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LE NOUVEAU PROBLÈME DU VIVANT ET LA PHILOSOPHIE

FRANÇAISE CONTEMPORAINE

Frédéric Worms

Presses Universitaires de France | « Cités »

2013/4 n° 56 | pages 119 à 131


ISSN 1299-5495
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Le nouveau problème du vivant et la philosophie


française contemporaine
Frédéric Worms
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Il y a aujourd’hui un nouveau problème du vivant, et la philosophie
française y joue un rôle paradoxal, ou plutôt qui serait paradoxal, si l’on
se faisait une fausse idée de ce problème et de cette philosophie. Ce n’est
pas un hasard en effet si la philosophie contemporaine en France tourne
aujourd’hui autour du problème du vivant, dans toutes ses dimensions, 119
dans sa relation avec la science, la politique, ou la métaphysique, par
exemple, mais aussi dans son histoire et les « reprises » qu’elle en fait, dans Le nouveau
ses « réceptions » internationales (et cela dans les deux sens), et dans son problème du vivant
et la philosophie
renouvellement « générationnel ». C’est parce que le problème du vivant française
lui-même, non seulement en France bien sûr mais partout, n’est plus contemporaine
aujourd’hui un problème local, concernant un seul domaine du savoir Frédéric Worms
ou de l’expérience, mais un problème global, traversant toutes les dimen-
sions de la philosophie et de l’existence. C’est déjà là un point essentiel à
noter d’emblée, et permettant d’esquisser, au-delà de tel ou tel domaine
particulier, et de tel ou tel travail singulier, un nouveau moment philoso-
phique commun. Mais il faut aller plus loin. Ce que nous révélerait ou
nous confirmerait en effet une telle enquête, c’est que la « philosophie
française contemporaine » ne renvoie pas plus aujourd’hui qu’hier, pas
plus sur le vivant que sur un autre problème, à un « courant » philoso-
phique déterminé, mais bien à un ensemble de relations et de tensions,
autour justement de problèmes précis. Quelles sont aujourd’hui ces rela-
tions et ces ruptures, ces critiques et ces ouvertures, quel est exactement
ce « moment », encore en partie virtuel et trop souvent méconnu ? Telle
cités 56, Paris, puf, 2013
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est bien la première question à poser. Mais c’est une autre leçon qui s’en
dégagerait, plus vitale encore sans doute, puisqu’elle concerne le « pro-
blème » du vivant lui-même, à travers toutes ses dimensions, ou plutôt la
manière dont, à travers ces dimensions, le vivant devient un problème. Il
faut ici être net. Nous le dirons donc pour notre part d’une manière sim-
ple, mais qui orientera aussi les remarques qui suivent, avant de mener
plus loin encore1. Tout tient en effet selon nous à ce que le vivant paraisse
aujourd’hui avoir quelque chose d’ultime, et cela en un sens « partout »,
mais aussi, partout, avec quelque chose de problématique, de tendu ou
de polarisé. Un « vivant » ultime, irréductible, mais divisé, polarisé, tissé
de tensions elles aussi irréductibles et critiques : tel serait le problème
transversal du moment. Une philosophie « française » qui en traverse
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toutes les dimensions, à travers des tensions qui n’auraient donc rien de
paradoxal, mais pourraient avoir au contraire quelque chose d’essentiel :
telle serait la relation, dont on ne pourra faire mieux ici que parcou-
rir certains des aspects principaux, en tentant à chaque fois d’y vérifier
l’existence et l’importance de telles tensions, et ce qu’elles pourraient
avoir d’irréductible.

120
Sciences

Dossier Il faut commencer ici par la science, où le paradoxe semble pourtant
La philosophie le plus grand, puisqu’elle semble avoir fait l’objet avec la « philosophie
en France
aujourd’hui française contemporaine » (ou l’idée que l’on s’en est fait) non pas d’une
 relation mais bien plutôt d’une rupture (dans les années 80). Pourtant,
avant même de parler des reprises qui permettent (sans l’annuler sur
tous les points) de dépasser cette rupture, ce que celle-ci permet de com-
prendre, dans le cas non pas de la science en général mais très précisément
des sciences du vivant en particulier, ce sont bien de nouveaux problèmes
qui font l’objet de travaux parfois encore méconnus, quoique participant
pleinement de ce nouveau « moment ». Car celui-ci est constitué (comme
c’est à chaque fois le cas) par des questions scientifiques remettant en cause
des principes philosophiques.

