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LE TEMPS, PSYCHANALYSE ET ORIENTATION

PROFESSIONNELLE (*)
Lidia Ferrari
Le temps en psychanalyse est le temps du désir. Un temps en dehors des rythmes biologiques ou
des conventions sociales. Le temps du désir est radicalement un temps lié à la construction
libidinale du sujet et aux effets paradoxaux et contradictoires du temps dans l´inconscient. On a
dit que l´inconscient est atemporel. Il faut préciser qu´il ne s´agit pas que l´inconscient soit hors
du temps, mais qu´il ignore les coordonnées spatio-temporelles de la conscience, de la veille, de
la convention.

Dans ce travail, consacré au thème du temps l´un des aspects cruciaux dans le processus de
l´orientation professionnelle, nous ne pouvons pas ignorer la considération psychanalytique du
temps. Non pas pour l´appliquer sans plus, sinon pour placer des intersections et des différences.

En psychanalyse, le symptôme est une trace de quelque chose qui ne sera signifié que dans le
futur, bien que cette trace le soit du passé. Comme le dit Lacan:

"Ce que nous voyons sous le retour du refoulé est le signe flou de quelque chose qui n´obtiendra
sa valeur que dans le futur, à travers sa réalisation symbolique, son intégration dans l´histoire du
sujet. Littéralement, il ne sera jamais sinon quelque chose qui, à un moment donné de réalisation,
aura été..."

Le temps est irréversible. On avance toujours sur la ligne du temps. Le discours aussi est
irréversible. Mais cette avance vers le futur produit peu à peu le passé, le signifie et le resignifie. Il
s´agit, en psychanalyse, de paradoxes continuels en relation avec le temps. Le passé n´est pas ce
qui a été, sinon ce qui peut arriver à être rétrospectivement.

Dans l´analyse, un passé se produira progressivement dans notre voyage au futur.

Nous allons travailler différentes topiques où apparaît le problème du temps et de ses différentes
approches.

Les moments propices pour une décision.


Voyons quelques prescriptives pour l´analyse qui permettent de situer des différences dans
l´utilisation du temps avec les processus d´orientation professionnelle.

Freud dit:

"La meilleure manière de protéger le malade des dommages que peut lui causer l´exécution de
ses impulsions est de l´engager à n´adopter, au cours du traitement, aucune résolution
importante (choisir une carrière ou une épouse, par exemple) et attendre pour cela le moment de
la guérison. En même temps, nous respectons la liberté personnelle du patient pourvu qu´elle
soit compatible avec ces précautions; nous ne lui empêchons pas l´accomplissement de desseins
de peu d´importance, même s´il s´agit de simplicités évidentes et nous n´oublions pas que seule
la propre expérience personnelle fait l´homme sage. Il existe aussi des cas où il nous est
impossible de dissuader le sujet d´accomplir un projet totalement inadéquat à ses circonstances
et que ce n´est que longtemps après qu´ils deviennent mûrs et abordable à l´analyse.1"

"Je puis vous assurer, en plus, que vous vous tromper si vous croyez que conseiller et guider le
sujet dans les circontances de sa vie fait partie de l´influence psychanalytique. Au contraire, nous
refusons toujours que ce rôle de nous soit permis, et notre seul désir est de voir le malade
prendre ses décisions par lui-même. Donc, nous lui demandons toujours de remette à la fin du
traitement toute décision importante sur le choix d´une carrière, le départ d´une entreprise
commerciale, le mariage ou le divorce. Avouez que ce n´est pas ce que vous pensiez. Ce n´est
que lorsque nous sommes en présence de personnes jeunes ou instables que nous décidons à
associer à la mission du médecin celle d´éducateur. Mais alors, conscients de notre responsabilité,
nous agissons en prenant toutes les précautions nécessaires2"

Ce n´est pas de notre intérêt de débattre ici la valeur de ces prescriptions à l´intérieur de
l´analyse. Celles-ci nous intéressent car elles mettent en relation la névrose avec la prise de
décisions importantes pour la vie du sujet.

Dans certains cas de demande d´orientation professionnelle où l´on observe une forte
complication névrotique, il devient nécessaire de délimiter quand il convient d´indiquer un
traitement analytique, et quand, même dans certains cas délicats, il convient d´indiquer un
processus d´orientation professionnelle.

Tout d´abord, l´observance de Freud indiquant la suspension d´actions compromettantes pour la


vie des patients se faisait dans un contexte où était impliqué non seulement le cas par cas, sinon
que la fréquence et le temps du traitement n´étaient pas ceux que nous connaissons aujourd´hui.
L´analyse compromettait, comme aujourd´hui, un espace psychique central dans l´existence du
sujet, mais aussi, elle inondait les activités quotidiennes. De nombreuses activités étaient
suspendues reléguées par le traitement et, par conséquent, la prorogation de ces décisions
importantes étaient à l´expectative d´une modification subjective dans un délai déterminé.

