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EMMANUEL LÉVINAS

Carnets de captivité
A
suivi de
Ecrits sur la captivité
et
Notes philosophiques diverses
Volume publié sous la responsabilité de
Rodolphe Câlin et de Catherine Chalier

Établissement du texte, annotation matérielle, avertissement


par Rodolphe Câlin
Préface et notes explicatives
par Rodolphe Câlin et Catherine Chalier

Préface générale de Jean-Luc Marion


de l'Académie française

Ouvrage publié avec le concours


du Centre National du Livre

BERNARD GRASSET/IMEC

z
ß
Le comité scientifique réuni pour la publication
c?^3(9 des Œuvres d'Emmanuel Lévinas
est coordonné par Jean-Luc Marion, de l'Académie française.
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<200^
•}-< I
Sommaire

Préface générale de Jean-Luc Marion I


Avertissement 9
Préface au présent volume 13
Notice éditoriale 41
Remerciements ; 45

/. Carnets de captivité (1940-1943) 47


Notice sur les Carnets de captivité 49
Carnet 1 51
Carnet 2 61
Carnet 3- 97
Carnet 4 m
Carnet 5 131
Carnet 6 149
Carnet 7 171

II. Écrits sur la captivité et Hommage à Bergson 199


Captivité 201
ISBN 978-2-246-72721-7 La spiritualité chez le prisonnier Israélite 205
L'expérience juive du prisonnier 209
Hommage à Bergson ; 217
Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation
réservés pour tous pays.

© Éditions Grasset & Fasquelle, IMEC Editeur, 2009.


8 Carnets de captivité

III. Notes philosophiques diverses 221


Notice sur les Notes philosophiques diverses 223
Liasse A 227
Liasse B 333
Liasse C 385
Liasse D 461
Carnet A 469
Carnet B 471
Préface générale
Notes 479

La pensée d'Emmanuel Lévinas fut .précoce, mais son œuvre


toute'en transitions. Sa notoriété immédiate, mais sa reconnais­
sance publique tardive. Sa réception déjà ancienne, mais ses-inter­
prétations toujours'Contrastées. Elle a marqué, autant que celle
de^Bergsori à laquelle elle répond^sur bien des aspects, la «cène et
l'intrigue philosophique du xx^'siècle,«n France'et en;général au
point de faife aujourd'hui partie, de plein tìroit, dê-l'lrisCoire de la
phénoménologie et de la philösophit tout' court. Par suite; oñme
saurait &'étonner que tette œûvfe, aussi connue et^recóijtíue qu'elle
soit et peut-être justemeht'pour cela même,'reste aujourd'hui si
difficile à pénétrer. Et pòùr de multiples taisons.-
Bien'sûr èt d'abord parce que ses-écrits ont été publiés d'une
manière dispersée par nombre d'éditeurs divers ; et même d'une
manière rhapsodique, phisque certains recueils organisés ou
cautionnés par Lévinas n'offrent pas une- grande homogénéité
thématique, voire chronologique, et que certaines ïééditions de
textes d'abord'homogènes les ont transformés, avec le temps, en
des recueils áinon factices, du moins dis|3arates. L'écriture ensuite
peut dérouter ou surprendre le lectetir : autant ies premiers,textes
publiés (ne parlo'ns pas des inédits) maintipnnent-ils. la -neutralité
limpide du style universitaire ou consonnent-ils avec le x^ocâbu-
laire et les tournures de l'immédiate" après-guerre (et d'abord de
Sartre), autant, à" mesure " que passe le temps et surtout à 'partir
de la publication de Totalité -et Infini en 1961, la langue prend-
II Camêts de captivité Préface générale m

elle une richesse et une rudesse toutes particulières, comme un par l'Allemagne nazie. Au contraire de la si courante rhétorique
français d'autant plus originel qu'il se trouvait comme conquis et assez inflationniste, qui ne cesse de demander.« comment peut-
reconstitué à partir d'autres langues (l'allemand, l'hébreu, l'an­ on philosopher après Auschwitz ? », pour en parler d'autant plus
glais, le russe surtout), avec lesquelles par contraste il prenait sa qu'êlie en pense au? fond d'autant moins la logique,, l'ignominie
profondeur, son relief, sa force et déployait des possibilités laissées et le blasphème; Lévinas n'évoque explicitement la Shoah qu'en
inexplorées par la plupart des philosophes français depuis trois d'assez rares pages (dont la- célèbre dédicace à!Autrement qu'être,
siècles. Il faudra procéder un jour, qu'on souhaite prochain, à une qui pourtant, avec un universalismeconfondant, ajoute'aux «-^ix
étude stylistique du corpus lévinassien, preuve vivace qu'on peut millions» des «plus proches», la compagnie involontaire et
penser en français, du moins dans ce français-là, fait de ruptures parfois volontaire « des millions et millions d'humains de toutes
de construction, d'ellipses, de métaphores, d'élisions, d'allusions, confessions »), comme si cette ombre« silénoieiise, qui recouvre
de citations implicites, voire de néologismes ou de détournements tout le texte,'l'inspire etie justifie,"ne pouvait'pourtant et pour
du sensjasuel de termes reçus, etc. ; bref, d'un français.étranger cela même pas se dire ni se montrer:directement elle-même. De
au. français et d'autant plus intimement, fidèle à son génie, un cette ténèbre lumineuse, l'immense non-dit surdétermine toute
français d'écrivain, pas de professeur ni de philosophe. D'ailleurs, l'œuvre de Lévinas, qui ne la dit jamais qu'à peine. Littéralement,
il faut ajouter au nombre des raisons de la difficulté de l'œuvre Levinaâ» ne dit la» Shoah qu'^ peine, parce que dire ia peine, cetth
de Xevinas son effet proprement et» multiplement littéraire ; la peine, exige à peine un dit, le moindre dit possible pour manifester
diversité des genres (article scientifique, article d'actualité, confé­ la peine infinie du dire, du dire qui fucainsi'dénié et dédit»
rence, commentaire talmudique, thèse,- traité systématique, L'accumulation de ces difficultés strictement iittéraires suffirait
composition d'essais convergents, collection d'essais divergents, déjà'à rendre la lecture de l'œuvre* entière ardue, "délicate, voire
entretiens plus ou moins, familiers'ou formels j etc.) ef.même la aporétiquesMais ce n'ést encore que le partis des difficultés stric­
multiplicité des registres philosophiques (histoire de la philo­ tement conceptuelles d'une philosophie dont l'interprétation-reste
sophie, histoire de la phénoménologie, phénoménologie, encore profondément indécidée. Mentionnons les principales.
philosophie de la religion, philosophie politique, esthétique, etc.) Lévinas débute comme Fun des premiers,' sinon le premier
et ribn philosophiques (théologie et religion, commentaires talmu- véritable introducteur de HusseA dans ¡la philosophie française,
diques, critique littéraire,-politique, etc.) exige du lecteur non puis de" Heidegger, ti'où son «statut incontestable de phénoméno-
seulement des compétences peu communes,-mais surtout d'évaluer logue. Reste à savoir si cette option devienr ensuite plus qu'une
les poids respectifs des textes rencontrés - leur autoritç concep­ méthode «de départ,, et si sa pensée demeure inscrite essentielle­
tuelle normative pour .toute l'œuvre, ou leur rôle de commen­ ment,dans le courant phénoménologique ou s'en affrançhit ^, et
taire lié aux circonstances d'une réception, ou leur statut péri­ si oui, *à partir de quand et ^ans quelle* direction ?î Quant à la
phérique par .rapport à la pensée philosophante, quoique central reconnaissance jamais remise en question de la pensée de l'auteur
dans l'optique d'une préoccupation plus spécifique (religieuse, de Sein Tind Zeit, cela va de pair avec un silence presque complet
politique^ historique, etc.). Cette constante, difficulté à s'orienter sur k différence ontologique (et son éventuelle disquàlification) ;
dans les textes, ou plus exactement à mesurer leur autorité et leur inversement, Husserl reste un rèpère. déterminant jusqu'aux
rôle dans l'agencement d'ensemble, culmine dès qu'on les réfère tout'derniers cours ; par ailleurs, autant les discussions avec les
à l'événement qui les surplombe : la persécution du peuple juif contemporains (Derrida,.Henry et JRicœur) sont connues, autant
IV Carnets de captivité Préface générale V

leur impòrtance réelle rèste à évaluer. Getté indétermination du on ne trouve la moindre tentative de déployer les détails d'une
rôle pourtant-indiscutable de la ,phénoménologié xians-s'ont itiné­ morale appliquée,.encore'moins l'esquisse d'une réflexion stricte­
raire de pensée, renforce'par contraste L'importance ^évidemment ment politique."
céntrale du judaïsme de Lévinas : s'agit-il d'.une version française Aussi a-^t-on plus récemment suivi une autre ligne d'interpré­
du judaïsme philosophique allernand Xde Mendelssohn à- Cohen tation : à considérer les-premiers écrits (depuis De l'évasiop jusqu'à
et Rosenzweig) ou les étijdes talmudiques atteignent-elles-une Le Temps et l'Autre), surtout en prenant en compte l'environnement
autorité daiis le judaïsme orthodoxe (si le singulier a ici un sens), sartrien si visible de l'époque, s'impose la question ,du soi, de la
ou encore 'relèvent«-elles de la philosophie ? Les débats, voire les difficulté à y accéd^r-et, simultanément, à s'en extraire. Les thèmes
polémiques qui rfont cessé d'entourer ces questicms, montrent parado^caux de la dernière période et les hyperboles que l'on y a
assez leur centralité : Lévinas joue-t-il Athènes contre Jérusalem parfois stigmatisées (la substitution et.l'éleçtion en, particulier) ne
ou au contraire Jérusalem contre Athènes en- prétendant parler deviennent intelligibles que dans cette optique : il s'agit du soi que
grêc-pourdire Fautre Parole,,que le grec ne peut dire^? Et dans je ne suis pas dans-le sens même oiLje ne dois pas l'être.
cet -exercicef comment pourrait-il ne pas rencontrer, au centre de D'où la question de l'être elle-même : dès le début en effet, la
son itinéraire, la théologie chrétienne, qui a d'emblée affronté, le haine de l'êttej qui surgit avec une violence presque sans généa­
Christ au grec ?. Et enfin, où passe ici la frontière (s'il en reste une logie, repçend sur le mode d'un renversement {Umwertung, au sens
et s'il en faut une) entre ce que l'on fait tourner sous les titres, de* Nietzsche mais aussi de Husserl-) énigmatique Je privilège de
d'ailleurs eux-mêmes questionnables, de philosophie (ou phéno­ la Seinsfrage imposée.par Heidegger comme l'entrée par excellence
ménologie) et de théologie ? dans la (fin de la) métaphysique. Or, loin.quÈ-çette destitution de
Même en supposant ces questions affrontées et assumée la l'être en ferme la question, il se pourrait au contraire qu'elift' ait
décision d'une lecture proprement et d'abord philosophique de imposé à Lévinas; comme eip sous-]Deuvre et en,basse contìnue, la
Fœuvre, on ne fait qu'ouvrir le débat sur le centre de.gravité et tâçhe ardue.jusqu'à l'aporiede,déduire l'être-et la,différençe.ontbi
l'intuition originelle, brçf, sur Tafíaire de pensée de Lévinas. logique»à paçtir de l'autrement qu'être^ de sorte que le mouve-
Dans l'histoire déjà longue de sa réception, on a'jd'abord (plus ment^même de transgresser l'essence puisse aussi rendre,raison de
exactement au moment,*tardif d'ailleurs,dans les années 1970, de la présence et de sa permanence dans l'essenceM(o«j/¿í). La défaite
la reconnaissance publique),privilégié la problématique éthique : de FêtTre n'aboutirait alors pas à sa disparition, mais à =sa reprise.
lasiace d'autrui, l'infini hors totalité, la différence de l'absolu. Laqùelle ?
Lecturç légitime sans doute, inévitable sûrement, mais rapide­ Cette indécision, du moins, pour« noüs, rejoint finalement
ment» apparue inadéquate. D'abord parce que Lévinas n'a jamais l-'ambiguïté de la que,stion de la phénoménalité en général,, ou
tenté-d'écrire une éthique, mais de décrire«ce qui rend possible plutôt de la manifestation des phénomènes décrits par l'entre­
l'éthique, elle-même. Ensuite parce que la (quasi-)réduction qui prise phénoménologique tout entière, de Lévinas. Comment
mène au fait de la raison éthique, la responsabilité iilconditionnée devons-nous entendre en, effet le titre, qu'il confère en propre au
envers autrui, ne permet justement pas d'accéder, du moins phénomène:? Ce flui se-propose dans l'évidence de l'Épiphanie
comme telle, à tel ou tel autrui, entendu comme "un individu et semble en fin de-compte revenir à l'effacement de la trace, de la
ne l'ambitionne peut-être jamais (sauf si l'on prend au sérieux;les trace comme effacement de la présence,-tant celle d'autrui .que de
évocations*de l'amour dans la période ultime). A fortiori, jamais Dieu, du.visage que de l'infini. Aboutissons-nous à une'extinction
VI Carnets de captivité Préface générale VII

de la visibilité ou à son accompli^ment "dans l'évidence, à un seront respectés, chaque fois que Lévinas s'y est engagé lui-même
salùt du phénomène dans la lumière de l'infini hors totalité Ou à sans ambiguïté. Mais d'autres recueils plus arbitraires pourront être
son humiliation dans l'absence, à moins qu'il ne s'agisse-de notre démantelés pour replacer leurs composants dans l'ordre chronolo­
. humiliation devant l'insoutenable éclat de ce qui nous advient gique. On pourra aussi recourir exceptionnellement à une double
sans se soumettre à notre intentionnalité ?- publication du même article : d'abord dans le volume où chrono-
D'autres questions, aussi décisives, pourraient s'ajoufter à cette logiquemènt et conceptuellement il est requis (ainsi « L'ontologie
première recensión elf, sans aucun doute, les travaujf à venir en est-elïe fondamentale ? » pour Totalité et Infini), ensuite dans le
dégageront encore de nouvelles, peut-être plus rèdoutables. Mais recueil validé par Lévinas (ici Entre Grasset, 1991).
cela suppose une appréhension de l'œuvre dans sa totalité. Une L'édition tiendra évidemment compte des inédits, tout en
totalité dont la découverte d'une masse considérable et erfcore sachant qù'ils ne seront pas tous immédiatement accessibles,
inexploitée d'inédits rerld l'abord encore plus délicat. Nous avons puisque leur classement dans le dépôt qui a été fait à l'IMEC n'est
donc le devoir;-mais aussi le besoin, de ne pas laisser ces'textes'trop pas achevé (bien que leur numérisation le soit). Ces inédits seront
longtemps satis les rassembler dans une édition d'Œuvres complètes. édités dans une section spéciale, dont Ifes volumes seront publiés
Sans-Ce préalable, qui sans aucun-doute exigera» du temps et la soit avant (par exemple pour íes Carnets de captivité), soit après la
collaboration de- tous les connaisseurs sérieux de l'œuvre, -l'in­ reprise des ouvrages publiés du .vivant de Lévinas, en au moins
terprétation de Lévinas restera longtemps partielle, donc insuffi­ trois volumes.
sante, et risquerait de sombrer dans l'arbitraire et les polémiques Sous réserve'de l'accord final des éditeuts de l'œuvre anthume,
sans autre objet que l'idéologie. l'édition des textes publiés du vivant et Sous l'autorité directe de
Un-comité scientifique en charge de ce travail (constitué de Levirias se fera en les regroüpant .selon un ordre à la fois chronolo­
Miguel Abertsour, Rodolphe-Câlin, Bernhardt Gasper, Catherine gique, mais également, quand il sera plus expédient', thématique
Chalier, Michel Deguy;Marc B. Delaunay, Marc Faessler, Giovanni (ainsi polir les écrits."de critique littéraire, les Leçons talmudiques et
Ferretti, -Miguel.<jarcia-Bíró, Kevin Hart, Jean-Luc Nancy, Guy les Entretiens).
Petitdemange, Claude Rbmano et coordonné par Jean-Luc Marion) Chacun de ces volumes sera composé (sur le modèle de l'édi­
s'est attaché à commencer -le travail; Il a posé, en -accord avec tion des Husserliana à Leuven) de deux types de textes : d'abord
l'exécuteur testamentaire (Michael Lévinas), avec l'IMEC (Olivier les textes publiés par Emmanuel Lévinas, ensuite le dossier des
Corpet et Nathalie Léger) et les Éditions Grasset (Bernard-Henri articles et des' conférences préparatoires, des recensions contem­
Lévy et Olivier NOra) Ies-príncipes d'édition suivants. poraines et des inédits pouvant concerner l'époque et laiquestion,
L'édition devra, autant que possible, suivre et, quand ce seta à titre ÒÌAnnexes et dotuments..
nécessaire",'rétablir un ordre chronologique des publications..Màis L'édition de chaque volume sera- confiée à un ou plusieurs
comme certains livtes ont été, lors de leurs rééditions du vivant responsàble(s), choisi(s) chaque ibis par le comité scientifique, et
de Leviñas, augmentés de textes plus récents, de sorte -qu'ils ^ont qui valide(nt) le manuscrit final.
devenus des recueils composites (par exemple En découvrant l'exis­
tence...), et comme "Lévinas a organisé ou cautionné des recueils Jean-Luc Marion
comprenaiifparfois des-textes d'époques très tlifférehtes (ainsi Entre
nous), ces choix, bien qu'ils Tompent avec le principe chronologique.
vili Carnets de captivité

Le plan général des Œuvres se- présente^ à l'automne 2009,


comme suit.

Section I. Les inédits.


Tome L Carnets de captivité Écrits sur la captivité Notes philosophi­
ques diverses. Responsables : Rodolphe Câlin et Catherine Chalier.
Tome IL Conférences inédites au collège philosophique de Jear\ Wahl
et autres textes. Responsables : Rodolphe Calm et Catherine Avertissement
Chalier.
Tome'III. Autres inédits.
Les inédits que nous présentons ici constituent le volume 1
Section 2. Les textes publiés par Emmanuel Lévinas de-la section « Les inédits » des Œuvres d'Emmanuel Lévinas. Ce
Tome IV. Philosophie 1. volume, pas plus que celui qui le suivra, n'entend, donner à lire
— ha Théorie de l'intuition dans la phénoménologie de Husserl, Alean, l'intégralité des nombreux iiiédits contenus dans le fonds d'ar­
1930 (avec les compléments). chives Emmanuel Lévinas en dépôt conservatoire à «l'Imec. Il
— De l'évasion (repris de la Revue philosophique, 1935), augmenté opère donc un choix, qu'il importe pour commencer de justifier.
des articles de.la période. Composé principalement de fragments rédigés entre le milieu des
— De l'existence à l'existant, éditions de la revUe Fontaine, 1947, années 1930 et la première moitié des années. I960, le présent
repris par J. Vrin, 1947 et 1981. volume obéit à deux critères : un critère temporel et un critère
— « Le Temps et l'Autre », in Jean Wahl (éd.). Cahiers du Collège stylistique.
Philosophique, Arthaud, 1947. Critère temporel, plus que chronologique, car il contient
— En découvrant'l'existence avec Husserl et Heidegger, J. Vrin, 1949, une. partie des inédits couvrant la période allant de la fin des
années 1930 au début des années I960 (la plupart ayant été écrits
1967, 1974.
Tome V. Philosophie ^. avant I960), grosso modo, de De l'évasion (1935) à Totalité et Infini
— Totalité et Infini. Essai sur l'extériorité, M.'Nijhofif, 1961, suivi (196l)^ Autrement dit, les inédits antérieurs à cette périodé (en
d'un dossier.. réalité peu nombreux) n'y figurent pas. Le choix de cette période
— Autrement qu'être ou au-delà de l'essence, M. NijhofF, 1974, avec le n'a, rien d'arbitraire, qui concerne la longue phase intermé­
dossier des textes préparatoires. diaire entre le.premier essai d'Emmanuel Lévinas et sa première
— DeDieuquivientàl'idée,]. Vrin, 1982,'avecunensembledetextes. œuvre philosophique majeure. Or, pour être significative, cette
Tome VI. Judaïsme. Politique. Critique littéraire. période n'en est pas moins obscure. Certes, Lévinas a publié dans
Tome VII. Entretiens. Varia. cet intervalle des ouvrages importants :• De l'existence à l'existant
(1947), Le Temps et l'Autre (1948) et En découvrant l'existence avec
Il va sans dire que ce projet subira, à mesure de l'avancement
a. Sur la datation de ces notes, cf. notre notice sur les Notes philosophiques diverses.
de sa réalisation, des modifications.
10 Carnets de captivité Avertissement 11

