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DE L'ALTERMONDIALISME AUX « INDIGNÉS » : UN NOUVEAU

SOUFFLE POUR LA CONTESTATION DU CAPITALISME ?


Eddy Fougier

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Armand Colin | « Revue internationale et stratégique »

2012/2 n° 86 | pages 26 à 36
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ISSN 1287-1672
ISBN 9782200928032
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2012-2-page-26.htm
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Pour citer cet article :


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Eddy Fougier, « De l'altermondialisme aux « Indignés » : un nouveau souffle pour la
contestation du capitalisme ? », Revue internationale et stratégique 2012/2 (n° 86),
p. 26-36.
DOI 10.3917/ris.086.0026
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résumé
abstract

Eddy Fougier
Politologue et chercheur associé à l’IRIS.
Il est notamment l’auteur
de Parlons mondialisation en 30 questions1,
et de L’altermondialisme2.

De l’altermondialisme From the anti-globalization


aux « Indignés » : to the “Indignant”
un nouveau souffle movement:

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pour la contestation a new impetus
du capitalisme ? for contesting capitalism ?

D epuis quelques années, on


F or a few years, we have been
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parle régulièrement d’un talking about the « breathless-


« essoufflement » de l’altermon- ness » effect of the alter-globaliza-
dialisme. C’est le cas en Europe, tion. This is the case in Europe, but
mais pas nécessairement ailleurs, not necessarily elsewhere, and par-
en particulier en Amérique latine, ticularly in Latin America, where is
où se trouve désormais le cœur henceforth the neuralgic heart of
névralgique du mouvement. La the movement. The recent crisis
crise récente l’a amené à opérer brought it to operate a profound
une profonde réorientation en ne reorientation by not being only
s’intéressant plus uniquement à interested in the globalization pro-
la mondialisation, mais aussi à la cess, but also in the climatic crisis
crise climatique et à celle de la civi- and in that of the western civiliza-
lisation occidentale. Depuis 2011, tion. Since 2011, anti-globalization
les altermondialistes doivent faire activists have to face the challenge
face au défi de l’émergence des of the emergence of the “Indig-
mouvements des « Indignés » et de nant” and the deglobalization
la démondialisation. L’altermondia- movements. Alter-globalization
lisme n’est donc pas mort, mais il a therefore isn’t dead, but has lost its
perdu sa position dominante dans dominant position in the contest-
la contestation du système écono- ing of the world economic system,
mique mondial et surtout il n’a pas and it was especially not capable to
été en mesure d’inverser le rapport invert the balance of power in front
de force face aux conservateurs. of conservatives.

1. Paris, La Documentation française, 2012, 96 p.


2. Paris, Éditions du Cavalier bleu, 2008, 128 p.

26
ÉCLAIRAGES

De
l’altermondialisme
aux « Indignés » :

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un nouveau souffle pour
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la contestation
du capitalisme ?
Eddy Fougier

P
uerta del Sol à Madrid, place Syntagma à Athènes, parc Zucotti à New
York : ces lieux jusqu’alors peu connus du grand public en dehors de leur
pays respectif sont devenus en 2011 de hauts lieux de la contestation
du système économique dominant comme ont pu l’être à un moment
donné Seattle, Gênes ou Porto Alegre. Il existe, en effet, une dyna-
mique, à défaut d’un mouvement véritablement structuré, de contestation du
système dominant à l’échelle globale. Des groupes, des collectifs, des associa-
tions, des syndicats, des ONG ou des individus se mobilisent pour contester les
effets de politiques économiques et, plus généralement, du système capitaliste
en recourant à divers modes opératoires :
manifestations, contre-sommets, campe- Il existe une dynamique,
ments dans des lieux symboliques, cam-
pagnes d’information, etc. Ces contestataires
à défaut d’un mouvement
partagent donc une même critique, plus ou véritablement structuré,
moins radicale, du système économique glo-
bal et aspirent tous à un autre monde, qui soit de contestation du système
plus juste. dominant à l’échelle globale

