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D’ailleurs dans son Art poétique, Paul Verlaine n’écrivait-il pas (1) :
Comment rêver, créer et suggérer les choses de la vie, sur pellicule, toile, marbre
ou papier, sans ces précieuses nuances qui font de tout langage des nuanciers à
l’épreuve d’une palette infinie, des preuves de l’incommensurable nuancier de
l’Univers ?
Difficile, parce que tous les langages suivent le même mouvement de néguentropie
qui tend à la complexification des choses et à l’organisation croissante des
systèmes ; à la grande différence d’une tendance naturelle que nous avons à
l’opposé de la première d’user de la haine, de la destruction, de la guerre comme
de la confusion ou du désordre, dans un mouvement destructeur proche de
l’entropie, c’est-à-dire de la désorganisation des systèmes, tendance anthropique
et entropique que nous retrouvons chez de nombreux poètes dits « maudits » faute
de « mot dit » plus nuancé.
La création a besoin de pensées, les pensées nécessitent des mots, et les mots
appellent la nuance, comme la voix du poète éveille des échos. Comme dans le
mythe biblique de la Genèse, la parole de Dieu se fait opérante, par l’opération de
cet esprit qui traverse les âges, depuis Virgile jusqu’à nos jours. Quand le verbe
créateur est à l’œuvre, l’œuvre elle-même soulève les cœurs et exalte les âmes.
L’idéal littéraire, esthétique et artistique se nourrissant d’un style noble et nuancé
depuis l’Illiade et l’Odyssée d’Homère ; afin que l’admiration monte du cœur de
l’homme devant toute la palette de la création et que les mots fusent de sa propre
bouche ou que sa propre main devienne créatrice.
La nuance est elle-même créatrice, on pourrait même dire que ces spirales d’or du
verbe, que c’est tout l’ADN poétique, et qu’à travers les nuances, c’est la magie du
langage qui procède du verbe, comme l’ADN qui est à l’origine même de la vie.
Tout le monde créé est poésie ( grec Poiêsis), et toute la poésie du monde est
ouvrage, création et composition. Comme les neuf muses s’amusent de leurs
différences, la poésie s’adapte au sujet ou aux thèmes les plus divers, comme la vie
en général, et elle se joue de la matière et de la manière de composer ; elle s’auto-
organise jusqu’à se faire orchidées mimant les insectes, ou jusqu’à se versifier sous
forme d’alexandrins, parce qu’elle est avant toute chose, sur le plan nature (comme
sur les plans littéraires, manuels ou intellectuels), une manière de participer à la
loi d’action-réaction ( troisième loi de Newton) propre à toute création.
Dans le Monde et dans le monde, comme dans tout système « ouvert », la vie tend
ostensiblement à la néguentropie, aux variétés du visible et à la visibilité des mots,
c’est-à-dire à « la nuance », aux enjeux d’une complexification « exponentielle » qui
participe à l’augmentation sans limites des êtres, des créations, des mots et des
espaces, avec toutes les nuances que cette complexification demande.
Pourtant, le langage comme la vie relève d’un système des plus complexe, pour l’un
comme pour l’autre, on ne peut tomber dans aucune forme de « réductionnisme »,
c’est fondamental, la complexité exige « la nuance »
Ainsi, les mots comme beaucoup d’humains semblent mener une double vie, il y a
effectivement des mots fins qui délient et des gros mots qui nouent. Mais il existe
entre les deux tout un champ de nuance. Face à mes inquiétudes pour l’avenir, ce
sont ces nœuds du langage qui me font agir et écrire.
Challenge des bleus chez Chagall
Challenge des verts chez Henri Rousseau
En grande partie parce que nous sommes tous les mêmes, mais en particulier si
différent, toute la nuance est là ! Mais derrière tout « ça » le Réel grand R, est
toujours présent. Chacune et chacun de nous est unique dans sa manière de
percevoir le monde et de l’interpréter, mais que face à nous tous, cette seule et
unique vérité tout entière nous dépasse, voilà pourquoi les nuances s’imposent à
nous tout comme la gravité terrestre.