Bien que la prescription d´indications de suspendre des décisions importantes ait à voir avec le
déroulement particulier de chaque analyse, nous voulons ici mettre ces règles en rapport avec ce
dont il s´agit dans l´orientation professionnelle. Quand Freud indiquait qu´il ne faudra pas
prendre certaines décisions précises "pour le moment", il le faisait parce qu´il considérait que
dans les conditions où se trouvait le patient, ces décisions ne seraient pas appropriées. Freud
pose le problème comme celui d´une dérivation vers la motilité des pulsions qui devraient être le
moteur de la remémoration dans l´analyse. Ceci nous éclaire sur l´importance du compromis
névrotique dans les décisions. La prescription de les éviter n´est rien d´autre que la précaution de
préserver le patient d´engager sa vie et d´entreprendre des actes liés à la pulsion et à la maladie.
C´est là que nous voulons nous arrêter dans notre analyse.

D´une part, l´orientation professionnelle est une pratique qui pose comme objectif cette prise de
décision. En général, les processus d´orientation professionnelle sont requéris à un moment
déterminé de la vie du sujet: son adolescence. Nous avons là la preuve la plus décisive que la vie
des être humains se déroule parmi des paradoxes et des contradictions. C´est juste au moment le
moins recommandé pour adopter des décisions (presque comme un malade en état grave) qu´il
doit en prendre. D´autre part, en orientation professionnelle, on travaille afin de pouvoir
produire une décision. Bien que la catégorie de décision définitive ou pour toute la vie doive être
mise de côté, il n´en est pas moins certain qu´il s´agit de parvenir à prendre des décisions
compromettantes. Les cas les moins névrotiques seulement pourront décider? Uniquement les
personnes relativement saines pourront choisir? Faudra-t-il suspendre le choix professionnel
jusqu´à ce que certains effets se produisent et qui ne peuvent être obtenus qu´au moyen d´un
traitement psychanalytique?

Bien que ces questions soient d´ordre général et, en tant que telles, impliquent aussi des réponses
générales, il n´est pas inutile de préciser qu´il faudra se placer dans chaque cas particulier. Parfois,
l´indication: "suspendre toute décision, commencez un traitement psychanalytique et puis on
verra", peut avoir des effets contraires. Dans de nombreux cas, il faut évaluer le prix que cela
représente pour le sujet de suspendre toute décision. Pouvoir entreprendre quelque chose, même
au risque de se tromper, permet a beaucoup de jeunes gens de se mettre en marche, et le fait de
se mettre en marche est crucial pour eux.

Beaucoup de jeunes sont angoissés quand il se trouvent face à l´obligation de choisir une carrière
ou de décider leur avenir professionnel. Il faut analyser dans chaque cas ce qui est impliqué dans
cette angoisse.

Dans le cas d´une jeune fille de 19 ans, qui souffrait visiblement d´une névrose grave, ce qui
rendait difficile non seulement sa décision mais compromettait toute sa vie, il était nécessaire
d´indiquer un traitement psychanalytique. Cependant, pour la situation dans laquelle elle se
trouvait comme immigrante de province, si elle ne prenait pas la décision d´étudier, elle devait
retourner (avec beaucoup d´angoisse) dans son pays. Cette situation personnelle demandait de
travailler pour qu´elle puisse s´organiser pour pouvoir trouver une carrière ou un travail qui lui
permettrait de se maintenir et de ne pas se précipiter dans le gouffre qui la menaçait. Pour ce
faire, le premier objectif était donc de poursuivre ce processus d´orientation professionnelle. Le
traitement psychanalytique pourrait venir plus tard.

Il a fallu dans ce cas travailler la variable temporelle dans ses dimensions conventionnelles.
"Quand les classes commencent, quand arrive l´été", etc. Le temps vide chez cette jeune fille était
source d´angoisse et de désespoir. Seul un traitement psychanalytique à long terme pourrait
améliorer en qualité cette situation. Le processus d´orientation professionnelle lui a permis de
s´organiser et de faire une dérivation à un traitement.

