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LES APPROCHES ET LES DIMENSIONS

DE LA GOUVERNANCE
DES ENTREPRISES SOCIALEMENT RESPONSABLES
Résumé
La communication restitue une enquête auprès d’administrateurs et de dirigeants d’entreprise
montrant que ces derniers paraissent dans l’ensemble plus concernés par les problématiques
stratégiques que par les questions organisationnelles, par les prises de décision que par les
mesures d’incitation et de contrôle. Ils ne semblent pas avoir une perception globale du
processus transversal de changement entraîné par la mutation d’une firme « moniste » en
« entreprise pluraliste ».

Summary
The paper summarises an enquiry among administrators and general managers, showing that
these actors seem globally more concerned with strategic issues than organizational
questions, with decisions than incentives and control. They do not seem to have à global
perception of the tranverse process of reorganizing driven by the mutation of a “monist” to a
“pluralist” firm.

Mots-clés
Dirigeance, entreprises socialement responsables, gouvernance partenariale, parties prenantes.
LES APPROCHES ET LES DIMENSIONS
DE LA GOUVERNANCE
DES ENTREPRISES SOCIALEMENT RESPONSABLES

Les actionnaires et les dirigeants doivent s’efforcer d’intégrer une création de valeur
financière à court terme pour les actionnaires (ou shareholders) et une création de valeur
globale à long terme les parties prenantes (ou stakeholders) de leurs entreprises. La levée de
cette contradiction leur impose de maîtriser des théories et des pratiques relevant de multiples
champs : économique et juridique, mais également sociologique et éthique. L’alignement de
leurs décisions, de leurs comportements et de leurs discours sur de nouveaux référentiels
implique une reconfiguration des modes de gouvernance de l’entreprise. La notion de
gouvernement de l’entreprise (corporate governance) recouvre « l’ensemble des institutions,
des règles et des pratiques qui légitiment le pouvoir des dirigeants » (Charreaux, 2006). Elle a
été soulevée par Bearle et Means dès 1932, développée par la « théorie de l’agence » au cours
des années 1970 (Jensen, Meckling, 1976), mais ne s’est diffusée qu’à partir des années 1980.
Elle suppose que les systèmes d’incitation et de contrôle de ces derniers dépendent de la
structure de financement de la firme, et notamment de la composition de son actionnariat (La
Porta et al., 1996). Selon l’approche étendue de la gouvernance, soutenue notamment par
Charreaux (2006), « le problème de l’efficacité des systèmes de gouvernance ne peut être
posé que dans le cadre élargi à l’ensemble des stakeholders »… « il doit être étudié dans une
perspective systémique, tenant compte des processus concrets de création de valeur par la
firme ». Par une « gouvernance responsable », les administrateurs et les dirigeants de
l'entreprise doivent donc chercher à intégrer aux objectifs économiques, des intentions
sociales et environnementales (Perez, 2005).
Cette prescription répond notamment aux critiques formulées par Rajan et Zingalès (2001)
à l’encontre de la vision purement actionnariale de la gouvernance, selon eux inadaptée aux
formes modernes de l’entreprise. Elle répond également au souhait des dirigeants
d’entreprises de pouvoir disposer d’analyses concrètes des nouvelles situations de
gouvernance et de dirigeance (Bournois et al., 2007). Les réflexions théoriques et les
observations pratiques exposées dans cette communication s’inscrivent dans cette vision à la
fois étendue et positive de la corporate governance, et contribuent à l’analyse des
représentations du processus organisationnel de la gouvernance des entreprises socialement
responsables. La problématique soulevée s’efforce ainsi de dresser une typologie des
approches et des dimensions de la gouvernance des entreprises socialement responsables.

