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LES CATÉCHÈSES MYSTAGOGIQUES

DANS L'ORGANISATION LITURGIQUE HIÉROSOLYMITAINE


DU IVe ET DU Ve SIÈCLE

A partir de la section du Lectionnaire arménien indiquant les péri-


copes bibliques lues avant, la prédication des catéchèses mystagogi-
ques à Jérusalem 1, voici quelques remarques qui voudraient compléter
l'étude de W.-J. Swaans sur le problème de l'authenticité des cinq
Catéchèses Mystagogiques attribuées à saint Cyrille de Jérusalem 2.
1. - A l'encontre de ce qu'écrit Swaans 3, induit en erreur par
Oonybeare, les lectures bibliques qui suivent l'annonce des catéchèses
mystagogiques se trouvent intégralement dans le Lectionnaire armé-
nien, tant dans le manuscrit arménien Paris 44 4 que dans le manuscrit
arménien Jérusalem 121. Dans ce dernier codex, les lectures pré-
mystagogiques sont affectées, comme toutes les autres péricopes
bibliques, d'un numéro d'ordre qui les insère dans l'organisation
générale des lectures du Lectionnaire.
On ne peut donc pas s'appuyer sur le Lectionnaire arménien pour
affirmer que la série des lectures bibliques qui accompagnent l'annonce
des catéchèses mystagogiques dépend d'un autre document que celui
qui nous donne l'indication des péricopes précédant les catéchèses
ad illuminandos, ni qu'elle provient d'un autre auteur que la série
des lectures précédant les catéchèses ad illuminandos. Les deux séries
de lectures font corps avec l'organisation du Lectionnaire. L'argument
tiré de cette section du Lectionnaire arménien contre l'authenticité

1 A. RENaUX, Un manuscrit du Lectionnaire arménien de Jérusalem (cod. Jérus. arm.


121), dans Le Muséon 74 (1961), p. 361-385 et 75 (1962), p. 385-398; voir le nO 52. Nous
désignons ces articles par l'abréviation : Lectionnaire arménien.
2 W.-J. SWA-AN8, A propos des catéchèses mystagogiques attribuées à saint Cyrille de

Jérusalem, dans Le Muséon, 55 (1942), p. 1-42.


3 Ibid., p. 32-33.

4 Publié dans OONYBEARE, Rituale Armenorum being the Administration of the Sacra-
ments... Oxford, 1905. Le Lectionnaire arménien et son introduction occupent les pages
507-527.

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cyrillienne des cinq Catéchèses lY1ystctgogiques ne peut être maintenu;


il est ailleurs, nous le verrons.
il. - La position qu'occupent dans le vieux Lectionnaire arménien
(après le canon du dimanche octave de Pâques) les lectures pré-
mystagogiques 5 ne doit pas amener à penser également qu'elles
ont été insérées après coup : leur place correspond à celle des lectures
précédant les catéchèses ad illuminandos. Dans les deux cas, le bloc
de ces lectures est mis à part, avant l'ordo quadragésimal et après
la semaine pascale; sans doute parce que les catéchèses ne concernaient
qu'une c~tégorie de fidèles.
III. - Il est intéressant de constater que la répartition des lectures
et des catéchèses mystagogiques dans le Lectionnaire arménien aux
deuxième, sixième, septième et huitième jour, correspond en fait à
quatre des jours de la semaine pascale où, selon l'ordo du même
lectionnaire, la station avait lieu, soit à l'Anastasis (7 e jour), soit au
Martyrium (2 e et 3e jour), soit devant le saint Golgotha (6 e jour) 6.
Le Lectionnaire arménien ne prévoit pas de lectures et de catéchèses
mystagogiques pour les jours de la semaine pascale où la station se
faisait hors de l'ensemble constantinien du Calvaire. On en comprend
facilement la raison; faire une prédication à l'Anastasis, lieu attitré
pour la catéchèse, nous allons le voir dans un instant, après une station
dans les sanctuaires de la Sainte Sion ou de la Montagne des Oliviers,
eût allongé démesurément l'office du matin et rendu impossible la
montée à l'Eléona, prévue pour la soirée de chacun des jours de la
semaine pascale 7.
Le nombre de quatre catéchèses mystagogiques conservé dans le
Lectionnaire arménien semble donc dépendant de l'organisation
stationnale; il n'y a plus, au cours de la semaine pascale, que quatre
stations dans les églises du Calvaire.
IV. - La constatation de cette relation entre liturgie célébrée dans
l'une des églises du Oalvaire et catéchèse mystagogique est donc
très nettement perçue dans le Lectionnaire arménien, témoin des
rites hiérosolymitains du début du Ve siècle 8. Elle amène aussi à se
5 Elles devraient en effet se trouver dans l'ordo du deuxième, du sixième, du septième
et du huitième jour de la semaine pascale.
6 Lectionnaire arménien, nOS 46, 50, 51 et 52.

