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Ici, c’est notre territoire, il est délimité par une ligne imaginaire que
nous appelons la ligne noire, c’est une ligne qui entoure la sierra au
niveau des terres basses. Pour nous, la sierra est comme une petite
planète, c’est pour cela que nous la délimitons avec un cercle. On y
trouve la mer, le désert, la neige, elle comporte tout ce qui est
nécessaire à la vie y compris la mort mais toutes ces montagnes ne
sont pas seulement notre territoire ancestral, pour nous c’est le cœur
du monde, de la vie. Comme un corps, c’est un espace vivant : l’eau
c’est comme le sang qui coule dans nos veines, les pierres sont
comme nos os le vent comme l’air qui circule et que nous respirons,
les arbres et les plantes sont nos cheveux, les déserts nos bouts
plantaires ou nos paumes, là où rien ne pousse les choses sont
reliées les unes avec les autres. Si l’on abîme le cœur ou le foie
c’est tout le corps qui souffre. La terre vit, elle ressent les choses
comme une personne, elle est parfois fatiguée, malade, elle peut se
défendre, elle peut aussi avoir une pensée, être tendre, aimer ou
punir, nous devons continuer à protéger le corps du monde, nous
devons conserver l’équilibre du monde.
Extrait du témoignage d’un mamo, “Chez les indiens Kogi : Terre mère”,
un documentaire radio d'Elise Andrieu et Diphy Mariani, France Culture,
2013
Je suis arrivée par hasard sur un lieu sacre : un grand monticule de pierres en face
de la mer. Je voyais les vagues se briser sur les pierres et retomber explosées en
petites gouttes. Cette eau rafraîchissait ma peau. Assise sur ces roches
monumentales, un fort sentiment de remerciement et de reconnaissance pour la
planète m’a entièrement envahi. On pourrait dire que ce type d’expérience, ou l'on
prend conscience de la magnificence de la terre, peut arriver n'importe ou. Certes,
mais ce n’était pas le cas. J’étais sur un monticule de pierres dont j'ai appris par la
suite qu'il s’agissait d’un lieu sacre pour les Kogi ; car dans ce genre d’endroit
résident les pères ancestraux, comme ils l’expliquent : « qui sont les vrais
propriétaires de la terre ». Afin d’entretenir les liens avec ces pères ancestraux, dans
ces lieux sacres sont effectues des actes rituels. Ces derniers permettent d’équilibrer
les flux des forces spirituelles, qui traversent d’autres lieux précis sur la montagne.
Le territoire chez les Kogi est perçu comme un corps vivant, Reichel Dolmatoff
(1986), un réseau, tissu de connexions qui ordonnent, délimitent et créent la Sierra
Nevada de Santa Marta. La construction de ce tissage-réseau se réalise à partir
d’actes rituels (pagamentos) qui permettent de mettre en lien spirituel les points
névralgiques de ce réseau invisible. Le territoire-réseau que les Kogi habitent et
construisent se traduit à travers de multiples expressions et manifestations; comme
la couleur, la texture, le son, les rythmes, les arômes. Je m’intéresse donc à la
manière dont les Kogi entretiennent des relations sensibles avec ce réseau et
comment à travers les gestes de leurs corps, leurs déplacements, leurs pratiques
rituelles et quotidiennes, il est possible d’étudier ce rapport particulier au territoire.
Terrain
J'ai réalisé chez les Kogi de Mulkuakungui, village indigène situé à 400m au-
dessus du niveau de la mer, un projet de recherche dans le cadre de mon M2 à
l’EHESS à Paris sous la direction de Klaus Hamberger. Durant le terrain
ethnographique qui a permis cette recherche, j’ai consacré mon observation aux
aspects sensibles (sons, couleurs, textures) de la vie rituelle et quotidienne. Je me
suis également concentrée sur la description de gestes des diverses pratiques qui
pouvaient m'aider à comprendre la construction de l’espace chez les Kogi à travers
le façonnage des corps.