1. LES APPROCHES THEORIQUES DE LA GOUVERNANCE PARTENARIALE DE


L’ENTREPRISE
La littérature scientifique consacrée aux gouvernances actionnariale et partenariale
recouvre un vaste champ de recherches adoptant des approches respectivement contractuelle,
cognitive et organisationnelle.
1.1. l’approche contractuelle de la gouvernance de l’entreprise
La notion de Responsabilité Sociale et Environnementale (désormais notée RSE) de
l’entreprise, initiée par Bowen (1953), repose, selon Donaldson et Preston (1995), sur le
concept de « contrat social » entre l’entreprise et ses parties prenantes directes (actionnaires,
salariés, fournisseurs, clients...) et indirectes (administrations, collectivités locales, groupes
d'intérêt, vecteurs d'opinion, société civile…). Elle est définie par la Commission européenne,
comme « l’intégration volontaire, par les entreprises, de préoccupations sociales et
environnementales à leurs activités commerciales et à leurs relations avec leurs parties
prenantes » (Livre vert, 2001). Cette nouvelle « ardente obligation » a été traduite par la
notion de « Triple Bottom Line » (Elkington, 1998), qui repose sur trois piliers
respectivement  économique (la recherche de la rentabilité et de la pérennité de l’entreprise),
social et sociétal (la quête d’équité sociale et le respect des droits de l’homme), et
environnemental (la volonté de protéger l’environnement et de préserver les ressources
naturelles). Carroll (1991) propose ainsi une pyramide à quatre étages de la RSE de
l’entreprise: les responsabilités économiques, qui obligent l’entreprise à produire et à réaliser
des profits ; les responsabilités juridiques, qui imposent à l’entreprise de se conformer à la
législation et aux normes en vigueur; les responsabilités philanthropiques, qui témoignent de
la volonté de l’entreprise d’améliorer le bien-être de la société; les responsabilités éthiques,
qui impliquent que l’entreprise respecte les attentes des parties prenantes et les codes de
conduite établis par la société. Ces deniers sont issus de multiples instances: des organisations
internationales (notamment l’ONU1, l’OCDE, l’Organisation Internationale du Travail, les
autorités européennes…) ; des pouvoirs publics nationaux (notamment la loi française sur les
Nouvelles Régulations Economiques de mai 2001, qui prévoit, dans l’article 116, l’obligation
pour les sociétés cotées de faire état dans leur rapport annuel de la « manière dont la société
prend en compte les conséquences sociales et environnementales de son activité ») ; des
organismes certificateurs universels ou nationaux (concepteurs des normes ISO 9000, 14 000
et 26000, OHSAS 18001, AA 1000, SA 8000…).

L’alignement sur ces référentiels implique une reconsidération de la théorie de la


