ i l exi ste une i nfi ni e vari été de fleurs, en
revanche on ne connaît que troi s sortes de botani stes les
botani stes di sti ngués, les botani stes réputés, et les
émi nents botani stes. Ils se saluent en s’ appelant :
« Maître… Monsi eur le Professeur… Mon honoré
confrère… »
Comme l’ hôtel étai t rempli par les journali stes qui
refusai ent d’ en bouger, on fut obli gé, pour loger les
botani stes, de leur i nstaller un campi ng sur la grand-place.
On aurai t cru un ci rque, mai s c’ étai t moi ns amusant.
Ti stou vi vai t dans l’ anxi été.
— Si l’ on découvre que c’ est moi , confi a-t-i l à
Moustache, ça va en fai re une hi stoi re !
— Ne t’ i nqui ète pas, répondi t le jardi ni er ; ce sont des
gens qui ne savent même pas fai re un bouquet. Ils ne
découvri ront ri en, j’ en mettrai s mes moustaches à couper !
Et, en effet, au bout d’ une semai ne pendant laquelle, une
loupe en mai n, i ls exami nèrent chaque fleur et chaque
feui lle, les savants n’ étai ent pas plus avancés. Les fleurs
de la pri son étai ent des fleurs comme toutes les autres, i l
fallai t bi en le reconnaître ; leur seule étrangeté étai t d’ avoi r
poussé en une nui t. Alors les savants commencèrent à se
di sputer, à s’ accuser les uns les autres de mensonge,
d’ i gnorance et de mysti fi cati on. Et cette foi s leur campi ng
ressemblai t tout à fai t à un ci rque.
Mai s un congrès doi t toujours se termi ner par une
déclarati on. Les botani stes fi ni rent donc par en rédi ger
une, plei ne de mots lati ns, pour que personne n’ y pui sse
ri en comprendre ; i ls parlèrent de condi ti ons
atmosphéri ques parti culi ères, de peti ts oi seaux qui
aurai ent lai ssé choi r les grai nes et d’ une ferti li té
excepti onnelle des murs de la pri son due à un certai n
usage qu’ en fai sai ent les chi ens de Mi repoi l. Pui s i ls s’ en
allèrent dans un autre pays où l’ on avai t découvert une
ceri se sans noyau, et Ti stou retrouva la tranqui lli té.
Et les pri sonni ers, dans tout cela ? Vous avez
certai nement envi e de connaître ce que pensai ent les
pri sonni ers.
Sachez donc que la surpri se des botani stes, leur
agi tati on, leur émoi , ne furent ri en auprès de
l’ émervei llement des pri sonni ers.
Comme i ls ne voyai ent plus de barreaux devant leurs
cellules, plus de barbelés ni de pi quants aux murs, i ls
oubli èrent de s’ évader. Les plus gri ncheux cessèrent de
récri mi ner, tant i ls avai ent plai si r à contempler ce qui les
entourai t ; les méchants perdi rent l’ habi tude de se fâcher et
de se battre. Le chèvrefeui lle qui poussai t dans les
serrures empêchai t de fermer les portes, mai s les li bérés
eux-mêmes refusèrent de s’ en aller ; i ls avai ent pri s goût au
jardi nage.
Et la pri son de Mi repoi l fut ci tée en exemple dans le
monde enti er.
Qui se réjoui ssai t le plus ? C’ étai t Ti stou. Il tri omphai t en
secret.
Mai s le secret est fati gant à garder.
Lorsqu’ on est heureux, on a envi e de le di re et même de
le cri er. Or, Moustache n’ avai t pas toujours le temps
d’ écouter les confi dences de Ti stou. Ai nsi Ti stou pri t
l’ habi tude, quand le secret l’ étouffai t un peu, de parler au
poney Gymnasti que.
Les orei lles de Gymnasti que étai ent doublées d’ une
joli e fourrure bei ge, très douce et très agréable aux lèvres.
Ti stou, en passant, y gli ssai t volonti ers quelques mots.
— Gymnasti que, écoute-moi bi en et ne le répète à
personne, di t Ti stou un mali n qu’ i l rencontra le poney dans
la prai ri e.
Gymnasti que remua l’ orei lle.
— J’ ai découvert quelque chose d’ extraordi nai re ! repri t
Ti stou. Les fleurs empêchent le mal de passer.
Chapitre 10
Où Tistou retrouve
Monsieur Trounadisse
qui lui donne
une leçon de misère
Il faut des événements extraordi nai res pour que l’ on
donne vacances aux peti ts garçons. Une pri son qui fleuri t
provoque, certes, une vi ve émoti on, mai s on s’ en remet
assez vi te, et l’ on fi ni t par trouver naturel que pousse un
gi gantesque massi f là où naguère s’ élevai t un mur gri s.
On s’ habi tue à tout, même à l’ excepti onnel.
Pour Monsi eur Père et Madame Mère, l’ éducati on de
Ti stou redevi nt bi entôt le pri nci pal souci .
— Je croi s qu’ i l serai t bon mai ntenant de lui montrer un
peu ce qu’ est la mi sère, di sai t Monsi eur Père.
— Ensui te, on devrai t lui ensei gner ce qu’ est la maladi e,
pour qu’ i l prenne bi en garde à sa santé, di sai t Madame
Mère.
— Monsi eur Trounadi sse lui avai t donné une très belle
leçon d’ ordre ; confi ons-lui aussi la leçon de mi sère.
C’ est ai nsi que Ti stou appri t dès le lendemai n, sous la
condui te de Monsi eur Trounadi sse, que la mi sère vi vai t
dans des taudi s.
On avai t consei llé à Ti stou de mettre pour cette vi si te
son vi eux béret bleu.
Monsi eur Trounadi sse emboucha sa plus forte voi x de
trompette afi n d’ expli quer à Ti stou que les taudi s se
trouvai ent en bordure de la vi lle.
— Cette zone des taudi s est un fléau, déclara-t-i l.
— Qu’ est-ce que c’ est qu’ un fléau ? demanda Ti stou.
— Un fléau est un mal qui attei nt beaucoup de gens, un
très grand mal.
Monsi eur Trounadi sse n’ avai t pas besoi n d’ en
prononcer davantage. Ti stou se frottai t déjà les pouces.
Mai s ce qui l’ attendai t étai t pi re à voi r qu’ une pri son.
Des chemi ns étroi ts, boueux, malodorants, se torti llai ent
entre des planches pourri es assemblées tout de travers.
Ces planches fai sai ent semblant de former des cabanes,
mai s des cabanes si trouées, si branlantes au moi ndre
vent, que l’ on avai t pei ne à croi re qu’ elles pussent teni r
debout. Les portes étai ent rapi écées, i ci avec du carton, là
avec un vi eux morceau de boîte à conserves.
À côté de la vi lle propre, de la vi lle ri che construi te en
pi erre et balayée tous les mati ns, la zone des taudi s étai t
comme une autre vi lle, hi deuse, et qui fai sai t honte à la
premi ère. Ici pas de réverbères, pas de trottoi rs, pas de
bouti ques, pas d’ arroseuse muni ci pale.
« Un peu de gazon boi rai t la boue et rendrai t ces
chemi ns plus agréables, et pui s du volubi li s en quanti té,
avec des clémati tes, renforcerai t ces pauvres cabanes
prêtes à s’ écrouler », pensai t Ti stou qui , les pouces en
avant, tâtai t toutes les lai deurs qu’ i l rencontrai t.
Dans ces cabanes vi vai ent plus de gens qu’ elles n’ en
pouvai ent conteni r ; ces gens, forcément, avai ent mauvai se
mi ne. « À vi vre serrés les uns contre les autres, et sans
lumi ère, i ls devi ennent pâles… comme les endi ves que
Moustache fai t pousser dans la cave. Moi je ne serai s pas
heureux si l’ on me trai tai t comme une endi ve. »
Ti stou déci da de fai re croître des gérani ums le long des
lucarnes pour que les enfants des taudi s voi ent un peu de
couleur.
— Mai s pourquoi tous ces gens-là logent-i ls dans des
cabanes à lapi ns ? demanda-t-i l soudai n.
— Parce qu’ i ls n’ ont pas d’ autre mai son, évi demment ;
c’ est une questi on stupi de, répondi t Monsi eur Trounadi sse.
— Et pourquoi n’ ont-i ls pas de mai son ?
— Parce qu’ i ls n’ ont pas de travai l.
— Pourquoi n’ ont-i ls pas de travai l ?
— Parce qu’ i ls n’ ont pas de chance.
— Alors, i ls n’ ont ri en du tout ?
— C’ est cela, Ti stou, la mi sère.
« Demai n, au moi ns, i ls auront quelques fleurs », se di t
Ti stou.
Il vi t un homme battre une femme, et un enfant s’ enfui r en
pleurant.
— Est-ce que la mi sère rend méchant ? di t Ti stou.
— Souvent, répondi t Monsi eur Trounadi sse, qui se mi t à
lancer une fanfare de mots effrayants.
D’ après son di scours, la mi sère semblai t être une
horri ble poule noi re, à l’ œi l furi eux, au bec crochu, aux ai les
aussi larges que le monde et qui couvai t sans cesse
d’ affreux poussi ns. Monsi eur Trounadi sse les connai ssai t
tous par leur nom : i l y avai t le poussi n-vol, grand
détrousseur de porte-monnai e et perceur de coffres-forts ;
le poussi n-i vrogneri e qui se fai sai t offri r des apéri ti fs et
roulai t dans les rui sseaux ; le poussi n-vi ce, toujours prêt
aux choses malhonnêtes ; le poussi n-cri me, armé d’ un
couteau ou d’ un revolver ; le poussi n-révoluti on, sûrement le
pi re de la couvée… Il étai t évi dent que tous ces poussi ns-là
devai ent fi ni r en pri son.
— Ti stou ! Vous ne m’ écoutez pas, s’ écri a Monsi eur
Trounadi sse. D’ abord cessez de poser vos mai ns sur ces
saletés ! Qu’ est-ce que c’ est que cette mani e de toucher à
tout ? Mettez donc vos gants.
— Je les ai oubli és, di t Ti stou.
— Reprenons notre leçon. Que faut-i l pour lutter contre la
mi sère et ses funestes conséquences ?… Réfléchi ssez un
peu… Il faut… de l’ o… de l’ o… de l’ or….
Ah ! oui , fi t Ti stou, i l faut peut-être de l’ or.
— Non, i l faut de l’ ordre !
Ti stou resta si lenci eux un i nstant. Il ne parai ssai t pas
convai ncu. Et lorsqu’ i l eut fi ni de réfléchi r, i l di t :
— Votre ordre, Monsi eur Trounadi sse, êtes-vous bi en
sûr qu’ i l exi ste ? Moi , je ne croi s pas.
Les orei lles de Monsi eur Trounadi sse devi nrent si
rouges, si rouges, qu’ elles ne ressemblai ent plus à des
orei lles mai s à des tomates.
— Parce que si l’ ordre exi stai t, repri t Ti stou avec une
grande fermeté dans la voi x, i l n’ y aurai t pas de mi sère.
La note que reçut Ti stou ce jour-là ne fut pas excellente.
Monsi eur Trounadi sse écri vi t dans le carnet : Enfant distrait
et raisonneur. Ses sentiments généreux lui ôtent le sens
des réalités.
Mai s le lendemai n… Vous avez déjà devi né. Le
lendemai n, les journaux de Mi repoi l annonçai ent une
véri table i nondati on de volubi li s. Les consei ls de
Moustache avai ent été sui vi s à la lettre.
Des arceaux couleur de ci el voi lai ent la lai deur des
cabanes, des barri ères de gérani ums bordai ent les
chemi ns de gazon. Ces quarti ers déshéri tés, dont on
évi tai t de s’ approcher parce qu’ i ls fai sai ent horreur à
regarder, devi nrent les plus beaux de la vi lle. On alla les
vi si ter comme un musée.
Les habi tants déci dèrent d’ en ti rer quelques profi ts. Ils
mi rent un tourni quet et fi rent payer l’ entrée. Des méti ers se
créèrent ; i l fallut des gardi ens, des gui des, des vendeurs
de cartes postales, des photographes.
Ce fut la fortune.
Pour employer cette fortune, on déci da de bâti r, au
mi li eu des arbres, un grand i mmeuble de neuf cent quatre-
vi ngt-di x-neuf beaux appartements, avec cui si nes
électri ques, où tous les anci ens locatai res des taudi s
pourrai ent se loger à l’ ai se. Et comme i l fallai t beaucoup
de monde pour le construi re, tous les sans-travai l reçurent
du travai l.
Moustache ne manqua pas à la premi ère occasi on de
féli ci ter Ti stou.
— Ah ! te voi là ! Très fort, très bi en. Ta transformati on
des taudi s. Mai s ton quarti er manque un peu de parfum. La
prochai ne foi s, pense au jasmi n. Ça gri mpe vi te et ça sent
bon.
Ti stou promi t de fai re mi eux la prochai ne foi s.
Chapitre 11
Où Tistou
décide d’aider
le docteur Mauxdivers
C’ est en vi si tant l’ hôpi tal que Ti stou fi t la connai ssance