C’est ainsi que dans l’Univers, tout est complexité et subtilité, fruit d’une création
ou d’une nature tout en nuance ou tout en « subtilité », c’est-à-dire : fine, délicate
et pénétrante. Alors, soyons toujours précis tout en restant sobres et simples ;
agissons avec finesse et ténuité ; l’homme l’a déjà prouvé et le prouve encore, il en
est capable, nous l’avons tous éprouvé dans nos sens, dans notre chair et notre
esprit ; l’homme est capable d’une variété de beauté, de cent formes d’amour,
capable de paix aux drapeaux plus ou moins bigarrés, d’abnégation et de
miséricorde; et plus encore, il est capable de ces mille subtilités qui charment les
sens, de cette finesse qui élève les cœurs et les débats, et de cette précision qui fait
des homo sapiens, des hommes d’art, de science et de lettres à l’esprit pénétrant.
Comme un Vincent Van Gogh généreux, le Cosmos a la palette la plus vaste, la plus
infinie ; il grouille de galaxies et de nébuleuses les plus diversifiées, c’est-à-dire
qu’il est en lui-même un incommensurable «nuancier », et à lui seul, une
faramineuse palette d’artiste créateur, une explosion colorée sans limites, un feu
d’artifice de multivers, de mondes divers, d’étoiles, de planètes et de formes de vie.
Ainsi, ici même, sur Terre, plus de 400 000 espèces de plantes et de fleurs sont
décrites, et même que 2 000 nouvelles espèces sont découvertes chaque année. Le
nombre d'espèces d'insectes connu pourrait atteindre le nombre exorbitant de 50
millions ; 10.000 espèces d’oiseau sont connues à ce jour ; et rien que parmi les
mammifères dont l’homo sapiens fait partie, on ne compte pas moins de 6000
espèces de familles différentes.
Le Monde et l’Univers, n’en doutons plus, sont de véritables nuanciers, même sans
nous étendre sur toutes les variétés de langues, de dialectes et de cuisine, et sans
tergiverser sur les mille manières de vivre sa vie ou même sa sexualité.
Alors, pourquoi en matière de communication cette palette nuancée nous fait tant
défaut ? Pourquoi nos débats sont-ils aussi noueux, houleux et réducteurs comme
cette fièvre de généralisations qui fusent comme des ordres de généraux, et ce
populisme politique qui progresse de partout sans réponse nuancée et sans la
moindre modération ?
Peinture rupestre
C’est Claude Lévi-Strauss, dans « Tristes Tropiques », qui nous rappelle justement
le fait qu’il fallait « être peint pour être homme ». « Celui qui restait à l’état de nature
» ne se distinguait plus de la bête. Et cette distinction, comme il existe des gens
distingués, c’est ça justement, « La nuance » qui fait l’homme. À titre d’exemple, en
Afrique, les plateaux dits « Labrets » des femmes Mursis, plus ou moins décorés,
comme le corps des hommes plus ou moins peint, relèvent de cet art de vivre qui
consiste à faire du langage et de ses nuances un moyen de dissocier la gente
humaine, et de nous distinguer les uns des autres, comme des bêtes ou des
sauvages.
Puisque dans l’Univers tout est « analogique » et que le Cosmos est une sorte
d’alambic alambiqué, grand distillateur d’analogies et de métaphores, comme un
véritable athanor, il est le haut lieu de toutes les transformations et transmutations
possibles ;, alors voyons pourquoi à la différence de la nature elle-même et de la
culture plus particulièrement, nous avons en nous cet Alien réducteur, c’est-à-dire
cette tendance extraterrestre à faire dans les « extrêmes » mortifères, cette
tendancieuse prétention à faire dans « la simplification outrancière », alors que
partout la matière participe à un phénomène universel de complexification, et non
pas à un épi- phénomène de foire réductionnisme et de simplification extrême.