gouvernance, car il remet partiellement en cause la finalité de l’entreprise, définie par la
théorie classique (Friedman, 1970), qui vise la réduction des coûts d’agence, la sécurisation
du capital de l’investisseur et la recherche de profit à court terme. Cet alignement étend les
responsabilités de l’entreprise à la fois dans le temps (à long terme) et dans l’espace socio-
économique (les parties prenantes). Blair (1995) et Yoshimori (1995) opposent le concept
« d’entreprise pluraliste » (ou de « firme plurielle ») ouverte sur ses partenaires, à celui
« d ‘entreprise moniste » centrée sur ses actionnaires. Ils distinguent deux référentiels,
respectivement financier (l’entreprise est définie comme un « nœud de contrats ») et
« durable » (l’entreprise est représentée comme une « communauté de pratiques »). La « firme
plurielle » doit, selon Glandwin et Kennely (1998), faire l’objet d’un « management
durable », basé sur cinq règles: l’inclusivité (les piliers du « Triple Bottom Line » doivent
être conjointement «soutenus»), la connectivité (ils sont interdépendants), l’équité (ils exigent
un juste traitement des parties prenantes et des générations (actuelle et future), la précaution
(les stratégies doivent intégrer, à un coût économique soutenable, la prévention des risques
liés aux actions irréversibles sur l’environnement et la société), la prudence (l’entreprise doit
adopter une approche à la fois globale et progressive des actions en faveur du développement
durable).
Cette représentation pluraliste de la firme implique une redéfinition de la théorie de la
création de valeur. Castanias et Helfat (1991) montrent que le dirigeant a intérêt à accroître la
valeur créée par son entreprise afin de consolider sa propre « valeur managériale » sur le
marché du travail. Milgrom et Roberts (1992) proposent de substituer la notion de valeur
partenariale à celle de valeur actionnariale, de partager cette valeur entre toutes les parties
prenantes en fonction des contributions de chacun au processus de création de valeur. Ils
observent que cette répartition influe directement sur le processus en raison des coûts de
transaction engendrés par les conflits inévitables entre partenaires. Chacun d’eux supporte en
1
Auteur en 1997 de la Global Reporting Initiative (GRI), qui vise à développer les directives en faveur de la
communication sur les performances économiques, environnementales et sociales des entreprises.
effet un risque résiduel associé à son investissement spécifique dans l’entreprise. Donaldson
et Preston (1995) observent que les dirigeants « enracinés » dans l’entreprise exercent un rôle
central dans la répartition équitable de la valeur créée. Brandenberger et Stuart (1996)
proposent – suivant le principe de la rente ricardienne – de calculer et de partager la valeur
partenariale par différence entre le coût explicite (ou prix d’achat effectif) et le coût implicite
(ou coût d’opportunité mesuré par le prix minimal exigé par le partenaire) de chacune des
ressources mobilisées dans la chaîne de valeur de l’entreprise. De telles approches, selon
Charreaux et Desbrières (1998), supposent que les relations entre l’entreprise et les parties