1. Voir notamment notre préface : « Pour un vitalisme critique », à un recueil de certaines de


nos études sur le vivant paru à Berlin en 2013 : Uber Leben, trad.. D. Scholz et V. Heinemann,
Merve Verlag, 2013, qui sera reprise et développée pour introduire au volume collectif (édité avec
A. François) tiré du colloque de Cerisy : Le moment du vivant (2012 à paraître, Paris, Puf, 2014).
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Un livre peut paraître incarner divers aspects de cette question, paru il y


a trente ans exactement, c’est L’Homme neuronal, de Jean-Pierre Changeux
(1983).
Il peut sembler incarner d’abord une certaine rupture. Ce sera moins
cependant, à nos yeux, celle qui opposerait la philosophie « française » et
la science en général, comme le voudrait le débat suscité par la publication
des « Impostures intellectuelles » de Sokal et Bricmont, sur lesquelles on
ne reviendra pas ici (même s’il fait partie de la polémique toujours signifi-
cative dans ses excès du passage d’un « moment » à un autre). Mais ce sera
plutôt le passage précis d’un modèle de l’homme et du savoir à un autre,
du « structural » au « neuronal », des sciences du langage et de la société,
ou plutôt d’une certaine compréhension de celles-ci, à celles du vivant,
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du cerveau, et de la cognition. Cette rupture ne peut être ramenée à une
querelle doctrinale entre positions philosophiques, elle atteste d’un bascu-
lement plus profond, qui traverse la science et toutes les philosophies.
De fait, c’est bien de nouveaux problèmes qu’ il s’agit, qu’ils soient for-
mulés par les savants eux-mêmes, par une réflexion surgie de leurs travaux
sur des principes philosophiques, ou par les philosophes. C’est le cas bien
sûr concernant le cerveau lui-même, ou la « cérébralité » dont Catherine
Malabou, notamment2, a montré avec radicalité quel changement elle entraî- 121
nait dans notre représentation de l’homme et de nous-mêmes, autour de la
notion de « plasticité », problème rejoint à partir de ses travaux scientifiques Le nouveau
mêmes par Alain Prochiantz (Qu’est-ce que le vivant ? 3) et cela, indépen- problème du vivant
et la philosophie
damment de sa lecture profonde de Claude Bernard, Bergson, ou Georges française
Canguilhem, même si cela le conduit à la question de l’évolution et de la contemporaine
persistance en elle d’une dimension temporelle ou « émergente ». Ce serait Frédéric Worms
là un deuxième débat, concernant donc cette fois l’évolution et la spécificité
même du vivant, où des travaux nombreux, depuis ceux d’Atlan jusqu’à ceux
récents de G. Longo ou P. A. Miquel4 retrouvent ces questions d’émergence,
non sans recouper le travail d’historiens et philosophes de la biologie, et de
lecteurs de Darwin comme Thierry Hoquet5, qui dépasse l’opposition entre
nature et culture en compliquant l’idée même de nature, comme il com-
plique celle de sélection par celle de « variation ». Dans cette question un

2. Voir avant tout Que faire de notre cerveau ? Bayard, 2004, et Les nouveaux blessés, Bayard, 2007
3.  Seuil, 2012.
4. Voir respectivement Bailly et Longo : Mathématiques et sciences de la nature, la singularité
physique du vivant, Hermann 2006 ; P.A. Miquel : Le vital, Kimé, 2012.
5. Voir notamment : Darwin contre Darwin, Seuil 2009, Cyborg philosophie, Seuil 2011.
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livre comme celui de J.C. Ameisen, La sculpture du vivant, joue un rôle


