1. Introduction
La publication de la norme Ecran (NF P 94 282) en 2009 a été l'occasion de rappeler
l'importance de la vérification de la stabilité du massif d'ancrage (Kranz, 1953), une
vérification souvent ignorée dans les études des écrans ancrés. Cela concerne les
ancrages par tirants actifs ou passifs, qu'ils soient scellés ou connectés à un contre
rideau. Cette vérification, parfois confondue à tort avec celle relative à la stabilité
générale, vise à démontrer que la localisation des ancrages est acceptable et ne
remet pas en cause les efforts considérés pour justifier la résistance et la stabilité de
l'écran de soutènement. En d'autres termes, il s'agit de s'assurer que les tirants sont
ancrés suffisamment loin de l'écran pour éviter toute interaction avec celui-ci. En
effet, si des modèles complets tels que les éléments finis ou les différences finies
permettent dans certaines situations critiques d'alerter l'ingénieur sur l'inefficacité des
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ancrages du fait de leur proximité de l'écran, les modèles aux coefficients de réaction
et aux équilibres limites (MEL), pratiqués usuellement pour le dimensionnement des
soutènements, supposent implicitement qu'il n'y a aucun report des efforts d'ancrage
sur l'écran (ou que les points où sont reportés les efforts d'ancrage sont fixes). Un
exemple basique est celui d'un écran "isostatique" simplement buté en pied : la mise
en équation de l'équilibre de l'écran impose directement l'effort à transmettre au
tirant. En réalité, la reprise de cet effort par le tirant et donc l'obtention d'un équilibre
stable ne pourra être garantie que si la stabilité du massif d'ancrage est justifiée avec
une sécurité suffisante.
Par convention, on désigne par massif d'ancrage le massif de sol compris entre la
face arrière de l'écran et le plan vertical passant par le point C. La base du massif est
une surface de rupture usuellement supposée plane. Le point D correspond au point
d'effort tranchant nul de l'écran et marque la base de la partie "active" de celui-ci. Le
point C est le point d'ancrage "effectif". Pour un tirant scellé, ce point est confondu
usuellement avec le milieu du scellement. Pour un tirant ancré sur un contre rideau,
le point C est pris à la base de la partie active du contre rideau (pied du contre rideau
quand celui-ci est court).
B A
scellement
écran
Massif d’ancrage
C
B A
P2 Fe
θ2 W
• P1 : réaction de l’écran
• P2 : poussée amont
Tu
• Fe : charges extérieures
• W : poids déjaugé α
• Tu : effort déstabilisant C
• Rf : résistance frottement P1
• Rc : résistance cohésion Rc θ1
• φ : angle de frottement
φ
β
Rf D
P2
Tu
Fe
Rf W
Rc
P1
Figure 3. Modèle Kranz : polygone des forces à l'équilibre limite du massif d'ancrage
Notons que le choix d'une surface de rupture plane n'est qu'une simplification. Une
approche plus rigoureuse consiste à explorer des surfaces de rupture en arcs de
spirale (à concavité vers le bas) par recours à la méthode cinématique du calcul à la
rupture. Celle-ci conduit forcément à des efforts déstabilisants inférieurs ou égaux à
ceux obtenus en admettant une surface de rupture plane !
Bloc« k »
Bloc « n » 1<k<n Bloc « 1 »
Fe(n)
P2V
Fe(k)
P2H W(n)
H1(n)
Fe(1)
Tu
C
Rc(n) H2(k) W(k) H1(k)
φn W(1)
C(n-1) H2(1)
Rf(n) C(k) P1H
Rc(k)
φk
P1V
C(k-1)
Rf(k) C(1)
Rc(1)
φ1
D
Rf(1)
3. Etudes de cas
On se propose à présent d'illustrer les enjeux conceptuels liés à la stabilité du massif
d'ancrage à travers deux exemples simples. Pour chacun d'eux, la longueur libre du
tirant a été choisie volontairement insuffisante au sens du modèle Kranz, mais
néanmoins telle que la zone scellée soit située bien en dehors du coin de poussée
de Coulomb (une règle substituée parfois à tort au modèle Kranz).
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Le cas étudié est celui d'un écran ancré "isostatique" (figure suivante) : un seul
niveau d'ancrage par tirants scellés et butée simple en pied. Le sol de caractère
sableux est caractérisé par un angle de frottement φ = 32° (valeur caractéristique) et
dépourvu de cohésion. La hauteur de soutènement est de 8,0 m. Les inclinaisons
limites des efforts de poussée/butée sont prises égales à 2/3 φ (en valeur absolue).