Paradoxes temporels.
C´est à la fin de l´école secondaire ,quand on sort de l´adolescence ou pendant celle-ci, que la
séparation du noyau familial doit se produire, la sortie exogamique, afin de produire son propre
espace. Ce que l´on peut appeler autonomie, indépendance, etc., doit être réalisé à un moment
qui pourrait être caractérisé comme une anticipation par rapport aux propres recours. Pourquoi
anticiper? La maturité, l´expérience, la connaissance nécessaires pour prendre des décisions bien
évaluées pourraient se produire après l´effet que cette séparation a sur le sujet. On assisterait à un
paradoxe – tel que ceux du voyage dans le temps en physique – si on attendait d´être dans les
conditions psychiques telles que celles que l´on trouve quand une personne a déjà produit ces
mouvements et ces ruptures.

Ceci n´empêche pas l´appréciation que le système éducatif et différents outils, comme
l´orientation professionnelle dans ce cas, peuvent accompagner, aider et favoriser de tels choix et
décisions. Cependant, ils auront définitivement les caractéristiques d´être initiatiques,
inaugurantes, et c´est cette caractéristique qui donne à ces actions la valeur des moments
cruciaux. Celles-ci s´accumuleront pour produire un sujet avec l´expérience, informé et doté de
recours pour affronter le monde. Cela ne pourrait pas se produire avant de franchir ce pas et ce
pas ne peut se faire que de façon initiatique. Ce pas ne peut contenir ce qui va être obtenu
justement pour l´avoir produit.

C´est dans le terrain de cette situation paradoxale que l´on demande parfois à une personne de
suspendre une décision jusqu´à ce que les conditions soient réunies pour la prendre, mais, très
souvent, il s´agit de conditions qui ne s´obtiennent qu´après avoir pris les dites décisions.
Beaucoup de parents et de jeunes demandent une assistance telle qu´elle pourrait annuler ce
paradoxe, Si quelqu´un, à la place de l´orienteur ou de l´analyste, décide d´indiquer ou de
prescrire une suspension d´actions et de décisions, il doit savoir clairement si la personne
n´essaie pas de s´évader du problème. Nous ne parlons pas ici de situations d´ailleurs fréquentes
et qui pourraient être réunies dans la phrase paradigmatique: "Je ne sais pas ce que je veux, mais
je le veux maintenant". Nous ne parlons pas ici de ceux qui ne prennent pas le temps de
s´informer et de penser, le temps d´un processus d´orientation professionnelle, par exemple.
Nous faisons référence à une certaine tendance à essayer de trouver les conditions idéales pour
produire une décision.

La valeur initiatique des décisions et des actions que peuvent prendre les jeunes a à voir avec un
moment de la vie où les changements sont continus. Il s´agit d´un sujet qui est en train de
s´organiser, de se construire. La valeur de l´expérience est fondamentale parce qu´il s´agit
justement de l´expérience comme acte exogamique.Que ce soient des expériences amoureuses,
de travail, d´études, de voyages, elles prennent la valeur des moments d´autonomie, de sortie sur
le monde. Par conséquent, chaque décision qu´ils prendront, chaque expérience qu´ils
réaliseront, construira progressivement en eux de nouveaux instruments et développera de
nouveaux aspects et goûts. Nous citons ici Freud encore une fois:

"N´oublions pas que seule la propre expérience personnelle fait l´homme sage".

Le temps dans la décision.


Il existe une conception, qui vient d´Aristote en philosophie, au moyen de laquelle on considère
que la manière convenable pour parvenir à une décision est à travers une séquence parfaitement
raisonnée de tous ses pas, jusqu´à l´aboutissement à une conclusion correcte.

Cette raison idéale, qui pourrait calculer le moment adéquat pour réaliser une action ou pour
prendre une décision, suppose aussi un sujet idéal pleinement constitué, possédant les outils pour
effectuer cette délibération et, en plus, un monde de consistence stable qui conserve des
caractéristiques de constance et de permanence, pour lesquels, alors que nous délibérons sur
quelque chose qui va se passer, les variables de notre délibération ne se transforment pas. Il n´est
pas inclus que le passage du temps transforme les matériaux de la délibération et par conséquent
on ne pourrait jamais arriver à un moment adéquat, car celui-ci serait repoussé ad infinitum.

En orientation professionnelle on ne peut pas éviter cette considération du problème. S´il s´agit
d´atteindre les conditions idéales pour prendre la décision, on n´arriverait à ce moment qu´avec
un sujet adulte, presque sage (et ceci est aussi un idéal). Dans certains processus d´orientation
professionnelle, les jeunes arrivent à un point où il est évident pour eux que c´est là leur
problème. La prétention à une délibération éternelle à travers laquelle ils pourraient s´informer
de tout et/ou se connaître pleinement eux-mêmes pour parvenir à une conclusion parfaite. Il se
peut que, alors que cette situation est analysée, ils se rendent compte de ce qui leur arrive.
Florence dit à un moment: "Mais alors, je devrais étudier toutes les carrières pour pouvoir me
décider".