de la peti te fi lle malade.
L’ hôpi tal de Mi repoi l, grâce à la générosi té de Monsi eur
Père, étai t un très bel hôpi tal, très grand, très propre et
pourvu de tout ce qu’ i l fallai t pour soi gner les maladi es. De
larges fenêtres lai ssai ent entrer le solei l ; les murs étai ent
blancs et bri llants. Ti stou ne trouva pas que l’ hôpi tal étai t
lai d, pas du tout. Et pourtant i l senti t… comment expli quer
cela ?… i l senti t qu’ i l s’ y cachai t quelque chose de tri ste.
Le docteur Mauxdi vers, qui di ri geai t l’ hôpi tal, étai t un
homme très savant et très bon, cela se voyai t au premi er
regard. Ti stou trouva qu’ i l ressemblai t un peu au jardi ni er
Moustache, un Moustache qui n’ aurai t pas eu de
moustaches et qui aurai t porté de grosses lunettes
d’ écai llé. Ti stou le lui di t.
— Cette ressemblance vi ent sans doute, répondi t le
docteur Mauxdi vers, de ce que Moustache et moi nous
nous occupons l’ un et l’ autre de soi gner la vi e. Moustache
soi gne la vi e des fleurs et moi je soi gne la vi e des gens.
Mai s soi gner la vi e des gens étai t beaucoup plus
di ffi ci le ; Ti stou le compri t vi te en écoutant le docteur
Mauxdi vers. Être médeci n, c’ étai t li vrer sans cesse une
batai lle. D’ un côté i l y avai t la maladi e, toujours prête à
entrer dans le corps des gens, et de l’ autre la bonne santé,
toujours prête à s’ en aller. En plus i l y avai t mi lle sortes de
maladi es et une seule bonne santé. La maladi e se mettai t
toute espèce de masques pour qu’ on ne la reconnai sse
pas ; un vrai Mardi gras. Il fallai t la déceler, la décourager,
la chasser et en même temps atti rer la bonne santé, la teni r
serrée, l’ empêcher de s’ enfui r.
— Tu as déjà été malade, Ti stou ? demanda le docteur
Mauxdi vers.
— Non, jamai s.
— Vrai ment ?
Et en effet le docteur se rappela qu’ on ne l’ avai t jamai s
appelé pour Ti stou. Madame Mère avai t souvent des
mi grai nes ; Monsi eur Père souffrai t quelquefoi s de
l’ estomac.’ Le valet Carolus l’ autre hi ver avai t eu une
bronchi te. Ti stou, ri en. Voi là un enfant qui depui s sa
nai ssance n’ avai t pas connu la moi ndre vari celle, la
moi ndre angi ne, le moi ndre rhume ! Un cas très rare de
bonne santé, un cas excepti onnel.
— Je vous remerci e beaucoup de me donner cette
leçon, docteur, elle m’ i ntéresse bi en, di t Ti stou.
Le docteur Mauxdi vers montra à Ti stou la salle où l’ on
préparai t les peti tes pi lules roses contre la toux, la
pommade jaune contre les boutons, les poudres blanches
contre la fi èvre. Il lui montra la salle où l’ on peut regarder à
travers le corps de quelqu’ un, comme à travers une fenêtre,
pour voi r où la maladi e se cache, et aussi la salle, avec
des mi roi rs au plafond, où l’ on guéri t l’ appendi ci te et tant
de choses qui menacent la vi e.
« Pui sque i ci l’ on empêche le mal de passer, tout
devrai t sembler gai et heureux, se di sai t Ti stou. Où se
cache donc cette tri stesse que je sens ?… »
Le docteur ouvri t la porte de la chambre qu’ occupai t la
peti te fi lle malade.
— Je te lai sse, Ti stou, tu vi endras me retrouver tout à
l’ heure dans mon bureau, di t le docteur Mauxdi vers.
Ti stou entra.
— Bonjour, di t-i l à la peti te fi lle malade.
Elle lui parut très joli e, mai s bi en pâle. Ses cheveux se
déroulai ent, noi rs, sur l’ orei ller. Elle avai t à peu près le
même âge que Ti stou.
— Bonjour, répondi t-elle poli ment, sans bouger la tête.
Elle regardai t fi xement le plafond.
Ti stou s’ assi t auprès du li t, son chapeau blanc sur les
genoux.
— Le docteur Mauxdi vers m’ a di t que tes jambes ne
marchai ent pas. Vont-elles mi eux depui s que tu es i ci ?
— Non, répondi t la peti te fi lle toujours aussi poli ment ;
mai s cela n’ a pas d’ i mportance.
— Pourquoi ? demanda Ti stou.
— Parce que je n’ ai nulle part où aller.
— Moi , j’ ai un jardi n, di t Ti stou pour di re quelque chose.
— Tu as de la chance. Si j’ avai s un jardi n, peut-être
aurai s-je envi e de guéri r pour aller m’ y promener.
Ti stou aussi tôt regarda ses pouces. « S’ i l n’ y a que cela
pour lui fai re plai si r… »
Il demanda encore :
— Tu ne t’ ennui es pas trop ?
— Pas trop. Je regarde le plafond. Je compte les
peti tes fentes qu’ i l y a dedans.
« Des fleurs, ce serai t mi eux », pensa Ti stou. Et i l se mi t
à appeler i ntéri eurement : « Coqueli cots, coqueli cots !…
Boutons d’ or, pâquerettes, jonqui lles ! »
Les grai nes entrèrent sans doute par la fenêtre ; à moi ns
que Ti stou ne les ai t apportées sous ses chaussures.
— Tu n’ es pas malheureuse, au moi ns ?
— Pour savoi r si on est malheureux, répondi t la peti te
fi lle, i l faut avoi r été heureux. Moi je sui s née malade.
Ti stou compri t que la tri stesse de l’ hôpi tal se cachai t
dans cette chambre, dans la tête de cette peti te fi lle. Il en
devenai t tout tri ste lui -même.
— Tu reçoi s des vi si tes ?
Beaucoup. Le mati n, avant le peti t déjeuner, je voi s la
sœur-thermomètre. Et pui s le docteur Mauxdi vers vi ent ; i l
est très genti l, i l me parle très doucement et i l me donne un
berli ngot. À l’ heure du déjeuner, c’ est le tour de la sœurpi
lules ; pui s, avec mon goûter, je voi s entrer la sœur-auxpi
qû-res-qui -font-mal. Et après vi ent un monsi eur en blanc
qui prétend que mes jambes vont mi eux. Il les attache avec
des fi celles pour les fai re bouger. Tous, i ls di sent que je
vai s guéri r. Mai s moi je regarde le plafond ; lui , au moi ns, i l
ne me raconte pas de mensonges.
Tandi s qu’ elle parlai t, Ti stou s’ étai t levé et s’ affai rai t
autour du li t.
« Pour que cette peti te fi lle guéri sse, i l faut qu’ elle ai t
envi e de voi r un lendemai n, c’ est clai r, songeai t-i l. Une
fleur, avec sa mani ère de se dépli er, de ménager des
surpri ses, pourrai t sûrement l’ ai der. Une fleur qui pousse,
c’ est une vrai e devi nette, qui recommence tous les mati ns.
Un jour elle entrouvre un bouton, le jour d’ après elle
défroi sse une feui lle verte comme une peti te grenoui lle, et
pui s après elle déroule un pétale… À attendre chaque jour
la surpri se, cette peti te fi lle oubli era peut-être sa maladi e…
Les pouces de Ti stou ne chômai ent pas.
— Moi , je croi s que tu vas guéri r, di t-i l.
— Toi aussi tu le croi s ?
— Oui , oui , je t’ assure. Au revoi r.
— Au revoi r, répondi t la peti te fi lle malade. Tu as bi en
de la chance d’ avoi r un jardi n.
Le docteur Mauxdi vers attendai t Ti stou derri ère son
grand bureau ni ckelé, encombré de gros li vres.
— Alors, Ti stou, demanda-t-i l, qu’ as-tu appri s
aujourd’ hui ? Que sai s-tu de la médeci ne ?
— J’ ai appri s, répondi t Ti stou, que la médeci ne ne peut
pas grand-chose contre un cœur tri ste. J’ ai appri s que pour
guéri r i l faut avoi r envi e de vi vre. Docteur, est-ce qu’ i l n’ y a
pas de pi lules pour donner de l’ espoi r ?
Le docteur Mauxdi vers fut étonné de trouver tant de
sagesse chez un si peti t garçon.
— Tu as appri s tout seul, di t-i l, la premi ère chose que
doi t savoi r un médeci n.
— Et la seconde, docteur ?
— C’ est que pour bi en soi gner les hommes, i l faut les
ai mer beaucoup.
Il donna toute une poi gnée de berli ngots à Ti stou et mi t
une bonne note sur son carnet.
Mai s le docteur Mauxdi vers fut encore bi en plus étonné
le lendemai n, lorsqu’ i l entra dans la chambre de la peti te
fi lle.
Celle-ci souri ai t ; elle s’ étai t révei llée en plei n champ.
Des narci sses poussai ent autour de la table de nui t ; la
couverture étai t devenue un édredon de pervenches ; de la
folle avoi ne moussai t sur la carpette. Et pui s la fleur, la fleur
à laquelle Ti stou avai t donné tous ses soi ns, une rose
mervei lleuse, qui ne cessai t de se transformer, d’ épanoui r
une feui lle ou un bourgeon, la fleur montai t à la tête du li t, le
long de l’ orei ller. La peti te fi lle ne regardai t plus le plafond ;
elle contemplai t la fleur.
Le soi r même, ses jambes commencèrent à remuer. La
vi e lui plai sai t.
Chapitre 12
Où le nom
de Mirepoil s’allonge
Vous pensez peut-être que les grandes personnes
commençai ent à se douter de quelque chose, et qu’ elles
fai sai ent ce rai sonnement si mple : « C’ est toujours dans
les li eux où Ti stou est passé la vei lle que les fleurs
mystéri euses apparai ssent. Donc ce doi t être Ti stou ;
survei llons-le. »
Mai s vous pensez ai nsi parce que vous savez que
Ti stou avai t les pouces verts. Les grandes personnes, je
vous l’ ai déjà di t, ont des i dées toutes fai tes et n’ i magi nent
presque jamai s qu’ i l pui sse exi ster autre chose que ce
qu’ elles savent déjà.
De temps en temps survi ent un monsi eur qui révèle un
morceau d’ i nconnu ; on commence toujours par lui ri re au
nez ; quelquefoi s même on le jette en pri son parce qu’ i l
dérange l’ ordre de Monsi eur Trounadi sse, et pui s, quand
on s’ est aperçu, après qu’ i l est mort, qu’ i l avai t rai son, on
lui élève une statue. C’ est ce qu’ on appelle un géni e.
Il n’ y avai t à Mi repoi l, cette année-là, aucun géni e pour
expli quer l’ i nexpli cable. Et le consei l muni ci pal se trouvai t
dans le plus grand désarroi .
Le consei l muni ci pal, c’ est un peu comme la femme de
ménage d’ une vi lle. À lui de vei ller à la propreté des
trottoi rs, à lui de dési gner l’ endroi t où peuvent jouer les
enfants, celui où les mendi ants doi vent mendi er, et de
savoi r où i l faut ranger le soi r les autobus. Pas dedésordre,
surtout
pas
de
désordre.
Mai s le désordre s’ i nstallai t à Mi repoi l. Il n’ étai t plus
possi ble de prévoi r, d’ un jour sur l’ autre, où se trouverai t un
square ou un jardi n. Les fleurs envahi ssai ent tous les
monuments publi cs.
Si un consei l muni ci pal s’ i ncli nai t devant de telles
fantai si es, une vi lle cesserai t d’ être une vi lle.
— Non, non, et non ! cri ai ent les consei llers muni ci paux
de Mi repoi l réuni s en séance extraordi nai re.
On parlai t déjà de fai re arracher toutes les fleurs.
Monsi eur Père i ntervi nt. Monsi eur Père étai t très écouté
au consei l. Il se montra, une nouvelle foi s, un homme aux
déci si ons rapi des et énergi ques.
— Messi eurs, di t-i l, vous avez tort de vous fâcher.
D’ ai lleurs, i l est toujours dangereux de se fâcher contre ce
que l’ on ne comprend pas. Personne de nous ne connaît la
rai son de ces brusques florai sons. Arracher les fleurs ?
Vous i gnorez demai n où elles repousseront. D’ autre part, i l
faut reconnaître que ces florai sons nous sont plus uti les
qu’ elles ne nous gênent. Aucun pri sonni er ne s’ échappe
plus. Le quarti er des taudi s est devenu prospère. Tous les
enfants de l’ hôpi tal guéri ssent. Pourquoi s’ i rri ter ? Mettons les fleurs dans notre jeu, et fai
sons en sorte d’ aller audevant des
événements
au
li
eu de rester à leur remorque.
— Oui , oui , et oui ! s’ écri èrent les consei llers. Mai s
comment nous y prendre ?
Monsi eur Père poursui vi t son di scours.
— Je vous propose une soluti on hardi e. Il faut modi fi er le
nom de notre vi lle, et l’ appeler désormai s Mi repoi l-lesFleurs.