Comme vous, j’ai entre autres nuanciers connu les nuances jaunes de Roland
Orepük, les nuances roses et bleues chez Picasso, jusqu’aux nuances noires de
Pierre Soulage ; j’ai contemplé religieusement les bleus du ciel et ceux de Chagall,
comme j’ai admiré les nuances des vitraux et les dentelles de pierre des cathédrales
; j’ai aussi scruté à ce sujet les verts du douanier Rousseau et les mauves et les
violets de Claude Monet, tout est là, comme un grand nuancier ! En ces
contemplations variées, je n’ai vu et observé que des choix nuancés, que des
chemins et des goûts différents, des inspirations aussi bariolées que les pelages de
fauves, comme des états d’âme, d’esprit ou de conscience ; j’ai vu de tous mes sens
et admiré d’innombrables lignes d’horizon allant dans tous les sens, des diagonales
vivantes et des transversales aussi colorées que celles du temps et de l’espace,
comme des traits de caractère plus ou moins soutenus, de ceux qui reflètent au
mieux le Monde dans sa globalité.
« Entre ce que je pense, ce que je veux dire, ce que je crois dire, ce que je dis, ce que
vous voulez entendre, ce que vous entendez, ce que vous croyez comprendre, ce que
vous voulez comprendre, et ce que vous comprenez, Il y a au moins dix possibilités
de ne pas se comprendre. Mais, essayons quand même. »
L’homo sapiens n’est pas le seul animal à savoir exprimer plus ou moins bien ce
qu’il veut dire précisément, mais il est le seul mammifère de l’ordre de primates à
maîtriser parfaitement, quand il le veut bien, l’ordre des nuances. Ses langages les
plus variés y contribuent largement et peuvent être les plus riches de sens
(pictural, musical, littéraire, technologique et scientifique), mais, malgré tout ça,
l’homo sapiens souffre d'un mal apparent et destructeur : ce réductionnisme qui
se fait « nouance ». Parce que, à en perdre la raison et le bon sens, son langage
peut aussi « dysfonctionner » sous l’effet des émotions, des pressions diverses,
internes et externes, des agressions subies ou imaginées qui nous mettent dans
des postures inconfortables, positions dans lesquelles il devient impossible de
nommer clairement les faits et de discourir de manière précise et nuancée sur le
monde et les choses du monde.
Et pourtant, notre grande capacité d'abstraction en science et en mathématique le
prouve; nos aptitudes à nous adapter et nos multiples talents artistiques
l’éprouvent et le prouvent plus encore, l’homo sapiens est bien capable de
s’extraire du réductionnisme et du simplisme, tout comme il est capable de
sublimer la mort, d’être bon, de faire du beau et d’extraire l’or du plomb, parce
que « la nuance », c’est là même toute une alchimie proprement humaine !
C’est « La nuance » qui est seule capable de dissoudre les conflits, de séparer le
bien du mal, et le laid du beau, de purifier les relations et de putréfier les choses
inutiles et les croyances obsolètes. C’est la nuance qui est seule capable de
sublimer les choses difficiles et d’exalter la nature et la vie, de faire fructifier
l’arbre mort et de fermenter la paix sur les champs de bataille ; c’est la nuance
seule qui peut nous permettre de pardonner au passé et de nous projeter dans
l’avenir, après avoir multiplié les rêves, parce que la nuance est capable d’ouvrir
les portes fermées, pour nous aider à pénétrer dans le Mystère des choses comme
dans celui des cathédrales.
