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Numéro Spécial

Édition augmentée

Olivier DEMAZET

Printemps 1993 et 1996 N° 13


La Revue des Partisans d’Art
Publication trimestrielle d’un groupe de poètes de Montauban et d’ailleurs

Olivier DEMAZET 17, bis rue Jeanne d’Arc 82000 MONTAUBAN  63 03 79 13


(adresse du siège social)
« Ne méprisez pas la sensibilité de personne.
La sensibilité de chacun, c’est son génie. »
Charles Baudelaire

Numéro Spécial
Olivier DEMAZET

Printemps 1993 N° 13

1
Du même auteur

- Pages anthologiques

- Foi d’animal 1978

- Histoire de dire 1982

- Silhouettes 1984

- Natures vives 1985

- L’Enfance de l’Art 1987

- La Vie de Poème 1988

- L’amour de vous 1990

- Les voisins du ciel 1992

- Numéro spécial 13 Montauriol-Poésie 1993

- L’éclair de la nuit 1993

- Le glaneur des regards 1996

- Éclats de Rimes 1996


(Florilège des Poètes de Montauriol)

Olivier DEMAZET 17 bis, rue Jeanne d’Arc 82000 MONTAUBAN  : 05.63.03.79.13

2
TOI LE POÈTE

Toi le poète
spéléologue des âmes
et puisatier des coeurs tu
phréatises notre Amour
vitalises notre geste
catalyses notre terre
et rafraîchis notre vie
toi l’Être Humain
phare sur l’Océan.

3
AVANT-PROPOS

Je tiens tout d’abord à remercier l’Association Montauriol-Poésie qui consacre un

numéro spécial par an à l’un de ses auteurs, et le Conseil général de Tarn-et-Garonne,

qui, par son précieux concours, a permis la parution de cet ouvrage.

J’ai donc le plaisir de vous présenter ce recueil 1993, le deuxième de la série.

Depuis 1992, cette initiative tend à fortifier notre volonté associative de vitaliser une

poésie de proximité. Pour obtenir le meilleur résultat possible, j’ai extrait des textes

représentatifs de mon oeuvre globale. Une sélection peut paraître arbitraire, mais elle

aboutit finalement à un ensemble de poèmes significatifs de la personnalité et du style d’un

poète.

L’essentiel réside dans le respect des lecteurs et de soi-même.

Montauban, le 07.12.92. O.D.

4
LA MORT DU PETIT CHEVAL
Dessin : François SOULIE
La mort du petit cheval
dans les bras du tombereau
c’est le travail.

La mort du petit cheval


dans les bras du jockey
c’est la course.

La mort du petit cheval


dans les bras de sa mère
c’est la vie.

La mort du petit cheval


dans les bras du boucher
c’est la mort.

5
LES SANGSUES

Je me fais bien du mauvais sang ...


Chez les sangsues
Je serai bien reçu

LA CREVETTE Elles vous pincent pieds et mains..


les sangsues
Elles vous collent à la peau
Bleu-marine les sangsues
une crevette Elles font de vous des oripeaux..
d’imagination les sangsues
de réputation Elles vous sucent du sang pur
s’est fait les sangsues
une bonne réputation Elles vous vident votre vie
surfaite les sangsues
défaite
refaite Je ne fais plus du mauvais sang
défaite grâce aux sangsues
Crevette Bon sang ! Si j’avais su !
s’est faite
une mauvaise réputation
surfaite
défaite LES TOILES D’ARAIGNÉE
refaite
défaite
Crevette Une vieille araignée
s’est faite tissait vite sa toile
une réputation d’araignée
sans réputation avec du fin voile
La réputation : de fumée bleutée
c’est l’imagination
pensa la crevette Une jeune araignée
bleu-marine tissait vite sa toile
qui en creva. d’araignée
avec des étoiles
de la voie lactée

Il ne faut pas fumer


buvez du lait
dit la jeune araignée
à la vieille araignée
Vous serez toute blanche
entre deux ramelles de branches

6
LE LÉZARD VERT

Une paresse-lézard
résonnait une cloche
orchestre du hasard
sur la plus dure roche

Il n’était pas si bête


notre long lézard vert
solitaire à tue-tête
d’avoir redécouvert

les ding-dong cristallins DEUX TOUTOUS


pour réveiller le monde
au soleil du matin
et danser une ronde.
Deux toutous passaient côte à côte
la tête haute,
à l’aventure
d’une aimée créature.
Puis, rapides, habiles,
sur une automobile
arrêtée dans la rue, LE GROS CROCODILE
poussiéreuse et déchue
vite ils précipitent
leur truffe qui crépite.
Ils font la roue Le gros crocodile,
en signe de courroux le gros versatile
et d’un certain pouvoir s’étalait,
sur une chose de trottoir s’endormait.
qui dissimulait le passage Le petit négro spirituel
d’un cher visage. faisait son tour habituel.
Fiers comme Artaban, Il vit le gros crocodile
ils repartent, les forbans, le gros versatile.
indifférents du site
à la poursuite. Il s’approcha
à pas de chat
pour lui examiner
le bout du nez ;
Il chatouilla
le gros crocodile
le gros versatile
qui en bailla.

Le petit bonhomme
enfila
un bout de chewing-gum
qui colla
la bouche du gros crocodile,
du gros versatile
qui saliva,
rumina.

7
LE RHINOCÉROS Il consulta
à Calcutta
un autre spécialiste
Un rhinocéros très peu capitaliste,
naguère féroce, un peu psychanalyste,
tout ravigoté un peut radiesthésiste ;
alla consulter « J’ai compris, j’entrevois :
son spécialiste Monsieur porte des cornes.
Otorhinolaryngologiste Je ne suis plus utile,
pour soigner prenez-vous à la loi
ses saignées, et au Code Civil. »
ses nausées
très osées, Le rhinocéros
ses oreillées naguère féroce
réveillées, consulta
ses gorgées un maître-avocat
engorgées spécialiste de son cas
ses kystes, qui décréta :
ses fistes,
ses mastoïdites, « Corne unique ! rien de grave.
sa rhinopharyngite, Mais deux cornes ! On vous gave !
son extinction de voix N’est-ce pas ?
attrapés au jeu de l’oie. Vous ne devinez pas ? »

Il ne se déplaça pas pour rien : Et il paya fort cher


Le savant praticien, sa mise au courant d’air.
pour fortifier son faible organisme
sans défense, Le rhinocéros
en état de souffrance, naguère féroce
lui ordonna de forts gargarismes retourna chez lui,
à prendre entre les pas le nez plein de suie,
après les repas. enrhumé du cerveau
Le rhinocéros les deux yeux en cerceau.
naguère féroce Il se prit la tête, se la martela,
ne se guérit point puis se rappela
malgré ces bons soins.
« Oui, l’autre fois,
j’ai joué à l’oie
avec mon prétendant
d’éléphant
qui s’en prend
à ma rhinocéros.
Oh ! la rosse !
Ça trompe un prétendant !
Ça trompe un éléphant !

8
LA MOUETTE ET LA VAGUE

Une mouette
avait le vague à l’âme
et besoin d’aventure,
Elle demanda vaguement
- Pardon ma vague,
pour aller à la Mer des Tempêtes ?
s’il vous plaît ?
- Je vous entends, ma mouette,
je ne suis pas muette !
Prenez la première vague
sur votre aile droite.
Vous suivez la Terre de Feu,
la Mer Rouge
et vous arrivez
à l’Océan Pacifique,
Alors après, c’est plutôt vague !
pour la Mer des Tempêtes ;
vous savez, on divague !

LE TAUREAU

L’inséminateur est si radieux !


Regardez-le partir en vélo
s’occuper de sa progéniture !

Le taureau normand est si furieux !


On voudrait lui prendre son boulot,
lui si fier de sa magistrature !

Il lance un coup de corne revêche,


expédie du côté de la crèche
son gestionnaire à drôle de hure.

Je m’occupe moi de tes affaires ?


Je n’ai pas besoin d’intermédiaire !
Je reste maître de ma nature !

9
L’EMBAUMEUR

Le métier d’embaumeur ?
De l’adresse, de la noblesse !
L’embaumeur ? Un artisan
De la ville travaillant
A domicile et sur commande.
Quelqu’un décédait-il ?
Rien de plus simple :
La famille se présentait,
Munie du défunt
Chez l’homme de l’art
Qui lui exposait ses modèles
Sur bois peint.
Des séances de pose préalables
Avaient été nécessaires,
Affirme la tradition

Trois classes,
Modèles variés pour avariés,
- Que choisissez-vous ?
Quel prix désirez-vous ?
- Première classe. Modèle Osiris.
Le plus cher. Nous pouvons le faire.
Marché conclu. - Laisser reposer soixante dix jours
L’embaumeur opère derechef Pour permettre à l’opérateur
En vrai chef De respirer un peu
De chirurgie, d’autopsie, Pour obtenir une momie
Les yeux obstinément fixés D’apparence squelettique
Sur la recette qui suit : (ce n’est qu’une apparence)
Et habillée de sa seule peau de chagrin.
- Retirer la cervelle (Allons ! remontez-vous !
En la tirant par les narines On dirait des momies !)
Avec un fer recourbé. Envelopper enfin dans des linges
- Ouvrir le flanc, de préférence (nylon à déconseiller)
A l’aide d’un couteau en silex. entourer de bandes Velpeau
- Extraire par l’ouverture réalisée (adressez-vous à votre pharmacien)
Les intestins.
- Les laver au vin de palmier. Cette recette exquise
- Saupoudrer d’aromates broyés Exécutée fidèlement
(myrrhe et cannelle à conseiller) Comme une ordonnance,
- Remettre l’ensemble dans le ventre Le sommet de l’art-baume est atteint.
Et recoudre avec soin, Votre embaumé
Complètement paumé
- Plonger le corps du délice Sera couché dans des boîtes-gigognes :
Dans un bain de natron. Boîte en bois, tête de bois ;
Boîte en pierre, coeur de pierre.
Votre amie de momie
Vivra dans son tombeau
Une conserve de tout repos,
Tout en gardant toujours
Sa bonne mine de déterrée
Jamais enterrée. Jolie momie !