Avec un nom parei l, qui pourrai t s’ étonner de ce


que les fleurs y poussent partout ? Et si demai n le clocher
de l’ égli se se transforme en bouquet de li las, nous aurons
l’ ai r d’ avoi r prévu depui s longtemps cet embelli ssement
dans notre plan de grands travaux.
— Hourra, hourra, hourra ! hurlèrent les consei llers en
saluant Monsi eur Père d’ applaudi ssements unani mes.
Ai nsi le lendemai n, car i l fallai t fai re vi te, les consei llers
muni ci paux au grand complet, précédés de l’ orphéon, des
orpheli ns condui ts par deux prêtres en costume des
di manches, d’ une délégati on de grands-pères qui
représentai ent la sagesse, du docteur Mauxdi vers qui
représentai t la sci ence, d’ un juge qui représentai t la loi , de
deux professeurs au collège qui représentai ent la li ttérature
et d’ un permi ssi onnai re en uni forme qui représentai t
l’ armée, s’ organi sèrent en i mposant cortège. Ils allèrent
jusqu’ à la gare. Là, sous les acclamati ons d’ une foule en
li esse, i ls i naugurèrent la nouvelle pancarte, où l’ on pouvai t
li re en lettres d’ or :

MIREPOIL-LES-FLEURS

Ce fut un grand jour.