2C'est dans ces sites où se trouve les principes de l'ordre spirituel, les normes et les
procédures de la loi d'origine pour légiférer le territoire ancestrale. Chaque ezuama
possède un mandat et des fonctions spécifiques, à partir de quels se définissent ses
compétences et juridictions territoriales spécifiques. (SHIKWAKALA) 2018
3 Autorité spirituel
j’ai ete accueillie par la famille de Judith, composee de treize membres : depuis
Santa Marta, Esther, une niece, m’a guidée jusqu’a sa maison. Judith est restee a
Santa Marta les premiers jours de mon travail de terrain. La plupart de la famille parle
et comprend l’espagnol, surtout les plus jeunes. Néanmoins, la communication etait
parfois difficile en raison de nos limites linguistiques, notamment avec la mere de
famille. Meme si je suis arrivee a la maison sans Judith, sa famille s’est montree
accueillante et sympathique bien que les membres ne connaissaient pas la raison de
ma visite au village, sauf Esther, qui a ete mon intermédiaire avec tous pendant les
premiers jours.
Judith est issue d’une famille Kogi aisée, avec un statut particulier qui tient du
parcours du père de famille, Alfonso Nuvita, qui a été adopte en 1957 a l’age de sept
ans, par un évangéliste américain. C’est ainsi que son pere a voyage dans beaucoup
de pays et a vécu aux Etats-Unis (du 1977 au 1978), une expérience de vie qui lui a
forge une autre mentalité que la plupart des Kogi. De ce fait, Alfonso a pousse ses
enfants a faire des études de médecine: tous les frères et sœurs de Judith ont réussi
avec succès leurs études et sont tous diplômes de spécialistes différentes.
Judith m’affirme qu’elle est la première femme kogi a atteindre un niveau d’études
aussi élevé : elle a un bac +7 en odontologie, son mémoire de master soulevé la
question de la santé dentaire a travers la question du territoire chez les Kogi. Sa
reconnaissance sociale, du fait de ce métier respectable, fait d’elle une femme kogi
hors du commun ayant la capacité d’imposer une autorité. Son identité culturelle est
fortement marquée par son sentiment d’appartenance a sa communauté, dont elle
applique rigoureusement les traditions, mais elle est aussi imprégnée d’une vision du
monde non-indigene au travers de son éducation et de sa formation. Elle comprend
les codes et se fait comprendre dans les deux milieux.
Néanmoins, a Mulkuakungui la famille de Judith n’est pas reconnue comme une
famille puissante par les mamos et les autorités du village. Son père Alfonso est
aussi rejete par les autorités car il est perçu comme un étranger. Judith n’est pas
acceptée comme leader car elle représente une potentielle rivale dans l’exercice du
pouvoir face aux mamos (autorités spirituelles du village). Je suspecte que sa
condition de femme est la cause de sa mise a l'ecart. Elle prépare également un
concours pour devenir la directrice de l'ecole. Les tensions sont donc presentes entre
elle et les autorites (mamos).
Je suis allée a Mulkuakungui pour la première fois en aout et septembre 2016 et j’y
suis retourne en aout 2017 pour continuer mes recherches. Tout au long de mes
deux sejours, Judith a ete ma traductrice principale et ma collègue de travail. Si ce
parrainage a ete avantageux pour moi quand il s'agissait de travailler avec les
femmes, en revanche vis-a-vis des mamos du village je n’étais pas perçue comme
quelqu'un de confiance : meme si j'avais explique aux mamos que je venais de la
part de l'OGT et que j’étais envoyée pour faire une étude du village et aider a la
constitution du PES, ils m'ont refuse de fait l’accès a leurs rituels et aux informations
ésotériques. Ma condition de femme a été un privilège en ce qui concerne les
rapports entre femmes, comme par exemple pouvoir parler ouvertement avec
certaines d’entre elles du rite d'initiation féminine, tandis que l’accès aux cérémonies
entre mamos du village n'a pas ete possible.