10
CHARLEMAGNE

Charlemagne empereur
D’Occident en fleurs
Charlemagne instructeur AU MARRI
D’Occident grondeur
A fait le souffleur Revenant de Croisade,
A un gosse peu travailleur. Un Seigneur au coeur gai
Rappelle toi mon coeur S’adresse en dérobade
J’ai été couronné empereur A sa belle aux aguets.
En l’an huit cents.
Eh ! Bonjour toute belle !
Pour le pays, Toujours si chaste et pure
J’ai été bon bagarreur par châteaux et venelles ?
Et aussi bon gouverneur Les chemins sont-ils sûrs ?
Maître de palais
Maître de chapelle Et sans cesse, il tâta
Maître d’école. Le corps-chair de sa femme,
J’ai même créé des inspecteurs. Par fracas il tenta,
En invoquant Sésame,

De briser la ceinture
De ferme chasteté
Contre la forfaiture
LES OTAGES Haute sécurité.

La chaîne résista ...


Pieds nus, en chemise, corde au cou, Le cadenas sans clé,
Les six bourgeois de Calais Dans les ondes bouclées,
Se présentent au Roi d’Angleterre Se rit du potentat.
En lui tendant les clés de la ville.
- Madame, il reste un mur
- « Qu’on tranche immédiatement Entre nous ! Comment faire ?
La tête de ces hommes », s’écrie le monarque. En coinçant la serrure
Pour sortir de l’enfer ?
La Reine éplorée se jette
Aux pieds de son auguste époux. Belle Épouse sourit !
- Mon Dieu ! Pitié pour vous !
- Oh ! Gentil Sire !, implore-t-elle, Avant que nuit pérît,
Épargnez-moi la vie de ces innocents ». J’avais pris rendez-vous ! ...

- « Belle Dame ! Vos demandes sont des ordres. Dites donc, à quoi rime
Prenez ces gens, je vous les donne ! Pour des amants épris
Une clé de l’énigme ?
- « Monseigneur, très grand merci ! ... Je vous salue, marri !
Mais Sire, seulement celui-ci ...
J’avais déjà choisi ...
Murmure la Reine au sourire angélique.

11
1515 Henri IV

Henri IV est un bon roi.


S’il n’y avait eu Il voudrait que chaque Français
Un François 1er Mette la poule au pot
Pour gagner Chaque dimanche.
La bataille de Marignan
En quinze cent quinze Henri IV est un bon roi.
Et enrichir son auréole, Il voudrait que chaque Français
Il y aurait eu Fasse le beau aux poules
Peu de Français premiers Chaque dimanche.
Pour gagner
Les batailles de fainéants
Après quinze cent quinze
Et enrichir les écoles.

Louis XIV

AUX GOBELINS
« J’ai failli attendre,
Mais je crois comprendre » ...
Le Roi Louis XIV interpelle : Dit le Roi fort courroucé,
- « Eh ! la belle ! Outragé
Que fais-tu dans cette venelle A sa maîtresse en retard.
Ici, assise sans travail
A regarder le soupirail ? « J’ai failli m’étendre
- « Sire, sa Majesté me rit ! Et j’ai cru m’éprendre »
Je fais tapisserie ». Dit la dame fort pincée
Et figée
A son hormone-retard.

12
SON ÂME
à mon père
Il a perdu son âme
Sur le chemin des dames
Elle a perdu son âme
Un soir au macadam.

LE POILU TRANSI

Dans sa tranchée bouante


Dans sa tranchée fumante
Dans sa tranchée puante
Dans sa tranchée tonnante
Dans sa tranchée saignante
Dans sa tranchée hurlante
Le poilu transi
Saisit son fusil
Puis s’écrie
Pétain de vie !

L’EXEMPLE

A titre d’exemple
Pour vous donner un exemple
Il a été fusillé pour l’exemple
Pour servir d’exemple
L’exemple confirme l’exemple
Un exemple entre tous
Mais quel exemple
Les exemples vivants
Sont d’un autre pouvoir.

ONZE NOVEMBRE

Des marches cadencées en discours nuancés,


Défilés vers les stèles décontenancées ...
Souvenir ... Silence étranglé ... Onze Novembre.
Fête de ceux qui eurent les tranchées pour chambres.

Fête des morts vivants. Fête de leur victoire.


Fête des gars-fusils abattus par la gloire.
Fête du sang versé dans l’incendie de fer.
Fête de la jeunesse immolée par cratères.

Le langage mortel des guerres n’est que volcance


Où les laves sur monuments font éloquence.
Il défonce les champs, écrase les vallons,
Puis étouffe les chants des paysans-clairons.

Ne nous amusons plus aux tueries militaires.


Contentons-nous plutôt du travail de la terre.
Prenons nos armes d’or, assassinons la guerre.
Soldats de l’amitié, décimez la misère !

13
14 JUILLET

Le quatorze juillet
Il assistait toujours
Au défilé
Des chars d’assaut
Il en était bouleversé.

Un quatorze juillet
Il assista de jour
Au défilé
Des assauts de chars
Il en tomba tout transpercé.

LE PETIT RÉSISTANT

Un petit résistant victime du canon


Par bien des compagnons, sans sonner le clairon,
Fut couché sur un lit d’une chaude maison
Chez des gens complaisants un petit peu grognons,
Afin d’y déposer bientôt dix-huit saisons.
Un explosif au foie l’avait mis en haillons.

Il geignait, haletait. Il perdait la raison.


Son regard était bleu, il nous en disait long.
Ses cheveux étaient blonds. Son visage était rond.
Ses mains crispées cherchaient l’amitié à tâtons.
Son coeur goulu battait et voulait des chansons.
Et maintenant la vie lui disait non.

L’hôtesse alors pleura : « Oh ! le pauvre mignon !


Il a taché mon lit de son sang vermillon ! »
Et sous le moribond, elle y mit des torchons.
Le soleil sanglotait ses tout derniers rayons,
Le village à la nuit faisait partout ronron.
Que jeunesse se passe. Ainsi veut le dicton.

LE PRISONNIER

Le prisonnier
Des barbelés,
Des miradors,
Des cabanons,
Des sentinelles
A les mains tout en sang
A force de serrer,
Griffer la liberté.

14
15
LE VIEUX LOUP DE MER

Grandes marées de juin sur Paris ...


Navigue, chaloupe le vieux loup de mer
à contre-courant de la foule
et pourfendant la houle.
Il y a du vent dans les voiles.
Hardi le gars ! Va qui pourra !

Le vieux loup de mer est fauché :


plus rien à boire, plus rien à croire.
Il tend une main effrontée, assoiffée ...
Un marin d’eau douce vint à passer,
à la bouche un bonbon,
à la poche les gauloises vierges.

Interdiction de fumer, oui,


et en vertu de la loi conjugale.
Le marin d’eau douce déposa,
au passage, à l’abordage,
le paquet bleu casqué
dans la main statufiée
du vieux loup de mer indigné
qui crie qu’il n’a jamais fumé.

LE PEINTRE

Du fond du coeur de son pinceau,


plongé dans son âme en couleurs
et ses paroles de silence,
un peintre peignait et repeignait
la ville de Paris
en promenade sur les rives de la Seine

Un clochard en chapeau hirsute


et godillant de la savate,
vint jeter son pavé
dans les ondes du peintre.
Tu n’aurais pas, dis ...
une cigarette ...
et puis ... une allumette ?

Et repartant,
ainsi qu’un tortillard,
il se remit jusqu’à six fois
sur cette même voie.
Tu consumes beaucoup,
dit le peintre.
Tu n’as donc pas d’amis ?
dit le clochard.
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LE SONDEUR-SOUDEUR

Un sondeur d’opinion se fit sonder,


histoire de se faire une opinion,
par un soudeur sondé sans opinion.
Puis il donna son opinion :
- « Je suis un sondeur-soudé. C’est mon opinion.
Je la partage. Mais ce n’est pas l’opinion générale ».
Il se fit alors soudeur d’opinion
pour généraliser l’opinion sur le sondage
et la soudure.

MONSIEUR MI

C’est Monsieur Mi qui chante en mi,


en mi mineur, car il n’est pas majeur.
Il parle à mi-voix et s’arrête à mi-chemin.
Il travaille à mi-temps
et reste toujours mi-figue, mi-raisin,
mi-fugue, mi-raison.
C’est Monsieur Mi qui chante en mi,
en mi mineur, car il n’est pas majeur.

