UNIQUEMENT EN FRANCE MÉTROPOLITAINE,
EN BELGIQUE ET AU LUXEMBOURG
SPORT & FORME
LES VIGNETTES PANINI
ONT 40 ANS
Samedi 16 janvier 2016 ­ 72e année ­ No 22084 ­ 4,20 € ­ France métropolitaine ­ www.lemonde.fr ― Fondateur : Hubert Beuve­Méry
La justice
s’alarme
d’être mise
à l’écart
▶ Les deux plus hauts magistrats
de France constatent la défiance
renouvelée de l’Etat envers les juges
▶ L’autorité judiciaire a été
écartée du contrôle des lois sur
le renseignement et l’état d’urgence
→ LIR E P A GE S 8 - 9
Un huitième tueur des attentats de Paris a été identifié
▶ Chakib Akrouh, un Belgo­Marocain de 25 ans, s’était fait exploser lors de l’assaut du RAID à Saint­Denis
A près deux mois de recherches,
les enquêteurs ont fini par
identifier le kamikaze qui avait
déclenché sa ceinture explosive lors
de l’assaut mené par le RAID contre un
appartement de Saint­Denis, le 18 no­
vembre 2015. En comparant son ADN
E-COMMERCE
LEBONCOIN.FR :
LES NOUVEAUX
BONS PLANS
DU SITE FRANÇAIS
A vion d’occasion, château
ou crachoir dentaire de
1885, tout est à vendre
sur Leboncoin.fr. Dix ans après sa
création, en avril 2006, le site de
vente en ligne est un des plus
consultés en France : 23 millions
de visiteurs uniques par mois,
faisant jeu égal avec Dailymotion
et Amazon. Filiale du norvégien
Schibsted, la jeune société fran­
çaise profite de la crise qui dope
le marché de l’occasion.
Elle caresse deux nouveaux ob­
jectifs : s’imposer sur le marché de
l’emploi et mieux monétiser son
audience. Début février, le site
fera également peau neuve, afin
d’être plus facilement consultable
sur les téléphones mobiles.
Ultrabénéficiaire, Leboncoin.fr
L a candidate de l’opposition,
envisage également d’investir
dans d’autres sites. Face à cette
boulimie, les concurrents ne res­
tent pas inertes, notamment
dans le secteur des annonces
immobilières. p
→ LIRE LE CAHIER ÉCO PAGE 2
Algérie 200 DA, Allemagne 2,80 €, Andorre 2,60 €, Autriche 3,00 €, Belgique 4,20 €, Cameroun 2 000 F CFA, Canada 4,75 $, Côte d'Ivoire 2 000 F CFA, Danemark 32 KRD, Espagne 2,70 €, Espagne Canaries 4 €, Gabon 2 000 F CFA, Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,60 €, Guyane 3,00 €, Hongrie 990 HUF,
Irlande 2,70 €, Italie 2,70 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 4,20 €, Malte 2,70 €, Maroc 15 DH, Pays-Bas 2,80 €, Portugal cont. 2,70 €, La Réunion 2,60 €, Sénégal 2 000 F CFA, Slovénie 2,70 €, Saint-Martin 3,00 €, Suisse 3,60 CHF, TOM Avion 480 XPF, Tunisie 2,80 DT, Turquie 11,50 TL, Afrique CFA autres 2 000 F CFA
CULTURE & IDÉES
ANGELA DAVIS, LA FRANCE,
LES ATTENTATS ie
Bow
et nous
Directeur : Jérôme Fenoglio
Renault dépasse
les normes
de pollution
et dévisse
en Bourse
AUTOMOBILE
Les émissions polluantes des vé­
hicules Renault sont « trois à cinq
fois » supérieures aux normes,
a indiqué le député Vert Denis
Baupin, membre de la commis­
sion technique indépendante
mise en place après le scandale
Volkswagen.
Le constructeur n’a cependant
pas installé de logiciel de fraude,
a souligné Ségolène Royal, la mi­
nistre de l’écologie. Plusieurs
autres marques étrangères dé­
passent elles aussi les normes ;
en revanche, Peugeot et Citroën
respectent les taux légaux.
L’annonce de perquisitions chez
Renault, menées par la Direction
générale de la concurrence, de la
consommation et de la répres­
Lors de l’audience sion des fraudes (DGCCRF), a pro­
solennelle voqué, jeudi 14 janvier, la chute de
de la Cour de cassation, son cours de Bourse de 10,2 %, et
le 14 janvier. témoigne du climat de suspicion
LIONEL BONAVENTURE/AFP qui entoure désormais les cons­
tructeurs automobiles. p
→ LIRE LE CAHIER ÉCO PAGE 3
GOODYEAR :
UNE PEINE
à celui de sa mère, ils ont établi qu’il
s’agissait de Chakib Akrouh, un Belgo­
Marocain de 25 ans, a annoncé le parquet
de Paris, jeudi 14 janvier, dans un com­
muniqué.
nom sur le dernier membre du com­
mando des terrasses parisiennes.
Sur les dix auteurs des attentats du
13 novembre, seuls deux des trois kami­
kazes du Stade de France, porteurs de
Connu des services antiterroristes
belges depuis près de deux ans, Chakib
Akrouh est soupçonné de s’être rendu
en Syrie à deux reprises, en janvier 2013
et janvier 2015.
INOPPORTUNE
→ LI R E P A G E 18
L’identification de Chakib Akrouh per­ passeports syriens falsifiés, restent à soren seelow et élise vincent
met très probablement de mettre un identifier. → LIR E L A S U IT E PAGE 7
Révolution EMPLOI
OSCARS® 2016
LES PATRONS
démocratique à Taïwan RÉCLAMENT NOMINATION
▶ Le Kouomintang, au pouvoir depuis 1949, UN « ÉLECTROCHOC »
MEILLEUR FILM
devrait perdre la présidence et le Parlement ÉTRANGER
→ LIR E LE C A HIE R É CO PAGE 4
DOPAGE
LES LIMITES
DU PASSEPORT
BIOLOGIQUE
→ LIR E LE C A HIE R S P ORT
ARCHÉOLOGIE
MUST FARM,
Tsai Ing-wen, candidate de l’opposition. SAM YEH/AFP LA POMPÉI
BRITANNIQUE
Tsai Ing­wen, est la grande
favorite du scrutin prési­
dentiel du samedi 16 janvier à
nistes de Mao Zedong. Le tour­
nant est historique : « le camp
vert », porté par la jeunesse et
formé par le Parti progressiste
→ LIR E PAGE 6
Taïwan – des élections législatives
sont organisées le même jour.
démocratique de Mme Tsai et la
poignée de petites formations,
CULTURE [el abrazo de la serpiente]
Le pouvoir dans l’île est depuis
1949 entre les mains du Kouo­
une opposition plus méfiante à
l’égard de Pékin, est pour la pre­
PREMIER BILAN un film colombien de ciro guerra
mintang, le parti nationaliste de mière fois en mesure de rempor­ DE LA PHILHARMONIE ACTUELLEMENT AU CINÉMA
Tchang Kaï­chek qui avait fui ter la majorité. p
l’avancée des troupes commu­ → LIR E PAGE 2 → LIR E PAGE 1 4
2 | international 0123
SAMEDI 16 JANVIER 2016

Des militants du
Parti démocrate
progressiste
taïwanais (DPP),
dans l’opposition,
se prennent en
photo lors d’un
meeting de leur
candidate, Tsai
Ing-wen à
Taichung,
à 140 kilomètres
au sud-ouest de la
capitale, Taipei, le
13 janvier. PHILIPPE
LOPEZ/AFP

Coup de jeune sur la démocratie taïwanaise

L’opposition hostile à Pékin pourrait remporter, samedi 16 janvier, la présidence et le Parlement

REPORTAGE groupe Chthonic, rare spécimen

Le rockeur taire face aux « bleus » du KMT, en référence à l’impossible acces- quartier général de sa campagne,
taipei, taichung - envoyé spécial de heavy metal asiatique à s’être même lors du double mandat du sion de Taïwan à l’ONU, où la Répu- à Taichung, décoré comme un
fait un nom sur la scène interna- Freddy Lim président Chen Shui-bian (DPP) blique de Chine (nom officiel de café branché. « Puis un jour, lors de