paradigmatique qui nous semble symétrique (quoique pas symétriquement
opposé) à celui de la Logique du vivant de F. Jacob, trente ans auparavant (res-
pectivement en effet 1970 et 1999) : la tension qui y domine est plus celle
de la vie et de la mort, que de la vie et du langage. Le troisième débat que
l’on évoquera ici n’est pas le moindre, c’est bien celui de la différence entre
l’homme et l’animal, développant la question du vivant et de l’évolution en
celle de l’éthologie et de l’hominisation. Là aussi, au-delà même des reprises de
certains philosophes « français », la confrontation avec la science est centrale,
que ce soit chez D. Lestel ou E. Bimbenet6 par exemple ou ceux qui s’inspirent
des théories de l’attachement avec son fondement évolutionniste et cérébral
assumé.7 Ainsi partout, comme bien sûr chez Changeux lui-même lorsqu’il
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rencontre des questions de cet ordre sans en faire un programme général,
il ne s’agit pas d’évidences mais de tensions fondamentales, entre le cerveau
et la pensée, la vie et la mort, l’animal et l’humain. La philosophie « fran-
çaise » en est aujourd’hui traversée.
Dès lors, à travers des problèmes précis comme ceux que l’on vient
d’évoquer, c’est à un basculement non seulement critique mais constructif
que l’on assiste, et non pas entre science et philosophie en général, mais
122 dans l’une et dans l’autre. La question de l’homme, comme l’a montré
Francis Wolff dans un livre récent8, n’en est pas par hasard le signe et le
 lieu. D’ailleurs, ce n’est pas seulement la question de l’homme qui entre
Dossier dans les sciences du vivant, mais la question du vivant qui traverse toutes
La philosophie
en France
les sciences de l’homme, de la linguistique à l’anthropologie (ainsi dans les
aujourd’hui travaux majeurs de Philippe Descola, ou par exemple dans ceux de F. Keck),
 aujourd’hui. Mais cela nous conduit aussitôt vers un deuxième aspect.

Politiques

Autant il pouvait en effet (à tort) sembler paradoxal de rappeler le lien


entre les sciences du vivant, de la cognition, et la philosophie française
contemporaine, autant il pourrait sembler évident, cette fois, de relier cette

6. Voir notamment de E. Bimbenet, L’animal que je ne suis plus, Paris,Gallimard, 2012, et D. Lestel,
Les origines animales de la culture, Paris, Flammarion 2001, L’Animal singulier, Paris, Seuil, 2004.
7. Voir par exemple en ce qui nous concerne « les deux concepts du soin », in F. Worms, Le moment
du soin, à quoi tenons nous ? PUF 2010, mais aussi La vie qui unit et qui sépare, Paris, Payot 2013.
8.  Notre humanité, d’Aristote aux neurosciences, Paris, Fayard, 2010.
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dernière aux problèmes éthiques et politiques du vivant aujourd’hui.


C’est pourtant, ici aussi, de tensions profondes qu’il s’agit.
Certes, un point général dessine une toile de fond, à savoir que « le
vivant » ne renvoie pas à un donné brut, indépendant d’opérations his-
toriques de savoir et de pouvoir entre les hommes. Ce sera le principe
d’une nouvelle tâche critique, qui a aujourd’hui quelque chose de déci-
sif. Pourtant, loin de se ramener à cette opposition unique (par exemple
du donné et du construit), on y retrouve des tensions profondes, qui re-
joignent celles qui précèdent. et constituent peu à peu un problème
partagé. Nous ne pourrons faire mieux que d’en évoquer les principales.
On peut les resserrer cette fois autour de la « biopolitique »
décrite par Foucault comme un tournant à partir du début du
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xixe  siècle, mais dont la description a fait elle-même tournant au début
des années 80 (entre les différents volumes de son Histoire de la sexualité).
On relèvera trois problèmes.
Le premier concerne le rapport même de la vie et du pouvoir. Le para-
doxe de la thèse de Foucault consistait en effet à soutenir à la fois que le
pouvoir moderne (contrairement à la « souveraineté » classique) se fonde
sur le gouvernement et l’exploitation de la vie (et non plus sur la transcen-
dance du droit de tuer), mais aussi bien sûr que la « vie » ne peut jamais 123
se saisir indépendamment de ces opérations historiques de pouvoir. Cette
double thèse centrale de la « biopolitique » a donné lieu à deux types Le nouveau
de déploiement, dans une critique de la « vie nue », notamment chez problème du vivant
et la philosophie
G. Agamben, comme objet d’un pouvoir devenu à son tour absolu, une française
nouvelle « souveraineté » dont « les camps » auraient été le paradigme ; contemporaine
mais aussi dans une critique de la « vie précaire », chez J. Butler mais Frédéric Worms
aussi chez G. le Blanc notamment9, qui consiste à critiquer les opérations
de visibilisation ou d’invisibilisation, de précarisation de la vie dans le
pouvoir contemporain, social et politique. La deuxième tension ne serait
pas moindre : c’est celle qui relie le vivant non seulement à des opérations
de contrôle et de pouvoir mais aussi à celles du soin, du soutien, de la
résistance et du contre-pouvoir. Les derniers livres de Foucault lui-même,
reprenant d’une manière inattendue certaines thèses de Pierre Hadot sur