En revanche, concernant la barrière linguistique, l’échange a ete plus facile avec les
hommes. Quand j’étais tout seule, il etait facile d’interviewer des hommes qui pour la
plupart a Mulkuakungui parlent l’espagnol, tandis que travailler avec les femmes etait
presque impossible sans Judith, car elles sont très timides et elles ne parlent pas
l’espagnol.
Problematique
Quant à la mochila, sac en coton ou en fibre végétale tissé par les femmes à partir
du moment de leur initiation. Il s’agit également d'une alternance de gestes verticaux
et circulaires. En principe, l'aiguille traverse de manière verticale le tissage. Ensuite,
la femme contourne de sa main l’aiguille avec le fil d’un mouvement circulaire à fin
créer le noeud qui donnera corps à la mochila..
Les mochilas ont des fonctions importantes comme le transport de l’eau, des pierres,
et des objets pour les rituels. La forme, la fonction et le matériel peuvent varier selon
la personne à qui il est destiné. Les garçons portent la mochila en bandoulière,
tandis que les femmes l’utilisent pour porter leur bébé, l’anse sur la tête et le bébé
dans le dos. Cela leur permet d’avoir les deux bras libres pour travailler aux champs,
tisser, ou même pour garder l’équilibre pour marcher pieds nus dans les chemins de
montagne escarpés et jonchés de pierres. La mochila des hommes a un tout autre
usage, puisque comme nous l’avons vu elle sert de stockage des feuilles de coca
qu’ils mâchent tout au long de la journée. Ils ont aussi une autre, plus petite, pour
garder les coquillages qui permettront d’extraire les effets énergisants de la feuille de
co ca . Ces sacs sont ornés de différents motifs qui sont des représentations
graphiques en rapport avec la lignée de chaque famille. La plupart sont
monochromes et sans motifs. D’autres ont des lignes horizontales et parallèles
rouges, noires et blanches qui représentent les types de terres selon la cosmogonie
indigene15. D’après certains interlocuteurs, la mochila est comme un autre organe du
corps. Par exemple pour Agustin Gil, la mochila est une analogie des poumons où
les Kogi gardent leur « possessions » spirituelles. Selon Juan Gil, la mochila
correspond à l’utérus. Quotidiennement, cet objet est présent dans toutes les
dimensions de la vie des Kogi : on voit des mochilas suspendues partout dans les
maisons, elles servent pour stocker la nourriture, pour garder des objets, etc. Elles
sont donc l’objet le plus répandu dans la société kogi.
Quand on aperçoit une femme en train de faire une mochila, c’est sûr qu’on ne voit
pas tous ces « micro-gestes » décrit plus haut, par contre on peut percevoir une
diagonale qui se dessine entre le tissage et l’extension de sa main vers le haut à
droite. En plus d’être un « exo-organe » fabriqué notamment pour les hommes
comme l’expliquent de nombreux travaux ethnographiques sur les Kogi, la mochila
contient d’autres éléments sensibles pour son analyse : le toucher, la couleur, ou les
sons.
Cette surface incroyablement résistante est à la fois très douce, surtout quand les
mochilas sont faites en coton. On a la sensation de porter une peau douce et
délicate. Quant aux couleurs, celles-ci vont varier selon la mochila. A Mulkuakungui
la plupart des mochilas étaient faites avec du fique (car le coton ne se trouve pas en
abondance). La matière végétale est couleur ocre clair. Visuellement, ce maillage
d’extrême précision ne laisse pas voir le contenu des sacs, il est donc une surface
précise avec des finitions subtiles et délicates. Les Kogi entretiennent avec soin ces
objets, particulièrement ceux qui sont portés quotidiennement. Il est courant de voir
des mochilas entrain de sécher au soleil car elles sont lavées constamment pour
avoir un aspect « propre » sans taches. En plus, au fur et à mesure qu’on les lave,
elles deviennent de plus en plus souples et confortables à porter.
Les sons de cette technique de tissage sont presque imperceptibles, néanmoins à
chaque fois qu’une femme tire du fil après avoir fait un nœud, on arrive à percevoir
un léger « shuuuuuuuuuuu », dû au frottement du fil qui traverse le nœud. On a donc
une sonorité plus présente que dans le cas du poporo car l’enchaînement des gestes
et plus rapide - une femme faisant plusieurs nœuds par minute.
