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Les enjeux de la censure en régime autoritaire Sébastien Tadiello

Cours : Théâtre et politique


Mathilde Arrigoni

Les enjeux de la censure en régime autoritaire


Sébastien Tadiello

C
ensurer est un art, un pouvoir, un abus de liberté dont les maîtres, rois et dirigeants,
soient-ils morts ou vifs, ont su faire bon et ample usage. Aujourd’hui encore la
censure persiste ici et là, apparente ou dissimulée, soufferte par les populations qui
lui sont soumises. Certains pays comme la Chine ou l’Iran la pratiquent sans tact et ceci pour
le plus grand bonheur des associations et ONG de défense des droits de l’homme.
Cependant, aujourd’hui encore, certains dénoncent la présence de différentes formes de
censure dans des pays pourtant réputés pour leur respect des libertés de l’homme tel que la
France ou l’Angleterre. C’est-à-dire qu’il y aurait une limitation de la liberté d’expression de
la part des autorités et ce pour des raisons vraisemblablement politiques. Il nous faut noter
que la censure, si elle a souvent par le passé eu des fondements politiques cela n’était et
n’est pas toujours le cas. Ainsi sont mises en avant divers raisons morales ou autres afin de
légitimer l’interdiction. C’est dans des régimes dits démocratiques que l’on a tout d’abord
observé la disparition progressive du contrôle sur les productions autant des arts que de la
presse. Et ceci malgré le contre exemple d’Outre-manche où la censure théâtrale ne fut
définitivement supprimée qu’en 1968. Ainsi nous nous arrêterons principalement sur le cas
des régimes autres que démocratiques : les régimes autoritaires. Ceux-ci sont caractérisés
par une absence d’opposition politique reconnue par le régime en place et une non-
indépendance des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Les libertés individuelles sont
alors restreintes face à la domination de l’Etat et ces restrictions sont en partie exprimées
par la présence d’une censure de la part du gouvernement. Ainsi, en ayant recours à la
censure, un régime quel qu’il soit met en marche une de ses machines de contrôle. Mais son
utilisation n’est pas sans retombées. C’est un outil dont le fonctionnement a un coût mais
aussi des bénéfices, donc des enjeux. C’est de ces derniers dont nous traiterons. Nous
devons tout d’abord nous demander quels buts la censure cherche-t-elle à atteindre ? Par
quels moyens et à quel prix ? Ses justifications sont morale, politique, religieuse, mais nous
pourrions nous interroger quant à l’existence de différentes formes de censures. En effet
celles-ci varient tant au sein d’un même Etat ; entre différents genres d’arts ; qu’entre Etats.
Quelles sont les raisons de ce panorama diversifié ?

Nous répondrons à cette problématique en observant tout particulièrement le domaine de


la culture en Argentine sous le régime du Proceso de 1976 à 1983, ainsi que la censure
théâtrale au Portugal sous Salazar. A titre de comparaison nous citerons quand nous le
pourrons le cas d’un régime totalitaire, l’Union Soviétique. Nous observerons tout d’abord le

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prototype omniprésent de la censure basé sur la prévention. Puis dans un second temps le
caractère souvent original de la censure théâtrale. Et enfin l’adaptation et l’évolution de la
censure.