9. Voir notamment G. Le Blanc, Vies ordinaires, vies précaires, Paris, Seuil, 2007 ; on renverra
aussi à J. Butler : Vie précaire (2004) et G. Agamben , Homo Sacer, I, le pouvoir souverain et la vie
nue, tr. Fr. 1997, qui relèvent pleinement, par ces va et vient de «  réceptions  » dont on parlera
plus loin, du débat de la philosophie « française » aujourd’hui, avec de nombreux autres auteurs
d’ailleurs.
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la philosophie « comme manière de vivre », vont dans ce sens, à travers


une démarche encore historique. C’est aussi dans ce cadre que la question
du soin est elle-même devenue centrale, traversant notamment les nom-
breuses études sur la philosophie de la médecine. Enfin, on soulignera
une troisième tension, historique et politique à la fois, c’est celle de la vie
et de la mort, ou plutôt du meurtre, de la violence et de la catastrophe.
Déjà, Foucault ne concevait le pouvoir sur la vie qu’avec son corollaire qui
est celui de « laisser mourir » ; il renvoyait aux crimes de masse comme à un
aspect de la « biopolitique ». C’est là une ligne fondamentale du présent,
aussi bien à travers l’histoire du xxe siècle (comme le montre J. Chapoutot
sur l’usage nazi de la biologie), qu’à travers une éthique et une politique
prenant la violence le meurtre comme référence première, ainsi chez Marc
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Crépon10 (avec aussi la question de la mémoire historique des guerres,
partie intégrante du moment présent), la « violence de la vie  et de la
maladie » dans un travail comme celui de C. Marin11, et aussi de manière
centrale « la traversée des catastrophes » de Pierre Zaoui12 (rejoignant
par un biais singulier la problématique de la catastrophe qui oriente aussi
la philosophie politique et les théories de la justice aujourd’hui, dans
le débat suscité par J.P. Dupuy, A. Garapon, mais aussi D  . Bourg, ou
124 M.  Foessel par exemple). D’une manière générale, ce sont les ambiva-
lences des pratiques qui rejoignent à leur tour la polarité de la vie et de
 la mort, soulignée plus haut comme centrale.
Dossier Ce n’est pas le lieu ici d’indiquer13 comment les relations et les ruptures
La philosophie
en France
entre les vivants humains pourraient fournir une orientation intérieure
aujourd’hui dans les tensions que l’on vient d’évoquer, lesquelles animent certains
 des débats les plus vifs, quoique trop virtuels (faute de médiations cri-
tiques), du moment présent. On soulignera seulement, encore une fois,
leur diversité et leur importance. Il faudra y ajouter les reprises et « récep-
tions » dont on dira un mot plus loin, les sciences de l’homme, la littéra-
ture et l’art. Mais il faut dire un mot à présent des enjeux métaphysiques
qui ont une place centrale dans ce « moment », comme ils l’ont eu dans
tous ceux du xxe siècle et au-delà.

10. Voir Vivre avec.. la mémoire des guerres, Paris, Hermann, 2008, Le consentement meurtrier,
Paris, Cerf, 2012.
11.  Violences de la maladie, violence de la vie, Paris, Armand Colin, 2008.
12.  La traversée des catastrophes, Paris, Seuil 2010.
13. Nous l’avons fait dans Le moment du soin, op. cit, et Revivre, Paris, Flammarion, 2012.
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Métaphysiques

