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France-Roumanie, une relation qui se réchauffe

Marianne Rigaux — 09.06.2016 - 7 h 04
À la veille du match entre les deux pays en ouverture de l'Euro, rencontre avec
l’ambassadeur de Roumanie à Paris. Luca Niculescu a la délicate tâche de promouvoir
son pays en France.

Deux jours plus tôt, il était au micro de TV5 Monde, interviewé sur la place de la Roumanie dans
l'espace francophone. Avant, c'était lui qui posait les questions. Propulsé ambassadeur à Paris il y a
cinq mois, Luca Niculescu était jusque-là journaliste en Roumanie.
Rédacteur en chef de RFI Romania, une filiale de Radio France Internationale, il
animait l’émission «En français s’il vous plaît». Il fut aussi correspondant du journal Libération
pendant douze ans. 

«Mon premier papier pour Libé, c'était sur l'adhésion de la Roumanie à l'OTAN en 2004».
Choisir un journaliste comme ambassadeur reste chose rare dans le milieu de la diplomatie. À 45
ans, dont vingt-cinq dans les médias, Luca Niculescu a justement été nommé pour sa profession et
surtout sa connaissance de la France.
«J'ai reçu un coup de fil du Président Klaus Iohannis. J'ai hésité, j'ai réfléchi et j'ai dit oui
rapidement. C'est un beau défi et une fierté de représenter mon pays. Connaissant bien la
relation roumano-française, je pense que je peux avoir une valeur ajoutée. Au final, j'ai changé
de profession, mais je n'ai pas changé de domaine.»
Si le profil est atypique, le choix est stratégique. Un autre journaliste, Emil Hurezeanu, a
également été nommé ambassadeur à Berlin, en 2015. Lui et Luca Niculescu ont pour mission
d’améliorer l’image de la Roumanie en Allemagne et en France..

Les roms, le dossier empoisonné


Luca Niculescu se définit comme «l'avant-poste de la relation franco-roumaine». Une relation
qu’il qualifie de «l’une des plus riches que la France a avec un autre pays».
Pays latin, à la population encore largement francophone, voire francophile, la Roumanie a
toujours considéré la France comme sa grande sœur de l’ouest. Par son architecture et son
atmosphère, Bucarest a même hérité du surnom de «petit Paris des Balkans».
Malgré des liens solides, le couple Bucarest-Paris connaît des hauts et des bas. 
«Il y a eu des épisodes tendus, puis la France a redécouvert la Roumanie. Aujourd’hui, la relation
est meilleure qu'il y a cinq ans», estime Luca Niculescu.
Parmi les «épisodes tendus», le dossier rom. À l’été 2010, la France durcit sa politique française à
l'égard des roms, accélère le démantèlement des bidonvilles et renvoie plusieurs centaines de
personnes vers la Roumanie et la Bulgarie. Le président roumain Traian Basescu demande alors à
Nicolas Sarkozy «d’essayer d’arrêter le processus d’expulsions», qui apprécie peu la leçon.
En septembre 2012, Manuel Valls se rend à Bucarest en tant que ministre de l’Intérieur pour
discuter de l’intégration des Roms. Les démantèlements de camps se poursuivent, malgré l’élection
de François Hollande. En novembre 2013, la France s’oppose à l’entrée de la Roumanie dans
Schengen. Même si les deux questions ne sont pas liées, le sujet des Roms revient gâcher l’amitié
franco-roumaine.

Des efforts en France et en Roumanie


En devenant ambassadeur, Luca Niculescu appréhendait un peu le sujet. Il semble que les choses
se soient tassées. «Je m'attendais à ce qu'on me parle plus des roms. Quand j'étais journaliste,
j'avais l'impression que cette problématique occupait une grande partie de la relation bi-latérale.
Aujourd’hui, l'attention des médias est ailleurs, on parle davantage des migrants. Et puis la
Roumanie fait des efforts pour inclure la communauté rom.»
Le Premier ministre Dacian Ciolos a annoncé un plan pour sortir 580.000 personnes de la
pauvreté d'ici 2020, dont une majorité de roms. Le pays a adopté un plan stratégique pour
l'intégration de ces populations avec des moyens concrets pour l'accès au logement, à l'éducation à
la santé et au travail.
Je mets en avant le fait que la Roumanie n'a pas de mouvement populiste extrémiste,
qu'elle est dirigée par un gouvernement pro-européen
«Heureusement, parfois, les journalistes s’intéressent à d’autres sujets, comme cet article dans Le
Monde sur le tourisme à Bucarest, ainsi que le dernier publié par Slate». Et il ne le dit pas par
politesse: il a partagé l’article dès sa sortie sur son profil Facebook avec moult compliments.