Husserl et Heidegger (1949). Mais ces œuvres sont de la fin des le titre « Etudes », qui a pour theme 1 illéité, 1 autre, sans titre,
années 1940, et nous savons peu de chose sur son activité philo­ qui a pour thème la trace, la révélation et 1 enigme. « Études »,
sophique pendant les douze années qui ont précédé De l'existence à compris au sens de l'examen d'une question, qualifie parfaitement
l'existant et les douze années qui ont suivi En découvrant l'existence ce troisième type de notes.
avec Husserl et Heidegger. Lévinas publie fort peu entre 1935 et De ces trois types de notes. Notes diverses de philosophie en recherche.
1947, et peu d'écrits philosophiques entre 1949 et 1961, l'essen­ Notes préparatoires et Études, qui, d un point de vue genetique, n ont
tiel des écrits de cette seconde période portant sur le judaïsme. pas la même signification, nous avons, pour ce volume 1, retenu
C'est sur ces années de genèse que la plupart des inédits de ce le premier. Plus précisément, en suivant notre critère temporel,
volume lèvent en partie le voile. nous avons retenu les notes diverses qui relèvent de la période
Critère stylistique ensuite : il s'agit en effet, à l'exception de couverte par ce volume. Ce sont donc toutes les notes diverses de philo­
trois courts textes sur la captivité et d'un bref hommage à Bergson, sophie en recherche écrites entre le milieu des annees 1930 et le milieu des
d'écrits fragmentaires, plus précisément de notes, prises soit dans années 1960, que nous donnons à lire ici. Les Carnets de captivité, bien
des carnets, soit sur des feuillets isolés. Le présent volume n'in­ qu'ils constituent un ensemble distinct des liasses ou carnets ici
clut cependant pas toutes les notes de la période concernée, mais réunis sous le titre de Notes philosophiques diverses, et bien que leur •
seulement celles d'un certain type. Lévinas opère en effet plusieurs propos ne soit pas uniquement de l'ordre du discours philoso-,
subdivisions à l'intérieur de ses notes, et d'abord, il distingue ce phique, relèvent pour une large part de ce type de notes.
qu'il appelle les « notes diverses de philosophie en recherche » Outre que, comme notes, elles nous donnent à voir « la coulisse,
dés notes préparatoires à une œuvre (article, conférence ou livre). l'atelier, le laboratoire, le mécanisme intérieur », comme l'écrivait
Notes diverses de philosophie en recherche, c'est le titre donné à une Poe, à titre de notes de philosophie en recherche, de notes qui ne sont
liasse de fragments, les autres liasses ou carnets de fragments du pas préparatoires à une œuvre en particulier et- gui, pour cette
même type ne comportant pas de titre. Elles sont diverses parce raison, n'ont pas forcément trouvé d'écho dans l'œuvre publiée,
qu'elles abordent de multiples sujets ou questions, et notes, de ou qui n'y ont trouvé qu'un écho très éloigné, elles- révèlent les
philosophie en recherche dans la mesure où elles n'ont pas, ou du possibles de cette recherche ; il suffit de penser aux nombreuses
moins ri'indiquent pas, de destination précise. Comme exemple notes sur la métaphore qui témoignent d intenses reflexions en ce
du second type de notes, on peut mentionner l'ensemble intitulé domaine et dont l'œuvre publiée a conservé peu de traces. C'est
par Lévinas Notes Autrement qu'être, ou encore les « feuilles prépa­ pourquoi, bien qu'elles ne donnent a lire qu une partie des inédits
ratoires » de l'article « Le dire et le dit^ ». On peut enfin distin­ de cette période, elles nous offrent, sur elle, un irreinplaçable
guer de ces deux types de notes un troisième type, qui participe témoignage.
à laibis du premier, car il s'agit de notes qui ne sont pas prépara­
toires à une œuvre précise, et du second, en ce qu'elles possèdent Rodolphe Calest
une forte unité thématique, parce qu'elles traitent une même
question. Nous pensons en particulier à deux séries, l'une portant

À l'intérieur des notes préparatoires, Lévinas distingue les notes utilisées (par ex. « Fiches
Utilisées », titre d'une série de notes très vraisemblablement préparatoires à l'article « La substitu­
tion ») des notes inutilisées (par ex. : « Buber : notes inutilisées »).
Préface

Carnets de captivité

Écrits, pour l'essentiel, durant ses cinq années de captivité,


mais commencés en 1937 et poursuivis jusqu en 1950, composes
de notations sur des thèmes et des objets d apparence fort divers,
ces carnets 41e sont pas, comme on s y attendrait, seulement ni
même principalement l'œuvre d un philosophe. Ils sont aussi et
d'abord celle d'un romancier, du moins d'un écrivain qui n am­
bitionne pas seulement d'accomplir une œuvre philosophique,
mais tout autant - comme Sartre.? - une œuvre littéraire, plus
précisément, romanesque. Un fragment du Carnet 3 le dit sans
détour : « Mon œuvre à faire : Philosophique t -• •} Littéraire {«..)
Critique" » ; suivent, sous chaque rubrique, des titres ou l'itidica-
tioA de thèmes d'œuvres projetées. C'est de cette œuvre, dans sa
triple dimension, qu'il est question dans ces Carnets. C est dire que
les fragments qui les composent ne sont pas divers, voire disso­
nants parce qu'ils aborderaient de multiples sujets, mais d abord
parce qu'ils parlent sur dès modes très différents.
Et cependant, malgré cette diversité, ils forment un tout. Que
Lévinas ait jugé bon d'y consigner encore, durant les années de
l'immédiat'après-guerre, fut-ce, sur 'deux pages par année, des

a. Carnet 3, p. 32. Toutes les références aux Carnets de captivité sont données suivant la pagina­
tion du manuscrit, indiquée entre crochfts obliques dans notre transcription.
14 Carnets de captivité Préfaçe 15

notations, qui n'eussent pas trouvé ailleurs leur place, suffirait à ment question - que Lévinas, dans les Carnets, projetait d'écrire,
l'attester. Or, ce qui donne à ces Carnets leur unité, c'est la captivité et qu'il y a déjà en grande partie esquissé. Ce roman se contente
elle-même. Non-pas seulement à titre de situation dans laquelle ils seulement, semble-t-il, de changer'de titre, puisque Triste opulence
furent, pour l'essentiel, écrits, ou dont ils nous feraient le récit au devient Erof.'
jour le jour. Un tel récit en est absent, et des épisodes, des situa­ Or, le thème de ce roman, c'est la débâcle et la captivité elles-
tions vécus, lorsqu'ils sont évoqués, le sont souvent de manière très mêmes''. Eros (?) commence en effet en mai 1940, au moment
épurée ; ainsi cette scène au cours du travail quotidien en forêt : où PauL Rondeau, interprète militaire, part pour le front'. Il se
« La méchanceté - deux équipes scient. W. est engueulé - Il est poursuit pendant la captivité, à Rennes d'abord, en Allemagne
dépité - mais demain son dépit passera. - Lui dire les méchancetés ensuite^, et s'achève, si l'on peut dire, parle retour, après cinq ans
dès aujourd'hui. Demain ce sera trop tard'' ». C'est d'une manière de captivité, du héros. (Le nom de ce dernier est d'ailleurs indécis.
moins triviale ou moins évidente que la captivité unifie le propos De Paul Rondeau, il n'est plus question pendant la période de
des pensées ici rassemblées. C'est au sens où elle entre en résonance, captivité', sans que l'on sache qui, des personnages de cette partie
parfois très forte, avec les trois types d'écriture - philosophique, du roman, le remplace ; ensuite, c'est un personnage appelé Jean-
critique et romanesque - que mêlent ces Carnets, dont elle devient, Paul, qui n.'apparaissait pas jusqu'ici, qu'on voit, après cinq années
pour cette.raison, parfois le thème explicite. de captivité, descendre le perron de la gare du Nord, auquel
Commençons par l'écriture littéraire. .L'ambition de devenir succède, mystérieusement, dans les dernières pages du manuscrit,
romancier n'aura pas habité Lévinas uniquement pendant les
années de guerre, c'est-à-dire ces années où son oeuvre de philo­
sophe est encore inchoative, .mais, ce qui est plus significatif, au a. Letitre de ce roman n'est pas certain. Il ne figure en effet que sur4e feuillet cartonné plié en
deux à l'intérieur duquel se trouvent le cahier et les feuillets volants {cf. la précédente note). Or,
moins jusqu'au début des années I960, au moment où il publie
certains feuillets au verso desquels Lévinas a écrit son roman sont des manuscrits philosophiques
Totalité et Infini, dans lequel sa-philosophie trouve, une »première portant notamment sur l'erw, theme important, oriTle^ait, de l'œuvre lévinassiènne. On ne peut
exposition complete. On lit en effet dans les archives Lévinas deux exclure que ce feuillet cartonné ait servi, lors d'une première utilisation, à ranger un manuscrit
philosophique sur l'eros. Une^utre raison peut être avancée ; si l'eros, pluç précisément ici, l'éro-
romans inachevés, le premier intitulé La Uamede chei Wepler, le tisme, sont une dimension importante du roman, il n'en est pas, du moins nous a-t-il semblé, le
second. Eros. C'est le second tqui nous retiendra ici. Eros, dont coeur. C'jst pourquoi, si rien ne nous autorise à attribuer à ce romaji qui n'est autre que celui qui
s'esquisse à maintes reprises dans les Carnets, le titre qu'il reçoit dans ces derniers, a savoir Triste
on peut approximativement dater au moins 4'une des campa­ opulence - Lévinas âyant évidemment pu changer de titre entre-temps -, rien ne nous interdit de
gnes d'écriture'" -est iien en efifet le romaa- - ou du moins l'un mettre en doute le titre Eros. Par conséquent, chaque fois qu'il en sera question, dans notre pré-
des xomans, mais il est vrai, celui dont il est le plus fréquem- fece comme dans les notes d'édition, nous le ferons suivre d'un point d'interrogation placé entre
parenthèses.
b. La Dame de chez Wepler se passe également pendant la guerre (l'action se situe précisément
a. Carnet 2, p. 19. à la fin du-mois de mai 1940), mais celle-ci n'en constitue pas le thème central ; il y est question
b. Le roman est écrit d abord sur un cahier d'écolier dont les dernières pages sont laissées de l'obsession du héros pour une prostituée aperçue trois ans plus tôt, dans le hall de l'hôtel
vierges et repris ensuite au verso dé morceaux de feuillets volants^(souvent des imprimés datant du Georges V, et qu^il n'a pas osé approcher, parce qu'il n'a pu à ce moment-là, lit-on, « se détacher
début des années I960), feuillets qui ne se suivent pas toujours. S'il est difficile d^ dater l'écriture du monde des responsabilités ». Sans être du tout un roman « érotique », ce roman aborde, dans
sur cahier —^il s agit d un cahier de mauvaise qualité qui pourrait être ancien ou avoir très rapide­ des descriptions qui ne surprendront pas le lecteur de Lévinas, « l'abîme, y lit-on, qui sépare le
ment vieilli -, certains éléments nous conduisent à penser que' ce rôman a connu au moini deux respect du sexilel ».
campagnes d'écriture, et qu'un temps relativement long s'est écoulé entre elles. C'est le fait, d'une c. C'est la première partie du roman que l'on peut lire sur le cahier d'écolier. La suite se trouve
part, que Lévinas a changé de support d'écriture, cependant que toutes les pages du cahier n'ont sur les feuillets volants (cf. les deux avant-dernières notes).
pas été utilisées, et, d'autre part, que la première phrase que l'on peut lire sur le premier feuillet d. Rennes où Lévinas commença sa captivité, l'Allemagne où, après avoir connu d'autres camps
volant prend, nous a-t-il semblé, trop ostensiblement l'immédiate suite du cahier. de prisonniers en France, il la poursuivit et l'acheva. Cf infra notice sur les Carnets de captivité.
16 Carnets de captivité Préface 17

un personnage .nommé Jules^) Que ces Carnets rédigés pendant la tombent dans ma scène d'Alençon concernent aussi les choses. Les
captivité soient notamment le lieu d'élaboration d'un roman sur choses" se décomposent, perdent leur sens : les forêts deviennent
la captivité mérite que l'on s'y, attarde. Cela signifie en effet que arbres - tout ce que signifiait forêt dans la littérature française -
la captivité n'y est pas seulement réelle, mais également d.'em- disparaît. Décomposition ultérieure des éléments - des bouts de
blée fictionnelle, et que si LeVinas, n'entend pas en faire le récit bois qui restent après-le départ du cirque ou sur la scène - le trône
objectif, c'est parce qu'il entend dès l'abord en écrire le roman''. est un bout de bois, les bijoux des morceaux de verre, etc. Mais
Sans doute'est-ce làJ'aspect le plus frappant et le plus troublant je .ne veux pas simplement parler de la fin des illusions ; mais
de ces Carnets, que des personnes réelles avec qui Lévinas a partagé plutôt de la fin, du-sens. {Le sens lui-même comme une illusiop.}
cette captivité et des scènes de vie captive y soient, dans le même [...] Creuser, cette idée de la "perte de sens" par les choses. Et
temps, des'personnages et des situations d'un roman sur la capti­ la solitude qui en résulte. ». Mais cette chute signifie enfin, plus
vités Que la dure réalité de la captivité y soit dès le début tenue radicalement encore, foperte de toute.stabilité, de.toute substan-
à distance, déréalisée pour devenir cèlle du roman. Mais cette ti^lité : ce n'est plus seulement, soulignera Eros (?), comme lors de
déréalisatiçn n'a rien d'accidentel, comme on le voit si l'on veut la première guerre mondiale, les personnes et les choses qui sont
bien se pencher, un instant, sur l'expérience qui est au cœui du anéanties, mais l'espace lui-même ; autrement dit, ce n'est plus
roman, et que décrivent déjà de nombreux fragments des Carnets seulement, comme l'affirmait De l'évasion en 1935, auquel semble
de ce qui s'intitule encore Triste opulence. penser Lévinas dans les premières pages de son roman, « l'être du
Cette expérience, c'est la défaite de la France, ou, selon l'image moi que la guerre et l'^près-guerre^iious ont permis de coiinaître »
récurrente dans le roman, la chute de la draperie, c'est-à-dire de qui «»sç geht, dans tous les sens du terme, mobilisable^ » -, c'est
l'officiel. Cette cassure du monde de l'officiel, ou plutôt du monde Tespîaçe. qui n'offre plus aucuUiSLppui, qui devient meuble, qui
en tant que, souligne Lévinas, il comporte toujours de l'officiel, est perdíon ordre et sa continuité. La défaite dç la France —.de cette
la situation, précise-t-il, non pas « du renversement des valeurs « imrpense stabilité«» dit Eros (?) —, la chute de la'draperie, c est
du changement -d'autorité - mais de la nudité humaine la chute mêmè de-la-réalité, c'estia réalité, perdant subitement sa
de l'absence d'autorité'' ». Cette situation fut certes décrite par consistance, ,sa substantialité,.sa stabilité mêmes.
d autres témoins de la débâcle. Mais elle prend 'chez Lévinas C',est dans ce monde qui a perdu ses objets, ou dont les objets
de nouvelles dimensioris et une signification plus radicale. Cet onj; perdu leurs formes et se décomposent, c'esf-à-dife retour­
anéantissement de la patrie gagne aussi les choses elles-mêmes, nent .dans l'élémental,-ce monde qui n'offre plus aucune base,
et, au bout du compte, signifie la fin du sens : « Les draperies qui aucun appui, bref, selon l'expression de De l'existence à l'existant,
ce « monde cassé », que se déroule la captivité. Lune des 'scènes
sigoificatives de la seconde partie du roman, qui justifie peut-ßtre
a. Même hésitation dans La Dame de chez Wepler. Lors d'une campagne de corrections, Lévinas
a écrit « M. Simon » à la plume en surcharge de la première occurrence de « Roland Ribérat » le tìtre.quij apparemment, lui sera finalement donné, mérit&d'être
(écrit, comme la quasi-totalité du roman, au crayon à papier) — les autres occurrences ne sont pas mentionnée. La vue, par les prisonniers .serrés dans la remorque
corrigées.
d'un camion, d'unepaire de bas séchant dans une maison où habi­
b. En 1955, Lévinas écrivait, à propos du récit de Zvikalitz, Yossel Rakover s'adresse à Dieu, qui
se présente comme le témoignage d'un combattant du ghetto de Varsovie, mais qui est en réalité tent des Allemandes appartenant à l'armée, ou d'une femme se
une fiction : « Nous venons de lire un texte beau et vrai, vrai comme seule la fiction peut l'être »,
Difficile liberté, Paris, Albin Michel, 1976, p. 189.
c. Page 1 du bifeuillet inséré dans le Carnet 5. a. De l'évasion [1935}, Montpellier, Hata Morgana, 1982, p. 70.
18 Carnets de captivité Préface 19

peignant devant uné'feflêtre, donñe lieu à des développements qui tout en étant dans le réel est au-delà du réel^ », notion sur
sur l'érotismiS däns lequel", dit Letinas, l'anatomie perd sa finalité laquelle reviennent à plusieurs reprises les Carnets, notamment
biologiqué pour retourner-à « sa massivité de chàir », et les objets au-contact d'Edgar Poe, s'impose ici incontestablement. Et* ce,
— par exemple le'pèigné — n'ont'« plus'rien de leur cKaste essence d'autant que- le fantastique y est reconnu Comme le ressort du
d'ustensiles », c'est-à-dire ont perdu leur finalité, et, dans cette style descriptif du roman tel que le conçoirLevinas ; "dans un frag­
mesure, leüf-sens. D'une autre manière, un passage des Carnets ment- où il détaille ses procédés littéraires, Lévinas écrit notam­
souligne cettê" irréalité d'un monde dans lequel ne-se rencontre ment : « La situation réelle est décrite sobrement. {On y accède
plus rien de substantiel, qui est celui de la captivité ì ^<vPhantomes à travers une porte largement ouverte.} Mais une petite image
- ils accomplissent les gestes dans la réalité sans réalité - non finale, sur laquelle il ne convient jamais d'insister, {comme un
seulement absence d'objets mais absence de progrès, d'accomplis- vasistas qu'on entrouvre pour un instant}, y fait {circuler} comme
semênt. 'L'année de captivité - les gestes quotidiens sont cela\ » un courant d'air rapide du fantastique. Toute la "situation réelle"
Il est vrai que la captivité n'apparaît pas seulement à Lévinas apparaît au-dessus d'un- précipice. » La captivité apparaît <lans
comme un en-deçà du réel, mais aussi, comme un au-delà : « Le ces Carnets comme la situation fantastique par excellence, et les
prisonnier, écrit-il dans Captivité, comme un croyant, vivait dans Carnets ne sont dès lors fien d'autre qu'un roman fantastique de
l'au-delà. Il n'a jamais pris au sérieux le cadre étroit de sa vie. la captivité.
Pendant cinq ans, malgré son installation, il était sur le point de
partir. Les réalités les plus solides qui l'entouraient portaient le Il ne sera pas nécessaire d'insister autant sur- les» passages
cachet du provisoire. Il se sentait engagé dans "un jeu qui dépas­ philosophiques des Carnets, qui surprendront moins Ife lecteur
sait infiniment ce monde d'apparences. Son vrai destín,- son'vrai de Lévinas. Concernant l'ëcho qu'est susceptible d'y rencontrer
salut se faisaient ailleurs. Dans le communiqué. C'étaient des la captivité comme épreuve même de la cassure du monde, on
événements à l'échelle cosmique''. » C'est là une autre dimension rappellera que c'est sur le thème du « monde cassé » que s'ouvre
de cette captivité, qui mériterait que l'on s'y a'ttardât également, le premier chapitre de De l'existence à /'ex/j/áfwí,. ouvrage qui fut
parce qu'elle revient à'dire qu'au fond, l'évasion, cette sortie de justement rédigé en grande partie en captivité, commele précise
l'être dont parlait Lévinas dans De l'évasion, dfest paradoxalement son avant-propos, rédaction dont les Carnets coiltiennent de
la captivité qui l'accomplit. Il reste que cet'au-delà ne se produit nombreuses traces.-C'est ce thème du monde tassé, qui, à titre de
qu'à la faveur de l'interruption ou de la cassure del'ordre du téel, moment limite, révèle le fait même de l'être, ou encore Y il y a,
ou plutôt du réel comme ordre. notion centrale dans les'premiers écrits de Lévinas, véritable point
Qu'elle nous situe en deçà ou au-delà du réel, la captivité mani­ de départ de sa réflexion. « Dans la situation de la fin du monde se
feste ainsi d'abord son aptitude à devenir « réalité » fictionnelle ou pose la relation première qui nous rattache àl'être''. » Il est donc à
romanesque. La notion du fantastique, c'est-à-dire, d'une « réalité peine besoin de souligner que la captivité^ bien qu'elle ne soit pas,
mis à part dans l'avant-propos, évoquée dans cet ouvrage, fût-ce à
a. Carnet 4, p. 60. Eros (?) se fera l'écho de ce passage : exprimant le sentiment qu'éprouve
titre d'exemple, entre en résonance avec la pensée qui s'y déploie.
Jean-Paul en arrivant à Paris, Lévinas écrit : « Les choses se dessinaient dans leur stabilité impas­
sible après ces vagabondages sans nombre en Allemagne où aucun paysage n'avait eu de réalité
véritable... » a. Carnet 6, p. 3.
h.Infrapp. 153-154. b. De l'existence à l'existant [1947], Paris, Vrin, 1978, p. 26.
20 Carnets de captivité Préface 21