Comme nous venons de voir dans la description du tissage de la mochila, la femme
fait des mouvements verticaux : elle commence du bas vers le haut et au milieu du
parcours, elle fait un mouvement circulaire qui enroule le fil pour créer le noeud. Elle
continue ensuite son mouvement vertical vers le haut et enroule le fil en diagonale
autour de son avant-bras puis elle descend pour recommencer. Au contraire, les
hommes commencent avec un mouvement vertical mais du haut vers le bas, avec le
bâton à l’extérieur du poporo qui doit descendre pour écraser. Entre ces
mouvements oscillatoires, il effectue des cercles contournant la calebasse. Nous ne
pouvons pas perdre de vue que la mochila en elle même se fait en spirale, donc
chaque nœud contribue à un échelonnement de la construction étage par étage vers
la droite. Cette correspondance de directions dans les gestes - les hommes qui se
dirigent vers le bas et les femmes vers le haut.
Ces premiers essais de cartographies sensibles utilisant les pierres sacrées ont
prouvé leur pertinence en ce qui concerne la compréhension cognitive de l’espace
personnel de chaque Kogi que j’ai interrogé. Dans cette continuité, j'aimerais
développer pendant la formation doctorale une recherche qui me permettra d'élargir
et d'approfondir les pistes que j'ai déjà entamées : il s’agira d’une part de pousser
mon étude sur le rapport au territoire Kogi par les biais du sensible à travers d’autres
éléments que les pierres. J’aimerais en cela m’intéresser plus particulièrement à des
pratiques artisanales traditionnelles comme le tissage ou la céramique. L'utilisation
de ces techniques me permettra d’explorer d'autres manières de réaliser des
cartographies sensibles, afin de rendre compte de certaines dimensions invisibles, et
des liens affectifs avec le territoire. D’autre part, j’aimerais cette fois-ci mener la
réalisation de cartographies sensibles collectives, utilisant non seulement les pierres
mais aussi d’autres supports issus des techniques traditionnelles comme le tissage
ou la céramique. L'utilisation de ces techniques me permettra d’explorer d'autres
manières de réaliser des cartographies sensibles, afin de rendre compte de certaines
dimensions invisibles, et des liens affectifs avec le territoire. D’autre part, j’aimerais
cette fois-ci mener la réalisation de cartographies sensibles collectives, utilisant non
seulement les pierres mais aussi d’autres supports issus des techniques
traditionnelles
Contexte
Reliant une multitude de sites (de recueil, de dépôt, de réunion) au travers des actes
physiques (les « paiements ») et mentaux (la « concentration »), le pagamento
construit et maintient ainsi un espace qui constitue aussi bien un réseau social et un
territoire. Julien (2001) explique qu'au commencement du monde en Aluna, la mère
était la mer. Ainsi Montana (2015) expose le système hydrologique de la sierra
comme le biais par lequel les lieux sacrés au sommet de la montagne sont reliés à la
ligne noire au niveau des terres basses. L'eau constitue donc physiquement
l’élément qui permet de faire circuler les pagamento. Les flux d'eaux souterraines
ainsi que le cycle de l'eau tiendront une importance majeure dans la dynamique
organique et spirituelle du rituel.
La Terre est donc reliée par ce fil invisible, Shikwà, créé dans le monde
spirituel (Aluna). Cet fil entoure la terre entière de l'Orient à l'Occident, et forme un
tissage de connexions de la Terre avec le Soleil, puis avec la totalité de l'univers. Ce
fil permet ainsi le mouvement constant des énergies. A la structure qui forment tous
ces fils connectés, les Kogis donnent le nom de Shikwalkala. Cette structure aide à
soutenir l'univers. Certain sentiers présents dans la montagne en sont la
manifestations physique. C'est par ces chemins que transitent les pères et mères
spirituels. Cet espace est donc conçu comme un corps tissé par la mère. Comme l’a
montré Reichel Dolmatoff (1986) .