prenantes ne soient pas simplement contractuelles, mais également  co-construites dans la
durée et dans l’espace. Ils recommandent d’évaluer le système de gouvernance en fonction de
sa capacité à créer de la valeur partenariale et à réduire les pertes de valeur dues aux conflits
entre les parties prenantes.

1.2. l’approche cognitive de la gouvernance d’entreprise


Dépassant l’approche contractuelle, Charreaux (2000) puis Charreaux et Wirtz (2006)
privilégient les approches cognitive et positive de la gouvernance, qui visent notamment à
identifier et à développer les compétences et les connaissances exigées des administrateurs et
des dirigeants pour stimuler et orienter les processus créatif et pro-actifs de l’entreprise.
Penrose avait montré, dès 1959, que l’origine de la croissance durable se situait dans la
capacité d’apprendre et dans la spécificité des connaissances accumulées. S’inspirant de ces
travaux, Argyris et Schön (1978), fondateurs de la théorie de l’apprentissage organisationnel,
représentent la firme comme une « organisation cognitive », et Fransman (1998) redéfinit la
notion de « connaissances » comme recouvrant un « ensemble ouvert et subjectif
d’interprétations contingentes aux modèles cognitifs des acteurs d’une organisation ». Aoki
(1984) considère la firme comme étant une « combinaison durable de ressources spécifiques »
et la gouvernance comme un « système de contrôle  des schémas d’information et de décision
partagés entre les différents membres de l’entreprise». Carpenter et Westphal (2001) puis
Hillman et Dalziel (2003) s’intéressent plus précisément au « capital humain » représenté par
le conseil d’administration et ses comités associés et s’interrogent sur l’efficience de leur
organisation. Ils analysent notamment l’allocation des ressources spécifiques (sous forme de
conseils, d’expertise, d’informations sensibles, de relations utiles…) apportées par les
administrateurs et les dirigeants des grandes entreprises. La problématique de la gouvernance
d’entreprise s’inscrit donc dans le courant de pensée institutionnaliste (Gomez, 2003).
L’approche de la gouvernance implique donc un ancrage dans le paradigme de
l’individualisme méthodologique complexe ou institutionnel (Boudon, 1982,1990 ; Dupuy,
1999). Selon ce dernier, le fonctionnement de la gouvernance est un processus social
agrégeant des comportements et des représentations individuelles, qui est marqué par des
« effets de composition », par lesquels les interactions entre les acteurs (les administrateurs et
les dirigeants) peuvent entraîner des « effets pervers » (Boudon, 1990) contraires aux
intentions de chacun. Ils sont soumis à une forme de « rationalité cognitive ». Ils peuvent
justifier leurs intentions et leurs comportements par des croyances (par exemple, la supériorité
du modèle actionnarial ou du modèle partenarial), des logiques personnelles (ils « créent » un
nouveau modèle de gouvernance), de « bonnes raisons » (comme l’adage «  too big to fail »),
qui reflètent des conventions (ou « structures ») sociales, elles-mêmes « co-construites » par
les interactions entre les individus.