1. Le genre universel de la censure culturelle ; prévenir plutôt que guérir

Il s’agit ici de montrer qu’un archétype de mode de censure émerge des observations de
différents régimes qui nous permettent d’en dresser les caractéristiques générales. C’est
tout d’abord une censure qui s’effectue avant la soumission de la production au public. Cette
censure à lieu lors de contrôles systématiques de la nouvelle production où le censeur peut
choisir de n’effectuer aucun changement, éliminer certains passages uniquement ou alors
censurer l’œuvre dans son intégralité. Nous pouvons citer comme exemple le cas de la
production télévisuelle en Argentine sous la dictature de 1976. Ainsi le film était tout
d’abord proposé lors d’un visionnage privé à l’appréciation de membres de l’armée. Il était
ensuite vu par des représentants des différents ministères du gouvernement. Les coupes, si
elles étaient jugées nécessaires, étaient réalisées par des monteurs privés sous contrat et
soumis au silence. Au Portugal, sous la domination de Salazar de 1933 à 1968, la littérature,
les journaux ainsi que le cinéma étaient soumis à des procédés similaires qui parfois
devaient être entièrement retravaillés dû à l’étendue de la censure. En comparaison, la
censure du théâtre en Union Soviétique s’effectuait dans une certaine mesure de la même
manière, le texte devant être tout d’abord lu est approuvé par des bureaux de censures,
nous y reviendrons ultérieurement. Il y a donc une volonté générale de la part des régimes
d’éluder la propagation de ‘l’infection’ en obligeant tout producteur à soumettre sa
production au jugement du ou des censeurs du gouvernement.

Il nous faut maintenant préciser la nature de la censure qui avait lieu et les critères
auxquels elle répondait. La coupure, voire l’interdiction complète de la production soumise à
la censure était chose commune à tous les régimes. Cependant la méthode variait, ainsi si les
censeurs soviétiques signalaient un passage comme contraire aux « intérêts des
travailleurs », les raisons de la subversion étaient précisées, par exemple : « […] en
contradiction avec les termes du marxisme […] » ou encore « La piѐce n’est pas porteuse
d’émotions positives. », et une proposition de substitution pouvait être formulé par le
censeur. Le cas portugais était tout autre :

« Jamais un avis n’est communiqué par écrit, et encore moins soutenu par un argument
quelconque ; jamais le verdict ne s’exprime en d’autres termes que par l’anonymat du trait
de crayon bleu ou de l’impersonnelle bureaucratie des cachets à encre : “coupé”,
“suspendu”, “autorisé avec des coupures”. Dixit, un point c’est tout »1

1
PIRES José Cardoso, 1972, « Le régime de la censure », Esprit

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Ces différentes formes de censures se faisaient dans des cadres législatifs ou réglementaires
concrets qui énoncés les bases de la censure. Ainsi en Argentine c’est une série de Critѐres
pour qualifier les programmes télévisuels du Comité de la radiodiffusion qui formulait en huit
chapitres les interdits de l’écran. Chaque institution pouvait émettre ses rѐgles de censures.
Au Portugal la constitution du 11 avril 1933 jetait les bases constitutionnelles de la censure
préventive. En complément la loi 22-469 définissait la finalité de la censure qui s’appliquait,
ainsi cette derniѐre avait pour but d’empêcher la perversion publique, de défendre la
morale, la vérité, la justice, la bonne administration, le bien commun et de « protéger les
principes fondamentaux de d’organisation de la société ».

Cependant comme nous pouvons le constater dans le dernier exemple les critѐres
pouvant être trѐs vagues sont soumis à l’interprétation du censeur. L’étendue et la nature de
la censure est alors soumis à la double appréciation du censeur : ce qu’il conçoit en fonction
des rѐgles de censure qu’il doit appliquer et ce qu’il interprète dans le texte qu’il doit juger.
L’historiographie gardera des exemples de zѐle tel que la censure à Buenos Aires d’une
scѐne de film où une femme portant une robe rouge éclatante (couleur vestimentaire
prohibée par les pouvoirs en place) fut interprétée comme de la propagande communiste.
Des témoignages rapportent de nombreux exemples du caractère aléatoire que pouvait
avoir la censure mise en œuvre ;

« Tout est très arbitraire. Il y a des films qui peuvent montrer des nus de face complets, et
d’autres, en revanche, sont censurés pour cette raison. Le critère est arbitraire et
incohérent, et sans doute prévalent les relations de sympathie qu’il y a avec le distributeur. »