Cependant, ceux qui consultent sont des adolescents qui sont loin non seulement d´une certaine
prétendue maturité, sinon d´avoir vécu des expériences, d´engranger suffisamment de
connaissances pour que leur délibération soit étendue et consistante. C´est que la vie de chaque
sujet se constitue à travers chaque instance, chaque processus, chaque décision prise. Ces
décisions sont toujours prématurées. D´une part, donc, son succès ou son échec se confirmera
dans l´avenir et, d´autre part, le jeune a besoin de les vivre pour pouvoir se constituer. En ce
sens, les décisions sont toujours anticipées, en situation pour avancer et produire un événement
qui modifiera le cours de l´histoire (même si elle est vécue comme retardée, différée, avec
empressement). Nous croyons que les décisions ne peuvent pas être calculées, mais si le travail
préalable pour pouvoir y parvenir. Mais ni l´orienteur ni le consultant ne peuvent prédire avec
exactitude quand la décision sera prise. Il ne s´agit pas de penser la décision à partir de la
spontanéité, sinon que, suite à un processus de travail, d´analyse, d´information, le moment de la
décision survient, non pas par conséquence logique, calculée, sinon comme un acte qui surgit et
surprend.

Quand on pense aux jeunes en tant qu´insuffisamment préparés pour prendre des décisions,
c´est acceptable à la seule condition que l´on parle de leur insuffisance d´information et de
formation ou leur manque de réflexion sur leur propre situation, mais en aucune façon penser
qu´il est possible d´espérer une préparation suffisante pour que ces problèmes soient éliminés.
Le temps de la formation est nécessaire. Il faut qu´ils prennent un temps pour penser, pour
connaître, et se transformer dans cette connaissance. La perméabilité des jeunes est telle que
chaque nouvelle information (connaître une carrière, visiter l´université, une expérience de
travail) en démytifie une autre, abat un préjugé. Ce temps nécessaire pour connaître n´est pas
comme si on ajoutait des éléments à un corps solide, sinon que le jeune se transforme en une
chaîne de modifications qui ne peut pas être prévisible. Ce qui est prévisible, c´est la nécessité
que cela arrive et de promouvoir des actions pour que cela arrive.

Comment pouvons-nous, alors, décrire la décision à partir de cette perspective?

Citons Antonia Soulez3:

"Décider, c´est l´esprit en guerre et en aucune façon une transition sans douleur du choix
raisonné à l´acte".

Alors, la décision est le point que survient après avoir accédé à un point d´"indicibilité". C´est-à-
dire qu´il faut prendre une décision quand on ne peut plus continuer à choisir, dans le sens de
continuer à délibérer pour opter pour le meilleur.

Dislocation du temps dans la subjectivité.


"Comme d´habitude à New York, tout s´écroule avant que l´on ait eu le temps de s´y attacher4"

Il est évident que cette phrase sépare deux temps. Un, celui de la construction et de la
destruction de quelque chose, en ce cas d´une grue démolissant des édifices. L´autre, celui de
l´attachement, de l´affectivité. Et une rupture entre les deux. Pour s´attacher à quelque chose, il
faut plus de temps qu´il n´en faut pour faire et défaire cette chose. Le temps des affections et
celui des technologies sont désajustés, mal synchronisés.

Ce désajustement a pour fond un imaginaire partagé, pour lequel il existerait ou il devrait exister
un ajustement entre le temps subjectif et le temps de l´Autre (ou le temps social, de la culture),
qui a à voir avec l´illusion d´un même temps homogène, compact, que nous partageons tous. Il
s´agit d´une consistence que le moi construit sur le temps, laquelle n´est pas sans avoir des
conséquences dans la vie des gens.

Nous croyons au contraire qu´il existe toujours une inadéquation entre le temps subjectif, le
temps tel qu´il est perçu par les sujets, et le temps Autre, celui que, par exemple, règlent les
progrès technologiques, les temps politiques, les guerres, les économies, y compris le temps
chronologique. Bien sûr, il y a des différences entre ces désajustements. Cela ne signifie pas que
le temps chez les sujets circule sur une voie parallèle à un temps social ou biologique. Il s´agit
d´une certaine dislocation, une inadéquation. C´est précisément pour la perception aiguë de cette
inadéquation que l´on parle des temps vertigineux des changements.

