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ROLAND REUMOND

LES DOUZE PORTES


Extrait
« Si tu entens ce que je viens de dire, tu as ouvert la première porte de la première
Clef, & tu as passé la première barrière ; mais si tu ne le comprens pas, & si tu n’y
vois aucune clarté, tu auras beau manier & regarder le verre, cela ne te servira de
rien & ne t’aydera aucunement la vûe corporelle, pour trouver à la fin ce qui te
manque au commencement, car je ne parlerai pas davantage de cette Clef, comme
m’a enseigné Luce Papirius. »

extrait des douze clefs de philosophie de frère Basilius Valentinus (Basile Valentin).
AVANT-PROPOS

Savez-vous que dans les prisons de l’esprit, rien qu’un simple bruit de trousseau
de clés peut ouvrir une porte ?

Tout comme deux cœurs qui palpitent et dialoguent pour s’ouvrir l’un à l’autre,
pour s’entrouvrir avec désir, crainte, courage ou humilité, ou pour se fermer un
temps ou même pour la vie... C’est ainsi, depuis toujours, la clef, son trou et la
serrure sont comme des corps qui se coulent l’un dans l’autre en produisant de
langoureux cliquetis ; tels des corps qui se convoquent, s’appellent, s’attirent et
s’articulent en coïncidences plus ou moins ajustées, dans un jeu de pénétration et
de pêne mystérieux.

Clé sur porte ou porte-clefs, c’est toujours une question d’ouverture, de


signification, de solution et de secret sous les verrous. Clé, verrou et porte sont
toujours là, comme dans ces grandes histoires d'Amour, ces récits passionnés qui
remontent à l’origine même des temps et de la littérature. D’ailleurs, bien que les
clefs du Ciel m’échappent encore des mains, ici même, à un iota près, au royaume
des Saints comme à celui des syntaxes, clé et ciel sont presque synonymes, quasi
anagrammables, mais entre eux et dans l’entre-deux les trous et les manques
restent innombrables.
Devant la porte du Temps

Oui, clés et verrous, sont comme de grandes histoires d’Amour, avec un grand A,
aux portes mêmes du ciel et du Cosmos. Quand un dieu ou quelques Rois ne
viennent pas s’en mêler, depuis Marc-Antoine et Cléopâtre, jusqu’à Tristan et
Iseult, Romeo et Juliette, Héloïse et Abélard ou Paul et Virginie, les portes
s’ouvrent et se ferment, les clefs et les serrures cliquent autour de grandes
comédies romantiques ou pour des drames shakespeariens, ou des tragédies
comme Andromaque, Phèdre et Hippolyte de Jean Racine. C’est cybernétique,
quand une clef O aime une serrure H qui aime une clef P qui aime une serrure A
qui aime H’ tué par A’ durant la guerre de Troie, les portes portent malheur !

C’est une évidence de bec-de-cane, quand les clés, les verrous et les portes
s’articulent en ces mouvements par lesquels un corps en pénètre un autre pour se
tourner sur lui-même dans une harmonie plus ou moins ajustée, il y a de la vie et
du mystère ! De la vie et du mystère comme dans ces contes de panneton, cette
partie de la clé qui pénètre profondément dans les trous de serrures de la réalité,
pour agir et réveiller le pêne dormant comme la Belle dormant au bois de Charles
Perrault.

LE TROUSSEAU DE VIE ET DE MORT

Par l’intercession des trous de serrure ou des trous noirs de l’espace-temps,


d’introïts métalliques et de mécaniques de ferronnerie, l’intromission du
panneton, c’est la mission des clés, c’est l’introduction dans la profondeur des
choses, pour mettre en relation intime l’intérieur avec extérieur, l’antérieur avec
le postérieur, et ainsi de suite, mettre en communication ou en contact le vide et
la matière, comme un contenu et un contenant.
Introduire une clef, c’est comme un prologue ou un préambule amoureux, c’est se
préparer à l’inconnu et à l’étrange ; c’est connaître au sens biblique du terme le
mystère et la mécanique interne du cœur des choses ; c’est s’exposer à la
vulnérabilité ; c’est rendre accessible l’un en se frayant un passage dans l’autre,
comme un passage à travers un toril où se tient un quelconque Minotaure
mugissant ou sous un torii apaisant dont la seule clef est « le sacré » lui-même.
Introduire une clef, c’est passer outre ou trépasser de l’endroit à l’envers, d’un
monde imaginaire, symbolique ou plus ou moins réel, vers un autre monde, une
autre dimension, ou en des ailleurs plus ou moins improbables.