1.3. l’approche organisationnelle de la gouvernance de l’entreprise


 L’approche cognitive de la gouvernance comporte des implications organisationnelles.
Hart et Moore (1990) estiment que c’est le « système de gouvernance » qui doit assurer
« l’alignement de la capacité à combiner des ressources sur la création de valeur durable ».
Cet alignement est menacé par les « conflits cognitifs », qui peuvent intervenir entre les
administrateurs et/ou les dirigeants lors de la sélection des opportunités d’investissements,
notamment pour « des raisons d’équité et d’éthique, lorsque, par exemple, la réalisation de
profits peut entraîner des risques écologiques ou génétiques » (March, 1991). Jensen et
Meckling (1976) conseillent d’organiser le système de gouvernance en prenant en compte
l’inertie de l’organisation, qui freine l’adaptation de la firme à son environnement. Roberts et
al. (2006) étudient les formes de résistance au changement organisationnel engendrées par les
stratégies socialement responsables.
Martinet et al. (2001, 2008) observent que ce sont les actionnaires qui sont porteurs d’une
vision stratégique et initiateurs du changement organisationnel. Coleman (1988) analyse les
effets de réseau (les synergies dégagées entre ses membres) dans différents groupes sociaux
professionnels (et notamment, les conseils d’administration). Goldstein et al. (1994)
soulignent que, dans l’approche cognitive, le conseil d’administration ou le comité stratégique
doit être composé des administrateurs ou des dirigeants les plus aptes à favoriser
l’apprentissage organisationnel. Wagner et al. (1998) révèlent que ces connaissances peuvent
être d’autant mieux exploitées que les administrateurs sont indépendants et que leur nombre
est limité. Rajan et Zingales (2001) analysent le rôle du « capital organisationnel » dans le
système de gouvernance, qui doit favoriser la coordination des ressources de la firme, en
dégageant des effets de synergie. Godard (2006) étudie l’impact de la composition du conseil
d’administration ou du comité stratégique sur le processus d’innovation de l’entreprise. Elle
constate que les entreprises les plus innovantes sont dotées de comités stratégiques (qui
comportent en moyenne 5,24 membres dans les grandes entreprises françaises, contre 11
administrateurs dans les conseils). Charreaux et Wirtz (2006 ) puis Del Vecchio (2002)
montrent que la diversité des expériences des administrateurs stimule l’apprentissage
organisationnel du conseil et favorise sa pro-activité. Eminet et Guedri (2009) s’interrogent
sur l’influence de la structure de contrôle du conseil d’administration sur la rémunération du
dirigeant de l’entreprise. Godard et Schatt (2005), puis Bournois et al. (2007) observent que
les comités exécutifs exercent un rôle déterminant dans la mise en œuvre et le pilotage des
projets socialement responsables.
La mesure de l’efficience du système de gouvernance partenariale repose sur deux types
différents de reporting, destinés à mesurer les performances des entreprises : le reporting
financier, à caractère obligatoire, principalement destiné aux actionnaires, soumis à des règles
comptables et boursières; le reporting sociétal (ou durable), à caractère obligatoire pour les
sociétés de plus de 500 salariés et volontaire pour les autres, destiné à toutes les parties
prenantes, encadré par des dispositions de natures et d’origines diverses: des normes
internationales comme le référentiel GRI (Global Reporting Initiative), publié en 1999, qui
proposent des principes de construction, une structure-type et des protocoles de calcul des
indicateurs2 de DD, et comme le Pacte Mondial (2006) ; des normes nationales, fixées par des
lois (comme la loi française NRE qui impose aux sociétés cotées la publication annuelle d’un
« rapport du développement durable » ) et des guides édictés par des agences publiques
(comme le guide SD 2100 AFNOR, les normes AA1000, SA 8000…); des tableaux de bord
proposés par des laboratoires de recherche, par des fédérations professionnelles (Académie
des sciences comptables, 2007 ; cahier technique de la DFCG, 2010…), par des agences de
notation sociales (Vigéo, Ethibel, KLD…) et des cabinets de conseil (Terra Nova…). Ces
différents indicateurs de la «performance globale» de l’entreprise mesurent sa capacité à gérer
ses responsabilités vis à vis de ses parties prenantes, à faire face à ses obligations sociales
(social obligations), à ses responsabilités sociales (social responsibility) et à la satisfaction
2
Les indicateurs sont classés en 6 familles (EC,EN, HR ,LA , PR, SO) et 3 niveaux (A : 40 indicateurs , B : 20,
C : 10 ).
des besoins de la société civile (social responsivness). Igalens (2004) indique comment
évaluer les rapports de développement durable, tandis que Savall et Zardet (2008) étendent la
réflexion à l’ensemble du processus de normalisation. La mise en place de ces systèmes de
gouvernance et d’information implique, selon Power (2005), trois types d’audit applicables
aux ESR: l‘audit des certifications (conformité aux normes), l’audit éthique (respect des
règlements), et l’audit des risques internes et externes (application du référentiel COSO3).
En conclusion, la revue de littérature montre que les recherches théoriques sur les
principes et les modèles de la gouvernance partenariale sont nombreuses et variées, mais que
ces recherches explorent plutôt la dimension partenariale (ou contractuelle) de la gouvernance
responsable, que ses dimensions cognitive et organisationnelle. La revue révèle également que
les travaux empiriques sur l’organisation et les fonctions précises des instances de la
gouvernance partenariale, restent encore limités. Ils émanent principalement de praticiens et
ne sont appliqués qu’à des séquences ou à des fonctions isolées du processus de création de
valeur partenariale. Ils ne couvrent pas l’ensemble du processus de pilotage de l’entreprise,
dont les différentes phases doivent être en synergie pour être pleinement efficientes.