V
êtu d’un blouson tionale. Corps tatoué, visage ma- entre 2000 et 2008. Taïwan) fut remplacée par la Répu- l’enquête, j’ai demandé à mon avo-
jaune frappé des idéo- quillé, le politicien en herbe est
incarne l’entrée Le parti de Freddy Lim, le NPP blique populaire en 1971 quand cat pourquoi il y avait autant de
grammes de son nom méconnaissable en concert. en politique – shidai liliang en chinois, ou « la Washington se rapprocha de Pé- cas [de morts inexpliquées]. Il m’a
en noir, Freddy Lim vi- Avec d’autres nouvelles recrues force d’une génération » –, est di- kin. Il se laisse convaincre par deux répondu que trop peu de gens se
site une à une les petites bouti- de la politique taïwanaise, le roc-
d’une génération rectement issu de la ferveur ci- militants de participer à l’aventure battaient quand cela arrivait. C’est
ques de Wanhua, un quartier po- keur de 39 ans, dont les chansons contestataire toyenne qui a saisi la jeunesse ces et trouve le nom du parti. donc ce que j’ai décidé de faire »,
pulaire du sud-ouest de Taipei, clament haut et fort l’attache- dernières années sur une my- « Beaucoup de choses m’ont poursuit-elle.
dont il est l’un des candidats aux ment à Taïwan, incarne l’entrée
et engagée riade de causes, comme les com- amené à me présenter. Il y a des L’affaire a contribué à changer,
élections législatives du samedi en politique d’une génération bats contre le nucléaire ou les dé- déficiences dans notre système croit-elle, « l’apathie » des jeunes
16 janvier à Taïwan. Celles-ci ont contestataire et engagée qui a molitions forcées, et a culminé démocratique, des irrégularités, en une « capacité de transforma-
lieu le même jour que la présiden- donné un souffle inespéré à la d’une « normalité » à la Angela dans le « mouvement des tourne- des injustices », explique le candi- tion politique ». Dont les résultats
tielle dans cette jeune démocratie campagne de Tsai Ing-wen, la can- Merkel, personnifie aujourd’hui sols », la spectaculaire occupation dat rockeur. Son combat person- aux élections, samedi soir, don-
écartelée entre son passé de didate de l’opposition et désor- l’espoir de changement face à un du Parlement taïwanais par les nel, sur lequel il compte pousser neront la mesure. p
Chine nationaliste, l’irrédentisme mais grande favorite dans les son- KMT auquel les jeunes généra- étudiants en mars 2014 pour pro- Tsai Ing-wen une fois qu’elle sera brice pedroletti
de Pékin et l’attachement massif dages pour le scrutin présidentiel. tions reprochent ses travers d’ex- tester contre l’opacité des projets élue, c’est, dit-il, la « récupération
de sa jeunesse à une identité parti unique et son tropisme pour d’accord du gouvernement de des actifs illégitimes du KMT », vo-
taïwanaise propre.
Tout sourire, M. Lim fait une
« Normalité » à la Angela Merkel
Mme Tsai, qui avait perdu en 2012
la Chine continentale.
L’enjeu de cette alchimie est ca-
Ma Ying-jeou avec la Chine. lés aux Taïwanais, soutient-il,
quand Tchang Kaï-chek a imposé LES PROFILS
courbette, serre les mains d’une face au président sortant Ma Ying- pital : le camp « vert », l’actuelle Contre la peine de mort son régime dictatorial à Taïwan
coiffeuse ou de la tenancière jeou, du Kouomintang (KMT) – le opposition formée par le Parti « Aux dernières municipales [de après sa défaite dans la guerre ci-
d’une gargote, pénètre dans un parti nationaliste de Tchang Kaï- progressiste démocratique (DPP) 2014], on n’était toujours pas orga- vile en Chine en 1949. Les deux principaux candidats à
atelier de mécanique, s’arrête chek qui avait fui le continent de Mme Tsai et la poignée de peti- nisés. Je me suis dit qu’il fallait faire Pour Tanguy Lepesant, maître la présidentielle de Taïwan sont :
pour un selfie avec un conducteur après sa défaite en 1949 face aux tes formations plus ou moins ré- quelque chose, sinon ça recommen- de conférences à la National Cen-
de scooter qui l’a reconnu. Seule communistes emmenés par Mao centes, plus méfiant à l’égard de cerait pour ces élections », dit tral University et chercheur asso-
sa queue-de-cheval discrète dé- Zedong –, soutient Freddy Lim Pékin que le KMT, est sur le point Freddy Lim. Le chanteur a la répu- cié au Centre d’études français sur
tonne dans son allure de jeune dans la circonscription de Wan- de remporter pour la première tation d’être « engagé » : il se bat la Chine contemporaine (CEFC),
premier. Car, dans la vie, ce candi- hua, qui en retour, comme les fois la majorité au Parlement contre la peine de mort (il fut pré- « les jeunes à Taïwan sont passés
dat du New Power Party (NPP), autres têtes de liste de son petit taïwanais en plus de la présiden- sident d’Amnesty International d’un sentiment d’impuissance à la
créé il y a moins d’un an, est parti, appelle à voter pour elle. tielle. Or les « verts » n’ont jamais Taïwan) et a donné à l’une de ses prise de conscience puis à la possi-
connu comme le chanteur star du L’ancienne juriste, qui se réclame disposé de majorité parlemen- tournées le titre de « UNlimited », bilité d’une action collective qui,
lors des “tournesols”, a fait reculer Tsai Ing-wen
le gouvernement. Or un tel résultat Favorite dans les sondages, la
« Si on dépend trop de la Chine, on sera comme Hongkong » a eu un impact : cela a débouché
sur l’émergence de partis comme le
candidate de l’opposition, 59 ans,
appartenant à l’ethnie hakka, a
NPP, qui est la formation qui a le été responsable des relations
à 47 ans, wu’er kaixi, l’un des leaders démocratie et la défendre ici même », décla- politique, Wu’er Kaixi est convaincu que la plus de succès et à laquelle la jeu- avec la Chine en 2000 lors de l’ar-
étudiants de Tiananmen en 1989, entre en re-t-il, ajoutant : « Toute menace contre la politique « d’apaisement » des démocraties nesse s’identifie le plus ». rivée au pouvoir de Chen Shui-
politique à Taïwan. M. Wu’er fait partie des démocratie à Taïwan est une menace contre occidentales envers la Chine est une erreur. A Taichung, troisième ville de bian, du Parti démocratique pro-
quelque 300 candidats qui concourent pour toutes les démocraties – et une menace di- Les scrutins présidentiel et législatif de sa- Taïwan, l’une des candidates du gressiste (DPP). Si elle est élue,
un siège au Parlement lors du scrutin, qui a recte contre la future démocratie en Chine. » medi doivent être considérés selon lui NPP, Hung Tzu-yung, 31 ans, est la elle sera la première femme à ac-
lieu en même temps que la présidentielle. Il comme un « référendum sur le degré de con- sœur d’un jeune appelé qui a suc- céder à la présidence à Taïwan.
le fait sur la liste d’un tout petit parti, la Coa- « Degré de confiance » fiance que Taïwan doit accorder à la Chine », combé à une punition un peu
lition fraternelle pour une réforme de la L’ancien militant, qui fut exfiltré en 1989 dit-il : « Si on devient trop dépendant, on sera trop spartiate en 2013. Des dizai-
Constitution, qui milite pour l’abaissement vers Hongkong puis vers la France, est ci- comme Hongkong. » nes de milliers de jeunes sont des-
du seuil des 5 % nécessaires à un parti pour toyen taïwanais depuis 2000 et éligible de- Lors du second mandat de Ma Ying-jeou, cendus dans les rues dans les
être représenté au Parlement et l’ouverture puis cinq ans. Il se décrit comme « de sang le président sortant, « les Taïwanais ont mois qui ont suivi pour réclamer
de la Cour suprême à des juges étrangers. ouïgour, citoyen chinois de naissance, et ci- compris que la Chine essayait de s’infiltrer à toute la lumière sur l’incident.
Cette mini-formation avait besoin d’une toyen taïwanais par choix ». Ce baptême du Taïwan, car Ma leur a fait bien trop con- Mlle Hung est devenue l’égérie
personnalité connue – et lui de s’engager feu en politique lui permet de faire passer à fiance ». Si elle est élue, il espère que Tsai du combat pour responsabiliser
en politique en non-aligné, explique-t-il Pékin un message : « La démocratie fonc- Ing-wen, la candidate de l’opposition, trou- des institutions comme l’armée Eric Chu
dans les locaux du parti à Taipei. « Il y a plu- tionne à Taïwan », malgré les efforts de la vera le bon équilibre dans sa gestion de la susceptibles d’être exemptes de Agé de 54 ans, l’ex-maire de Taipei
sieurs phases dans la vie », dit-il, soulignant propagande communiste pour la dénigrer. relation avec Pékin. Il craint cependant supervision citoyenne : « Je n’ai porte les couleurs du parti au
l’échec de ses tentatives répétées depuis « Les élections à Taïwan sont l’envie de beau- qu’elle ait « une attitude d’apaisement et jamais imaginé faire un jour de la pouvoir, le Kouomintang (KMT),
2009 de se livrer aux autorités chinoises coup de citoyens chinois et c’est bien qu’elles perde du terrain, en se mettant trop au ser- politique. Je pensais comme tout le qu’il préside depuis janvier 2015.
pour avoir « un dialogue dans un tribunal le soient », dit-il. vice des intérêts économiques ». p monde à ma vie, à mes projets, à En octobre, il a été désigné candi-
en Chine ». « Cette fois, je veux pratiquer la Connu à Taiwan comme commentateur b. pe. quel travail faire », dit-elle au dat à la place de Hung Hsiu-chu.
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SAMEDI 16 JANVIER 2016
Pékin au contact des rivalités du Proche-Orient
En tournée, le président Xi Jinping va devoir se livrer à un exercice d’équilibre entre l’Iran et l’Arabie saoudite
beyrouth, shanghaï -
correspondants
L
e président chinois, Xi
Jinping, s’apprête à mettre
le pied au Proche-Orient
pour la première fois de-
puis sa prise de fonction il y a trois
ans. M. Xi sera en Egypte du 20 au
22 janvier puis se rendra à Téhéran
le 23 janvier. Il devrait faire étape
en Arabie saoudite, une destina-
tion déjà envisagée au printemps
2015, mais Pékin avait alors préféré
décaler du fait de la crise au Yé-
men, par souci sécuritaire et pour
ne pas sembler approuver les frap-
pes saoudiennes, contraires au
principe de non-intervention
dans les affaires d’autrui, cher à la
diplomatie chinoise.
En amont, la Chine a publié,
mercredi 13 janvier, un document
de cadrage de sa politique arabe.
La République populaire y re-
prend sans surprise des axes déjà
bien connus : le développement
économique d’abord, fondé sur le
pragmatisme, mais aussi le res-
pect de la souveraineté territo-
riale et la non-ingérence, en oppo-
sition aux pratiques américaines.
Concrètement, l’homme fort de
Pékin va promouvoir son concept
phare de politique étrangère,
« une ceinture, une route », plus
communément connu sous l’ap-
pellation de nouvelles routes de la
soie, un ensemble d’initiatives
censées rapprocher la Chine du
reste de l’Asie et, au-delà, de l’Eu-
rope et de l’Afrique. La Chine est le
premier partenaire commercial
de l’Arabie saoudite – Pékin est
son premier client pétrolier –,
mais aussi de l’Iran, du fait des
sanctions occidentales.
Son rôle auprès de Riyad n’a
cessé de croître depuis quinze ans,
parallèlement au recul des livrai-
sons pétrolières saoudiennes aux
Etats-Unis, où se développait l’in-
dustrie du gaz de schiste. Le pivot
saoudien vers l’Extrême-Orient
s’apparente aussi à une réponse
aux « infidélités » de Washington,
Sur le Burundi, l’aveu d’impuissance des Nations unies
Dans une note confidentielle, l’ONU envisage la possibilité d’une guerre civile ou, pire, d’un génocide
L es Nations unies sont-elles
en mesure d’empêcher le
Burundi de basculer dans la
guerre civile ou pire, dans un gé-
nocide ? Non, si l’on en croit les
conclusions d’une note interne
qui aurait dû rester confiden-
tielle. Adressé aux membres du
Conseil de sécurité, le document
signé par Hervé Ladsous, le chef
du département des opérations
de maintien de la paix, et révélé
par le site Vice News, est un clair
aveu d’impuissance.
En 1994, l’ONU avait échoué à
protéger la minorité tutsi et les op-
posants hutu au Rwanda voisin.
Après cette tragédie qui souille en-
core son honneur, et les promes-
ses internationales qui ont suivi de
ne jamais permettre la commis-
sion d’un autre génocide, l’organi-
sation envisage, parmi trois scéna-
rios possibles pour le Burundi,
« des violences avec une claire di-
mension ethnique, avec une incita-
tion potentielle à commettre de
graves crimes tels que des crimes
contre l’humanité, des crimes de
guerre et un génocide ».
Médiation au point mort
Face à cette éventualité du pire, le
département des opérations de
maintien de la paix estime que
« sans moyens supplémentaires si-
gnificatifs que pourraient fournir
les Etats membres » afin de per-
mettre une intervention « en der-
nier recours » des casques bleus,
« l’ampleur des violences dépas-
partenaire historique, coupable
de leur point de vue de s’être dé-
sinvesti du dossier syrien et de se
rapprocher de l’Iran, leur grand ri-
val régional, avec lequel ils vien-
nent de rompre leurs relations di-
plomatiques, à la suite du saccage
de leur ambassade à Téhéran.
Le président chinois s’efforcera
de maintenir un équilibre entre
Riyad et Téhéran. Il devra réaffir-
mer les liens de l’empire du Milieu
avec l’Iran, à l’heure où l’accord
sur le programme nucléaire ira-
nien est synonyme de relatif ré-
chauffement des relations avec les
Etats-Unis et l’Europe. Par le passé,
les produits russes et chinois s’im-
posaient par défaut en Iran.
« Acteur marginal dans la région »
La méthode chinoise pour ne
froisser ni l’Arabie saoudite ni
l’Iran consiste à rester en retrait
des problèmes politiques. La
Chine avait proposé en 2012 un
plan de paix en quatre points sur
la Syrie, mais il restait suffisam-
ment vague pour éviter des épines
telles que le futur rôle de Bachar
Al-Assad. « La Chine se voit comme
un acteur marginal dans la région.
Elle peut continuer à appeler les
parties au dialogue mais ne pense
pas avoir la capacité de faire da-
vantage, ce qui ne serait désiré ni
par les Iraniens ni par les Saou-
diens. Elle n’est pas les Etats-Unis »,
résume Zha Daojiong, professeur
au Centre d’études internationa-
les de l’université de Pékin.
L’un des fruits de l’axe Pékin-
Riyad est la raffinerie de Yanbu,
sur la côte de la mer Rouge, entrée
en service il y a un an. Mais Pékin
veut montrer qu’il n’est pas inté-
ressé que par le pétrole. Des entre-
prises chinoises construisent la
ligne de chemin de fer Haramein,
reliant La Mecque à Médine via
Djedda. La Chine est aussi soup-
çonnée d’être un fournisseur de
l’armée saoudienne à qui elle
aurait vendu, en 2007, selon une
enquête de Newsweek, des missi-
les balistiques de moyenne portée.
Il faudrait
vingt-huit jours
pour préparer
le déploiement
d’une force
militaire
sera les capacités de protection des
Nations unies ».
Dans le cas d’un déploiement mi-
litaire qui, dans une première
phase, pourrait puiser dans les ef-
fectifs de la Mission des Nations
unies en République démocrati-
que du Congo (RDC), M. Ladsous
note qu’une force d’environ
4 000 hommes aura « des capaci-
tés très limitées pour stabiliser une
ville de 500 000 habitants [la capi-
tale, Bujumbura] dans un pays qui
en compte 10 millions. » Après le feu
vert du Conseil de sécurité, celle-ci
ne pourrait être opérationnelle
qu’après vingt-huit jours de prépa-
ration, un délai bien assez long
pour commettre des massacres de
grande ampleur, et ne pourrait sé-
curiser que « des infrastructures
stratégiques telles que l’aéroport et
les principales artères », et de n’ap-
porter « une protection aux popula-
tions civiles que dans une poignée
de quartiers de Bujumbura même
s’il est fort probable que les civils se-
ront menacés dans tout le pays ».
Autre écueil, selon le départe-
ment : les casques bleus, s’ils sont
international | 3
Le président Xi Jinping inaugure la 2e conférence internationale sur Internet, à Wuzhen, en décembre 2015. © ALY SONG/REUTERS
Les autorités saoudiennes appré- ser avait reconnu la République misme économique mais aussi
cient d’autant plus de commercer
Les Chinois populaire dès 1956 –, et elle ne s’est l’absence de commentaires sur le
avec Pékin que les Chinois se sont se sont toujours pas embarrassée depuis des « prin- bâillonnement de ses opposants.
toujours abstenus de s’immiscer temps arabes ». « La Chine a rapide- Pékin voit le marché égyptien
dans la politique de leur parte-
abstenus de ment reconnu Morsi puis a su aussi comme une porte d’entrée en
naire, contrairement aux Etats- s’immiscer dans vite basculer vers Sissi, qui lui Afrique. Durant son dernier pas-
Unis, qui critiquent à intervalles prouve que la démocratie n’est pas sage, en septembre 2015, le chef
réguliers les pratiques du royaume
la politique de faite pour la région, en contre-pied d’Etat égyptien a finalisé une série
en matière de droits de l’homme. leur partenaire à la position occidentale », dit Jean- de contrats, dont la construction
Inversement, les responsables Pierre Cabestan, politologue à d’une centrale électrique à Suez et
saoudiens, y compris religieux,
saoudien l’université baptiste de Hongkong. d’une ligne de chemin de fer entre
évitent de critiquer la répression En un an et demi de pouvoir, le Le Caire et sa banlieue. La venue de
dont la minorité musulmane maréchal-président Abel Fattah Xi Jinping pourrait déboucher sur
ouïgoure fait l’objet en Chine. diction faite aux musulmans du Al-Sissi, qui a succédé en juin 2014 la création d’une zone industrielle
Ce n’est pas toujours le cas en Xinjiang d’observer le ramadan. au président déchu Mohamed chinoise sur le canal de Suez,
Egypte. L’université Al-Azhar, la Pour autant, les relations entre les Morsi, s’est déjà rendu à deux re- élargi à grands frais par Le Caire. p
plus haute autorité de l’islam sun- deux pays sont, là aussi, en plein prises en Chine, un pays dont il ap- benjamin barthe
nite, avait dénoncé en 2015 l’inter- essor. L’amitié vient de loin – Nas- précie non seulement le dyna- et harold thibault
déployés, ne pourront remplir
pleinement leur mission de pro-
tection des civils « en l’absence
d’un cadre politique et du consen-
tement de la nation hôte ». A ce
tiers contestataires aurait fait
près de 200 morts. Progressive-
ment, le niveau de violence s’ac-
croît. Selon le Haut-Commissariat
de l’ONU pour les droits de
cours ne souffrant d’aucune am-
biguïté n’ont jusque-là pas été sui-
vies par la population, mais
l’équilibre entre majorité hutu et
minorité tutsi est fragile. Alors
Une délégation du Conseil de
sécurité des Nations unies est at-
tendue la semaine prochaine à
Bujumbura avec l’espoir de relan-
cer un dialogue au point mort.
jour, la médiation menée par l’homme, au moins 400 person- que le Rwanda soutient quasi Pour l’heure, les médiations de
l’Ouganda, censée ouvrir la voie à nes ont été tuées depuis le début ouvertement les embryons de ré- l’ONU se sont soldées par des
une solution négociée, n’a permis de la contestation populaire en bellions naissantes et que l’est de échecs. Deux de ses « facilita-
aucune avancée. « Seule la céré- avril 2015, dont environ 190 pour la RDC demeure un réservoir de teurs » ont été récusés. Le pre-
monie d’ouverture s’est tenue à En- les seuls mois de novembre et dé- milices constituées sur des bases mier par l’opposition, le second
tebbe. Pour l’instant, on ne peut cembre. Les tentatives du régime ethniques, le risque d’un embra- par le pouvoir. p
pas encore parler de dialogue », es- d’ethniciser la crise par des dis- sement régional est immense. cyril bensimon
time le chef de la diplomatie bu-
rundaise, Alain-Aimé Nyamitwe.
Hausse du niveau de violence
Quand à l’acceptation du déploie-
ment d’une force étrangère par
Bujumbura, celle-ci est loin d’être
acquise. Il y a un mois, l’Union
africaine avait voté le principe de
l’envoi d’une force, la Mission afri-
caine de prévention et de protec-
tion au Burundi, composée de
5 000 hommes, mais le président
Pierre Nkurunziza, dont la réélec-
tion en juillet 2015 à un troisième
mandat a replongé son pays dans
la crise, a opposé une fin de non-
recevoir à l’organisation panafri-
caine. « S’ils viennent (…), ils auront
attaqué le Burundi et chaque Bu-
rundais va se lever pour les com-
battre », a menacé le chef de l’Etat,
considérant qu’il n’y a pas de « bel-
ligérants au Burundi ».
Le 11 décembre 2015, le pouvoir 8O7A6 1H) ] 8O7A6 9) ] 8O7A6 >) ] =;43FO4 K 8O7A6 1&) ] 8O7A6 1>) ] O5CA6J?;=6 ] ICF37F46F ] I;AD=AY7F6 ] G;?46 I< IAO@B1/ 0 7;6=2 60L;A6
avait pourtant repoussé une of- CF7L@O2 0 ?;=5AD=2J@F6JI<B1/ ] ;7DF3O@ ] 6OA=5FJDF=F3AY3FJGF6JL;A6 ] 647F6=F6 ] 3O@ G.F47;8F I< IAO@ 0 6F77A6 ] 3F76OA@@F6<
fensive rebelle lancée sur plu- B1/
?-%-S#X 'T-X+$#SZ #X*ZU)X*-XR< @#SR) *)S !-%-S#XS 7W+$) LW,W#S *) ET-X+) U-TR#+#U-XR [ ".WUZT-R#WX SQT 111;9>*!'&+>+>E6;*>@
sieurs sites de la capitale. La ré- :0/"5205"3 ".%"82B:<<"??"3 ?"3 $B=)<%C"3 74 "2 -# A)</B"5;
pression qui a suivi dans les quar-
4 | international
Zbigniew Ziobro,
agent provocateur
du gouvernement
polonais
Le ministre de la justice s’apprête
à prendre le contrôle du parquet
PROFIL
varsovie - correspondance
S
a personnalité ne va sans
doute pas contribuer à
apaiser l’épreuve de force
qui s’engage entre Bruxel-
les et Varsovie. Zbigniew Ziobro a
une réputation de dur parmi les
durs, jusque dans les milieux con-
servateurs polonais. Son poste de
ministre de la justice – qu’il cou-
plera bientôt avec celui de procu-
reur général – est devenu en Polo-
gne le symbole d’un retour vers la
« quatrième République », celle de
« la révolution morale » que les frè-
res Kaczynski avaient tenté d’im-
poser sans succès entre 2005 et
2007. A cette époque, il cumulait
alors déjà les deux fonctions. Il a
échappé de peu au Tribunal d’Etat,
qui juge les ministres en fonc-
tions, pour ses actions d’alors.
Régulièrement accusé par l’op-
position d’abus de pouvoir, il s’est
rendu célèbre par ses happenings
médiatiques, ses mises sur écoute
d’opposants politiques, et par de
vastes « provocations aux pots-de-
Maison de la Radio I Paris I Studio 104
QUESTIONS DE PRIORITÉ
QUESTION DE
Perte d’autonomie :
quelles politiques,
quels inancements ?
Débat en présence
de Laurence Rossignol et Luc Ferry
vin » sur des membres gênants de
sa propre coalition. Il avait or-
donné en 2007 au Bureau central
anticorruption de remettre une va-
lise de billets à des proches du mi-
nistre de l’agriculture, Andrzej Lep-
per, du parti populiste Autodé-
fense. Cette action a entraîné le
renvoi de ce dernier, mais aussi la
chute de la coalition menée par les
frères Kaczynski. La lutte intransi-
geante contre la corruption et les
« systèmes de connivence » de la Po-
logne postcommuniste était ses
principaux chevaux de bataille.
Ses tendances autoritaires en ont
fait un épouvantail idéal, un de
ceux qui ont permis aux libéraux
de la Plateforme civique de se
maintenir huit ans.au pouvoir.
Fondateur en 2001 du parti Droit
et justice (PiS) aux côtés des frères
Kaczynski, il s’en est fait expulser
en 2011, considéré comme trop cri-
tique vis-à-vis du parti. Il monta
alors sa propre formation, La Polo-
gne solidaire, avant de revenir au
bercail, à l’aube de la campagne
présidentielle de 2015. Si l’union de
la droite opérée à ce moment a
8h30 – 14h
DIGNITÉ
Zbigniew
Ziobro
à Varsovie,
le 9 décembre
2015. KRYSTIAN
DOBUSZYNSKI/NURP
HOTO
contribué au succès électoral du
PiS, Jaroslaw Kaczynski a gardé en-
vers lui, depuis cette rupture, une
méfiance ouverte. Son bon score
aux législatives lui a cependant
permis de garder une position in-
contournable et de revenir en
force à son poste de prédilection.
Compétences inédites
Alors que le gouvernement polo-
nais fait son possible pour tenter
de minimiser le conflit avec
Bruxelles, M. Ziobro met de l’huile
sur le feu. Quelques jours avant
que la Commission européenne
ne se penche sur le cas polonais, il
envoyait une missive sans nuan-
INSCRIPTION
GRATUITE
ocirp.fr
ces à Günther Oettinger, le com-
missaire chargé des médias et du
numérique, qui, s’inquiétant de la
nouvelle loi sur les médias publics,
s’était prononcé pour une mise de
la Pologne sous « supervision ».
« Ce genre de mots, prononcés par
un politique allemand, réveille chez
les Polonais les pires connotations,
écrivait-il. Je suis le petit-fils d’un
officier, qui pendant la seconde
guerre mondiale, (…) a combattu la
“supervision allemande”. » Et le mi-
nistre d’accuser l’Allemagne
d’avoir pratiqué « une censure de
l’information sur les attaques de la
Saint-Sylvestre ». Les diplomates
allemands apprécieront.
T HAÏL AN D E
Début du procès de
l’ex-première ministre
Le procès de Yingluck
Shinawatra s’est ouvert ven-
dredi 15 janvier à Bangkok.
L’ancienne chef de gouverne-
ment risque dix ans de
prison. La junte militaire, qui
a pris le pouvoir en mai 2014,
est accusée de vouloir la
sortir du jeu politique avant
d’éventuelles élections
annoncées pour 2017.
Mme Shinawatra a été mise
en examen en février pour
négligence après avoir mis en
place un programme de sub-
vention du riz économique-
ment désastreux. – (AFP.)
SIER RA LEON E
Ebola : un décès suspect
Quelques heures après la pro-
clamation officielle de la fin
de l’épidémie en Afrique de
l’Ouest, la Sierra Leone a an-
noncé enquêter sur un décès
suspect d’Ebola, jeudi 14 jan-
vier. La déclaration par l’Orga-
nisation mondiale de la Santé
de l’arrêt de « toutes les chaî-
nes connues de transmission »
de la plus grave épidémie
d’Ebola avait été accueillie
avec soulagement mais pru-
dence. En deux ans, l’épidé-
mie a tué officiellement
11 315 personnes, essentielle-
ment en Guinée, au Liberia et
en Sierra Leone. – (AFP.)
BR ÉSIL
Plainte contre deux
compagnies minières
La police brésilienne a déposé
plainte contre les entreprises
Vale et Samarco pour crime
contre l’environnement, plus
de deux mois après une cou-
lée de boue qui a fait 17 morts
et 2 disparus. La rupture d’un
barrage, propriété de Samarco,
Vale et de BHP Billiton, le 5 no-
vembre, avait libéré une gi-
gantesque coulée de résidus
miniers qui a englouti un
village dans l’Etat de Minas
Gerais, tué des milliers d’ani-
maux et dévasté des zones
protégées. – (AFP.)
0123
SAMEDI 16 JANVIER 2016
La réforme du parquet dont il tous les procureurs qui ne passe-
est l’initiateur, en cours d’examen ront pas l’examen, qui ne veulent
par le Parlement, a été présentée pas combattre la criminalité et qui
comme une proposition de loi, tolèrent la mise d’affaires sous le
afin d’éviter toute consultation tapis », annonçait-il en décembre.
sociale. Zbigniew Ziobro a l’obses- A Varsovie, nombreux sont ceux
sion du temps, et la rapidité est qui redoutent que, couplées au
pour lui un gage d’efficacité. Le tempérament du ministre, ces
projet prévoit non seulement de prérogatives mettent le parquet
fusionner les postes de ministre au pas. D’autant plus que huit an-
de la justice et de procureur géné- nées dans l’opposition n’ont fait
ral, mais aussi de centraliser dans qu’accroître son goût de la revan-
ses mains des compétences inédi- che. En 2005, en prenant ses fonc-
tes. Il aura notamment le pouvoir tions de ministre, il déclarait
de révoquer et de nommer les déjà : « Les prisons polonaises sont
procureurs à sa guise, ce qui fait étroites, et elles le seront encore
d’ores et déjà craindre une politi- davantage. » p
que de purges. « Nous changerons jakub iwaniuk
L’HISTOIRE DU JOUR
« Sciences et avenir » montre
le Prophète, le Maroc censure
L’ information est venue de la rédaction de Sciences et ave-
nir, mensuel français de vulgarisation scientifique,
mardi 12 janvier : son hors-série, intitulé « Dieu et la
science », sorti en kiosque mi-décembre 2015, a été interdit au
Maroc par le ministère de la communication au motif qu’il por-
tait atteinte à l’image du Prophète. « Stupéfaction et tristesse », a
réagi Dominique Leglu, la directrice de la rédaction, dans une
lettre ouverte publiée ce mardi sur le site Internet du magazine.
A l’origine de cette décision : deux miniatures publiées en
pages 30 et 31 du hors-série et tirées d’une biographie ancienne
du prophète Mahomet. Interrogé par Le Monde, mercredi 13 jan-
vier, le ministre de la communication marocain, Mustapha -
El Khalfi, confirme une « non-autori-
sation de distribution » prise le 17 dé-
LES DEUX DESSINS cembre 2015. Le ministre explique se
baser sur l’article 29 de la loi maro-
DU PROPHÈTE SONT caine sur la presse (qui stipule que les
D’UN PEINTRE DU publications étrangères peuvent être
interdites, notamment pour atteinte
XVIE SIÈCLE QUI A LES à la religion islamique) et sur la réso-
lution 224-65 de l’ONU relative à la
HONNEURS DU MUSÉE lutte contre la diffamation des reli-
TOPKAPI, À ISTANBUL gions. Le magazine contient « une re-
production graphique de miniatures
qui représentent le Prophète d’une ma-
nière négative », avance Mustapha El Khalfi, qui évoque une
« provocation contre le sentiment religieux au Maroc ».
Dominique Leglu s’élève contre cette représentation. « Les
deux miniatures sont éminemment respectueuses », souligne-t-
elle, rappelant que les deux dessins ont été réalisés au XVIe siè-
cle par le célèbre calligraphe Lutfi Abdullah – dont l’œuvre est
notamment exposée au musée du palais Topkapi à Istanbul –
après une commande du sultan ottoman Mourad III.
« Le contenu n’est pas un problème »
Dans le hors-série visé, ils illustrent un cahier pédagogique sur
les textes sacrés. La première miniature montre Mahomet nou-
veau-né, présenté aux habitants de La Mecque. La deuxième
image est celle du Prophète – dont le visage a été gommé –
recevant la révélation par l’archange Gabriel sur le mont Hira.
Cette censure « nous semble d’autant plus inappropriée, pour-
suit Dominique Leglu, que la période actuelle réclame plus que
jamais une compréhension approfondie de la science, des cultu-
res et des croyances ». Le hors-série « Dieu et la science » est le
prolongement d’un colloque organisé début 2015 au collège des
Bernardins, à Paris, sur le même thème et auquel avaient parti-
cipé d’éminents scientifiques, philosophes et religieux. « Le
contenu n’est pas un problème, il est même très intéressant », re-
connaît Mustapha El Khalfi. Dominique Leglu, elle, ne masque
pas sa déception ni son incompréhension : « Un seul souci a pré-
sidé à ce travail : favoriser le dialogue à l’heure où les discours ex-
trémistes le détruisent. » p
charlotte bozonnet
0123
SAMEDI 16 JANVIER 2016 international | 5