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D’après une huile d’Emmanuel Marteau (  )

LA PEINE

Une femme à genoux,


Les mains sur son visage,
Qui se cache et qui pleure
Sa peine sur la plage.

Une montagne mauve


Qui courbe son échine,
De souris qui gémit
Sous un ciel impassible.

Une montagne brune


Qui s’étire et qui bâille
Tire la langue oblongue
A la mer bleue qui bave,

Une baie étonnée


Qui donne une caresse
Si douce et ronde et blonde
A la plage sauvage.

Brûlante aveugle sourde,


Deux grands pins squelettiques
sans aiguilles ni larmes,
Une souche de pin ...

Une femme à genoux,


Les mains sur son visage
19
Qui se cache et qui pleure
Sa peine sur la plage.

20
PIQUE-NIQUE

Après-midi d’été sur la rive du fleuve endormi,


à l’ombre des saules-rieurs.
Partie de pêche en silence enthousiaste.
Le père, professeur de pêche.
La mère, spectatrice de pêche,
Le frère, élève de pêche.
Le benjamin, préparateur en vers de pêche,
en mouches à vers, en vers-sauterelles ...

Pique-nique du midi :
Tomates en rondelles à l’ail.
Tranches de saucisson à l’ail.
Jambon de pays de l’ail.
Thon au naturel ou sardines à l’huile.
Fromage aux fines herbes et à l’ail.
Pain de campagne à odeur d’ail.
Pommes-reinettes-Pets de nonnes.

Sieste verte sous les ramures frôlées par le vent.


Du soleil, repos et rêverie,
les yeux plongés dans le ciel ourlé de bleu ...
Soudain, un ordre humide et vaseux
jaillissant de la litière paternelle !
- « Si nous remontions en ligne ! ... »

Chacun, vers la rive, s’élance,


vers l’onde qui l’appelle, s’élance.
On arme les lignes. On lance les lignes,
On se tait. On observe - On se regarde,
C’est le silence. C’est le brouillard,
en attendant l’éclair du bouchon.
On se concentre. On s’impatiente.
On invective. On relance.
La ligne résiste. Le frère insiste ...
Serait-ce enfin une prise ? La prise,
qui derrière lui, hurle sur la berge ?

Hélas, non ! Catastrophe des rêves tombés à l’eau :


le nombril du benjamin caparaçonné,
adroitement hameçonné.
Pique-niqué par l’hameçon, Benjamin se panique.
Fin d’après-midi d’un saule.
Le père s’applique, à son fils explique
et le nombril lui dépique.
Le frère les lignes démêle et du nez pique.
Des piques, la mère lance contre l’hameçon
du pique-nique.
Une pêche sans hameçons et sans façons,
elle exige ...

21
LE POÈTE ENCHIENNÉ

Sur un sentier du Causse


bordé de pierres sèches
toutes moussues du lierre d’hiver,
sous un chêne magistral,
témoin dépouillé d’un carnage sans procès,
est étendu un homme
ensommeillé de sang
pour qui vient de sonner
le glas de la trentaine.

Il gît,
la gorge béante
d’où s’écoulent des filets de vie,
les yeux glauques
plongés en plein ciel de grisaille
les bras croisés sur la poitrine déchirée,
silencieuse ...
Entre les lèvres violettes
fleurit encore une violette ...

Un berger nazi
lancé à la poursuite
d’un gibier en promenade
sans défense ni attaque,
un berger nazi
rôdait, flairait
la transcendance arborescente ...
Et puis, il égorgea,
il dégorgea
le poète aux mains nues
qui naturalisait, lisait, lisait le poétique
en pleine pâleur ensoleillée
de silence défeuillu ...

On entendait les chênes écureuillir encore.


La nuit rossignolée
bientôt allait bleuir le paysage vermeil
d’une chienne de vie,
tranchée pour crime d’écriture,
immortalisée par les crocs.

22
NOËL ! ...

NOËL ! Encore NOËL ! Toujours NOËL !


Vous n’y croyez plus ?
Vous ne vivez plus ?
Vous, mes amis,
sans foyer, ni amis,
sans âge, ni but,
sans nom, sans visage !

Vous, mes amis,


affamés, assoiffés,
embarbelés, enchaînés,
psychiatrisés, vitrifiés,
torturés, électrifiés,
assommés, étranglés,
embrigadés, fanatisés,
embastillés, fusillés,
pendus, meurtris !

Vous, mes amis,


qui souffrez d’une éternité sans éternité !
Vous, les vivants ! Vous, les jamais morts !
Croyez, Vivez !
C’est NOËL ! Encore NOËL ! Enfin NOËL !
La force jaillit de l’Amour,
la joie surgit de l’Espérance !
NOËL renaît de votre souffle,
de votre encore et toujours vie.
Vous, mes amis,
qui dominez la carcéralité
en respirant la liberté
au nom de l’humanité :
l’Univers vous comprend,
l’Univers vous accueille,
vous embrasse,
vous remercie.

EN UN PRINTEMPS
D’AMITIÉ ET DE LUCIDITÉ,
NOËL ENFIN NE TOMBERA PLUS
EN HIVER.

23
PRINTEMPS PASCAL

Renaît la nature hivernale au printemps, Émergent soudain les corps


comme resurgit l’Humanité Pascale qui poussent, qui s’élèvent,
de ses immortelles cendres, tels des glaïeuls semés de la veille.
après ce raz de marée cyclonique Les têtes se tournent, se penchent.
qui a balayé et arasé les massifs de turpitudes, Les yeux contemplent et rient.
asséché les fleuves de cruauté, Les bouches s’adressent des baisers, des paroles
abattu les fabriques d’or et d’argent, Les mains se tendent par poignées.
enterré les maisons hantées, Les corps oscillent, les jambes s’élancent
écrasé toute animalité sismique ... On s’embrasse, on chante, on s’enlace, on danse
Lunatique planète lunaire aux sables de neige ! en choeur innombrable ...

Existerait-il un monde si calme, si clair, Naissance de l’homme et de la Femme.


après la tempête des instincts sauvages ? Renaissance de l’Enfant.
Serait-ce une mortelle turbulence On cherche le Bourreau, assassin de l’humanité,
qui plane sur la terre mais auteur du Renouveau
en un vol de colombes transparentes ? Il n’y a plus de bourreau, il n’y a plus
d’assassin!
D’où vient cette douce brise Le Bourreau s’angélise, après avoir tué
qui souffle, telle une âme, les eaux crématoires, les torturatoires,
sur ce désert de silence ? les fours à baignoires,
D’où vient cette lumière galactéenne les boîtes de conserves et de concentration,
qui éclaire en bleu, jaune ou rose les nerfs de la guerre et la guerre des nerfs.
l’astre humain comme un globe ogival ?
D’où surgit cette lumière manichéenne
qui ressourcerait un soleil tout jeune ? L’humanité pactise et se pascalise
Un soleil ne se vautrant plus dans une forêt de gui et une marée de roses.
sur le rayonnement des coeurs. La paix d’Amour nous est donnée
On dirait une revenue de la vie ! d’un Printemps tout neuf.
Sonnez pascalines clarines !
Des voix lointaines murmurent, Rythmez vos hymnes à la joie !
Puis s’exhalent des vulcanités profondes. Chantez l’Amour sur l’Univers
Des chants de l’unisson se fredonnent qui s’arborise vers le Ciel !
dans les failles du cataclysme, Égrenez l’Éther de la Vie !
puis jaillissent, clairs et purs Saupoudrez de Paix notre Terre !
comme une symphonie de joie mondiale ...
Domine en épicentre un cri triomphal :
concerto vocal qui s’organise ...

Une forêt de mains champignonne


et ondule à la tige des bras,
au moindre bruissement du vent :
on dirait une immensité de blé
qui sonnerait déjà l’heure de l’été.
Sur toute la vastité superficielle,
bourgeonne une foule de têtes
qui fleurissent vite en visages
enluminés d’espoirs blonds.
Les yeux émus écoutent ces feux d’artifice.

24
CIEL D’ÉTÉ

Une dentelle sylvestre


noire verte grise
ourle le ciel absent
festonne la plaine
napperonne les blés mûrs
dépelotonne au passage
le coton flou des nuages
blancs, qui se défilent
qui s’étagent
se dévident

L’AUTOMNE GÉANT

Les arbres pleurent


des feuilles multicolores

Le vent siffle
des airs multisonores

La pluie enflamme
des luminosités multiformes

L’automne à pas lents mutile


les dernières vérités du multiple été

L’automne géant offre


au viol de l’hiver impudique

les arbres multipolaires


et la nature qui se meurt, grise, multipare

Le printemps amoureux ressèmera


la verte vie, jeune et multipliée

L’HIVER

Se lève un pont-levis
sur les secrets de vie

C’est le gel à pierre fendre


Tous les glaçons s’amusent
à s’agripper se pendre
La neige roucoule en muse

sur les bêtes amies


sur les hameaux enfouis
25
LE GIVRE

Émoustillée de bise
qui la mord et l’aiguise,
la campagne s’est mise en un beau trente et un,
rutilante en cristal opalin,
car Phébus, de sa grisaille rase,
se promène en gibus de topaze
et passe en grande revue d’honneur
ses sujets scintillants en tenue de rigueur.