Le cinéma et les médecins comme ambassadeurs


Changer l’image de la Roumanie et la promouvoir n’est pas une mince affaire. «Il faut être présent
partout, parler de son pays, donner des interviews, lutter contre les clichés.» Et surtout saisir
toutes les opportunités: une visite dans une ville jumelée du côté du Mans, une conférence à Saint
Brieuc ou un spectacle d’élèves à Guingamp.

D’autant que la concurrence entre les ambassadeurs est rude pour capter l’attention des politiques
et des médias. «Ce que je mets en avant dépend des rendez-vous: avec des entreprises, je montre
l'excellente santé de la Roumanie. C’est un pays membre de l'UE depuis presque dix ans, qui n'a
pas de dette, peu de chômage, pas de déficit, un taux de croissance enviable… Ce sont des
conditions intéressantes pour les investisseurs».
Il ajoute: «Avec un homme politique, je mets en avant le fait que la Roumanie n'a pas de
mouvement populiste extrémiste, qu'elle est dirigée par un gouvernement pro-européen... Dans
une Europe où il y a beaucoup de problèmes, la Roumanie est un pays normal, prédictible pour
ses engagements internationaux».
Toutes les réussites sont bonnes à valoriser. «Actuellement le cinéma roumain est le meilleur
ambassadeur de la Roumanie», estime Luca Niculescu, qui était au festival de Cannes en
mai. Deux films roumains étaient en compétition officielle, confirmant la qualité des productions
venues de Bucarest.
«On compte aussi 10.000 médecins roumains en France : ils constituent un bon vecteur pour
l'image de la Roumanie. Il y a aussi les associations culturelles, et puis les Roumains eux-mêmes,
qui défendent leur identité.» Ils seraient entre 200.000 et 300.000 en France.

L’Euro, un moment sportif et diplomatique


Le match France-Roumanie en ouverture de l'Euro français? Une nouvelle occasion de faire parler
du pays en bien. Fin avril, Luca Niculescu a reçu à l’ambassade deux joueurs et le président de la
fédération. «Une quinzaine de journalistes français, et pas que sportifs, sont venus à la
conférence de presse». Vendredi soir, l’ambassadeur regardera le match dans la tribune
présidentielle en compagnie du Premier ministre roumain. «Un moment sportif et diplomatique,
puisqu’on devrait en profiter pour signer une nouvelle feuille de route dans le partenariat
stratégique.»
Concernant le score, il préfère l’humour au pronostic. 
«Ce n'est pas l'équipe d'il y a vingt ans, mais je leur fais confiance. Ce sont des gens normaux,
soudés. Ils ne gagnent pas des sommes faramineuses, mais ils ont les pieds sur terre. Et c’est
mieux pour le foot.»
À la rentrée, Luca Niculescu accompagnera François Hollande pour sa première visite en
Roumanie. Depuis la fin du régime communiste en 1989, tous les présidents sont allés en à
Bucarest: François Mitterrand en 1991, Jacques Chirac en 1997 et Nicolas Sarkozy en 2008. Les
médias roumains comme français avaient alors focalisé sur deux choses: son mariage la veille, avec
Carla Bruni, et cette scène où Nicolas Sarkozy embarque le stylo du président roumain après avoir
signé un accord.
Le président roumain Klaus Iohannis, est venu à Paris en février 2015, trois mois après son
élection. Un proche confiait alors à Libération: «Ces dix dernières années n’ont pas été très
heureuses, dominées par le manque d’intérêt de l’ancien président Basescu pour la France et
l’obsession de Nicolas Sarkozy sur l’unique problème des Roms». Des propos rapportés dans
un portrait de Klaus Iohannis, signé… Luca Niculescu.

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