Le pagamento
« Le pagamento se fait toujours en relation avec quelqu'un d'autre, pour nous le pagamento est
la maniere de nous mettre en relation, de rentrer en communication avec tout ce qui existe.
Par exemple, pour aller pecher, je dois faire au prealable un pagamanto, car il existe le pere du
poisson avec qui je dois etre en accord avant d’y aller. Donc, avant d'aller a la peche, je
prends un petit coton, disons tout ce que je pourrais amener au pere de la peche en termes de
nourriture, (cela peut etre du riz, des pommes de terre, du manioc). Je depose toute cette
nourriture dans un petit bout du coton, ensuite je donne le tout reuni au mamo pour qu'il
s'occupe de faire parvenir l’offrande au pere de la peche »
Les Pagamentos garantissent le flux des forces spirituelles entre la ligne noire
et le sommet de la Sierra, reliées par l’hydrographie. Ce travail spiritue l assure
l'équilibre de la Sierra Nevada et du monde en général. En déposant des offrandes
sur des lieux spécifiques, ce rituel consiste à créer un lien entre les sites en bas de la
sierra et les sites qui se trouvent en hauteur de la montagne. La création de ces liens
se réalise par le biais de la pensée (Aluna) à travers laquelle ils « envoient des
messages » aux pères ancestraux considères comme les vrais propriétaires du
territoire.
Figure 2, 1 Bassin de la rivière Don Diego, lieu de recueil des pierres, 2 Nunjué
(maison traditionnel), lieu de concentration préalable au déplacement. 3. Lieu de
pagamento (déplacement physique). 4, lieu où l’offrande est destinée, pour la plupart
de fois il s le pagamento est destiné au même lieu où l’offrande a été réalisée. 5.
déplacements continuels des Kogi vers le site de pagamento dans les terres basses.
Une question pertinente serait : est-ce que la dynamique de la pensée dans le
pagamento correspond au réseau fluvial ? La pensée suit les voies de l’eau du haut
vers le bas et vice-versa? , en prennent compte que cet espace est aussi conçu
comme un corps. Comme l’a montré Reichel Dolmatoff (1986), la cosmologie Kogi
correspondrait à un culte à la fertilité qui trouve son expression concrète dans la
“femme” en tant que mère et terre. Parmi les multiples formes que prend ce principe
féminin omniprésent se trouve en premier lieu l’univers en tant que tel. Pour les Kogi
le cycle de la vie est en permanence dans une matrice : l’utérus de la mère est un
univers, l’univers dans lequel nous vivons est un utérus, et la mort nous permet de
revenir au centre de la terre-mère. Les Kogis font continuellement référence à cette
conception en représentant le cordon ombilical avec des petits fils du coton qui
s’utilisent comme des offrandes dans le pagamento symbolisant l’union entre
l’individu et la mère. Le lien à la terre-mère ne se réduit donc pas à un simple rapport
contenant-contenu, mais se déploie comme un tissu complexe de liens spatiaux,
continument renouvelé par la pratique rituelle.
Pour les Kogi le cycle de la vie est en permanence dans une matrice : l’utérus
de la mère est un univers, l’univers. Dans la cosmogonie, le monde est composé par
9 étages, chacun d'eux est un tour de ce fil qui donne origine au monde L'étage 5
serait le lieu où se trouve la sierra, les maison et les humains. Le monde/étage dans le
quel nous vivons est un utérus, et la mort nous permet de revenir au centre de la
terre-mère. Les Kogi font continuellement référence à cette conception en
représentant le cordon ombilical avec du fil de coton qu'ils utilisent comme offrande
dans le pagamento, symbolisant l’union entre l’individu et la mère. Le lien à la terre
mère ne se réduit donc pas à un simple rapport contenant-contenu, mais se déploie
comme un réseau complexe de liens spatiaux, continuellement renouvelé par la
pratique rituelle.