Haies et buissons, arbres et arbustes,


prés, champs et labours frustres,
fils de fer barbelés,
grillages, fils d’électricité,
antennes, clochetons, toitures ...
Plus aucune verdure.

Tout l’Univers de blancheur s’enivre,


de la tête au pied vêtu de givre.
L’uniforme est parfait de dentelles, festons,
initiales brodées, décorations, boutons.
Des cyprès argentés par-ci par là s’amusent,
moustachus ou barbus, à faire quelques ruses.
Des peupliers aussi, déplumés, crânement,
frétillent leur tête luisante d’ornements.

Un platane au pied lourd sort l’épée pour le duel


avec celui d’en face ...
or un bref sourd rappel
battu d’un coup de vent, réchauffé, sans réplique,
par ce Roi en sueur et au rire cynique,
ramène ces robots bien vite à la raison,
tombant en pâmoison,
morfondus et en larmes,
remettant bas les armes.

Les voilà humiliés,


dénudés,
spoliés.
Puis, caresse espérée,
la brume au crépuscule étend déjà ses voiles
pour repeindre demain une aussi belle toile.

26
VENT D’AUTAN

Aujourd’hui c’est, hélas ! piètre fin de l’automne,


Voici le jour qui lasse et la mort qui résonne.
Le soleil était beau. Il a pris son manteau :
C’est l’heure du rabot. C’est l’heure du fléau.

La nature endormie voudrait mettre pantoufles.


Le vent d’autan l’excite à en perdre le souffle.
Le peuplier essuie le ciel de son plumeau.
Le sapin chante en vert à grands coups de pinceau.

L’acacia de sa griffe déchire la rafale.


Le bouleau est tout blanc de colère, il en râle.
Le platane éperdu noyé de tourbillons
Appelle à son secours car il est en haillons.

Le tilleul bras ballants revient de l’exercice.


Le marronnier en croix a les branches qui crissent,
Le feuillage éteint siffle un macabre ballet,
Une valse hystérique sur un rythme endiablé,

Un tango langoureux avant les funérailles.


Une musique avide arrache les entrailles.
Feuilles vertes de peu cachées dans les fossés,
Feuille accrochée aux brins en un dernier lacet.

La serre du jardin n’est plus même un refuge.


Tout s’était allongé, attendant le déluge.
Feuilles sèches crispées d’un dernier soubresaut,
Dahlias échevelés, herbe verte, roseaux.

La rose d’Inde orange et toute repentante


Brille avec la pivoine, encor bien florissante.
Le chrysanthème ouvert se repose et attend
De fleurir en beauté ce moment de tourment.

L’automne époumoné s’égosille et s’arrête.


Le silence descend sur la furie discrète.
Le ciel sue, crache, pleure, il éclate en sanglots.
La nature affalée boit son chagrin dans l’eau.

Le chant du coq ce soir sonnera fort sans doute,


Le chien au regard blanc hurlera la déroute.
Le chat noir secouera sa patte de dédain.
Le moineau sautillant sortira plaisantin.

27
TOURAINE
Touraine,
ma Touraine lointaine,
ma contrée soudaine ...
Mes souvenirs défoncent la chaleur fertile
de l’enfance vivante.
Il n’est pas de chiendent avide qui l’étouffe,
de courtilières qui l’enserrent, qui la coupent,
et d’aveugles taupes qui la creusent en cavernes.
Il n’est pas de pluies torrentielles
qui éparpillent l’enfance continuelle.

Les roses roses sans épine me dévorent


de senteurs en couleurs.
Des coccinelles en promenade s’effleurent.
Un chat noir blanc me vole,
il miaule, dégringole.
Un faisan d’or s’envole.
Quelques filets de pluie me dorlotent
dans leurs mailles d’argent.
Une poussée juvénile de mousserons des prés
picote mes joues.
La prairie verte mouillée se travestit,
de primevères, de pensées de mes pensées.

Les nuages hydrophiles pomponnent le ciel bleu.


L’équidistance mauve orange
du crépuscule et de l’aurore,
adoucit tous les angles vifs d’aujourd’hui.
Elles se retrempent mes paroles
parmi la sonorité sonore
et la sensibilité sensée
de l’équilibre d’une source pure.
Scintillent à Vouvray les dorures transparentes
qui clapotissent le demi-cristal.
Je gratte le tuffeau de mon adolescence,
De la poussière blanche,
il repousse des Cheverny, des Chenonceaux,
des petits lionceaux présentés en écrins,
des Chaumont suspendus au plafond du ciel,
sur la table de la Loire,
le long du mur de la forêt.

Les levées grises serpentent ma fuite


vers les grèves feuillues aux sables de miel
devenues des îles de salut.
Je me mire dans les manoirs.
Il coule de mes lèvres
la rivière d’azur
de tes printemps intérieurs,
de tes paroles estivales

J’abrite mes trésors chaleureux


au fond des troglodytes,
m’enracine dans une télépathie onirique
de soyeuse perpétuité
sans fissure d’espace temporel.
28
M’auréole ma tourangelle Loire.

29
BRUME SUR LE LAC

Vogue la barque nocturne


au clair du brouillard lunaire
Environnement aveugle
Ensevelissement assourdi
dans la pénombre cotonneuse
Imaginations fantastiques
Hallucinations délirantes
Malaise horrible
Frissons d’épouvante
Aventure affolante
Râles de peur.
Des puissances obscures
le happent
au fond des noirceurs aquatiques
du lac impavide.

OMBRES

Des ombres étranges


planent sur les ondes
des plafonds du village
sur les rides de la nuit
La peur s’allume sur les coeurs empoignés
Les âmes perdues se noient
dans le sourire des étoiles.

30
SI
J’ÉTAIS A LA PLACE DE LA LUNE

Si j’étais à la place Si j’étais à la place


De la lune De la lune
Je jouerais au trapèze La coquette ferais
avec la petite ourse Dans les eaux de miroir
Je verrais les amants Après un petit brin
Enlacer les étoiles De toilette discrète
Les petits chats goulus Servirais les poissons
Téter la voie lactée Sur un plateau doré
Et l’étoile du Nord Aux mendiants de la rive
Enluminer Noël. Avec des croissants frais.

Si j’étais à la place Si j’étais à la place


De la lune De la lune
Dans le bleuté j’irais Les chiens du soir verrais
De la verdure, rouler Hurler la joie, la vie
A l’herbe blé dirais Sans réveiller le coq
Ne pousse pas si vite De l’église pointue
De la place à chacun Je crierais à la nuit
En ce monde il y a. Balayée par les phares.

Si j’étais à la place Si j’étais à la place


De la lune De la lune
Vite me percherais Le peuplier mettrais
Sur les toits de velours Dans l’encre de la nuit
De ma ronde pâleur Pour écrire partout
La clarté chanterais Dans les bois, dans les champs,
Au rythme ronronnant Les montagnes, la mer,
Des baladins qui rêvent. L’amour, la joie qui chante.

Si j’étais à la place Si j’étais à la place


De la lune De la lune
Un moineau deviendrais Au soleil, aux nuages
Sautillant çà et là De souligner dirais
A l’écart des sapins Tout ça d’un arc en ciel
Qui à grands coups de nuit Pour que je dorme enfin
Perceraient ma figure Tranquille en attendant
En feraient des quartiers. Venir la nuit prochaine.

Si j’étais à la place Si j’étais à la place


De la lune De la lune
De l’écureuil ferais La brume de l’aurore
Le lutin des futaies De buvard servirait,
D’une auréole irais Les fleurs des champs feraient
Coiffer le sanglier Sonner le rossignol
Qui sans défense aurait Pour éveiller l’enfant
Belle allure en saint homme. Qui jase et puis sourit.

... Cespoèmes qui sont un peu écrits dans l’esprit de


« Si j’étais à la place de la lune » ...
(Maurice Carème, prince en poésie, dédicace de
31
« La lanterne magique » (Octobre 1965).

32
LE CHÂTEAU D’EAU

Elle se dresse en sourdine lointaine,


Cette tour soudaine
à large tête d’angle,
coiffée d’un chapeau rond pointu.

Elle surgit des épaules étirées


de la forêt bleue,
guirlande pour la poitrine offerte
de la plaine verte,

Elle quitte l’étui des ténèbres


pour poignarder le coeur
ignifère du ciel,
où une boule en sang,
rompue par le fil net horizontal,
signe une traînée rouge
auréolée d’une plaie vive.

Une plaie pudique s’irradie,


se nuage de dentelle-gaze.
La nature aplanie
par le silence gris
de la nocturne absence
crie sa douleur alourdie
aux clochettes rosées crépusculaires,
fines fleurs tranquillisantes,
à l’envol des corneilles
qui s’affalent sur l’angélus émietté.

Le clocher de l’église
bistourise les blessures célestes,
oublie le château d’eau ...

33
DERRIÈRE LES VITRES

La petite fille toute blonde


Voudrait courir après les nuages
Qui jouent à s’attraper font la ronde
La course et se tapent au visage.

