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Recherches et Prévisions

Maryse Bresson, Sociologie de la précarité


Sandrine Dauphin

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Dauphin Sandrine. Maryse Bresson, Sociologie de la précarité. In: Recherches et Prévisions, n°91, 2008. Minima
sociaux. Diversités des logiques d'action et des publics. pp. 147-148;

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Maryse Bresson
Sociologie de la précarité
2007, Paris, Armand Colin, collection Sociologie 128, 126 pages.

Cet ouvrage de synthèse – propre de la collection l’idée d’un rattrapage possible. Ce paradigme est
128 d’Armand Colin – offre, dans un langage clair plus particulièrement relatif à l’opposition Nord-
et accessible, les principaux apports théoriques et Sud mais il peut également renvoyer à des divisions
méthodologiques de la sociologie de la précarité. à l’intérieur des pays riches (ce que l’on désigne
L’auteure, Maryse Bresson, dont les travaux antérieurs comme « Quart-Monde ») ;
portent sur les SDF, les centres sociaux et, plus • la sociologie de la marginalité et de la déviance,
globalement, l’intervention sociale, nous permet de qui utilise un paradigme interactionniste (influencé
mieux cerner un concept relativement flou, utilisé par l’ouvrage Stigmates d’Erving Goffman) où les
et banalisé par les médias et les politiques publiques. individus sont perçus comme des marginaux :
La précarité est ainsi devenue, dans les dernières l’apport de ce paradigme est de souligner l’impor-
décennies, une « nouvelle question sociale » qui tance de la désignation et du regard d’autrui ;
revient à désigner tantôt des populations parti- • la sociologie de l’assistance et des assistés : les
culières, tantôt un « risque » de pauvreté lié à une populations sont définies par les secours qu’elles
instabilité socio-économique. Mais qu’est-ce qu’un reçoivent, ce qui peut avoir pour conséquence de
précaire ? Et par rapport à quoi caractérise-t-on une les stigmatiser ;
situation de précarité ? C’est bien dans un refus des • enfin, la sociologie de la précarité – à laquelle se
simplifications et avec l’objectif de montrer la variété rattache manifestement l’auteure – et qui vise à
et la complexité des situations que cet essai présente analyser des processus de précarisation en s’appuyant
« la manière dont la sociologie définit la précarité, sur les mutations de la société. Deux courants la
étudie les populations concernées et analyse les composent. Le premier repose sur le postulat que
processus qui expliquent les situations » (p. 6). Cet « l’instabilité est inhérente à la dynamique sociale
essai présente ainsi un double intérêt : d’une part, et politique de la modernité » (p. 41) et le deuxième
il donne l’étendue des connaissances et des débats insiste sur la vulnérabilité de masse.
sur le thème de la précarité en sociologie et, d’autre Si ces paradigmes servent principalement à iden-
part, il promeut une approche par les processus de tifier les différents courants de pensée, le souci de
précarisation. M. Bresson est véritablement de critiquer les catégo-
Le livre est articulé autour de trois chapitres. Le risations, forcément « enfermantes » et, dans tous
premier s’intéresse à la manière dont on « catégorise » les cas, limitatives. Catégoriser est d’autant plus
les précaires à travers les différentes écoles et délicat qu’il existe, par exemple, des conventions
courants de la sociologie qui s’affrontent mais différentes entre Eurostat, l’INSEE et le Programme
peuvent, à l’occasion, se compléter. Le deuxième des Nations unies pour le développement (PNUD)
vise à apporter des éléments de connaissance sur pour définir le seuil de pauvreté selon que l’on parle
ces populations : la vie quotidienne (conditions de médiane ou de moyenne. Or, « faire changer la
d’emploi, travail) ; les trajectoires associées à l’idée définition du seuil de revenu ou l’échelle pour
de risque (notamment d’exclusion) ; l’importance et calculer le nombre d’unités de consommation du
la diversité des liens sociaux. Le troisième chapitre, ménage c’est faire varier le nombre de pauvres »
enfin, se présente davantage comme la thèse de (p. 24). Deux acceptions principales du terme de
l’auteure, à savoir valoriser une approche de la « précarité » sont cependant soulignées : soit on
précarité en terme de processus. désigne des populations plutôt pauvres (peu de
Au préalable, M. Bresson identifie cinq paradigmes, revenus, peu d’éducation, sans emploi), pouvant
autant de manière théoriques et méthodologiques même être des exclus si des problèmes de loge-
d’envisager la précarité : ment viennent, en outre, se greffer ; soit on parle
• la sociologie de la pauvreté : le raisonnement de populations qui risquent de voir leur situation
est basé sur le manque, et les pauvres sont le plus se dégrader. Globalement, l’incertitude quant à
souvent caractérisés par une insuffisance ou une l’avenir (pas seulement professionnel) est un élément
absence de revenus (mais pas seulement) ; déterminant induit par la notion même de précarité.
• la sociologie du sous-développement : elle En raison des difficultés et des pièges des catégori-
repose, selon les débats, sur l’hypothèse d’un retard sations soulignées par l’auteure autour de la notion
(culturel, politique, économique), induisant ainsi de « population précaire », on peut d’autant plus