Ted Cruz, l’ambitieux républicain à découvert

Le sénateur de 45 ans se positionne à droite de la droite républicaine et en grand rival de Donald Trump

washington - correspondant Fils d’un

D
eux alliés de circons-
tance luttant pour le
même poste finissent
toujours par en dé-
coudre. Cet instant est arrivé pour
Ted Cruz et Donald Trump et l’af-
frontement a eu pour théâtre le
sixième débat républicain de la
course à l’investiture républi-
caine pour l’élection présiden-
tielle du 8 novembre. Organisé
jeudi 14 janvier à North Charles-
ton, en Caroline du Sud, ce débat a
mis en évidence les ambitions
nouvelles du sénateur du Texas
longtemps masqué par la campa-
gne tonitruante du magnat de
l’immobilier.
Pendant des mois, M. Cruz,
45 ans, a ostensiblement ménagé
le milliardaire, 69 ans, grand per-
turbateur de la compétition répu-
blicaine. Quand, en septem-
bre 2015, certains s’inquiétaient
ouvertement des écarts de
M. Trump, le sénateur acceptait au
contraire de l’inviter et même de
se faire voler la vedette à un ras-
semblement en plein air organisé
à Washington, en septembre, de-
vant le Capitole, contre l’accord
nucléaire conclu avec l’Iran en
juillet. Lors des débats qui ont
suivi, M. Cruz s’est toujours gardé
de critiquer les saillies hasardeu-
ses ou polémiques du milliardaire.
« Born in the USA »
Au fur et à mesure de sa progres-
sion dans les intentions de vote,
Ted Cruz est cependant passé du
statut de comparse à celui de ri-
val, jusqu’à devenir une cible. La
vigueur de la frappe témoigne du
sérieux de la menace. Contre
M. Cruz, M. Trump utilise en effet
depuis quelques jours la même
arme que celle employée il y a
cinq ans pour tenter de déstabili-
ser le président démocrate Ba-
rack Obama : le poison du doute
sur son éligibilité. Depuis le
4 janvier, M. Trump évoque régu-
lièrement le lieu de naissance du
sénateur : Calgary, au Canada.
M. Cruz, a toujours fait valoir qu’il
était né américain du fait de la na-
tionalité de sa mère, alors que son
père avait émigré plus d’une dé-
cennie auparavant de Cuba. Son
adversaire ne cesse cependant de
s’interroger sur la querelle juridi-
que à laquelle cette naissance
pourrait donner lieu.
Parce que Donald Trump utilise
désormais dans ses réunions
Ted Cruz s’exprime lors d’un meeting de campagne, le 13 janvier, à Dorchester, en Caroline du Sud. SCOTT OLSON/AFP
En progressant
dans les
sondages, M. Cruz
est passé du statut
de comparse
de M. Trump
à celui de cible
électorales la chanson Born in The
USA, de Bruce Springsteen, Ted
Cruz a répliqué le 12 janvier en
suggérant de faire jouer plutôt
New York, New York, de Liza Mi-
nelli. « Donald est de New York, il
incarne les valeurs de New York »,
avait glissé, vipérin, le sénateur,
pour alimenter les interrogations
sur les lettres de créances conser-
vatrices du milliardaire. Les deux
hommes ont eu à répondre de
leurs attaques jeudi. Aucun ne
s’est dérobé. M. Cruz, a profité
jeudi, comme M. Trump, de l’at-
tention suscitée par leurs assauts
pour rabaisser les autres candi-
dats au rang de faire-valoir, à
commencer par le sénateur de
Floride, Marco Rubio.
M. Cruz a fait le choix de camper
sur une ligne politique d’une
clarté éblouissante : incarner
mieux que quiconque la droite de
la droite républicaine. « Il veut être
LE conservateur de la course à l’in-
vestiture », souligne William Gals-
ton, chroniqueur au Wall Street
Journal.
L’ancien étudiant de l’école de
droit de Harvard qui écumait les
concours d’éloquence tire une
analyse opposée à celle, conven-
tionnelle, de la direction républi-
caine à propos de la défaite es-
suyée lors de la présidentielle de
2012. Le candidat républicain Mitt
Romney a perdu, est convaincu
M. Cruz, non pas parce qu’il n’a
pas été capable de séduire au-delà
de sa base, mais au contraire
parce qu’il a découragé cette der-
nière en bradant les thèmes con-
servateurs pour mieux attirer les
électeurs plus modérés.
« born again »
devenu pasteur,
Ted Cruz fait
campagne
avec sa foi
en bandoulière
puissants dans l’Iowa, qui s’étaient
regroupés initialement derrière
Ben Carson, un membre de l’Eglise
adventiste du Septième Jour,
qu’une peinture exposée à son do-
micile met en scène en compa-
gnie d’une représentation de Jé-
sus. La campagne du neurochirur-
gien a implosé lorsque son impré-
paration est devenue trop criante.
Le sénateur du Texas compte
maintenant sur une embardée si-
milaire de M. Trump pour récupé-
rer son électorat populaire, majo-
ritairement blanc et non diplômé.
Frappes chirurgicales
Les différences entre les choix tac-
tiques des deux hommes sont évi-
dentes lorsque l’on examine
l’usage qu’ils font des réseaux so-
ciaux. Comme le pointe Mindy
Finn, ancienne stratège de George
W. Bush et de Mitt Romney, « Do-
nald Trump privilégie Twitter pour
s’imposer dans le cycle médiatique
Le sénateur considère que la vi- au discrédit qui frappe l’élite poli- et capter toute la lumière. Ted Cruz,
gueur de la révolte qui parcourt tique qui peuple la capitale fédé- lui, a compris mieux que les autres
la base du Parti républicain et qui rale américaine. l’intérêt des réseaux sociaux, à
a tout d’abord profité à M. Trump Ted Cruz a lancé le premier sa commencer par Facebook, pour ci-
valide sa thèse. Adepte au Con- campagne le 23 mars 2015 à la Li- bler et mobiliser sa base ». Le ma-
grès de la stratégie de la terre brû- berty University, bastion de la gnat de l’immobilier mise sur l’ef-
lée, le sénateur élu en 2012 s’est droite religieuse, fondée par un fet de souffle de ses bombes mé-
immédiatement illustré en étant baptiste sudiste, comme lui. Fils diatiques alors que le sénateur
à l’origine du shutdown (« ferme- d’un born again devenu pasteur, il multiplie les frappes chirurgicales.
ture ») du gouvernement en oc- fait campagne avec sa foi en ban- Marié à une responsable de
tobre 2013. Sa capacité à se faire doulière. C’est ce qui lui a permis Goldman Sachs en congé sabbati-
détester en un temps record par de récupérer le soutien des cou- que pour cause de campagne
ses pairs lui permet d’échapper rants religieux, particulièrement électorale, M. Cruz double ses ta-
lents d’organisateur par une ca-
pacité à lever les fonds qui en fai-
Passe d’armes sur le Canada et New York sait le deuxième candidat le
mieux doté à l’automne derrière
Lors du débat de jeudi, Ted Cruz a ironisé sur les doutes agités l’ancien gouverneur de Floride
par Donald Trump à propos de son hypothétique inéligibilité du Jeb Bush. Il observe en outre une
fait de sa naissance au Canada. « En septembre, mon ami Donald discipline qui l’a fait labourer
affirmait (…) que ce n’était pas un sujet. Depuis, la Constitution n’a l’Iowa plus qu’aucun autre favori,
pas changé, mais les chiffres des sondages, eux, ont évolué. » « Un sans négliger pour autant le New
énorme point d’interrogation pèse sur votre candidature, vous ne Hampshire, un Etat moins favo-
pouvez pas faire ça au parti », a rétorqué M. Trump. Invité à préci- rable aux conservateurs. Le
ser son évocation des « valeurs de New York », M. Cruz s’est montré franc-tireur est devenu chef
explicite : « Tout le monde sait qu’[elles] sont sociales-libérales, d’une véritable entreprise politi-
pro-avortement et pro-mariage gay ». « Propos insultants », a répli- que. Le marginal se bat désor-
qué M. Trump qui a ravivé le souvenir du 11-Septembre pour for- mais pour gagner. p
cer le sénateur à applaudir en hommage à la ville. gilles paris