La petite fille toute blonde


S’extasie au soleil qui sommeille,
Tend la main à la moiteur du monde
Et rit au rayon qu’elle réveille.

La petite fille toute blonde


S’ensorcelle à la pluie qui déferle,
S’émerveille au rêve qui l’inonde
Et se met à enfiler des perles.

La petite fille toute blonde


Fait la moue aux gouttes qu’elle appelle :
Ne tombez pas si vite ou je gronde,
En miettes mais vous serez moins belles.

La petite fille toute blonde


Crie encor aux diamants qui se brisent :
Voulez-vous rentrer vite ou je gronde
Ne vous mouillez plus sous la pluie grise.

34
MON AMI JANOU

Mon ami Janou, c’est un rêveur,


Au cours de ses promenades
qui traînent en douceur,
il songe, il songe, il ressonge

Il est le baladin des nuages,


le lutin du ciel,
qui fait de la luge sur les arcs-en-ciel,
joue à la balle avec les étoiles,
dort le soleil à son chevet,
enflamme ses rêves aux météorites,
skie sur les nimbes cotonneuses
et lance des lunes de neige.

Histoire de lui remettre les pieds sur terre,


des pernicieux le questionnent :
- Que vois-tu, que fais-tu, que dis-tu là-haut ?

Il répond tout naturellement


qu’il y rencontre les enfants de l’amour
aux jeux sans chamailles.
Et il reprend son ascension astrale
Vers son monde à lui, tout heureux, tout simple.

Mais un triste jour qu’il flâne encore


au septième ciel
et qu’il traverse une rue sans lune ni soleil,
une auto réelle fauche sa riche vie célestine.

35
L’ENFANT DES NEIGES

O ténèbres des neiges !

Vous qui tombez ce soir

De votre ciel de plomb,

Que votre pesanteur est lourde !

Vos flocons qui nous mordent

Sont des pinces coupantes

Descendues pour sceller

Le linceul de lumière

De cet enfant des neiges

Qui nous est mort ce soir.

36
A CHEVAL ! L’OEIL DROIT

Sylvie fait du cheval L’enfant se berce à ravir


et rit et crie sans vouloir se voir dormir
sur les épaules
de son père essoufflé. Les comptines se succèdent.
- Je suis fatigué, Elle oublie les intermèdes.
tu es lourde.
Descends ! Chérie, vas-tu t’endormir ?
- Papa, attends ou faut-il intervenir ?
encore longtemps
et puis, c’est fini ! Mais moi, je veux m’endormir.
L’oeil droit ne peut pas dormir.

MES DEUX AMIES SOUS L’OREILLER

J’ai comme amies La fillette


Mes deux mamies. met sa dent
Je leur fais des bêtises sous l’oreiller
avec des friandises, et, tout sourire,
les réveille à midi, s’endormit
les endors à minuit. dans ses rêves
Je leur chante des airs coque d’oeuf.
en plein mes courants d’air.
J’attaque tous les sioux Le matin,
à ruses de biniou. elle découvrit,
Ce n’est point des misères, Oh ! la surprise ;
car je leur dis : ma chère, sous l’oreiller :
à mes mamies, un doux coffret
mes deux amies. de peintures
coque d’oeuf.

37
LA VIE DE POÈME

Dessin de Sylvie (école maternelle)

38
LE FOU

Enfin ! Quel est ce grand fou, monsieur ?


direz-vous. Non ! il est amoureux !
Font ses yeux resplendir le soleil,
sonnent, des étoiles, le réveil,
Et grandes ouvertes ses oreilles
sont à l’affût des chansons du ciel.

Sa voix résonne sur cette terre


et fait taire tous les cris du fer.
Sous chaque pas, doucement s’effacent
le sang, les pleurs qui pleuvaient des traces.
Il est, direz-vous, fou à lier, fou !
Non ! Amoureux, amoureux de tout !

39
LA NEIGE

Ton âme est toute blanche


Comme la neige blanche,
Le souffle du plein vent
l’emporte vers la terre,
en recouvre les taches
d’un vaste menteau blanc.

Ton âme est toute blanche


comme la neige blanche.
La force de l’Amour
l’emporte vers le ciel,
qui éclaire éblouit
la blancheur de la Terre

40
Beauté

Il faut qu’une poète madame vous redise


aux lois de la beauté de fleurir ce matin
l’univers de charmer de le rendre coquin
Esquivez le péril d’en faire à votre guise.

Gardez un teint de pêche un petit air mutin


deux beaux yeux de velours bouche en coeur ou cerise
Cheveux d’ébène ou d’or fine main jambe exquise
Gardez taille de guêpe un sourire câlin.

Ne restez pas madame aussi vieille qu’Hérode


La nature et la grâce enluminent nos coeurs
L’Éternel Féminin parfume nos bonheurs.

Haïssez la laideur vivez mode qui brode


Déshabillez la ride il ne faut par ternir
des fruits ensoleillés qui sont faits pour ravir.

41
Illustration : Marc Dautry

42
LA SAINT-VALENTIN

C’est aujourd’hui
la Saint-Valentin
la fête AFFRONTE-MOI
d’amour

Le jour a fui Affronte-moi


donnez-moi la main Amuse-moi
ma fête
d’amour
Bise-moi
La nuit reluit Tisse-moi
donnez-moi vos seins
de fête
amour Frissonne-moi
Incise-moi
L’aube s’enfuit
donnez-moi
un rien Dessine-moi
de fête et sculpte-moi
amour
Mandoline-moi
Sourire à la vie imagine-moi
chacun le sien
de fête
amour.

CHUTE

Son parachute
VAGABOND en plein vent,
sans paravent,
trouve un point de chute :
Vagabond Jolie chute !
va bon gars Mais chut ! ...
terre et mer s’annulent
sous la lune
Belle se dénude Voici la rechute
sur la dune en plein vent,
Elle se dévoile sans paravent.
Qu’il la boive Chute de reins,
O Sultane Jolie chute !
Océane Mais chut ! ...

43
TES YEUX

Tes yeux
Soleils d’univers bleu
Étoiles qui jalonnent
l’infinité nocturne
Épis de blé d’été
sous le vent qui ondule

Forêts des mil secrets


où fourmillent les vies
Neiges d’éternité Océan de velours
lumières cristallines Océan des tempêtes
Oiseaux de mer survie
Avalanches soudaines amoureux des esquifs
aux redoux nonchalants
Lacs d’iris endormis Agilité dauphine
au fond de la volcance surgie des eaux de joie
Baignades d’embellie
Clapotis des torrents Rivages croustillants
à l’assaut des galets
Fleuves aux doux méandres Orages délirants
mouvant d’incertitude Coups de foudre si doux
Nuage indifférent
aux pluies libératrices
Sables imprévisibles
des dunes de silence Reflets des améthystes
Iles de solitude Tes yeux de prairie verte
harcelées par les vents Tes yeux de rose
Tes yeux lavande

Tes yeux de jade


Tes yeux de roche
Tes yeux de source
Tes yeux de flammes
Tes yeux d’amour
Tes yeux ...

44
Déception

Il est des jours


où la campagne verte et bleue
s’ensoleille de vie.

Il est des jours


ternes, désolés, ombreux
où les minutes piquent.

Matin d’octobre ...


Les persiennes filtrent une lumière pâle
Le soleil, déjà ?

Fenêtres ouvertes
Nuages noirs gris
Jardin fatigué, désert d’oiseaux.

Silence des plantes


Attente humide des toitures
Premières dénudes lentes des arbres.

Mort taciturne des fleurs de l’été.


Partie de campagne avortée
Mélancolie autour du vide.

Nature immortelle
parfois mortelle de tristesse
Journée indécise.

Souvenir d’un automne morne


aussi long qu’une agonie
où je m’enfonçais.

45
BORNES CONTRAIRES

Arbre fruitier en fleur


mais absence de fruits

Chat si doux qui ronronne


et pour un rien vous griffe

Chien humain qui implore


mais sans raison vous mord

Fier bouquet scintillant


éphémère et tout sec

Pluie d’été bien venue


ou démon torrentiel

Pêche miraculeuse
dans les égoûts marins

Chahut de la jeunesse
sur la route des morts

Enfant toujours aimé


aux angoisses de fugue

Frère enfant frère adulte


aux mensonges soudains

Ami si chaleureux
au départ silencieux

Passionné d’une étoile


qui trop vite s’éteint

Pauvre vie de passage


entre bornes contraires ...

Olivier DEMAZET

46
ABSENCE

Qu’est-ce que l’éternité ?


l’absence de temps.

Qu’est-ce que l’immensité ?


l’absence d’espace.

Qu’est-ce que l’universalité ?


l’absence de monde.

NUIT

En sa pâleur qui luit


et s’exhibe ce soir,
la lune qui se voile
dans la soie des étoiles,
donne vie au ciel noir
du miroir de la nuit.

LES ANNÉES

Oui, c’est dommage


que les années
aient mis
tant de ravage
sur votre visage

Mais quel bonheur


que les années
aient mis
tant de chaleur
dans tout votre coeur

47
MA MÉMOIRE

Moi, vieille Mère ...,

Ma Mémoire
est un trou noir.
Je n’entends plus
le temps.
Je n’amasse plus
l’espace.
Je ne sonne plus
personne.
Ma vie est un Soir
fermoir.