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s’interroger sur la manière dont la précarité est assurément des populations « à risque » comme les
pensée en dehors du contexte français : qui et jeunes mères de famille monoparentale. Même si
comment (en fonction de quelles normes sociales, M. Bresson prend bien soin de souligner la diversité
économiques et culturelles ?) sont désignés les des situations et des populations qui y résident, on
pauvres et les « précaires » ? Ce questionnement peut toutefois lui reprocher quelques pages sur les
aurait sans doute mérité davantage que quelques rapports entre les jeunes et la police dans les
pages. Certes, la grande difficulté est de comparer quartiers dits « sensibles » qui ne paraissent pas en
ce qui peut l’être. Statistiquement, compte tenu de lien direct (sauf à creuser les amalgames) avec le
la multiplicité des approches nationales de la sujet.
pauvreté, l’entreprise paraît quasi impossible. Tout Plus globalement, le mérite du propos est de
au plus fait-on remarquer ici que l’utilisation en souligner que la précarité est désormais à penser en
France du terme de « précarité » – dans le contexte terme d’espace et de rompre avec le schéma expli-
du marché du travail – est connotée négativement, catif ancien qui cherchait à comprendre la part de
tandis que dans les pays anglo-saxons on parle de la responsabilité individuelle et des déterminismes
flexibilité, perçue, en revanche, positivement. Il sociaux. Le questionnement sur la précarité à partir
semblerait qu’il existe, de fait, une spécificité de la division du travail tend à être remplacé par la
française dans la manière de penser la précarité question urbaine, les inégalités territoriales et les
car, au-delà du lien avec l’emploi, la question des ségrégations spatiales. L’entrée par les processus
liens sociaux est également interrogée. permet ainsi de penser de manière dynamique
Les travaux sociologiques français ont ainsi montré l’articulation entre marché du travail, protection
que la précarité ne peut être limitée à l’emploi et sociale, urbanisation, problème du logement, etc.
tout un ensemble de critères sont à prendre en C’est moins une situation en tant que telle (le
compte. Être en emploi, ou le seul statut de celui- chômage par exemple) qu’une succession de situa-
ci, ne conditionne pas une situation dite précaire : tions qui conduit à désigner une situation (ou un
l’intérêt du travail ou sa faible reconnaissance sont individu) comme précaire.
également des éléments déterminants. En outre, un L’approche est en outre incomplète si elle ne prend
précaire peut avoir un revenu stable (issu du travail) pas en compte la dimension subjective de la
mais l’individu fait alors face à des problèmes de précarisation, notamment la souffrance mentale.
surendettement, des coupures d’eau et d’électricité Le schéma explicatif des processus pluriels permet
et de logement. En outre, nombreux sont les de ne pas favoriser une cause unique et de mieux
travaux ayant montré que les précaires ne sont pas rendre compte de la complexité des situations :
coupés de tout lien familial et/ou affectif mais que « l’approche par les processus est féconde parce
leur réseau relationnel ne leur permet pas de sortir qu’elle repose, implicitement, sur l’abandon de
de leurs difficultés. Plusieurs recherches s’accor- l’idée que la société est organisée par un mécanisme
dent sur un lien social en crise (au sens de « ce qui central, qui serait le pivot de l’ordre social. Elle
fait tenir les hommes ensemble » dans la société) laisse toutefois en suspens la question de la
par le délitement des cadres intégrateurs, notam- manière dont sont articulés les différents niveaux
ment le travail. Toutefois, l’emploi et le travail sont des processus et de leur hiérarchie et réintroduit
désormais un intégrateur parmi d’autres. un doute sur l’identification des "causes" et des
Les approches sociologiques par les trajectoires ont "conséquences"» (p. 105). Cette approche revient
permis d’identifier quelques populations dites « à à poser la nécessité de combiner une approche
risques » de se retrouver en situation de précarité quantitative, d’une part, afin de repérer des situa-
économique : les femmes au regard des discrimi- tions de précarité, de mieux connaître les profils
nations qui perdurent sur le marché du travail ; les des « populations à risques » et d’identifier des
jeunes « massivement victimes des tensions sur le facteurs, et une approche qualitative, d’autre part,
marché du travail » (p. 60). Quelques pages sur les pour les vécus subjectifs et l’analyse des parcours.
populations issues de l’immigration auraient sans
doute été également bienvenues. On note d’ailleurs
Sandrine Dauphin
une forme d’ambiguïté dans les pages consacrées CNAF – Rédactrice en chef de
aux quartiers dits « sensibles » où l’on trouverait Recherches et Prévisions.

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