Aujourd’hui, les groupes qui vivent entre la partie basse de la Sierra Nevada de
Santa Marta et le littoral perdent leur statut d’indigènes, adoptent une pratique de
paysannerie, sans pour autant être considérés comme des paysans intégrés au
monde rural. L’ambiguïté de cette situation constitue paradoxalement un élément
important d’identification pour les habitants de la région basse de la Sierra : leur
déshérence dans les limbes entre deux statuts sociaux, celui de l’indigène et du
paysan, est devenue une norme, et par conséquent, leur principal signe distinctif. Le
pagamento constitue un facteur important d’identification culturelle dans un contexte
de conflit armé, de répression politique et de déplacements forcés. Selon Patrick
Morales, le pagamento s’articule ainsi au processus de construction des frontières
justifié par le recours au caractère ethnique. La revendication du territoire de la part
des Kogi (la ligne noire) est une réalité politique actuelle dans laquelle le pagamento
fonctionne comme arène intelligible de confrontation : c’est un fil conducteur dans la
dynamique de reconstruction de frontières sociales. Par exemple, la construction de
l’entreprise colombienne BRISA interdit depuis 2010 l'accès aux Kogi à certains
points névralgiques du pagamento situés sur leur territoire originaire mais que l’état a
donné en concession à cette entreprise (parmi d’autres cas). C’est ainsi qu’à ce jour
ce rituel arbore une dynamique de lutte, de résistance d’ordre politique, économique,
social et culturel pour défendre leur territoire face à des conflits d’intérêts. Axes
problématiques de recherche L’objectif de ce projet est de réaliser une ethnographie
précise de l’espace kogi tel qu’il se construit aujourd'hui par le pagamento, dans
toutes ses dimensions : en tant que territoire, balisé par les sites rituels et délimité
par « la ligne noire » ; en tant qu’espace virtuel, construit par la connexion collective
avec l’autre monde (Aluna) ; en tant qu’espace-corps, conceptualisé comme un tissu
de liens avec la Terre-Mère ; enfin en tant qu’espace construit, selon le modèle du
tissage
L'un des intérêts principaux de cette étude réside dans l’intégration des
différentes échelles d'observation de ce corps-territoire. Comment les corps des Kogi
se déploient et se façonnent à travers des gestes rituels et des gestes quotidiens ?
Comment ces gestes interagissent dans la distribution de l'espace domestique et
l'espace social ? Comment la nature des déplacements effectués la sierra sont en
lien avec la totalité de la montagne ? Il importe de produire une ethnographie â
meme de décrire l'agencement des dynamiques spatiales au sein de l'ensemble
corps-maison-paysage-Sierra. Cette démarche me permettra de comprendre de
manière étendue comment le corps individuel, qui fait partie d'un groupe et bouge de
manière spécifique, qui se divise et se transforme, agit dans l'espace rituel, qui
relève en même temps de l'espace métaphysique ? Comment cette relation se
nourrit, depuis la ligne noire jusqu'au sommet et vice-versa ? Comment le corps kogi
peut appréhender les rythmes vitaux de ce corps qu'est la sierra ? Problématique :
Dans ce contexte de la sierra considérée en tant que corps-réseau , dans quelle
mesure une ethnographie fondée sur l’observation des gestes et des pratiques
quotidiennes et rituelles, à travers une démarche de cartographie sociale et sensible
du pagamento, pourra rendre compte de la dynamique d'interaction et des relations
sensibles et spirituelles que les Kogi entretiennent avec le corps vivant de la Sierra
Nevada ?
L’objectif de ce projet est de réaliser une ethnographie précise de l’espace kogi tel
qu’il se construit aujourd'hui par le « pagamento », dans toutes ses dimensions : en
tant que territoire, balisé par les sites rituels et délimité par « la ligne noire » ; en tant
qu’espace virtuel, construit par la connexion collective avec l’autre monde (« aluna »)
; en tant qu’espace-corps, conceptualisé comme un tissu de liens avec la Terre-Mère
; enfin en tant qu’espace construit, selon le modèle du tissage.