7 Itinerarium Egeriae, XXXIX, 3; éd. FRANcESCHINI-WEBER, p. 83.


s Voir l'étude de Dom B. BOTTE, Le Lectionnaire arménien et la fête de la Théotokos
à Jérusalem au Ve siècle, dans Sacris Erudiri, 2 (1949), p. 111-122. Ces quelques pages
ajoutent un nouvel argument à la date proposée.
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demander quelle était la situation au cours de la période immédiate-
ment antérieure de la liturgie hiérosolymitaine.
La prédication des catéchèses mystagogiques, à partir du deuxième
jour de la semaine pascale, ne se faisait, selon Cyrille de Jérusalem 9
et l'Itine1'arium Egeriae 10, que dans l'église de l'Anastasis.
Or il est significatif de constater que, quotidienne à l'époque de
Cyrille de Jérusalem 11, la station à l'Anastasis pour la catéchèse
mystagogique àprès la liturgie du matin, n'est prévue dans l'Itinera-
1'ium Egeriae que pour les jours où la liturgie a été célébrée au Mar-
tyrium ou dans l'une des églises du Calvaire:
ProcedJitur autem ipsa die dominica prima in ecclesia vrnaiore) id est ad
:Martyrium) et secunda feria et tertia fM'ia) ubi ita tailnen, ut semper misso
facta de MartY1'io ad Anastase veniatur CUlm ymn'is 12.
Au lundi et au mardi explicitement mentionnés, il faut ajouter le
dimanche octave de Pâques, jour où la station avait lieu au Marty-
rium 13, le jeudi où l'on se trouvait à l'Anastasis elle-même, lieu
habituel de la catéchèse, et sans doute aussi le jour où la station
se faisait ante crucem, à quelques pas du Martyrium et de l'Anastasis 14.
Le texte de l'Itine1'arium Egeriae décrivant la cérémonie de la
catéchèse mystagogique corrobore cette interprétation :
Per' illos octo dies) id est a pascha usq1te ad octavas) quemadmodum
missa facta fuerit de aecclesia, et itur cum ymn,is ad Anastase 15.
Lorsqu'a lieu le renvoi de l'église ... De quelle église s'agit-il1 Les
passages parallèles de l'Itinerarium Egeriae ne laissent aucune hési-

9 Dix-huitième catéchèse ad illuminandos, XXXIII, PG 33, col. 1056 : METà SÈ T~V

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10 Itinerarium Egeriae, XLVII; éd. FRANCESCHINI-WEBER, p. 88-89 : Post autem
venerint dies paschae, per illos octo dies, id est a pascha usque ad octavas, quemadmodum
missa facta fuerit de aecclesia, et itur cum ymnis ad Anastase, mox fit oratio, benedicuntur
fideles et stat episcopus incumbens in cancello interiore, qui est in spelunca Anastasis,
et exponet omnia quae aguntur in baptismD.
11 Voir le texte de la note 9.
12 Itinerarium Egeriae, XXXIX, 2; éd. FRANCESCHINI-WEBER, p. 83.
13 Ibid., XXXIX, 2 et XXV, 2; éd. FRANCESCHINI-WEBER, p. 83 et 70.
14 Au cours du même rite se faisait souvent une procession de l'Anastasis à la Oroix
(Itin. Eger., XXIV, 7, 8, 9; XXVII, 8; éd. FRANCESCHINI-WEBER, p. 68-69 et 82).
15 Itinerarium Egeriae, XLVII; éd. FRANCESCHINI-WEBER, p. 88.
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tation sur le sens de cette formule. Missa Jacta ecclesia ou de ecclesia


