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Juan Rigoli
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Au fil des grandes « diagonales » qu’il se plaît à tracer, porté par cette
foi continuiste qui le conduit avec aisance et vertige « de la pierre insensible
à la mélancolique imagination1 », la « vie » – son émergence, ses conditions,
ses propriétés – constitue une étape dans laquelle la pensée de Caillois ne
s’attarde que rarement. Ce sont les extrémités du trajet, et les multiples
analogies qu’il se plaît à tisser pour les relier l’une à l’autre, qui intéressent
sa rêverie, au détriment des processus et transformations. Son continuisme,
coutumier du saut, est résolument discret dans sa démarche : l’« affirmation
d’une continuité sans fissure entre les différents règnes » lui apparaît sans
doute d’autant plus efficace qu’elle procède de l’union du plus distant en
apparence et pourtant identique :
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rticle on line
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“Litterature_170” (Col. : RevueLitterature) — 2013/5/14 — 10:35 — page 97 — #97
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3. Ibid., p. 74. Le paradigme biologique intervient essentiellement chez Caillois, et très tôt, pour
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établir « le conditionnement de la représentation psychique humaine par la réalité naturelle »
(Guillaume Bridet, Littérature et sciences humaines : autour de Roger Caillois, Paris, Honoré LITTÉRATURE
Champion, 2008, p. 131 et passim). N°170 – J UIN 2013
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“Litterature_170” (Col. : RevueLitterature) — 2013/5/14 — 10:35 — page 98 — #98
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ROGER CAILLOIS
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“Litterature_170” (Col. : RevueLitterature) — 2013/5/14 — 10:35 — page 99 — #99
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DE L’IMPASSIBILITÉ À L’IMPATIENCE
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“Litterature_170” (Col. : RevueLitterature) — 2013/5/14 — 10:35 — page 100 — #100
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ROGER CAILLOIS
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“Litterature_170” (Col. : RevueLitterature) — 2013/5/14 — 10:35 — page 101 — #101
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“Litterature_170” (Col. : RevueLitterature) — 2013/5/14 — 10:35 — page 102 — #102
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ROGER CAILLOIS
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22. Ibid., p. 135.
23. Jean Starobinski, « Saturne au ciel des pierres », dans Roger Caillois, op. cit., p. 89.
LITTÉRATURE 24. Roger Caillois, Pierres réfléchies, op. cit., p. 135.
N°170 – J UIN 2013 25. Ibid.
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“Litterature_170” (Col. : RevueLitterature) — 2013/5/14 — 10:35 — page 103 — #103
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PIERRES VIVES
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“Litterature_170” (Col. : RevueLitterature) — 2013/5/14 — 10:35 — page 104 — #104
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ROGER CAILLOIS
« VINT LA VIE »
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“Litterature_170” (Col. : RevueLitterature) — 2013/5/14 — 10:35 — page 105 — #105
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40. Roger Caillois, L’Écriture des pierres, op. cit., respectivement p. 95 et p. 91.
41. Roger Caillois, Pierres, op. cit., p. 150.
42. Ibid., p. 151. « L’industrie humaine, qui finissait par me sembler elle aussi un règne de la LITTÉRATURE
nature » (Roger Caillois, Le Fleuve Alphée, op. cit., p. 92). N°170 – J UIN 2013
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“Litterature_170” (Col. : RevueLitterature) — 2013/5/14 — 10:35 — page 106 — #106
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ROGER CAILLOIS
LITTÉRATURE 43. Roger Caillois, L’Écriture des pierres, op. cit., p. 128-129.
N°170 – J UIN 2013 44. André Pichot, Histoire de la notion de vie, Paris, Gallimard, 1993, p. 939.
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“Litterature_170” (Col. : RevueLitterature) — 2013/5/14 — 10:35 — page 107 — #107
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“Litterature_170” (Col. : RevueLitterature) — 2013/5/14 — 10:35 — page 108 — #108
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ROGER CAILLOIS
autant celui des origines qui s’impose, mais celui d’une démesure référée
à l’humain, rendue par une formule ritualisée : « au long des siècles et des
siècles des siècles ».
Cette genèse est incontestablement nourrie de science : sans identifier
de sources et en brouillant même leur statut à travers une terminologie
caduque – « pharmacies d’une heure », « alchimie opiniâtre », en lieu et
place du « miracle des acides aminés45 » –, elle puise dans les disciplines
où s’élabore, au croisement de la biologie, de la chimie, de la physique et
de la géologie, une conception rationnelle et matérialiste de l’origine du
vivant, qui cherche aussi à promouvoir une conscience de l’enracinement de
la vie dans le non-vivant. Cette origine et cette conscience, Caillois les tient
pour acquises : l’« appartenance » de l’homme « au magma terraqué, nulle
découverte qui ne la lui montre aujourd’hui plus manifeste et plus profonde.
L’homme peut de moins en moins douter qu’il ne soit une excroissance
de la nature dont il demeure consubstantiel et aux lois de qui il reste
entièrement soumis46 ». Mais la genèse figurée par Caillois, sans s’écarter
de cette conviction définitive en passe de devenir universelle, l’aménage en
l’éloignant des sciences dont elle provient et en la soumettant aux exigences
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LE « CHIFFRE » DE LA VIE
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“Litterature_170” (Col. : RevueLitterature) — 2013/5/14 — 10:35 — page 110 — #110
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ROGER CAILLOIS
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“Litterature_170” (Col. : RevueLitterature) — 2013/5/14 — 10:35 — page 111 — #111
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Mais la force et la ruse du minéral sont bien plus grandes : l’« effigie »
qu’elles dessinent a valeur d’« autographe » ; la mort fossile est génératrice
d’un « chiffre » ; les « semences stériles » qu’elle produit deviennent des
« semis de symboles »58 . C’est là même tout le sens, finaliste, des « énormes
pressions » dont les fossiles sont le résultat : « Elles ont fait leur œuvre,
permettant au chiffre de surgir »59 . L’« immortalité » retrouvée dans « l’im-
passible durée des pierres », d’où la vie est issue, ne figure pas un cycle
accompli. Car le minéral auquel la vie revient, tout en étant substantielle-
ment le même, n’est pas celui dont elle est issue : une destruction et une
préservation l’ont marqué, qui l’excluent des « pierres plus âgées que la
vie ». Si Caillois offre donc à la vie, en guise de « destin inextricable », un
figement dans la pierre, au terme duquel elle « n’est plus que chiffre, que
signe qui dénonce le passage éphémère d’une espèce », cette trace mélanco-
lique, en même temps qu’elle modifie la pierre, transfigure aussi la vie en
vécu « préservé du retour à l’indistinction originelle »60 et conservé dans les
formes mémorielles – « album », « autographe » – à travers lesquelles l’hu-
main se console de sa disparition annoncée. Les fossiles offrent à Caillois
le spectacle d’un heureux interrègne où la vie n’efface pas son écart après
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“Litterature_170” (Col. : RevueLitterature) — 2013/5/14 — 10:35 — page 112 — #112
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ROGER CAILLOIS
112 65. Roger Caillois, Le Champ des signes, op. cit., p. 70.
66. Roger Caillois, Pierres réfléchies, op. cit., p. 122.
67. Sur cette tension entre trace et « anonymat », voir mon « Caillois, le lapidaire intime »,
LITTÉRATURE dans Dagmar Wieser et Patrick Labarthe (éd.), Mémoire et oubli dans le lyrisme européen.
N°170 – J UIN 2013 Hommage à John E. Jackson, Paris, Honoré Champion, 2008, p. 409-436.
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