Lorsque nous relisons des récits d´autres époques, où l´on discute des questions de changements
entre générations, nous pouvons y trouver des traces de cette perception, de cette sensation de
ne pas pouvoir assimiler les changements vertigineux qui sont en train de se produire. Les
nouvelles générations semblent plus flexibles (pour les générations qui les précèdent) à
"s´adapter" à des caractéristiques plus nouvelles de la culture de l´époque, à entrer en relation de
manière différente avec les changements. Nous pensons que c´est une sensibilité liée au temps de
la vie écoulée par laquelle, inévitablement, les nouvelles générations établissent des relations
d´une autre manière avec ce qui est nouveau, qui, comme tel, présente une résistence à son
incorporation et à son assimilation au temps de la subjectivité.

Le vertige suppose une position subjective claire d´être inadéquat à ce qui se passe entre le sujet
(soumis au vertige) et le monde qui l´entoure. C´est l´expression de ce désajustement entre la
propre gravité et la gravité extérieure. Quelque chose comme les multiples problèmes qui se
produisent dans un organisme exposé à des conditions de gravitations inconnues à celles de la
surface terrestre.

Le vertige est la sensation que l´on ne peut pas supporter en état d´équilibre ce qui nous entoure.
Voici un indice d´un statut de la subjectivité, déphasée par rapport au champ de l´Autre. L´un et
l´autre ne se recouvrent pas, ne s´ajustent pas, ne coïncident pas, ne s´attirent pas. Le problème,
posé culturellement dans l´actualité, prend la forme que l´on observe, on prévient et favorise la
possibilité de cette rencontre, que cette adéquation se produise bien que, paradoxalement, l´on
avertisse de l´extrême difficulté dans cette rencontre.

"Si tu étudies telle carrière, dans telle université, si tu fais ceci ou cela, tu sera en "accord" avec les
"temps qui courent". A mon avis, il s´agit d´un certain leurre qui, précisément, pour tous ceux
qui croient en cette version, a pour conséquence un désajustement, un conflict et une souffrance
encore plus grands, car ils courent après quelque chose qui court toujours un peu plus vite.

Bien que cette dislocation par rapport au temps ne peut pas être suturée, corrigée, réparée, dans
le sens de sa structure, nous croyons que celui qui pourra, dans certaines occasions, supporter et
surmonter cette inadéquation aura plus de recours contre ses effets dévastateurs imaginaires et
réels, que celui qui essaie désespérément de s’ en débarrasser.

Même avec les outils d’analyse dont nous disposons actuellement (lisez psychanalyse dans notre
cas) il est difficile de penser à une subjectivité qui ne se configure pas d’après les canons qui se
transmettent et se modifient de génération en génération, à travers la dialectique identificatoire
oedipienne. Cette dialectique implique la survivance de l’ancien dans chaque nouvel Oedipe, les
traces des idéaux du passé dans la subjectivité des nouvelles générations.

Par conséquent, cette contrainte à s’accommoder aux "temps qui courent" ne fait que provoquer
des courses folles qui, bien souvent, plongent les individus dans le paradoxe de Zénon. Nous
croyons que, en orientation professionnelle, il s’agit d’organiser une stratégie qui contienne cette
façon d’inclure la dislocation temporelle chez le sujet.

C’est par la perception d’une inadéquation que l’on ne finit pas d’accepter l’existence des
innombrables activités qui essaient d’ajuster ce qui est désajusté; l’orientation professionnelle doit
quelque chose de sa raison d’être à cette insistance.

Le temps de celui qui consulte


En orientation professionnelle il y a un temps pour lequel il faut prendre en considération
l’urgence des délais nécessaires pour prendre une décision déterminée. Il y a un temps, comme
on disait précédemment, qui va toujours être anticipé par rapport aux conditions pour parvenir à
une décision optimale, car, en réalité, cette anticipation est nécessaire pour que la décision prenne
la valeur de quelque chose qui laisse une trace en tant qu’expérience.

La décision, une fois prise et effectuée, modifie le sujet, et on ne pourra pas revenir au moment
précédent. C’est pourquoi, quand quelqu’un qui est passé par un certain choix, par quelque
décision importante, probablement manquée, commence un processus d’orientation
professionnelle, on ne peut pas méconnaître la trace de cette expérience-là, car c’est à partir de là
qu’il va choisir à nouveau. Très souvent, les jeunes arrivent après avoir initié plusieures carrières,
travaillé, eu du temps inutile comme s’ils étaient des adolescents sans aucune expérience. Ils
croient qu’il est possible d’être à table rase alors qu’ il y a déjà des marques à considérer.