On peut d'ailleurs mentionner, le fait que l'une des chemises bien d'en voir la genèse. Il ne faut donc pas y chercher ce qu'on
dans lesquelles se trou'^ent rangés quelques feuillets manuscrits ne saurait y trouver. On lira malgré cela avec intérêt les quelques
préparatoires à De l'existence à l'existant contenus daiis les'archives passages des Carnets qui portent la trace de développements que
Lévinas porte simplement le-titre de.« moude caSsé,», attestant les manuscrits de De l'existence à'l'existant consacrent-à la tempo­
ainsi l'importance, voire le caractère central d'un thème qui, à lire ralité comme drame-s'accomplissant en plusieurs temps, et aux
le début,du premier chapitre de De l'existence à l'existant, pourrait notions de symbole £t d'accomplissement qui s'y rattachent, mais
dbnner l'imJiressiQn de seryir de simple amorce,à l'élucidation du qui n'ont pas été retenus par Lévinas dans le livre publié.
fait même"de l'exister;iCe qui alors devient significatif, c'est le fait Un second aspect mérite d'être noté. Il concerne le rapport
que Lévinas, durant les années de guerre, aura tenté de décliner-à entre judaïsme et philosophie, plus particulièrement le souci de
la fois dans, l!éci-iture philosophique et dans l'écriture romanesque faire apparaître le judaïsme comme une catégorie de>l'être. Il faut
une même expérience de la cassure du monde. Qu'il y soit finale­ d'autant plus, y insister que la captivité dont nous parle Lévinas
ment parvenu en philosophe atteste-sans doute qu'avoir quelque est d'abord celle du prisonnier juif. C'est en effet un « . roman
chose à dire exige encore de lui trouver un langage approprié mais j <uif>® sur la captivité''... » qu'entend écrire Lévinas, et peutrêtre
cela ne doit pas faire négliger les tentatives littéraires, ni, surtout, pense-t-il alors à Triste opulence ; de même, les écrits sur la captivité
le concert qu'elles forment avec le propos philosophique. Car la qu'on'f)Ourra lire, ici,*à la suite des Carnets de captivité, envisagent
chose à dire en question s'enrichit incontestablement du fait de d'abord la captivité du prisonnier.israélite. C'est à ce titre que la
se trouver mêlée à des. tentatives romanesques qui en fournissent captivité devient, ep un sens, le thème^"ùon plus seulement des
l'illustration, ce qui n'étonnera pas chez un penseur soucieux de fragments romanesques, mais aiissides fragments philosophiques
ne jamais-dissocier un concept - ici celui de monde cassé et donc des Carnets de captivité.
d'il y a—,àes situations concrètes qui l'illustrent - ici la,capti- Lévinas avait montré, dans -des" écrits d'avant^guerre, que
vité.-, au, motif,que la recherche de la .«.rondition des situations l'épréuve de l'hitlérisme imposait ^Uf juif le sentimetìt -d'être
empiriques», doit laisser«" aux, développements dits empiriques « iríéluctablement rivé à son judaïsme'^ ». C'est également le senti­
où"la possibilité conditionnante s'accomplit — [...] à la concréti­ ment» qu'éprouvera le prisonnier juif : « Parqué dans des bara­
sation — un rôle ontologique qui précise le sens de la possibilité ques ou dans des-¡commandos spéciaux, tenu pour y échapper à se
fondamentale, sens iavisible dans .cette condition" ». camoufler sous une fausse identité — le prisonnier Israélite retrouva
Au sujet du contenu des fragments,philosopjiiques ds.^,Carnets brusquement son identité d'israélite\ >v Or, ce qui ressort des
de captivité, on soulignera deux, aspects. Les Carnets témoignent Carnets 'de captivité, c'est que cette identité retrouvée de manière si
évidemment de la genèse de De l'existence'à l'existant : une majo­ dramàtique est une situation dont il- faut partir pour philosopher, :
rité des fragments philosophiques qu'ils contiennent en abordent il faut,considérer le, judaïsme ou l'être-juif comme une catégorie
les thèmes essentiels. Toutefois, les Carnets ne sont pas le lieu
où cette œuvre s'élabore principalement, et ils n'offrent rien de a. Lévinas n'écrit ici que l'initiale du mot « juif », comme du giqt « judaïsme » en d'autres
passages des Carnets,afin, peut-être, de se protéger au cas où ses carnets auraient été découverts par
comparable aux nombreuses pages manuscrites de De l'existence à les autorités des camps où il était prisonnier.
l'existant qu'on peut lire dans les archives, et qui permettent assez b. Page 5 du Carnet 7a inséré dans le Carnet 7.
c. « L'inspiration religieuse de l'Alliance », Vaix et Droit, organe de l'Alliance israélite univer­
selle, n®»Ô, oct. 1935, p-4.
a. Totalité et Infini. Essai sur l'extériorité^ La Haye, NijhofF, 1961, p. 148. d. La Spiritualitéchez le prisonnier israélite, infra p. 205.
22 Carnets de captivité Préface 23

ontologique. Deux fragments, qui se suivent presque immédia­ qui est d'emblée fils de Dieu et qui ne se pose que dans la filialité".
tement, le disent, de façon laconique mais néanmoins très claire : Quoi qu'il en soit des questions soulevées par la « concurrence »
« partir du Dasein oû partir'du J<udaïsme> »•, «J<udaïsme> de ces deux points de départ, le « je » et « l'être-juif »•, que nous ne
comme catégtDrie" ». C'est cela que, dans les Carnets, Lévinas oppose pouvons aborder ici, on voit que le fait de considérer le judaïsme
à Heidegger, non pas-seulement le Heidegger qui adhéra au patti comme catégorie ontologique, revient à faire du judaïsme le lieu
nazi, mais aussi et d'abord le pefaseur de l'être. Cette opposition d'.une nouvelle interprétation de l'homme et de sa subjectivité. Et
de l'être-juif et du Dasein, plus .précisément, ce souci, de faire de c'est bien ce qui est en jeu aussi dans ces Carnets et qui se cherche,
l'être-juifle point de départ de l'ontologie, au moment même où par exemple, aucontact, non d'un philosophe, mais d'un écrivain,
Lévinas rédige De l'existence à l'existant, est fort significative*. Il faut, Léon Bloy :« « Exemple de ce qu'est le christianisme dans l'inter­
en effet,, selon la.philosophie.de De l'existence à l'existant', déduire prétation de l'humanité deJ'homme. Tout l'homme est logé dans
la signification de l'étant, plus précisément de l'homme ou du je, les catégories-du catholicisme. Mais tandis que nous autres nous
dans l'être ; ce qui revient à partir du « je suis » et non plus du restons à'ia surface de ces catégories, lui [L. Bloy} en dégage le
« Dasein », car ce dernier est d'emblée défini comme compréhen­ sens de feu erde sang, ce sens mystique et transcendant, et il loge
sion de l'être et, à ce titre, se trouve non pas déduit, mais posé tout ce quiïest humain à ce niveau des catégories — Même,travail à
« simplement à côté de l'être par une distinction'' », celle de l'être entreprendre pour le J<udaïsme>''. »-
et de l'étant^ Préalable au mouvement de la compréhension de
l'être par le Dasein est le mouvement par lequel le « je » se pose C'est d'une manière en apparence plus extérieure que nous
dans l'être, exerce sa maîtrise sur Pêtre et ainsi peut dire « je suis ». évoquerons la captivité en abordant pour terminer le troisième
Faire du judaïsme une catégorie ontologique, cela suppose dès type d'écriture à l'œuvre dans*ces Carnets, à savoir la critique litté­
lors, en un sens, de faire aussi pour l'être-juif ou le « je suis, juif » raire. Cela ne signifie pas qu'e la captivité ne soit pas intimement
ce que De l'existence à l'existant fera pour le « je Suis » en général, à mêlée aux considérations sur la littérature, car l'insistance sur son
savoir d'en déduire la signification à partinde l'économie ou de la caractère, fantastique.s'éclaire* aussi à partir des divers fragments
totalité de l'être, déduction par laquelle justement ¿1 pourra appa­ dans lesquels'Lévinas, notamment au contact de Poe ou de Pouch­
raître comme catégorie ontologique et servir de'point de départ à kine, thématise la notion même du fantastique ; mais elle constitue
la pensée, d alternative possible au Dasein. X2es deux déductions d'abord un lieu et une période qui, étonnamment, furent propices
n'ont toutefois pas la même signification-: partir de l'être-juif ce à Ja-lecture et à l'étude : « Toute cette-captivité - avec-les longs
n'est pas, comme dans De l'-existence à l'existant, partir d'un « je loisirs qu'elle a procurés, les lectures qu'on n'aurait jamais faites
suis » compris comme commencement et liberté, pure référence
à soi-même (fût-elle aussitôt -reconnue .comme un 'enfermement Carnet 7, p. 25.
b. Carnet 6, p' 5. Cette critique de Heidegger à partir du judaïsme qui se formule dans les
en soi-même), c'est partir d'un « je » d'emblée compris à partir Carnets dexaptivité rie va pourtant pas sans difficulté, comme le souligne la note 20 appartenant à
du passé de la création et de l'élection, autrement dit, d'un*« je » la liasse D des ilotes philosophiques diverses, note difficile à dater mais san^ doute largement posté­
rieure aux Carnets de captivité : « Heidegger - prolongement de la pensée grecque - Lui opposer
le judaïsme ? Mais sa pensée est entièrement christianisée. Löwith lui oppose le monde grecque
a. Carnet 3, p. 35. {grec}. Mais Heidegger se dit prolongement de la pensée grecque. Quels que soient les concepts à
h. De l'existence à l'existant, op. cit., p. 141. l'aide desquels on voudrait discuter avec Heidegger, Heidegger les dénoncerait comme dépourvus
c. Sur la critique de l'existence comme compréhension chez Heidegger, infra également, de pensée parce que encore non révisés à la lumière de sa pensée. - Ce qu'il faut, c'est un point de
Carnet 7, pp. 38-39.
vue nouveau. »
24 Carnets de captivité Préface 25

- comme une période de collège où les hommes mûrs se trouvent, l'Autre. Mais c'est également le sens bloisien de la transcendance
où l'exercice devient l'essentiel, où l'on découvre qu'il y avait beau­ du mystère que,recèlent les situations empiriques- la relation avec
coup de choses superflues — dans les relations,, dans la nourriture, là Femme est l'une'd'elles —, de la transcendance comprise comme
dans les occupations. La vie normale pourrait donc elle-même être ce, qui échappe à la lumière — c'est-à-dire à la conscience et à la
organisée-autrement. La crise de notre vie d'avant-guerre appa­ connaissance qui ne se produisent jamais autrement-que comme
raît dans eette simplicité^. » Les camps de prisonniers pouvaient immanence, transcendance qui, à ee titre, interrompt le système
comporter d'abondantes bibliothèques où les prisonniers avaient la conformément auquel s'accomplit la pensée philosophique J- qu'il
possibilité d',occuper leurs maigres loisirs''. Lévinas, astreint pour­ souligne. « Chez Léon Bloy "Lettres à sa fiancéfe", 1889-1890. Pas
tant, comme les autres prisonniers juifs, à des travaux parmi les de système. Mais les ".catégories des professeurs" sont remplacées
plus pénibles de ceux qui furent imposés aux prisonniers, trouvait par ia transcendance même de. l'ordre-du mystère. Et. cet ordre
les ressources* pour y occuper les siens — c'est-à-dire pour y pour­ du,mystère auquel sont ramenées Tes situations trontrètes — n'est
suivre son œuvre multiforme. L'exigence d'avoir une œuvre à faire là' ^ ne se justifie que .par cette admiration „ jusqu'aux larmes
l'habite profondément, comme le montre ce fragment où il parle, du mystère^. » C'est chez Bloy, sató doute,, que Lévinas voit se
simplement, de son « envie » pour ceux « qui n'ont pas l'inquié^ - produire de façon privilégiée la conjonction^u souci, tout « litté­
tude du temps perdu comme moi ; le souci d'une œuvre"^ ». C'est raire », pour les,descriptions de .situations concrètes, et de .l'at­
là qu'il fait d'abondantes lectures et qu'il lit, pour la première fois, tention, « religieuse », à la transcendance, conjonction qui fera le
ainsi qu'il l'écrit à sa femme, Raïssa, La Divine Comédie de Dante, style même de la pensée levinassienne, et qui, surtout, la rendra
ou encore le Roland furieux de l'Arioste dont les Carnets de captivité capable de produire une intelligibilité « philosophique » nouvelle.
parlent assez précisément à plusieurs reprises. Si la Phénoménologie C'est, en pairticulier, à partir de.cette conjonction que la situation
de l'esprit de Hegel constitue sa principale lecture philosophique; concrète de la captivité, toute chargée de transcendance (puisque,
les lectures littéraires sont en revanche extrêmement variées. De ces nous'l'avons rappelé plus haut, elle fut ressentie aussi eomme^une
multiples lectures ou relectures, et des réflexions qu'elles suscitent, vie dans rau-delà)i,devientj comme ce qui précède- cherchait à le
parfois sur le vif, il faut évidemment mentionner celle de Proust, le montrer, un thème insigne de cette pensée.
« poète du social », sur lequel Lévinas à l'époque projette l'écriture
d'un essai {cf. Carnet 3, p. 32), qui paraîtra en 1947 dans Deuca­
lion, et qui s'esquisse dans les Carnets. On retiendra également" la Écrits sur la captivité
lecture des Lettres à sa fiancée de L. Bloy, importante ne serait-ce
que par l'abondance des citations de ces lettres dans le Carnet 6. C'est précisément, ce thème que plusieurs articles de Lévinas
C'est évidemment, chez Bloy, la conception de la Femme (Lévinas datant de 5on retour de captivité aborderont à nouveau, mais pour
dira du féminin) qui intéresse Lévinas, conception à laquelle il se mettre l'accent sut l'intense souffrance des prisonniers des'stalags
référera d'ailleurs, explicitement, mais en passant, dans Le Temps et et des oflags. La pudeur préside à leur écriture tant la difficulté
était' grande, au lendemain de la guerre, d'oser évoquer sa propre
a. Carnet 2, p. 23. souffrance face à .celle subie par d'autres, de façon incommen-
b. Cf. Y. Durand, Prisonniers de guerre dans les stalags, les oflags et les kommandos, 1959-1943»
Paris, Hachette Littérature [1987}, 1994, pp. 186-187.
c. Carnet 2, p. 50. a. Carnet 6, pp. 4-5.
26 Carnets de captivité Préface 27

surablement plus terrible, dans tes camps d'extermination. On les nouvelles qu'iis recevaientdes déportations de leurs proches et
sait d'ailleurs que le. sentiment'-d'humiliatioti et de.défaite rendit de leurs amis soudain partis sans laisser d'adresse », les firent en
malaisée la parole des prisonnier^ de gûerfe, une fois revenus de effet renouer avec un vieil héritage de souffrances.'Mais, précisé­
captivité. Mäis> si ces pages, sobres et belles, décrivent une vie ment, parce que cet héritage se disait dans des mots et-dans une
humaine dépouillée de tout bien pröpre, une vie- où^ tout était histoire*partagés avec d'autres, il permettait aussi, si peu que.ce
provisoire, oùie sortale chacun se décidait'ailleurs et oùi'absence fût, de prendre une cèrtaine distance vis-à-vis de la souffrance
de-possession rendait à.l'essentiel d'une liberté privée d'installa­ présente et de ne pas suffoquer sous son poids.
tion dans le monde, elles n'accusent'personne et elles ne récla­ Certains s'initièrent à l'hébreu- biblique, d'autres à l'histoire
ment rien. Sans masquer les petitesses humaines des prisonniers, du peuple juif ; avec maladresse et « sans suite dans les idées » ils
Lévinas insìste surtout sur leur dignité'dans cette existence-rude se réunirent aussi pour l'office religieux du soir, partant trop tôt
et- froide» qui. interdisait la plainte et prohibait la faiblesse, une travailler pour avoir du temps pour celui du matin^. Ils redécou­
existence aussi où chacun était identifié par un matricule gravé vrirent les récits bibliques et, dans leur désespoir, fût-ce évidem­
sur une plaque de métal qu'il devait présenter à la moindre réqui­ ment pouc-subir des décom^^enues-par la suite, ils «se laissèrent
sition. Et c'est sans orgueil aucun qu'il évoqite, non sans ironie, même allef à croire aux récits dans >leur.sens ot)tie : un Dieu les
cette liberté ignorée des « bourgeois » qu'expérimentaient alors aimait qiii, comme .les Hébreux jadis, leur ferait traverser la mer
les prisonniers. Il sait bien en effet qu'une telle liberté, tout entière des Joncs: Penser que les mots •'sont vrais de cette vérité simple,
vouée à la précarité et à la possibilité de la mort, est à la merci de explique'Levinas; suscitait uhe grande émotion.
souffrances physiques et piorales qui peuvent la détruire.
Pour leur part, les prisonniers juifs, bien que protégés par l'unie- Le texte d'hommage à Bergson qui est présenté avec cet ensemble
forme d'un destin mortel, furent séparés des autreff et contraints d'artiçles sur la captivité salue la liberré de et grand philosophe
de travailler dans des kommandos spéciaiïx. Le .philosophe fut qui, le premier, dit Lévinas, avait.su refuser, de s'incliner devant
affecté à un.kommando forestier de solxante-dix. hommes auquel le temps froid de la science, alors que la majorité de ses collègues
il fait allusion dans un article célèbre ôù il évoque le mépris que philosophes s'y«bimiettaient.Jl salue aussi, et surtout sans douté,
la population ènvironnante leur vouait et l'enfermement irrémé­ là liberté admirable de>celui qui, pourtant proche spirituellement
diable dans ce qu'il ressentait être une infra-humanité^ Acculés du catholicisme, alla se faire recenser comme juif en. 1940 pour
à leur identité « israélite », nombre d'entre ces prisonniers la rester jusqu'au bouc fidèle à son peuple persécuté.
redécouvrirent d'ailleurs, contraints et forcés, car la croyance qui
les avait animés, jusqu'à la guerre,"d'appartenir pleihement à la
communauté française, avait relégué pour eux cette-identité au Notes philosophiques diverses
second plan, voire la -leur avait fait oublier. L'humiliation subie,
En 1947, Emmanuel Lévinas publiait De,Inexistence à l'existant,
livre pour lequel il avait copimencé ses .recherches avant la guerre
a. Emmanuel Lévinas fut transféré au camp de Fallingsbottel en Prusse, le numéro du stalag
et qur fiit « en majeure partie, rédigé eji, captivité » comme il le
était XI B, le nombre 1492 (date de l'expulsion des juifs d'Espagne) se trouvait inscrit à l'entrée.
Cf. « Nom d'un chien ou le droit naturel » in DifficiU liberté, op. cit., pp. 199-202. Voir également,
Yves Durand, op. cit., p. 86 : « Durs, très durs parfois, sont aussi les travaux en forêt, en particulier a. Contrairement aux chrétiens, ies juifs ne pouvaient célébrer leur culte de façon publique.
lorsqu'ils sont effectués par les grands froids de l'hiver continental allemand. » Cf. Yves Durand, op. «A,'p.*177.
28 Carnets de captivité Préface 29

rappelle dans son-avant-propos. En 1948, les quatre conférences sait pas par-avance où le conduiront ses* réflexions et les conclu­
qu'il donna en 1947 au Collège philosophique fondé par Jean Wahl sions auxquelles il parviendra, presque toujours pour les mettre à
voient égalerñent le jour sou&le titré. Le Temps et l'Autre, ainsi qu'un nouveau en mouvement, ne sont-ni conçues ni^posées d'emblée,
article sévère et grave sur l'art, « La réalité et son,ombre », accueilli fût-ce à titre d'hypothèses à vérifier. Emmanuel Lévinas n'avait-il
parala-revue àts,,Temps modemeß. En 1949; il rassemble'plusieurs pas, jusque tard dans sa vie, le goût pour ce que l'on trouve bien
étudès anciennês.datant de>1932 et 1940 dans-un livre intitulé En davantagejque pour ce qu'on produit ? La rigueur et la vigueur de
découvrant l'existence avec Husserl et Heidegger. Puis, jusqu'à la parutioç la pensée, ne signifie pas pour lui maîtrise et systématicité, elle ne
de son oéuvœimajeure Totalité et Infini en 1961, Emmanuel Lévinas fàit jamais fi de la nécessité'pour le chercheur d'être animé par un
publie essentiellement des comptes rendus deJivres et dés articles souffle qui;» sans congédier l'indispensable érudition et-le travail
dont certains, très importants, tel « L'ontologie estTclle, fondamen­ de la conceptualité, habite surtout la-puissance,du langage. Le fait
tale ? » (1951), constitueront d'ailleurs la matrice délivrés à.venir. d'écrire ces notes semble avoir été pour Emmanuel Lévinas une
La majorité des articles publiés pendant cette période, concernent façon*-de se tenir disp'onible pour écouter, ^ lui, céfte venue de
cependant le judaïsme et l'éducation juive et ils seront ensuite la pensée. Le fait de les avòir Soigneüseméñt rassemblées énsUite
rassemblés, en- 1963, dans son livre Difficile liberté. Néanmoins, montre en outre son souci de né pas oubliérles mÖts et lés'verbes,
durant les.années 1950, années de relatif silence éditorial donc, et les passages entrevus malgré les^ difficultés théoriques, les-asso­
bien que privé de reconnaissance universitaire, Emmanuel Lévinas ciations et les intuitions qui Ijont habité alórs, soit encore tout
continue assidûment ses recherches philosophiques.-L'ensemble des te qui* prépare l'éclosion et la maturité d'une philosophie d'ores
notes diverses ici présentées, écrites pendant cette période préci­ et déjà'attentive à* l'excès qui-tourniente le langage. La création
sément, témoigne ainsi d'une pensée sur le quitvive, d'une pensée intellectuelle semble'en effet commencer pour lui par M écriture de
qui, pour être très avertie des débats philosophiques de son époque, •fragments oU d'ébauches qui fraient un chemin de pensée encore
n'en poursuit pas moins sa- route de feçon originale et forte; dans ignótant de ccqu'il va découvrir, ce qui ne signifie pas pour autant
la liberté propre au créateur, une liberté que n'entrave aucun souci qu'il stíit contingent ou décirconstance. Ces réflexions isolées sont
de carrière et, "apparemment, aucun sentiment d'urgence à se voir au,contraire mafquées par l'exigence très forte d'aller'jusqu'au
édité. L'intérêt *de la publication de ces notes diverses est donc de bout dé pistes nouvelles qu'Emmanuel Lévinas ajme appeler alors
montrer à l'œuvre une pensée en devenir, une pensée qui explore « ma]philQSophie » et qUi répondent en particulier à la nécessité,
des pistes dont certaines ne seronr pas poursuivies, une. pensée où clairement exprimée comme leiecteuf léverra, de promouvoir-une
le lien entre philosophie et judaïsme est très explicite et enfin, une autre.perspective sur l'être et sur autrui que celle'de Heidegger
pensée où le souci de l'enseignement et de la transmission joue un et, bientôt auissi, un autre éveÎl de la subjectivité que celui qü'il a
rôle central. découyért'àl'école'de la phénoménologie-de Husserl.
Il reste difficile toutefois de définir la méthode qui préside à
l'élaboration des articles et des liVres futurs du philosophe ^ur la Écrites à la main sur le dos de-cartons d'invitation à telle ou
base de la lecture de ces réflexions*. Le jaillissement de la pensée telle 'dérémdnie (mariage juif en particulier), de fiches d'-em-
y semble en effet étranger au souci de la construction d'un plan prunt de livres à la bibliothèque de l'Alliance israélite univer­
précis, scandé par des étapes de raisonnement d'ores et déjà bien selle, ou ehcore de'prospectus diveré, ces réflexions classées plus
repérées, et conçues de façon programmatique. Le philosophe ne tard.par Lévinas lui-même en divers ensembles, témoignent du