2. les pratiques de la gouvernance partenariale

La corporate governance a donné lieu depuis les années 1970 à plus de 150 rapports
officiels édictant des principes, des règles, des normes, des bonnes pratiques… applicables par
les administrateurs et les dirigeants des sociétés faisant appel aux marchés financiers. La
publication en 1993 par l’American Law Institute, des « principes de gouvernement
d’entreprise » a accéléré le mouvement, notamment en France, où plusieurs rapports ont été
publiés : Vienot 1 et 2 (AFEP-MEDEV), Bouton, Clément, Marini, Naulot, de l’Institut
Français des Administrateurs, de l’Institut Montaigne… Ces codes déontologiques des
conseils d’administration  ont permis de mieux mesurer les dimensions pratiques des
approches théoriques de la gouvernance.

2.1. la dimension contractuelle de la gouvernance d’entreprise


Les recommandations formulées dans ces rapports reposent sur le principe « complain or
explain » («  se conformer ou expliquer »), fondateur du droit anglo-saxon (Pietrancosta,
Poulle, 2010), selon lequel il n’existe pas, en matière de gouvernement d’entreprise, de cadre
réglementaire unique capable de répondre à toutes les situations : «one size does not fit all
approach ». Ce principe repose sur « le pouvoir disciplinaire de la transparence » mis en
lumière par Foucault (1998). Il est l’expression des dernières avancées de la réflexion
juridique et économique en matière de gouvernance, car il se présente comme une forme de
compromis entre les tenants de la régulation et de la dérégulation.. Il combine des lois et
règlements (hard law) ainsi que des recommandations professionnelles (soft law). Il permet à
une entreprise de ne pas se conformer à certaines règles sous réserve de se justifier. Le cabinet
Riskmetrics a analysé en 2009 l’application des codes de gouvernance par 270 sociétés
européennes. Il révèle que les sociétés qui ne respectent pas certains standards pour des
raisons technologiques ou conjoncturelles, mais qui peuvent s’en expliquer, réalisent
généralement de meilleures performances économiques que les autres entreprises.
Ce mode hybride est fondé sur un contrat implicite conclu entre les gouvernants de
l’entreprise et ses diverses parties prenantes. Le respect de ce contrat fait l’objet d’une
3
le référentiel COSO (Committee of Sponsoring Organizations of the Treadway Commission) fixe le cadre du
management du risque par les entreprises, en application de la loi américaine Sarbanes-Oxley (2002) et de la loi
française de Sécurité Financière de 2003.
surveillance par les tiers de confiance de la société civile : juges, commissaires aux comptes,
régulateurs boursiers, agences de notation, analystes financiers, associations de défense des
intérêts des actionnaires minoritaires, des consommateurs, des collectivités locales… La
conformation à ce contrat implique la mise en oeuvre d’une forme adaptée de gouvernance
partenariale, où les différents membres du conseil d’administration et/ou du comité exécutif
exercent des missions spécifiques destinées à assumer les responsabilités économique,
environnementale, sociale et sociétale, de leur entreprise, en faisant notamment appel à leurs
connaissances, à leurs expériences et à leurs capitaux sociaux.
2.2. la dimension cognitive de la gouvernance d’entreprise
Le conseil d’administration est ainsi devenu un lieu d’apprentissage collectif et un espace
de partage d’expériences et de connaissances (Charreaux, Desbrières, 2006), car le bon
fonctionnement du système de gouvernance implique, de la part des administrateurs et des
dirigeants, une connaissance à la fois des intérêts et des valeurs des différents partenaires de
l’entreprise, des exigences de la RSE (qui dépassent le simple respect des lois et des normes
sociales et environnementales), et des techniques de pilotage des projets environnementaux,
sociaux et sociétaux. Le conseil d’administration et le comité exécutif doivent de plus en plus
s’impliquer – au nom du principe « complain or explain » - dans les phases de perception des
enjeux, de décision stratégique et de lancement des projets (Martinet, 2002), mais également,
dans les phases de mise en place des systèmes de contrôle, de reporting et de communication
de l’entreprise (Pluchart, 2010).