A partir de cette perspective pour penser le temps, il devient nécessaire de tenir compte du
moment vital de celui qui consulte. Le développement d’un processus d’orientation
professionnelle n’est pas le même en dernière année de l’école sécondaire que celui de quelqu’un
étant déjà passé par une expérience de décision. Une décision ratée ou conflictive, ou qui met en
jeu la problématisation de cette décision va obligatoirement avoir lieu une fois celle-ci effectuée.
Une décision met en jeu certaines variables qu’il faut analyser et puis survient le pari. Mais une
fois le pari effectué, une fois que l’on a franchi ce pas, celui-ci s’insère dans le champ de
l’expérience, et là, la symptômatisation peut surgir par rapport à la différence entre ce qui est
attendu et ce qui est obtenu, ou par rapport à ce qui doit effectivement se mettre en marche.
C’est là que surgissent des doutes, des inquiétudes, des conflits qui problématisent la décision
prise, et c’est là que le travail devient différent. Le sujet n’est déjà plus le même, il est traversé par
le manque, et se trouve probablement dans une position plus souffrante. Ceci peut donner lieu à
une expérience d’analyse du conflit avec un engagement plus grand de celui qui consulte. Il est
déjà passé par une expérience qui l’a marqué. Ces conséquences s’inscriront sous des formes
différentes dans l’histoire de ce sujet. Il ne s’agit déjà plus de l’idée de ce qu’il va être, mais de ce
qui a été effectivement parcouru. Et c’est là que la simptômatologie, qui surgit en fonction de la
névrose de chacun à partir de ce que l’on a fait, peut apparaître plus clairement.

Le travail que l’on peut faire avec quelqu’un qui n’est pas encore passé par l’expérience de faire
un pari lié à l’exogamie, à son indépendance, est très différent qu’avec celui qui en a déjà fait un.
Avant que les dés ne soient jetés, il y a les illusions, les promesses, les expectatives. Ce qui
viendra est pure imagination. Une fois que les dés sont jetés il y a les résultats, la déception, la
satisfaction, l’analyse de ce qui s’est passé avec le tirage. Le sujet n’est déjà plus le même. Il est
passé par l’ expérience.

C’est pourquoi le moment vital dans lequel celui qui consulte est installé est très important. Nous
ne pensons pas ici à quelque chose de schématique comme l’âge chronologique, mais l’âge
chronologique lié à l’expérience vitale du sujet. Naturellement, la référence qu’il suit les cours de
terminale est une donnée importante. Il n’est pas encore diplômé, il n’a pas produit le passage
vers une autre endroit, université ou quoi que ce soit, si l’on pense à la population type qui
consulte.

En plus,l’orientation professionnelle a une limite de temps. On ne peut pas ne pas l’avoir,


quoique j’estime qu’ il ne faut pas prescrire le temps de travail. Les consultations d’orientation
professionnelle doivent aboutir à un moment de conclusion. Même si c’est de ne pas pouvoir
décider en ce moment. Il s’agit d’une conclusion. Etudier, ne pas étudier,attendre, continuer d´y
penser. C’est cela qui donne à l’orientation professionnelle le lieu d’un espace où le temps
s’articule avec les urgences, contraintes et lenteurs du temps social, culturel. Car en orientation
professionnelle on met en jeu l’articulation, parfois initiatique, du jeune avec le monde. Et alors,
le sujet et le monde essaieront, tous les deux, de s’articuler aussi dans le temps.

Laisser un sujet livré à "son" temps subjectif, c’est se tromper quant à la manière dont la
perception temporelle s’articule, nécessairement, par rapport à l’Autre.Dans le dispositif
psychanalytique le temps est celui du transfert. Et bien qu’en orientation professionnelle il
s’agisse d’un dispositif qui met en jeu le transfert, ce n’est pas comme dans l’analyse, où le temps
du transfert est celui sur lequel se noue la mise en acte de la réalité inconsciente. Ceci demande,
dans de nombreux cas, pas mal de temps pour que cela ait lieu.

Des alibis pour continuer à attendre


Mathieu est un jeune qui est passé par plusieurs choix de carrière. Aucune ne répondait à ce qu’ il
voulait. Il dit qu’il est déprimé. Il a un travail qui le forme à la fois dans le terrain économique. Il
ne l’aime pas. Il n’aime rien de ce qu’il fait. Ce qu’il aime est loin. Comme une promesse
inaccessible.