I
30 Carnets de captivité Préface 31

monde dans lequel vivait le philosophe, de ses intérêts et de'ses simples porte en germe des significations excessives qui attes­
recherches (les livres empruntés concernent le Talmud ou des tent la vivacité de l'esprit. Or, pour sublimes qu'elles soient, ces
penseurs juifs), mals-aussi d'une singularité certaine : le fait que significations ne peuvent passer outre cette concrétude première,
ces réflexions "philosophiques soient écrites sur desi supports dont elles en restent tributaires : en même temps qu'elles la portent
beaucoup portent des lettres hébraïques eát plus qu'un*aléa maté­ au-delà d'elle-même, elles sont aussi portées par elle. Sans méta­
riel en effet.-Elles donnent une conçrétude étonnante à une inter­ phore, soutient encore le philosophe, on ne pourrait entendre la
rogation ultérieure-d'Emmanuel Lévinas-: « Philosopher, est-cè voix de "Dieu, et cette'proposition qui n'équivaut pas à soutenir
déchiffrer dans mn palimpseste une écriture enfouie? ? » et cela une thèse ontologique sur l'existence de Dieu, incite elle aussi à
d'autant pluSj-qu'à plusieurs reprises, il écrit lui-même en hebreu penser coijiment la-transcendance affecte l'immanence des mots,
sur ses fiches sans d'ailleurs traduire son propos. ou encore comment le « plus »> h'àbite le « moins ». Le spirituel
- ce que les livres ultérieurs-méditeront; comme la merveille de
Que « trouve » donc Emmanuel Lévinas d^ns ces années qui l'infini dans le fini — se donne par excellence, selon ces premières
précèdent et -préparent la .publication de Totalité et infini ? On notes, dans le « miracle » de: la. métaphore., « Miracle » qui ne
remarquera d'abord les impressionnantes notes sur ií.métaphoré' consiste pas à suspendre *une loi naturelle au profit de l'homrhe,
qui s'enthousiasment de ce que la métaphore permet de penser mais-qui fait découvrir deS correspondances ou dès ressemblances,
plus loin que les données du mqnde. Ces notes probablernent signifiantes et surprenantes", entre la nature et l'humain.
préparatoires à la conférence sur ce sujet qu'il prononcera au Cependant, dès ce "recueil de notes, le" philosophe cherche
Collège philosophique, le 26 février 1962, envisagent la méta.- comment le pouvoir de dépassement Verbal se produit pat excel­
phore comme l'essence même du langage poussé à l'ejçtrême .et lence dans la relation avec l'autre :ce ne serait.pas principalement
elle? soijiiennent que,„davantage que le concept 4onc, elle mène grâce-à- une méditation personnelle sur les mots et sur les corres­
vers.le haut, vers la pensée de Diçu. Toute signification serait.méta- pondances poétiques* qu'ils appellent, que l'on découvrirait ce
phorique dès, lo/s qu'elle ouyrirait à cette hauteur, tx. iz.,merveille « miracle », mais par l'exigence de répondre à autrui, de s'adresser à
— vocable qui restera si insistant dans l'œuvre ultérieure du philo­ lui et,'dès lors; d'être en relation même avec le supérieur. En conclusion
sophe — du langage; tienflrait précisément^ à cela, à spn pouvoir de ses notes, Emmanuel Lévinas dit en,effet son souci de parvenir
de signifier au-delà de ce qu'itjdit.^'Loin.donc dp commencer à à montrer* comment la relation sensible, exigeante et insistante,
philosopher en se méfiant de la jrhétprique, ,jie la-polysémie des avec autrui comme hauteur^t visage, et la pensée de la hiétàphore
mçts ou de leur ambiguïté, à la manière pltis prudçnçç^des philo­ comrfie 'chemin 'vers la h'aiäeur, sont indissociables. Cette der­
sophes qui, -par sagesse et par goûti4e la maîfris^ convoquent nière. remarque est essentielle car, loin d'assimiler l'enthousiasme
l'univocité du concept en rempart contre toutes ces incertitudes produit par la metveille et par le miracle de4a métaphorè, à un
parfois affolantes, Emmanuel Lévinas se réjouit de la puissance eriivrement.de l'esprit, bientôt oublieux du monde,» le philosophe
polyphonique des mots ordinaires. Il nç^dissocie pas la pensée soutient qu'il s'agit au contraire d'un enthousiasme propice à son
du langage et il maintient que la.concrétude des mots les plus dégrisement et à son entrée en responsabilité pour autrui. Cette
entrée, dont l'issue reste toujours plus lointaine que ce que l'on
a. Cf. Humanisme de l'autre homme, Montpellier, Fata Morgana, 1972, Le Livre de Poche,
imagine à première vue, prendra d'ailletirs bientôt le pas sur ces
p. 108.
b. Cf Liasse A, note 1. réflexions théoriques relatives à la métaphore.
32 Carnets de captivité Préface 33

Les livres ultérieurs d'Emmanuel Lévinas sont en effet rela­ - mieux que l'abstraction conceptuelle - certains aspects du
tivement discrets sur la métaphore» comme telle, même si sa psychisme, elles ne sont pas que des métaphores comme, aiment
réflexion sur.la-littérature,et,sur l'exégèse des livres juifs en reste à le dire les artisans du concept soucieux-de les dévaloriser et
très proche, én particulier paf l'insistance qu'il accorde à l'inspi­ d'oublier le pouvoir révélant du langage^.
ration, soit encore à l'excès que représente toujours le « pouvoir
dire ^ -de .certains icrits - deá grands livres de,4'humariité - sur Dès lors, un..autre aspect de ces notes, à sajVpir les citations,
le vouloir, dire,» de leurs auteurs. Faire,l'exégèse d'un texte-, brèves ou longues, ou les simples naots écrits en hébreu (sans
plutôt que sa généalogie, c'est en^ effet jtrouver des possibilités traduction ni référence précisée) par Lévinas sur ses fiches -
signifiantes inédites au cœur de la matérialité de ce qui est dit, cçrnme sur ses Carnets de captivité d'ailleurs — au'moment même
grâce à- sori propre étonnement face aux mots, et -non s'enquérir où sa réflexion concerne telle pu tçlle xjuestioij philosophique,
d'un sens'initial que le temps aurait maltraité. mérite attention. Il n'établit pasj:ant des.parallèles oujdes œmpa-
raisôns explicites entre un concept ou un thème philosophique
En outre, la propre écriture du philosophe 'reste marquée par - par exemple la méthode de VÉpoché phénoménologique - et un
cette valorisation de la métaphore. Onsait qu'Emmanuel Lévinas vocable'^ébraïque - en l'occurrence le Chabbat — qu'il ne pherehe
se méfie de la sclérose qui guette une conceptualité trop sûre de à entendre les rçiots - Èpoche et Chabbat — dans leur puissance de
son droit exclusif à dire ce qui est et que son salutaire scepti­ sens respective et dans leur possible éclaircissement mutuel : Ja
cisme à cet- égard le conduit aussi à une écriture excessive qui suspension de tqute prise de position relative à la thèsç 4n monde
n'hésite pas à emprunter à la concrétude sensible — surtout celle imaginée par Husserl et la suspension de toute activité suscep­
de la chair - des .significations que le concept ne saurait dire tible de transformer le monde (le travail interdit), expérimentée par
sans se renier.,« S'absoudre de soi comme dans'une hémorragie celui qui .respecte le Chabbat, découvrir.„upe réalité
d'hémophile » ou encore « psychisme comme corps materhel » comparable'' ? La mise entre parenthèses du cours ordinaire des
pour parler'de* 1^ vie de la subjectivité ; ,« brins de poussière jours, le Chabbat, serait-elle susceptible, sur le plan pratique, de
recueillis sur son parcours ou gouttes" de sueur qui perleraient faire éprouver ce « moi pur » que la réduction (JÉpoché)^ de toute
sur-son front » pour évoquer là consciencê de soi universèlle chez thèse par rapport au monde comme existant feit, énjerger ? Ou
Hegel ; cfes .quelques exêrft^les donnent üne idée des « trou­ bien révélerait-elle autre chose encore sur ce,« moi pur » ? Tout
vailles » d'Emhianuel Lévinas. Sòn écriture'ne congédie pas les comme le phénoménologue continue de participe^ aux dpnnées
métaphores sous prétexte de mieux veiller à la rigueur ration­ naturelles du monde (comme sujet en^pirique) sans en fajre ijsage,
nelle de son propos : la surenchère et Kemphase^ le passage au celui qui •« garde » le Chabbat éprouve en effet, en lui-même,^ue
superlatif et la sublimation^ sont indissociables de son écriture son « moi _» doit rester sans prise sur ce monde qui pourtant est
philosophique et, au fil du temps, il n'y renoncera jamais. Ainsi, là, à portée de jouissance et de jcransformation éventuelle. Mais
si des expressions comme « jouir d'un spectacle » ou « manger il découvre aussi, dans ce « moi », les exigences de la transcen­
des yeux » sont des métaphores, elles n'en décrivent pas-moins dance dans "l'immanence sur lesquelles, évidemment, le phéno­
ménologue ne se prononce pas. Si cette piste d'analyse n'est pas
a. De Dieu qui vient à l'idée, Paris, Vrin, 1982, p. l4l : Lévinas oppose la méthode transcen-
dantale qui consiste à « chercher le fondement » à la sienne qui revient à « passer d'une idée à son a. Cf. Autrement qu'être ou au-delà de l'essence, La Haye, NijhofF, 1974, p. 85.
superlatif, jusqu'à son emphase ». b. Sur le rapprochement entre Époché et Chabbat, cf. Carnets de captivité. Carnet 1, p. 30.
34 Carnets de captivité Préface 35

explorée comme telle dans la note de Lévinas, l'association des couche du psychisme que ni la ïéflexivité ni l'intentionnalité ne
deux-vocables il-fîiopose ->• ou qui s'impose à lui — est en tout font découvrir mais -uniquement les- livres. Les notes philosophi-
cas très suggestive et les méditations ultérieures du philosophe •ques' écrites par Emmanuel Lévinas, à cette époque, «font écho,
relatives à là subjectivité approfondiront avec une exigence sans à plusieurs reprises, à une telle attention. Ainsi, à propos du
cesse renouvelée ce* sens, irréductible selon lui, de la transcen­ « pour soi » et de « l'en soi » dans les" deux phérioinénologies, le
dance dans l'immanence. L'hébreu n'apparaît donc pas, dans ces philosophe cite un commentaire de Rachi relatif à une remarque
notes, comme une référence anodine, étrangère à lâ philosophie', de Pharaon, disant à Joseph de prendre « le rûeilleur.dup pays
Voire étroitement particulière. Il contribue à l'approfondissement d'Égypte » (Gn 45, 18). Rachr écrit en efifet ; « Il a prophétisé
des questions de philosophie que se pose Lévinas. Il ne s'agit en et il" n'a pas su qu'il«prophétisait. » Pharaon ncsavait pas en effet
effet pas seulement d'une" question de langue ou de traduction que les Hébreux partiraient plus tard d'Égypte^en emportant « le
maïs bien de ce que l'on peut penser dans une langue, dans l'ex­ meilleur », en rendant le pays semblable à un fond de mer où
périence millénaire de ceux qui la parlent et dans la tradition de il n'y'a pas de poisson (Ex 3, 22). Cette note — dont le titre est
Commentaires que cette langue charrie. Les citations des passages Phénoménologie — invite donc à penser comment la conscience (le
bibliques ou talmudiques (en araméen) et des hiots hébraïques pour soi)- ne détient pas la mesure de ce qu'elle'énonce en toute
sont en effet riches des associations de sens véhiculés par la tradi­ clarté*crpit-elle,-et cela non pas à cause de la force de l'inconscient,
tion et l'expérience juives, en particulier celle de sa lecture de la mais parce que même une parole dite en toute conscience f)orte
Bible que les philosophes ignorent le plus souvent. un. sens qui reste encore-à venir, un sens qu'il faut « rapporter à
On sait qu'après son retour de captivité, Lévinas a étudié le l'absölu ». On sait que les réflexions ultérieures du philosophe sur
Talmud sous la conduite d'un maître énigmatique, « authentique » le caractère prophétique du psychisme humain, dans Autrement
et prestigieux, Chouchani, auquel il a souvent rendu hommage. Il qu'être ou au-delà de l'essence, approfondiront décisivement ce qui
lui sait gré en párticuliet de lui avoir enseigné comment remotiter reste encore, dans cette note, une suggestion.»
des problèmes rituels aux problèmes phllosdphiques, oubliés très Dans une autre note, Emmanuel Lévinas écrit encore que si,
souvent dans la pratique habituelle du Talmud. Mais, plus déci- pour lui comme pour d'autres philosophes, «l'être est dans sa
sivement encore, après le désastre d'Auschwitz, ce maître lui a, vérité»,, il ne pense pourtant, pas que cette vérité se trouve dans
dit-il, redonné confiance dans les livres. C'èst aussi eri étudiant « la splendeur de la manifestation'' ».• Il faudrait, dit-il, fa chercher
avec lui qu'il a approfondi une idée esseritielle :* l'impossibilité dans la grâce qui lui est rendue par l'action ou par l'attàtudè à l'égard
d'écouter sa propre coriscience-sans une attention extrême portée des hommes, par la vérité dont» on témoigne ainsi auprès d'autrui.
au Livre des livres^. Or, prendre au sérieux une telle pensée passe En guise -de conclusion, il recopie alors en hebréu un verset des
par la nécessité d'ouvrir la méthode phénoménologique à autre psaumes'(30, 10) : « Est-ce que la poussière te rendra grâce, est-
chose qu'elle même, par l'incitation à pfêter attention à cette ce qu'elle dira ta vérité ? » Cette note est cértes celle d'un lecteur
assidvrde.Heidegger -.d'un de ses premiers grands commentateurs
a. Cf. Emmanuel Lévinas, Quatre lectures talmudiques^ Paris, Minuit, 1968, introduction, p. 12.
en Erarice — mais d'un lecteur qui, déjà,^s'en distancie. La compré-
Cf entretien avec François Poirié, "Emmanuel Lévinas, qui êtes-vous ? Lyon, Éditions de la Manufec-
ture, 1987, pp. 125 sq, en particulier p. 130 : « Certainement l'histoire de l'holocauste a joué un
beaucoup plus grand rôle que la rencontre de cet homme [Chouchani] dans mon judaïsme, mais la a. Cf. Liasse B, note 57.
rencontre de cet homme m*a redonné une confiance dans les livres. » b. Liasse C,Îiote 235.
36 Carnets de captivité Préface 37

hension de l'être caractérise le Dasein éans ce qu'-il a, d'authentique difficile, surtout par temps de détresse. Il s'interroge en effet
et ce dévoilement coñstitue lui-même un événement de l'être pour sur la séparation et sur le fait de partir en vacances après la
Heidegger, ce-qui revient à soutenir que l'homme est d'abord un guerre de 1939-1945, puis, en guise de réponse, il cite le verset
verbe. Lévinas le sait mais ir cherche, quant à lui, un autre verbe, de Jérémie relatif à Ja destruction de Jérusalem : « Même les
empnmté ici à l'hébreu, pour caractériser cet homme. L'humain ne chaçals présentent leurs mamelles et allaitent leurs petits : la
passe fpas dans le verbe*être mais dans un verbe différent : léhodot, fille de.mort peuple est devenue, elle, cruelle comme l'autruche
rendre'grâce'. Qr cette .piste simplement arhorcée sur cette-fiche, au désért » (Lm 4, 3) ; il recopie .ensuite le commentaire de
et encore-tributaire:d'une ambiguïté sur ce qu'il faut entendre par Rachi expliquant que les chacals.nourrissent leurs petits affamés,
« être », deviendra centrale pour toute l'œuvre ultérieure. C'est malgré Jeur cruauté, car ils» ont des,réserVes.-en"eux, tandis que
au sein du rapport à autrui que j'aperçois l'être, précise d'ailleurs « la fille de mon peuple » (expression soulignée pár Lévinas) ne
déjà une autre note. Mais ce rapport n'est pas quelconque, c!est le fait pas car elle a tellement faim-que sa vie passe-ayant celle
un rapport où je rends grâce en donnant à autrui ce dont je ne de ses, enfants. Le philosophe ne commente pas ces-.citations
nae savais pas si riche.* C'est là, soutient "une, autre note, découvrir milis on .sait qu'à propos des événements sinistres de la guerre
Dieu comme paternité, et non comme concept, ou encore comme et de l'extermination des juifs, il citera encore-un autre passage
capacité de donner. Citer un psaume de grâce, c'est bien parler de des Lamentations de Jérémie dans son magnifique texte Sans
ce Dieu-là - et non d'un concept ou de la neutralité du verbe être nom qui conclut Noms propres (1976). Le gouffre béant n'est pas
- mais ce Dieu qui ne me comble pas de biens,, tout en m'obli- comblé .et le vertige saisit toujours, or une des vérités qui nous
geant au bien, conime le dira l'œuvrie future, «st .précisément celûi vient de cet abîme,.et que le philosophe médite avec amertume
auquel il s'agit de r^dre grâce. Une autre note de Lévinas (accom­ et effroi dans çette note, diffère de celles qu'il exposera ^lus
pagnée- de la mention début- de captivitê),'St\ovy laquelle croire en tard dans Noms propres. Gette„vérité, déjà annoncée par Jérémie,
Dieu, c'est croire au bien sans s'appuyer sur aucun-événement, sur expliquée par Rachi et reprise par Lévinas- dans un contexte qui
aucune force qui le défende'', prend ici sa plus haute signification. en aniplifie le sens — comme il est de coutume dans la tradition
Elle metaussr'sür la voie, combien exigeante, d'une nécessité de orale du-judaïsme — a la saveur .noire et tragique de l'égo'isme
.nourrir la faim des hommes ef de .couvrir Jeux nudité comme"façon le plus dur et le plus indifférent,^voice hostile, au sort d'autrui,
par excellence, de tencontter le Créateur.* Et éela contrairement fût-il'son propre fils. Quand-la vie des parents passe avant celle
aux, philosophes dont Lévinas dit encore qu'ils se sont trompés en des enfants,.à cause de la faim; quand la,rupture entre les géné­
Le cherchant ailleurs que 4ans cette- relation obligeante à l'égard rations s'accentue, on peut, en toute certitude, considérer que
d'autrui, celle-là même dont il convient de rendre grâce d'en rester l'histoire s'est arrêtée et que la civilisation, malgré sa magnifi­
capable, malgré sa misère et sa douleur propres, surtout aux heures cence "et-ses draperies, a sombré.'Le sauve-qui-peut est général.
où celles-ci risquent de le faire oublier. Quand^lùs personne ne rend grâce du simple fait d'être capáble
Une longue note"" presque entièrement en hébreu montre de donner à autrui — surtout à ceux-et à celles qui viennent après
en effet que le philosophe sait combien cette « croyance » est soi — là nòurriture qui apaise la faim et Tes paroles qui, malgré
le malheur et la persécution, avivent le goût de grandir, un gage
a. Le nom « Uhouda » (Juda) et le mot « léhoudi » (juif) sont formés sur cette racine.
terrible est offert aux adeptes de « la mort de Dieu ». Et cela,
b. Cf. Liasse B, note 21.
c. Cf. Liasse C, note 120. que ce soit en toute méchanceté ou en toute ffivolité, même si
38 Carnets de captivité Préface 39