Et pourtant ...
chers Enfants !
Mes Yeux de sentimence
foisonnent.
Les cieux de mes silences
raisonnent,
Et pourtant ...
Mon coeur vous aime tant !
O Solitude
de mon Agitude !

Moi, vieille Mère ...

48
LES ARCHIS

L’architecte archimillionnaire
dit à l’archiprêtre archiprêt :
Voici un projet archirévolutionnaire.
Nous allons construire un archiduc en archi-teck,
solide sur ses archiarches,
entre les îles de l’archipel
des Archichapelles archipelées.
Nous y ferons transiter un train archicomble,
d’architocs, d’archimecs, d’archéptypes,
d’archicrocs, d’archiarrivés, d’archiarrimés,
d’archiarythmés, d’archiadiacres sans archet.
Le convoi irait s’archiabîmer dans les abysses.
Il ne remonterait pas à l’archiface,
suivant l’archisaint principe d’Archimède,
Il séjournerait dans l’archicosme
des Océans Antiarchaïque et Pacifique.
Nous aurions découvert, sans démarches,
l’archiremède archivisionnaire
nous permettant de vivre dans un monde
monarchique d’archifrères et d’archinoëls.

49
LE DERNIER

Du dernier avion du monde


Le dernier aviateur du monde
Vient de jeter sa dernière bombe au monde.
Il n’y a plus sur terre qu’un grand trou par terre ;
Il n’y a plus de monde sur terre,
Il n’y a plus de terre au monde.
Le dernier aviateur de l’ancien monde
Tournait dans le dernier avion du monde.
Il ne tournait pas même en rond :
Il n’y avait plus de rond.
Le dernier aviateur de l’Ancien monde
Parlait de tout le monde,
Parlait déjà à l’autre monde
Sans se soucier du monde :
« Ah ! La Barbe ! J’ai oublié mon rasoir !
Me voici le plus joli du monde !
Heureusement qu’il n’y a plus de monde ! »

50
La vigueur opposable
accentue d’emblée
le scénario bref
de la fulgurance
cryptée
Le grondement transitif
disjoncte l’état naissant
des ressources essentielles

La vulgarité
infrarouge
explose
sur les échanges
absurdes
Le maelstrom
complice
génère
l’exubérance
assourdissante
des zooms
en survol
visible

Le crépuscule
des dogmes
aromatisés
purifie
l’engeance
de nos miroirs

51
translucides

52
POÈTES INCONNUS

Poètes inconnus, vous choisirez la mer


où puisse naviguer la foi de vos écrits
sous la voile inspirée du navire trouvère :
sa figure de proue chérit l’horizon gris.

Poètes inconnus, vous choisirez la mer.


Vous surgirez des fonds, abysses et ténèbres.
Vous serez des volcans qui laveront la terre
de son avidité, des puissances funèbres.

Poètes inconnus, vous choisirez la mer.


Vous serez des îlots de richesse infinie
car les vagues noueront tout un monde à l’envers
en déferlant sur les rives d’acrimonie.

Poètes inconnus, vous choisirez la mer.


Vos messages de lys balaieront les tempêtes
qui diffusaient leur surdité d’aveugle enfer.
Du vent de liberté jaillit l’amour en fête !

53
MARINE

Le vent siffle.
Claque la voile !
Le vent souffle.
Claque la voile !

Le vent pavoise.
Gonfle la voile !
Le bateau flanche
et sur les flots naissants glisse.

L’aimable silhouette blanche


plonge vers le câble de l’horizon
sous la blondeur du ciel,
oubliant les plis frémissants

de la plaine atlantique.
Au loin, une plume bleutée
dessine une marine
sur la voûte océane.

54
SUPPLEMENT 1996

55
LA CHUTE DE L’ARBRE

On abat les charmes les châtaigniers les chênes Ecoutez la peur la détresse de la forêt pudique
On abat les bouleaux les marronniers les frênes qu’on assassine qui hurle à la mort
On abat les ormeaux les acacias les hêtres qui bute son âme magique
On abat les sapins les peupliers les aulnes. sur les engins des croque-mort

à grands coups d’éclats de voix Au nom d’une planète d’or


à grands coups de portefeuilles au nom d’une terre promise
à grands coups de bourreaux-guillotines il n’y aura plus rien dehors
à grands coups de bruits pour rien mais que la terre incise

Pour les fabriques standards bénéfiques Le crime sylvestre condamne l’homme à la truelle
de plateaux à fruits de sciures pour construire des massifs de béton surarmé
de meubles, sans menton, ni front des paysages aux visages décharnés
d’agglomérats en portes d’immeubles cimentés de clairières-verrières, cercueils des bourreaux

pour les fabriques de papier-torchon des bois aux arbres de fer aux arbres d’acier
de papier-journal où s’étalent des futaies rectilignes aux troncs de rectangle
chiens crevés, sinistres nouvelles des taillis zingués aux tôles aveuglantes
petites annonces insignes publicités futiles ... des baliveaux en sordides tours marchandes.

Écoutez la stridence hargneuse des scies mécaniques On dénude sans pudeur la nature
mordantes, cisaillantes, hurlantes, rouspétantes de sa cape de vie verte et d’ampleur élancée
écoutez les chahuts impassibles des bulldozers On habille sans couleur la nature
défoulant leur puissance de bêtise acharnée des treillis du désert, des feuilles de la déchéance

En veine d’autoroutes déplatanisées


Ils destinent un sort final tragique et de grandes surfaces déshumanisées
à la forêt ogivale du délice estival on saigne les artères
morte pour le carnaval des robots et des hommes on se désaltère de sang
évanouis de nature écoeurés de verdure de vastes plaies sombres grises enveniment
la planète écorchée, la planète asséchée

L’aubier n’y est plus le coeur n’y est plus


Un chêne qui tombe c’est la tombe qui enchaîne
Les cimes qu’on décime c’est l’Astre qui s’abîme ...
Mais si les repousses crient vengeance
sur le béton qui fond ?

56
57
BRETAGNE

Océan diabolique,
Tu joues à qui perd gagne
Contre cette Bretagne
Ton épouse mystique.

Quand la marée est haute,


Quand la marée est basse,
Et toujours tu harasses
et effrites la Côte.

Ou bien tu noies la roche


Sous les flots de ton flux,
ou bien sous le reflux,
Tu rabotes accroches.

Tes vagues de velours


lèchent traîtreusement,
Cynisme d’un amant
des granitiques jours !

Tes écumes brutales


ont des gestes de pieuvre.
O bavantes manoeuvres !
Pupilles infernales !

Découpe donc ciselle,


creuse de trous sauvages.
Va ! Assouvis ta rage
sur la rive rebelle !

Jette tes coquillages,


Algues et goémons,
Carcasses de poissons,
bateaux sur le rivage !

Sème tous tes récifs ! ...


Sein, Ouessant l’Ile-Belle
Sont des fleurs immortelles
sur ton corps incisif.

La Terre prend ton sable


et colmate les brèches,
Sa force est toujours fraîche
et sa vie imprenable !

Regarde ta victoire !
Quiberon puis Bréhat
sont devenus les bras
du continent le soir.

La Bretagne grandit
tout en cassant ses dents
et tes excès violents
font qu’elle rajeunit.
58
PARIS DÉSERT

Un solitaire en déprime m’a dit qu’une nuit, il était en quête de figures


humaines et de chaleur humaine. Il avait tenté une sortie dans Paris. Mais il
se heurta tout de suite au vide humide, obscur et puant de son quartier. Paris
désert, Paris mort, Paris Silence. Panne électrique ? Grève électrique ?
Attente pesante d’une fin atomique ?
Lumières axiales éteintes. Vitrines aveugles. Portes prison - Avenues de
cimetières. La lune et les étoiles intimidées se noyaient dans un charivari de
nuages bleu-marine. La ville sépulcrale n’était troublée par aucun flâneur,
aucun fêtard, aucune voiture.
Seul, de temps en temps, un vent insolent tentait de lui donner quelque vie.
Par hasard un taxi fonçait dans la nuit. Le promeneur de l’ennui le héla.
Sans succès. Un chiffonnier fouillait une poubelle à tâtons, un clochard assis
écorchait un mégot. L’homme sans but leur demanda l’heure, sans obtenir
de réponse. Le prenait-on pour un fou ?
La déprime voûtée opprimait cet être perdu en plein monde. Il comptait ses
pas, retenait son souffle, tâtait les murs.
Les arbres encagés des boulevards se sauvaient.
Les immeubles chauves des rues profondes défilaient, immobiles. Et
toujours cette multitude de silence épais.
Et toujours ces relents de la journée nauséabonde ...
Paris grouille, Paris fourmille, Paris circule, Paris hurle, Paris s’amuse ....
paraît-il.
Mais Paris dort, Paris meurt ... Dans la tête d’un solitaire, malade de la peste
moderne.

59
QUOI DE NEUF, SOLEIL ?

Allons, Soleil, debout !


C’est l’heure du lever.
Quoi de neuf, Soleil ?
A l’Est beaucoup de nouveau.