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ÉCLAIRAGES

L’altermondialisme entre essoufflement


et enracinement
L’altermondialisme est apparu au cours des années 1990 comme un
mouvement de contestation du système économique global, des idéologies
« dominantes », en particulier le néolibéralisme, et des politiques qui s’en
sont inspirées. Il n’existe pas de définition communément admise de ce qu’est
l’altermondialisme. On peut néanmoins considérer qu’il correspond à la

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mouvance des organisations de la société civile qui dénoncent les effets de la
« mondialisation libérale » ou du capitalisme globalisé, qui aspirent à une « autre
mondialisation » et à un autre système économique en se reconnaissant comme
partie prenante des luttes altermondialistes et du processus des forums sociaux
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en liant actions menées à une échelle locale et enjeux globaux.

Un mouvement qui s’essouffle ?


Les médias et de nombreux observateurs font état d’une crise ou d’un
« essoufflement » du mouvement altermondialiste depuis quelques années.
Le faible intérêt des médias, au moins en Europe, pour les mobilisations
altermondialistes et les forums sociaux en serait le principal symptôme, tout
comme l’absence depuis quelque temps de « victoires » significatives des
contestataires face au « système ». Qu’en est-il au juste ?
Il convient, en premier lieu, de reconnaître qu’il est difficile d’évaluer la
situation du mouvement et que celui-ci évolue de façon très différente selon
les régions, les pays ou les périodes. Historiquement, l’altermondialisme
s’est d’abord développé en Amérique latine et en Europe. Or, ce que l’on peut
observer depuis plusieurs années, c’est un essoufflement de ce mouvement
en Europe et notamment en France, pourtant l’un des hauts lieux historiques
de l’altermondialisme. Parmi les symptômes de cet essoufflement, on
peut en particulier mentionner la très faible visibilité des derniers forums
sociaux européens (FSE). Les FSE d’Athènes en 2006, de Malmö en 2008 ou
d’Istanbul en 2010 sont ainsi largement passés inaperçus à cause d’une faible
participation. Il est évident qu’en 2012, l’Europe n’est plus le cœur névralgique
de la dynamique altermondialiste. Celui-ci se situe désormais en Amérique latine.
L’altermondialisme semble également se développer de façon notable en Afrique,
comme a pu en témoigner l’organisation de forums sociaux mondiaux (FSM) sur
le continent depuis quelques années : à Bamako en 2006 (FSM « polycentrique »),
à Nairobi en 2007 et à Dakar en 2011.
En outre, dans l’évaluation de la situation de l’altermondialisme, il convient
sans aucun doute de distinguer les organisations des idées. En effet, si les
organisations semblent être quelque peu en retrait de la scène médiatique et
du débat public en Europe, leurs idées, elles, sont souvent au cœur de ce débat.

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De l’altermondialisme aux « Indignés » : un nouveau souffle pour la contestation du capitalisme ?

L’association Attac, par exemple, n’a plus la visibilité et l’influence qu’elle


pouvait avoir en France à la fin des années 1990, mais jamais l’idée de taxe sur
les transactions financières (taxe Tobin)
qu’elle porte depuis sa création en 1998
n’a rencontré un écho aussi vif dans Il est évident qu’en 2012, l’Europe
le monde politique, y compris auprès n’est plus le cœur névralgique
de gouvernements ou dans l’opinion
publique. On peut également noter de la dynamique altermondialiste.
l’écho important des idées véhiculées Celui-ci se situe désormais

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par les « économistes atterrés » dont le
message apparaît assez proche de celui en Amérique latine
des altermondialistes1. Les mouvements
altermondialistes en Europe semblent être d’une certaine manière atteints du
même mal que les partis écologistes : si leurs idées deviennent “mainstream”
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et sont récupérées par nombre de partis politiques, ces mouvements sont eux-
mêmes marginalisés et confinés dans un rôle d’outsider.
La planète altermondialiste continue malgré tout de tourner. La mouvance
reste toujours bel et bien présente et active. Les principaux forums sociaux,
même moins médiatisés, attirent encore de nombreux représentants de la société
civile. Quelque 130 000 personnes ont ainsi participé au FSM de Belém en 2009
et 70 000 ont défilé dans les rues de Dakar lors de la marche d’ouverture du FSM
en 2011. Les mouvements altermondialistes poursuivent leurs mobilisations
en faveur de diverses luttes ou lors de sommets – les manifestations anti-G20
ont ainsi réuni un peu plus de 10 000 personnes à Nice en novembre 2011 – et
leur activité de contre-expertise afin de peser sur le débat et les perceptions. En
France, Attac a ainsi publié près d’une dizaine d’ouvrages entre 2010 et 2012.