l'on fréquente des lieux de culte, même'si l'on s'accroche encore tions-qui permettent de rencontrer des maîtres et-d'apprendre à
à des formules'toutes faites sur Dieu. « lire. Lévinas souligne le caractère exceptionnel'de l'École : fondée
sur l'Ecrit, cette institution est en effet selon lui-le « point d'Ar-
Si les parents, tt lesudultes en général, se soucient généralement, chiniède" » de toute 'liberté réelle. De l'école primaire à l'école
parfois de façon épuisante pour eux, de trouver des ressources pour supérieure, elle constitue le lieu par excellence où l'on ne cesse
nourrir leurs enfants et pour les protéger, cela ne suffit cependant d'apprendre à lire, c'est-à-dire le lieu où les livres sont ouverts. Le
pas-si manquent les paroles qtii .relient ces enfants à l'histoire qui lieu où l'on ne se sert pas des livres, mais le lieu où ils nous parlent
les précède. Un autre thème s'impose en effet à'ia lecture de ces parce que nous les interrogeons. Vouloir sortir de l'histoire ce
notes*: l'importance de l'enseignement. On sait'que Lévinas flit n'est pas alors proclamer sa liberté vis-à-vis des institutions, c'est
directeur de TÉcole normale israélite pendant de longues années, « indiquer une institution plus forte que l'histoire'' ». Or l'École,
et qu'il y enseignaia philosophie aux*élèves de terniinale tout en écrit Lévinas, répond précisément à ce souci, car « sa structure
se souciant de leur éducation juive. On comprend" donc que ces historique vire en structure qui dépasse l'histoire », fondée sur
réflexions répondaient aussi à un souci quotidien, surtout après l'Écrit, elle est la condition de notre liberté réelle.
les ravages de la guerre.
.« L'histoire, c'est liiistoire sainte des maîtres et des pères », Les notes présentées sont diverses, mais qu'elles soient longues
dit une note, ce n'est pas celle des « héros" ». Le savôir livresque et déjà bien élaborées ou brèves et parfois lacunaires, voire énig-
correspond à tout c ce qui n'a pas été enseigné par un maître », matiques, elles sont traversées par une grande intensité de pensée
précise une autre note. Avec ie Talmud, Lev-inas approfondit où philosophie et judaïsme ne constituent pas deux domaines"
l'idée que l'enseignement oral.«.double éternellement l'ensei­ dont les frontières sont strictement délimitées et étanches mais
gnement écrit'' » et il insiste sur le-fait que le maître n'est pas bien, plutôt, deux sources indissociables pour la maturation de
tant celiiî qui accouche les'esprits» en questitíñnant les élèyes l'œuvre à venir. Ces notes témoignent, semble-t-il, d'un travail
qu'il'n'est celui qûfe les élèves ne cesstrtt d'interroger. Les discus­ assez solitaire même si Lévinas avait des échanges intellectuels
sions-talmudiques se jôuent "entre esprits^ réellement multiples avec certains de ses contemporains philosophes. La nécessité
et les talmudistes, écrit-il, « oñt une conscience très vive de la profonde, probablement secrète à son auteur lui-même, à laquelle
structure essentiellerhent dialectiquE^de la vérité ». G'est ainsi obéit la'création d'une œuvre emprunte en tout cas ici pour lui le
que l'enseignement* est" uhe "oejivre*spiraitüelle"et il faut sauver chemin d'une longue patience. Ces fragments sont écrits pendant
cet héritage. » les années où l'École — une école secondaire juive — était aussi
Mais cela suffit-il ? Si le rapport à un maître (celui qu'on peut pour le philosophe, alors en retrait de la scène universitaire et
interroger) est ici pensé .comme la base de la société, l'existence éditoriale, le seul lieu institutionnel où il pouvait s'exprimer.
et la pérennité d'un tel rapport ne peuvent sans péril dépendre La force et la nouveauté de sa philosophie se frayaient donc un
de la bonne- volonté de quelques individus. Chaque société doit chemin loin des « remous de l'époque » comme il aime à le dire
donc avoir comme tâche essentielle le fait de se doter des institu­ à propos des modes intellectuelles, ce qui ne signifie aucunement
*
a. Liasse C, note 213. a. Liasse A, note 156.
b. Liasse A, note 5. b. Liasse A, note 92.
40 Carnets de captivité

d'ailleurs qu'il- nly pcêtaij: pas attention ; mais son ancrage dans
une tradition lui semblait une meilleure garantie de liberté d'ap­
préciation et <ie, çritique,'de recherche et de nouveauté, que le
fait, comme il l'écrit ici, de se-pröjeter dans l'avenir uniquement
à* partir du présent

Rodolphe Câlin et Catherine Chalier

Notice éditoriale

Conventions éditoriales

— Notre transcription est linéaire et continue, à l'exception


de certains passages dont* il n'était pas possible de modifier la
topographie sans prendre le risque d'en altérer le sens. Pour ceux-
là, nous respectons la disposition du manuscrit. De même, nous
avons scrupuleusement respecté le retrait ou l'absence de »retrait
au début du texte en alinéa. i
-Soucieux de^ne pâs paralyser la lecture, nou5 nous sommes
permis quelques interventions, en ce qui concerne la ponctuation
et certaines incorrections orthographiques. Les fautes d'ortho­
graphe sont tacitement corrigées lorsque la correction ne laisse
aucun doute. Nous n'avons ôté aucun signe de ponctuation,.mais
nous nous sommes parfois permis, tacitement, d'en ajouter.

— Les corrections interlinéaires d'Emmanuel Lévinas, ses ajouts


interlinéaires ou marginaux sont entre accolades ({}).
-Les ratures, lorsqu'elles-traversent'horizontalement un mot
ou plusieurs lignes, sont reproduites dans le corps du texte ; lors­
qu'un paragraphe ou plusieurs lignes d'un paragraphe sont barrés
par une croix de Saint-André, ou par une cancellation eri croix,
nous l'indiquons en note.
43
42 Carnets de captivité Notice éditoriale

matériels, dont l'absence peut parfois altérer significativement a


- Les mots ajoutés par nous sont placés entre crochets obliques
compréhension du sens d'un texte. Comme il ne s'agissait pas
(< >).
dans ia présente édition de proposer un fac-similé des manuscrits
- Les mots dont le déchiffrement demeure incertain sont suivis
publiés, ni une transcription dite « diplomatique », qui eut tente
d'un point d'interrogation et mis entre crochets obliques (ex. :
d'en donner comme une photographie, nous avons opte pour une
<présent ?>) ; lorsque deux lectures sont possibles, la moins
description matérielle de certains manuscrits. Ces descriptions se
probable se trouve en second, séparée de la première par une barre
limitent parfois à la simple indication, dans le corps du texte,
oblique (/) (ex. : <affamé/affairé ?>).
du recto et du verso d'un feuillet (par ex. lorsque le verso d u n
- Les mots que nous n'avons pu déchiffrer sont représentés par
feuillet isolé ne fait pas suite au recto, ou lorsque, entre le recto
des x (le nombre de x correspond au nombre présumé de lettres)
et le verso, la continuité du texte n'est pas sûre) ; elles s efforcent,
et placés entre des crochets obliques (<xxx>). Lorsqu'un mot n'est
le plus souvent,.dans des notes d'édition qui figurent au bas de
plus visible à cause de l'altération du feuillet, nous l'indiquons
la page, de restituer certains éléments n^atériels (par ex.,; indi­
par un espace blanc entre crochets obliques : < >.
cation du changement d'instrument d'écriture, description de
- Une indication factuelle erronée ou encore la substitution
la topographie d'un ajout, etc.). Sans être systématiques, elles §e
d'un autre mot au mot du texte original dans une citation sont
justifient la plupart du temps par la nécessité soit de compenser
laissées et corrigées de la façon suivante : <recte : ... >.
la perte d'intelligibilité du texte qu'entraînerait l'absence de ces
- Lorsque le texte s'interrompt brusquement, nous ie signa­
éléments matériels, soit de signaler certaines difficultés de trans­
lons, entre crochets : <interrompu>.
cription (par ex. lorsque la transcription linéaire achoppe sur la
- Les passages en langue étrangère (à l'exception des langues
complexité d'un ajout dont l'ordre des parties, dispersees dans
qui utilisent un alphabet autre que l'alphabet latin) ainsi que les
les marges d'un feuillet, n'est pas évident, et qu'il n'étau p^
titres d'ouvrages sont mis en italique. Tous ies soulignements
possible, en outre, fût-ce exceptionnellement, de transcrire e
sont de Lévinas. «-
façon topographique).
R. C.
Annotations matérielles

La lecture d'un manuscrit a ses exigences propres ; au texte


lui-même viennent s'ajouter des éléments signifiants d'ordre non
textuel, que le lecteur intègre pourtant dans sa lecture au même
titre que les signifiants linguistiques (par ex. le changement d'ins­
trument d'écriture qui lui indique éventuellement que le texte a
pu être complété ou retouché lors d'une seconde campagne d'écri­
ture ; la déchirure visible d'un feuillet, qui lui évite la surprise
d'y lire dans {'incipit la fin d'une phrase dont le reste se trouvait
sur la partie du feuillet qui a été ôtée). La difficulté que rencontre
toute transcription est celle de la restitution de ces éléments
Remerciements

Les éditeurs scientifiques tiennent à remercier, pour leur aide et


leur soutien, Claire Bustarret, Geneviève Capgras, Olivier Corpet,
Didier Franck, Emmanuel Housset, Sophie Kessler-Mesguich,
David Kessler, Nathalie Léger, Michael Lévinas, Jean-Luc Marion,
Florent Perrier, Laurence Renault, Simone Sentz-Michel, Julien
Servois, ainsi que les équipes de l'institut Mémoires de l'édition
contemporaine.
Notic& sur
les Carnets de taptivité

L'ensefnble comprend sept carnets de petit format,-neiif si 1 on ajoüte


les deux carnets de'très petite taille insérés; le preftiier dans liGamet 6,
le secorid'dans le Carnet 7, mais que nous n'avons pas séparés. Outre
ces deux carnets, dés feuillets isolés ainsi que des coupures de presse
se trouvaient à l'intérieur de certains carnets. Lensemble est écrit le
plus souvent au crayon à papier de temps en temps repassé à la plume,
parfois directement à la plume. Le titre'dfe l'ensemble, Carnets de capti­
vité, 1940-1945, porté sur l'enveloppe à l'intérieur de laquelle se trou­
vaient les carnets, est de Lévinas. En revanche, le titre de Carnet, suivi
d'un numéro,attribué à chacun des sept carnets principaux, est de nous.
Nous avons également donné le titre de Carnet aux carnets insérés, suivi
du numéro du carnet dans lequel ils se trouvaient, puis de la lettre a.
Plvisieurs raisons ejqjliquent le choix de carnets de petit format comme
support d'écfiture. La pénurie de papier, ensuite la nécessité d'échapper
aux fouilltò" ; enfin, la possibiUté ainsi offerte d'emporter avec soi ces
carnets, et d'écrire en tous liéüj^. Les conditions d écriture peu favoia-
bles dans lesquelles Lévinas a pu ainsi se trouver explifiuent sans doute
que la graphie assez bien lisible du philosophe deviennè f)arfois illisible.
Ajoutons que le crayon a parfois passé ou s'est efficé, et que les bords de
certains feuillets se sont altérés, empêchant ainsi la lecture.

a. C/Y. Durand, «/>. of., p. 188.


b Selon le témoignage de Léon Jakubovicz, son compagnon de baraquement, Levmas empor­
tait toujours un carnet avec lui. Cf. S. Malka, Levims, la vie et ta trace, Paris, Uttès, 2002, p. 93.
50 Carnets de captivité

Les dates indiquées par Lévinas dans son titre, « 1940-1945 »,


peuvent surprendre, puisque la rédaction du premier carnet
commence en 1937 et celle du dernier s'achève en 1950. Les
Carnets n'en sont pas moins, pour l'essentiel, rédigés en captivité.
Si Lévinas n'a pas daté chacun des fragments, il a en revanche
porté quelques dates, soit sur la couverture du carnet, soit au
début d'une séquence de fragments, ce qui a permis de classer
chronologiquement les carnets principaux. Le Carnet 3, qui ne
comporte pas de date, a probablement été écrit en 1943, comme KCARNET 1 >'
le suggèrent certains fragments^. Lévinas a en outre mentionné,
dan»; le Carnet 2, les lieux d'écriture, à savoir la ville ou le pays,
soit, par une sorte de métonymie, le Frontstalag ou le Stalag où <p. 1> 8 septembre 1937
il se trouvait - permettant ainsi de préciser la période d'écriture Phénoménologie - science. Précisions. Les analyses psychologie
de certaines parties de ce carnet. Il importe donc d'indiquer la ques avant elle de style philonien : il y a de cel^ dans tel açte, Ü
chronologie des années de captivité de Lévinas, ce qu'autorise en y il y a de ceci dans tel être. Comment ? Wie liegt es dnn^ ? Pas
grande partie sa correspondance de guerre inédite avec sa femme.
même envisagé.
Il se trouve, successivement, au Frontstalag 133 de Rennes, de
novembre 1940 (?)'' à janvier 1941 ; puis, jusqu'en avril 1941, Argeat-abstraction. Commerçant, homme d'affaire^ - intellec­
au Frontstalag 132 de Laval ; il retourrie à Rennes, jusqu'en tuel. Le bourgeois n'arrive pas toujours, à s'çlever jusqu'à cette
décembre 1941, puis, jusqu'en^ mars 1942, à Lav^l ; à nouyeau abstraction. Attaché au « sensible ». Les çhoses ont une valeur de
Rennes jusqu'en avrU 1942, puis le frontstalag l4l de Vesoul choses et non.pas d'argent. User jusqn'à la corde-. Pas avarice.
jusqu'en juin 1942 ; il poursuit et acjiève sa captivité, en mai
1945, au Stalag Xl^B de Fallingbostel en-Allemagne.
Jeu - recherche du.sérieux.
Les carnets ne sont pas pagiiiés. La pagiqation est de nous et
figure entre crochet?, c^blique^. C'est ^ cette pagination que se réfè­ <p. 2> Chez Maïmonide, chez Bahi^^ {etc.} - deux ordres seule­
rent nos citations ou nos renvpis aux carnets, dans la préface et ment : sensible et intellectuel. Ce qui-est impossible dans l'ordre
les notes d'édition. Par ailleurs, les traits de séparation entre les sensible doit figurer qqch. d'intellectuel. D'où la notion-d'allé­
fragments dont sont composés ces carnets sont de Lévinas. Dans gorie. Point de plan propre de l'allégorie - qui serait un troisième
certains cas, il nous a semblé que Lévinas avait omis de les tracer ; ordre : l'inte^lectjiel ou l'anti-intellectuel vécu dansée particulier,
nous les avons ajoutés entre crochets obliques. le sensible. Refiguration juive opposée à la préfiguration grecque
R. C. ou dlégorie.* Contre i'universalisme grec.

a. Cf. Carnet 3, p. 5, 16 et 19, et nos notes 4,15 et 18 qui s'y rapportent respectivement.
b. Sa première lettre conservée date du 30 novembre 1940, mais il ne s agit probablement pas a Carnet réglé de format 10 X 16 cm, dont la couverture et probablement certams bifeuilllets
de sa première lettre de captivité. Nous n'avons pu obtenir' d'une autre source la date exacte du ont été arrachés. Lensemble est écrit soit au stylo plume à encre noire, soit au crayon à papier.
début de sa captivité.
52 Carnets de captivité Carnets de captivité 53

<p. 3> Peinture lutte avec la vision. Cosmos = création de révolution sont incapables d'idée politique. Grandeur de Yvan le
surfaces. Terrible.

Forme = couleur, mot (avec leur pittoresque). Lutte avec la forme L'esprit - tout est possible.
peinture — mais dans un autre sens les mathématiques où la forme <
s'appauvrit jusqu'au symbolisme algébrique. Quels sont ces deux <p. 6> L'objection : l'appel et la réponse que constate la phéno­
sens ? ménologie dans l'état religieux <pieux ?>, n'est pas une preuve de
Mot grossier — index, interjection". l'existence d'un Dieu transcendant — Objecti Objection légitime.
Mais dans une phénoménologie qlii interjjrète les. « intentions
Sur terre. La terre — point de chute. La terre appui. Être = poids, du sentiment » comme les intentions de la connaissance - visant
mais intérieurement connu, dans sa signification existentielle. l'objet l'extérieur. Comment vise-t-elle ? Problème.
Rodine
Personnalité - solitude, responsable de l'univers tout entier. En
Dépouiller de la forme — rendre nu. Nudité n'est pas le simple créant la personne — Dieu a dû- lui dire ce < qu'elle ?> <a?> à
déshabillé. Déshabillé des classiques et nudité des modernes. faire.
<p. 4> La beauté habille. <p. 7> Personnalité - personne
= <xxxxxxx>
La lumière chez les impressionnistes - la densité de la lumière
<ds/de ?>'^ cettalne peinture de <Paris ?> — vision sans foïme. Un Ce qui est très important dans le fait deia création, c'est qu'il n'y
« dans » et non pas un « tontact ». a pas eu création de l'être et ensuite évolution ; mais que la ëiv
création a consisté en plusieurs actes successifs.
En transformant la Solitude én une formé de Ì'In'-der-Welt-Sein
Heidegger s'interdit de voir dans la solitude une insuffisance le Les formes empêchent le moi d'être aussi le-tout,
néant du fait même de l'être et la voiè saliit. L'a Solitude Le < r-'
mal de la solitude n'est pas le fait d'un être se trouvant mal dans <p. 8> Ce qui fait le fond de l'être et de la vie. - c'est le sérieux.
le monde ; mais le mài du faitf <p. '5 > même dé l'être — auquel on L'évàsion du sérieux - le jeu. Création artistique. Théâtre -r distrac­
ne peut pas remédier par un être ^lus cortiplet, m1ais par le salut. tion par excellence.
Salut n'est pas l'être.
Liberté de vpyageur.
Révolutionnaire et criminel. Idéalité de structure? <existen-
tielle ?>. Pas de'responsabilité, pas de racines. Pas de révolution Le problème du soleil - le problème < du/de ?> contenu des
à droite. Staline a raison : les anciens communistes formés pouif là formes.

a. Phrase ajoutée au crayon à papier, sur la ligne suivante.


Le boxeur est habillé quand il est nu.
b. « Kodin », ajouté au crayon à papier.
c. « <ds/de ?> » en surcharge de « chez ».
54 Carnets de captivité Carnets de captivité 55

La volupté — formes du corps — Formes qui <îBe> sont plus que


des formes. Volupté n'est pas désir du corps. Participation véritable forme de relation avec autrui —
< ni connaissance - < extérieure ?>
<p. 9> Présent = illusion dans ce sens que nous pouvons toujours ni action - ontique.
l'ajourner. Nous ne sommes pas {jamais} obligés de <3e€> s'oc­ <
cuper "<sic> de lui tout de suite. <p. 13> Philosophie — s'occupe du « sens ». Sens n'est pas
Présent -le <3seE> sur lexroup, impossible d'ajourner. D'où l'idée symbole — ni ce «" en vue de quoi (ni causalité ni finalité) — mais
que la* mort est l'origine du présent. Mort - pas phénomène intention même de l'être. Sens delà matière..''.
originel du présent. Mais présent .n'est pas action. Certes action
ne souffre pas d'ajournement, mais pas en tant qu'action. En tant Liberté est marche.
qu'action dans une certaine Lebenslage. Présent fait de Lebenslage. Liberté - aller où l'on veut.
<
<p. 10> Les deux notions du surnaturel - Le culte de la vitesse et la liberté.
1) Contre les lois de la nature — miracle. <
2) Domaine où les catégories mêmes du naturel ne sont plus vala­
bles. Le sacré.
Nink, Caspar : Sein und Erkennen. 400 S. Lpzg., Jakob Hegner.
Schiller, Friedrich : Der Weg zur Vollendung. Erkenntnisse. Betrachtungen. Anweisungen, Hrsg. v.
Pourquoi intellectualisme, même lorsque" intellect engage tout Hartfrid Voss. (Die Bücher der Rose.) 239 S. Ebenhausen b. Mchn., W. Langewiesche-Brandt.
l'être - n'est pas existentialisme ? Car intelligence dépersonnali­ <coupure 2> Philosophie. Psychologie.
Cajal„ Ramon y : Kegeln und Ratschläge zur wissenschaftlichen Forschung, 2. Aufl. Deutsch v.
sation. D. Miskolczy. 143 S. Mchn., E. Reinhardt.
< > Hartmann, Nicolai : Möglichkeit und Wirklichkeit. XVII, 481 S. Bln., W. de Gruyter u. Cef.
Jaeger, Werner : Diokles von Karystos, VIII, 244 S. Ebenda.
<p. 11 > Lévy-Bruhl : esprit n'est plus pensée. Il prouve plus que Müller, W. : Stehen Naturwissenschaften und Philosophie vor einer neuen Grundlage der Erkenntnis ?
le fait que les primitifs pensent autrement que nous ; il prouve 41 S. Bln., Buchholz u. Weisßwange.
que chez eux espritpensée, mais orientation, destinée, etc.'. Schmid-Noerr, Friedr. Alfr. : Dämonen, Götter und Gewissen. 241 S, Bln., Friedr. Vorwerk.
<coupure 3, recto> Naturwissenschaften. Mathematik.
Fahrenkamp, Karl : Vorn Außau und Abbau des lebendigen. Í1. 2 M. l4 Abb. u. 2 Tab. 83
Le fait que la pensée objective ^ l'être - c'est qu'elle reflète l'être. S.^ttgt., Hippokrates-Verlag.
Kober, Leopold : Der geologische Auß^u Oesterreichs. M. 20 Textabb. u^ 1 Tfl. V,.204 S. Wien,
Donne le monde tel qu'il est mais n'y change rien. J. Springer.
< Mappes, F. :Unser Garten. Ratgeberf, d. Haus Klein u. Siedlergarten. M. 68 Abb. 92 S. Mannheim
<p. 12 > L'affreux eesi ce n'est pas la finitude mais l'angoisse Dtsches. Druck- u Verlagshaus A. Krug.
Steffek, Johs. : Jedermann als Kleinsiedler. M. vielen Abb. 205 S. Bln., Verl. Der Gartens­
devant la finitude, le fait que cela nous <amuse ?> de vivre''. chönheit.
<coupure 3, verso> Der Berliner Philosoph Nicolai Hartmann läßt seiner 1935 erschienenen
a. « lorsque » en surcharge de « lorsqu'il ». „Grundlegung der Ontologie" ein zweites Buch^fglgen, welchp die d^^ige Untersuchung der
b. Trois coupures de presse se trouvaient entre les pages 11 et 12 du carnet. Nous les reprodui­ Seinsmomente (Dasein und Sosein) durch eine solche der Seinsweisen vertieft. Die Bestimmung
sons en donnant le verso lorsqu'il comporte du texte et lorsque le texte n'est pas tronqué : der „Modalität" in ihren Stufen und Schichtungen stellt dieses Werk „Möglichkeit und Wirkli-
<coupure 1> Philosophie. Psychologie. c^ikeit" zuletzt in den Dienst einer genai^eren Durchleuchtung des Freiheitsproblems. (Verlag
Müller-Freienfels, Rich. : Psychologie der Kunst. Bd. 3 : Die psychologie der einzelnen Künste. 2, Walter de Gruyter & Co., Berlin ; geb. RM 12 -.)
Aufl. M. 5 Tfln. 160 S. Mchn. E. Reinhardt. a. Guillemets non fermés.
56 Carnets de captivité Carnets de captivité 57

<p. 14> La connaissance est une pure immanence. Liberté à


l'égard du monde, ne pas se commettre avec le monde. Mais elle Patrie - notion .païenne.
est moi. Asservissement de l'existence. Paf Le fait même du corps.
D'où nécessité de l'évasion, d'une vraie sortie de soi, d'une trans­ La-Forme est {aussi} expression.
cendance.
On considère d'habitude que l'jsspace est la condition de la forme
Contradictions et absurdité apparaissent quand participation - distance fait premier, chez moi <p. 19> Jorme„.fait premier,
interprétée en termes de relations. Ce n'est pas dans' les contenus ferrneture des choses, parcff que fermeturfe du moi,"il'est toujours
qu'elle <xxxxx>. <p. 15 > L'erreur des primitifs - se comporter dehors î somme toute la notion de dehors opposée à la notion de
comme si dans participation contenu était l'essentiel. distance.

