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Face au fossé de plus en plus grand entre les dirigeants et les citoyens, il n’est pas
inintéressant de s’interroger sur les formes que peut prendre la démocratie en Afrique et
ailleurs au cours du 21e siècle.
La démocratie dans les pays industrialisés repose essentiellement sur les formes
structurées d’une démocratie représentative. Lorsque le mode d’organisation de la
représentation devient tributaire de l’argent, de groupes d’influence dépendant
d’oligarchies financières militaires, financières ou religieuses, il est possible de
s’interroger sur la qualité de la souveraineté du peuple et les chances de voir les vœux du
citoyen être pris en compte une fois le représentant du peuple élu. Combien de fois
n’a-t-on pas entendu les citoyens se plaindre du non-respect des promesses électorales ?
Lorsque le citoyen-électeur finit par se persuader de son impuissance à relever le
représentant de ses fonctions face à ce qui transparaît comme une subtile supercherie,
alors le même citoyen-électeur peut être tenté de transférer sa confiance à des partis Yves Ekoué Amaïzo
politiques prônant des alternatives populistes souvent radicales. Que Hitler, archétype de
la concentration du pouvoir, soit arrivé au pouvoir par la voie démocratique rappelle à tous
l’urgence qu’il y a de mettre en place une véritable séparation des pouvoirs ! Ces pouvoirs
Réagissez à cet article!
ne peuvent qu’être logés au sein d’institutions crédibles et indépendantes dans
l’accomplissement de leurs missions.
Dans les pays industrialisés, lorsque les promesses électorales ne sont pas tenues, la
discipline démocratique, obtenue grâce à l’instruction civique et les médias, structure la
patience des électeurs et permet de « remplacer » par le vote sanction le représentant du
peuple indélicat. Dans encore trop de pays africains, le système ne permet souvent pas de
mettre en cause les dirigeants politiques. La pauvreté conduit souvent à rechercher les
voies du compromis, voire de la compromission, condition sine qua non pour continuer
d’accéder à sa pitance journalière ou conserver un emploi, voire sa famille. En filigrane, la
corrélation étroite entre l’augmentation régulière du revenu par habitant (produit intérieur
brut par habitant, PIB/hab.) et la qualité de la démocratie réduit les risques d’émergence
d’Etats défaillants et de révoltes de ras-le-bol des populations sans voix. En effet, les
fraudes non sanctionnées et leurs fréquences sont bien plus nombreuses dans un pays
économiquement pauvre, en Afrique en particulier, que dans un pays économiquement
riche où des garde-fous institutionnels, intraitables sur l’éthique et la constitution,
permettent de corriger les dysfonctionnements. Il suffit alors de rappeler le niveau du
revenu par habitant et s’interroger sur la qualité de la démocratie dans les pays comme le
Ghana, la Libye, la Corée du Sud entre 1950 et 2001 pour se faire une idée de
l’importance de la croissance économique partagée sur l’essor et la diffusion de la
démocratie. En effet, le revenu par habitant de la Corée est passé de 770 $ en 1950 à
14673 $ en 2001 alors que celui de la Libye est passé respectivement de 857 $ à 2284 $
(avec un pic en 1970 à 9115 $ ) alors que le Ghana a progressé modérément de 1122 $ à
1311 $ [1]. Il est donc clair que le type de démocratie choisie a un impact certain sur la
répartition du revenu au niveau des populations. A ce titre, le modèle de la Corée doit
servir de référence. Ce pays disposait d’un revenu par habitant inférieur au Ghana et à la
Libye en 1950 et se retrouve largement en tête aujourd’hui.
Sur un autre plan, les entorses et les déficits démocratiques réguliers en Afrique se
conjuguent souvent avec une institutionnalisation avancée de l’impunité. Celle-ci est bien
sûr présente dans les pays industrialisés et riches mais le pouvoir de l’argent et de la
liberté d’expression promue par les médias indépendants en atténuent les effets
collatéraux pervers.
En Afrique, les dirigeants qui se sont mis en quarantaine du Nouveau partenariat pour le
Développement de l’Afrique (NEDAD) et du respect de la bonne gouvernance politique et
économique n’ont plus d’autres moyens que le découpage électoral, la manipulation des
fichiers électoraux, la distribution inégalitaire des cartes d’électeur, la création de
contraintes dans le comptage électronique ou manuel des voix, l’inversion des résultats
électoraux, le droit « régalien » d’annonces des résultats électoraux effectués comme un
véritable fait du Prince, et l’abus de pouvoir permettant de se déclarer élu, si possible dès
le premier tour, tout en minimisant les réclamations au niveau des comités électoraux
nationaux dites indépendants ou des hautes instances juridiques locales. En réalité, c’est
la communauté internationale qui bon an, mal an reste en dernier ressort le véritable juge
de l’acceptation ou non des résultats des élections en Afrique, qu’elles soient propres ou
pas. Les offres de diversion, d’intégration et de corruption faites par le pouvoir usurpé à
l’Africaine, réduisent souvent au silence des leaders de l’opposition surpris par l’audace du
gagnant et la naïveté de leur non-stratégie collective. L’instrumentalisation des comités
électoraux indépendants, le bourrage des urnes et les déclarations unilatérales de la
victoire font partie d’une forme moderne du détournement de l’esprit de la démocratie
représentative en Afrique. Ces pratiques doivent être fermement condamnées. Mais le
citoyen-électeur africain moyen, à la recherche de sa pitance quotidienne, peut-il/elle
véritablement mettre en cause des résultats annoncés en fanfare, parfois avec la force
militaire et un soutien extérieur non dénué d’arrière-pensées ?