Une réorientation générale de la contestation


L’altermondialisme est né d’une critique de la « mondialisation libérale ».
Les mobilisations se déployaient alors contre ses symboles : les sommets du
G8 ou des institutions économiques internationales (Banque mondiale, Fonds
monétaire international, Organisation mondiale du commerce), les réunions du
Forum économique mondial de Davos, etc. À partir des attentats du 11 septembre
2001, la protestation visait plus particulièrement l’« Empire » américain. Or, la
mondialisation et l’« Empire » ne semblent plus être les éléments structurants
des luttes altermondialistes depuis la fin des années 2000. Désormais, les
mouvements se concentrent sur la crise ou plutôt sur les crises. Ils estiment que la
crise économique et financière a validé nombre de leurs analyses et ils concentrent
plus particulièrement leurs actions sur deux manifestations de celle-ci.

1. Le courant des « économistes atterrés » a été créé en 2010 dans le sillage de la crise de la dette sou-
veraine en Europe.

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ÉCLAIRAGES

Nouveaux paradigmes de civilisation et justice climatique


La première est ce que les altermondialistes appellent une « crise de
civilisation ». Ils considèrent, en effet, que la crise n’est pas uniquement
économique et financière, mais qu’elle est globale. Il s’agit, selon eux, d’une
crise du capitalisme et, au-delà, d’une crise de civilisation, celle de la civilisation
occidentale. Cette notion de « crise de civilisation » est apparue lors du FSM
de Belém. Elle a été notamment influencée par la vision des mouvements
amérindiens. Dans un Appel des peuples indigènes face à la crise de civilisation lancé
par la Coordination andine des organisations indigènes, ceux-ci estiment que « La

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crise est si profonde qu’elle constitue une véritable crise de civilisation, la crise du
développement capitaliste et de la « modernité » qui menacent toutes les formes
de vie ». On retrouve également cette notion dans la Déclaration de l’Assemblée des
mouvements sociaux lors du FSM de Belém, et parmi les thématiques abordées
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lors du FSM de Dakar en 2011 et du Forum social thématique de Porto Alegre en


janvier 2012.
La seconde crise est la crise climatique. Les altermondialistes se mobilisent
de plus en plus sur cette thématique autour du mot d’ordre entendu lors des
mobilisations qui se sont produites lors du sommet de Copenhague de 2009 :
« changer le système, pas le climat ». Trois étapes ont été importantes sur ce sujet.
La première s’est manifestée en 2007 lors de la Conférence des Nations unies
sur le climat organisée à Bali avec la création, à cette occasion, du réseau Climate
Justice Now !. Il regroupe 160 organisations, dont les principaux mouvements et
réseaux altermondialistes : Attac,
Les altermondialistes considèrent que la Council of Canadians, Focus on the
crise n’est pas uniquement économique Global South, International Forum
on Globalization, Mouvement
et financière, mais brésilien des sans terre, le réseau
qu’elle est globale. Il s’agit, selon eux, Jubilé Sud, Third World Network
ou La Via Campesina. Il vise à
d’une crise du capitalisme et, au-delà, promouvoir ce qu’il appelle la
« justice écologique » et il symbolise
d’une crise de civilisation, surtout l’intérêt de plus en plus
celle de la civilisation occidentale affirmé de ces mouvements pour
les enjeux environnementaux. Bali
constitue donc le premier jalon de ce qui va être appelé le Mouvement pour la
justice climatique. Celui-ci établit la jonction notamment entre mouvements
altermondialistes et mouvements écologistes autour de la lutte contre le
changement climatique et émerge sur la scène médiatique à l’occasion de la
seconde étape, à savoir la Conférence des Nations unies sur le changement
climatique de Copenhague en 2009. Les mouvements altermondialistes se sont
largement mobilisés à cette occasion. En France, ils l’ont fait dans le cadre de
la coalition Urgence climatique, justice sociale. Enfin, la troisième étape s’est