Graffitis et attaques au bacon contre les musulmans aux Etats-Unis

Les responsables de l’islam américain, qui incriminent le climat de la campagne présidentielle, organisent une opération « mosquées ouvertes »

REPORTAGE ble à l’hostilité qui avait suivi les

san ramon (californie) -
envoyée spéciale
C e pourrait être un cabinet
médical ou une salle de fi-
tness. Au numéro 2232,
rien ne signale que le bâtiment de
plain-pied aux vitres teintées est
une mosquée : ni croissant, ni
étoile, ni inscription. Le centre is-
lamique de San Ramon, à 60 km
de San Francisco, compte plus de
500 fidèles, pour la plupart ingé-
nieurs, techniciens, médecins. Le
directeur, Noman Munif, est lui-
même cadre commercial chez
Google.
Depuis les attentats de Paris, le
13 novembre, et de San Bernar-
dino, le 2 décembre, le centre a de-
mandé à la police d’intensifier les
rondes sur le parking. A 50 km de
San Ramon, à Tracy, un engin in-
cendiaire a été lancé contre la
mosquée le soir de Noël. Pour
Imad Abboushi, l’un des imams
bénévoles de la mosquée, l’isla-
mophobie actuelle est compara-
attentats du 11 septembre 2001.
« Les gens nous interpellent cons-
tamment pour nous demander
pourquoi ces types font ce qu’ils
font, s’insurge-t-il. Mais il y a
1,8 milliard de musulmans dans le
monde ! C’est autant que toute la
population de la planète, il y a cent
ans. On ne peut pas nous deman-
der d’expliquer le comportement
de chacun ! »
Dans un rapport publié fin dé-
cembre, l’association Council on
American-Islamic Relations
(CAIR) a recensé 71 attaques con-
tre des institutions islamiques
en 2015 – dont 29 depuis le 13 no-
vembre –, un nombre record de-
puis 2009. L’inventaire va du
vandalisme (pavés dans les vi-
tres), aux menaces de représailles
(« On ne veut pas de vous ici. Re-
tournez dans le désert ! »), aux
graffitis peints sur les murs (« Ter-
roristes ») ou aux attaques au ba-
con, particulièrement en vogue.
Dans un supermarché de Floride,
un homme a jeté un paquet de
« On ne peut pas
nous demander
d’expliquer
le comportement
de chaque
musulman ! »
IMAD ABBOUSHI
imam de San Ramon
lard fumé dans le chariot d’une
cliente voilée en lui lançant :
« Joyeux Noël ! » A Las Vegas, les
poignées de porte de la mosquée
Masjid-e-Tawheed ont été endui-
tes de tranches de bacon. Le FBI a
offert 5 000 dollars (quelque
4 600 euros) de récompense pour
identifier l’offenseur.
Six jours après les attentats de
2001, George Bush était allé visi-
ter le centre islamique de
Washington pour y affirmer que
l’islam est « une religion de paix ».
Après les derniers attentats, seul
le candidat de la gauche du parti
démocrate, Bernie Sanders, s’est
risqué dans une mosquée. Les
responsables musulmans incri-
minent la campagne pour l’élec-
tion de novembre 2016, et la su-
renchère traditionnelle des pri-
maires républicaines. En 2010, le
débat s’était concentré sur la
construction d’une mosquée
près de Ground Zero, à New York.
Cette fois, ce sont les déclara-
tions de Donald Trump suggé-
rant d’interdire temporairement
l’entrée des musulmans sur le sol
américain qui ont fait sauter les
tabous. « Chaque élection donne
lieu à une vague islamophobe,
souligne Imad Abboushi. Après,
ça retombe. »
Mais le calendrier politique
n’explique pas tout. En 2001, les
pirates de l’air du 11-Septembre
venaient de l’extérieur du pays. A
San Bernardino, le terrorisme a
frappé de l’intérieur même d’une
banlieue américaine ordinaire. La
méfiance s’est installée. Halim,
un ingénieur qui préfère ne pas
être identifié, s’avoue mal à l’aise.
« Indirectement, je sens plus d’hos-
tilité qu’avant. » Au travail, quel-
que chose a changé quand il
s’isole pour la prière. Les regards,
des remarques. Comme beau-
coup, il incrimine les médias.
« Quand ce sont des chrétiens qui
commettent des attaques, on n’in-
siste pas sur leur religion. Avec les
musulmans, c’est toujours deux
poids deux mesures. »
« Ambassadeur du monde arabe »
Samir, 17 ans, a accompagné son
père à la mosquée. Depuis les at-
tentats, le lycéen a entendu « da-
vantage de blagues racistes », mais
il ne se formalise pas trop. « Les
gens me connaissent. Ils savent
bien que je suis pas du genre Daech
[acronyme arabe de l’organisa-
tion Etat islamique, EI]. » Ashraf,
son frère, s’amuse du rôle d’« am-
bassadeur du monde arabe entier
et de toute la religion musul-
mane » qu’il est obligé de jouer.
« Les gens me demandent com-
ment il est possible que je partage
la même foi que des gens qui tuent
des innocents. » A chaque fois, il
faut leur expliquer que les musul-
mans sont les premières victimes
de la barbarie de l’EI.
La mosquée de San Ramon a an-
noncé une opération « portes
ouvertes », samedi 16 janvier, à la
suite d’un appel national lancé le
21 décembre par les organisations
musulmanes. Par rapport à 2001,
la communauté est beaucoup
plus puissante et organisée. Le
lobby CAIR, fondé en 1994, pos-
sède maintenant 30 chapitres
dans le pays et emploie plus de
70 personnes. Sur les réseaux so-
ciaux, la contre-attaque a pris la
forme d’une pétition « Know your
Neighbour » (« Connaissez votre
voisin »), une initiative intercon-
fessionnelle lancée mi-décembre
à la Maison Blanche. Arme su-
prême, la participation aux élec-
tions. Les organisations islami-
ques entendent inscrire 1 million
de leurs fidèles sur les listes élec-
torales avant novembre. p
corine lesnes
6 | planète
Des archéologues exhument une Pompéi anglaise
Des constructions de l’âge du bronze ont été miraculeusement préservées par une couche épaisse de vase
L
e site Internet de la BBC l’a
déjà surnommée « la
Pompéi britannique ».
Cette emphase traduit
bien l’enthousiasme des cher-
cheurs qui travaillent sur le site ar-
chéologique de Must Farm, dans
l’est de l’Angleterre. Ainsi que le
résume David Gibson (Cambridge
Archaeological Unit), qui est res-
ponsable de ce chantier de
fouilles, « il s’agit simplement de la
construction en bois de l’âge du
bronze la plus complète qu’on ait
jamais découverte dans ce pays ».
Pour Duncan Wilson, directeur
général d’Historic England, la
commission des monuments his-
toriques version anglaise qui co-
finance les fouilles de Must Farm,
« le site est d’une importance inter-
nationale et sa mise au jour va réel-
lement transformer notre compré-
hension de cette période ».
Le rapprochement avec Pompéi
est dû à l’excellent état de conser-
vation de ce site datant de près de
trois millénaires, ce qui corres-
pond à la fin de l’âge du bronze
dans cette région du monde. Si
l’endroit s’est transformé en « une
extraordinaire capsule tempo-
relle », pour reprendre l’expres-
sion de Duncan Wilson, c’est dû à
un concours de circonstances non
moins extraordinaire. Remon-
tons trente siècles en arrière. A
l’époque coule ici une rivière – qui
a changé de cours depuis – large
d’une cinquantaine de mètres.
C’est au milieu de cette rivière que
s’est installée une communauté
de quelques dizaines de person-
nes en construisant une plate-
forme sur pilotis sur laquelle s’élè-
vent quelques maisons de bois.
Comme à Pompéi, mais dans
des proportions nettement
moindres, une catastrophe va dé-
truire ce site tout en contribuant à
le préserver pour les générations
futures : la plate-forme prend feu,
ce qui précipite les maisons dans
la rivière. Leurs décombres cou-
lent au fond du cours d’eau, où ils
sont rapidement ensevelis sous
de la vase, ce qui va les protéger
des outrages du temps.
En Oklahoma, le gaz de schiste provoque des séismes à répétition
Sont en cause la multiplication des sites de forage et les énormes volumes d’eau injectés dans le sol par la fracturation hydraulique
P our les habitants de l’Okla-
homa, c’est presque de-
venu une routine. La terre
tremble régulièrement. Le 6 jan-
vier, deux séismes d’une magni-
tude de 4,7 et 4,8 ont secoué la ré-
gion septentrionale de cet Etat du
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avec
Au fil des siècles, une très
épaisse couche de sédiments re-
couvre le lieu, au point que, de l’ex-
térieur, rien ne laisse soupçonner
ce qui se trouve caché dessous. Il
faut attendre la fin du XXe siècle
pour que le passé remonte à la sur-
face : une carrière toute proche ex-
ploite l’argile locale pour fabri-
quer des briques et retire une par-
tie des sédiments. Apparaissent
alors des morceaux de bois.
Des sondages permettent, au
cours des années suivantes, de
comprendre que Must Farm cons-
titue un site archéologique de pre-
mière importance. Deux premiè-
res campagnes ont déjà eu lieu
depuis 2004, qui ont permis de re-
trouver de l’armement et de ma-
gnifiques pirogues gravées. Res-
tait à s’attaquer aux habitations,
ce qui est chose faite depuis sep-
tembre 2015, date à laquelle ont
commencé les fouilles actuelles,
qui dureront huit mois.
Recettes de cuisine
Les vestiges de la première cons-
truction, une maison ronde à toit
conique, viennent de sortir de la
glaise. D’ordinaire, les demeures
de l’âge du bronze sont des habi-
tations « fantômes », en ce sens
qu’on ne retrouve en général pas
de bois, qui s’est décomposé, mais
uniquement des trous laissés
dans le sol par les poteaux por-
teurs… Ici, grâce à la vase, le bois a
été conservé et les poteaux sont
toujours dans leurs trous !
Archéologue à l’Institut natio-
nal de recherches archéologiques
préventives (Inrap) et spécialiste
de l’âge du bronze, Cyril Marci-
gny connaît une partie des équi-
pes de Must Farm et suit leurs tra-
vaux depuis des années : « Ce qui
est exceptionnel ici, explique-t-il,
c’est bien d’avoir les éléments du
bâtiment. En Angleterre et dans
l’ouest de la France, on recense des
centaines et des centaines de ces
bâtiments circulaires grâce aux
trous de poteaux, mais on n’a pas
d’idée exacte de la manière dont
ils ont été construits en élévation :
quand les chercheurs britanni-
centre des Etats-Unis. Les dégâts
ont été mineurs mais ont néan-
moins alerté les autorités locales.
L’une des secousses, au début
d’octobre 2015, a eu lieu à proxi-
mité de la ville de Cushing, qui
abrite un énorme complexe de
Des vestiges d’une maison de l’âge du bronze, sur le site de Must Farm, dans l’est de l’Angleterre, le 12 janvier. PETER NICHOLLS/REUTERS
ques auront démonté le mikado
qu’ils ont trouvé – tout doucement
pour comprendre les liens entre
les éléments –, on pourra proposer
une reconstitution en 3D valide de
la maison. Et en prime, on aura
une idée du fonctionnement à
l’intérieur ! »
C’est en effet à une plongée dans
le quotidien d’un monde disparu
que nous invite le site de Must
Farm. Les éléments de vaisselle
sont là et, dans la précipitation due
à l’incendie, certains ont été aban-
donnés encore pleins. Même si le
feu a brûlé la nourriture, il n’est
pas interdit de se dire que l’on
pourra aussi reconstituer les recet-
tes de cuisine de l’âge du bronze…
stockage de brut contenant jus-
qu’à 60 millions de barils d’or
noir et considéré comme une
infrastructure stratégique natio-
nale. En 2015, l’Oklahoma a re-
censé plus de 900 tremblements
de terre d’une magnitude proche
de 3, soit deux et demi par jour.
Pression des sociétés pétrolières
Pour 2016, les prévisions ne sont
pas meilleures. Selon le National
Earthquake Information Center de
Golden (Colorado), la barre des
mille séismes devrait être fran-
chie. La région centrale du pays
n’avait enregistré que 21 séismes
de magnitude 3 et plus entre 1973
et 2008. Depuis 2008, l’augmenta-
tion du nombre de tremblements
de terre est exponentielle. La cause
de cette forte activité sismique est,
à en croire une majorité de scienti-
fiques, la fracturation hydraulique
des formations de gaz et pétrole de
schiste et la multiplication des
sites de forage – même si, en 2011,
des failles parcourant l’Etat du
nord-est au sud-ouest ont été à
l’origine du plus puissant séisme
que l’Etat ait connu (5,7).
Depuis 2008, l’Oklahoma, à
l’image des Etats-Unis, connaît un
boom pétrolier grâce à la révolu-
tion de l’hydrofracturation. Il a
grandement bénéficié des retom-
bées fiscales, même si aujourd’hui
il souffre du bas prix du baril de pé-
trole. Le secteur pétrolier repré-
« Ce qui est
exceptionnel
ici, c’est d’avoir
les éléments
du bâtiment »
CYRIL MARCIGNY
archéologue à l’Inrap
On découvre également des texti-
les tissés en fibres végétales, dont
très peu d’exemples de l’époque
sont connus en Europe, ainsi que
des outils et des armes en bronze
(faucilles, épées, pointes de lance,
etc.). Ainsi que le résume joliment
sente 20 % des emplois de l’Etat et
deux tiers des emplois créés
depuis 2010 lui sont attribuables.
La fracturation hydraulique des
schistes s’accompagne toutefois
d’effets secondaires. Des volumes
considérables d’eaux usées et de
produits chimiques utilisés pour
les forages sont réinjectés dans les
formations de schiste, car pour
l’heure l’industrie n’a pas trouvé
d’alternative à ces dépôts « sauva-
ges ». Entre 2009 et 2014, les volu-
mes utilisés dans la région, en
particulier dans la formation de
schiste du Precambrian Base-
ment Rock, ont augmenté de
140 %, selon l’International Busi-
ness Times, passant de 68 mil-
liards à 162 milliards de litres.
Pour les sismologues, cela ne
fait aucun doute, la fracturation
hydraulique, qui nécessite parfois
dix barils d’eau pour chaque baril
de pétrole produit, est directe-
ment en cause. Les volumes d’eau
injectés peuvent avoir pour effet
de soulever des plaques près de
failles au lieu de les rapprocher,
explique le US Geological Survey.
Les autorités politiques ont été
très lentes à réagir. La gouver-
neure de l’Etat, la républicaine
Mary Fallin, a tout d’abord nié le
problème avant de se rendre à
l’évidence au vu du nombre crois-
sant de preuves scientifiques.
Selon Bloomberg, l’Oklahoma
Geological Survey, une instance
Cyril Marcigny, « jusqu’ici on
n’avait que le plan des maisons.
Pour la première fois, on pourra
mettre de la vie sur ce plan ».
En même temps que les objets
sortent de terre émergent bien
des questions. Qui était cette
communauté qui semble opu-
lente, bien équipée et bien nour-
rie, d’après les restes animaux
trouvés sur place ? Tirait-elle une
partie de sa richesse du contrôle
de la rivière, ainsi que les archéo-
logues britanniques en font l’hy-
pothèse ? Avait-elle des échanges
avec le reste de l’Europe ? A cette
dernière question, certains élé-
ments permettent déjà de répon-
dre oui. « Les céramiques ressem-
scientifique, a subi des pressions
de la part des sociétés pétrolières
pour ne pas établir de liens entre
l’hydrofracturation et les séismes
et a longtemps affirmé que les se-
cousses étaient un phénomène
naturel. Le régulateur du secteur,
l’Oklahoma Corporation Com-
mission, n’a pas fait preuve d’une
grande indépendance non plus,
se contentant de réduire le nom-
bre de nouveaux puits de forage
pour répondre à une montée de la
colère de la population.
Le régulateur et la gouverneure
se sont souvent renvoyé la balle.
Puis, le régulateur a fini par inviter
les sociétés pétrolières à réduire
sur une base volontaire les volu-
mes d’eau réinjectés dans le sol,
tandis que l’Oklahoma Geological
Survey a reconnu que la fractura-
tion hydraulique était « très proba-
blement » la cause des séismes.
Cité par le New York Times, Daniel
Mnamara, géophysicien au Natio-
Le secteur
pétrolier
représente 20 %
des emplois de
l’Etat et deux tiers
des emplois créés
depuis 2010
0123
SAMEDI 16 JANVIER 2016
blent beaucoup à celles qu’on
trouve à la même époque dans le
nord de la France et en Belgique,
dit Cyril Marcigny. Mais il faudra
effectuer une analyse de pâte pour
savoir s’il s’agit de céramiques im-
portées ou de copies. On a aussi
des perles de verre bleues qui rap-
pellent ce qu’on connaît dans les
Balkans. »
Elles pourraient même venir de
beaucoup plus loin : en 2014,
l’analyse de perles analogues,
bleues aussi, retrouvées au Dane-
mark dans la tombe d’une femme
de l’âge du bronze, avait montré
que ces éléments de parure
étaient originaires… d’Egypte. p
pierre barthélémy
nal Earthquake Information Cen-
ter, est catégorique quant aux ris-
ques futurs : « Il y a une forte chance
que l’Oklahoma soit confronté à
une forte secousse. » Les spécialis-
tes pensent en particulier à la faille
Edmond, longue de 20 km. Pour
l’Etat et plus largement pour les
Etats-Unis, les conséquences pour-
raient être considérables. Si le com-
plexe de stockage de brut de
Cushing devait être endommagé
au même titre que le vaste réseau
d’oléoducs, c’est toute la chaîne
d’approvisionnement du pétrole
qui pourrait être perturbée.
Les grandes citernes de cette pe-
tite ville de l’Oklahoma servent à
stocker le pétrole en provenance
de la formation géologique des
Bakken, dans le Dakota du Nord,
avant qu’il ne soit acheminé vers
les raffineries installées le long du
golfe du Mexique. Récemment,
l’Oklahoma Corporation Commis-
sion a tout de même exigé que plu-
sieurs puits dans un rayon de dix
kilomètres autour du complexe de
Cushing soient fermés.
L’Oklahoma n’est pas le seul Etat
touché par des séismes induits
par l’activité pétrolière et gazière.
La Californie, le Dakota du Nord
ainsi que le Texas connaissent le
même type de phénomène. Dans
certaines régions du Texas, des
pétitions demandant l’arrêt du
« fracking » ont été signées. p
stéphane bussard (« le temps »)
0123
SAMEDI 16 JANVIER 2016 france | 7