Allons, Soleil, à table !


C’est midi, c’est l’heure de manger.
Quoi de neuf, Soleil ?
Je cherche midi à quatorze heures.

Allons, Soleil, au lit !


C’est l’heure du coucher.
Quoi de neuf, Soleil ?
A l’Ouest, rien de nouveau.

Allons, Soleil, des rayons de baisers !


Ce sera l’heure de rêver.
Oh ! J’ai perdu le Nord.

60
LES VERBES

- Quels sont les différents verbes,


mes grammairiens en herbe ?

- Les verbes actifs.


Les verbes passifs.

- Et encore ?

- Les verbes intransitifs


et les verbes transitifs

- Et encore ?

- Les verbes impersonnels

- Réponse très personnelle !


Mais encore ?

- Je n’ai plus mon livre ouvert !

- C’est trop fort !


Punis, privés de dessert !

- Je m’endors !
M’sieur ! Je vois tout de travers !

- C’est trop fort !


Vous me copierez tout en vers !

- C’est trop fort !


M’sieur ! Le verbe se fait cher !

61
UN EMPLOI

- J’ai trouvé un emploi


de chercheur au C.N.R.S.

- J’ai cherché un emploi


à trouver chez les C.R.S.

L’ESPOIR

- Si seulement je pouvais
reprendre espoir

- Impossible

- Pourquoi ?

- Il n’y a plus d’espoir.

- Pourquoi ?

- On a déjà tout pris.

62
VOUS, LES SAPEURS-POMPIERS ...

Vous, les sapeurs-pompiers, qui bravez le danger,


acceptez qu’un poète aujourd’hui vous redise
combien les gens vous aiment,
combien les gens admirent
votre discret courage et votre abnégation,
votre simplicité, votre fraternité.
Vous êtes habités d’esprit de sacrifice ;
Vous êtes animés d’amour pour les vivants.

Votre intime ennemi qu’on baptise incendie :


C’est le feu ! C’est le feu ! C’est le feu ! C’est le feu !
C’est le feu hypocrite allumé par un fou
dans les bois de la nuit, dans les forêts profondes.
C’est le feu de l’avion et le malheur qui tombe.
C’est le feu de l’auto, carcasse de la mort.
C’est le feu de l’usine aux fumées qui explosent.
C’est le feu des maisons où tant de vies s’écroulent.

C’est le feu de la guerre inhumaine et barbare.


C’est le feu du séisme, et le feu du volcan.
C’est le feu d’asphyxie, c’est le feu qui vous brûle.
Par la grâce de l’eau, toujours vous vous battez
avec acharnement jusqu’à l’épuisement ...
Travail jamais fini ...

Voici l’eau qui submerge, insidieuse ou furieuse :


elle inonde la plaine,
elle envahit la ville.
Mais, vous, toujours présents, rapides vous courez
chercher l’équipement, plus vite que le temps,
sauver les isolés,
retirer les noyés,
au mépris des courants, au mépris des espaces ...

Soldats de la Forêt, puis Soldats de la Route !


Soldats du Feu, Soldats de l’Eau, Soldats de Paix !

Si la sirène hurle,
c’est le défilé vif
de tous les camions rouges
et des casques qui brillent,
le gyrophare inquiet,
l’avertisseur qui piaffe,
le bruissement des bottes,
les ordres du sang-froid,
l’élan vital qui fuse
vers le front des périls.
Souvenons-nous de Nîmes
et des feux du Midi,
Tchernobyl criminel
irradiés ou grillés.

Souvenons-nous des Morts, Disparus ou Blessés,


des missions accomplies dans le silence qui craque.
Vous êtes le Secours, vous êtes l’Espérance ;
vous délivrez les gens d’une partie d’enfer ;
63
vous combattez la mort, vous ranimez la vie.
Héros de l’Amitié, nous vous disons MERCI.

Le glaneur de regards
surgit de la nuit apparente
et imprime son ardeur fragile
dans les clartés enfouies
Ses pas multiples méconnaissent
les puissances erronées
Des éruptions fortuites
dessinent des signes plombés
en arabesques perspectives
dans les poussières opprimées
Des filets de soleil suspect
s’égouttent des grappes brisées
Un donjon de voix s’étire
vers les diadèmes nuageux
L’obscurité humaine scintille
au milieu du cloître émerveillé
par la fulgurance inouïe
Un fourmillement crépusculaire vogue
avec plénitude sur les corps soumis
aux amours clandestines.

64
La pendule d’enfer
écrit le temps
sur le dos égratigné
de la montagne
par des souches
de mules
qui s’ébrouent
au laser

L’oeil blanc
du frigo
ronchonne
car la chaise
à cinq pattes
n’est pas contente
de son jockey
La table cynique
danse
sur ses six roues
de nickel
l’épluchure de pomme
rigole
dans son assiette
qui se plaque
sur le parquet du toit.

65
T’introduire dans mon histoire
j’aurais choisi un autre mot
la plus étrange métamorphose
l’amour est vol
l’amour captif
l’amour jaloux
l’amour de mort
on va finir par croire
que l’homme est amour du ciel
que la femme est amour de poème
Nos transes exubèrent nos coeurs
exsudent nos verbosités.

Les gammes crucifiées


sur les érables stellaires
émaillent l’automne illisible
Le coeur du violon
ensorcelle l’âme montagneuse
Le sang bleu des solitudes
simplifie l’argile abominable
La herse de la nuit
suggère l’herbe mortelle.

66
DES SILHOUETTES

Des silhouettes en plain-chant


déchirent l’amitié enrubannée
Des dentelles d’ombres vrillent
en aubes de sève et de silence
L’arche des aurores sculptées
ruisselle tel un jardin d’étoiles
Des bourgeons de paroles
s’épanouissent vivement
dans un ballet incandescent
Le miel ensoleillé vibre et jaillit
comme des sources de miroir.

DES PARCELLES D’ESPRIT

Voici des parcelles d’esprit


éparpillées dans un monde hivernal.
Leurs substances noircies
par l’ancienneté des houilles jugulaires
pénètrent les pourpres du brasier.
L’angoisse effervescente,
perpétue les délices encerclés d’alternance.
Le fleuve aux grèves folles s’enflamme
au signal des goélands fraternels
et des goupils perpétuels.
La terre friande en frigories
accumule les permanences squelettiques
et entonne un hymne sacrificiel
à l’impression fascinée.

67
LE MODÈLE

Le modèle magnifique
mourut de l’aorte
subitement

Le peintre dithyrambique
la nature morte
fit bellement

La jeune fille onirique


revit de la sorte
réellement

KUMAMOTO

Au pays de la moto,
vers Kumamoto
Un japonais eut
un accident de moto

Plein le cul ma moto


dit le Japonais
de Kumamoto
au pays de la moto.

68
LE BON TEMPS

Planète tutélaire !
Abats nos convoitises

pour une vie altière,


tombeau de la bêtise,

où peine aura salaire


sans la vie qui se brise,

où tout être de chair


aura joie sans méprise,

où tout homme est un frère,


un ami sans traîtrise.

Une maison sur terre,


c’est le bonheur qu’on vise.

Allons vers le pauvre hère


et sa terre promise.

La guerre à la misère :
indomptable devise !

L’exclusion carnassière
ne sera plus marquise.

Toute vie prisonnière


ne sera plus hormise.

Les gros ventres-soupières


tairont leur vantardise.

La crise financière
aura fortune incise.

Notre âme boulangère


pétrira de sa guise.

Respirons à plein l’air


du bon temps des cerises.

Que la Paix sur la Terre


soit par l’Amour permise.

69
MA MÈRE, ELLE ...

Ma mère
elle naquit
dans les flonflons
la nuit
d’un quatorze juillet.

Ma mère
elle jaillit
à pleins poumons
au bruit
de la joie vanillée.

Ma mère
elle vécut
dans les saisons
de suie
d’une vie étrillée.

Ma mère
elle mourut
dans les ronrons
qui fuient, ...
un jour de juin mouillé.

70
LES LAURIERS

Le poète primé
reçut des lauriers

et sans plus s’exprimer


vécut sur ses lauriers.

Mais chacun de ses mets


parfumé de laurier

finit par supprimer


une vie de lauriers.

Fatale erreur
Laurier à fleur.

Laurier à sauce
conserve l’os.

LE TRIBUN

Le tribun
épousa
une tribune.
Un tribunal
naquit
de cette union magistrale

Le tribunal
fit payer
de lourds tributs
à beaucoup de tribus
déjà sans attributs.

71
JE HAIS

Je hais
la sinistre hécatombe
de la jeunesse altière
sur les routes

Je hais
toutes ces fraîches tombes
dans les doux cimetières
en déroute

Je hais
l’indifférence en trombe
qui proclame si fière
tout son doute

72
PETITE POETESSE

Petite poétesse,
tu pleures, tu pleures, pleures
Tu cries ta pauvreté.

Petite Poétesse,
tu fugues, tu fugues, fugues
tu fuis ta pauvreté.

Petite Poétesse,
tu chantes, tu chantes, chantes.
Tu hais ta pauvreté.

Petite Poétesse,
tu viens voir les poètes
leur spontanéité.