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De l’altermondialisme aux « Indignés » : un nouveau souffle pour la contestation du capitalisme ?

concrétisée en avril 2010 à Cochabamba avec la conférence mondiale des peuples


sur le changement climatique et les droits de la « Terre-mère », qui a été organisée
à l’instigation du président bolivien Evo Morales. Celui-ci, partant d’un constat
d’échec de la conférence de Copenhague, décide d’organiser une conférence
alternative réunissant des gouvernements, des institutions internationales,
des scientifiques et des organisations de la
société civile. Cette conférence s’est traduite Face à ces deux crises,
par l’adoption de plusieurs documents, les altermondialistes ne
dont la Déclaration finale de Cochabamba,
dénoncent plus tant la

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aux accents à la fois anticapitalistes, tiers-
mondistes, écologistes et proches de la mondialisation
pensée amérindienne. Même si elle a fait
l’objet de débats contradictoires au sein des et le néolibéralisme que le
mouvements altermondialistes parce qu’elle capitalisme en tant que tel
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était organisée par un gouvernement et par


rapport à certaines des thématiques abordées en son sein comme celles de la
« Terre-mère » (« Pachamama »), ceux-ci y ont néanmoins participé et ont soutenu
pour la plupart les textes adoptés.
On peut remarquer que, face à ces deux crises, les altermondialistes ne
dénoncent plus tant la mondialisation et le néolibéralisme que le capitalisme
en tant que tel. Ils se montrent dorénavant ouvertement anticapitalistes en
s’appuyant sur une vision influencée par le marxisme traditionnel, mais aussi par
le tiers-mondisme et la culture amérindienne, le capitalisme étant alors lié de
façon intrinsèque à la colonisation, mais aussi à la modernité occidentale.

Un mouvement sous influences


Deux courants semblent par conséquent avoir une influence de plus en plus
déterminante sur les mouvements altermondialistes. Le premier est le courant
de la résistance amérindienne. Ce n’est pas nouveau puisque celui-ci a très
largement influencé le mouvement zapatiste dans les années 1990, qui est un
mouvement pionnier de l’altermondialisme. Il est intéressant de noter à ce propos
la concomitance entre le développement de la contestation altermondialiste et
le réveil des mouvements amérindiens à partir de 1992, année du cinq centième
anniversaire de la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb. Cette
influence amérindienne a été renforcée bien évidemment par l’arrivée au pouvoir
en Bolivie, en 2005, de l’Amérindien Evo Morales. Il était lui-même l’un des
leaders du mouvement social bolivien et avait participé à plusieurs reprises au
FSM. En outre, sa politique de rupture avec le « modèle néolibéral » et l’« État
colonial » séduit de très nombreux altermondialistes. Les deux symptômes de
cette influence amérindienne sont l’assimilation par les altermondialistes du
concept de « Terre-Mère » et leur reprise de plus en plus fréquente du terme
amérindien Abya Yala pour désigner le continent américain.

31
ÉCLAIRAGES

L’autre courant influent sur l’altermondialisme est celui des décroissants.