« Cela dépend du hasard, et ce hasard fait parfois perdre beaucoup d’argent. » 2

On remarque ainsi le caractère aléatoire et à amplitude variable que prend parfois la


censure ; dépendant du contexte du moment, des relations entre censeur et censuré mais
aussi entre les censeurs eux-mêmes. Ainsi le processus de censure en URSS avait cet effet
pervers où le contrôle des uns et des autres amenait à une augmentation de la censure, la
peur d’être jugé trop souple par d’autres poussait à un renforcement de la censure initiale.
La censure a donc malgré l’élaboration de règles et de critѐres une allure subjective qui a
pour conséquence un contraste important dans l’étendue de la censure d’une œuvre à
l’autre. Dans une tentative de conférer une légitimité à la censure en l’érigeant au niveau de
loi c’est l’effet inverse qui en est la conséquence. L’application de ces rѐgles renforce
l’illégitimité de la censure grâce à ses traits subjectifs, ses aspects de clientélisme et les
éventuels effets pervers conséquents.

2. L’originalité de la censure théâtrale : le théâtre, art à part

2
La Prensa, 20 septembre 1981, interview de José Garcia Castro, monteur pour une entreprise privé

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Nous comparerons dans cette partie deux formes originales de censures qui sont
appliquées à l’art théâtral. Cependant il convient tout d’abord d’expliciter les raisons pour
lesquels différents régimes ont accordés au théâtre une place toute particulière. Le théâtre,
en réunissant des foules, en étant plus qu’un simple texte répété, a longtemps été vu
comme pouvant être un important facteur de subversion.

« The theatre, with its power of affecting an audience with possibly subversive emotions and
ideas, is more to be feared » (Le théâtre, grâce à son pouvoir de potentiellement affecter un
public avec des émotions et idées subversives, est plus à craindre.)3

Cette vision fut celle mise en avant à travers le XIXѐme siѐcle en Europe mais aussi
durant une partie du XXѐme. Juxtaposé au fait qu’il était souvent l’une des seules sources
d’information pour les classes inférieures de la société cela laisse dire à certains que le
théâtre a participé à certains mouvements de révolte du XIXѐme tel que le Printemps des
peuples de 1848. A titre d’exemple, Hernani de Victor Hugo en 1830 a vu sa représentation
déclencher un soulѐvement, ce fut aussi observé en 1896 avec Ubu Roi de Alfred Jerry. C’est
cette vision du théâtre qui a prédominé pendant le régime de Salazar, les autorités
redoutant la juxtaposition au texte par l’acteur d’émotions qui renforcent son impact sur le
public rassemblé. Cependant, ce n’étais pas pour ces raisons que le théâtre en Argentine a
souffert d’une forme particulière de censure. Ainsi le théâtre était-il perçu comme un genre
artistique mineur qui ne touchait pas les masses tel que le cinéma en avait la capacité.

Au Portugal cette censure singulière empruntait au modèle décrit dans un premier


temps d’une censure pré-production. Les piѐces écrites étaient tout d’abord soumises à la
lecture d’un bureau de censure qui les jugeait sans pour autant justifier les raisons de la
censure qui pouvait s’appliquer. Ce caractère impersonnel correspondait aux autres formes
de censures observé au sein du pays et sous d’autres régimes. Cependant la censure
théâtrale avait des rѐgles différentes des autres productions culturelles. Ainsi la loi
portugaise définit la censure par l’ablation du texte de tout ce qui pourrait être « pernicieux
à l’éducation du peuple ». Donc une formulation accordant une grande liberté
d’interprétation contrastant avec les rѐgles plus explicites s’appliquant à la censure du
cinéma portugais : « […] les personnages nus ; les bals lascifs ; les opérations chirurgicales ;
les exécutions capitales ; les maisons closes ; les assassinats [...] »4. La premiѐre étape de
cette censure achevée les piѐces étaient classée en trois catégories : apte au moins de dix-
sept ans, « pour adulte » ou interdite. La premiѐre ne devait pas contrarier « la formation
morale et intellectuelle des enfants et ne se terminent pas aprѐs 20h30 ». Ce n’est pas sans
rappeler la classification du Comité fédérale de radiodiffusion argentin qui classait les
programmes télévisuels en deux catégories : No en horario para menores et No apto para la
televisión. La deuxiѐme catégorie était celle qui pourrait « exciter dangereusement [la
sensibilité de la jeunesse] son imagination et y éveiller de mauvais instincts maladifs […] » et
3
Citation de John Allen et traduction libre
4
Loi 13-564 du 6 mai 1927, art. 130.