Petite Poétesse,
tu aimes, tu aimes, aimes
leur vie de liberté.

Petite Poétesse,
tu montres, tu montres, montres
ton talent de bonté.

Petite Poétesse,
tu oublies, tu oublies, oublies
tes cris de pauvreté.

Petite Poétesse,
tu songes, tu songes, songes
en Dame de Beauté.

73
GOUVERNER

A force de gouverner
avec une main de fer
il se fit virer
par la populace.

Il en eut
une vraie gueule de bois
et une énergie
de limace

MOI, JE

- Moi je fais des ménages


je ne chôme pas
pour gagner mon emploi.

- Moi je suis au chômage


je ne me ménage pas
pour trouver un emploi.

74
FEMME

Femme belle
Femme jolie
Femme jeune
Femme aimée
Femme ensemencée
Femme qui portes l’enfant
Femme qui donnes naissance
Femme qui donnes le jour au monde
Femme veilleuse sur toute la vie
Femme gardienne du temple
Femme toute puissante
Femme séductrice
Femme captatrice
Femme dévorée d’amour
Femme dévorante d’amour
Femme sexuelle
Femme maternelle
Femme intellectuelle
Femme, tu es plusieurs femmes.
Le monde reste à tes pieds
Car tu domines ses cibles.

75
FÊTE DES MÈRES

O devine ma pensée ma mère


O chemine ta pensée ma mère

Je vais chanter un air


frais tout frais de ma chair
et t’offrir un cadeau
réjouissant comme un poisson dans l’eau
De tout toi je suis né
tout moi j’irai donner

Ce n’est pas un bateau


Ce n’est pas un chapeau
Ce n’est pas un avion
ni même un papillon
Ce n’est pas non plus un joli sac
avec l’argent qui craque
Ce n’est pas une robe
il y en a partout sur le globe
Encore moins un livre
C’est moi qui suis ton livre

Devine ... quoi ?


Ah ! Tu vois ?

Ce n’est pas un réveil


puisque mon bonheur sonne à ton coeur
la nuit dans ton sommeil
Oh ! ce n’est pas la Terre
ni la Mer
ni la place et la dune
ni la montagne brune

Devine ... Quoi ?


Ah ? Tu vois ?

Ce serait le Soleil
vrai soleil
comme une fleur il brille
et roule roule au-dessus de l’eau
comme une grosse bille

Dans mes mains dans mon dos


je tiens une fleur qui vole
tournesol
un chaud tourne-soleil
vrai soleil
cueilli en plein soleil
vrai soleil
qui réjouira ma vie
et ma vie
76
tournesol tournesol
qui chante ré fa sol.

77
BANQUISE

Montée progressive des hommes


qui percent héroïquement
les insolents reliefs de glace
et de mortelle neige.

Magnificence de la banquise
Paysages fastueux
Montagnes somptueuses
Ciselures généreuses.

Naissance des cimes


aux ors bleus
Émergence subite
des vastes glaciers
encerclés de géants pointus,
d’escarpements abrupts,
de falaises brutales.

Ces géants qui jettent dans les cieux


leurs aiguilles belliqueuses
aux reflets d’orfèvrerie.

Falaises fendues béantes


donnant le jour
à une myriade de pics
aux dentelures mauves.

Suites brumeuses
des multiples monts
aux découpures grandiloquentes.

Une mamelle de neige unique


massive dominatrice
semble d’emblée materner
l’immensité statique et froide
de la montagne blafarde qui peu à peu s’humanise
grâce à quelques voix qui bougent.

Le silence du coup d’oeil efface


le vacarme du coup de froid.

78
MACHINERIES

Macho et sa Machita descendent


de leur Mitsubishi,
s’observent, s’invectivent
sur le ring de la place du village aux gens chiches.
Machita et Macho
mâchent du chewing-gum
et lâchent des swings-magnum.
Ils se fâchent.

Un crochet à droite,
un crochet à gauche,
un direct à droite,
un revers, un smash ...
Un beau match de machisme !
Des mâchoires de papier mâché ...
Matcho et Matchita
mâchent, remâchent et rabâchent
les mots grossiers du crash.

Puis ils remontent sur leur machine


pour repartir à mach I.
Ils se font et se refont des bisous
tandis que pétarade Mitsu.

Macho et Macha,
sous le charme,
enfourchent les chevaux
de leur machine
et cravachent ...

79
BIOGRAPHIE

Olivier DEMAZET

- Instituteur honoraire né en 1930 à TOURS. Enseignant à PARIS et à


MONTAUBAN jusqu’en 1989 dans l’Enfance Handicapée.

- Nombreuses distinctions dont :


 Marguerite d’Or. Orientation Littéraire (Paris 1964)
 Lauréat de l’Académie du Disque de Poésie (Paris 1983 et 1984)
 Grande Médaille d’Or de la Renaissance des Arts et Lettres
(1996).

- Auteur de 9 recueils.

- Membre de la Société des Gens de Lettres de France (1986).

- Président-Fondateur de la Revue Association « Montauriol-Poésie »


(1990) dite : « La Revue des Partisans d’Art ».

- Trésorier de la Compagnie des Ecrivains du Tarn-et-Garonne 1993.

- Membre-associé de l’Académie de Montauban (1995).

- Membre de plusieurs Associations et Sociétés de Poésie.

En dehors d’émissions radiophoniques, la poésie d’Olivier Demazet a été


présentéedans plusieurs soirées er récitals, dont :

 Centre culturel Toulouse 1983.


 Récital Théâtre de l’Embellie (Montauban 1995).
 Récital Buffet-Théâtre (gare 82 - Borredon 1995).
 Soirées poétiques d’Avril de l’Auditorium de Montauban avec le groupe
de Montauriol chaque année.
 Festival de Poésie de Pujols 1995 (47).
 Un poète à l’honneur : Restaurant-Taverne Paris VI - mai 1996.

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TABLE DES POÈMES

Toi le poète 03 Beauté 36


Avant propos 04 La Saint-Valentin 38
La mort du petit cheval 05 Affronte-moi 38
La crevette 06 Vagabond 38
Les Toiles d’araignée 06 Chute 38
Les sangsues 06 Tes yeux 39
Le lézard vert 07 Déception 40
Deux toutous 07 Bornes contraires 41
Le gros crocodile 07 Absence 42
Le rhinocéros 08 Nuit 42
La mouette et la vague 09 Les années 42
Le taureau 09 Ma mémoire 43
L’embaumeur 10 Les archis 44
Charlemagne 11 Le dernier 45
Les otages 11 La vigueur 46
Au marri 11 La vulgarité 46
1515 12 Le crépuscule 46
Henri IV 12 Poètes inconnus 47
Aux Gobelins 12 Marine 48
Louis XIV 12 La chute de l’arbre 50
A mon père 13 Bretagne 52
14 juillet 14 Paris désert 53
Le petit résistant 14 Quoi de neuf, soleil ? 54
Le prisonnier 14 Les verbes 55
Le vieux loup de mer 15 Un emploi 56
Le peintre 15 L’espoir 56
Le sondeur-soudeur 16 Vous, les sapeurs-pompiers 57
Monsieur MI 16 Le glaneur 58
La peine 17 La pendule 59
Pique-nique 18 L’oeil blanc 59
Le poète enchienné 19 T’introduire 60
Noël ! ... 20 Les gammes crucifiées 60
Printemps Pascal 21 Des silhouettes 61
Ciel d’été 22 Des parcelles d’esprit 61
L’automne géant 22 Le modèle 62
L’hiver 22 Kumamoto 62
Le givre 23 Le bon temps 63
Vent d’autan 24 Ma mère, elle ... 64
Touraine 25 Les lauriers 65
Brume sur le lac 26 Le tribun 65
Ombres 26 Je hais 66
J’étais à la place de la lune 27 Petite poétesse 67
Le château d’eau 28 Gouverner 68
Derrière les vitres 29 Moi, je 68
Mon ami Janou 30 Femme 69
L’enfant des neiges 31 Fêtes des mères 70
A cheval 32 Banquise 71
L’oeil droit 32 Machinereies 72
Mes deux amis 32 Biographie 73
Sous l’oreiller 32
Le fou 34
La neige 35
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MONTAURIOL POÉSIE

Parution de la revue en avril, juin, septembre et décembre.


Envoi des textes à insérer un mois avant.
Permanences toujours assurée chaque lundi au siège de l’Association de 15 h à 19 h
 Les textes doivent être présentés clairement dactylographiés. Avant d’être inséré, tout
texte est examiné par le comité de lecture. Les auteurs sont seuls responsables de leurs
écrits.
 Joindre une enveloppe timbrée et libellée pour toute correspondance.
 Vente au numéro : 25 francs.
 COTISATIONS ANNUELLES + Abonnement aux quatre numéros trimestriels :
Adhésion simple : 80 F
Abonnement de soutien : 100 F
Bienfaiteurs : Libre.

CCP TOULOUSE 390.68 G MONTAURIOL POÉSIE

Association loi 1901 déclarée à la préfecture de Tarn-et-Garonne le 23 avril 1990


N° 2-042.05. Parution au J.O. du 16.05.90 N 2.C.
Régie de dépôt légal : Préfecture de Tarn-et-Garonne 29.05.90 N 214

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