Ceux-ci ne revendiquent pas nécessairement la baisse de la croissance, mais
plutôt « l’abandon de l’objectif de la croissance pour la croissance, objectif dont
le moteur n’est autre que la recherche du profit par les détenteurs du capital et
dont les conséquences sont désastreuses pour l’environnement1 ». Ils remettent
ainsi en cause la notion même de développement économique et militent en
faveur d’une relocalisation de l’économie. Ils rejettent tout particulièrement la
société de consommation et le productivisme et en appellent à une « simplicité
volontaire ». Les altermondialistes ne sont pas tous décroissants, loin de là,

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néanmoins, sous l’influence de ce courant, ils ont été amenés à réévaluer leur
conception du développement et de la croissance, d’autant qu’ils s’efforcent de
lier de plus en plus justice sociale et justice environnementale.
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Le défi des nouveaux courants contestataires


Les courants qui ont émergé en 2011, les « Indignés » et les partisans de la
démondialisation, représentent un défi particulier pour les altermondialistes.
Ils le reconnaissent eux-mêmes en faisant surtout référence aux « Indignés » :
« Tous ces nouveaux mouvements prolongent et renouvellent le mouvement
altermondialiste. C’est un défi auquel il faudra probablement répondre par une
mutation du mouvement qu’il faut être prêt à accepter2. »

La démondialisation : le grand retour de l’antimondialisation


Le concept de démondialisation a émergé dans le débat en France en 2011
suite à la parution de deux ouvrages : La démondialisation de l’économiste Jacques
Sapir et Votez pour la démondialisation d’Arnaud Montebourg. Ce dernier a très
largement popularisé cette thématique auprès du grand public. Le concept
n’est cependant pas nouveau puisqu’il a été créé en 1996 par l’ancien président
d’Attac-France, Bernard Cassen3, et surtout développé au début des années 2000
par l’économiste philippin Walden Bello, qui est le fondateur du mouvement
altermondialiste Focus on the Global South.
La démondialisation se présente comme une entreprise de « restauration »
de la souveraineté perdue en visant à réintroduire un certain nombre de règles
contraignantes dans les échanges de sorte à recréer la situation économique
antérieure à la « révolution libérale » des années 1980. On peut distinguer, semble-
t-il, deux branches de ce courant : une branche néo-tiers-mondiste et une branche
néo-keynésienne. Walden Bello et des réseaux comme l’International Forum

1. Serge Latouche, Le pari de la décroissance, Fayard, 2006, p. 17.


2. Gustave Massiah, « Réflexions sur la situation du processus des forums sociaux », exposé lors du
Conseil international de Dhaka du 23 novembre 2011.
3. « Scénarios de la mondialisation », Manière de voir, n° 32, novembre 2006.

32
De l’altermondialisme aux « Indignés » : un nouveau souffle pour la contestation du capitalisme ?

on Globalization ou La Via Campesina


La démondialisation se présente
incarnent la première. Ils prônent une
réaffirmation de la souveraineté locale comme une entreprise
autour d’un objectif d’autosuffisance.
Cette démondialisation se traduit donc
de « restauration » de la
par une réintroduction du contrôle des souveraineté perdue en visant à
capitaux, un retour au protectionnisme,
une r e - r é g l e m e n t at i o n , une
réintroduire un certain nombre
relocalisation de l’économie et une de règles contraignantes dans les

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redistribution des revenus et des
terres. Cette vision qui s’adresse
échanges de sorte à recréer
d’abord aux pays du Sud constitue ainsi la situation économique antérieure
une revitalisation des politiques de
développement autocentrées des années à la « révolution libérale »
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1960-1970. Elle est également portée des années 1980


par les mouvements qui soutiennent
les politiques actuellement menées par les gouvernements progressistes en
Amérique latine.
La seconde branche est plutôt incarnée par la plupart des démondialisateurs
français, tels que les économistes Jacques Sapir et Frédéric Lordon ou une
personnalité comme Emmanuel Todd. Ils appellent eux aussi à une relocalisation
de l’économie en souhaitant recréer les conditions économiques nécessaires à
la mise en place d’une politique de type keynésien par la fermeture relative de
l’économie (protectionnisme ciblé et contrôle des mouvements de capitaux) et
l’autonomie de la politique monétaire (sortie éventuelle de la zone euro).
Les adeptes de la démondialisation, qui ont souvent été des acteurs clefs
de l’altermondialisme (Walden Bello, Bernard Cassen, Jacques Nikonoff, etc.),
brisent donc un certain nombre de tabous aux yeux des altermondialistes, comme
celui de la souveraineté, de la nation comme lieu de l’alternative, de l’engagement
proprement politique, mais aussi celui du protectionnisme et du retrait de la zone
euro, voire de l’Union européenne. C’est la raison pour laquelle la thématique de
la démondialisation a suscité, dans un premier temps, de vives polémiques entre
ses partisans et certains altermondialistes, comme les dirigeants d’Attac, qui se
sont quelque peu atténuées, notamment depuis l’organisation en novembre 2011
d’une journée d’étude consacrée à cette thématique.