La porte de l'Enfer de Rodin


Partout dans l’univers circulent des légendes de violeurs de portes, de pied-de-
biche et de passe-partout, de clé de miroirs magiques, de rossignol comme dans le
Décameron de Bocace, et de verrou défendu comme sur la porte du cabinet de
Barbe bleue. C’est un fait, au-delà des anecdotes, sur Terre comme au ciel, clés et
serrures sont analogiques et participent à ces grandes histoires de Grands
Serrurier, Horloger ou Architecte divin, comme dans une intrigue théologique,
avec des pannetons ajustés et des serrures aux trous géométriques, jusqu’à ces
trous de serrure que nous avons dans le corps, vous et moi, pour voir et entendre,
nous reproduire, nous nourrir et nous purifier aux portes de la vie.

Des huis clos et des chambres jaunes dont les portes et les volets sont verrouillés
et fermés de l’intérieur ; des histoires de bobinettes, de chevillettes et de loquets
parfois absents, parfois bloqués comme dans des contes et des comptines de clés
tachées de sang, c’est-à-dire de sens et de non-sens, car toutes les clefs sont de
nature magique !
Clef, trou, verrou, porte sont comme de divines mécaniques, aux loquets des jours
et des corps visibles et invisibles qui coïncident comme caresse bien huilée, tout
comme des engrenages de pendule.

Au-delà des jeux de mains et des analogies mécaniques et quasi organiques,


comme entre le corps, l’âme et l’esprit, cette mouvante trinité, il existe entre la
porte, la clef et la serrure, par le truchement de l’esprit tout un trousseau de
mystères.

Comme la clef et la serrure, les mots "mystique" et "mystère" se ressemblent et


bien souvent se disposent et s’assemblent, car ils ne sont pas que des mots ! Et ce
ne sont pas de simples jeux de mots ou de simples hasards, alors, soyez prudent,
faites attention à ce que vous avez en main, ces clefs, c’est un véritable trousseau
de vie, et il y a un sens aux clefs comme il y a un sens à la vie, et un sens aux
serrures, un sens giratoire souvent caché. C’est pourquoi on veut tous s’ouvrir
aux arcanes de l’existence, car toute chose cachée est comme une chose gâchée ;
ce qui est insupportable à la raison humaine et à nos sens, tout comme nous sont
inaccessibles et tout aussi insupportables le vide et le poids de la matière, la clef
des origines sans fin et la serrure des fins sans origine.

Bien au-delà des trous de mémoire, comme un Saint Graal « La clé de l’Homme »
nous manque amèrement ! Oui, les clés nous fascinent, tout comme nous
envoûtent les trous noirs dans la voute céleste et les trous de serrure des portes
secrètes. L’homo sapiens est-il la clef de l’Homme, ou l’Homme n’est-il pas tout
simplement une énigme de Sphinx, une folie des dieux et une intrigue pour tout
homme sage ?

Tourner la clef, dans un sens ou dans l’autre, cela est mécanique et cinématique
en même temps ; mais n’est-ce pas toujours tourner en rond en quelque sorte ?
Entrer pour ressortir, passer d’un acte à un autre, d’un lieu à un autre, d’une
nouvelle preuve à une nouvelle épreuve ? D’ouvertures possibles à d’impossibles
passages, avec des portes qui se ferment toutes seules en claquant d’un bruit sec ;
des portes qui coincent, couinent et finissent par s’ouvrir finalement pour abolir
le temps et l’espace par leur dimension sémantique, imaginaire ou symbolique ?

Des générations de serrure en témoignent ; chaque mot est « une clef », une perle
de clef, celle d’une porte d’alchimiste, d’un atelier d’artiste, d’un bureau de poète,
d’un laboratoire ou d’un oratoire ; d’une porte qui s’ouvre sur toujours plus de
Réel ou sur quelques réalités des plus banales ; dès lors, il nous faut donc rester
debout et vigilant, et surtout faire attention à notre manière d’utiliser les clefs et
d’ouvrir les portes, et à la matière même dont nous façonnons les clés, et plus
encore, à la façon la plus sage que nous avons d’entrebâiller les portes et d’ouvrir
les mots pour les entrouvrir à toujours plus de liberté, de vérité et de réalité.

(...)
LES DOUZE PORTES, extrait.

RR. Liège, 18 février 2020.

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