Rencontrer et empoigner — dans le regard. Notion de « profondeur » opposée à la notion du « dehors ¡>> —
< Í
La paresse d'exister. <p. 20> Participation pas intuition {Bergson}..parce que pa§
< vision identification par W» sympathie. Somme toute participa­
<p. 16> Existence tion* :• certaine dualité qui n'est pas cependant*celle de la connais^
absolu — sance''. . 'j
existence
sans condition. <p. 21 > Les hommes ont besoin de mensonges pouf »agir -
Sans base — Discontinuité du réel — Nécessitéide s'appuyer sur le néant.
Pas humain
Dans le vide. Liberté - paresse —
(ßblomov^) — marche
Le fait de respirer. loisir — promenade.
< < :
<p. 17 > Notion d'appui qui n'est pas simplement le sur pied <p. 22 > Publicité - indiscrétion.
— mais qui embrasse même ce qui est devant nous. La base du
devant est le sur. Argent — pureté.

Bonheur - joie d'exister ? Rodin : — -pas d'expression du visage — expression du corps, sa


< place dans l'espace. Le visage lui-même est comme le corps lui-
<p. 18> Une philosophie contre l'émotion. même. C'est aussi sa manière de se poser dans l'être qui importe.
{La tête — ce ne sont plus les yeux.} C'ést..qu'expression a ici un
Se cacher chez lës adultes — Se cacher chez l'enfant. Il se cache sens différent" : il n'y a plus un corps qui reflète une âme ou un
pour soi-même. <p. 23> événement spirituel quelconque mais le corps lui-même
58 Carnets de captivité Carnets de captivité 59

c'est cet événement. Il prolonge beaucoup plus un événement


cosmique existentiel — qu'intérièur. Il concrétise plutôt qu'il n'ex­ Le rêve : où tout est jeu — impossible deîretrouver le sérieux.
prime. Aussi le corps lui-même est vu comme des muscles c.-à.-d. <
comme des un épanoufssement des tensions: D'autre part ce'corps <p. 28 > L'évasion du moi par rapport à soi qui s'accomplit d'ha­
est toujours situé d'une certaine manière - (Plus la statue harmo­ bitude encore « sur terre » - L'évasion absolu' - l'au-delà.
nieuse sur un socle — située dans un <p. 24> espace idéal — ni une
statue dontt)n voit d'une part le corps et d'autre part l'expression Finalement la relation avec mon existence n'est peut-être pas l'as-
— d'une pensée, des événements intellectuels en général reflétés somption de cette existence, mais-son problème seulement. Oui
dans les yeux : mifOirs de l'âme. {Ce qu'il y a- de saisissant dans ou non. Dès-lors la liberté du'moi'à l'égard, du-monde <p. 29>
les pensées, ce n'est pas le corps de quelqu'un qui pense - c'est et à. l'égard-de soi - n'est pas l'être mais l'évàsion de l'êtrei- la
le corps même qui pense : c'est la pensée saisie comme en situa­ possibilité d'être comme si on n'a pas encore été. Wiedergeburt.
tion.}]" Mais situé par rapport au terrain même sur lequel il est {(Réduction phénom. - Ascétisme ?)} Vaincre l'histoire - mais
posé. Ce terrain, ce piédestal joue un rôle dans la l'événement de vaincre ce qu'il y a d'être et d'éternité dans l'histoire — non pas
la statue. Il constitue le monde de la statue. L'essentiel datis ces par le recours à l'éternité, mais à l'évasion. Dans ce sens : la pensée
statues est leur position. <p. 25 > C'est ce qu'il y a de position en est finalement tout l'homme. {(Toute notre dignité consiste en la
elles qui est souligné. D'autre part la statue naît et sort d'un frag­ pensée.)} Non pas par son mouvement vde curiosité - amour des
ment, d'un morceau, d'un monde cassé. choses, mais curiosité affranchissement'', <xxxxxxx>.
<
L'ensemble des muscles n'est pas l'événement i'élan. Muscles - <p. 30> Les livres ont leur destin.
aussi ce" qui est lourd, pesant, disharmonieux — laid. Notre rencontre avec des livres
notre destin.
L'essentiel du piédestal : c'est qu'il n'est pas indifférent : la
manière il est à la fois le support et le monde. Réduction =
<
<p. 26> Ce que je viens de dire de « non pas le corps du penseur Wiedergeburt opposée à l'éternité. Wiedergeburt triomphe du
— mais la situation de la pensée », prouve qu'il n'y a pas de tragique. - Fraîcheur de l'existence,
symbolisme ou d'allégorisme chez Rodin, il y a les situations.
Voir « l'homme et sa pensée ».

a. Faut-il lire « absolue » ? Lévinas semble bien ici opposer une évasion relative — qui s'ac­
<p. 21 > Itinéraire du retour - on part du fait qu'on est juif-- et complit encore « sur terre » - à une évasion absolue, comme il le disait déjà dans De l'évasion, où
non pas de la doctrine. il opposajt l'élan vital de Bergson et ¡'évasion ; « Dans l'élan vital nous allons vers l'inconnu, mais
nous allons quelque part, tandis que dans l'évasion nous n'aspirons qu'à sortir » {De l'fvasim, op.
a;., pp. 72-73).
Antisémitisme <utilise .^> le pouvoir de l'abstraction. b. Le graphisme est ici incertain. Il est également possible de lire le tiret entre « curiosité » et
« amour » comme un trait d'union, et donc de lire « curiosité-amour des choses » comme un mot
composé ; de même, le mot « afFranchissement » peut être lu comme précédé d'un trait d'union,
a. Ce crochet ferme semble-t-il la parenthèse ouverte plus haut. de sorte que nous aurions le mot composé « curiosicé-aflfranchissement ».
60 Carnets de captivité

Relation de la Wiedergeburt à l'égard de ce <p. 31 > dont il s%st est


rené - n'est pas .elle-même existentielle ou historique. Les criti­
ques que Heidegger en ferait valent uniquement de l'évasion dans
l'éternel.

L'entrée dans le mopde est l'entrée dans l'être - dans ce fait qu'il y
a — 'naissance-^. Naissance de tous les instants. Recommencement
daos le temjps. Interprétation de la création continue. Naissance
— dans la paresse d'être. Paresse d'être n'est pas la <peine ?> de
<CARNET2>.'
vivre-comme doUceur — la paresse du < découragement ?> même
%
de la viè.
<—
< deuxième de couverture>
<p. 32> 1) Franz jiä Cumont Laval 1942'
Lar Religions orientales dans lepag. antique <recte : romain>. Vesoul
4' édit^ <xxxxxxxxxxxx>
2) Loisy ; Les Mystères anciens <recte ; païens > et le mystère chré­ <
tien^.
<p. 1> Puisque mon rêve morne, interminable et sombre
Hante un fleuve pesant qui n'est pas le Léthé.
L ' C Mermet. Région de Paris.
Henri de Régnier •
<«> L'ennui <»>
dans Le Miroir des heures^.

La mort n est pas une issue. Elle ne sauve-pas de l'engagement sans


retour et sans issue^ de^ce fait d etre.absolument voué, de ne pas.se
pouvoir soustraite — qu est 1 existence. Voir Phèdre au*quatrième acte.
Dans le aooo Le réel est peuplé Je ses lârents. Même la mort-la
ramène à Minos son père. --Toutefois la mort n'est pas un feit de l'exis­
tence comme un autre. Elle promet quelque chose d'exceptionnel.
C est tout de même une possibilité extrême, une promesse de trans­
cendance. <p. 2> Mais en quoi exceptionnelle ? Il y a tout-de même
quelque chose de fini. Précisément la perte de k liberté tragique.

a. Carnet réglé de format 8,5 x 13,5 cm. L'ensemble est le plus souvent écrit au crayon à papier,
sur lequel Lévinas a parfois repassé au stylo plume, soit à encre bleue, soit à encre noire ; quelques
passages sont écrits directement au stylo plume à encre noire.
62 Carnets de captivité Carnets de captivité 63

D'ailleurs le « ne-pas-être-une-issue » de la mort ne signifie pas Ils btavent la fureur d'une amante insensée.
la « vie future ». La deuxième partie du monologue to be or not to Malgré ce même exil qui va les écarter.
be est trop précise et ne peut avoir qu'une signification d'image. Ils font mille serments de ne se point quitter®... < » >
Comme le désespoir de Phèdre qui retrouve son père dans la région
de la mort. C'est le fait que « le jeu est perdu ». C'est dans l'ordre <p.^ 5 > Crime et innocence — ee sonf pas <lus ?> de vécus ici plus
de l'accomplissement - « tout est consommé » — que la mort n'est profondément que des faits moraux. Ou plutôt là morale elle-
pas une issue. Dégager cet ordre de l'accomplissement - c'est le même est élevée au plan ontologique. Lê crime"xle Phèdre rend
côté méthodologique - le plan philosophique - de ma philoso­ visible le fait qu'elle ne peut « se cacher ». Elle a "assumé l'exis­
phie. Passer du plan objectif et subjectif des phénomènes à leur tence d'une manière ineffaçable. Et lamorf "ne fui ést päs issue. Le
plan d'accomplissement. Qu'est-ce qui est accompli dans tel ou tragique est là. Il est plus fort que la mort.
tel phénomène ? Non pas la phénoménologie qui cherche « l'in­
tention » <p. 3 > ou la signification du phénomène »'. « Wohin ist Dans Roland furieux de l'Arioste il y a constamment, surtout
hier hinausgewollt ist^ » de Husserl. Une psychanalyse de l'esprit. pour Bradamante et Rogfer une serio d'aventure la certitude d'un
Mais autre chose. Quoi ? avenir et d'une gloire future prédits par Mélisse et le prophète
Merlin, et cependant une série d'aventures qui n'en deñieúrent
Le passage essentiel de Phèdre ; pas' <moins > poignantes pour les personnages'malgré la certitude
« J'ai pour aïeul le père et le maître des Dieux ; de lèur triomphe. Tout cSmme pour <p. 6> Roland lui-même
Le ciel, tout l'univers est plein de mes aïeux. qui se sait invulnémble et qUi héanmoins déploie un courage et
Où me cacher ? Fuyons dans la nuit infernale. une noblesse qui sont authentiques, comme si le courage n'était
Mais que dis-je ? mon père y tient l'urne fatale''... » pas uné attitude à l'égard de la mort; La souveraineté du présetit.
Et Jonas qui espérait se cacher l*" Cé qu'il a d'unique'. Le quelque chose de plus qu'il y a dans l'ac-
corhplïssement pat rapport à la certitude qui plane malgré tout
Et cela est précédé de la vision de l'existence innocente : au-dessus de la réalité. Le problèmè de la prédestination laisse da
« Le ciel de leurs soupirs approuvait l'innocence ; qui dans un certain sens laisse intacte la liberté ; qui co la destinée
Ils suivaient sans remords leur <p. 4> penchànt amoureux ; réellement vécue <est> qùelque chose de plus que la destinée
Tous les jours se levaient clairs et sereins pour eux. écrite d'avance. Par là la tragédie est possible ; non seulement le
Et moi, triste rebut de .la nature entière. malheur qui vient du cohâit entre nous et la destinée implacable,
Je me cachais au jour, je fuyais la lumière, <»>, etc.'. mais entre nous et le destin même favorable. Le tragique est dans
l'instant.
Et puis :
<«> ... Ils s'aimeront toujours. <p. 7> Les imprécations de Roland contre l'arme à feu qui tue
Au moment que je parle, ah ! mortelle pensée ! le combat honnête, ^e cbntredisent-elles pas la nature même du
courage de Roland qui se sait invulnérable^ ? Mais il y a une diffé­
a. Le guillemet ouvrant manque. rence essentielle entre la valeur qu'oq est et celle qu'on possède.
b. Phrase ajoutée au crayon à papier, sur la ligne suivante. Le teste du fragment est écrit au
stylo plume à encre noire.
64 Carnets de captivité Carnets, de captivité 65

Dans Roland furieux d'une façon, générale jcomme « individualité


du corps ». Atlant qui prend toutçs les-appatences de Roger n'est <p.lO>'-, L'animalité de l'homme. Non pas dans l'étude de sa
pas Roger ; Alcine qui a toutes les apparences d'une «jeune femme physiólogie et de sa psychologie: Mais dans^ la perception de
n'est pas une jeune fem'me. La magie fait partie de la constitution l'homme. Le sentir. Comme un bœuf ou une vache qui {se} sont
du mon^p. Le réel n'est compris,que. dans son opposition à la {mis à} marcher sur leurs pattes arrière: Certaines physionomies :
magie — à l'illùsion. ' qui portent en elles-mêmes comme leurs propres, limites*. Surtout
À noter ; la hiágue d'Angélique. Magie qui permet <de> résister quand ils" parlent et qu'ils ont l'air d» aller bien.au-delà"' d'elle-même
à la magie. Charrrife négatif®.- £t quexependant dans-leurs yeux, dans leurs cils abaissés {(assoupis­
<p. 8> Lai ruse d'Atlant qui retient les chevaliers dans un château sement)} — on sent qu'ils sont bien en deçà, qu'jls-piétinent sur place,
vide en leur donnant l'illusion qu'ils ont leur objet cher dans jce qu'ils sont comme ces hommes ivres.qui parlent des xhosea qui sont
château — et qu'ils ne pourront jamais quitter <ce> château à absolument sans aucun lien avec ce qu'ils áont^ penâent et «ssen-
jamais inexploré. Beauté littéraire et suggestive de cette image. tent. Sentir l'homme normal comme cutant une je,ne isais. quelle
Charme plus fort qu'un château en acier'. ivresse. Ce fond sur lequel se greffentrJes propos. d,'ivresse,- l'anima­
lité. Les <p. 11 > propos d'ivresse portent malgré leurs intentions
Magie dans Roland furieux - n'est pas une action à proprement leurs.propres limites. Tout cela apparaît aussi dans les prétentions
parler mais une puissance d'illusionner. Aussi la bague d',Angé­ intellectuelles derrière lesquelles gît en quelque manière cette face
lique et le livre quç Logistille^° donne à Astplphe qui tous deusç animale, limitée par elle-même. — Une verrue, un tic, la couleur
qui pejrmettent de défaire.les charmes — c'est la raispn. — chose, chose, chose. Agaçant dans sa matérialité.

L'amour pervers de^^Me. L'âcre plaisir de la spufifrance. C'est la Exaspération de la romance chantée par un commis sur une voix
présence même de Dieu. Amour pejrvers dp la vie -.ardour de Dieu. langoureuse et vide^
Bien au-dessus du <p. 9> panthéisme de l'amour direct - du Dieu
que l'on atteint par le spectacle,de l'univers harmonieux. « Lire un peu de théâtre ». Les « chants de Boileau ». Le recours
' à Larousse''.
Dans l'ampui pervers de la vie — la souffrance a un autre goût que
celui de la satisfaction d'un devoir accompli, {ou le} renoncement Le Bonheur dans le crime de J. Barbey d'Aurevilly..C'est parce qu'ils
purement négatif dè ï'ascétisme ou la prévision d'une récompense. étaient si parfaitement capables de" bonheur iqu'ils ont» été capables
Il a quelque chose de la formiJe : << intçret à vivre », la « vie est d'un crime.' Et que le ctime ne signifiait plus rien pour eux.
intéressante ». Le bonheur de la souffrance, dans la souffrance < 1—
elle-même, dans son élection. Et les perspectives qu'elle ouvre ne
viennent pas d'une récompense qui s'y ajoutera, mais découlent
de la,situation même de la souffrance en tant que position de la a. Lévinas passe au masculin alprs que le pronom renvoie semble-t-il aux^^« physionomies ».
Remarque similaire à propos du pronom réfléchi « d'elle-même », qu'il convient sans doute de
vig, du temps et <de> la « felix cutpa^ » qui la domine". mettre au pluriel.
b. « au-delà » en surcharge de « au-deyant ».
a. Le mot « domine » est semble-t-il interrompu par la déchirure du papier. Lévinas avait c.'Au début de la note, « C. » ou alors un crochet ouvrant.
peut-être écrit « dominent ». d. Même^remârque que dans la précédente nòte.
Carnets de captivité Carnets de captivité 67
66
du pur Edgar Poe qui détonait' dans un conte-parodie de Carlyle
<p. 12> Le système s'organise :
Le je à la fois le définitif du présent - c'est par le je que le présent et d'Emerson) le passage suivant pages 804-805 du Mercure :
évanescerrt se survit mieux que -dans* k mémoire (la mémoire « Ceci donc, méditait mon esprit, cette obscurité qui est palpable
suppose Je je). Cet aspect du je : la présence du moi pour le soi. et opprime d'un sentiment <1& suffocation ^ ceci — ceci - est -
- Mais le « fe » aussi le nOn définitif du définitifs ce.par quoi le véritablement la mort. Ceci est la mort ^ la teîrrible mort — la
présent doit être réparé - ce par quoi il y a espoir et^spoir pour le sainte mort. Ceci est la mort subie par Régulus et aussi par
présent. Dès'lors la dialectique du salut - la dialectique du je qui <p. 15 > Sénèque. C'est ainsi - c'est ainsi que moi aussi je resterai
s'affranchit de son intimité. X'intimité avec-autrui. Non pas qu'il toujoiirs - toujours - je resterai toujours. La raison esr"folie,'la
y ait là « fusion avec autrui » — précisément il y a"dualité du je. Et Philosophie un mensonge. Nul'ne connaîtrames sensations, mon
cette dualité sera décrite précisément dans la concupiscence char­ épouvante - mon désespoir, it*pourtant les "hommesi continue­
nelle -*que ron prend à tort pour un désir comme un autre. La ront à raisonner, à philosopher, à faire les imbéciles*. Il n'y a, je
sexualité comme origine du social. Parce qu'H y a « intimité » du le vois bien, point de ci-après que ceci. Ceci - ceci - ceci ^ est la
sexuel, il y a le phénomène du social qui est plus que la « somme seule.Éternité !- et quelle, ô Belzébüth'! - quelle Éternité - être
étendu dans ce vaste - ce redoutable-vide - à l'état dé hidéuse, de
des individus ».
<p. 13 > La caresse et l'accomplisseme' par le corps apparaissent vagufej d'insignifiante anomalie - sans mouvement, mais désireux
ainsi. Par l'amour aussi éclaircir le problème de la mort. Nouvelle de iile mouvoir - sans puissance, mais avide d'être puissant --pour
lumière projetée sur le couple « mort-amour ». Du sang, de la jamais, pour jamais, pour jamais" ! »
mort et de la volupté. C'est aussi sur le plan interpersonnel que se À noter les répétitions qui donnent plutôt le rythme de la situa­
pose la notion de l'idéal et de l'accomplissement. Vivre « à la face tion que des contenus. Mais cette situation n'est faite que de
de Dieu ». L'accomplissement -suppose drame - suppose dualité rythme. {L'« il y a ».}:
de personnes. — Lien dualité et le drame du temps s eclaircira a
partir de la dualité sociale c'est-à-dire sexuelle. Le Bien - dépasse <p.:l6> La réification-qu'iLy a toujours à dire : « être ce qu'^n
est.».JComme si le-phénomène du je était une essence à réaliser.
l'être.
« Réalisation » n'est toujours Vraie que de la res.
Quand je pose le sexuel à la base du social - je ne mets pas à
la base de tout le système : le plaisir sexuel, {ou} la libido dont L'opposition même-du possible et de l'existant vient de- la philo­
Freud ne dit rien de plus que la rcchcrc « recherche du plaisir ». sophie des « res »."Le phénomène~du « je » est d'un autre ordre.
Mais un ordre de relation que l'on peut découvrir dans cette rela­ Quel est cet ordre ? Solitude ou société; Enchaînement et liberté.
tion spécifique entre personnes qu'est <p. 14> l'amour sexuel. Être ou*" bonheur.