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qui devait avoir lieu aprѐs 20h30. La derniѐre catégorie, celle des piѐces interdites,
s’appliquait le plus souvent à des piѐces étrangѐres jugée trop subversives et choquantes
pour le public portugais trop sensible. Cependant l’interdiction de représentation n’était pas
synonyme d’interdiction de circulation du texte. Ainsi représenter Brecht sur scѐne pour un
public était chose interdite mais la circulation de ses textes ne l’était pas. Ceci est un bon
exemple de la raison pour laquelle le théâtre portugais bénéficiait d’une attention
particuliѐre. Les masses se rendaient au théâtre mais seules les élites lisaient, les masses
pouvaient se soulever mais les élites conservatrices avaient les capacités de ne pas se laisser
‘corrompre’ par la subversion du texte. C’est la crainte de la force « dissidente et
insurrectionnelle du théâtre dit, comme acte de vie communautaire par excellence, véritable
acte rituel communautaire » 5

Suivant la censure du texte venait la censure de la représentation. Ainsi les


répétitions étaient-elles suivies par des fonctionnaires censeurs attentifs au respect du texte
censuré et à la mise en scѐne qui se devait d’être neutre. C’est non sans ironie que certains
témoins rapportent qu’il était plus intéressant d’observer ces fonctionnaires suivant le texte
à la lampe torche au fond de la salle que la piѐce qui se jouait6.

Le cas argentin est lui différent et a des caractéristiques de censure théâtrale que l’on
retrouve plus fréquemment dans d’autres régimes. Ainsi une censure a priori existe avec
l’interdiction de publication, le retrait de piѐces du répertoire, l’élaboration de listes de
personnes subversives (listes noires) et autre. Nous pourrions aussi parler de censure-
répression a postériori, ou censure ex-post7. Cette différence est due à une vision et à un
contexte du théâtre distincts, ainsi la pratique théâtrale n’occupait-elle pas une place aussi
importante au sein de la société argentine des années 1970 que de la société portugaise au
début de la dictature dans les années 1930. Ce qui fait par exemple que le théâtre argentin
ne bénéficiait pas d’une institution de censure attitrée comme cela était le cas pour les
autres productions culturelles.

Cette censure ex-post intervient postérieurement aux premières représentations de


la piѐce. La censure est alors beaucoup plus forte puisqu’elle consiste souvent en
l’interdiction pure et simple de la piѐce. Cela contraste avec la forme de censure pratiquée
sous le régime soviétique. Certes une censure préalable existait, mais une censure a
posteriori aussi qui prend la forme de ‘perfectionnement’. Ainsi la censure évolue au fur et à
mesure des représentations selon les réceptions de la presse. Un exemple en est une piѐce
humoristique de Gennadi Khazanov ; Des choses évidentes et incroyables ; qui fut d’abord
suspendue aprѐs sa premiѐre représentation le 13 novembre 1981. Aprѐs avoir été
retravaillée par le Comité Exécutif de Moscou, elle fut représentée en février 1982, mais
suite à une réaction négative de la presse en mars de la même année une nouvelle demande

5
DELILLE Maria Manuela Gouveia, 1991, Bertolt Brecht au Portugal avant le 25 avril 1974. Un chapitre de l’histoire de
la résistance au salazarisme », Du pauvre B.B. au Portugal, Aveiro, Estante : 27-58.
6
Garça Dos Santos, Université Rennes 2 – Haute-Bretagne, La scѐne sous surveillance
7
Mathilde Arrigoni, Le cas de Teatro Abierto en Argentine en 1981

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de retouches fut émise par le Comité. Un autre exemple, contemporain cette fois, d’une
piѐce censurée ex-post est le cas du metteur en scѐne iranien Vahib Rahbani dont la
représentation d’une piѐce norvégienne du XIXѐme fut suspendue en janvier 2011 à Téhéran
car le régime y perçoit des incitations à la polygamie et l’accuse de faire un théâtre
hédoniste.