Alors pourquoi ces déchaînements verbeux, ces duels nauséabonds, ces mots
bruts et crus ? Pourquoi ce langage brutal et cette violence verbale, bien souvent
primale ou primaire ? Pourquoi cette carence de finesse qui frise la famine
linguistique et la disette de bon sens ? Pourquoi tant de haine brute et
d’insuffisance de distinguo ? Où est passée cette relativité nuancée des choses que
l’on attribuait autrefois aux sages et aux intellectuels ? Où sont donc passées les
subtilités de jadis, avec ce soupçon de précision qui bien souvent rend caduque la
plupart des violences, et inutiles les émeutes, et complètement vains tous ces
soupçons et autres idées de complotisme ? La vérité et la réalité semblent souffrir
plus que jamais d’un gros nœud gordien où nul ne peut trancher !
Le langage est « un corps subtil » qui ne supporte pas les nœuds, alors pourquoi
tant de nouances dans le monde et si peu de nuances ? Pourquoi tous ces conflits
extrêmes et tous ces extrêmes sans nuance aucune ? Pourquoi les mots « nuancer
», « délicatesse », « finement » et « subtilement » en autres mots entre nous, font
tant défaut ? Pourquoi notre vocabulaire médiatique tend-il à se réduire à des
expressions des plus communes, comme La Peau de chagrin de Balzac, alors que
les dictionnaires au contraire augmentent leur palette de mots ? Autour de ces
mots à nœud et ces nœuds de mots, le mystère m’échappe !
En fait, alors que la nuance devrait « créer des liens », nous nous retrouvons
comme tiraillés ou écartelés dans un jeu de corde tirée, entre deux extrêmes,
deux extrêmes complètement sourds l’un à l’autre. Oui, plus le langage se resserre
quand on tire sur chaque extrémité, à gauche et à droite, au-dessous et au-dessus,
plus les gorges semblent nouées par cette nouance sans nuance, nous laissant là
pantois, comme pendu au lasso de la médiacratie, et en particulier sur le Web, qui
participe abondamment à cette nouance effrénée.
Le plaisir des mots et celui des nuances sont du même ordre, celui de la clarté.
Paradoxalement, plus le message est nuancé, et plus il est difficile de se faire
entendre, plus les nuances sont subtiles, presque imperceptibles, et plus il
devient impossible de s’écouter et de communiquer, c’est ce que je nomme, faute
de nuance : le paradoxe des nouances.
À l’épreuve des sens, tous les nuanciers de la nature et de l’art le prouvent, ils ont
des reflets multicolores, et des zones irisées pleines de ces nuances qui se jouent
de la lumière, même les noirs de Pierre Soulage me soulagent du poids et de la
fadeur des choses insipides et lourdes. C’est d’ailleurs pour cette raison qu'il parle
de noir-lumière et d’outrenoir , comme on pourrait parler d’entre noirs comme on
le fait pour les nuances de gris.
Sans nuance, seul persiste un bruit de fond comme un brouhaha persistant où les
mots ne s’entendent plus ; seuls restent des excès dans les mots et de la démesure
dans les maux, pour ceux qui sont à la source des problèmes comme pour ceux
qui en subissent les conséquences.
Sans nuance, la disproportion des dires est comme une statue figée de sel, figée
dans une mêlée sanglante, comme à la suite de tous les chaos du monde. Faute
d’ententes nuancées, on stagne dans la confusion et l’indifférenciation plus ou
moins totales. Faute de clarté, entre la méprise et la prise de bec, on se fait la
guerre; et faute de clarté et de clarification, on marche dans la nuit, on s’englue
dans nos propres mots.
Dans de telles situations, on clôture le débat ou l’on se bat, puisque débattre est
irréalisable, alors, débâcle ! On accuse et l’on jette le discrédit sur l’autre, on lance
des critiques acerbes. Puisqu’on ne peut communiquer, on s’assène des jurons et
l’on en vient aux langages du corps, faute d’arguments nuancés, on se roue de
coups et l’on se noue soi-même.
Seule la nuance donne du sens au sens, la nuance n’est pas une vaine contrainte,
elle crée la cohérence ! Nuancer, c’est discuter en dévoilant, c’est lever le voile sur
les obscurités et révéler les turbulences en jeu et les enjeux turbulents, afin
d’éviter que les conflits ne se terminent en guerre.