Lorsque le Président d’un pays des droits de l’Homme a jugé bon de féliciter un candidat
africain pour son élection bien avant que le comptage des voix n’ait été effectué, on peut
se demander de quelle démocratie l’on parle et comprendre les critiques à l’encontre de
cette forme perverse de la démocratie représentative occidentale, surtout lorsqu’elle
s’applique dans les espaces africains où le droit et la démocratie sont à géométrie
variable. La légitimité du pouvoir africain passe donc par la reconnaissance des dirigeants
des pays industrialisés dont l’adhésion au principe démocratique est aussi à géométrie
variable, selon que l’on s’exprime sur l’Occident ou sur l’Afrique. Il est vrai que les pays
africains, sans influence économique effective, ne peuvent offrir un contre-pouvoir réel,
pris en étau entre les conditionnalités et les services de la dette réclamée sans pitié par
les institutions financières de développement aux ordres des pays majoritaires au conseil
d’administration. Face à de telles interrelations de moins en moins transparentes, il ne
faut pas s’étonner que le concept de démocratie représentative, qui ne met pas le peuple
au centre de ses préoccupations, doit être réajusté et adapté au cours du 21e siècle. Le
débat doit être réouvert, surtout après la période de guerre froide et l’émergence d’une
Chine ne s’ingérant pas dans les affaires intérieures de droit humain ou de démocratie en
Afrique.
Lorsque l’on applique ce principe aux affaires en cours notamment la condamnation à mort
en Libye [3] des infirmières bulgares et un médecin palestinien en 1998, soupçonnés
d’avoir transmis le virus du VIH-Sida à des enfants de la ville de Benghazi [4], ville
considérée comme « récalcitrante » face aux grands principes de la « révolution libyenne
», il devient ainsi difficile pour le pouvoir central libyen de remettre en cause des
décisions collectives adoptées au niveau des comités populaires de base. Ceci est
d’autant plus intéressant que dès lors que l’un des fils du Leader libyen a publiquement
indiqué en Bulgarie qu’il n’y aura pas de « condamnation à mort » des infirmières, des voix
se sont élevées en Libye pour s’interroger sur le pouvoir « individuel » d’un individu, fut-il
fils du Leader, pour remettre en cause les décisions collectives prises à la base. Voici donc
l’impasse politique dans laquelle peuvent mener parfois les décisions prises à la base.
Faut-il rappeler que cela fait sept ans que cette affaire perdure sans une véritable
solution à l’horizon, puisque les décisions juridiques sont suspendues à la décision de la
cour suprême libyenne. Aussi paradoxalement que cela puisse paraître, une des solutions
effectives serait de représenter le dossier devant les comités populaires de base de
Benghazi avec les nouveaux éléments versés au dossier afin d’espérer obtenir un « feu
vert » collectif de la population locale laquelle ne décolère pas d’avoir perdu 426 enfants
alors qu’elle ne faisait que réclamer un droit élémentaire à la santé.
Ainsi, au lieu de chercher à justifier tel ou tel modèle de la démocratie et tomber dans le
piège de la hiérarchisation des modèles, tapis rouge pour déclencher le choc des
civilisations, les dirigeants occidentaux de tous bords et ceux d’Afrique et d’ailleurs
devraient organiser un vrai débat-conférence sur la question afin de restructurer, de
manière dynamique et sans dogmatisme, les contours de l’évolution de la démocratie du
21e siècle.
1. Angus Maddison, The World Economy Historical Statistics, OCDE, pp. 184, 218, 220 et
224; les valeurs sont en équivalent $ de 1990 (ajusté selon la méthode International
Geary-Khamis $).
2. Yves Ekoué Amaïzo, La neutralité coupable. L’autocensure des Africains : un frein aux
alternatives ?, en préparation, collection « interdépendance africaine », éditions Menaibuc,
Paris 2007.
4. En 1998, à Benghazi, Libye, des enfants sont trouvés porteurs du virus du Sida. Le 9
février 1999, la police arrête, sans mandat, de nombreux professionnels de la santé,
travaillant en Libye. La majorité des détenus (beaucoup de Libyens) sera ensuite
relâchée, à l’exception de cinq infirmières bulgares, un médecin bulgare et un médecin
palestinien. Les autorités les accusent d’avoir sciemment transmis le virus du Sida à 426
des enfants à l’hôpital où ils travaillaient comme coopérants. Le médecin bulgare sera
libéré 4 ans plus tard. Le 9 février 1999, il semble que seul le personnel médical non
libyen ait été accusé d’assassinat prémédité « pour avoir provoqué » une épidémie par
injection de produits contaminés par le Sida à 393 enfants libyens. D’après la revue
scientifique britannique Nature et d’après l’analyse d’échantillons prélevés sur 44 enfants
infectés, il a pu être déterminé que les infections avaient commencé au sein de l’hôpital
bien avant l’arrivée des infirmières et du médecin en mars 1998. Ce point de vue n’est pas
confirmé du côté libyen.
5. Moammar El Kadhafi, Le livre vert, Centre mondial d’études et de recherches sur le Livre
vert, Tripoli, Jamahiriya, 3e éd. 1999.
6. Yves Ekoué Amaïzo (sous la direction de), L’union africaine freine-t-elle l’unité des
Africains ? Retrouver la confiance entre les dirigeants et le peuple-citoyen, Collection «
interdépendance africaine », éditions Menaibuc, Paris, France, 2005.
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