Cette forme de censure, particuliѐrement violente puisqu’elle a pour conséquence la


destruction complѐte d’un travail, instaure une peur de la censure mais aussi une peur
physique puisque cette censure pouvait prendre la forme d’une répression violente à travers
un attentat ce qui fut le cas de plusieurs théâtres argentin.

3. La censure s’adapte ; la censure évolue

Nous observerons dans cette partie les raisons pour lesquelles il existait différents modes
de censures tant au niveau des Etats qu’entre eux. A été mentionnée auparavant l’existence
de différentes institutions de censure sous le Proceso en Argentine. Par exemple la Direction
générale de la télévision, le Comité fédéral de radiodiffusion ainsi que l’Institut national de
cinéma exerçaient chacun un contrôle sur les productions de leurs domaines respectifs. Le
Service d’Information D’Etat ainsi que le ministère de l’intérieur, instances supérieures de la
censure, mais aussi centrales des listes noires (dans le cas de la SIDE) du régime répertoriant
les personnes potentiellement subversives pour le régime. Il y avait donc une instance de
contrôle qui était adaptée à la production qu’elle contrôlait. Notablement le milieu théâtral
ne dépendait d’aucune institution de censure particuliѐre. L’une des raisons que l’on peut
évoquer pour cela est la faible estime que le régime portait au théâtre, ce n’était pas un art
des masses, son engouement n’avait rien de comparable au cinéma par exemple. Un
parrallѐle peut ici être dressé avec l’absence d’une censure de la musique même si les
raisons de cette absence sont distinctes, certes les douanes effectuaient un contrôle des
disques en circulation mais en majorité de la production étrangѐre. Cette ‘faiblesse’ de
contrôle explique notamment l’émergence de forme spécifique de contestation avec le cas
de Teatro Abierto mais aussi d’un rock national argentin facteur essentiel dans la
contestation du régime donc une structure d’opportunité politique plus ample. Cette
absence de contrôle institutionnalisé pourrait expliquer en partie la particuliѐre violence de
la censure qui pouvait avoir lieu. Parallèlement : la forme spécifique que l’on a décrite
auparavant qui s’appliquait au Portugal sous Salazar était adaptée à ce à quoi elle censurait.
En effet le théâtre au début de la dictature portugaise avait l’importance de l’audiovisuel au
début de la dictature argentine. Ce qui explique par ailleurs que l’on retrouve des formes
jumelles de censures s’appliquant au théâtre portugais et à l’audiovisuel argentin par
exemple avec la catégorisation des spectacles d’un côté et des productions télévisuelles de
l’autre en fonction des mineurs.

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Nous pourrions souligner le cas d’adaptations qui pourraient sembler paradoxales au vue
de la censure pratiqué par le régime de Salazar. Ainsi celui-ci pratiquait des coupes afin
d’empêcher toute référence à l’adultѐre, le sexe, la nudité ou ne serait-ce qu’à des gestes
pouvant être interprétés comme sensuels mais autorisait le théâtre de revue. En effet la
caractéristique propre de celui-ci était de présenter des piѐces frivoles parsemées de
références plus ou moins vulgaires envers ‘la chose’ afin d’émoustiller ses spectateurs.
Conséquemment ce genre était classé « pour adulte ». C’est justement de par cette attente
de la part du public que la censure était permissive. Il y a donc un pragmatisme de la
censure, celle-ci s’adapte tant à ce à quoi elle s’applique, qu’au milieu de réception de l’objet
censuré (ex : libre circulation des piѐces de Brecht mais interdiction de les jouer).
Pragmatisme qui témoigne d’une rationalité de la censure, par exemple avec la répartition
des fonctions de contrôle selon les institutions spécialisées en Argentine. « Chaque type de
censure s’accorde à l’art ou au média qui lui correspond, dans un souci d’optimisation de la
répression »8.