Chapitre 13
Où l’on cherche
à distraire Tistou
Madame Mère se fai sai t encore plus de souci que les
consei llers muni ci paux, mai s pour d’ autres rai sons. Son
Ti stou n’ étai t plus le même.
Le système d’ éducati on i magi né par Monsi eur Père le
rendai t étrangement séri eux ; i l restai t si lenci eux des
heures enti ères.
— À quoi penses-tu donc, Ti stou ? lui demanda un jour
Madame Mère.
Ti stou répondi t :
— Je pense que le monde pourrai t être tellement mi eux
qu’ i l n’ est.
Madame Mère pri t une fi gure fâchée.
— Ce ne sont pas des i dées de ton âge, Ti stou. Va
donc jouer avec Gymnasti que.
— Gymnasti que pense comme moi , di t Ti stou.
Cette foi s, Madame Mère se fâcha.
— C’ est un comble ! s’ écri a-t-elle. Voi là que les enfants
prennent l’ avi s des poneys, mai ntenant !
Et elle en parla à Monsi eur Père, qui consi déra que
Ti stou avai t besoi n de di stracti ons.
— Le poney, le poney, c’ est très bi en, mai s i l ne faut pas
qu’ i l voi e toujours les mêmes ani maux. Envoyons-le vi si ter
le zoo.
Mai s là encore Ti stou eut une mauvai se surpri se.
Il s’ étai t i magi né le zoo comme un li eu féeri que où les
ani maux s’ offrai ent de leur plei n gré à l’ admi rati on des
vi si teurs, une sorte de paradi s des bêtes où le boa fai sai t
sa culture physi que autour de la jambe de la gi rafe, où le
kangourou mettai t un peti t ours dans sa poche pour
l’ emmener en promenade… Il pensai t que jaguars, buffles,
rhi nocéros, tapi rs, oi seaux-lyres, perroquets et sapajous
s’ ébattai ent parmi toute espèce d’ arbres et de plantes
mervei lleuses, tels qu’ i ls sont pei nts sur les li vres d’ i mages.
Au li eu de cela, i l ne vi t au zoo que des cages où des
li ons pelés dormai ent tri stement devant des écuelles vi des,
où les ti gres étai ent enfermés avec les ti gres, et les si nges
avec les si nges. Il essaya de réconforter une panthère qui
tournai t en rond derri ère ses barreaux et voulut lui offri r une
bri oche. Un jardi ni er l’ en empêcha.
— Interdi t, jeune homme, restez en arri ère. Ce sont des
ani maux féroces, cri a le gardi en fort en colère.
— D’ où vi ennent-i ls ? demanda Ti stou.
— De très loi n. D’ Afri que, d’ Asi e, je ne sai s d’ où !
— On leur a demandé leur permi ssi on avant de les
amener i ci ?
Le gardi en haussa les épaules, et s’ éloi gna, en
grommelant qu’ on se moquai t de lui .
Mai s Ti stou, lui , réfléchi ssai t. Il se di sai t d’ abord que le
gardi en n’ aurai t pas dû fai re ce méti er-là, pui squ’ i l n’ ai mai t
pas les ani maux qu’ i l soi gnai t. Il pensai t aussi que les
ani maux avai ent dû transporter dans leur pelage quelques
grai nes de leur pays, et les répandre autour d’ eux…
Aucun gardi en de zoo ne songe à empêcher un peti t
garçon de poser ses pouces par terre, devant chaque
cage. Les gardi ens croi ent si mplement que ce peti t
garçon-là ai me se traîner dans la poussi ère.
C’ est pourquoi quelques jours plus tard, un i mmense
baobab s’ élevai t dans la cage aux li ons, les si nges
s’ élançai ent de li ane en li ane, des nénuphars s’ éployai ent
dans la bai gnoi re du crocodi le. L’ ours avai t son sapi n, le
kangourou sa savane ; les hérons et les flamants roses
marchai ent parmi les roseaux et les oi seaux de toutes
couleurs chantai ent parmi les bui ssons de jasmi n géant. Le
zoo de Mi repoi l étai t devenu le plus beau du monde, et les
consei llers muni ci paux se hâtèrent d’ en averti r les agences
de touri sme.
— Alors, mai ntenant tu travai lles même dans la
végétati on tropi cale ? Très fort, mon garçon, tu es
déci dément très fort, di t Moustache à Ti stou la premi ère
foi s qu’ i l le vi t.
— C’ est tout ce que j’ ai pu fai re pour ces pauvres
ani maux féroces, qui s’ ennuyai ent si fort loi n de chez eux,
répondi t Ti stou.
Chapitre 14
Où Tistou,
à propos de la guerre,
se pose
de nouvelles questions
Quand les grandes personnes parlent à voi x haute, i l
arri ve que les peti ts garçons ne les écoutent pas.
— Tu m’ entends, Ti stou ?
Et Ti stou de répondre « oui , oui », avec la tête, pour
paraître obéi ssant, alors qu’ i l n’ a fai t aucune attenti on.
Mai s dès que les grandes personnes commencent à
bai sser la voi x et à se confi er des secrets, les peti ts
garçons aussi tôt tendent l’ orei lle et cherchent à
comprendre justement ce qu’ on ne voulai t pas leur di re.
En cela i ls sont tous les mêmes, et Ti stou ne fai sai t pas
excepti on.
Depui s quelques jours, on chuchotai t beaucoup à
Mi repoi l. Il y avai t du secret dans l’ ai r, et jusque dans les
tapi s de la Mai -son-qui -bri lle.
Monsi eur Père, Madame Mère poussai ent de longs
soupi rs en li sant les journaux. Le valet Cardi us et Madame
Améli e, la cui si ni ère, murmurai ent autour de la machi ne à
laver. Et même Monsi eur Trounadi sse semblai t avoi r perdu
sa voi x de trompette.
Ti stou sai si ssai t au vol des mots qui avai ent mauvai se
mi ne.
— Tensi on…, di sai t Monsi eur Père d’ un ton grave.
— Cri se…, répondai t Madame Mère.
— Aggravati on, aggravati on… ajoutai t Monsi eur
Trounadi sse.
Ti stou crut qu’ on parlai t d’ une maladi e ; i l se fi t
beaucoup de souci et parti t, les pouces en avant, pour
découvri r qui étai t malade dans la mai son.
Un tour de jardi n lui prouva qu’ i l se trompai t ; Moustache
se portai t à mervei lle, les pur-sang grosei lle gambadai ent
dans la prai ri e. Gymnasti que présentai t les si gnes de la
mei lleure santé.
Mai s le lendemai n un autre mot étai t sur toutes les
lèvres.
— Guerre… c’ étai t i névi table, di sai t Monsi eur Père.
— Guerre… les pauvres gens ! fai sai t Madame Mère en
balançant la tête d’ un ai r désolé.
— Guerre… et voi là ! une de plus, remarqua Monsi eur
Trounadi sse. Reste à savoi r qui va la gagner.
— Guerre… Quelle pi ti é ! Ça ne fi ni ra donc jamai s !
gémi ssai t Madame Améli e, prête à pleurer.
— Gui rre… gui rre… toujours li gui rre, répétai t le valet
Carolus qui avai t… oui vous le savez, un léger accent
étranger.
L’ i dée que Ti stou se fi t de la guerre fut celle d’ une chose
pas propre pui squ’ on n’ en parlai t qu’ à voi x basse, une
chose lai de, une maladi e des grandes personnes pi re que
l’ i vrogneri e, plus cruelle que la mi sère, plus dangereuse
que le cri me. Déjà Monsi eur Trounadi sse lui avai t un peu
parlé de la guerre, en lui montrant le monument aux morts
de Mi repoi l. Mai s comme Monsi eur Trounadi sse avai t
parlé trop fort, Ti stou n’ avai t pas très bi en compri s.
Ti stou n’ avai t pas peur. Ce garçon-là étai t le contrai re
d’ un poltron ; on pouvai t même le juger i mprudent. Vous
avez déjà vu comme i l se lai ssai t gli sser le long de la
rampe. Lorsqu’ on allai t se bai gner à la ri vi ère, i l fallai t
l’ empêcher de se jeter di x foi s de sui te du haut du
plongeoi r des champi ons. Il prenai t son élan, et, hop ! le
voi là en l’ ai r, les bras écartés, fai sant le saut de l’ ange. Il
gri mpai t aux arbres comme personne, jusque sur les
derni ères branches, pour aller cuei lli r les ceri ses que nulle
autre mai n ne pouvai t attei ndre. Il i gnorai t le verti ge. Non,
vrai ment, Ti stou n’ étai t pas peureux.
Mai s l’ i dée qu’ i l se fai sai t de la guerre n’ avai t ri en à voi r
avec le courage ou la peur ; c’ étai t une i dée i nsupportable,
voi là tout.
Il voulut se rensei gner. La guerre étai t-elle une chose
aussi horri ble qu’ i l se l’ i magi nai t ? Naturellement, i l alla
d’ abord consulter Moustache.
— Je ne vous dérange pas, Monsi eur Moustache ?
demanda-t-i l au jardi ni er qui tai llai t les bui s.
Moustache posa sa ci sai lle.
— Du tout, du tout, mon garçon.
— Monsi eur Moustache, la guerre, qu’ est-ce que vous
en pensez ?
Le jardi ni er parut surpri s.
— Je sui s contre, répondi t-i l en se ti rant les moustaches.
— Pourquoi êtes-vous contre ?
— Parce que… parce qu’ une peti te guerre de ri en du
tout peut anéanti r un très grand jardi n.
— Anéanti r ? Qu’ est-ce que cela veut di re ?
— Cela veut di re détrui re, suppri mer, rédui re en
poussi ère.
— Vrai ment ? Et vous en avez vu, vous, Monsi eur
Moustache, des jardi ns… anéanti s par la guerre ? di t
Ti stou.
Cela lui parai ssai t à pei ne croyable. Mai s le jardi ni er ne
plai santai t pas.
Il avai t la tête bai ssée, fronçai t ses gros sourci ls blancs,
et tordai t sa moustache entre les doi gts.
— Oui , oui , j’ ai vu ça, répondi t-i l. J’ ai vu mouri r en deux
mi nutes un jardi n plei n de fleurs. J’ ai vu les serres sauter en
mi lle morceaux. Et tant de bombes tomber dans ce jardi n
qu’ i l a fallu renoncer pour toujours à le culti ver. Même la
terre étai t morte.
Ti stou avai t la gorge serrée.
— Et à qui étai t-i l, ce jardi n ? demanda-t-i l encore.
— À moi , répli qua Moustache qui se détourna pour
cacher son chagri n et repri t sa ci sai lle.
Ti stou resta un i nstant si lenci eux. Il réfléchi ssai t. Il tâchai t
de se représenter le jardi n, autour de lui , détrui t comme
l’ avai t été le jardi n de Moustache, les serres bri sées et la
terre i nterdi te aux fleurs. Les larmes lui vi nrent aux yeux.
— Eh bi en, je vai s aller le di re ! s’ écri at-i l. Il faut que tout
le monde le sache. Je vai s aller le di re à Améli e, je vai s
aller le di re au valet Carolus…
— Oh ! Carolus est encore plus à plai ndre que moi . Lui ,
i l a perdu son pays.
i l a perdu son pays.
— Son pays ? Il a perdu son pays à la guerre ?
Comment est-ce possi ble ?
— C’ est pourtant ai nsi . Son pays a complètement
di sparu. Il ne l’ a jamai s retrouvé. C’ est pour cela qu’ i l est
i ci .
« J’ avai s bi en rai son de penser que la guerre étai t une
chose horri ble, pui squ’ on peut y perdre son pays comme
on perd un mouchoi r », se di sai t Ti stou.
— Je pourrai s t’ en conter encore long, sur la guerre,
ajouta Moustache. Tu parlai s d’ Améli e la cui si ni ère ? Eh
bi en, Améli e, elle, a perdu son fi ls. D’ autres perdent un
bras, une jambe, ou bi en i ls perdent la tête. Dans une
guerre, tout le monde perd quelque chose.
Ti stou esti ma que la guerre étai t le plus grand, le plus
vi lai n désordre qui se pui sse voi r au monde, pui sque
chacun y perdai t ce à quoi i l tenai t le plus.
« Que pourrai t-on fai re pour l’ empêcher de passer ?…
se demandai t-i l. Monsi eur Trounadi sse est sûrement
contre la guerre, pui squ’ i l déteste si fort le désordre. Dès
demai n, je lui en parlerai . »
Chapitre 15
Où Tistou prend une leçon
de géographie suivie
d’une leçon d’usine,
et où le conflit entre
les Vazys et les Vatens
s’étend de manière imprévue
Monsi eur Trounadi sse étai t assi s derri ère son bureau. Il
avai t retrouvé sa voi x de trompette et cri ai t dans troi s
téléphones à la foi s. Monsi eur Trounadi sse, cela se voyai t,
étai t très occupé.
— C’ est toujours ai nsi , lorsqu’ une guerre éclate quelque
part dans le monde, di t-i l à Ti stou. À Mi repoi l nous avons le
double de travai l.
En effet, le mati n, Ti stou l’ avai t remarqué, la si rène de
l’ usi ne avai t sonné deux foi s plus longtemps et les ouvri ers
étai ent venus deux foi s plus nombreux. Les neuf chemi nées
rejetai ent tant de fumée que le ci el en étai t obscurci .
— Alors, je revi endrai quand vous aurez moi ns à fai re,
di t Ti stou.
— Que voulai s-tu me demander ?
— Je voulai s savoi r où cette guerre a éclaté.
Monsi eur Trounadi sse se leva, amena Ti stou devant une
mappemonde qu’ i l fi t tourner, et posa son doi gt au mi li eu.
— Tu voi s ce désert ? di t-i l. Eh bi en, c’ est là.
Ti stou vi t, sous le doi gt de Monsi eur Trounadi sse, une
tache rose qui ressemblai t à une dragée.
— Pourquoi la guerre s’ est-elle mi se là, Monsi eur
Trounadi sse ?
— C’ est très faci le à comprendre.
Quand Monsi eur Trounadi sse affi rmai t que quelque
chose étai t faci le à comprendre, Ti stou se méfi ai t ;
généralement c’ étai t très compli qué. Mai s cette foi s Ti stou
étai t déci dé à bi en écouter.
— Très faci le, répéta Monsi eur Trounadi sse. Ce désert
n’ apparti ent à personne…
« À personne », se répéta i ntéri eurement Ti stou.
— … Mai s à droi te se trouve la nati on des Vazys, et à
gauche la nati on des Vatens.
« Va-z-y… Va-t’ en… », se répéta encore Ti stou ; i l étai t
vrai ment bi en attenti f.
— … Or voi ci quelque temps les Vazys ont annoncé