L’idée d’une « fin de la métaphysique » qui avait pu être agitée autour des
années 80, comme une sorte d’ombre portée de la critique de la métaphy-
sique du moment précédent, semble en effet loin derrière nous aujourd’hui.
La question du « vivant » n’en est certes pas seule responsable ; même si, à
nos yeux, le tournant « réaliste » d’une certaine philosophie de la connais-
sance a trait, au fond, à sa relation nouvelle avec les sciences de la cognition,
de la perception, de l’homme concret, et donc finalement au vivant dans
son environnement réel. Nul n’échappe in fine aujourd’hui à la situation
de la connaissance dans le vivant et dans le monde. Certes, on n’oubliera
pas non plus de souligner que bien des philosophies contemporaines se
fondent sur le refus même de la philosophie de la vie ou de l’ontologie
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du vivant considéré comme premier ou comme ultime. C’est le cas par
exemple de celle d’A. Badiou dont la critique de la question du vivant
(ou du vivant/parlant) est si nette qu’elle dessine en creux l’importance
centrale que la question a prise depuis, justement, le début des années 80.
C’est le cas aussi des grandes phénoménologies qui ont repris la question
de la critique de « la vie » au nom du « sens » ou de « l’existence », ou aussi
de « l’éthique » comme c’est le cas chez Levinas ou Ricoeur, dans une ten- 125
sion qui confirme là aussi l’importance de l’enjeu.
Mais ce que l’on voudrait souligner ici, c’est la reprise de la question Le nouveau
métaphysique de « la vie », dans sa tension même avec celle du vivant. problème du vivant
Ce sont alors deux directions principales qui se dessinent, donnant lieu et la philosophie
française
à des développements non moins frappants et nombreux que ceux que contemporaine
l’on a évoqués plus haut. Ainsi, du côté d’une philosophie « de la vie » Frédéric Worms
trouvera-t-on des tentatives phénoménologiques qui, au-delà de la pen-
sée ici centrale (et inspirant de nombreux travaux originaux) de Michel
Henry, renouvellent la question, comme c’est le cas de Renaud Barbaras14,
mais aussi des tentatives reprenant de manière nouvelle le « vitalisme »
de Deleuze, par exemple dans les philosophies de P. Montebello15 ou de
P.  Zaoui (que l’on a cité aussi plus haut). Dans les deux cas, quoique
de manière profondément différente, et différemment profonde, c’est la
question assumée de « la vie » qui l’emporte sur celle du « vivant », l’idée

14. Voir notamment : Introduction à une phénoménologie de la vie, Paris, Vrin, 2008 ; La vie
lacunaire, Vrin 2011.
15. Voir notamment Nature et subjectivité, Millon, 2007.
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d’une puissance originaire et ultime qui traverse les vivants singuliers étu-
diés par la science dans leur fonctionnement ou envisagés par l’éthique
et la politique dans leurs relations. La « vie », en tout cas, est à nouveau
visée comme ce qui sous-tend les créations et parfois les destructions, les
émergences et les pertes, les désirs et les épreuves. Mais d’un autre côté
trouvera-t-on aussi qu’on ne peut penser la vie au-delà des vivants et de
leurs relations (entre eux, au monde, à eux-mêmes), de l’individuation et
du sens ou de l’existence, et cela jusque dans sa portée la plus scientifique
et métaphysique16. Cette tension entre la vie et les vivants n’est pas sans
être un autre visage des tensions que l’on a rencontrées plus haut, par
exemple entre la vie et la mort. De même, en tout cas, que le renouveau
de la métaphysique rencontre aujourd’hui de chaque côté la question du
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vivant (fût-ce pour la critiquer), de même, la question du vivant ne peut,
aujourd’hui, se passer de métaphysique.
Mais, dira-t-on, ici comme dans les deux étapes qui précèdent, on n’as-
siste pas seulement à des travaux nouveaux (et encore moins solitaires) ; ils
se complètent en outre en droit et en fait (dans les travaux de ceux qui les
mettent en œuvre), par une reprise historique ; mais il fallait d’abord mon-
trer, contre une méconnaissance persistante, qu’ils sont loin de s’y réduire,
126 et que cette reprise historique vient approfondir et non pas susciter (encore
moins résumer ou déformer) ce visage nouveau des problèmes.

