I. Étymologie
Le verbe douter est issu du latin dubitare, « balancer entre deux choses, être indécis, douter,
hésiter » (pour une personne) « être incertain » (pour une chose). En latin tardif prend le sens de
craindre, peut-être sous l’influence de l’expression in dubio esse : être en danger (dubium signifie
parfois situation critique).
- Par glissement de sens, douter prend très tôt (dès le XIe siècle) le sens de « craindre, avoir peur ».
C'est le sens principal qu'acquiert le verbe en ancien français, souvent en emploi transitif direct. Le
participe passé doté signifie « craint, redouté ».
• En emploi pronominal :
- « Mot s'en vest tost, quar se doutoit ;
Bien sot, se Tristran s'esvellot,
Que ja n'i metroit autre ostage,
Fors la teste lairoit en gage. »
- XVIIe siècle : le verbe redoter, dérivé de doter avec le sens intensif que lui donne le préfixe -re,
signifie « craindre très fort ». On peut aussi trouver la construction synonyme soi redoter de.
> Le substantif redot qui en découle exprime autant la crainte que l'hésitation ; tandis que
redotement ne désigne que la crainte ; et redotance signifie la crainte et la puissance.
- XVIIe : les adjectifs doutif et douteus ont un sens actif (« qui a peur ») et un sens passif (« qui est
craint ») liés au sème de la crainte. Le sens de « incertain, variable, douteux, éventuel » est plus
tardif. On trouve aussi dotable/redotable avec la même polysémie.
- radical dout-
p.59, v.1904 : « N’as droit en terre, sanz doutance. »
Forme verbale :
- radical dot-
p.53, v.1726 : « Fus por chacier, chascuns dotoit que Tristan li preuz l’encontrast » (construction
« douter que… »)
p.87, v.2825 : « Beau chiers amis, et g’en ai dote : Enfer ovre, qui les tranglote ! »
(construction « avoir en doute »)
- radical dout-
p.57, v.1845 : « Mot s’en ves tost, quar se doutoit (...) » (construction pronominale « se douter »)
p.88, v.2872 : « Li a dit : ‘‘Rois, quar le retiens, Plus en seras doutez et criens.’’. » (participe passé)
p.120, v. 3925 : « N’en aies doute, non fera. » (construction « avoir en doute »).
L'autre sens se rapproche de du verbe feindre (se feindre de : hésiter à). Quant au verbe hésiter, il
n'apparaît qu'au XVe siècle.
V. Évolution
En moyen français : doter reste polysémique, mais dans un emploi plus complexe. Se doter de se
répand et signifie « croire sur certains indices à une chose que l'on peut redouter ». Douter traduit
alors « l'attente pénible d'un événement présumé mauvais », sans que le danger soit présent. La
peur devient inquiétude ou méfiance plutôt que frayeur. Il conserve aussi le sens de « être dans
l'incertitude ».
Au XVIe siècle : se développe le sens philosophique (et cartésien) de « n'être sûr de rien, être
sceptique ». Douter en vient à signifier « ne pas croire, ne pas avoir la foi ».
Au XVIIe siècle : le sens de « craindre » est vieilli et tend à disparaître. C'est redouter qui prend en
charge ce sens. Mais même si le sème « hésitation » l'emporte, douter reste polysémique. Il peut
exprimer tant l'incertitude (« ne pas savoir, se demander »), que l'indécision, l'hésitation, la
suspicion.
En français moderne : en emploi transitif, le verbe douter renvoie à l'incertitude sur l'existence de
quelque chose, sur la valeur ou la vérité d'une affirmation.
En emploi pronominal, il peut signifier « conjecturer, croire, deviner, pressentir », ou « ne pas avoir
confiance, se méfier de ». Des expressions comme sans doute et sans aucun doute veulent
respectivement dire « probablement » et « assurément » (sens médiéval).
Le sens commun « être dans le doute quant à l'existence, la valeur ou la vérité de quelque chose »
demeure. D'autres dérivés sont construits à partir de la racine étymologique, tels dubitatif et
dubitativement.