qu’ i ls voulai ent ce désert ; les Vatens ont répondu qu’ i ls le
voulai ent aussi . Les Vazys se sont i nstallés sur leur bord,
les Vatens sur le leur. Les Vazys ont envoyé un télégramme
aux Vatens pour leur di re de s’ en aller. Les Vatens ont
répli qué par radi o qu’ i ls i nterdi sai ent aux Vazys de rester.
Mai ntenant leurs armées sont en marche et, quand elles se
rencontreront, elles vont se battre.
— Qu’ y a-t-i l donc dans cette dragée rose… je veux di re
dans ce désert ? Des jardi ns ? demanda Ti stou.
— Mai s non, pui sque c’ est un désert ! Il n’ y a ri en du tout.
Il y a des pi erres…
— Alors ces gens vont se battre pour des cai lloux ?
— Ils veulent posséder ce qui est en dessous.
— Sous le désert ? Qu’ est-ce qu’ i l y a ?
— Du pétrole.
— Pourquoi le veulent-i ls, ce pétrole ?
— Ils le veulent pour que les autres ne l’ ai ent pas. Ils
veulent ce pétrole parce que le pétrole est i ndi spensable
pour fai re la guerre.
Ti stou savai t bi en que les expli cati ons de Monsi eur
Trounadi sse fi ni rai ent par être très di ffi ci les !
Il ferma les yeux pour mi eux réfléchi r.
« Si je comprends bi en, les Vazys et les Vatens vont se
fai re la guerre à cause du pétrole parce que le pétrole est
i ndi spensable à la guerre. » Il rouvri t les yeux.
— Eh bi en, c’ est i di ot, déclara-t-i l.
Les orei lles de Monsi eur Trounadi sse devi nrent
écarlates.
— Ti stou, est-ce que vous voulez un zéro ?
— Non, répondi t Ti stou, mai s je voudrai s surtout que les
Vazys et les Vatens ne se battent pas.
Cette preuve de bon cœur apai sa provi soi rement la
colère de Monsi eur Trounadi sse.
— Bi en sûr, bi en sûr, di t-i l en haussant les épaules,
personne ne voudrai t qu’ i l y ai t la guerre, jamai s. Mai s cela
a toujours exi sté…
« Que pourrai s-je bi en fai re ?… pensai t Ti stou. Mettre
mes pouces sur la tache rose ?… »
— Est-ce loi n ce désert ? demanda-t-i l.
— À moi ti é chemi n entre i ci et l’ autre côté de la terre.
— Alors la guerre ne peut pas arri ver jusqu’ à Mi repoi l ?
— Ce n’ est pas i mpossi ble. On sai t où une guerre
commence, on ne sai t jamai s où elle s’ arrête. Les Vazys
peuvent appeler à leur secours une grande nati on, les
Vatens demander l’ ai de d’ une autre. Et les deux grandes
nati ons se battront. C’ est ce qu’ on appelle une extensi on
de confli t.
La tête de Ti stou tournai t comme un moteur.
« Oui , en somme, la guerre est une espèce d’ affreux
chi endent qui pousse sur la mappemonde… Par quelles
plantes pourrai t-on la combattre ? »
— Mai ntenant, tu vas m’ accompagnera l’ usi ne, di t
Monsi eur Trounadi sse. Tu la verras en plei n rendement ; ce
sera une bonne leçon.
Il cri a quelques ordres dans ses troi s téléphones, et
descendi t en compagni e de Ti stou.
Celui -ci fut d’ abord assourdi par le brui t. Les marteaux-
pi lons frappai ent à toute force, les machi nes ronflai ent
comme des mi lli ons de toupi es. Il fallai t cri er pour se fai re
entendre, même quand on avai t la voi x de Monsi eur
Trounadi sse.
Ti stou fut également aveuglé par les gerbes d’ éti ncelles
qui jai lli ssai ent de partout ; l’ aci er fondu coulai t par terre, en
gros rui sseaux brûlants ; i l fai sai t une chaleur étouffante, et
les hommes dans cette usi ne i mmense parai ssai ent tout
peti ts et tout noi rs.
Après l’ ateli er de fonderi e, Ti stou vi si ta les ateli ers de
poli ssage, de tournage, de montage, les ateli ers de fusi ls,
de mi trai lleuses, de chars, de cami ons, car l’ usi ne de
Monsi eur Père fabri quai t tout ce qui servai t à la guerre,
armes et muni ti ons.
Le lendemai n étai t jour de li vrai son et l’ on empaquetai t
le matéri el avec autant de précauti on que si l’ on avai t
emballé de la porcelai ne.
Enfi n Monsi eur Trounadi sse montra à Ti stou deux
grands canons, longs comme des tours de cathédrale, et
tout lui sants, à croi re qu’ on les avai t enti èrement beurrés.
Suspendus à des chaînes, les canons passai ent
lentement en l’ ai r ; pui s i ls furent déposés, doucement,
doucement, sur des remorques de cami ons, des
remorques dont on ne voyai t pas le bout.
— Ce sont ces canons-là, Ti stou, qui ont fai t la ri chesse
de Mi repoi l, cri a Monsi eur Trounadi sse. Ils peuvent
démoli r, à chaque obus ti ré, quatre mai sons grandes
comme la ti enne.
Cette nouvelle ne parut pas i nspi rer à Ti stou la même
fi erté.
« Alors, pensa-t-i l, à chaque coup de canon, quatre
Ti stou sans mai son, quatre Carolus sans escali er, quatre
Améli e sans cui si ne… C’ est donc avec ces machi nes-là
qu’ on perd son jardi n, son pays, sa jambe ou quelqu’ un de
sa fami lle… Eh bi en, vrai ! »
Et toujours les marteaux tapai ent, les forges chauffai ent.
— Pour qui êtes-vous, Monsi eur Trounadi sse ?
demanda Ti stou en forçant la voi x à cause du vacarme qui
les entourai t.
— Quoi donc ?
— Je di s : pour qui êtes-vous dans cette guerre ?
— Pour les Vazys, cri a Monsi eur Trounadi sse.
— Et mon père ?
— Aussi .
— Pourquoi ?
— Parce que ce sont depui s longtemps nos fi dèles
ami s.
« Évi demment, se di t Ti stou, si on a des ami s qui sont
attaqués, i l est juste de les ai der à se défendre. »
— Alors ces canons-là s’ en vont chez les Vazys ? repri t-
i l.
— Celui de droi te seulement, cri a Monsi eur
Trounadi sse. L’ autre est pour les Vatens.
— Comment, pour les Vatens ? s’ écri a Ti stou, i ndi gné.
— Parce qu’ i ls sont aussi de bons cli ents.
Ai nsi un canon de Mi repoi l allai t ti rer contre un autre
canon de Mi repoi l, et démoli r un jardi n d’ un côté comme de
l’ autre !
— C’ est cela le commerce, ajouta Monsi eur
Trounadi sse.
— Eh bi en, je le trouve affreux, votre commerce !
— Quoi donc ! demanda Monsi eur Trounadi sse en se
bai ssant, parce que les marteaux-pi lons couvrai ent la voi x
de Ti stou.
— Je di s que votre commerce est affreux, parce que…
Une énorme gi fle l’ arrêta net. Le confli t entre les Vazys
et les Vatens venai t de s’ étendre soudai nement jusqu’ à la
joue de Ti stou.
« Voi là ce que c’ est la guerre ! On demande une
expli cati on, on donne son avi s, et pan ! on reçoi t une gi fle.
Et si je te fai sai s pousser du houx dans ta culotte, qu’ est-ce
que tu en di rai s ! pensai t Ti stou, les yeux plei ns de larmes
en regardant Monsi eur Trounadi sse. Parfai tement, du houx
dans ses pantalons, ou bi en des chardons… »
Il serrai t les pouces… et ce fut ai nsi que l’ i dée, sa
grande i dée lui vi nt.
La leçon d’ usi ne, vous le pensez bi en, se termi na là.
Ti stou reçut un double zéro, et Monsi eur Trounadi sse
averti t i mmédi atement Monsi eur Père. Celui -ci fut
extrêmement chagri né. Son Ti stou, qui devai t un jour lui
succéder et deveni r le maître de Mi repoi l, montrai t vrai ment
peu de di sposi ti ons pour di ri ger une si belle entrepri se.
— Il faut que je lui parle très séri eusement, di t Monsi eur
Père. Où est-i l ?
— Il est parti se réfugi er chez le jardi ni er, comme
d’ habi tude, répondi t Monsi eur Trounadi sse.
— Bon, nous verrons cela plus tard. Pour l’ i nstant,
fi ni ssons les emballages.
En rai son de l’ urgence des li vrai sons, l’ usi ne tournai t
sans arrêt. Toute la nui t les neuf chemi nées étai ent
couronnées de grandes lueurs rouges.
Or ce soi r-là, Monsi eur Père, qui n’ avai t pas pri s le
temps de dîner et qui survei llai t le travai l de ses ateli ers du
haut d’ une peti te tour vi trée, eut une bonne surpri se. Son
Ti stou étai t revenu à l’ usi ne et passai t lentement le long
des cai sses de fusi ls, gri mpai t dans les cami ons, se
penchai t sur les moteurs, se faufi lai t entre les grands
canons.
« Brave Ti stou, se di t Monsi eur Père. Voi là un garçon
qui cherche à rattraper son double zéro. Allons ! Tout
espoi r n’ est pas perdu. »
Ti stou, en véri té, n’ avai t jamai s paru si séri eux ni si
affai ré ! Ses cheveux se tenai ent tout droi ts sur la tête. À
chaque i nstant, i l ti rai t de peti ts bouts de papi er de sa
poche.
« On di rai t même qu’ i l prend des notes, remarqua
Monsi eur Père. Pourvu qu’ i l ne se pi nce pas, à mettre ai nsi
les doi gts dans les mi trai lleuses. Allons, c’ est un bon peti t,
qui reconnaît vi te ses erreurs. »
Monsi eur Père allai t avoi r d’ autres surpri ses.
Chapitre 16
Où se succèdent
les nouvelles stupéfiantes
Personne n’ i gnore que les journaux ne parlent des
guerres qu’ en lettres majuscules. Ces lettres sont rangées
dans une armoi re spéci ale. Et c’ est préci sément devant
cette armoi re aux majuscules qu’ hési tai t le di recteur de
L’Éclair de Mirepoil, quoti di en bi en connu.
Le di recteur tournai t en rond, soupi rai t, s’ épongeai t le
front, ce qui est toujours si gne d’ émoti on et de perplexi té.
Cet homme-là étai t très ennuyé.
Tantôt i l se sai si ssai t d’ une grande majuscule, de celles
que l’ on réserve pour les grandes vi ctoi res ; mai s i l la
reposai t i mmédi atement. Tantôt i l choi si ssai t une des
majuscules moyennes qui servent aux guerres qui ne
marchent pas très bi en, aux campagnes qui n’ en fi ni ssent
pas, aux retrai tes i mprévues. Mai s cette majuscule ne
convenai t pas davantage ; elle retournai t dans l’ armoi re.
Un i nstant i l parut se déci der pour les toutes peti tes
capi tales, avec lesquelles on annonce les nouvelles qui
mettent tout le monde de mauvai se humeur, comme : « La
route du sucre est coupée » ou bi en : « Nouvel i mpôt sur
les confi tures ». Mai s ces lettres-là non plus ne fai sai ent
pas l’ affai re. Et le di recteur de L’Éclair soupi rai t de plus en
plus fort. Vrai ment, c’ étai t un homme bi en ennuyé.
Il devai t annoncer aux habi tants de Mi repoi l, ses fi dèles
lecteurs, une nouvelle tellement i nattendue, et si grave de
conséquences, qu’ i l ne savai t comment s’ y prendre. La
guerre entre les Vasys et les Vatens avai t échoué. Allez
donc fai re admettre au publi c qu’ une guerre pui sse
s’ arrêter net, sans vai nqueur, sans vai ncu, sans conférence
i nternati onale, sans ri en !
Ah ! le pauvre di recteur eût ai mé pouvoi r i mpri mer, sur
toute la largeur de sa premi ère page, un ti tre à sensati on
tel que : Fulgurante avance des Vazys ou Irrésistible
attaque des armées Vatens.
Il ne pouvai t en être questi on. Les reporters envoyés sur
la tache rose étai ent formels : la guerre n’ avai t pas eu li eu,
et son échec mettai t en cause la quali té des armes li vrées
par la Manufacture de Mi repoi l ai nsi que les compétences
techni ques de Monsi eur Père, de ses ateli ers, de tout son
personnel.
En somme, c’ étai t d’ un désastre qu’ i l s’ agi ssai t !
Essayons, avec le di recteur de L’Éclair, de reconsti tuer
le déroulement des tragi ques événements.
Des plantes gri mpantes, rampantes, collantes, avai ent
pri s raci ne dans les cai sses d’ armes. Comment s’ étai entelles
fourrées là ? Pourquoi ? Personne ne pouvai t
l’ expli quer.
Le li erre, la vi gne blanche, le li seron, l’ ampélopsi s des
murai lles, la renouée des oi seaux et la cuscute d’ Europe
formai ent autour des mi trai lleuses, des mi trai llettes, des
revolvers, un i nextri cable écheveau, qu’ aggravai t encore la
glu répandue par la jusqui ame noi re.
Ces cai sses, les Vazys comme les Vatens avai ent dû
renoncer à les déballer.
Les reporters, dans leurs dépêches, i nsi stai ent sur
l’ acti on parti culi èrement noci ve de la grande bardane,
plante dont les peti tes bai es rouges sont muni es de
crochets. La grande bardane s’ étai t agri ppée aux
baïonnettes. Que fai re de fusi ls qui fleuri ssai ent, de
baïonnettes qui ne pi quai ent plus, et auxquels de joli s
bouquets étai ent toute effi caci té ? Il fallut les jeter aux
poubelles.
Inuti li sables également, les magni fi ques cami ons, si
consci enci eusement zébrés de gri s et de jaune ! La ronce
pi quante, le gratteron et plusi eurs vari étés d’ orti es, dont la
brûlante, poussai ent en abondance sur les si èges
provoquant une urti cai re i mmédi ate chez les chauffeurs.
Ces derni ers furent les seules vi cti mes de la guerre. Les
i nfi rmi ères en voi le blanc condamnèrent à l’ i mmobi li té et
aux compresses ti èdes ces soldats que de cruelles
démangeai sons empêchai ent de s’ asseoi r.
Ici se place le pi teux i nci dent causé par l’ i mpati ente-n’ ytouchez-pas.