Ces différentes formes de censures convergeaient vers un but unique, paroxysme de la


censure ; l’autocensure. Ainsi grâce à la répression dans toute ses formes soit-elle préalable,
ex-post, complѐte ou partielles la juxtaposition du tout exerçaient une pression sur les
créateurs qu’elle affectait. Ainsi le créateurs avait-il tout intérêt à ne pas inclure, et ceci dѐs
les premiers moments, des traits qui pouvaient amener à la censure. La censure au préalable
permettait certes à l’auteur de pouvoir modifier son travail et de bénéficier de son
exploitation. Cependant la censure ex-post, comme elle a été pratiquée en Argentine ainsi
qu’en Iran il y a peu, cause la perte complѐte du travail de son créateur si ce n’est une
intimidation physique. La peur de la censure et de la répression physique pousse donc les
créateurs mais aussi les exploitants à eux-mêmes censurer leur production. On assiste alors
à l’émergence de cette autocensure ;

« L’autocensure est le résultat de cette intériorisation de la censure. Ses procédés, sauf à


rester à la surface du phénomѐne sont extrêmement difficiles à capturer car ils ne sont plus
fait de barriѐres extérieures objectives […] »9

La paracensure est, elle, une autocensure au niveau de la production, par exemple


de la part de l’éditeur ou du théâtre exploitant, donc au niveau d’une entité non étatique.
Les deux sont aux caractéristiques subjectives, interprétés par les auteurs selon la censure
qu’ils ont eux l’occasion d’observer. C’est ce à quoi aspire la censure de tout régime, que la
censure face partie du créateur, qu’il se limite lui-même. Ainsi la censure se doit d’être un
« clou qui s’enfonce lentement sans abîmer le bois, qui fait une pression douce mais
constante, pénétrante, peu à peu, sans provoquer la réaction vive de la matiѐre »10 . Ceci
permettant à terme de réduire les coûts de la censure pratiqué par le régime.

8
Mathilde Arrigoni, Op.Cit.
9
José Garcia-Romeu, Dictature et littérature en Argentine : 1976-1983
10
FERRO António, 1934, Salazar, le Portugal et son chef, Paris, Bernard Grasset.

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D onc nous avons vue que la censure prend selon les différents régimes et les arts à
laquelle elle s’applique des formes distinctes. Et ceci afin de s’adapter aux exigences
hétérogѐnes des productions culturelles qu’elle touche mais surtout dans un souci
d’optimisation. Toutes s’effectuent avec une plus ou moins grande efficacité et à des coûts
humains et matériels différents. Cependant ces formes tendent toutes vers un seul et même
objectif, l’autocensure, soit à ce que les créateurs intériorisent les limitations. C’est le
paroxysme de l’optimisation. Mais malgré cette volonté de la part des autorités de voir
l’autocensure intégrer les créations, la contestation reste présente. Notablement certaines
formes de censure sont plus propices que d’autres à la contestation. Chaque forme de
censure voit se développer en parallѐle une forme de contestation qui lui est adaptée. Ainsi
si les censeurs intervenaient à tous les niveaux de la création théâtrale portugaise ils ne
pouvaient contrôler le jeu d’un acteur qui pouvait se livrer à une improvisation
contestataire.

Bibliographie ;

- Robert Justin Goldstein, Political Censorship of the Arts and the Press in Nineteenth-
Century Europe, St Martin’s Press, New York, 1989
- Mathilde Arrigoni, IEP de Paris, Se mobiliser en régime autoritaire. Le cas de Teatro
Abierto en Argentine en 1981
- Garça Dos Santos, Université Rennes 2 – Haute-Bretagne, La scѐne sous surveillance
- Loulia Zaretskaïa-Balsente, Les intellectuels et la censure en URSS : 1965-198,
L’Harmattan, 2000
- José Garcia-Romeu, Dictature et littérature en Argentine : 1976-1983, L’Harmattan,
2005

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