Les « Indignés » : le grand renouveau de la contestation ?


L’autre grand défi pour les mouvements altermondialistes réside dans
l’apparition en 2011 du mouvement des « Indignés1 ». Ce mouvement est le fruit

1. Le nom des Indignés s’inspire de l’ouvrage Indignez-vous ! (Indigène, 2010) de Stéphane Hessel, qui
a remporté un succès mondial.

33
ÉCLAIRAGES

d’une mobilisation spontanée de citoyens sur fond de crise économique. Il est né


en Espagne le 15 mai 2011, avec les campements sur la Puerta del Sol à Madrid. Il
s’est répandu dans de très nombreux pays, notamment en Grèce à partir de la fin
du mois de mai 2011, ou encore aux États-Unis à partir du 17 septembre 2011 avec
le mouvement « Occupy Wall Street ». Le 15 octobre 2011, la journée mondiale de
mobilisation des « Indignés » s’est traduite par des mobilisations dans plus de 80
pays.
Les « Indignés » sont notamment des jeunes diplômés qui rencontrent des
difficultés à s’intégrer socialement dans des pays où le taux de chômage est

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extrêmement élevé. Ils sont connus pour se mobiliser par le biais des réseaux
sociaux et des nouvelles technologies de l’information et de la communication, en
occupant des places publiques, des lieux symboliques ou à proximité de symboles
(Wall Street à New York, la City à Londres, la Banque centrale européenne
à Francfort, la Commission européenne à Bruxelles, etc.) et en prenant des
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décisions sur la base de pratiques de démocratie directe.


De nombreux commentateurs ont cherché à établir une comparaison entre
ce mouvement et le « printemps arabe » de 2011. Mais ce qui a été moins souligné,
ce sont les nombreuses analogies entre les « Indignés » et les mobilisations
altermondialistes. Ces derniers recourent aussi aux nouvelles technologies
pour organiser leurs manifestations.
De nombreux commentateurs ont L’occupation de lieux symboliques
n’est pas qu’une spécificité des
cherché à établir une comparaison
mouvements arabes ou des
entre ce mouvement et le « printemps « Indignés ». C’est aussi une spécialité
des mouvements altermondialistes,
arabe » de 2011. Mais ce qui
comme le réseau No border, qui
a été moins souligné, ce sont les a mis en place des campements
temporaires dans des lieux
nombreuses analogies entre les
symboliques dès les années 1990.
« Indignés » et les mobilisations Même si les « Indignés » n’ont pas
d’idéologie ou de programme défini,
altermondialistes ils véhiculent néanmoins un certain
nombre d’idées. Or, celles-ci sont souvent assez proches de celles défendues par
les mouvements altermondialistes. Les « Indignés » dénoncent ainsi la montée des
inégalités et ce qu’ils appellent l’« oligarchie », c’est-à-dire la concentration à leurs
yeux des richesses et du pouvoir entre les mains d’une minorité de privilégiés.
Ils rejettent également les politiques d’austérité imposées par les institutions
européennes et internationales. Ils critiquent, plus généralement, l’impuissance
des États et des gouvernements face aux marchés et aux institutions financières.
Ils remettent tout autant en cause le fonctionnement actuel de la démocratie
représentative. Enfin, ils vilipendent l’atmosphère générale de cupidité et
de corruption. Ils revendiquent par conséquent une « démocratie réelle » et
appellent à une « révolution éthique ».