Qu’ une modeste fleur des champs pui sse


déclencher une pani que parmi des combattants s’ expli que
si l’ on sai t que l’ i mpati ente-n’ y-touchez-pas est pourvue de
capsules qui éclatent au moi ndre contact.
Les moteurs en étai ent plei ns. L’ i mpati ente foi sonnai t
dans le carburateur des auto-mi trai lleuses, dans le
réservoi r des motocyclettes. Au premi er tour de démarreur,
au premi er coup de pédale se produi si rent, se répandi rent,
se générali sèrent des explosi ons sourdes qui ne fi rent
aucun mal mai s ébranlèrent fortement le moral des troupes.
Passons aux chars. Leurs tourelles étai ent bloquées.
Des bui ssons d’ églanti nes, auxquels se mêlai ent la grande
cracca et la benoîte des rui sseaux, lançai ent raci nes,
grappes, pédoncules et rameaux épi neux autour des
mécani smes. Les chars étai ent donc, eux aussi ,
i nuti li sables.
Pas un apparei l que la mystéri euse i nvasi on eût
épargné ! Des plantes apparai ssai ent partout, des plantes
tenaces, agi ssantes et comme douées d’ une volonté
personnelle.
Dans les masques à gaz se développai t l’ achi llée
sternutatoi re. Le reporter de L’Éclair affi rmai t que si l’ on
s’ approchai t à moi ns d’ un mètre de ces masques, on se
mettai t à éternuer plus de ci nquante foi s.
Des herbes malodorantes s’ étai ent logées à l’ i ntéri eur
des porte-voi x. Les offi ci ers avai ent dû renoncer à l’ usage
de ces cornets où croi ssai ent l’ ai l des ours et la camomi lle
puante.
Muettes, paralysées, i noffensi ves, les deux armées
étai ent arrêtées, face à face.
Les mauvai ses nouvelles vont vi te. Monsi eur Père étai t
déjà au courant, et dans l’ état de désespoi r que l’ on pense.
Ses armes fleuri ssai ent comme des acaci as au pri ntemps.
Il se tenai t constamment en li ai son avec le di recteur de
L’Éc l ai r, qui lui li sai t au téléphone les navrantes
dépêches… Il restai t un espoi r, les canons, les fameux
canons de Mi repoi l.
— Une acti on peut encore s’ engager entre deux armées
i mmobi li sées, à condi ti on qu’ elles soi ent pourvues de bons
canons, di sai t Monsi eur Père.
On attendi t jusqu’ au soi r. Une derni ère dépêche chassa
toutes les i llusi ons.
Les canons de Mi repoi l avai ent ti ré, certes ; i ls avai ent
ti ré des fleurs.
Une plui e de di gi tales, de campanules et de bleuets
s’ étai t abattue sur les posi ti ons des Vazys qui avai ent
ri posté, i nondant les Vatens de renoncules, de margueri tes
et de stellai res. Un général avai t eu sa casquette enlevée
par un bouquet de vi olettes !
On ne prend pas un pays avec des roses, et les batai lles
de fleurs n’ ont jamai s passé pour choses séri euses.
Entre les Vazys et les Vatens, la pai x fut conclue sur
l’ heure. Les deux armées se reti rèrent et le désert couleur
de dragée rose fut rendu à son ci el, à sa soli tude et à sa
li berté.
Chapitre 17
Où Tistou,
courageusement
se dénonce
Il y a des si lences qui révei llent. Ti stou, ce mati n-là,
sauta de son li t parce que la grosse si rène ne sonna pas. Il
alla à la fenêtre.
La fabri que de Mi repoi l étai t arrêtée ; les neuf
chemi nées ne fumai ent plus.
Ti stou courut au jardi n. Assi s dans sa brouette,
Moustache li sai t le journal, ce qui lui arri vai t rarement.
— Ah ! te voi là, toi ! s’ écri a-t-i l. Pour du travai l bi en fai t,
on peut di re que c’ est du travai l bi en fai t. Je n’ aurai s jamai s
cru que tu arri verai s à un si beau résultat !
Moustache rayonnai t, exultai t. Il embrassa Ti stou, c’ està-di
re qu’ i l lui enveloppa la tête de ses moustaches.
Pui s, avec cette légère mélancoli e des hommes qui ont
fi ni leur tâche, i l ajouta :
— Je n’ ai plus ri en à t’ apprendre. Tu en sai s mai ntenant
aussi long que moi , et tu vas bi en plus vi te.
Venant d’ un maître tel que Moustache, le compli ment
réchauffa le cœur de Ti stou.
Du côté des écuri es, Ti stou rencontra Gymnasti que.
— C’ est mervei lleux, lui gli ssa Ti stou dans sa douce
orei lle bei ge. Avec des fleurs, j’ ai arrêté une guerre.
Le poney n’ en parut pas autrement surpri s.
— À propos, répondi t-i l, une botte de trèfle blanc me
ferai t assez plai si r. C’ est ce que je préfère pour mon peti t
déjeuner, et j’ en trouve de moi ns en moi ns sur la prai ri e.
Tâche d’ y penser, à l’ occasi on.
Ces mots plongèrent Ti stou dans la stupéfacti on. Non
pas parce que le poney parlai t… cela, i l s’ en étai t aperçu
depui s longtemps… mai s parce que le poney savai t qu’ i l
avai t les pouces verts.
« Heureusement que Gymnasti que ne parle jamai s à
personne d’ autre qu’ à moi », se di t Ti stou.
Et i l remonta, pensi f, vers la mai son. Ce poney-là,
déci dément, en connai ssai t long.
Dans la Mai son-qui -bri lle, les choses n’ allai ent pas
comme à l’ accoutumée. D’ abord, c’ est un fai t, les vi tres
bri llai ent moi ns. Améli e ne chantai t pas devant ses
fourneaux : Ninon, Ninon, qu’as-tu fait de ta vie… qui étai t
sa chanson préférée. Le valet Carolus ne fai sai t pas relui re
la rampe.
Madame Mère avai t qui tté sa chambre dès hui t heures,
comme lorsqu’ elle partai t en voyage. Elle prenai t son café
au lai t dans la salle à manger, ou plutôt son café au lai t
étai t devant elle, et elle n’ y touchai t pas. Elle vi t à pei ne
Ti stou traverser la pi èce.
Monsi eur Père n’ étai t pas allé au bureau. Il se trouvai t
dans le grand salon, en compagni e de Monsi eur
Trounadi sse, et tous deux marchai ent à grands pas, de
mani ère désordonnée, si bi en que, de temps en temps, i ls
se cognai ent et à d’ autres moments se tournai ent le dos.
Leur conversati on fai sai t un brui t d’ orage.
— Rui ne ! Déshonneur ! Fermeture ! Chômage ! cri ai t
Monsi eur Père.
Et Monsi eur Trounadi sse répondai t, comme l’ écho du
tonnerre roulant dans les nuages :
— Conspi rati on… Sabotage… Attentat paci fi ste…
— Ah ! mes canons, mes beaux canons, reprenai t
Monsi eur Père.
Ti stou, sur le seui l de la porte entrouverte, n’ osai t pas
les i nterrompre.
« Voi la comme elles sont, ces grandes personnes, se
di sai t-i l. Monsi eur Trounadi sse m’ affi rmai t que tout le
monde étai t contre la guerre, mai s que c’ étai t un mal
i névi table, qu’ on ne pouvai t ri en y fai re. J’ arri ve à
empêcher une guerre ; i ls devrai ent être contents ; non, i ls
se fâchent. »
Monsi eur Père, heurtant au passage l’ épaule de
Monsi eur Trounadi sse, s’ écri ai t, hors de lui :
— Ah ! si je tenai s le mi sérable qui est allé semer des
fleurs dans mes canons !
— Ah ! oui , si je le tenai s, moi aussi ! répondai t
Monsi eur Trounadi sse.
— Mai s peut-être n’ y a-t-i l aucun responsable… Effet
des pui ssances supéri eures…
— Il faut fai re une enquête… Haute trahi son.
Ti stou, vous le savez, étai t un garçon courageux. Il ouvri t
la porte, alla jusque sous le grand lustre de cri stal, au
centre du tapi s à gui rlandes, et face au portrai t de
Monsi eur Grand-Père. Il pri t son souffle :
— C’ est moi qui ai semé les fleurs dans les canons, di t-
i l.
Et pui s i l ferma les yeux, attendant la gi fle. La gi fle
n’ étant pas arri vée, i l rouvri t les paupi ères.
Monsi eur Père s’ étai t arrêté dans un coi n du salon, et
Monsi eur Trounadi sse à l’ autre bout. Ils regardai ent Ti stou,
mai s n’ avai ent pas l’ ai r de le voi r. À se demander même
s’ i ls avai ent entendu et compri s.
« Ils ne me croi ent pas », pensa Ti stou qui , pour
confi rmer son aveu, énuméra ses prouesses comme on
donne la soluti on d’ une charade.
— Les volubi li s dans la zone, c’ est moi ! La pri son, c’ est
moi ! Et l’ édredon de pervenches pour la peti te fi lle
malade, c’ est moi ! Et le baobab dans la cage aux li ons,
c’ est encore moi !
Monsi eur Père et Monsi eur Trounadi sse conti nuai ent à
jouer les statues. Les paroles de Ti stou, mani festement, ne
leur pénétrai ent pas dans la tête. Ils avai ent tout juste la
fi gure de gens qui vont vous di re dans une seconde :
« Cesse donc de raconter des bêti ses et lai sse les
grandes personnes tranqui lles. »
« Ils pensent que je me vante, se di t Ti stou. Il faut que je
leur prouve la véri té. »
Il s’ approcha du portrai t de Monsi eur Grand-Père. Sur le
canon qui servai t d’ accoudoi r au vénéré fondateur de la
Manufacture de Mi repoi l, Ti stou posa les deux pouces et
les ti nt appuyés pendant quelques secondes.
La toi le eut un léger fri sson et l’ on vi t sorti r de la bouche
du canon un bri n de muguet qui poussa d’ abord une feui lle,
pui s l’ autre, pui s ses clochettes blanches.
— Et voi là ! di t Ti stou. J’ ai les pouces verts.
Il s’ attendai t à ce que Monsi eur Trounadi sse devînt
cramoi si , et Monsi eur Père tout blanc. Ce fut le contrai re
qui arri va.
Monsi eur Père s’ écroula dans un fauteui l, le vi sage
pourpre, tandi s que Monsi eur Trounadi sse, pâle comme
une pomme de terre, se lai ssai t tomber sur le tapi s.
Ti stou reconnut à ce double si gne que de fai re pousser
des fleurs à l’ i ntéri eur des canons dérangeai t gravement la
vi e des grandes personnes.
Et i l sorti t du salon, la joue i ntacte, ce qui prouve que le
courage est toujours récompensé.
Chapitre 18
Où quelques
grandes personnes
finissent par renoncer
à leurs idées toutes faites
Monsi eur Père, ai nsi que vous avez pu le constater au
cours de ce réci t, étai t un homme de déci si on rapi de. Il lui
fallut néanmoi ns une grande semai ne pour réfléchi r à la
si tuati on et y fai re face.
Entouré de ses mei lleurs i ngéni eurs, i l ti nt plusi eurs
consei ls de di recti on, auxquels parti ci pa Monsi eur
Trounadi sse. Il s’ enferma dans son bureau, seul, et y passa
de longues heures la tête entre les mai ns. Il pri t des notes ;
i l les déchi ra.
En somme la si tuati on se résumai t ai nsi : Ti stou avai t les
pouces verts, i l se servai t de ses pouces verts et, en se
servant de ses pouces verts, i l avai t arrêté l’ usi ne de
Mi repoi l.
Car, bi en entendu, les mi ni stres de la Guerre et les
généraux en chef qui se fourni ssai ent habi tuellement à
Mi repoi l avai ent aussi tôt annulé leurs commandes et reti ré
leur cli entèle.
— Autant s’ adresser à un fleuri ste ! di sai ent-i ls.
Il y avai t une soluti on, évi demment, qui vi nt à l’ espri t de
quelques personnes sans i magi nati on : enfermer Ti stou
dans la pri son, parce qu’ i l dérangeai t l’ ordre, fai re savoi r
dans la presse que le perturbateur avai t été mi s hors d’ état
de nui re, remplacer aux acheteurs les canons feui llus par
des armes du modèle courant, et envoyer une ci rculai re à
tous les généraux en les i nformant que la manufacture
reprenai t sa fabri cati on comme par le passé.
Mai s Monsi eur Trounadi sse… oui , Monsi eur
Trounadi sse lui -même, s’ opposa à cette soluti on.
— On ne se relève pas faci lement d’ un coup parei l, di t-i l
sans cri er. La suspi ci on pour longtemps va peser sur nos
produi ts. Et pui s enfermer Ti stou dans la pri son, cela ne
servi rai t à ri en. Il fera pousser des chênes dont les raci nes
démoli ront les murs, et i l s’ échappera. On ne peut pas
s’ opposer aux forces de la nature.
Monsi eur Trounadi sse avai t beaucoup changé ! Ses
orei lles, depui s ; le jour de sa chute dans le salon, s’ étai ent
éclai rci es ; sa voi x s’ étai t calmée. Et pui s… pourquoi ne
pas le di re ? Monsi eur Trounadi sse souffrai t d’ i magi ner
Ti stou en costume de bagnard, tournant en rond dans une
pri son, même une pri son fleuri e. La pri son fai t parti e des
choses qu’ on envi sage très tranqui llement pour les gens
qu’ on ne connaît pas. Mai s dès qu’ i l s’ agi t d’ un peti t garçon
qu’ on ai me, c’ est tout di fférent.
En dépi t des remontrances, des zéros, de la gi fle,
Monsi eur Trounadi sse, dès qu’ on parla de pri son,
découvri t qu’ i l ai mai t beaucoup Ti stou, qu’ i l s’ étai t attaché
à lui , et qu’ i l supporterai t mal d’ être pri vé de le voi r. Ai nsi
sont quelquefoi s les gens qui cri ent très fort.
D’ ai lleurs Monsi eur Père se fût de toute mani ère
opposé à l’ empri sonnement de Ti stou. Monsi eur Père étai t
bon, je vous l’ ai déjà di t. Il étai t bon et i l étai t marchand de
canons. À premi ère vue, cela ne paraît pas compati ble. Il
adorai t son fi ls et fabri quai t des armes pour rendre
orpheli ns les enfants des autres. Cela se voi t plus souvent
qu’ on ne croi t.
— Nous éti ons parvenus à deux réussi tes, di t-i l à
Madame Mère. Nous fabri qui ons les mei lleurs canons et
nous avi ons fai t de Ti stou un enfant heureux. Il semble que
les deux choses ne pui ssent plus aller ensemble.
Madame Mère étai t douce, belle et genti lle. Une
personne exqui se. Elle écoutai t toujours avec beaucoup
d’ i ntérêt, et même d’ admi rati on, les paroles de son mari .
Depui s la malheureuse affai re de la guerre des Vazys, elle
se sentai t un peu coupable, vaguement, sans savoi r de
quoi . Une mère se croi t toujours un peu coupable quand
son enfant dérange la vi e des grandes personnes et ri sque
d’ avoi r des ennui s.
— Que fai re, mon ami , que fai re ? répondi t-elle.
— Ce qui me préoccupe, c’ est autant le sort de Ti stou
que celui de l’ usi ne, repri t Monsi eur Père. Nous nous
éti ons fai t une i dée de l’ aveni r de cet enfant ; nous
pensi ons qu’ i l allai t me succéder comme j’ ai succédé à
mon père. Il avai t son chemi n tout tracé, la fortune, la
consi dérati on…
— C’ étai t une i dée toute fai te, di t Madame Mère.
— Eh ! oui . Une i dée toute fai te, et bi en commode.
Mai ntenant, i l faut nous en fai re une autre. Ce peti t n’ a pas
de goût pour l’ armureri e, c’ est vi si ble.
— Sa vocati on paraît le porter vers l’ horti culture.
Monsi eur Père se souvi nt des mots rési gnés de
Monsi eur Trounadi sse : « On ne peut ri en contre les forces
de la nature… »
« Certes, on ne peut ri en contre ces forces, pensai t
Monsi eur Père, mai s on peut se servi r d’ elles. »
Il se redressa, fi t troi s pas dans la pi èce, se retourna,
ti ra sur les poi ntes de son gi let.
— Ma chère épouse, di t-i l, voi là ma déci si on.
— Je sui s sûre qu’ elle est parfai te, di t Madame Mère,
les yeux rosi s par les larmes, car le vi sage de Monsi eur
Père en cette mi nute-là avai t vrai ment quelque chose
d’ héroïque, d’ émouvant, et ses cheveux bri llai ent plus que
jamai s.
— Nous allons, déclara-t-i l, transformer l’ usi ne de
canons en usi ne à fleurs.
Les grands hommes d’ affai res ont le secret de ces
revi rements soudai ns, de ces brusques redressements
devant l’ adversi té.
On se mi t i mmédi atement au travai l : Le succès fut
foudroyant.
La batai lle à coups de vi olettes et de renoncules avai t
fai t couler beaucoup d’ encre à travers le monde. L’ opi ni on
étai t préparée. Tous les événements précédents, les
mystéri euses florai sons, et jusqu’ au nom même de la vi lle,
Mi repoi l-les-Fleurs, tout concourut au développement de la
nouvelle entrepri se.
Monsi eur Trounadi sse, à qui l’ on confi a la publi ci té, fi t
tendre en travers des routes d’ alentour d’ i mmenses
banderoles où l’ on pouvai t li re :
Ou bi en :