Dossier
La philosophie « Reprises »
en France
aujourd’hui
 On peut être frappé par plusieurs traits de ce que nous appellerons ici
des « reprises », c’est-à-dire des relectures ou des réinterprétations d’œuvres
appartenant à l’histoire de la philosophie, à la lumière de questions nou-
velles, et d’un « présent » que ces reprises viennent d’ailleurs singulièrement
compliquer, dans la prétention à l’intemporalité qu’on lui attribue trop
souvent. L’un des traits les plus frappants, concernant la philosophie fran-
çaise contemporaine (entendons ici celle qui remonte jusqu’au début du
xxe siècle et au moment 1900), sera la reprise de textes et de concepts tournant
autour du « vivant ». Mais, comme on ne pourra faire mieux que l’indiquer,
cette série de reprises souligne elle aussi des « tensions » que l’importance

16. Voir Revivre, éprouver nos blessures et nos ressources, Paris, Flammarion, 2012 et La vie qui unit
et qui sépare, op. cit. Paris, Payot, 2013.
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même des faits nouveaux concernant le vivant menace de masquer ou d’écra-


ser. On en indiquera seulement certaines dans ce qui suit.
On soulignera, avant d’y venir, un fait curieux que nous désignerons
comme le paradoxe du « posthume ». Non seulement en effet telles œuvres
redeviennent centrales notamment par leur analyse du vivant, mais certai-
nes de celles qui sont en train aujourd’hui de devenir « classiques » (par un
processus très précis et très vaste d’édition, d’enseignement, de commen-
taire, et aussi de reprise donc), continuent d’être contemporaines par la
publications de textes inédits et posthumes. Nous l’avons souligné récem-
ment17 à propos de deux textes posthumes sur le deuil, décisifs l’un et
l’autre, le Journal de deuil de Barthes et, de Ricoeur, Vivant jusqu’à la mort.
Mais il faudrait en souligner l’ironie toute particulière à propos de ce pen-
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seur du posthume que fut Jacques Derrida (« je posthume comme je res-
pire », aimait il à dire) : tout se passe comme si la publication posthume de
ses séminaires (La bête et le souverain, ou La peine de mort, en particulier),
confirmait son intuition du posthume, de la vie ou de la « survie », à savoir
que, vivants, nous mourons à chaque instant, laissant derrière nous des
traces, mais que, morts, nous survivons encore. Nous avons noté ailleurs18
(sans avoir remarqué alors que G. Agamben l’avait fait aussi) que les textes
ultimes de Foucault (1985), Deleuze (1995), Derrida (2005) portaient sur 127
« la vie » ; il est frappant de voir à nouveau que la limite entre le passé et le
présent n’est pas une barrière spatiale, mais une différence temporelle, qui Le nouveau
relie, autant qu’irréversiblement elle sépare. problème du vivant
et la philosophie
Mais les titres que l’on vient d’indiquer confirment déjà que, si française
« reprise » il y a concernant le « vivant », elle aiguisera plutôt les tensions contemporaine
que l’on étudie ici, bien loin de les réduire (ou c’est alors qu’il ne s’agira Frédéric Worms
pas d’une reprise, mais d’une répétition sans différence). C’est le cas entre
les auteurs : ainsi entre les idées de « la vie » différentes par exemple chez
Deleuze ou Derrida ; ou dans l’opposition plus grande que l’on ne dit
souvent (parce qu’ils ont aussi des adversaires communs) entre Foucault et
Canguilhem. Mais c’est le cas aussi dans l’œuvre de chacun d’entre eux.
Quelle philosophie du vivant ira plus loin dans l’analyse de sa polarité
interne que celle de Georges Canguilhem, qui définit la vie par là (« la