Le cas de Mathieu est clair pour montrer comment toutes les actions du sujet se placent sur le
compte de la découverte de l’objet de son désir. Mathieu est placé dans un temps où l’objet qu’il
veut est toujours ailleurs et dans un autre temps de celui où, lui, il se trouve. Il participe d’un
dénominateur qui est commun à beaucoup de jeunes. Ils sont dans l’attente qu’ apparaisse ce qui
leur plaît, car à ce moment-là, vraiment, ils commenceront à vivre. Cet alibi dont ils n’ont pas
encore trouvé "leur" objet les laisse dans l’attente de l’apparition, la trouvaille ou la rencontre
avec ce qu’ils veulent faire. Et ceci retarde, freine et arrête la marche, quant à mettre en
mouvement quelque chose qui puisse les confronter avec le manque. Ceci peut mener à ce que
quand ils trouvent l’objet, celui-ci ne soit pas ce qu’ils supposent maintenant ou que, très
souvent, il soit déjà passé par leurs mains, mais qu’ils ne l’avaient pas pris.

C’est la promesse de la rencontre avec l’objet de son désir qui symptômatise et fait glisser tout du
côté de l’attente que cet événement se produise. Le sujet est dans l’attente5 et, par conséquent,
arrêté par rapport à cette rencontre qui ne s’est pas "encore" produite. Et pour Mathieu,
effectivement, l’aspect temporel ( chez chaque sujet la logique temporelle se structure d’après son
organisation psychique), où le passé a été le meilleur - mais toujours une fois après qu’il est arrivé
-, et le futur est la promesse, mais chaque fois plus difficile de soutenir, de la rencontre avec ce
que, lui, il aime.

Le "encore" comporte l’illusion de la découverte de l’objet, fantaisie destinée à refuser la


confrontation avec le manque, si bien que l’effort est destiné à arrêter ce qui menace de se
produire tout le temps.

La castration serait, ici, le statut théorique de ce qui pour Mathieu sera, par exemple, se rendre
compte qu’ il pourra seulement trouver les objets qui sont à sa portée chaque fois qu’il mesure
les conséquences de ses actes. Par exemple, la carrière ne sera pas la meilleure, ni celle qui lui
convient le plus. Le succès ne sera plus un tout pour le tout pour devenir, en tout cas, un but qui
lui permette de parcourir un chemin.
L’attente de la rencontre de cette carrière qui lui promet satisfaction parce qu’elle lui plaît,
récompense économique et pas trop d’effort, le place dans le ça peut "encore" arriver. Bien sûr,
le passage du temps l’approche chaque fois plus de la possibilité de perdre cette illusion et c´est
ce qui le fait se retourner sur ses pas et commencer à reconnaître combien ce qu’il a parcouru
valait la peine dans le sens où c’était un chemin qu’il était en train de faire. Beaucoup de jeunes se
trouvent confrontés avec ces désillusions et le passage du temps réussit à avoir sur eux l’effet de
montrer qu’ils sont installés à soutenir une illusion, et que cela même les empêche de faire
quelque chose en vue de ce qu’ils veulent.

Dans les demandes d’orientation professionnelle, cette promesse de la rencontre avec ce que l’on
aime, avec sa vocation commme quelque chose d’unique et lointain qui, en général, arrive aux
autres, c´est parfois l’alibi pour ne pas penser, analyser, réfléchir, choisir et décider sur l’objet, qui
alors ne sera plus illusoire, comme dans cette rencontre mythique avec l’objet perdu, mais la
rencontre avec quelque chose qui, à partir du symbolique, le mette à fonctionner comme sujet
qui produit, désire et vit en prenant les objets du monde.

Le problème du temps dans la décision et sa relation avec le transfert.


Par des effets du transfert, condition d’une analyse, on suppose un savoir à un autre, un savoir
qui peut anticiper ce qui surviendra, dans l’avenir, comme matériel d’analyse. Il faut cette illusion
qui détruit des coordonnées conventionnelles du temps pour permettre l’ocurrence d’une
analyse. Cette supposition est également nécessaire pour un processus d’orientation. Supposer un
savoir à l’orienteur sur l’avenir de celui qui consulte.

Dans certains cas, c’est à la place du transfert qu´une précipitation s`impose dans la décision. On
entend, parfois, qu’il prend la forme d’une demande urgente que quelque chose soit dit, que l’on
réponde.

Au cours de certains processus d’orientation professionnelle, au moment où celui qui consulte ne