Z = 0.00 Z = 0.00
Z = -2.00 Z = -2.00
Tirant Tirant
Z = -8.00 Z = -8.00
ϕsol = 32° et γsol = 20 kN/m3
ϕsol = 32° et γsol = 20 kN/m3
|δa,p| = 2/3 x ϕsol
Z = -10.00 |δa,p| = 2/3 x ϕsol
Kh,sol = 40 MN/m3
Kh,sol = 40 MN/m3 Z = -13.00 EIecran = 400 MN.m²/ml
EIecran = 100 MN.m²/ml
Ktirant = 10 MN/m/ml
Ktirant = 6,5 MN/m/ml
Deux situations sont étudiées : cas 1 "sans nappe", cas 2 avec une nappe
initialement à -3,00 m de profondeur et rabattue au niveau du fond de fouille en
phase d'excavation (-8,00 m). Dans chaque cas, la fiche de l'écran a été pré-
dimensionnée de manière à assurer une sécurité de 1,50 entre la butée disponible et
la butée mobilisée (ouvrage provisoire). On suppose que dans le cas 2, l'écran est
posé au toit d'un substratum imperméable : tout écoulement est donc négligé.
L'équilibre local de l'écran peut être abordé par un modèle aux coefficients de
réaction. Les résultats obtenus sont récapitulés dans le tableau ci-dessous (valeurs
caractéristiques): on relève en particulier une flèche maximale de l'ordre de 2 cm
dans les deux situations.
tranchant nul (point D) est obtenu à z = -10,0 m pour le cas 1 (pied de l'écran) et z = -
11,7 m pour le cas 2 (1,3 m au dessus du pied de l'écran). L'inclinaison de la réaction
de l'écran a été prise égale à θ1 = 2/3φ (état limite de poussée), celle de la poussée
amont est prise nulle θ2 = 0.
Dans les deux cas étudiés, l'effort déstabilisant obtenu est bien inférieur à l'effort
repris par le tirant. Ce qui est synonyme d'instabilité du massif d'ancrage ! Il est
intéressant de compléter cette analyse par l'examen de la stabilité générale de
l'ouvrage de soutènement. Celle-ci peut être menée à l'aide d'un modèle classique
de stabilité des pentes basé sur la méthode de Bishop par exemple (surfaces de
rupture circulaires), dont le résultat pour le cas 1 est présenté par la figure 6 : le
calcul est mené sans pondérations, le cercle de glissement critique présente un
coefficient de sécurité de Fmin = 1,58 ! La même analyse menée pour le cas 2
conduit à un coefficient de sécurité Fmin = 1,38. Les deux valeurs permettent de
justifier la stabilité générale s'agissant d'un ouvrage provisoire. Notons que la
désactivation du tirant dans ce modèle est sans incidence sur le résultat.
La construction d'un tel mécanisme peut se faire en trois étapes successives à l'aide
de la méthode cinématique du calcul à la rupture comme le schématise la figure
suivante. L'étape 1 consiste à calibrer un diagramme de poussée à l'arrière du massif
d'ancrage (exploration d'arcs de spirales à concavité vers le haut débouchant au
point C). L'étape 2 permet de calibrer le diagramme de butée devant la partie fichée
de l'écran (exploration d'arcs de spirales à concavité vers le haut émergeant du point
D). Enfin, l'étape 3 consiste à isoler le massif d'ancrage soumis aux diagrammes de
poussée / butée calibrés précédemment et à examiner son équilibre limite par
exploration d'arcs de spirales à concavité vers le bas entre les points C et D.
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Etape 1
(poussée) C
F = 0,88 Etape 2
D (butée)
Etape 3
(massif d’ancrage)
dmax > 10 cm
dmax > 10 cm
La reconduite des modèles éléments finis précédents avec les longueurs ci-dessus
montre un comportement cohérent avec celui obtenu par un calcul aux coefficients
de réaction avec des déplacements de l'ordre de 3 à 4 cm.
4. Conclusion
Après une présentation des considérations pratiques et théoriques liées à la mise en
œuvre du modèle Kranz, l'analyse présentée a permis d'illustrer les enjeux de cette
vérification notamment en termes de déplacements et de comportement d'ensemble.
Pour les écrans ancrés, cette vérification a pour vocation à garantir la validité des
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Références bibliographiques
Kranz E., 1953, Über die Verankerung von Spundwänden, Wilhem Ernst und Sohn.