Les nuances démêlent les différends et illuminent les différences, elles décèlent
les nœuds des troubles, rapprochent les antagonistes au lieu de les éloigner à tout
jamais. C’est en quoi les nuances sont comme “la substantifique moelle” de toutes
les discussions et de l'ensemble des désaccords. Communiquer vraiment, consiste
en fait à mettre toutes nos nuances ensemble pour faire plus vrai ! À l’inverse
d’un jeu de bile d’où déborde le fiel, nuancer, c’est jouer ensemble, comme des
enfants qui jettent leurs billes diversement colorées dans une même grande cour
de récréation.
Le manque de nuance, c’est avant tout “un manque”, c’est le chaos des origines ou
tout est vague est flou comme dans une délétère fusion. Quand l’amalgame ce fait
de plomb, on en vient vite aux poings et aux griffes, car l’animal homo sapiens
déteste les nuances, elles le rendent nu en ce lieu où l’on se vêt de mensonges et
de mille autres protections.
Paradoxe de paradoxe, les besoins de nuances, tout comme les doutes, sont le
propre de l’homme responsable, de celui qui est dans l’ouverture et
l’émerveillement, dans la contemplation du Monde. Cet homme-là, à besoin de
grandes palettes colorées, de belles perspectives, de panoramas multiples, de
myriades d’étoiles, comme de points de vue démesurés ; il a soif et faim de
paysages tout en majesté, et des visages hauts en couleur, mais tout en demi-
teinte pour ne pas écraser les gens et les choses du Monde.
La nuance seule peut assouplir les mots, nourrir les corps et adoucir les esprits.
Alors que sur le Net, on solde de plus en plus ses mots, on réduit les messages à
des tweets sympas ou pas, et à des "j’aime" désincarnés ; on ferme les explications
comme son ordinateur ; on juge et on condamne sans éclaircissement aucun ; on
brade les discours de haine et que l’on se vend sur Internet sans nuance au rabais,
comme à la période des soldes…
Le langage véhiculé par tous les médias semble davantage rigidifier les choses du
monde comme un véritable cancer, tout autour d’un nœud gordien inextricable.
Nous sommes noués, corps et mots comme dans un nœud de vipères qui
parcoure le monde. Comment expliquer cette réduction du langage et des choses
exprimées, comme les Shuars d’Amazonie réduisaient les têtes faute
d’explications. Sommes-nous tous des Jivaros de la conscience, des réducteurs de
narration à la petite semaine ? Partout, le manque de nuance débouche toujours
sur une forme de réductionnisme, de fondamentalisme social et culturel, c’est-à-
dire, en définitive à une forme de stigmatisation de tout un chacun.
Sans nuance, les choses se font obscures, les mots deviennent des plus brumeux,
et les politiques des plus nébuleuses. Nuancer, c’est mesurer avec soin, c’est
tempérer avec patience et avec persévérance, c’est mesurer avec délicatesse,
différencier avec minutie, choisir ses mots, discerner avec attention et souligner
avec beaucoup de précision. En quelques mots, nuancer, c’est rendre clair comme
l’eau de roche la plus pure.
Aujourd’hui, il faut aller vite, on n’a plus le temps de trouver les mots justes, la
norme majoritaire est aux choses brutes et Net, point com, il faut que « ça » (Cf.,
S.Freud) rapporte, de l’argent et de l‘audimat bien sûr, puisque « ça » va de pair
ou avec… d’autres enjeux !
Sur les ondes, on n’a plus guère le temps de nuancer, de faire dans la dentelle de
Bruxelles, de faire dans les détails, dans la réalité la plus juste et la plus juste
vérité. Partout, l’approximation fait recette un peu partout, il devient même quasi
immoral de faire la différence entre « Le Réel » et les réalités du monde,
puisqu’elles sont du monde, c’est-à-dire des plus communes ; et pareillement, il
semble idéologiquement correct d’être vague et incorrect, puisque le but n’est
plus de ce faire comprendre, mais d’être vu et entendu, quoi que l’on dise.