Chakib Akrouh,
identifié par une caméra
Après l’assaut contre de surveillance
l’appartement à la station de métro
de Saint-Denis Nation, le 13 novembre
où s’étaient réfugiés 2015, à 22 h 26. DR
plusieurs terroristes,
dont Chakib Akrouh,
le 18 novembre.
JOËL SAGET/AFP

Chakib Akrouh, huitième tueur des attentats

Le Belgo-Marocain de 25 ans a pris part aux attaques du 13 novembre avant de se faire exploser à Saint-Denis

suite de la première page était accompagné du bras droit du

L’hypothèse qu’il ait pu, tout
comme Abdelhamid Abaaoud, le
coordinateur des attentats du
13 novembre, effectuer plusieurs
allées et venues entre la Syrie et la
Belgique, interroge sur la qualité
de la surveillance dont il était l’ob-
jet. Une liberté de mouvement
d’autant plus surprenante qu’il
était visé, selon les informations
du Monde, par un mandat d’arrêt
international depuis le 28 mai
2014 et avait été radié trois mois
plus tard des registres commu-
naux de Molenbeek, le quartier de
Bruxelles où il résidait.
En juillet 2015, Chakib Akrouh a
été condamné en son absence à
cinq ans de prison lors du premier
grand procès de filière djihadiste
syrienne jugé en Belgique : le dos-
sier dit « Zerkani », du nom d’un
des plus importants recruteurs de
djihadistes belges de ces derniè-
res années. Tout comme la majo-
rité des trente-deux prévenus,
parmi lesquels Abdelhamid
Abaaoud, un des membres de la
filière, Chakib Akrouh ne s’était
pas présenté à l’audience.
Délinquance de basse intensité
Durant ce procès hors norme ont
été résumés tous les excès du
nouveau djihadisme franco-
belge. Vols à l’étalage, cambriola-
ges, braquages : les débats ont mis
au jour une délinquance de basse
intensité, exclusivement destinée
à financer les départs. Un grand
nombre de prévenus avaient ef-
fectué au moins deux allers-re-
tours en Syrie. Selon les termes du
jugement, certains ont même en-
chaîné de manière « incessante »
les courts séjours entre Turquie,
Syrie et Belgique.
A l’audience, Chakib Akrouh n’a
pas été spécifiquement désigné
comme le plus actif de ces pèle-
rins du djihad. Mais plusieurs élé-
ments laissent à penser qu’il a lui
aussi profité des faiblesses des
services de police. Des témoins
l’ont aperçu à l’aéroport de
Bruxelles, le 4 janvier 2013, muni
d’un aller simple pour Istanbul. Il
recruteur Khalid Zerkani, un cer-
tain Gelel Attar, dont les enquê-
teurs ont établi qu’il avait parti-
cipé à des combats lors de ce sé-
jour en Syrie. A l’occasion d’une
perquisition au domicile de
Chakib Akrouh, en avril 2013, la
police belge retrouvera un testa-
ment manuscrit, attestant de son
probable départ.
Sa présence en Syrie sera égale-
ment établie par un virement ban-
caire et des photographies sur les-
quelles il pose, le 22 février 2013,
un fusil d’assaut à la main. Il aurait
alors combattu dans les rangs de
la katiba « Al-muhajirin » (littéra-
lement « des immigrés » en arabe)
de l’Etat islamique en Irak et au Le-
vant (EIIL). Un prévenu racontera
aux enquêteurs qu’il a eu des
échanges en décembre 2013 sur
Skype avec Chakib Akrouh : « Je de-
mandais des nouvelles de là-bas,
en Syrie. Lui [Chakib Akrouh] com-
battait .» Selon la justice française,
Chakib Akrouh est parti au moins
une deuxième fois en Syrie, début
janvier 2015, quelques jours avant
le démantèlement de la cellule ter-
roriste de Verviers, en Belgique,
déjà pilotée par Abdelhamid
Abaaoud, dont il était proche.
Lorsqu’il vivait en Belgique,
Chakib Akrouh se rendait à la
mosquée Loqman, à Molenbeek,
également fréquentée par Ayoub
El-Khazzani, l’auteur de l’attaque
partiellement ratée du Thalys
Amsterdam-Paris, en août 2015,
un dossier sur lequel plane encore
l’ombre d’Abaaoud. Lieu de culte
informel aux locaux non agréés,
cette mosquée était dans le viseur
de la mairie de Molenbeek.
Chakib Akrouh
est soupçonné
de s’être rendu
en Syrie
à deux reprises,
en janvier 2013
et janvier 2015
Malgré son signalement dans la
documentation spécialisée des
services belges, le profil généti-
que de Chakib Akrouh ne figurait
dans aucun fichier de police. En
dépit de plusieurs traces d’ADN
relevées sur les scènes de crime,
son identification aura pris près
de deux mois. C’est uniquement
grâce à la capture d’écran d’une
caméra de vidéosurveillance de la
RATP que les enquêteurs ont pu
remonter jusqu’à son probable
état civil. Son identification for-
melle a finalement été confirmée
jeudi par la comparaison entre
l’ADN prélevé sur son cadavre
après l’assaut du RAID et celui de
sa mère, avec un taux de certitude
de 99,998 %.
Chakib Akrouh est soupçonné
d’être le dernier membre du com-
mando des terrasses parisiennes.
Le soir du 13 novembre, trois
hommes embarquent à bord
d’une Seat pour une virée meur-
trière : ils abattent 39 personnes
attablées à des terrasses de café de
l’est de la capitale. Peu après le
massacre, la voiture dépose l’un
des tireurs, Brahim Abdeslam,
devant le Comptoir Voltaire, où il
se fera exploser quelques minutes
plus tard. Le véhicule reprend sa
route avec à son bord Abdelhamid
Abaaoud et un autre homme.
Les deux tueurs abandonnent
leur véhicule à Montreuil (Seine-
Saint-Denis) vers 21 h 50. Dans
l’habitacle, les enquêteurs retrou-
veront trois kalachnikovs. Sur
l’une, ils relèvent l’ADN de Chakib
Akrouh. Son profil génétique ne
correspondant à aucun fichier, il
n’est pas identifié. Après l’aban-
don de leur voiture, les deux
hommes s’engouffrent dans une
bouche de métro, direction Paris.
C’est dans les couloirs des stations
Croix-de-Chavaux et Nation que
la vidéosurveillance de la RATP
enregistre leur trajet, et surtout
leurs visages.
Les photos tirées de ces vidéos
seront comparées à différents
fichiers de police. Le visage du
mystérieux accompagnateur
d’Abaaoud ressemble fortement à
celui d’un djihadiste figurant sur
Avec Abdelhamid
Abaaoud, ils
élisent domicile
sur un talus
en contrebas
de l’A86 après
les attentats
les planches photographiques des
services antiterroristes belges :
Chakib Akrouh. Les enquêteurs
procèdent alors à une comparai-
son génétique avec l’ADN de sa
mère, qui permettra, après plu-
sieurs semaines, de l’identifier
avec une quasi-certitude.
Abdelhamid Abaaoud et son
complice sortent du métro. Leur
téléphone est localisé à 00 h 28 rue
Saint-Ambroise, à deux pas du
Bataclan, où la BRI vient de don-
ner l’assaut. Ils se rendent ensuite
à Aubervilliers (Seine-Saint-De-
nis), où leur téléphone est localisé
à 00 h 44. Durant ce laps de temps,
les deux hommes sont en contact
permanent avec une ligne locali-
sée en Belgique, qui semble avoir
coordonné les attaques à distance.
C’est à Aubervilliers qu’ils éli-
ront domicile, sur un talus en
contrebas de l’A86, pour les quatre
prochaines nuits. Les policiers
chargés d’inspecter quelques
jours plus tard ce « buisson cons-
piratif » en dresseront la descrip-
tion suivante : un « igloo végétal »
dans lequel ils découvrent des
restes alimentaires ainsi qu’un
matelas en mousse et « un sem-
blant de tête de lit résultant d’un
bricolage ».
Entre le 14 et le 17 novembre,
Abdelhamid Abaaoud et Chakib
Akrouh multiplient les contacts
téléphoniques avec un interlocu-
teur localisé en Belgique, chargé
de leur trouver une nouvelle plan-
que. Cet homme n’a pas encore
été identifié. Mais les enquêteurs
savent qu’il voyage sous la fausse
identité de Samir Bouzid et a été
contrôlé le 9 septembre à la fron-
tière austro-hongroise en compa-
gnie de Salah Abdeslam, un des
auteurs des attentats de Paris.
Pendant ces trois jours dans leur
refuge, l’un des deux tueurs, sans
doute Chakib Akrouh, le moins
connu des deux, s’autorise plu-
sieurs incursions dans le 18e ar-
rondissement et près des Buttes-
Chaumont, endroits où un de
leurs téléphones a été localisé.
« Buisson conspiratif »
Aidés par la cousine d’Abaaoud,
Hasna Aït Boulahcen, les deux
complices finissent par trouver
un repère dans un appartement
de la rue du Corbillon, à Saint-De-
nis, généreusement mis à dispo-
sition par un certain Jawad Ben-
daoud, qui sera quelques jours
plus tard interpellé en direct de-
vant les caméras de BFMTV. Se-
lon les confidences d’Abaaoud,
c’est depuis ce repère qu’ils en-
tendaient préparer le dernier
acte des attentats de Paris : deux
attaques dans un centre com-
mercial de la Défense et dans un
commissariat, prévues pour le
19 novembre.
Alertés par un témoin, les poli-
ciers mettent en place une filature
sur Hasna Aït Boulahcen et instal-
lent des caméras de surveillance
en face du « buisson conspiratif ».
Abdelhamid Abaaoud et Chakib
Akrouh l’ignorent, mais chacun
de leurs faits et gestes est épié, et
certaines de leurs conversations
téléphoniques interceptées.
Le 17 novembre, à 22 h 28, une
caméra de la vidéosurveillance
montre Hasna Aït Boulahcen
accompagnée d’Abdelhamid
Abaaoud et de Chakib Akrouh,
porteur d’une casquette du PSG,
se présentant devant l’entrée de
l’immeuble de la rue du Cor-
billon. Vers 4 h 20, le lendemain
matin, le RAID lance l’assaut.
Noyé sous un déluge de tirs de sa-
turation, Chakib Akrouh finit par
déclencher sa ceinture explosive,
provoquant la mort d’Abaaoud et
de sa cousine, qu’aucune balle du
RAID n’aura touchés durant
l’assaut. p
élise vincent
et soren seelow
TROIS ÉQUIPES
Les attaques du 13 novem-
bre 2015 à Paris et Saint-Denis,
qui ont fait 130 morts, étaient
menées par trois équipes.
STADE DE FRANCE
Deux des trois kamikazes qui se
sont fait exploser près du stade
en ce soir de match, porteurs
de faux passeports syriens, n’ont
pas été identifiés. Le troisième
est le Français Bilal Hadfi. Des
traces ADN du Français Salah
Abdeslam, toujours en fuite,
ont été détectées dans la voiture
qui a amené les kamikazes.
TERRASSES DE CAFÉ
L’équipe qui a mitraillé les
terrasses de plusieurs cafés et
restaurants des 10e et 11e arron-
dissements de Paris était consti-
tuée du Belgo-Marocain
Abdelhamid Abaaoud, probable
coordinateur des attaques,
du Français Brahim Abdeslam,
et, très probablement,
du Belgo-Marocain Chakib
Akrouh, identifié jeudi 14 no-
vembre. Abaaoud et Akrouh
sont morts dans l’assaut contre
l’appartement de Saint-Denis,
Abdeslam s’est fait exploser
dans un café du Boulevard Vol-
taire, sans faire d’autre victime.
BATACLAN
Les trois terroristes qui sont
morts après avoir commis le
massacre parmi les spectateurs
d’un concert de rock au Bataclan
sont les Français Samy Amimour,
Ismaël Mostefaï et Foued
Mohamed-Aggad.
8 | france 0123
SAMEDI 16 JANVIER 2016

Lois antiterroristes : le cri d’alarme des juges

Lors de la rentrée solennelle de la Cour de cassation, les magistrats ont déploré une mise à l’écart de la justice

