Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
THÈSE
pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE
Sous la direction de :
M. André LAKS – Professeur émérite à l’Université de Paris-Sorbonne
Membres du jury :
M. Paul DEMONT – Professeur à l’Université de Paris-Sorbonne
Mme Marie-Laurence DESCLOS – Professeur à l'Université Grenoble II
M. Dimitri EL MURR – Maître de conférences HDR à l'Université de Paris I
Position de thèse
Lorsque l'on aborde la question de l'histoire chez Platon, on constate, d'une part, un
nombre relativement restreint d'ouvrages consacrés au sujet et, d'autre part, une multitude
des perspectives sous lesquelles on l'envisage. Il paraît qu'il existe deux facteurs en partie
liés qui rendent l'étude de l'histoire chez Platon une tâche particulièrement difficile et qui
dans le cadre d'un système philosophique qui oppose radicalement l'être et le devenir, le
monde sensible et le monde intelligible, tant sur le plan ontologique que sur le plan
particulier.
D'autre part, les textes platoniciens qui peuvent être considérés comme historiques,
posent problème de l'ordre différent : premièrement, ils sont hétérogènes par leur sujet et
Republique, les Lois ; le discours funèbre dans le Ménexène ; le mythe cosmologique dans
le Politique ; les récits sur le passé récent des cités doriennes, de la Perse et d'Athènes dans
les Lois ; le récit atlante dans le Timée et le Critias) ; deuxièmement, ils n'ont pas de
caractère autonome. En effet, il n'existe pas chez Platon de dialogue qui serait consacré
dans son intégralité à un récit de passé, il s'agit toujours des passages historiques inscrits
métaphysique précise. Face à cette diversité des textes et des contextes, il paraît
extrêmement difficile de proposer une base interprétative globale. Il n'est donc pas
étonnant si les chercheurs qui étudient le récit historique platonicien arrivent souvent à la
conclusion que celui-ci n'est pour lui qu'une forme, pourvue de cet « effet de vrai », dont
En effet, les passages platoniciens sur le passé sont loin de ce qu'un lecteur moderne
attendrait d'un texte historique. Certains d'entre eux ne remplissent pas les conditions de
des buts argumentatifs. D'autres encore présentent plutôt des modèles rationnels, qui se
trouve apparemment hors du champ de l'intérêt de Platon : le récit sur le passé se réfère à
un modèle idéal de la cité, ce qui brouille la frontière entre l'histoire et le mythe, la réalité
et l'idéal. Une telle attitude vis-à-vis du récit historique paraît être inscrite dans le contexte
de son temps : l'histoire à l'époque n'est pas une science distincte et bien définie, comme
elle l'est pour nous, mais présente plutôt un domaine à l'entrecroisement de traditions très
statut de ces récits particuliers chez Platon nous paraît mériter une étude détaillée.
C'est le mythe du Politique qui a été le plus souvent considéré comme la clé de
d'autres textes peuvent trouver leur place. On pourrait notamment évoquer les études des
chercheurs comme K. Gaiser et F. Lisi qui se sont donné comme tâche d'établir l'ordre
chronologique des événements décrits dans le récit atlante et les Lois III – IV au sein de la
grecque qui oppose l'idée archaïque de l'âge d'or à l'idée du progrès technique. Les deux
courants s'accordent pour dire que le monde où l'on vit est pour Platon un monde dégradé
par rapport à l'état antérieur de l'âge d'or. Platon idéaliserait donc le passé lointain et
cette interprétation ressemble beaucoup à celle de K. Popper qui se basait sur une lecture
historisante, fortement critiquée, de la République VIII – IX. Ne s'agit-il pas aussi d'une
expressions même vont être ré-exploités par Platon dans les textes plus tardifs du même
groupe, le mythe du Protagoras peut servir de modèle pour analyser la forme et l'objectif
diachronique du texte n'est en effet qu'apparente ; il serait plus juste d'y voir une analyse
génétique, comme c'est le cas pour d'autres textes du même groupe (la République II, VIII
– IX, les Lois IV), mais aussi, comme ceci a été parfois suggéré, pour le mythe des races
d'Hésiode.
sophistique, suggère que le récit sur l'origine de l'État a été systématiquement considéré
comme une forme d'analyse de ce qu'est la nature humaine, participant ainsi au débat sur
choix moral et de la vie la plus heureuse transparaît alors à travers le récit sur la genèse de
la cité. Les idées d'âge d'or et de progrès technique s'avèrent ainsi relever pour Platon non
de la philosophie de l'histoire, mais du domaine de l'éthique, la vie dans la cité étant une
forme analytique d'apparence historique pour s'opposer à la doctrine du sophiste dans les
autres textes platoniciens sur le passé que nous appelons « génétiques » : la République II,
Si pour le premier groupe de textes, la lecture unitaire est la plus répandue, les
textes du second groupe que nous désignons comme « protréptiques » (le Ménexène, le
récit atlante et les Lois III), ont été traditionnellement considérés séparément : le premier
Platon. Les trois textes présentent cependant des similitudes remarquables qu'on pourrait
rhétorique.
Le Discours funèbre dans le Ménexène et le récit atlante s'ouvrent tous les deux par
un examen critique de la tradition poétique et rhétorique des éloges des actes glorieux des
hommes du passé, ce qui n'est pas sans rappeler l'analyse critique de la poésie dans la
que les «lambeaux» du discours péricléen (c'est-à-dire ce que Périclès n'a pas dit) dans le
Ménexène incarnent une opposition à l'idéal de l'État loué dans le fameux discours
funèbre de Périclès. Dans ses « mythes sur Athènes », Platon réutilise les motifs
avec l'Éloge funèbre de Lysias et Thucydide et les Lois III est très éclairante à cet égard), en
Parmi les traits les plus frappants que partagent l'Oraison funèbre du Ménexène et
le récit atlante, on peut citer la combinaison de l'historicité prétendue du récit avec son
des faits, leur interprétation athénocentrée et leur utilisation aux buts argumentatifs, le
récit atlante est, quant à lui, une pure fiction, étonnamment insistante dans ses tentatives
de prouver sa véracité. Sous cet aspect, les deux textes sont directement liés à l'idée de la
entre le vice et la vertu aussi bien pour la cité que pour l'homme.
Le récit sur le passé chez Platon apparaît, à l'issue de notre analyse, comme une
de la structure première d'un État et d'une âme humaine dans la République et les Lois.
Notre étude nous permettrait donc d'affirmer l'existence d'une catégorie séparée des
fait les changements et la ruine, mais aussi un « modèle dans le ciel » (Resp. 592 b). Les
textes « génétiques » de Platon sont centrés sur la structure de l'État, les textes
cité, les désirs et les peurs qui la poussent soit vers la vertu et l'épanouissement, soit vers le
vice et la ruine.
l'histoire moderne par le modèle de la physique avec son idée de mesures exactes. Dans le
cas de Platon, un rôle comparable serait sans doute joué par la médecine qui, elle aussi,
s'intéresse à la fois à la structure et aux changements vers le meilleur et vers le pire. Un des
remèdes utilisés par l'homme politique-médecin platonicien serait le mythe sur le passé de
la cité.