34
De l’altermondialisme aux « Indignés » : un nouveau souffle pour la contestation du capitalisme ?

Malgré la proximité évidente de ce mouvement avec l’altermondialisme et le


fait qu’il ait été salué par de nombreux altermondialistes, tels que Naomi Klein1
ou l’actuel co-président d’Attac-France, Thomas Coutrot2, mais aussi par des
organisations comme Attac3, les « Indignés » ne se revendiquent pas pour autant
comme les héritiers du mouvement. On perçoit néanmoins quelques tentatives
de convergences. Ce fut le cas par exemple lors des mobilisations anti-G20 à Nice
au mois de novembre 2011, où des « Indignés » ont participé aux manifestations
aux côtés des altermondialistes, ou encore lors du Forum social thématique de
Porto Alegre en janvier 2012 où ces mouvements, qui étaient représentés, ont été

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au cœur des discussions.

Un mouvement face à ses limites


La grande force de la mouvance altermondialiste réside dans sa capacité
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à s’adapter aux circonstances et à intégrer les problématiques dominantes à


un moment donné, ainsi que les courants qui émergent : la mondialisation
et le néolibéralisme dans un premier temps, la politique unilatérale de
l’Administration Bush et la guerre en Irak dans un second temps, et désormais
la crise multidimensionnelle et
notamment la crise climatique à travers
Force est de constater que
la formation d’un Mouvement pour
la justice climatique dans un contexte l’altermondialisme a perdu la
également marqué par l’existence
position dominante qu’il détenait
de gouvernements progressistes en
Amérique latine et l’émergence de dans la critique progressiste du
nouveaux mouvements en 2011. Le
symbole de cette capacité d’adaptation
système économique et dans la
est la volonté des altermondialistes définition d’une alternative
d’organiser le prochain Forum social
mondial en 2013 en Tunisie ou en Égypte.
Néanmoins, force est de constater que l’altermondialisme a perdu la position
dominante qu’il détenait dans la critique progressiste du système économique et
dans la définition d’une alternative. Cette critique est désormais partagée avec
d’autres courants et elle est aussi souvent portée avec beaucoup plus de poids par
des insiders, c’est-à-dire des personnes qui ont appartenu ou qui appartiennent
au « système », comme Joseph Stiglitz ou bien Al Gore. De même, l’alternative est
aujourd’hui mieux incarnée aux yeux d’un grand nombre d’altermondialistes par
les expériences gouvernementales de ruptures avec les credo néolibéraux menées

1. “Occupy Wall Street: The Most Important Thing in the World Now”, The Nation, 6 octobre 2011.
2. « Mouvement des Indignés : vers un nouvel âge de la démocratie ? », Basta !, 3 novembre 2011.
3. Dans un communiqué publié le 4 juin 2011, le réseau des Attac d’Europe dit exprimer « son soutien
aux manifestants en Espagne, en Grèce, au Portugal et dans toute l’Europe » en estimant que « ce
mouvement reprend largement des thèmes altermondialistes ».

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ÉCLAIRAGES

en Amérique latine, que ce soit au Venezuela, en Bolivie ou en Équateur, ou par des


initiatives régionales telles que l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre
Amérique1, que par les forums sociaux à proprement parler. L’altermondialisme
n’est plus non plus la principale force d’impulsion de la contestation du système
économique global. En 2011, les mouvements altermondialistes ont été les
spectateurs, plutôt que les instigateurs des mouvements d’« Indignés » et a
fortiori du « printemps arabe ». Enfin, ils ne paraissent pas, pour le moment, avoir
été en mesure d’inverser un tant soit peu le rapport de force face à la domination
idéologique du conservatisme et à la domination politique des partis de droite

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dans les pays industrialisés, domination qui semble même avoir été renforcée
depuis le déclenchement de la crise. 
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1. L’ALBA est une zone de coopération économique régionale fondée sur des principes alternatifs
au libre-échange, créée en 2005 et qui regroupe 8 États latino-américains dirigés par des gouver-
nements progressistes : Bolivie, Cuba, Équateur, Nicaragua, Venezuela, Dominique, Antigua-et-
Barbuda, Saint-Vincent-et-les-Grenadines.

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