S
ous les ors de la Cour de
cassation et les capes de
fourrure de rentrée so-
lennelle, le verbe reste né-
cessairement policé. Le cri
d’alarme lancé jeudi 14 janvier
par les deux plus hauts magis-
trats de France, Bertrand Louvel,
premier président de la Cour, et
Jean-Claude Marin, procureur gé-
néral près la Cour, n’en prend que
plus de force. Ils s’inquiètent de la
place laissée à la justice par le
gouvernement.
Bien sûr, il y a l’état d’urgence.
Mais il y a plus. Après la loi rensei-
gnement votée à la veille de l’été et
la loi sur l’état d’urgence du 20 no-
vembre, les intentions du gouver-
nement dans son projet de loi sur
le crime organisé et la procédure
pénale semblent marquées par la
défiance. « Quelles défaillances ou
quels risques l’autorité judiciaire
présente-t-elle, qui justifieraient
que l’Etat préfère l’éviter lorsqu’il
s’agit de la défense de ses intérêts
supérieurs ? », a interrogé M. Lou-
vel dans son discours, prononcé
sous les yeux de Claude Barto-
lone, président de l’Assemblée na-
tionale, et de Christiane Taubira,
ministre de la justice. « Gouverne- Christiane
ment, Parlement, Conseil constitu- Taubira,
tionnel ont convergé pour ne pas jeudi 14 janvier,
désigner le juge dans ces lois récen- lors de la rentrée
tes », a-t-il constaté. solennelle de la
Cour de cassation,
Deux discours « courageux » à Paris. CHARLES
Habile, M. Louvel souligne que PLATIAU/REUTERS
c’est d’abord à la justice de s’inter-
roger et éventuellement de se re-
mettre en question, mais il en ap-
pelle néanmoins à un débat de parence d’une réponse appropriée dence de Nicolas Sarkozy, en est ques et chronophages » que la La présidente de l’USM voit dans
société : « Pourquoi la justice est- aux périls qui nous guettent. Or, la pour ses frais. chancellerie impose. Le procu-
Plusieurs ces nuances l’une des motiva-
elle ainsi évitée ? » petite musique de notre justice ju- Virginie Duval, présidente de reur général près la Cour de Cassa- tribunaux tions du projet de loi. « Le judi-
M. Marin, peu enclin aux rébel- diciaire, si essentielle à l’existence l’Union syndicale des magistrats tion ne s’est pas privé, jeudi, de ciaire ne fait pas ce qu’on veut,
lions, n’a pas été en reste dans son même de notre état de droit, appa- (USM), le syndicat majoritaire, rappeler que « nos procureurs sont
ont récemment donc on va le faire nous-mêmes »,
allocution de rentrée. « Face aux raît parfois bien peu audible souligne le « courage » de ces quatre fois moins nombreux que annoncé devoir décrypte-t-elle au sujet des mesu-
défis et aux enjeux des temps pré- quand résonnent les coups donnés deux discours qui « posent les dans la moyenne des pays euro- res d’assignation à résidence et de
sents, il peut être une tentation, à la démocratie ». François Hol- bonnes questions ». Même réac- péens, ont des compétences plus
réduire contrôle administratif que les
une facilité et, pourquoi pas, pour lande, qui pouvait se targuer tion du côté du Syndicat de la ma- vastes et sont moins rémunérés ». le nombre des préfets pourront décider, hors
certains, une opportunité de modi- d’avoir restauré, avec les gouver- gistrature (à gauche). Clarisse Ta- Au moment où le gouverne- état d’urgence, à l’encontre des
fier notre ordre juridique par des nements Ayrault et Valls, la di- ron, sa nouvelle présidente, se ré- ment a commencé la consulta-
audiences, faute personnes de retour de Syrie ou
réformes qui n’auraient que l’ap- gnité des juges après la prési- jouit de ce rappel sur « la nécessité tion sur le prochain projet de loi de magistrats ayant l’intention de s’y rendre,
du judiciaire comme garant des li- destiné à renforcer les moyens de sans qu’il y ait matière à poursui-
bertés ». « On entend souvent des la police et des parquets dans la tes judiciaires.
Premières annulations de perquisitions discours hors sol et éloignés de nos lutte contre le crime organisé et le Une nouvelle fois, il s’est inquiété Le syndicat FO Magistrats dé-
préoccupations, ce n’était pas le terrorisme, ainsi qu’à renforcer des « nuances d’appréciation » qui nonce pour sa part « une stratégie
La chambre des comparutions immédiates du tribunal correction- cas ce matin. » les garanties des justiciables dans peuvent surgir avec le Conseil délibérée de poursuivre une entre-
nel de Grenoble, présidée par la présidente du TGI, a jugé illégales, Cette inquiétude institution- la procédure pénale, le président d’Etat, l’institution faîtière de l’or- prise de marginalisation des juges
mercredi 13 janvier, trois perquisitions. Il s’agit des premières annu- nelle se manifeste après une série de la haute cour bat en brèche dre administratif, en particulier d’instruction, des parquets et des
lations depuis l’instauration de l’état d’urgence. Les ordres de per- d’alertes sur les moyens dévolus à toute idée de gouvernement des sur « la définition du périmètre et juges de l’application des peines en-
quisition signés par le préfet de l’Isère mentionnaient les adresses, la justice. Plusieurs tribunaux ont juges. « Le chiffon rouge du gou- de l’étendue de la liberté indivi- gagée depuis plusieurs années, en
à Grenoble et Echirolles, mais pas les noms des personnes visées. récemment annoncé devoir ré- vernement des juges n’est en réa- duelle, qui est cœur de la mission les plaçant sous une surveillance et
Or il s’agissait d’immeubles. Le tribunal a relaxé les trois hommes duire le nombre des audiences, lité agité que pour faire obstacle à constitutionnelle de l’autorité judi- un contrôle de plus en plus étroits
qui étaient poursuivis à la suite de ce qui avait été découvert. L’un faute de magistrats. La Confé- l’accomplissement démocratique ciaire ». Une pierre dans le jardin des préfets ». A défaut d’un gouver-
d’eux, détenu depuis le 15 décembre, a été libéré. La police avait rence nationale des procureurs a d’une véritable séparation des de Jean-Marc Sauvé, vice-président nement des juges, c’est une rébel-
trouvé chez lui 235 grammes de cocaïne et 96 grammes d’héroïne. décidé, à la veille de Noël, de sus- pouvoirs », prévient M. Louvel, en du Conseil d’Etat, lui aussi présent lion qui est à craindre. p
Un pistolet de calibre 11,43 mm avait été trouvé chez un autre. pendre des activités « périphéri- fonctions depuis l’été 2014. à cette audience solennelle. jean-baptiste jacquin

« Face au terrorisme, la Cour des droits de l’homme doit être réaliste »

Guido Raimondi, nouveau président de la CEDH, rencontrait François Hollande vendredi, au moment où la France déroge à la Convention

ENTRETIEN Etes-vous inquiet de voir la lière dont elle serait saisie. La du- L’édifice n’est-il pas fragile face qui permet au gouvernement de cueil et sur la protection de leurs li-
France déroger, le temps de rée pendant laquelle un Etat dé- à la montée des populismes en demander à la Cour constitution- bertés, y compris pour les illégaux.

G uido Raimondi, nouveau

président de la Cour euro-
péenne des droits de
l’homme (CEDH), devait rencon-
trer François Hollande, vendredi
15 janvier. Il ne devrait pas avoir de
reproches à adresser à la France,
qui jouit d’un contentieux réduit
devant la Cour avec moins de
400 affaires pendantes fin 2015
contre, par exemple, 7 000 pour
l’Italie. Les condamnations de la
France sont rares (17 en 2015).
« Ce qui montre que le niveau de
protection des droits de l’homme
au sein du système français est très
bon », explique ce magistrat italien
de 62 ans, élu par les juges de la
Cour, qui peut être saisi au sujet du
respect de la Convention euro-
péenne des droits de l’homme
dans les 47 pays du Conseil de l’Eu-
rope. Il a accordé au Monde sa pre-
mière interview depuis sa prise de
fonctions le 1er novembre 2015.
l’état d’urgence, au respect de
la Convention européenne des
droits de l’homme ?
Il est heureux que les pères de la
Convention aient pensé à intro-
duire ce mécanisme qui permet à
un pays en situation de guerre ou
de danger grave de déroger aux
règles de la Convention, sans
avoir à la quitter. Mais il s’agit de
restrictions temporaires, limitées
et contrôlées. On ne peut pas dé-
roger au noyau dur des garanties
des droits de l’homme, comme le
droit à la vie, l’interdiction de la
torture et des traitements inhu-
mains et dégradants, ou l’inter-
diction de la peine de mort.
La Cour ne va certainement pas
se substituer à l’Etat dans l’évalua-
tion du danger pour la nation.
Mais tout n’est pas laissé à l’appré-
ciation du pays concerné. Le con-
trôle par la Cour pourra s’exercer à
l’occasion d’une affaire particu-
cide de suspendre le respect de la
Convention sera prise en compte
dans notre analyse, même si l’ar-
ticle 15 ne fixe pas de délai maxi-
mum.
Que pouvez-vous faire face au
renforcement des pouvoirs de
police que l’on constate dans
plusieurs pays d’Europe ?
La Cour sera toujours la gar-
dienne des garanties. Elle ne va ja-
mais abandonner ni même assou-
plir son rôle. Tout le monde a droit
à sa protection, y compris les terro-
ristes. Mais la lutte contre le terro-
risme est également imposée, car
il met en danger le socle de la dé-
mocratie protégé par la Conven-
tion. Les Etats peuvent et doivent
mettre en place un appareil répres-
sif adéquat et des mesures préven-
tives pour garantir la vie et la sécu-
rité physique de leurs citoyens.
Nous devons être réalistes.
Europe ?
Il est facile pour certains cou-
rants d’accuser la Cour de proté-
ger les mal-aimés ou les terroris-
tes. Mais on constate qu’au cours
des dernières décennies la juris-
prudence de la CEDH s’est enraci-
née dans la conscience juridique
des pays membres.
Le Royaume-Uni refuse d’appli-
quer la décision de la CEDH qui
lui enjoint d’accorder le droit
de vote aux détenus. Que pou-
vez-vous faire ?
C’est au comité des ministres du
Conseil de l’Europe qu’il revient
de faire exécuter les décisions de
la Cour. Il vient d’exprimer sa
« profonde préoccupation » face à
l’attitude britannique sur cette
décision.
Et vis-à-vis de la Russie ?
La Russie vient d’adopter une loi
nelle l’autorisation de ne pas exé-
cuter un arrêt de notre Cour. On
voit bien que cette seule possibi-
lité pose un problème. Ou on res-
pecte la Convention, ou on la
quitte. Tôt ou tard, ces contradic-
tions vont exploser.
Et si d’autres pays choisissent
de ne plus respecter vos déci-
sions…
La CEDH sera impuissante… et
probablement devenue inutile.
Avez-vous été saisis de cas liés
à la crise des migrants que con-
naît l’Europe ?
Pour l’instant, on a des affaires en
nombre limité. Mais la Cour a
conscience d’être au centre de ce
phénomène qui constitue le défi
de notre époque. Nous avons une
jurisprudence étoffée sur tous les
aspects de la question. En particu-
lier sur les conditions de leur ac-
Quelle est l’ambition de votre
mandat ?
La Cour est peut-être l’institution
européenne la plus proche des ci-
toyens car tous, Européens ou
non, peuvent s’adresser à elle. Elle
doit le rester. Depuis 2012, le nom-
bre de requêtes est passé de
160 000 à 64 800. Cela a été rendu
possible par l’instauration en 2010
d’un juge unique, qui peut procé-
der à la déclaration d’irrecevabi-
lité. Mais les motivations des juges
uniques ne sont pas portées à la
connaissance des requérants, ce
qui a pu provoquer un méconten-
tement compréhensible. Nous al-
lons changer notre pratique. D’ici à
cet été, nous donnerons les rai-
sons pour lesquelles une requête a
été déclarée irrecevable. p
propos recueillis par
jean-baptiste jacquin, franck
johannès et alain salles
0123
SAMEDI 16 JANVIER 2016
Sur la déchéance, Martine Aubry cogne dur
La maire PS de Lille a vivement critiqué François Hollande et Manuel Valls sur cette mesure
lille - envoyé spécial
S
a position ne faisait
aucun doute, mais on ne
s’attendait pas à une
charge aussi forte. Mar-
tine Aubry a profité de ses vœux à
la presse à la mairie de Lille, jeudi
14 janvier, pour éreinter François
Hollande et Manuel Valls sur l’ex-
tension de la déchéance de natio-
nalité aux binationaux nés Fran-
çais. « Je m’interroge et je reste to-
talement perplexe sur ce débat sur
la déchéance de nationalité, j’ai
toujours été contre », a expliqué
Mme Aubry, qui avait déjà exprimé
fin décembre 2015 son opposi-
tion, sur Twitter et à l’AFP.
Comme beaucoup au Parti so-
cialiste, la maire de Lille a été sur-
prise par l’annonce du maintien
de la mesure dans le projet de ré-
forme constitutionnelle, le 23 dé-
cembre. Son conseiller politique,
le député de l’Essonne François
Lamy, s’en est ouvert directement
au chef de l’Etat lors d’une ren-
contre. Au cas où François Hol-
lande n’aurait pas entendu le
message, Mme Aubry l’avait même
prévenu qu’elle s’apprêtait à ap-
peler la gauche à « combattre »
cette mesure lors de ses vœux :
« J’entends dire “c’est un symbole”,
mais de quoi ? Un symbole ça unit,
ça grandit, comme le drapeau ou
La Marseillaise. La déchéance,
elle, stigmatise, divise et porte at-
teinte à l’égalité devant le droit du
sol. »
Pas de voie médiane
Pour elle, l’exécutif doit faire fi des
enquêtes d’opinion qui donnent
une majorité de Français favora-
bles à cette mesure : « On pourrait
demander aux Français s’il faut
torturer les terroristes, ils diraient
oui, ils ont peur, c’est normal. Mais
ça ne veut pas dire que le politique
doit le faire. » En cette période
d’hommage à François Mit-
terrand, mort il y a vingt ans, la
maire de Lille a repris à son
compte un vieil adage de l’ancien
président : « Ne pas gouverner
avec les sondages, c’est la diffé-
rence entre un homme politique et
un homme d’Etat. »
Alors que les socialistes se creu-
sent la tête pour trouver la piste
d’atterrissage qui permettrait à
Les obstacles se multiplient sur le chemin de la révision constitutionnelle
C omment tout cela va-t-il
se terminer ? Dans l’épi-
neux dossier de la révi-
sion constitutionnelle, qui com-
prend l’extension de la déchéance
de nationalité, les socialistes arri-
veront-ils à se mettre d’accord ?
Quel compromis trouveront-ils
pour satisfaire aussi l’opposition,
dont les voix sont nécessaires ?
Autant de questions auxquelles
tous les responsables socialistes
répondent ces derniers jours par
un haussement d’épaule, une
moue interrogative ou un simple
« Je ne sais pas… ».
Une impression de flottement
telle qu’elle finit par interroger :
n’auraient-ils pas plutôt une idée
derrière la tête qu’ils ne veulent
pas encore livrer ? « Non non, on
est vraiment à l’ouest », tranche
Lors des vœux à la presse de la maire de Lille, jeudi 14 janvier. FRANCOIS LO PRESTI / AFP
« Ne pas
gouverner avec
les sondages,
c’est la différence
entre un homme
politique et un
homme d’Etat »
MARTINE AUBRY
sans rire un haut responsable de
la majorité.
Chargé par le premier ministre,
Manuel Valls, de trouver ce con-
sensus quasi impossible, les dépu-
tés socialistes Jean-Jacques Urvoas
(Finistère) et Dominique Raim-
bourg (Loire-Atlantique) étaient
encore loin du but, jeudi 14 janvier.
A priori, aucune fumée blanche ne
sortira de leur bureau avant
lundi 18, date à laquelle le bureau
national du PS doit statuer officiel-
lement sur cette question qui di-
vise toute la gauche.
Enfin, surtout la gauche de l’As-
semblée nationale. Car, au Sénat,
le président du groupe socialiste,
Didier Guillaume (Drôme), assure
que ses pairs ne se posent pas
autant de questions : « 70 % des
sénateurs PS sont pour la dé-
tout un chacun de ne pas perdre la
face, pas question pour elle de re-
chercher une voie médiane : « Il
faut renoncer face à ce qui est inef-
ficace et inopérant, l’obstination
est mauvaise conseillère. » Et
d’imaginer une arrivée de l’ex-
trême droite au pouvoir : « Il ne
faut pas mettre cette mesure dans
la Constitution, qui pourrait être
utilisée à terme par d’autres, dans
un autre but. »
L’allocution de la maire de Lille
avait pourtant commencé par un
satisfecit à l’égard du couple exé-
cutif. Dressant le tableau d’une
année 2015 « chaotique », entre
terrorisme, crise des réfugiés et
difficultés économiques, elle
avait salué la mise en place immé-
chéance de nationalité », a-t-il ga-
ranti en présentant ses vœux à la
presse, jeudi. L’audition, la se-
maine prochaine, de Jean-Jacques
Urvoas par le groupe PS du Sénat
devrait donc donner lieu à des
échanges plutôt apaisés.
« Débat d’intellos »
En fait, beaucoup de sénateurs
mais aussi quelques vieux bris-
cards de l’Assemblée, élus de pro-
vince, ne comprennent pas pour-
quoi leur parti s’enferre dans ce
« débat d’intellos qui n’intéresse
pas les Français », d’autant qu’il
porte sur une mesure symboli-
que. Certains seraient même allés
jusqu’à la déchéance de nationa-
lité pour tous, quitte à assumer,
comme ce député, « que la Cour
européenne des droits de l’homme
diate de l’état d’urgence au lende-
main des attentats du 13 novem-
bre. « Je n’ai aucun état d’âme sur
les perquisitions en pleine nuit en
décembre », a-t-elle expliqué.
Promesse
En revanche, son soutien au pro-
jet de loi pour la lutte antiterro-
riste, qui « porte des mesures im-
portantes », se fait plus mesuré,
en raison du trop grand pouvoir
accordé aux forces de l’ordre.
« L’autorité judiciaire devra inter-
venir dans le processus », notam-
ment pour les assignations à rési-
dence, rappelle-t-elle, avant de
glisser, faussement naïve : « Ce
n’est pas dans le texte, je crois. »
Mais de l’intervention de
Les socialistes
arriveront-ils à se
mettre d’accord ?
Quel compromis
trouveront-ils
pour satisfaire
l’opposition ?
condamne ensuite la France pour
avoir rendu apatride des terroris-
tes ». Une option dont ne veut pas
entendre parler l’exécutif.
Mais même si MM. Urvoas et
Raimbourg finissent par trouver
un compromis qui convienne à
tout le monde, le processus de ré-
vision constitutionnelle ne sera
Mme Aubry, les socialistes retien-
dront surtout que son opposition
à la déchéance vient s’ajouter à
une liste déjà très longue de per-
sonnalités de gauche. Dans le bras
de fer qui va s’engager à l’Assem-
blée, le poids des aubrystes, qui
sont souvent en position char-
nière dans le groupe socialiste,
pourrait être important. « On
nous dit que c’est une promesse de
François Hollande et donc qu’il
faut la respecter, il y en a beaucoup
d’autres qu’il n’a pas tenues, alors
une de plus », glisse l’un des pro-
ches de la maire de Lille.
Alors que chacun au PS com-
mence à mesurer le coût politique,
tant de l’abandon que de l’adop-
tion de l’extension de la déchéance
pas pour autant une promenade
de santé. Mercredi 13 janvier, de-
vant la presse parlementaire, le
président du Sénat, Gérard Lar-
cher (Les Républicains, Yvelines) a
fait savoir qu’il ne faciliterait pas
la tâche de l’exécutif.
A la différence d’un projet de loi
simple, les textes portant réforme
de la Constitution doivent être
adoptés exactement dans les mê-
mes termes par l’Assemblée et le
Sénat avant de pouvoir être exa-
minés et votés en Congrès. Et tant
que les deux chambres n’arrivent
pas à se mettre d’accord avec ce
qu’on appelle un « vote con-
forme », la navette parlementaire
peut durer à l’infini ; impossible
là d’en terminer avec une com-
mission mixte paritaire ou avec le
dernier mot de l’Assemblée.
france | 9
« J’entends “c’est
un symbole”,
mais de quoi ? Un
symbole ça unit,
ça grandit.
La déchéance,
elle, stigmatise »
MARTINE AUBRY
maire PS de Lille
de nationalité, Mme Aubry redoute
que l’on ait « touché cette fois-ci au
cœur de la gauche ». Le maintien
de la mesure semble être ainsi l’un
des éléments déclencheurs de l’ap-
pel à une primaire à gauche, lancé
lundi 11 janvier par des intellec-
tuels dans Libération, dont cer-
tains, comme Michel Wieviorka,
sont proches de la maire de Lille.
Rempart
Cette dernière, qui ne croit pas
vraiment à l’hypothèse d’une pri-
maire, a refusé de participer à
l’opération pour ne pas la trans-
former en coup politique dirigé
contre le chef de l’Etat. Comme si
au fond d’elle et malgré tous les
contre-signaux, Martine Aubry
n’avait pas renoncé à voir en Fran-
çois Hollande le meilleur rempart
contre ce qu’elle redoute le plus :
une prise en main de Manuel
Valls.
A ses yeux, la déchéance de na-
tionalité a le double défaut de vali-
der la ligne sécuritaire du premier
ministre et de mettre à l’arrière-
plan le débat sur les réformes éco-
nomiques à mener dans cette der-
nière année pleine du quinquen-
nat. Comme une piqûre de rappel,
elle a donc critiqué dans son dis-
cours, une fois encore, le pacte de
responsabilité et les 40 milliards
d’euros d’aide aux entreprises.
« Peut-on espérer que Manuel
Valls va enfin faire le bilan et va en
tirer toutes les conséquences ? »
Selon elle, la solution reste de
mettre en place un plan de re-
lance de la demande publique.
Mais le cœur n’y est pas vraiment.
« C’est un vœu pieux », lâche-t-
elle, visiblement lassée de prêcher
dans le désert. p
nicolas chapuis
M. Larcher a fait savoir que le Sé-
nat amendera très probablement
le texte que lui enverra l’Assem-
blée, ce qui signifie au moins un
aller-retour. Sachant que le texte
pourrait être voté solennelle-
ment, le 16 février, à l’Assemblée et
que, pour les révisions constitu-
tionnelles, il y a un délai impres-
criptible de quatre semaines entre
les examens des deux chambres
pour la première lecture, cela em-
mène au 16 mars pour le début
d’examen au Sénat. En comptant
au moins une navette parlemen-
taire après, le Congrès pourrait ne
pas être convoqué avant la fin du
mois d’avril. Voire plus tard, voire
même jamais, comme l’a laissé
entendre, non sans malice, le pré-
sident du Sénat. p
hélène bekmezian
10 | france 0123
SAMEDI 16 JANVIER 2016