peut pas prendre une décision, quand il n’y a pas de séquence logique qui fasse émerger la
décision, quand on commence à se rendre compte que c´est ça la décision, parier sans plus, la
figure de l’orienteur apparaît. On a remarqué dans beaucoup de cas que, si l’orienteur s’abstient
d’indiquer ou de suggérer une décision, le jeune, se voyant confronté avec le fait qu’il ne lui reste
plus qu’à décider, tourne le regard vers l’orienteur en espérant que celui-ci fasse quelque chose.
On attend de l’orienteur un mot, un geste qui résolve ou donne des indices de cette décision.
Comme il ne la trouve pas, car l’orienteur s’abstient, cette image de l’orienteur , qui tenait encore
par un fil parce qu´il était encore le garant pour éviter la prise de la décision,tombe. Ceci, qui est
singulier dans sa forme, mais que l’on peut voir dans presque tous les actes de prise de décision,
est un moment où la figure de l’orienteur bascule pour celui qui consulte. Comme il ne s’agit pas
d’une analyse, on ne peut pas déployer toute la fantaisie par rapport au transfert. Cette limite, qui
est la limite avec l´analyse et une des différences les plus importantes que garde une consultation
d’orientation professionnelle à quelqu’un qui, en plus, est psychanalyste, est la limite même de la
demande. A la différence d’un traitement psychanalytique, quand dans le transfert surgit la
possibilité de penser un peu plus au délà du besoin de prendre une décision (là se situerait la
prescription freudienne de s’abstenir de prendre quelque décision que ce soit) en orientation
professionnelle c’est quand on doit s´empresser à produire un acte.

Ceci arrive parce que, si effectivement on a pu arriver à construire un espace où parler de ses
doutes par rapport au choix, et l’on a pu développer et déployer cette inquiétude, il y a, en effet,
un moment, préalable à la prise de la décision du sujet, qui apparaît comme urgence, comme
quelque chose qui ne lui appartient pas, à lui. "Il doit" décider.

Nous croyons que la clé de ceci réside dans le fait qu’il s’agit de la structure même de la prise de
décision. Il s’agit d’une forme de devancer ce qui ne pourra venir d’aucune façon. C’est-à-dire, la
décision mesurée, calculée et raisonnée de manière logico-formelle. Dans un pari subjectif
comme celui de choisir une profession, s’il est vrai que l’on a l’intention de le faire comme pari
personnel, les matématiques ne servent pas. Le compte n´y est pas. Les réflexions et les
consultations ne suffisent pas ou, plus exactement, à un moment donné elles sont en trop. C’est
là, quand cela devient évident, quand on en arrive à la certitude que l’on ne va pas tout connaître
pour prendre la décision exacte, correcte, c’est là qu´un acte doit survenir, une prise de décision.

C’est pourquoi l’on dit que dans ces moments se produisent les situations les plus difficiles par
rapport au transfert avec l’orienteur. L’orienteur tombe ici nécessairement comme celui qui
pourrait assurer ou garantir que la décision ne sera pas cela, une décision singulière.

Ce sont des moments de panique, ce sont l’expression de cette inadéquation qui commence à se
concevoir quand on est en train d’incuber l’urgence de la décision. C’est pourquoi ces moments-
là sont aussi difficiles pour l´orienteur, parce que lui non plus, il ne peut pas les calculer. Il s’agit
des moments qui surviennent de façon anticipée, ou l’on pourrait dire intempestivement à la
succession espérable, pour l’orienteur et pour celui qui consulte. C’est pourquoi il est difficile
d’occuper cette place sans tomber dans les technicismes de toute sorte d’orientation
professionnelle ou sans essayer de suturer, mettre un point final à ces événements. Planifier un
certain nombre de séances serait une manière de contrôler cela. Ça pourrait peut- être servir à
travailler avec plus de tranquillité, mais il est probable que ces allers et retours, qui font les
conditions du choix et le temps subjectif nécessaire pour le choix, ne puissent pas se développer
dans le processus même d´orientation professionnelle.

(*) Publicado en la Revue de l´ACOPF (Association des Conseillers d´Orientation Psychologues - France). Vol.
63 Trimestriel – Nº 1. Janvier-Fevrier-Mars 2000. Paris, France. 2000. ISSN 0150 3758.

1 S. FREUD, Souvenirs, répétition et élaboration. Madrid, ll Biblioteca Nueva.


2 S. FREUD, Théorie Générale des névroses,XXVll, "Le transfert", Madrid, O.C.
3 Antonia Soulez, " De l´efficacité de l´acte: Causalité mentale ou loterie?". "Textes sur le Temps
Logique", Cahiers de l´Ecole Lacanienne de Psychanalyse, Buenos Aires, 1992.
4 James Merrill, "An urban convalescence". Cité dans Marshal Berman, Tout ce qui est solide
s´évapore dans l´air. L´expérience de la modernité, Madrid, Siglo XXl, 1988.
5 "La conception originale de l´attente comme antithèse authentique de l´activité (à la place de la
passivité comme le voulait la raison) est ingénieuse...". Commentaire de J. Lacan du texte Le
temps divisé, de E. Minkowski. Dans "Textes sur le Temps Logique", Cahier de l´école
lacanienne de psychanalyse, Buenos Aires, 1992.

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