Edgar Poe. Sous le titre de Deux contes publiés dans Mercure de Je - Solitude. Être seul ^ seul au monde - solipsisme qui ne
France, 16.IL1911, un conte intitulé Perte d'haleine, conte qui n'est découle pas « de la relativité de nos.sensations » et de L'idéalisme.
ni dans ni hors de « Blackwood ». Traduit par M. D. Calvocoressi.
Dans la partie supprimée par l'auteur dans 1 édition définitive a. Ne feut-il pas plutôt lire « détonnait » ?
parue dans Broadway Journal (car d'après le traducteur, il exprime b. « ou >• en surcharge de « et ».
68 Carnets de captivité Carnets de captivité 69
C'est en posantia soHtude-en termes spécifiques du « je » que l'on {Vesoul'®}
peut découvrir le ^êtis de la « collectivité ». Respect — perception de la, personne.-Çe qui est .essentiel, c'estJe
•mystère supposé par le respect. Des êtres^entré eux - des hommes
« Ce serait-comme on dit porter des vases à Samos, <p. 17 > dés -,qui ne se gênent pas pour « leurs .besoins qui se connaissent
chouettes à Athènes et des crocodiles en Égypte. » L'Arioste, comme êtres « naturels » ^ avec cette-soi-disant sobriété,.« nous
Roland furieux, chant 40, connaissons ce qu'est l'homme » — « on sait que nous avons un
corps, etc. » - ne se connaissent que comnje des êtres matériels
La relation de jet-tu n'est pas si simple - d'où la difficulté du ayant des besoins - Ils reconnaissent Ipurs droits - droijcs A,d'indi-
tutoiement. Les stades dialectiques : tu - enfantin, {de familia.- vidus ». « Untel a soif », « untel 'a faini ». — Insuffisànçe foncière
rité, de condescendance} ; vous {de respect et d'indifférence}, tu de de l'homme démocratique — le droit de l'individujsans respect.,
l'amitié ou de la familiarité et de l'amour, de l'amour paternel.
<p. 20> Le charme de la chanson réaliste : un moyen inattendu dé
Chez Jankélévitch le fait de L'il y a apparaît uniquement comme siiicérifé.Xes sentiments usés,- décolorés de l'existence bQurgeoise
le poids de l'existence à la personne — comme l'-ennui. Ce qui est - retrouvent comme leur essence.première - dans l'existence qui
important-chez moi, c'est le plan même de l'il-y a. Ce n'est pas semble les avoir entièrement profanés. Uñe espèce ^Außeburtg,
l'inexplicabilité de-l'existence la Geworfenheit^^ — mais* l'imposr Usûre des formes spirituelles et dérivées.
sibilité de mourir^''. , î
La- bonté du temps, avoir du temps. Si l'éternité est soustraite
•Pour Jankélévitch, toute complaisance de la conscience dans à la mort - son définitif a quelque chose de mort,-xle cadavé­
<p. 18> son malheur — est quelque chose de vain — presque de la rique. Mais le temps n'est pas seulement la possibilité de réparer
vanité, du snobisme - c'est se rendre intéressant pour s'admirer. - et par conséquent quelque-chose par rapport au mal, —mais la
Mais n'y a-t-il vraiment rien de plus profond dans la complai­ joie positive du loisir. C'est autre chose.que la possibilité d'éviter
sance dans la souffrance. L'essehtiel n'est-il pas dans le fait que l'alternative —d'avoir,des possibles riches à la.place des réalités
l'on souffre à la face de .Dieu — .D'ailleurs n'y a-t-il rien d'autre définitives-et pauvres.-C'est le bonheur même de vivre, de-fairê
que de la vanité - dans le désir de « se <rendre> intéressant ». une histoire, de vivre une <p. 21 > histoire. Flâner, aller, revenir
Est-ce toujovirs « paraître intéressant » et jamais « être intéresr sur ses pas. Le bonheur de vivre n'est pas le bonheur-d'ctre. L'être
saftt ». D'<xx> Différence entre le paraître intéressant ou impor­ est cadavre. Il y a une profondeur dans la conception romantique
tant pour les chosesjrelatives qui est de la vanité.et de l'orgueil^ çt de la vie. Ambigui'té du mot mort : ce qui n'est plus - ce qui
être intéressant pour l'élection divine qui est peut-être le salut. est immuable. Le bonheur du mouvement, de la flânerie - et au-
dessus — de l'âpre goût-de la -vieKjui n'a rien de commun avec la
?. C'est dans le désespoir que sont les plaisirs les plus ardentp dialecrique du possible et du réel de Jankélévitch'^. Commandé
surtout»*quand on a conscience <p. 19> de ce désespoir... », par-: avoir du temps.
Dostoïevski, L'Esprit souterrain, p. 165. Traduction E. Halpérine
et Ch. Morice, Éditions Plon^'. Claudel vient expliquer l'enfer : <xxx> <xxx> et sens (feu) - par
l'arrêt de l'être corrompu, dans l'éternité dont il est le prisonnier
70 Carnets de captivité Carnets de captivité 71

et où il n'a plus le temps de se réparer. Ver — ver rongeur — faim


métaphoriqtie de Dieu. <Sens ?> <p., 22 > ouvert — ses sens allant Dans la formule habituélle « puis peu à peu l'intelligence s'est
de l'extérifcur vers l'intérieur-ét tiré par Dieu du repos <où> il se aperçue que l'image a une signification logique à côté de la signi­
consume. Cela devient feu-et vers célestes, métaphoriques. N'y fication mystique, etc. », 'et que l'on critique en*lui reprbdhant de
a-t-il pas», autre chose dahs 1'« inteñtioñ » de lâ brûlure et de k croire à la magie du temps — en dit plus long qu'on né pense et sur
« faim » Ì la notion de l'intelligence et sur la fonction du temps <sic>. Le
temps vient initialement de la notion « avoir du temps » - « du
Pour l'ariälyse de Yeros. Les' sentiments inditects : souffrir de la <xxxx> » — et c'est là la condition de la réflexion pour' l'intelli­
soufifrancé d'âutrui', se réjouir de ses joies. Réflexion'jâî genefii. Et gence elle-même. La possibilité de se saisir et de se ressaisir.
caractère infini de cette réflexion. <
<p. 25> Besoin — satisfaction. Besoin prévision. Felix-culpa.^
Martyre. Ce n'est pas seulement le sacrifice de sa vie. Ce qui
importe, c'est la fidélité jusqu'à la mort. On n'ose pas dire que La mort — sön pouvoir de négation.
le malheur est à son comble, que l'abandon par Dieu est total et
que l'heure de la-malédiction est venue car- <p. 23 > on-a encore La fatigue du repos - l'ennui. Le temps'de l'ennui est-un temps
le temps. Le martyre est au-delà de cette-fidélité — est^ la fidélité que l'on n'assume pas à partir de-son recul dans le <passé ?> de
dans la mort - là où il ne peut plus y avoir de miracle. Et en même la fatigue. Temps sans activité. D'où le vide de l'ennui. Retour
temps leisalut pour le présent-et non pas une simple récompense au temps de l'il y a. Mais alors activité et non position qui fait le
dans l'avfenir. présent ?

Toute cette Captivité - avec les Ibngs loisirs qu'elle a procurés, Réponse à la-question précédente, l'acte dans la position. Mais ce
les lecturfes <^u'on n'aürait jamais" faites ^ cömme'une période de n'est pas la position qui est comprise par l'acte - c'est l'acte qui
collège où les hpmriies mûrs se- trouvent, où l'exercice devient est déduit de la position — et du présent.
l'essentiel," où- l'on découvre qu'il f avait beaucoup de choses
superflues - dans les-r&lâtions, dans la noûrriture, dans les occu­ <p. 26> La peur d'âutrui — pas peur pour quelque chose. La haine
pations. La-vie norîïiale'pouriâit donc* elle-même être organisée d'autrui - pas haine de quelque chose. La haine d'un être déter­
autrement. La crise 'de notre vie d'avant-guerre apparaît dans miné.
cette simplicité. Contribution à l'analyse de Xeros.
<—^
<p. 24> Allemagne'^ Chez Proust les sentiments sont toujours réfléchis. Je veux dire :
i'émotiôn est toujours suscitée par une réflexion sur sa^ propre
Aspect des prisonniers en Allemagne. Vie monacale ou morale. émotion ee plus souvent encore par la réflexion sur l'émotion
Même les vieux ont quelque chose d'innocent et de pur. d'autrui. Mieux encore :"cette réflexion, c'est cette émotion même.
Mais par le rôle ijue jouent dans toute son œuvre^ces émotions
a. « est » est répété deux fois. - réflexion sur-les émotions d'autrui — c'est vraimènt le poète du
72 Carnets de captivité Carnets de captivité 73

social. Non pas un. peintre'de k société et des mœurs, mais le pensée de la mort (et le vieillissement et l'ennui) ; 2) Proust a la
poète du f^t ^oçfâl - du.faif mê^e qu'il y a pour moi autrui. notion de cette pensée »par la maladie ou p^ le vieillissement qui
< a sont un accès positif {et approprié} à une notion et sans lequel
<p. .27'> Pourquoi il y adeux mondes : ici-bas et au-delà, si le fond nous ne pouvons avoir qu'un concept négatif. Il y ^ des pensées
de l'être et du salut n'est pas felix culpa ^îLa. liberté elle-même et - situations. « Pour se représenter une situation inconnue l'ima­
le choix jie sont pas le but, corñme cqjidition djune.dignité supé- gination emprunte des éléments connus et, à cause de cela, ne
iieure, mais comme condition áeihi^felix culpa et du temps qui en se la représente pas », p. 15'. mais- la sensibilité même la plus
est lacàopvas. . physique, reçoit, comme le sillon deJa foudre, la signature origi­
nale et longtemps indélébile de l'événement nouveau », p. 15^°.
Chez Proust poésie du social pur. L'intérêt ne tient pas à la
« psychologie » mais au thème ^'le social. Toute l'histbire d'Al- « Car la question ne se pose plus entre un ceftfiin <p. 30 > plaisir
bertine prisonnière - est l'histoire de la relation avec autrui. - devenu par l'usage, et peut-êjtre par, la.^médiocrité de l'objet,
Qu'est Albertine {et ses mensonges} sinon l'évanescence xnême presque nul - et d'autres plaisirs, ceux-là tentants, ravissants, xnais
d'autrui, sa réalité faite de son néant, sa présence faite de son entre ces plaisirs-là et quelque chose de bieri ,plus fort qu'eux, la
absence, la lutte-avec l'insaisissable ? Et à côté de cela — Je calme pitié pour la douleur », Proust, Albertine disparue, I, p. 22^'.
devant <p. 28> Albertine qui dort, devant Albertine végétal.-Le
« caractère », le « solide » = chose. « Je me levais pour ne pas perdre de temps, mais la souffrance
nj'arrêta. C'était la première fois que je me levais depuis qu'Al­
<Au/Le ?> Kommando — l'intimité abjecte que créent les bertine était partie » — Interrompre l'histoire, c'est se situer dans
dînettes à deux : « tu manges ceci on garde cela pour demain », l'histoire, p. 24^^.
etc. Comme une intimité sexuelle vue du dehors. Dégoût, petit-
bourgeois, égoïsme, etc., etc. <p. 31 > « Et puis la femme avec qui on se montre le plus indif­
férent sent tout de même obscurément qu'en se fatiguant d'elle,
Le « sérieux » du manger la réalité, l'affreuse réalité qui se en vertu d'une même habitude, on s'est attaché de plus en plus à
elle... », p. 17^'.
recoud.

« . . . et je voyais soudain un nouveau visage de l'Habitude.


« Je n'avais pensé d'une âme équilibrée par la présence d'Alber-
Jusqu'ici- je l'avais considérée surtout comme un pouvoir anni-
tine, qu'à un départ arrangé par moi à une date indéterminée,
hilateur qui supprime l'originalité et jusqu'à la conscience des
c'est-à-dire situé dans un temps inexistant ; par conséquent
perceptions ; maintenant je la voyais comme une divinité redou­
j'avais eu seulement l'illusion de penser à-un <iépart,. comme les
table, si rivée à nous, son visage insignifiant si incrusté dans notre
gens <p. 29> se figurent qu'ils ne craignent .pas la mort quand
cœur, que si elle se détache, si elle se détourne de nous, tette
ils y pensent alors qu'ils sont bien portants et ne font en réalité
dèité que nous ne distinguions <p. 32> presque pas, nous inflige
qu'introduire une idée purement négative au sein d'une bqnne
santé que l'approche de la mort précisément altérerait. » Proust a. Suit une flèche qui invite à se reporter au bas du verso de ce feuillet, sur lequel se trouve la
- Albertiné disparue, I, p. 15'^. 1) La maladie elle-même cette suité de la citation. Le guillemet ouvrant manque, ainsi que la majuscule au premier mot.
74 Carnets de captivité Carnets de captivité 75

des souffrances plus terrible^ qu'aucune et qu'alors elle est aussi


cruelle que la mort. » Page 9^'^. Les explications données du Grand-Jules^^ et de sa carrière - par
les coulisses. {Retour au phénomène.} Le drame n'est compris ni
Mon œuvre à faire : parles <p. 35 > coulisses, ni de là salle où on est victímeles illu­
Philosophique : 1) L'être et le héant sions de la iriise en' scène — mais on peut' relire l'cfeuvre, revoir ses
2) Le temps intentions.
3) ílosên2^veig Grand-Jules — unité d'un destin. Perception immédiate de l'his­
4) Rosenberg^' toire faite - de l'histoire in statu nascendi.

Littéraire : Partir du Dasein ou partir du J.'


1) Triste opulence
2) L'irréalité et l'amour Il était si timide qu'il n'arrivait à parler <qú'> en adoptant une
Critique : pose, ^u'en se donnant un personnage gênant^'".
Proust
J.'' comme catégorie^®. •
Le fait de mettre sa vie en histoire : tenir de petits <p. 33 > carnets <
où l'on mentionne des « menus », marquer le nombre de kilo­ <p. 36> Ma réflexion sur Marie-Antoinette : ""ce n'est pas du
mètres faits, on en viendrait à faire les statistiques de tout : tant malheur humain de M. A. que je deviens brusquement conscient,
de biscuits mangés, etc., etc. mais, de l'importance des points de vue proprement-humains.
Même personnage : « suis aimé de ma femme » - la deuxième
moitié de la tablette ? Mais elle a été émiettée dans le colis. Il y-a toujours de la pitié dans la douceur^'.
Cécile de la folie, Marc Chadourne.
La ville où l'on arrive sans avoir vécu <xx> « la veille » de cette
ville. « Je crois qu'il se prépare un grand événement, que ma vie va
chahger ; j'écoute dans le vague, je regarde ^ux ténèbres, je suis
La terreur brusquement comprise dans son inhumanité. Marie- sans goût pour mes travaux, et je retrouve, après, 'Honorine, de
Antoinette séparée de sés petits enfants en attendant l'échafaud Balzac"^'".
- il n'y a plus de raison supérieure - historique ou autre - qui
excuse cela. Non pas au nom d'une <p. 34> pitié supérieure et Le voyage de M. Bergeret'' à <travers ?> le livre d'un <vaga­
universelle, mais au nom de ma souffrance personnelle - je <le ?> bond ?> < charme ?> < toujours
comprends. Rien ne justifie la terreur. Marie-Antoinette avant <
que tu montes sur la charrette où les cris de la foule te donnaient
déjà l'auréole et la force du martyre, où tu redevenais reine, où 'a' « J.Í» sans doute poür « Judaïsme ».
tu étais déjà soutenue par l'histoire. Non ! Marie-Antoinette la b. « J. » sans doute pour « Judaïsme
c. Ce fragment est barré par une cancellation en croix.
pauvre femme. d. Le déchiffrement est ici très conjeaural.
76 Carnets de captivité Carnets de captivité 77

<p. 37 > Avant {la chevalerie} Dante {chez Platon} l'amour est ses œuvres cette « essence des songes » ? Vigny - Stello. Toute la
considéré-en. dehors de la feihme. La femme en est «n> quelque valeur du livre est dans cette essence des songes.
manière l'accident. Chez Dante : Ja-femme, le* féminin devient
une, articulation essentielle-de l'amour. Béatrice. Mène sur la voie <p. 40> Rapprochement <xxxxx> et savoureux dans Stello entre
vers J'amour de »Dieu. Dans-ce sens .-aussi chez Goethe : das ewig les terroristes français de 1793 et Joseph de Maistre'"^. Vigny n'a
weibliche. Le féminin devient une essence. peut-être pas compris de Maistre, mais il a senti ce qu'il y a de
Che¿ moi ; la catégorie du non-moi. révoltant dans la justification par de Maistre de ce que j'appelle le
«fdiabolique ». Mais il y a malgré tout che? de Maistre un plan
Le féminin est autrui avant qu'autrui, soit une autre personne. q^ii est au-delà du subjectif et de l'objectif qu'irpplique la théorie
Nouvelle voie vers l'aperception d'autrui. Autrui = autre. -Alté- de la substitution des souffrances, qui est paradoxale svjr le plan
rité pure. subjectif évidemment et sur le plan objectif où ce serait mécon­
<p. 38> L'amour n'est pas dès lors un choix dans une multipli­ naître le caractère subjectif de la souffrancé. On en, arrive^ plan
cité, c'est lui qui rend possible la multiplicité. Il la précède. « idéal » que je cherche : « à la face de Dieu ». Chez les révolu­
tionnaires, <p. 41 > méconnaissance et mépris du sen? subjectif
Journal d'un poete de Vigny au sujet des consultations du docteur de la souffrance. Là seulement Vigny a raison.
Noir (en préparation).
« La deuxième consultation sur le suicide. Elle renfermera tous « ...jje n'avais pas cessé de rn'aimer parce que mes liens quoti­
les genres de suicide, et des exemples de toutes leurs causes analy­ diens avec moi-même n'avaient pas été rompus comme l'avaient
sées profondément. — Là j'émettrai toutes, mes idées sur la vie. été ceux avec Albertine. Mais si ceux avec mon corps, avec moi-
Elles sont consolantes par le désespoir même. Il est bon et salu­ mêmç, l'étaient aussi ? Certes il en serait de même. Notre amour
taire de n'avoir aucune "espérance"..L'espérance est la plus grande de la vie n'est qu-'une vieille liaison dont nous )?e savons pas noiis
de nos folies. Cela bien compris, tout ce qui arrive d'heuireux, débarrasser. Sa force es.t dans, sa permanence. Mais la mort qui
surprend'^. » la rompt nous guérira du désir de l'immortalité » - Albertine
disparue, II, 142®.
« La solitude est empoisonnée pour lui comme l'air de <p. 39> la
campagne de Rome. Il le sait ; mais il s'y^ abandonne cependant, <p. 42> Simhatt -, Thorah,áu. 4 octobre''.
tout certain qu'il est d'y trouver une sorte de désespoir sans trans­ Tracteur. Prouillar¿ Panne. Russes - chants - Yvan -la joie de
ports, qui est l'absence de l'espérance. » Goldf devant le nom Yvan. L'intensité de certaines phrases banales
Vigny — Stello^^.
a. Une coupure de presse se trouvait entre les pages 42 et 43 du carnet. Nous donnons unique­
ment le recto, le verso étant troncé :
« Essence des songes » — un rêve vécu comme qqch. d'étrange, Phlloçopipe. Psychologie.
Dietrich. Rud. ; Die Ethik Wilhelm Dilthps. (Abhdlgn. aus Ethik und Moral. Bd. 13.) 168 S,
de profond, d'intense sentiment qui diminue au réveil et il vous Düsseldorf, L. Schwann.
reste un symbole stupide dont on ne voit plus le sens. Ce qui s'est Keller, Wilhelm : Der Sinnbegriff als Kategorie der Geisteswissenschaften. Ten 1. 175 S. Mchn.,
évaporé - c'est l'essence du songe. Les attributs en eux-mêmes Ernst Reinhardts
Mahnke,"Dietrich : Unendliche Sphäre und Allmittelpunkt. Beitr. Zur Genealogie der mathematischen
n'étaient rien. Un grand poète n'est-il pas celui qui met dans Mystik. VIII, 252 S. Halle, M. Niemeyer.
78 Carnets de captivité Carnets de captivité 19
dans certaines situations. <Jaruch ?> et son enthousiasme devant Même le s/o' de carrière. Freddy. Un rôle joué. Tout est à nouveau.
l'arc de la porte du pays avec ses inscriptions. Rois sans terre. Rois de cartes.

Au retou/{<chasse ?>} - lampes, tempêtes. Louis l'imperturbable. <p. 45> 5a démarche - ses gamelles - son
Les chants de <Bultman ?>. livre - son isolement - son ton. Chfeveux longs, veste de facteur,
bâton, vaches. - 2 francs dans la poche. N'a pas besojn d'autrui en
Jules âu sommet dè sa gloire ne peut paji dormir, le rire j. l'em­ tant qu'autrui. {Chat de la vieille filie*".}
pêche'® - Tous les rires ; nerveux, absurde ricanement, et le rire
de* l'être libre. Celui-là on ne peut jamais en faire* passer l'envie. Parmi les restes d'un pauvre soldat tué- les bretelles qu'on renvoie
Mardochée'^. au père. Les bretelles sans la culotte.