Jean-François Copé,
un retour savamment
orchestré
Dans son livre à paraître le 20 janvier, l’ancien
président de l’UMP cherche à revenir dans le
jeu à droite après sa démission forcée en 2014

I
l jure avoir « changé ». Lui
aussi. Après dix-huit mois de
silence médiatique, Jean-
François Copé signe son re-
tour en politique avec la publica-
tion le 20 janvier d’un ouvrage,
Le Sursaut français (Stock, 360 pa-
ges, 20 euros), dans lequel il as-
sure ne plus être le même. Forcé à
la démission en 2014 en raison de
l’affaire Bygmalion, l’ex-président
de l’UMP se présente comme un
homme neuf, qui aurait pris du
recul sur les événements et ne
s’intéresserait plus qu’aux sujets
de fond. « Après avoir subi un
chaos émotionnel très fort, j’en ai
conclu que je devais changer, con-
fie le député de Seine-et-Marne au
Monde, jeudi 14 janvier, dans son
vaste bureau de l’Assemblée na-
tionale. On ne peut pas revenir pa-
reil d’une telle épreuve, sinon on
est un robot. »
Décidé à faire « de la politique
autrement », il promet de « rom-
pre avec la politique de communi-
cation pour faire de la politique de
fond ». Pourtant, son retour s’ins-
crit dans une séquence médiati-
que savamment orchestrée, vi-
sant à faire la promotion de son li-
vre. Après la publication des bon-
nes feuilles dans le magazine très
droitier Valeurs actuelles, jeudi,
Jean-François Copé sera l’invité de
l’émission « Le Divan », présentée
par Marc-Olivier Fogiel et propice
aux confidences, le 19 janvier, sur
France 3.
Plusieurs interviews sont pro-
grammées dans les jours suivants
(RTL, L’Obs, Europe 1, BFM-TV…),
ainsi que des déplacements à Lille,
le 20 janvier, puis à Forbach (Mo-
selle) le 28. Mais après, promis, il
ralentira la cadence : « Une fois que
la séquence autour du livre sera
terminée, je ne vais pas repartir
dans la frénésie médiatique en fai-
sant huit émissions par semaine ! »
« Casser la caricature »
A l’entendre, fini les petites phra-
ses et les manœuvres politicien-
nes. Sa traversée du désert, durant
laquelle il a sillonné le pays « à la
rencontre des gens », lui aurait
permis de mieux comprendre
« les symptômes du malaise fran-
çais ». Et surtout de prendre de la
hauteur sur les vicissitudes de la
vie politique.
Tout le début de son livre est
pourtant consacré aux circons-
tances de son départ de la tête de
l’UMP. Dans son récit de cette « cu-
rée haineuse », il se victimise, en
se dépeignant comme un « bouc
émissaire », sur lequel les ténors
de droite se seraient acharnés.
Evoquant un « phénomène de
meute », M. Copé dit avoir été
« poignardé » avant d’avoir été
Jean-François
Copé lors de
l’enregistrement
de l’émission
« Le Divan »,
le 9 janvier.
DOMINIQUE JACOVIDES/
BESTIMAGE
« laissé pour mort ». « Je ne sou-
haite à personne de vivre ce que j’ai
vécu lors de ce bureau politique de
l’UMP, le 27 mai 2014 », écrit-il, di-
sant avoir « touché la haine du
doigt ». Sans craindre de dramati-
ser, il assure avoir « tout perdu »
lors de cette épreuve : « J’étais chef
de l’opposition et en deux heures, je
n’étais plus rien et j’avais perdu
mon honneur. »
Son espoir ? Susciter de l’empa-
thie chez les Français pour réhabi-
liter son image, profondément
écornée par les accusations de tri-
cherie à son encontre lors de sa
guerre avec François Fillon et sa
mise en cause dans l’affaire Byg-
malion. « Il veut casser la carica-
ture qui a été faite de lui, le présen-
tant comme un tricheur, un voleur
et un homme arrogant prêt à tout
pour le pouvoir », explique l’un de
ses soutiens.
Son espoir ?
Susciter de
l’empathie
chez les Français
pour réhabiliter
son image
Mais son ouvrage ne se limite
pas à ce simple objectif. Avec son
livre programmatique, où il ex-
pose un « projet pour la France »,
M. Copé cherche essentiellement
à revenir dans le jeu à droite, dans
l’optique de la présidentielle de
2017. Même si beaucoup, dans son
propre camp, le juge « cramé », cet
ambitieux, qui s’est toujours rêvé
en président de la République, n’a
renoncé à rien. Il n’exclut pas de
concourir à la primaire.
« Le livre est un test pour voir
comment les Français accueillent
son retour. Si une dynamique se
crée, il ira », estime un de ses pro-
ches. « Depuis 1995, il a toujours
pris part au débat présidentiel et
veut donc de nouveau apporter sa
part de vérité et ses idées », observe
le sénateur de l’Yonne, Jean-Bap-
tiste Lemoyne. Ce dernier fait par-
tie de la vingtaine de parlemen-
taires restés proches de M. Copé,
qui se réunissent chaque mardi
matin autour de lui dans son bu-
reau de l’Assemblée.
Théoriquement, ce vivier d’élus
doit permettre à l’ex-président de
l’UMP d’être en mesure d’avoir les
parrainages nécessaires – vingt
parlementaires – pour se présen-
ter à la primaire.
Ce scénario ne ravit pas les
sarkozystes, qui se méfient du
pouvoir de nuisance du héraut de
« la droite décomplexée ». Redou-
tant qu’il grappille des voix à leur
candidat auprès des électeurs les
plus droitiers, Brice Hortefeux et
Pierre Charon ont déjà essayé de
le dissuader de se présenter. En
vain, tant les relations entre
M. Copé et M. Sarkozy sont exé-
crables en raison de l’affaire Byg-
malion.
Le premier, qui clame son inno-
cence en assurant n’avoir « rien
su » de ce scandale, a très mal vécu
d’avoir été chargé par le second
devant les enquêteurs, le 4 sep-
tembre 2015. Au point que l’ex-
président de l’UMP n’exclut pas
un rapprochement avec Alain
Juppé pour mettre des bâtons
dans les roues de son meilleur en-
nemi. Interrogé sur le sujet,
M. Copé lâche : « Toutes les options
sont possibles… » p
alexandre lemarié

Jean-Lin Lacapelle, à peine revenu au F N, BU D GET

Le déficit de l’Etat moins
élevé que prévu
Le déficit du budget de l’Etat a
des finances, Michel Sapin, et
le secrétaire d’Etat au budget,
Christian Eckert, jeudi 14 jan-
vier, lors de leurs vœux à la

déja numéro quatre du parti été réduit en 2015 à 70,5 mil-

liards d’euros, soit 4 milliards
de moins que ce qui avait été
prévu en loi de finances ini-
Ami de Marine Le Pen, proche des anciens du GUD, cet ex-cadre commercial coiffe tiale, ont annoncé le ministre
désormais les fédérations et les élections
presse. Le déficit a été réduit
de 15 milliards par rapport à
l’année précédente. « C’est le
niveau le plus bas depuis
2008 », s’est félicité M. Sapin.

L à où il y a de l’homme, il y a
de l’hommerie. » L’apho-
risme, attribué par certains
à Charles Maurras, par d’autres à
Un portefeuille décisif, à moins
de dix-huit mois des élections lé-
gislatives, qui n’existait pas jus-
qu’alors. Ou comment effectuer
Devant la presse,
pour les vœux
de Marine Le Pen,
Lacapelle, qui compte faire le tour
des responsables des 577 circons-
criptions législatives.
Sa nomination au sein de l’orga-
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François de Sales, est un classique
dans la bouche des dirigeants du
Front national, qui aiment l’utili-
ser pour évacuer les questions sur
les bisbilles personnelles, et
s’amusent de sa connotation vi-
rile.
La nomination, jeudi 7 janvier,
de Jean-Lin Lacapelle à la direc-
tion du parti a permis de ressortir
l’« hommerie » du placard.
Ce proche de Marine Le Pen, âgé
de 48 ans, a officiellement été
bombardé « secrétaire national
aux fédérations et à l’implanta-
tion », selon les termes utilisés
dans un communiqué par le se-
crétaire général du parti, Nicolas
Bay.
Mais devant la presse réunie ce
jour-là au siège du FN, à Nanterre,
pour les vœux de Marine Le Pen,
le nouveau venu s’est présenté
comme « secrétaire général ad-
joint ». Et ainsi est venu le com-
mentaire d’un dirigeant fron-
tiste : « Là où il y a de l’homme, il y
a de l’hommerie. »
La nomination de M. Lacapelle
un retour par la grande porte
pour ce vieil adhérent du Front,
qui s’était mis en retrait des affai-
res depuis 2010. Une éternité à
l’échelle de l’histoire récente du
FN qui a, depuis cette date, changé
de président, renouvelé une par-
tie de ses cadres et de sa base mili-
tante, et évincé son fondateur. « Je
suis nouveau et ancien », recon-
naît Jean-Lin Lacapelle, qui a pris
sa carte au FN pour la première
fois en 1983.
Fidélité
Militant à Lyon – il ferrailla un
temps pour Bruno Gollnisch, sans
pour autant devenir un fidèle –, ce
petit-fils d’un sénateur UDR de
Corrèze a été séduit à ses débuts
par la figure de Jean-Marie Le Pen.
« C’était un tribun qui suscitait l’ad-
hésion, il est un des éléments qui
motive mon engagement », dit
M. Lacapelle.
Elu conseiller régional du Cen-
tre entre 1998 et 2010, un temps
membre du bureau politique du
FN, et rattaché au secrétariat gé-
le nouveau venu
s’est présenté
comme
« secrétaire
général adjoint »
son itinéraire politique », se félici-
te-t-il. En 1998, il cofonde en effet
Générations Le Pen avec Samuel
Maréchal, patron du Front natio-
nal de la jeunesse (FNJ), une asso-
ciation de soutien à la fille de
Jean-Marie Le Pen. « Jean-Lin
adore Marine », confirme Marie-
Christine Arnautu, vice-prési-
dente du FN, qui a participé au
projet.
Son arrivée est présentée
comme une étape de la nécessaire
professionnalisation du parti, qui
revendique 56 000 adhérents à
jour de cotisation. Selon un dé-
compte effectué par Libération,
plus de 200 des 1 600 conseillers
municipaux frontistes élus
nigramme est aussi perçue > S’ada votre températu rtébrale dans
à ve
comme une manière pour les an- > Réagit votre colonne
nt
ciens du syndicat d’extrême > Soutie
droite GUD Frédéric Chatillon et
Axel Loustau, prestataires du FN
au 16 févier
par l’intermédiaire de leurs socié- Du 6 janvier
tés respectives Riwal et Les Pres-
ses de France, d’étendre leur in-
fluence.
M. Lacapelle est un proche des
deux hommes, et a participé aux
réunions du cercle Cardinal, un
réseau de patrons sympathisants
du FN animé par M. Loustau. « Fré-
déric et Axel font du bon boulot
dans leurs prestations, ce sont de
vrais amis, mais j’en ai d’autres. Je
suis très ami avec Louis Aliot, par
exemple, avec Steeve Briois ou
Bruno Bilde aussi », assure le nou-
veau secrétaire national.
Tête de liste dans les Hauts-de-
Seine pour les élections régiona-
les des 6 et 13 décembre 2015, avec
M. Loustau à sa suite, Jean-Lin La-
capelle a été élu au conseil régio-
nal d’Ile-de-France. Il a très vite re-
pris ses marques. Quelques jours
après l’annonce de son retour en Pour un sommeil plus réparateur que jamais REVENDEUR
TEMPUR ® AGRÉÉ