Faut-il encore souligner que tous les complots et surtout le complotisme sont
toujours les fruits blets d’un manque de clarté ; l’essentiel appelle toujours à la
vérité, dans la nuance et la relativité des choses, comme toute réalité appelle « au
secours ! » Le Réel grand R comme un messie qui tarde à venir dire « La vérité
tout entière ».
Tous les réactionnaires et fanatiques de tous bords sont des esprits sans nuance
et sans modération. L’idée sans nuance légitimise toujours une forme d’injustice
et de violence, et plus la « libre expression » est de mise, plus les positions sont
extrêmes et sans nuance aucune.
Quand les mots se resserrent avec violence comme dans un étau dont les mors
sont les extrêmes, la communication se fait laborieuse. Alors, comment expliquer
ces extrémismes dans lesquels nous tombons sans cesse ? Comment comprendre
ces perpétuelles dualités, ces trop vides et ces trop-pleins, ces trop noirs ou trop
blancs, ces oui ou non tranchés, ces ouvertures ou fermetures grossières comme
des murs qui embarrassent nos esprits, tout comme le système binaire encombre
nos appareils numériques ?
N’en déplaise à tous les extrémistes sans nuance et aux ultras de tous bords et de
tous les bordels culturels et sociétaux, de droite comme de gauche, notre déficit
sensoriel et nos incapacités neurologiques et mentales nous empêchent, semble-
t-il, de percevoir tout en nuance le gigantesque nuancier des choses du monde.
Alors, plutôt que de nous laisser attirer et porter par quelques exclusives et par
quelque radicalisation, émerveillons-nous plutôt devant les nuances, les
différences et les étrangetés, puisque malgré nos fermetures, comme je l’ai déjà
souligné, toute la vie est nuancée et diversifiée, comme la palette des gris et les
nuanciers des couleurs que l’artiste utilise.
Toute la différence est là, dans les choix du langage et des mots, dans l’accueil,
l’acceptation de la différence elle-même, et il en est de même de l’étrangeté, et de
l’étranger en général.
C’est bien connu des rings où règnent le duel et la dualité, faute de juste milieu et
de nuance, on utilise des gros mots et l’on prend des coups !
Palette
Conclusion
Par les temps qui courent, est-ce raisonnable, ou ambitieux peut-être, de vouloir
atteindre les cieux du langage, à l’acmé des mots, en étant plus nuancé et en
utilisant la plus grande palette du verbe ?
Où que l’on soit, soyons poésie et palettes dans ce monde qui manque
cruellement de nuance. Comme nos écrans de TV, à la couleur du pixel codée sur
une palette à 16 millions de couleurs, prenons de la hauteur et de « hautes
résolutions » ; ayons un langage fin et justement délié, à la matière des
alchimistes et des sages qui délient la matière vulgaire, ou à la manière de
l’homme spirituel qui s’élève, corps et esprit, en se libérant de la torpeur du
monde, et de la lourdeur de la gravité homo sapienne pour devenir Hommes
pleinement homme, avec toutes les nuances que le substantif Homme peut
déployer comme une palette sans fin.
Soyons simples, mais pas simplistes, soyons explicites sans être réducteurs,
soyons libres (déliés), mais pas grossiers, soyons nuancés pour éviter d’être
superficiels et trop communs; soyons clairs sans être abscons, et comme ni vous
ni moi, ne sommes démiurge, restons humbles et limitées, mais en toute
humanité, restons ouverts au monde sans être naïfs, ayant toujours en main
comme en bouche la palette des visionnaires, des impressionnistes et des grands
philosophes et soyons heureux que toutes ces nuances nous fassent uniques,
différents et complémentaires.
Notes