17.  Dans un article à paraître « l’écriture survivante, deux textes posthumes sur le deuil ».
18. Voir « Pouvoir, création, deuil, survie : la vie, d’un moment philosophique à un autre. » in P.
Maniglier (ed), Le Moment philosophique des années 60 en France, Paris, Puf, 2011. G. Agamben :
La puissance de la pensée, Essais et conférences, Paris, Payot.
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vie est polarité » étant l’un des énoncés directeurs dans Le Normal et le
pathologique) ? Comment a-t-on pu, par ailleurs, faire de la philosophie
de Bergson un dogmatisme de l’élan vital, alors que celui-ci est partagé de
l’intérieur, comme toute sa pensée, entre la durée immanente et la retom-
bée de celle-ci en espace, conduisant même à ces deux « morales » qui s’op-
posent comme le « clos » et « l’ouvert » ? Ce sont ces tensions, en tout cas,
qui « reviennent » aujourd’hui, d’une manière qui ne peut surprendre que
si l’on s’en tient à une idée fausse de ces pensées comme de nos problèmes.
On ne dégagera d’ailleurs pas une supposée « philosophie française de la
vie », quelle qu’elle soit19 Mais on trouvera dans l’histoire de la philoso-
phie du xxe siècle, et sa diversité (ainsi par exemple E. Bimbenet, E. de
Saint Aubert et R. Barbaras à propos du seul Merleau-Ponty) des questions
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vives appelant à la fois une relecture des œuvres, et de nouvelles œuvres.
On y trouvera aussi les tensions les plus graves et parfois les plus dange-
reuses, ainsi celles qui ont entourées, au nom du vivant, les deux guerres
mondiales du xxe siècle. Cette diversité, ces tensions, ne seront d’ailleurs
pas propres à une philosophie « française ». Elles ont lieu ou ont eu lieu
partout. Et la philosophie « française » elle-même se caractérise en outre,
sur ce problème comme sur les autres, par ses « réceptions » dans les deux
128 sens : la manière dont elle est reçue « ailleurs », et celle dont elle « reçoit »,
accueille, discute, non pas de manière secondaire, mais en se constituant,
 par des discussions et des réceptions.
Dossier
La philosophie
en France
aujourd’hui « Réceptions »

Tous les débats que l’on a évoqués se caractérisent en effet par ce
double mouvement trop souvent considéré comme dissymétrique. Ainsi,
la philosophie « française » devenue parfois et non sans ambiguïté « french
theory », dans son analyse du « biopouvoir » foucaldien, de la « vie inor-
ganique » deleuzienne, de la « survie » derridienne, connaît-elle partout
dans le monde une « réception » intense, que l’on sépare cependant trop
souvent de la manière dont, en France, sont discutés de manière non
moins intense des pensées comme celles du « care » (dans sa tension même
avec la question du vivant), des philosophies de l’environnement et de la

19. Voir à ce sujet : « La vie dans la philosophie du xxe siècle en France » in C. Riquier (ed)
Philosophie(s) française(s) contemporaine(s), Philosophie, 109, Paris, Minuit, 2011.
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nature, qu’il s’agisse de Hans Jonas, ou de penseurs comme Aldo Leopold,


ou encore de l’éthique animale parmi bien d’autres sujets. Une telle « ré-
ception » accompagne toujours la rupture entre des « moments » déter-
minés, dans un contexte qui ne devient « national » qu’en se durcissant et
se figeant. Ainsi la génération de Sartre a-t-elle convoqué la phénoméno-
logie pour rompre avec la pensée de ses maîtres ; ainsi faut-il étudier
d’extrêmement près des réceptions majeures comme celles des pensées
de Hannah Arendt ou de Patocka, de la philosophie de l’esprit ou de
Wittgenstein. On ne peut comprendre la philosophie contemporaine en
France sans ces débats, de même qu’ailleurs aussi se constituent des lieux
et des moments, avec leurs ouvertures et leurs résistances. On comprend
alors que, tout autant que les philosophies de l’esprit ou de la cognition, les
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éthiques du « care », de la « responsabilité » ou de « l’animal » aient pu être
d’abord comprises comme des éléments de rupture avec ce que l’on rete-
nait du moment précédent en France. Mais on peut indiquer aussi, désor-
mais, comment les tensions convergent ici aussi de manière frappante, et
cela dans des travaux originaux non moins frappants à cet égard.
Ainsi, les théories du « care » retrouvent-t-elles, dans ce qui est plus
qu’une simple « réception » des débats anglo-saxons, mais une discussion
nouvelle dans un contexte différent, les tensions qui animent aussi bien 129
celles du « biopouvoir » que celles du soin, avec lesquelles elles entrent en
débat. On y retrouverait la tension entre le refus de tout naturalisme, et la Le nouveau
nécessité d’opposer au pouvoir sur le vivant, qui recoupe toutes les autres problème du vivant
et la philosophie
lignes de pouvoir (ainsi des différences de race ou de genre) un contre- française
pouvoir qui d’ailleurs fait aussi le lien avec les théories de l’environnement, contemporaine
ainsi dans les travaux de F. Brugère, S. Laugier, P. Paperman, mais aussi Frédéric Worms
C. Larrère. De même, la réception de la pensée de Jonas, par exemple
dans le récent Répondre du vivant, de Roland Schaer20, rejoint à la fois les
débats scientifiques (ainsi sur l’hominisation) que philosophiques (ainsi
sur le soin) que l’on vient d’évoquer. Ou, dans les débats sur l’éthique
animale, assiste-t-on souvent, désormais, à la confrontation, qui ne devrait
rien avoir de surprenant, entre les positions d’un Peter Singer et celle d’un
Derrida. La manière dont le débat sur le vivant se constitue dans d’autres
contextes, par exemple en Allemagne avec les textes de Habermas ou de
Honneth (conjoignant théorie de la reconnaissance et de l’attachement par
exemple), aux États-Unis avec des œuvres comme celles de Nussbaum ou