L'attrait du « chez moi »' sur la jeune fille amoureuse. Le roman historique recrée le temps de l'histoire. C'est surtout
une question de perspective temporelle. Dans l'histoire, l'histoire
<p. 43> Vie avec <sommet ?> se déroule au rythme du siècle - de l'histoire. Efens le roman au
Accouchement. rythme d'une vie humaine. Le présent ne peut être donné que par
le roman historique et iion pas par 1'« histoire ».
Connaître la vie de la maison le jour où l'on y reste aux heures où
d'habitude on s'en allait. <p. 46> Dr. Hartmann : <champ ?> de bataille, fatigue, faim,
soif^ tout est perduî
<27/28 ?> octobre — charbonnier. Paysage désolé — abstrait,
arbre sans atmosphère comme sur un dessin enfantin - Après lès Dissimulation dépassant la condition humaine. M. P. P. Qu'est-ce
paysages des fo'rêts de bouleáux jéunes et espacés. Comme' des qu'il pense en fin de compte ? Que dira l'histoire ?
jeunes iSlles.
Jonas qui fizit Dieu et qui dort au fond de la cale. Il est flegma­
Le fait que les grands écrivains ont recours au surnaturel pour tique. David Golder".
expliquer l'homme (Fantôme — Méphisto) prouve non pas que
dans la nature de l'homme il y a deux principes — rnais qu'il Dormir. On entend les bruits des gens qui continuent de vivre.
<p. 44> faut plus que l'homme pour expliquer l'homme. C'est une agitation,qui souligne la sagesse du dormeur. Comme
le bruit de la mer.
L'èssentiel ; entendre l'appel de Dieu. C'est poux cela qu'il y a
toujours La beauté du passage de « Samuel » où le jeune L'acteur qui ne vit pas seulement dans le monde <p. 47 > scénique
Samuel ne sait pas encore entendre la voix de Dieu'®. - mais qui est appelle constamment à cheyal sur les deux mondes.
Situation nouvelle.
Les gens qui même {et surtout} dans une situation où toutes les
a. « s/o » pour « sous-ofHcier ».
situations sont perdues exagèrent - oh très légèrement - la leur. b. Écrit en travers de la marge de droite.
80 Carnets de captivité Carnets de captivité 81

Il s'es^marié et il est allé voir le r.^- il sortait et il pleura en pensant


Les notions de puissance. Possibilité vide, germe, plant. le r. est là — et les gens autour disaient Seidener Jungerman'''.

« Ce n est pas .un chien.-Il abandonne son maître pour courir «après Sur le champ fatigue sommeil < lourd ?>,Dr. Hartmann
n'irftpòrte qui*» - dit Tramel. « C'est précisément cela le chien »
- répondit <Mimi ?> La desçription des paysages Jionpas dans laçoonaissance <«p. 50;?
parfaite qu'on peut avoir d'eux, mais dans lem Auffnachung.'Voésit
La situation de celui qui bâtit pour 3 siècles. Plants de chênes. à u - Ç ' r a n d M e a u l n e s . P r e m i è r e s s c è n e s d u film.«« L e , p l u s b e a u f i l m
que .j'ai vu, une voiture, «une jeune,;fille, un jeune homme'qui
« Comment ! toi, un artiste, tu te places devant l'œuvre d'un passe », disait Michel^''.
autre, tu l'admires <p. 48> et tu n'es pas jaloux. Tu ne te déchires
pas la poitrine avec rage, et tu ne maudis pas le jour où cet ennemi Dissolution - vagabondage — rencontre-de ^Nakirn ?> - 3alut
a trouvé et saisi ce qui est à toi ? {Michel-Ange), Gobineau - La par le rôle social.
Renaissance — César Borgia, p. 258''^
Envie portée à la chambre éclairée un soir du mois de mai - sons
La prophétie est la faim de l'événement. Il y est figuré à l'envers dç,^iano.
( HaH3HaHKy)^^. Comme l'aliment dans la faim.
Envie pour tous ces gens qui savent où ils vont. Et cependant
Nous sommes si loin des causes de la guerre que les événements ils yont p£ut-être à la débauche - perdent leur temps - Envie
nous semblent obéir comme à des hasards. Comme les phéno­ pour les gens qui sont des habitués, qui n'ont pas l'inquiétude
mènes météorologiques.•Superstition. du temps perdu comme moi ; le. souci d'une œuvre. <p. 51> Les
gens qui prennent leur thé à une heure fixe. M. Landgrebe qui se
Eros - <xxxxxx>. Voluptés, socialite. Dieu - espèces du <p. 49> repose le dimanche au café.
mystère.' Variétés deJa temporalisation.
Les souvenirs cuisants qui vous font rougir toute la vie et qui
L. Drf et son concierge, les attentions pour <Bebett ?>. sont cependant insignifiants ; j'interpelle un garçon du balcon
« Voulez-vous faire ma connaissance » et je vois ma mère, « Oh
La promenade dans le järdin du pape. La gare, la petite usine — le popr mqi ce n'est rien, je suis plus grapd », le chapeau qui dansait
jardin - les bas saluts - le musée - la jeune fille avec le Bedecker, sur „ma tête quand je faisais la queue au théâtre, « une lettre
étudiante à Pise - conversation - on retourne voir le jardin - le froissée envoyée à un maître ».
hàllebardier. — c'était le jardin du pape <xxxxxxxxx> <xxxx> l
<xxx> {passage ensemble de la réalité autêve}. Felix Culpa ne suppose pas seulement le temps. Les deux acteç
du temps ne se suffisent pas : car le comble peut être disputé. Il

a. « r. » pour « rabbin »,
82 Carnets de captivité Carnets de captivité 83

faut pour la felix <cUlpa> qu'il y ait un comble-non dépassable


— le Messie: Le temps s'achève'd'une certaine manière et apporte <p. 54> La mise en scène peut tirer quelque chose des pièces de
quelque chose qui détruit la pesanteur du présent. Labiche. La complexité des situations devient par elle-même une
<p. 52> Le temps de l'accomplissement. féerie. Gaston Baty et le Chapeau de paille d'italie^^.

La théorie de Dieu ne peut -se développêr qu'à travers Is.® et le L'in^rtance de Toute la scène où Saiiitiel ne peut pas
Messie. Élection, inconnu dd'averiir - le-Mystère. Dieu une comprendre que Dieu lui parle et où -il va Voir Éli : « M'as-tu
certaine temporalisation du tempá", lin être qui n'est pâs subjectif appelé ? »
- Dans l'exigeñce de l'espoir pour le présent il y a déjà Dieu.
Iviresse n'est pas seulement effet du vin. Il y a cé stade du.déta-
Haine à distinguer foncièrement de l'envie de tuer. Elle suppose chement, de la sortie de la vie que l'on peut connaître dans toute
l'existence de celui qui est haï. Aimer la souffrance d'autrui. Envie espèce d'excitation. Au Kommando le dimanche soif. La facilité
de tuer — Catégorie. de tout parce qu'on est détaché de tout.

Dans V Aufmachung les choses apparaissent dans le mystère de «"Je tous interromps ? <p. 55> — Non*. C'est-à-dire on inter­
l'étrangeté. Étrange - étranger. Dans leur étrangeté les choses rompt toujours.
se révèlent comme un mystère. C'est le charme du cinéma. Les
paysages viennent <p. 53> machen sich auf vor uns'^^. Souvenir La plaisanterie d'Anatole France; On espère toujours une sagesse
essentielleinent Aufmachung. Passé. Histoire, sujets historiques. derrière la plaisanterie. Chez A. F. oá la cherche - en vain. Une
plaisanterie qui est pour elle-même. Qu'est-ce qui est sérieux
La musique - mouvement même de l'accomplissement. Le temps poürj'abbé Coignard''® ? Le manger, le boire, les filles, les livres.
pur.-
Paysage hivernal — plus'abstrait. Blanc — noir. Dessin plutôt que
Le mot ordurier dans l'amour. Réalité et mystère coexistent. Mots peihture. Peut-être plus «émouvant pour cette raison. Simplifié,
tendres, mots caresses. {Profanation.} on .efl voit les grandes lignes.. Dessin. Surtout le fond des arbres,
droits et noirs avec un blanc trait de neige - et sur fond de neige.
L'homme à la houppelande et au blaireau. Karl Freund camériste''
de Greta Garbo. Sa femme — presque aveugle va en Polynésie. <p. 56> La mer et la terre <xx>'' paraît que la terre est apparaît
Il l'accompagne jusqu'à Prague. Erich von Stroheim qui kit un cornine un immense scintillement.
film : voie de garage perdue dans la campagne - herbe, fleur
blanche, train inattendu — la fleur est écrasée une femme se jette La lassitude reposante du bateau. Est-ce la mer ou au contraire le
par la fenêtre et est décapitée - Film de 6 heures. Film lyrique. détachement de la terre ? Le caractère insulaire de l'existence. Le

a. « Is. » sans doute pour Isaïe. à. »Le guillemet fermant manque,


b. Il feut peut-être plutôt lire « cameraman ». b. Mot effecé ou simple tache ?
84 Carnets de captivité Carnets de captivité 85
paradis est un bateau ou une île. Le moment paradisiaque est dans
la barque de Charon.
La-marche sur une route où il n'y a aucune trace humaine, mais
uniquement la trace du gibier.
L'honiiîie c'est ce qui ne lutte pas pour la vie. C'est, du moins
le christianisme dans son interprétation de Tolstoï. La notion de Cette manière de compter les hommes sans les voir.
travail qui remplacejcelle de la lutte. « L'idée dje lutte ou travail ».
Animaux ne travaillent pas^
La joie à la réception d'une lettre <d-'aryen,?>-. .Contribution à
l'étude de Robert Dreyfus"*'.
Dans la vision blanc noir - l'être le noir. L'absence de lumière
- être.
,<p. 59> <Amour?> - en pleine'captivité comme»une morsure
quand on me parle - de N. Y. et. dé la vie insouciante qu'on y
<p.57> 1943
mène. Pense à E., à ses péchés - Impatience, peur de rater. Pensée
cuisante de S. F. — <!'?> occasion ratée précisément au cours du
1" janvier - Bal musette - Qqch. de creux et de fêlé. Pauvre W.' premier jour de la captivité quand tant d'aùtres soucis-plus acca­
tout petit chétif, avec sa coiffe bretonne. Frénésie - Embrassade blants m'assaillaient.'
- communion -Joie.
Dans la chambre avec la petite lucarne les hommes comme des
Philosophie — réelle en tant que travail. Le. rôle du travail dans nuage^ qui cachent le-soleil.
I économie de l'être. Travail plutôt qué prophétie.
La nuit où j'ai <attendu ?> le retour d'E. au nom de la « morale ».
L'urne est critiquée d'un point de vue auquel la politique apparaît
comme compétence, art ou science. Mais la politique est-elle cela ? <p. 60> Le caractère synthétique du nombre apparaît quand on
Ni science, ni volonté générale. Mais expression d'un savoir mystique. passe du système décimal au système un-imal. Il n'existe pas de
« La voix d u peuple est la voix de Dieu. » Dès lors l'essentiel <p.6S> système uni-mal. Il rxv'y a pas de nombre tant qu'il n'y a pas-de
du scrutin <ce> sont les impondérables et non pas ses moments systèm'ej« imal ». Le nombre toujours réflexion-au moins sur le
clairs. Le nombre = mystère statistique. Toutes les « absences » dans «jdeux.».
la décision individuelle. Vraiment opération mystique.
Innocence — ne peut pas être décrite psychologiquement. Il y a
Comme l'animal qui en fuyant précisément laisse sur la neige des pharisiens qui se sentent dans leur droit—qui n'ont rien à se
immaculée les traces qui permettront de le retrouver. reprocher - .très sincèrement. Ils-.sont d'accord avec eux-mêmes.
Leur culpabilité est objective. D'où contraire de l'innocence
a. . w. » peut-être pour Weill, personnage d'Erof (?). Notre prudence s'explique par le fait enfantine. Non pas au sens freudien. Il est pos-<p, 6l>sible que
qu il escquestion, dans le Carnet 3, p. 10, d'un certain « Wiech », dans une situation dans laquelle
pourrait fort bien se trouver le personnage A'Ens (?). On ne peut donc exclure que ce personnage
psychologiquement l'enfent soit innocent. Mais l'innocence ne
se soit d abord appelé « Wiech » (sur les hésitations de Lévinas à propos du nom des personnages se définit pas psychologiquement. Péché originel - dans ce sens
de ses romans, cf. la préface de ce volume). seulement.
86 Carnets de captivité Carnets de captivité 87

Le sens du cauchemar. Réalité immobile - absolument étrangère.


Les dififérentes classes st® <me ?> absxraites les unes aux autres'. Nuit en plein jour.
Un cordonnier. Un professeur. Impénétrabilité des milieux. [Une
histoire - la connaissance} 3HaK0MHTbCH'°}''. Écrire d'une La pureté - besoin de pureté. Une innocence <excusée ?>.
manière où ces abstractions seraient surmontées. Chaque milieu <—^—^

a sa hiérarchie - ses mutations, nominations, carrières - où les <p. 64> « Il faut rentrer » - le clocher - Dante - la réalité.
autres se réfléchissent cpmme des abstractions. <Musicus ?> qui fait un détour pour ne pas revenir à Vérone
uniquement parce qu'il y-est allé - II <a/y: <a> ?> -20 ans - Là
Les qualités des choses sont des relations. Odeurs, goûts certain' retraite - l'existence sereine de la vieillessé près du clochepqui a
— Peut-être couleurs. <p. 62> Ce qui caractérise la chose — c'esfla vu notre naissance. La Palestine pour nous —-rentrér.*
continuité. Point de vue philosophique apparaît avec la disconti­
nuité et le temps. {Discrétion et secret.} La première connaissance — Îa pudeur — connaissance de la
nudité.
Navon" qui me parle de Paris et de son train-train quotidien
comme d'une ville inventée. La réalité pour lui était la petite ville « Il n'a pas pu réprimer un gloussement de joie » quand'on lui- a
turque dont il venait était venu il y a 60 ans. annoncé <xxxx>.

Le lecteur non prévenu de la Bible voit la réalité dans les paroles Ich spiele klassische Musik und <ich ?> <kann ?> <xxxxxx>. <xx>
et les actes des prophètes. Il lui est presque incompréhensible que <xxxxx> <xxxxxx>".
la vraie réalité historique s'oit dans les actes des rois qui apparais­ <
sent comme suspendus au-<p. 63>dessus d'un abîme par leurs <p. 65 > Foi - au-delà de l'espoir.
péchés. Martyre. Fidélité.

L'homme aux souris blanches qui s'arrête dans une auberge. <xx> Lumière satò chaleur. Clarté sans être. Et déjà comrrie une caresse.
au départ multiplication de souris dans l'auberge. Souris blanches Printemps.
aux yeux rouges. Très méchantes. Pour leur extermination appel
à un spécialiste. Montrer la barbarie du médecin. Tout l'intime, le mystérieux
- deviént terrain de technique, est au clair. De sorte que'tout
Js."^ comme catégorie'^ : où le salut individuel devient collectif ce qu'il y a de virginal dans l'homme est proclamé en somme,
— n'a qu'une forme collective. Le « je » dans le « nous ». faux-semblant, décors, théâtre. Les ouvriers qui manient le ciel, le
jardin, l'arbre comme des cartons - ciel, soleil, arbre qui apparais­
sent dans'une féerie aux spectateurs. Tout devient mensonge.
a. « st » en surcharge de « sociales ».
b. Le crochet ouvrant manque. Dostoievsky et la recherche de la nudité.
c. « Js. » sans doute pour « Judaïsme ».
88 Carnets de captivité Carnets de captivité

<p. 66> Les Corybantes — prêtres de Cybèle, lorsqu'ils dormaient Tarr Jas 27-45
les yeux ouverts, lorsqu'ils gardaient Jupiter de peur qu'il ne .fut
englouti de <sic> Saturne. Chez Rabelais le verbe corybantier'''. Roñdeau Le Vésinet 2-97

L'histoire de Mme RaskolnikofF : « Et lui, il ne savait pas si RippTro <11 ?>-<42 ?>
RaskolnikofF l'avait reconnu. Il ne l'a su jamais. »
Mon S. R 17815
Le fils a sacrifié son rêve. Il a choisi ee-q la <xxxxx>..Et la mère
qui aimait le rêve du fils lui a <donné ?> l'image de celle qu'il a
P. M. David
sacrifiée. La mère a aimé le rêve du fils.- 2, place Louis-Pasteur
à Toulon
<p. 67 > Mme S. Fragole
10, avenue des Vignes
<p. 69> R. Bagot
Neuilly-Plaisance
4, rae d'Autrain {Lebàstard}
(S.-et-O.)"
à (Rennes)
Marcel Portalès
Sidersky
2, tue Doria
44, rae Pastorelli
ou
Nice (Alpes-Maritimes)
17, rue du Palais
à Montpellier
sa sœur Braneau
Mme Imbert 30, avenue du Châlet
39, nie de Lille Neuilly-Plaisance
à Paris 7® (Seine-et-Oise)
< Tél. : 45 Rosny s/Bois Seine
<p. 68> <Mlle /Mme ?>" <Mintz ?>
4, rue Arsène-Houssaye Alekhine
à Paris 11 bis, rae Schoelcher Paris 14"^
Ope 69-44, Jas 40-50 Dan 63-34
< i—>
Marcel <p. 70> Mademoiselle Marguerite Laurent
21, rae de Tournon 15, bd Blaize-de-Maisonneuve
Dan 29-28 à St-Malo
90 Carnets de captivité Carnets de captivité

Madame Henry Jan Mme Sirjacq


10, avenue Barthbu 24, rue des Fossés
à Rennes Rennes

Louis Croix-Rouge de Rennes


3, rue Beau-Manoir 3, rue St-Hélier
à Rennes (I-et-V^) Tél : 54-78

Mme Vallé Frédéric Haas


75, bd de la Tour d'Auvergne 6, rue de Paris
à Rennes (I et V) Rennes
<
<p. 71 > Ç.A.T. <p. 73> M. Güstin
134, rue de Grenelle 7, rue des Moulins
à Paris Paris

Dr. G. Fourès M. Vandal


4, rue de la Têt Chez M. Lhomault
Perpignan Place de l'Église
(Pyrénées-Orientales) Reuilly
(Indre)
Max Dorât
Bain-de-Bretagne <p. 74> Pilotin Félix
(I-et-V) 63, bd Kellermann
Paxis 13'
5423 Fort Hamilton
Parkway Duglué
Campel
<p. 72 > Fernand Lamouroux (I-et-V)
19, avenue du Pont-Juvénal
à Montpellier Tieu Duong
Hérault Coiffeur
Dynamite
St-Martin-de-Crau
a. « I et V » pour Ille-et-Vilaine.
(Bouches-du-Rhône)
92 Carnets de captivité Carnets de captivité

<p. 75> Serge God chez < Rudes ?>


Madame Lemarchand 78, rue Laugier
Clinique St-Vincent Paris 17'
Rue Jean-Macé < >
Rennes (I-et-V) <p. 77> Deprès Élenor
60, rue Anne-Delavaux
Kaabouche Ali Lomme-lez-Lille
Commune mixte Nord
Fedjm Zaala
Douar Roussia Devez
Dept de Constantine Rue du Marais-de-l'Épaix
Valenciennes
Wallet - 12, rue des Tribunaux
St-Omer
Mme Gruel
(Pas-de-Calais)
20, rue de Nantes
Rennes
<p. 76> Mme Dupré à Laval
25, rue Jules-Ferry »
Jean Darnis-Gravelle
de la part de M. <Rabusson ?>
2, rue Corvette
Paris 8=
Dr Gilbert Fourès
ou
Hôtel Continental
Villa Sous la Ruaz
1, rue d'Orléans
à <Talloires ?>
à Rennes
(Hte-Savoie)
Dr <Sztabert ?> Charles
Caserne de Pontanézen » Michel Pilotin
Par Lambézellec 86, rue Olivier-de-Serres
Près Brest Paris 15'
Finistère
<p. 78> Dr Henry Levy
Tambuté 238, rue de Lyon
11 bis, rue Lauriston à Alger
Paris
94 <2arnets de captivité Carnets de captivité 95

Jean Constant Delanoy <Fredy ?>


5, rue Lamartine <xx> <xxxxxx>"
à Amiens
<p. 80 > Docteur Gilbert Fourès
Georges Vion Collioure
35, passage Beliivet (Pyrénées-Orientales)
Caen (Calvados) Avenue de la Gare

Faucher Max Dorar


74, rue Vasco-de-Gama Bain-de-Bretagne
Paris 15' Rennes
(I-et-V)''
Tambuté
Chez Mme Calyet
80, rue de Chézy
Neuilly s/Seine

Jean Asselin
Suresnes (Seine)
27, rue Danton

Maurice Perru
97, rue Meurin
à Lille (Nord)

<p. 79> <Gruszku ?>


Robert Levy
Léon
Grand Léon
< Goldbaum ?>
Goldfeder
Reznik a. Il est difficile de dire si, dans ce fragment, les mots sont raturés ou alors soulignés. Par
ailleurs, les trois premiers noms figurant sur cette page sont barrés d'un trait en zig-zag et l'en­
Elie Barouh semble de la page l'est par une croix de Saint-André.
<Placzak ?> b. Cette dernière adresse est écrite dans le sens de la largeur de la page.

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