L’intérêt principal de cette étude réside dans les mutations de cet espace, dont j’en
distinguerai trois aspects principaux :
Les mutations « forcées» dues à des facteurs externes qui violentent les
acteurs et leurs pratiques : l e pagamento constitue un facteur important
d’identification culturelle dans un contexte de conflit armé, de répression politique et
de déplacements forcés. Selon Patrick Morales, le pagamento, s’articule ainsi au
processus de construction des frontières justifié par le recours au caractère ethnique.
La revendication du territoire de la part de kogi (la ligne noire) est une réalité
politique actuelle dans laquelle le pagamento fonctionne comme arène intelligible de
confrontation : c’est un fil conducteur dans la dynamique de reconstruction de
frontières sociales.
Méthodologies
C. Garica, 2002
Ce travail cartographique (en s’appuyant sur les méthodes SIG) sera complété par
des réunions régulières avec les participants, afin de dessiner et écrire ensemble les
trajets effectués, et ainsi mettre en évidence les relations symboliques et sociales qui
s’y inscrivent. Pour la cartographie sensible, je continuerai à élaborer des
cartographies sensibles personnelles à l'aide de pierres afin de créer une base de
données concernant les représentations de l'espace sexué, et ainsi voir les possibles
divergences et convergences entre la conception de l'espace chez les hommes et
chez les femmes. Il s’agira non plus d’une cartographie sensible autobiographique
mais une cartographie sensible capable de rendre compte des rapports au territoire
d'un groupe d'habitants dans un village kogi. Je compte mettre en confrontation une
cartographie d'un grand territoire, face à une cartographie d'un territoire plus petit ,
par exemple la cartographie sensible pour l’intérieure d'une maison ou pour le
déroulement d'un rituel. J'utiliserai des plans dessinés ou différents matériaux pour
décrire l'espace domestique de manière créative. En outre, comme l'étude de gestes
sera une partie constitutive de mon terrain, à part les techniques de dessin descriptif
déjà utilisées dans mes précédents terrains, j'aimerai mettre en place des
représentations théâtrales entre les membres de la communauté, je leur proposerai
de dessiner leur gestes eux-mêmes, de mettre en scène des situations publiques
ainsi que des situations intimes. Filmer ces représentations et pouvoir donc travailler
sur ce matériel où je pourrai observer des mouvements qui ne pourraient pas être
observés autrement. Le dessin et la video seront des techniques de transcription
graphique permettant la mise en évidence de détails nouveaux et essentiels à la
progression de la réflexion. BARTHOLEYNS (2011) explique dans son article «Faire
dessiner le terrain» queve dessin constitue un nouvel outil pour analyser les rapports
entre la pensée verbale et la « pensée figurative » (Francastel, 1965) par la structure
cosmologique qu’il laisse transfigurer. Il serait peut-être possible d’établir « une
raison graphique » reflet d’une « pensée visuelle ». Cette pensée visuelle pourrait
me donner des pistes précieuses pour la compréhension sensible du territoire. Je
m’appliquerai également à reproduire ces gestes pour comprendre l'engagement
musculaire des ces actions. Grâce à l'imitation, je pourrai intégrer au fil des jours les
actions réalisés par les Kogi et incarnées par mon propre corps. Pour ce faire, je
voudrais développer ma recherche dans différents villages de la région, dans les
zones basses, moyennes et en altitude. Ces différents niveaux impliquent des
manières de vivre hétérogènes, et un type de travail écologique spécifique à chaque
étage thermique de la montagne. Ils impliquent aussi diverses techniques du corps et
de nouvelles gestuelles, déplacements rituels de pagamento, architectures, etc.
Chaque niveau de la sierra abrite un façonnage du corps qui lui est propre. Dans
chaque village, je voudrais adapter les techniques traditionnelles au service de la
création partagée des cartographies sensibles (tissages avec les femmes, poterie
avec les hommes). Je ferai recours aux techniques traditionnelles textiles comme le
sont le tissage avec le coton et le fique (ficelle végétale), techniques encore très
répandues (les femmes passent la plupart du temps à tisser les « mochilas » (sacs)),
j’envisage de travailler avec un groupe focal de 5 à 10 femmes kogi par village, pour
élaborer avec elles une représentation du territoire en utilisant le coton et le fique.