Plantez les fleurs


qui grandi ssent en une seule nui t
Les fleurs de Mi repoi l
poussent même sur l’ aci er

Mai s son mei lleur slogan fut sans doute :

Di tes non à la guerre,


mai s di tes-le avec des fleurs
Les cli ents affluèrent, et la Mai son-qui -bri lle retrouva sa
prospéri té.
Chapitre 19
Où Tistou fait
une dernière découverte
Les hi stoi res ne s’ arrêtent jamai s où l’ on croi t. Vous
pensi ez peut-être que tout étai t di t ; vous pensi ez sans
doute connaître bi en Ti stou. Sachez que l’ on ne connaît
jamai s personne complètement. Nos mei lleurs ami s nous
réservent toujours des surpri ses.
Certes, Ti stou ne fai sai t plus mystère de ses pouces
verts. Au contrai re, on en parlai t beaucoup et Ti stou étai t
devenu un enfant célèbre, non seulement à Mi repoi l mai s
dans le monde enti er.
L’ usi ne marchai t à mervei lle. Les neuf chemi nées
étai ent couvertes jusqu’ au sommet de verdure et de fleurs
éclatantes. Les ateli ers embaumai ent les parfums les plus
rares.
On fabri quai t des tapi s de fleurs pour décorer les
appartements et des tentures de fleurs pour remplacer aux
murs la cretonne et le papi er pei nt. Les jardi ns étai ent
expédi és par wagons enti ers. Monsi eur Père avai t même
reçu une commande de cache gratte-ci el, parce que les
gens qui vi vai ent dans ces mai sons-là étai ent souvent,
di sai t-on, pri s d’ une sorte de fi èvre qui les poussai t à se
jeter par la fenêtre du cent trenti ème étage.
À vi vre si loi n de la terre, forcément, i ls ne devai ent pas
se senti r à leur ai se, et l’ on pensai t que des fleurs leur
ferai ent passer ce verti ge.
Moustache étai t devenu grand-consei ller des cultures.
Ti stou ne cessai t de perfecti onner son art. Mai ntenant, i l
i nventai t des fleurs. Il étai t parvenu à créer la rose bleue
dont chaque pétale étai t comme un morceau de ci el, et i l
avai t mi s au poi nt deux nouvelles vari étés de solei ls : le
solei l levant couleur d’ aurore et le solei l couchant d’ un beau
pourpre cui vré.
Lorsqu’ i l avai t fi ni , i l allai t jouer dans le jardi n avec la
peti te fi lle guéri e. Gymnasti que ne mangeai t plus que du
trèfle blanc.
— Alors, tu es content, mai ntenant ? di t un jour le poney
Gymnasti que à Ti stou.
— Oh ! oui , très content, répondi t Ti stou.
— Tu ne t’ ennui es pas ?
— Pas du tout.
— Tu n’ as pas envi e de nous qui tter ? Tu vas rester avec
nous ?
— Mai s bi en sûr ! Pourquoi cette drôle de questi on ?
— Une i dée…
— Qu’ est-ce que tu veux di re ? Elle n’ est donc pas fi ni e
mon hi stoi re ? demanda Ti stou.
— On verra… on verra…, di t le poney en se remettant à
brouter son trèfle.
À quelques mati ns de là, une nouvelle ci rcula dans la
Mai son-qui -bri lle, dont chacun parut fort attri sté. Le jardi ni er
Moustache ne s’ étai t pas révei llé.
— Moustache a déci dé de se reposer pour toujours,
expli qua Madame Mère à Ti stou.
— Je peux aller le voi r dormi r ?
— Non, non. Tu ne peux plus le voi r. Il est parti pour un
long, long voyage dont i l ne revi endra jamai s.
Ti stou ne comprenai t pas très bi en. « On ne voyage pas
les yeux fermés, pensa-t-i l. S’ i l dort, i l aurai t pu me di re
bonsoi r. Et s’ i l est parti , i l aurai t pu me di re au revoi r. Ce
n’ est pas clai r, tout cela ; on me cache quelque chose. »
Il alla i nterroger la cui si ni ère Améli e.
— Ce pauvre Moustache est au ci el ; i l est plus heureux
que nous à présent, di t Améli e.
« S’ i l est heureux, pourquoi di re qu’ i l est pauvre, et s’ i l
est pauvre comment peut-i l être heureux ? » se demanda
Ti stou.
Carolus avai t encore une autre opi ni on. D’ après lui ,
Moustache étai t sous terre, au ci meti ère.
Tout ceci étai t plei n de contradi cti ons.
Sous terre ou au ci el ? Il fallai t s’ entendre. Le jardi ni er ne
pouvai t pas être partout à la foi s.
Ti stou alla trouver Gymnasti que.
— Je sai s, di t le poney ; Moustache est mort.
Gymnasti que di sai t toujours la véri té ; c’ étai t un de ses
pri nci pes.
— Mort ? s’ écri a Ti stou. Mai s i l n’ y a pas eu de guerre ?
— Il n’ y a pas besoi n de guerre pour mouri r, répondi t le
poney. La guerre, c’ est de la mort en supplément…
Moustache est mort parce qu’ i l étai t très vi eux. Toute vi e se
termi ne de cette mani ère-là.
Ti stou eut l’ i mpressi on que le solei l perdai t sa lumi ère,
que la prai ri e devenai t toute noi re et que l’ ai r avai t mauvai s
goût à respi rer. Ce sont là des si gnes d’ un malai se que les
grandes personnes croi ent être seules à éprouver, mai s
que les peti tes personnes de l’ âge de Ti stou connai ssent,
elles aussi , et qui se nomme le chagri n.
Ti stou entoura de ses bras le cou du poney et pleura un
long moment dans sa cri ni ère.
— Pleure, Ti stou, pleure, di sai t Gymnasti que. C’ est
nécessai re. Les grandes personnes s’ empêchent de
pleurer ; elles ont tort, parce que leurs larmes se gèlent à
l’ i ntéri eur et c’ est ce qui leur fai t le cœur si dur.
Mai s Ti stou étai t un étrange enfant qui refusai t de se
pli er devant le malheur tant qu’ i l n’ étai t pas allé y mettre les
pouces.
Il sécha ses larmes et fi t un peu d’ ordre dans ses i dées.
« Au ci el ou sous terre ? » se répéta-t-i l.
Il déci da de se rendre au plus près. Le lendemai n, après
le déjeuner, i l sorti t du jardi n et courut jusqu’ au ci meti ère
qui étai t à li ane de colli ne. Un joli ci meti ère, plei n d’ arbres
et pas tri ste du tout.
« On di rai t des flammes de nui t qui brûlent pendant le
jour », pensa-t-i l en voyant les beaux cyprès noi rs.
Il aperçut un jardi ni er, de dos, qui rati ssai t une allée. Il
eut un i nstant le fol espoi r… Mai s le jardi ni er se retourna.
C’ étai t un si mple jardi ni er de ci meti ère, sans
ressemblance avec celui que Ti stou cherchai t.
— Pardon, monsi eur, savez-vous où est Monsi eur
Moustache ?
— Troi si ème allée à droi te, répondi t le jardi ni er sans
s’ arrêter de rati sser.
« C’ est donc bi en i ci … » pensa Ti stou.
Il sui vi t la di recti on i ndi quée, avança entre les tombes et
s’ arrêta devant la derni ère, une tombe toute neuve. Sur la
dalle de pi erre, on pouvai t li re cette i nscri pti on, composée
par l’ i nsti tuteur :

Ci-gît maître Moustache


Jardinier sans tache.
Il fut l’ami des fleurs ;
Passants, versez un pleur.