désigne toujours le renvoi du Martyrium à l'Anastasis 16. Le Marty-
rium, église' paroissiale de Jérusalem, était sans doute fréquemment
appelé ecclesia maior, mais aussi parfois tout simplernent ecclesia 17,
ce qui n'est jamais le cas pour les églises de l'Eléona ou pour celle
de Sion, quand le récit n'y a pas fait allusion auparavant 18.
De cela il faut conclure que, lors de la présence de la pèlerine à
Jérusalem, ce n'est que lorsque la liturgie du matin se célébrait au
Martyrium ou dans l'une des églises du Calvaire qu'on allait ensuite
à l'Anastasis pour la catéchèse mystagogique. Quotidiennes au temps
de Cyrille de Jérusalem, les catéchèses mystagogiques étaient tombées
à cinq à la fin du IVe siècle, suivant en cela l'évolution de l'organi-
sation stationnale qui faisait désormais appel, aux dépens du Mar-
tyrium, aux églises de Sion et de l'Eléona comme lieux de célébration
de la liturgie durant la semaine pascale.
V. - L'anomalie de la liste des lectures pré-mystagogiques du
Lectionnaire arménien qui ne comporte que quatre péricopes se com-
prend facilement à la lumière de cette explication et la confirme.
Au début du Ve siècle une station, ne figurant pas dans les rites
processionnaux de la fin du IVe siècle décrits par la pèlerine, était
entrée dans l'organisation stationnale de la liturgie de la ville sainte. Le
mardi de Pâques, troisième jour de la semaine pascale, la liturgie
se célèbrait au saint Martyrium du proto-martyr Étienne, supprimant
la station tenue ce jour au Martyrium à la fin du IVe siècle 19. L'exis-
tence de cette nouvelle station entraînait également la suppression
de la deuxième catéchèse mystagogique et de sa lecture (Rom., VI, 3-14).

***
De Cyrille de Jérusalem jusqu'au début du Ve siècle, le nombre des ca-
téchèses mystagogiques semble constamment dépendant de l'organi-
sation stationnale de la semaine pascale. Plus celle-ci se meuble de

16 Ibid., XXV, 2, 10; XXVII, 3; XXVIII, 2; XLVI, 6; éd. FRANCESCHINI-WEBER,


p. 70, 71, 73, 75 et 88. Mais pour le renvoi de l'Anastasis, la pèlerine écrit: fit missa
Anastasi, ou post missa Anastasis (Itin. Eger., XXIV, 6 et XXVIII, 1; éd. FRAN-
CESCHINI-WEBER, p. 68 et 75).
17 Ibid., XXV, 2; éd. FRANCESCHINI-WEBER, p. 70.
18 Ibid., XXXV, XXXIX, 3 et 5; éd. FRANCESCHINI- WEBER, p. 78-79 et 83.
19 Lectionnaire arménien, nO 47.
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stations célébrées en des églises éloignées de l'ensemble constantinien
du Calvaire, plus le nombre des catéchèses diminue. Quotidiennes à
l'époque de Cyrille de Jérusalem, elles passent à cinq à la fin du IVe
siècle,puis à quatre après l'introduction du culte de saint Étienne.
L'hypothèse de Swaans, attribuant les cinq Oatéchèses Mystagogi-
ques à Jean de Jérusalem, reçoit ainsi une nouvelle confirmation.
La période liturgique décrite dans l' Itinerarium Egeriae, quelle que
soit la date à laquelle on place ce document, correspond aussi en
g.ros à celle de Jean de Jérusalem (386-417); le nombre de cinq caté-
chèses que nous possédons répond à celui que demande l'organisation
stationnale de la ville sainte, à l'époque du séjour de la pèlerine à Jéru-
salem et de l'épiscopat de Jean de Jérusalem.
Quant au nombre de quatre catéchèses attesté par le vieux Lection-
naire arménien, point n'est besoin de faire appel à une adaptation
de la part de l'Église d'Arménie 20. Le Lectionnaire arménien est,
là encore, un témoin fidèle de l'état des rites hiérosolymitains au
début du Ve siècle: il nous conserve la description de l'organisation
stationnale de la semaine pascale après l'instauration du culte de
saint Étienne. La station du mardi de Pâques se célébrant désormais
au saint Martyrium de saint Étienne, on ne pouvait aller à l'Anastasis
que ,quatre fois pour la catéchèse mystagogique après la liturgie du
matin. Il y a là un indice important sur la date de rédaction de l'ordo
hagiopolite conservé en arménien.
Abbaye d'En·Oalcat, A. RENÜUX.
Dourgne (T'am).

20 W .. J. SWAANS, loc. cit., p. 33, a été trompé par les indications fautives de Oonybeare,
op. cit., p. 524. Quant aux réflexions de N. Adontz (Les fêtes et les saints de l'Eglise armé·
nienne, dans Revue de l'Orient Chrétien, 26, 1927.1928, p. 250.257) à propos des lectures
catéchétiques qui précèdent les catéchèses ad illuminandos (Lectionnaire arménien,
nO 17), elles appelleraient de nombreuses réserves. Le point de départ de l'auteur est
défectueux: le lectionnaire qu'il a présenté p. 226-234 et sur lequel il s'appuie est un
lectionnaire fictif, composé par lui à l'aide de mss complètement différents. Les uns,
comme le Paris 44, sont des mss de type hiérosolymitain, les autres ont été aménagés
en fonction des usages de l'Église arménienne. Ohaque lectionnaire est un témoin d'une
époque et ne saurait être combiné avec un autre.

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