Cette cartographie sensible procèdera comme une mise en commun des
représentations de chacun de points de pagamentos qui se trouvent dans la région.
Toutes les séances de cartographie (sociale et sensible) seront enregistrées afin de
garder la trace des témoignages et des discussions. Ainsi, les cartes dont ils
documentent la production, les notes prises lors des rituels cartographiés ainsi que
les enregistrements constitueront les matériaux ethnographiques principaux qui me
permettront d’analyser le pagamento en intégrant la variété des registres politiques et
culturels actuels évoqués plus haut, et de tracer des pistes de réflexion sur les
différents modes de ces persistances et de ces mutations. Pistes de recherches Une
des plus grandes difficultés que j'ai rencontrées lors de mon master fut sans aucun
doute la courte temporalité du terrain que j’ai pu effectuer, Cette contrainte a fait que
je n’ai pas pu développer une cartographie sensible avec des techniques artisanales
traditionnelles, comme je le projetais. Je me suis rapidement rendue compte que je
devais consacrer plus de temps à développer un travail en amont avec les
participants, afin de pouvoir considérer les complexités techniques et d’initier les
interlocuteurs à une abstraction du territoire (nécessaire pour créer des objets
différents de ceux qu'ils sont habitués à réaliser). Je compte habiter dans trois
villages pendant des périodes de quatre mois. Je m'installerai en premier lieu dans
un village de terre basse, où certains Kogi parlent espagnol. Pendant ce temps de
résidence, je compte réaliser de cartographies sensibles collectives des alentours du
village, ainsi que des cartographies sensibles personnelles. Une fois cette période
terminée, je m’installerai dans un village plus en hauteur pour proposer la même
méthodologie, en l’adaptant si nécessaire. Je finirai ma recherche par un séjour dans
un village près du sommet, où j'aurais la possibilité de travailler avec des mamos
reconnus, et de proposer encore une fois la même méthodologie, en l’adaptant si
nécessaire. En profitant de ce long terrain, je voudrais organiser des sorties de
reconnaissance des points de pagamento sur l’ensemble de la Sierra Nevada, avec
l'objectif de réaliser une cartographie sociale et sensible de la Sierra Nevada dans sa
globalité.
Pistes de recherches
Une des plus grandes difficultés que j'ai rencontrées lors de mon master fut sans
aucun doute la courte temporalité du terrain que j’ai pu effectuer. Cette contrainte a
fait que je n’ai pas pu développer une cartographie sensible avec des techniques
artisanales traditionnelles, comme je le projetais. Je me suis rapidement rendue
compte que je necessitais de plus de temps pour développer un travail en amont
avec les participants afin de pouvoir considérer les complexités techniques, et
d’initier les interlocuteurs à une abstraction du territoire (nécessaire pour créer des
objets différents de ceux qu'ils sont habitués à réaliser).
Dans le cadre de la formation doctorale, le temps du terrain sera donc plus adapté
pour pouvoir surmonter les difficultés temporelles présentées lors du master. Je
compte habiter dans trois villages pendant des périodes de quatre mois. Je
m'installerai en premier lieu dans un village de terre basse où certains Kogi parlent
espagnol. Pendant ce temps de résidence, je compte réaliser de cartographies
sensibles collectives des alentours du village, ainsi que des cartographies sensibles
personnelles. Une fois cette période terminée, je m’installerai dans un village plus en
hauteur pour proposer la même méthodologie, en l’adaptant si nécessaire. Je finirai
ma recherche par un séjour dans un village près du sommet où j'aurais la possibilité
de travailler avec des mamos reconnus par leurs connaissances, et de proposer
encore une fois la même méthodologie, en l’adaptant si nécessaire.
· Julien, Éric, et Muriel Fifils (éds.). Les indiens Kogis, la mémoire des
possibles, Arles : Actes sud, 2009.