2.3. la dimension organisationnelle de la gouvernance d’entreprise


La plupart des rapports et études sur la gouvernance d’entreprise préconisent que le
conseil d’administration et ses comités doivent comporter un  nombre suffisant
d’administrateurs (l’effectif cité varie entre 8 et 12) pour que les différentes parties prenantes
de l’entreprise puissent être directement ou indirectement représentées et pour que ses
principales ressources soient efficacement pilotées (confirmant notamment les résultats des
enquêtes de Godard et Schatt (2005) et de Godard (2010 ). La composition du conseil doit
être diversifiée, avec des administrateurs représentant les actionnaires dominants, des
administrateurs indépendants, des dirigeants « enracinés », des administrateurs bénéficiant
d’un capital social élevé et ayant acquis une expérience dans plusieurs secteurs d’activité, et
des administrateurs représentant les principales fonctions impliquées dans la RSE
(notamment, un DAF, un DRH et un directeur du développement), rejoignant les conclusions
de Goldstein et alii (1994). La structure du conseil d’administration doit prévoir des comités
spécialisés dirigés par des administrateurs (si possible indépendants) : un comité exécutif (ou
le comité de direction dans les PME), un comité de sélection et de rémunération des
dirigeants, un comité d‘audit et de contrôle, et dans certains cas, un comité d’éthique.
Les rôles respectifs du Conseil d’administration et du Comité exécutif dans le processus
de responsabilisation sociale de l’entreprise sont récapitulés dans le tableau suivant :
Tableau 1. Les rôles du CA* et du CE* dans le processus de responsabilisation sociale de
l’entreprise
Phases du processus objectifs Rôles du CA* Rôles du CE*
[1] perception des enjeux Identifier les risques de Partager leurs expériences Organiser un système de
de la RSE l’entreprise et les sources des attentes des parties veille
d’avantages concurrentiels prenantes Procéder à un diagnostic
associés à la RSE Proposer des benchmarks stratégique
[2] fixation des objectifs Déterminer un Approuver les objectifs et Concevoir le plan
stratégiques  positionnement stratégique les projets stratégiques stratégique et lancer sa
de l’entreprise mise en oeuvre
Définir les projets SR*
[3] pilotage des projets Assurer le contrôle Demander des mesures Assurer la tutelle des
socialement responsables  stratégique des projets d’ajustement groupes de projet SR
SR* Lancer des opérations de Corriger le plan
lobbying en faveur des stratégique
projets
[4] réorientation de la Construire une campagne Approuver les thèmes de Conduire certaines
communication et du de communication et un campagne opérations de
reporting  système de reporting SR S’informer du reporting communication
consolidé (alignement Organiser le reporting
stratégique)

[5] réingénierie des Mettre en place une Approuver la mise en Assurer la tutelle de la
systèmes comptables, de « comptabilité verte », un place des nouveaux mise en œuvre des
contrôle et d’audit  système de contrôle et/ou systèmes systèmes
d’audit global
[6] reconfiguration des Adapter les systèmes de Approuver la mise en Assurer la tutelle de la
systèmes de formation, de formation, de stimulation place des nouveaux mise en œuvre des
stimulation et de et de motivation des systèmes systèmes
motivation des salariés. salariés aux
recommandations du DD*
* avec CA : conseil d’administration CE : comité exécutif SR : socialement responsable
DD : développement durable
Source : Pluchart (2011).

Conclusion et mise en perspective


Les administrateurs et les dirigeants des entreprises paraissent dans l’ensemble plus
concernés par les problématiques stratégiques que par les questions organisationnelles, par les
prises de décision que par les mesures d’incitation et de contrôle. Ils ne semblent pas avoir
une perception globale du processus transversal de changement entraîné par la mutation d’une
firme « moniste » en « entreprise pluraliste ». Ils souscrivent à la finalité du système de
corporate governance, qui est de contribuer à réduire les asymétries d’information entre les
administrateurs et les dirigeants, mais aussi à harmoniser leurs interprétations des situations
de gouvernance, à intégrer les systèmes de pilotage, à coordonner les comportements et à faire
converger les valeurs des acteurs de l’entreprise. Ils adhèrent à la logique de l’alignement du
système de gouvernance sur le processus de création de valeur. Ils sont toutefois conscients
que cet alignement se heurte à diverses formes de résistance au changement et de conflits sur
la répartition de la valeur. Ils attendent des théoriciens de la gouvernance, « moins des
dissertations abstraites sur les modèles de gouvernance, qu’une exploration concrète de ses
modalités d‘application » (Pluchart, 2011). L’instauration d’une gouvernance pleinement
responsable passe par une forme de « co-évolution » - encore émergente - entre l’organisation
de la gouvernance et la technologie de la création de valeur partenariale. Ce constat souligne
l’intérêt d’une approche de la gouvernance d’entreprise, plus cognitive que contractuelle, plus
organisationnelle que contextuelle, plus praxéologique qu’axiologique, plus diachronique que
synchronique, rejoignant ainsi la recommandation de Charreaux (2006), selon laquelle
l’approche de la gouvernance d’entreprise doit être à la fois concrète, systémique et étendue
aux parties prenantes. Elles invitent donc à revisiter le système de gouvernance en mobilisant
la théorie des organisations et celle de la valeur.

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