20.  Ed. du Pommier, 2013.


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de Sen, dont la réception est importante en France, mériteraient une étude


détaillée qui ferait ressortir le caractère non pas seulement global, mais
transnational et transcontextuel des problèmes sur le vivant aujourd’hui.
Ce sont tous ces éléments qui composent un renouvellement que la
notion de « génération » (aussi vitale puisse-t-elle sembler) ne suffira certes
pas à résumer, même si on doit en dire un mot pour finir.

« Générations »

Il ne s’est pas agi ici d’un quelconque panorama à prétention exhaustive


et moins encore d’une « évaluation » à prétention normative quelle qu’elle
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soit, les uns et les autres ayant au contraire tellement contribué dans les
dernières années à masquer et même à empêcher le surgissement des pro-
blèmes et des positions, faute des médiations critiques nécessaires pour
faire surgir ces discussions non seulement constitutives (théoriquement)
du moment mais vitales (pratiquement) en lui.
Il s’est agi seulement de repérer certains traits différents, et néanmoins
convergents, de ces débats et de ce « moment ». Nous n’en soulignerons
130 qu’un dernier pour conclure, ou pour ouvrir, et c’est la manière dont les
travaux singuliers combinent aujourd’hui, justement, dans leur genèse
 et leur structure, les divers traits que l’on vient d’évoquer: histoire de la
Dossier philosophie (participant de la formation philosophique, mais aussi de
La philosophie
en France
la recherche, et de la compréhension des problèmes et qui reste, on l’a
aujourd’hui vu, une partie intégrante et vivante du moment) ; recherche directe sur
 des problèmes (qui redevient un trait central de la philosophie contempo-
raine, sans contredire aucunement le premier) ; engagements personnels
enfin, dans diverses directions, philosophiques et extraphilosophiques, par
exemple esthétiques, éthiques ou politiques, dans un contexte où les ques-
tions vitales (et mortelles) ne peuvent se dissocier de la pratique.
Le concept de « génération » saisirait une partie de cet aspect, en unissant
certains noms et travaux que l’on a évoqués au passage. Mais ce concept
en masquerait ou en manquerait d’autres, en oubliant notamment une
histoire qui a commencé il y a plus de trente ans, et qui en outre ne se
restreint pas à l’histoire des idées ou à l’histoire intellectuelle, en un sens
étroit, mais rejoint toutes les autres dans l’époque. Ce concept les manque-
rait, surtout, en restant extérieur aux problèmes qui définissent philoso-
phiquement une génération, bien loin que ce soit l’inverse, au-delà de
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toute filiation ou de tout parricide prédéterminés. C’est donc bien le


concept de « moment »21 qui paraît convenir, de manière opératoire et
ouverte, pour garder aux problèmes (et aux œuvres qui les traitent) leur
nouveauté mais aussi leur épaisseur, lesquelles, au terme de ce rapide par-
cours, se confirment déjà. Avec dans le cas présent, en outre et par prin-
cipe, une part de risque et de polarité encore accrue, qui est celle aussi de
l’inachèvement, et de la responsabilité.
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Le nouveau
problème du vivant
et la philosophie
française
contemporaine
Frédéric Worms

21.  La présente étude s’inscrit donc bien dans celles que visait seulement à ouvrir celle qui était
proposée notamment dans La Philosophie en France au xxe siècle. Moments, Paris, Gallimard, 2009,
qui appelait de nombreux prolongements et compléments.

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