Et Ti stou se mi t au travai l. « Moustache ne rési stera pas


à une belle pi voi ne. Il aura envi e de lui parler », songeai t
Ti stou. Il enfonça son pouce droi t en terre, attendi t
quelques i nstants. La pi voi ne sorti t du sol, monta,
s’ épanoui t, i ncli na la tête, lourde comme un chou, vers
l’ i nscri pti on. Mai s la dalle ne bougea pas.
« Les parfums, peut-être… Il avai t le nez très fi n sous
ses grosses moustaches », pensa Ti stou. Et i l fi t surgi r
jaci nthes, œi llets, li las, mi mosas et tubéreuses. La tombe
en fut entourée en quelques mi nutes, comme d’ un bosquet.
Mai s elle resta une tombe.
« Et une fleur qu’ i l n’ aurai t pas connue, se di t encore
Ti stou. Même si l’ on est très fati gué, la curi osi té, ça
révei lle, »
Mai s la mort se moque des éni gmes. Les éni gmes,
c’ est elle qui les pose.
Pendant une heure, Ti stou déploya la plus vi ve
i magi nati on pour fabri quer une végétati on jamai s vue. Il
i nventa ai nsi la fleur-papi llon, à deux pi sti ls en forme
d’ antennes et deux pétales éployés qui frémi ssai ent au
moi ndre souffle d’ ai r. Ce fut sans résultat.
Lorsqu’ i l parti t, les mai ns noi res, la tête basse, i l lai ssai t
derri ère lui la plus étonnante tombe qu’ on ai t jamai s vue
dans un ci meti ère ; mai s Moustache n’ avai t pas répondu.
Ti stou traversa la prai ri e, s’ approcha de Gymnasti que.
— Tu sai s, Gymnasti que…
— Oui , je sai s, répondi t le poney. Tu as découvert que la
mort est le seul mal que les fleurs n’ empêchent pas de
passer.
Et comme le poney étai t un morali ste, i l ajouta :
— C’ est pourquoi les hommes sont bi en sots de
chercher à se nui re les uns aux autres, comme i ls le font
tout le temps.
Ti stou, le nez en l’ ai r, regardai t les nuages et
réfléchi ssai t.
Chapitre 20
Où l’on apprend
enfin qui était Tistou
Elle l’ occupai t depui s plusi eurs jours ; elle requérai t tous
ses soi ns ; i l ne pensai t plus qu’ à elle. À quoi donc ? À
l’ échelle.
— Ti stou construi t une échelle ; cela va lui changer les
i dées, di sai t-on à Mi repoi l.
On n’ en savai t pas davantage. Une échelle pour poser
où ? Pour quel usage ? Pourquoi une échelle plutôt qu’ une
tour ou qu’ un pavi llon fleuri ?
Ti stou demeura évasi f.
— J’ ai envi e de fai re une échelle, voi là tout.
Il avai t choi si l’ emplacement, bi en au centre de la
prai ri e.
Une échelle, ordi nai rement, c’ est l’ affai re d’ un
menui si er. Mai s Ti stou ne se servai t pas de boi s coupé.
Il avai t commencé par planter ses pouces en terre,
profondément, et aussi éloi gnés l’ un de l’ autre qu’ i l le
pouvai t en écartant les bras.
— Il faut que les raci nes de cette échelle soi ent soli des,
expli qua-t-i l au poney qui sui vai t avec i ntérêt les travaux.
Deux arbres s’ élevèrent, deux beaux arbres aux
rameaux serrés, à la tai lle élancée. En moi ns d’ une
semai ne, i ls mesurai ent trente mètres. Chaque mati n,
Ti stou, fi dèle aux ensei gnements de Moustache, leur
adressai t un peti t di scours. Cette méthode donna les
mei lleurs résultats.
Les deux arbres étai ent d’ essence rare ; le tronc tenai t,
par l’ élégance, du peupli er d’ Itali e, mai s avec la dureté de
l’ i f et du bui s. La feui lle étai t dentelée comme celle du
chêne, et les frui ts poussai ent verti calement, en peti ts
cônes, comme les pommes du sapi n.
Mai s lorsque les arbres eurent dépassé soi xante
mètres, les feui lles dentelées lai ssèrent la place à des
ai gui lles bleutées, pui s apparurent des bourgeons feutrés
qui fi rent di re à Carolus que les arbres étai ent d’ une
espèce qu’ on connai ssai t bi en dans son pays, et qu’ on
appelai t le sorbi er des oi seleurs.
— Ça, du sorbi er ? s’ écri a la cui si ni ère Améli e, N’ avezvous

pas vu qu’ i l y pousse mai ntenant des grappes


blanches et parfumées ? Ce sont des acaci as, je vous le
di s, et je m’ y connai s, parce qu’ avec la fleur on fai t des
bei gnets.
Mai s Améli e, pas plus que Carolus, n’ avai t rai son ni tort.
Chacun, dans-ces arbres-là, voyai t l’ espèce qu’ i l ai mai t le
plus. C’ étai ent des arbres sans nom.
Ils eurent bi entôt plus de cent mètres et, les jours de
brume, on n’ en apercevai t plus le sommet.
Mai s, di ri ez-vous, deux arbres, même très hauts, n’ ont
jamai s suffi à fai re une échelle.
Ce fut alors qu’ apparut la glyci ne, une glyci ne de vari été
si nguli ère, d’ ai lleurs, et assez fortement croi sée de
houblon. Elle offrai t en outre cette parti culari té de pousser
parfai tement à l’ hori zontale, entre les deux arbres. Elle
prenai t soli dement appui sur l’ un des troncs, s’ élançai t,
attrapai t l’ autre tronc, s’ enroulai t troi s foi s autour, fai sai t un
nœud avec sa propre ti ge, montai t un peu plus haut,
repartai t en sens i nverse. Ai nsi se construi si rent les
barreaux de l’ échelle.
L’ admi rable fut quand cette glyci ne, d’ un seul coup, se
mi t à fleuri r. Une cataracte mauve semblai t couler du ci el.
— Si vrai ment Moustache est là-haut, comme on
s’ obsti ne à me le di re, confi a Ti stou à Gymnasti que, i l
profi tera certai nement de cette échelle pour descendre, ne
serai t-ce qu’ un peti t moment.
Le poney ne répondi t pas.
— Je sui s trop malheureux de ne pas le voi r… et de ne
pas savoi r, di t Ti stou.
L’ échelle conti nuai t à grandi r. On la photographi a pour
les journaux en couleurs, qui écri vi rent à son propos :
L’échelle de fleurs de Mirepoil est la huitième merveille
du monde.
Si l’ on avai t demandé aux lecteurs quelles étai ent les
sept premi ères, i ls aurai ent été bi en embarrassés dans
leur réponse. Posez donc la questi on à vos parents, pour
voi r !
Mai s tout ceci ne fi t pas descendre Moustache.
« J’ attends encore troi s mati ns, déci da Ti stou, et ensui te
je saurai ce qu’ i l me reste à fai re. »
Le troi si ème mati n arri va.
La lune se couchai t, le solei l n’ étai t pas levé et les
étoi les commençai ent à tomber de sommei l, lorsque Ti stou
sorti t di e son li t. Il ne fai sai t plus nui t et pas encore jour.
Ti stou portai t sa longue chemi se blanche.
« Où sont donc mes pantoufles ? » se demanda-t-i l. Il
trouva l’ une sous le li t et l’ autre sur la commode.
Il se lai ssa gli sser le long de la rampe, sorti t à pas de
loup et arri va jusqu’ à l’ échelle, au mi li eu de la prai ri e.
Gymnasti que s’ y trouvai t aussi . Il avai t le pelage tri ste,
l’ orei lle couchée, la cri ni ère emmêlée.
— Comment, tu es déjà debout ? lui demanda Ti stou.
— Je ne sui s pas rentré à l’ écuri e hi er soi r, répondi t le
poney. Je doi s même t’ avouer que j’ ai essayé toute la nui t
de ronger le pi ed de tes arbres mai s le boi s est trop dur.
Mes dents n’ ont ri en pu fai re.
— Tu as voulu couper, ma belle échelle ? s’ écri a Ti stou.
Mai s pourquoi cela ? Pour m’ empêcher de monter ?
— Oui , fi t le poney.
Des gouttes de rosée se mi rent à parler dans l’ herbe. Et
en même temps Ti stou, à la fai ble lumi ère de l’ aube, vi t de
grosses larmes couler des yeux du poney.
— Mai s voyons, Gymnasti que, i l ne faut pas sangloter si
fort, tu vas révei ller tout le monde, di t Ti stou. Pourquoi
t’ i nqui éter ? Tu sai s bi en que je n’ ai pas le verti ge. Je ne
fai s que monter et descendre ; je doi s être rentré avant que
Carolus se lève…
Mai s Gymnasti que conti nuai t à pleurer.
— Oh ! je le savai s… je savai s que ça devai t arri ver…,
répétai t-i l.
— Je tâcherai de te rapporter une peti te étoi le, di t Ti stou
pour le consoler. Au revoi r, Gymnasti que.
— Adi eu, fi t le poney.
Il regarda Ti stou s’ élancer sur les barreaux de glyci ne et
sui vi t des yeux son escalade.
Ti stou s’ élevai t réguli èrement, léger, agi le. Bi entôt sa
chemi se de nui t ne parut pas plus grande qu’ un mouchoi r.
Gymnasti que tendai t le cou. Ti stou di mi nuai t, di mi nuai t,
devenai t à pei ne plus gros qu’ une bi lle, qu’ un peti t poi s,
qu’ une tête d’ épi ngle, qu’ un grai n de poussi ère. Et quand i l
fut i nvi si ble, Gymnasti que s’ éloi gna tri stement et alla
brouter l’ herbe de la prai ri e, bi en qu’ i l n’ eût aucune fai m.
Mai s Ti stou, sur son échelle, voyai t encore la terre.
« Ti ens, se di t-i l, les prai ri es sont bleues. »
Il s’ arrêta un i nstant. À ces hauteurs, tout change. La
Mai son-qui -bri lle bri llai t encore, mai s comme un mi nuscule
éclat de di amant.
Le vent s’ engouffrai t sous la chemi se de Ti stou et la
fai sai t gonfler.
« Cramponnons-nous ! » Et i l repri t son escalade. Mai s
au li eu de se compli quer, l’ ascensi on de Ti stou devi nt de
plus en plus faci le.
Le vent s’ étai t apai sé. Tout ce qui avai t été brui t ou
grondement devenai t si lence. Le solei l éti ncelai t comme un
feu géant, mai s sans brûler. La terre n’ étai t plus qu’ une
ombre, n’ étai t plus ri en.
Ti stou ne senti t pas tout de sui te qu’ i l n’ y avai t plus
d’ échelle. Il s’ en aperçut seulement lorsqu’ i l constata qu’ i l
avai t perdu ses chères pantoufles et qu’ i l étai t pi eds nus. Il
n’ y avai t plus d’ échelle et pourtant i l conti nuai t de monter,
sans pei ne, sans fati gue. Une grande ai le blanche le frôla.
« Comme c’ est drôle, pensa-t-i l, une ai le sans oi seau ! »
Et soudai n i l entra dans un énorme nuage, blanchâtre,
mousseux, soyeux, où l’ on ne voyai t plus ri en.
Ce nuage rappelai t à Ti stou quelque chose… mai s oui ,
quelque chose d’ aussi blanc, d’ aussi doux ; ce nuage lui
rappelai t la moustache de Moustache, en mi lle, en mi lli ons
de foi s plus grand. Ti stou étai t en trai n d’ avancer dans une
moustache aussi vaste qu’ une forêt.
Il entendi t alors une voi x, une voi x qui ressemblai t à celle
de Moustache, mai s tellement plus forte, plus grave, plus
profonde, i l entendi t cette voi x prononcer :
— Ah ! te voi là, toi …
Et i l di sparut à jamai s dans ce monde i nvi si ble dont
même les gens qui écri vent des hi stoi res ne savent ri en.
Mai s Monsi eur Père, Madame Mère, Monsi eur
Trounadi sse, Carolus, Améli e, et tous ceux qui ai mai ent
Ti stou, allai ent s’ i nqui éter s’ affoler, se désespérer.
Gymnasti que se chargea de les rassurer en leur
fourni ssant l’ expli cati on de tant de mervei lles. Ce poney-là,
je vous l’ ai di t, en savai t long.
Donc, à pei ne Ti stou hors de vue, Gymnasti que s’ étai t
mi s à manger l’ herbe. Pourtant i l n’ avai t pas fai m. Mai s i l
broutai t, broutai t, d’ une curi euse mani ère, comme s’ i l
cherchai t à fai re un dessi n. Et à mesure qu’ i l avançai t, à la
place de l’ herbe ôtée par ses dents, aussi tôt poussai ent
des boutons d’ or, bi en drus et bi en épai s. Et quand i l eut
fi ni , i l alla se reposer.
Lorsque les habi tants de la Mai son-qui -bri lle sorti rent,
ce mati n-là, en appelant Ti stou de tous côtés, i ls vi rent, au
mi li eu de la prai ri e, deux peti tes pantoufles et cette phrase,
écri te en belles fleurs dorées :

TISTOU ÉTAIT UN ANGE !

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