et ce débat sémantique censé ré-
véler sa position exacte dans la
hiérarchie sont loin d’être ano-
dins. Le nouveau secrétaire natio-
nal, placé sous l’autorité de
M. Bay, coiffe désormais les fédé-
rations et les élections, et devient
en quelque sorte le numéro qua-
tre du parti frontiste.
néral, alors occupé par Louis Aliot,
Jean-Lin Lacapelle choisit de se
mettre en retrait de la politique
en 2010 pour privilégier son acti-
vité dans le privé.
C’est par fidélité à Marine Le Pen
que cet ancien cadre chez L’Oréal,
vibrionnant, reprend aujourd’hui
du service. « J’ai été au départ de
en 2014 ont fait défection ou ont
été exclus. Et certaines fédéra-
tions se montrent volontiers tur-
bulentes.
« Le mouvement se développe, il
faut renforcer sa structure. J’ap-
porte mon expérience de manager
à la vie civile, où je m’occupais de
400 personnes », avance Jean-Lin
politique, en octobre, il n’avait pas
hésité, à l’occasion d’une confé-
rence de presse, à couper la parole GRAND LITIER RIVE GAUCHE SUR 500M2 (PARIS 15e)
à sa tête de liste régionale Walle- 66 rue de la Convention, 01 40 59 02 10
rand de Saint Just pour répondre à 7j/7, M° Boucicaut, P. gratuit
la place de celui-ci à la question GRAND LITIER RIVE DROITE SUR 300M2 (PARIS 12e)
d’un journaliste. « Là où il y a de
56-60 cours de Vincennes, 01 43 41 80 93
l’homme… » p
7j/7, M° Pte de Vincennes ou Picpus
olivier faye
0123
SAMEDI 16 JANVIER 2016 france | 11

« Je ne comprends pas cette envie de tuer à 15 ans »

Traumatisé, l’enseignant juif agressé par un adolescent lundi à Marseille préfère désormais dissimuler sa kippa

marseille - correspondant jeudi 14 janvier, les interviews

avec lassitude, mais parce qu’« il
Ce père de cinq Benjamin Amsellem enseigne là
où il a lui-même été élève, à l’insti-
jours eu de l’antisémitisme et ça ne
changera pas. On n’a pas le choix.
LE CONTEXTE

B
enjamin Amsellem ne faut vraiment tout faire pour évi- enfants, qui se tut franco-hébraïque La Source, à Le type d’agression que j’ai vécu, ça,
sort plus sans sa cas- ter que quelqu’un d’autre ait à su- Saint-Tronc, le quartier le plus juif on ne pourra jamais en prendre
quette bleue depuis qu’il bir une telle chose ».
définit comme de Marseille, dans l’est de la ville. l’habitude. » Bernard Cazeneuve a assuré,
a été agressé, lundi Après son agression, Benjamin « effacé », ne Les orthodoxes en habits tradi- jeudi 14 janvier, à Marseille, que
11 janvier, par un lycéen turc d’ori- Amsellem est toujours « effrayé » tionnels s’y déplacent paisible- « Difficulté à aller de l’avant » l’Etat maintiendrait le dispositif
gine kurde d’à peine 16 ans, reven- par la détermination meurtrière
cache pas sa peur ment dans l’espace public. L’éta- Le 18 novembre 2015, en appre- de protection des 800 synago-
diquant agir « au nom de Daech de l’adolescent, qui l’a d’abord d’aller dehors et blissement, l’un des plus religieux nant l’agression d’un enseignant gues, des institutions et des éco-
[acronyme arabe de l’organisa- frappé dans le dos avec une ma- des seize établissements scolaires de l’école juive Yavné dans les les juives « aussi longtemps que
tion Etat islamique] ». « Depuis ce chette dont la lame mesure une
son traumatisme de Marseille, n’est plus mixte à quartiers nord par deux jeunes, la menace terroriste se maintien-
que j’ai vécu, je me sens plus en sé- trentaine de centimètres. « Avant partir du CM2 et les matinées sont Benjamin Amsellem s’était dit : dra » au niveau actuel, qui « de-
curité avec la casquette. Avant, qu’on me le dise, avant d’arriver réservées à l’enseignement des « C’est Malpassé, un quartier un meure aussi fort que le 13 novem-
j’avais toujours la kippa et je n’ai ja- chez les policiers, je n’ai pas eu de Le professeur est « encore sous le matières religieuses. peu chaud. Je me suis consolé en bre ». Le ministre de l’intérieur
mais eu peur. » Ce couvre-chef lui doute, il voulait me tuer. Je l’ai senti choc » mais assure ne pas avoir de « Il n’y a jamais eu aucun souci me disant qu’ici, chez nous, à Saint- s’adressait aux représentants des
donne un faux air de golfeur, que tout de suite, j’ai vu la force des ressentiment. « C’est paradoxal, dans ce quartier », dit-il. Les agres- Tronc, ça n’arrive pas. » Il n’écoutait institutions juives réunis à la sy-
cet enseignant en matières juives coups avec laquelle il me tapait. mais je n’ai pas spécialement de co- sions verbales y sont toutefois ba- pas, souriait même, ces derniers nagogue de la rue Breteuil. Cha-
n’a pas lorsqu’il porte sa kippa, un Son regard, c’était de la haine. Je lère envers lui, ça me surprend moi- nales : un automobiliste qui ouvre temps, lorsque sa mère ou son cun doit « pouvoir marcher dans
peu de guingois, sur le sommet me suis protégé avec un livre que même. Je ne comprends pas qu’on sa fenêtre pour crier « Sale juif » épouse lui conseillaient de couvrir la rue sans baisser la tête », a-t-il
du crâne. j’avais à la main et avec ma saco- ait envie de tuer à 15 ans alors qu’on avant de repartir en trombe. « C’est sa kippa avec une casquette, que ça déclaré après la controverse sur
Discret, la voix toujours douce, che. Pour moi, c’est un terroriste devrait avoir une seule envie, celle pas joli à entendre mais on a pris pouvait être dangereux. « Je n’ai ja- le danger du port de la kippa.
cet homme de 35 ans enchaîne, qui veut tuer. » d’une vie heureuse. » l’habitude de vivre avec. Il y a tou- mais voulu les écouter, j’étais très
serein jusqu’à ce que… »
Même si son épouse lui rappelle
43 % des juifs déclarent avoir déjà subi une agression antisémite que, « aujourd’hui, le débat, c’est
pas la kippa, c’est le terrorisme qui
peur… Mais ce père de cinq en-
fants âgés de 2 à 10 ans, qui se défi-
est en train de pulluler en France », nit volontiers comme « effacé »,
c’est la première enquête de cette en- Les pratiquants sont plus souvent victi- L’une des conséquences de ce climat est Benjamin Amsellem ne jette pas ne cache pas son traumatisme, sa
vergure auprès des Français juifs et ses en- mes de ces faits. C’est notamment le cas des la tentation de quitter la France, pour Israël la pierre au président du Consis- peur d’aller dehors, sa « difficulté à
seignements sont dévastateurs. Selon une hommes qui portent la kippa (24 % la por- ou ailleurs. Le projet d’émigrer en Israël est toire israélite de Marseille. En inci- aller de l’avant ». Les deux psycho-
étude conduite en septembre 2015 par tent systématiquement ou régulièrement, directement lié au fait d’avoir subi des ac- tant les juifs de Marseille à s’abste- logues dépêchés par l’association
l’IFOP auprès d’un échantillon de 724 per- 35 % de temps en temps ou rarement et tes antisémites : 70 % de ceux qui envisa- nir de porter la kippa dans l’espace d’aide aux victimes AVAD lui ont
sonnes se déclarant de confession juive ou 41 % jamais). gent sérieusement l’alya ont déjà été expo- public « en attendant des jours conseillé de « prendre le temps né-
ayant au moins un parent juif, interrogées sés à des faits antisémites, contre 25 % de meilleurs », Zvi Ammar n’avait, cessaire de se remettre en état ».
sur plusieurs vagues de sondages, 43 % des La tentation de quitter la France ceux qui n’y ont jamais songé. aux yeux de l’enseignant, « que le Ses élèves de CM2 l’attendent.
sondés affirment avoir déjà été « agressés Ainsi, alors que 47 % des hommes juifs dé- Dans la population globale, la tentation souci principal de protéger la vie de Son fils aîné, qui est aussi son
parce que juifs » (dont 18 % « de nombreuses clarent avoir déjà fait l’objet d’au moins une d’un départ vers l’étranger, présente chez les sa communauté. Mais le principal élève, lui rapporte à la maison les
fois » et 14 % plusieurs fois), 51 % avoir fait agression antisémite, cette proportion plus jeunes, s’affaiblit avec l’âge et l’installa- sujet, c’est la dangerosité de ces in- témoignages de réconfort de ses
« l’objet de menaces parce que juifs » et 63 % passe de 21 % chez ceux qui ne portent pas la tion dans la vie familiale et professionnelle. dividus-là et la haine qu’ils ont en- camarades. « Je sais qu’ils m’aiment
avoir été « insultés parce que juifs ». kippa à 77 % de ceux qui la portent régulière- « Pour les juifs, on constate au contraire qu’il vers nous, des individus qui veulent bien mais, pour enseigner aux en-
Cette enquête sert de base au livre L’an ment ou systématiquement. L’enquête indi- n’y a pas de baisse chez les 35-50 ans, qui sont tuer des juifs et des policiers ». fants le respect des parents, des
prochain à Jérusalem ?, de Jérôme Fourquet que par ailleurs que 42 % des juifs se disent aussi ceux qui s’inquiètent pour leurs en- Une voisine lui a apporté une autres, il faut être apaisé. Il me faut
et Sylvain Manternach (Editions de l’Aube, non pratiquants, 22 % peu pratiquants, 26 % fants », note Jérôme Fourquet. p boîte de chocolats ; Saïd, un ami du repos et me reconstruire. » p
Fondation Jean-Jaurès, 240 p., 20 euros). assez pratiquants et 10 % très pratiquants. cécile chambraud musulman, lui a dit ne pas avoir luc leroux

Une « peine d’avertissement »

pour le militant de Calais présentent

le salon
Robert Lawrie avait tenté de faire passer une Afghane en Angleterre

boulogne-sur-mer - envoyé spécial respectivement présidents de

Le « délit l’association L’Auberge des mi-

des masters
S oulagé, les yeux encore hu-
mides quelques secondes
après l’annonce de son ju-
gement, Robert Lawrie s’exclame
devant un parterre de journalistes
de solidarité »
a été requalifié
lors de l’audience
grants et du Groupe d’informa-
tion et de soutien des immigrés,
se sont relayés à la barre pour sou-
tenir le prévenu. « A Calais, les en-
fants vivent dans le froid et surtout
en « mise en
& mastères spécialisés
français et britanniques : « La dans la boue, explique Christian
France a fait passer un message. La
compassion l’emportera ! » Ce Bri-
danger de la vie Salomé. C’est difficile pour nous en
tant qu’associatifs, de rester insen-
tannique de 49 ans comparaissait, d’autrui » sible à cela, de leur donner à man-

jeudi 14 janvier, devant le tribunal
de grande instance de Boulogne-
sur-Mer, pour avoir tenté de sortir
une fillette afghane de 4 ans de la
« jungle » de Calais, et la faire pas-
ser en Angleterre pour la remettre
à ses cousins, une famille instal-
lée de l’autre côté de la Manche.
L’ancien militaire risquait jus-
qu’à 5 ans d’emprisonnement et
30 000 euros d’amende pour
« avoir facilité, par aide directe ou
indirecte, la circulation irrégulière
d’un étranger en France ». Il a fina-
lement été condamné à
1 000 euros d’amende avec sursis,
mais pour « mise en danger de la
vie d’autrui ». Alors que les asso-
ciations de soutien aux migrants
s’étaient émues de ce qu’elles con-
sidéraient comme un nouvel
exemple de « délit de solidarité »,
le ministère public a décidé de re-
qualifier le chef d’accusation au
cours de l’audience. Une manière
de contourner la polémique – la
gauche avait annoncé la suppres-
sion de ce délit, réclamée par les
associations.
A la barre, Robert Lawrie a été
soumis à une batterie de ques-
tions par le juge Louis Betermiez :
« Avez-vous pensé aux conditions
férence de presse quelques heures
avant l’audience. Il y était arrivé
en arborant un large sourire, des
« hello » lancés à tout-va aux dizai-
nes de journalistes, avec dans ses
bras la petite Bahar Ahmadi bran-
dissant un paquet de bonbons.
Le 24 octobre 2015, son arresta-
tion avait ému l’opinion publique
et généré une vague de soutien
massive en France et au Royaume-
Uni. Des pétitions, signées dans
les deux langues par 180 000 per-
sonnes, réclamaient l’abandon
des poursuites à son encontre.
Face aux juges, dans une salle
d’audience comble, Rob Lawrie a
raconté son histoire : c’est la
photo du petit Aylan Kurdi, mort
sur une plage de Turquie en sep-
tembre 2015, qui l’a décidé à s’en-
gager auprès des réfugiés de Ca-
lais. Il s’y est lié d’amitié avec Ba-
har Ahmadi et son père, Reza. Ce-
lui-ci l’a pressé d’emmener sa fille
chez ses cousins, qui habitent à
quelques encablures de Leeds, la
ville où réside Rob Lawrie. Un soir,
« Bahar s’est endormie sur mes ge-
noux, comme ça lui arrivait sou-
vent. Il faisait très froid cette
6 FÉVRIER 2016
ger, de les laisser là et de repartir.
Rob, à un moment donné, n’a pas SAMEDI
réussi à le faire. »
10 h - 18 h
Sans véritable siège ni ceinture
La loi encadrant ce « délit de soli-
darité » précise qu’« une personne
LES DOCKS - CITÉ DE LA MODE ET DU DESIGN
échappera aux poursuites à condi- 34 QUAI D’AUSTERLITZ - PARIS
tion que l’aide soit apportée sans
ENTRÉE GRATUITE
aucune contrepartie directe ou in-
directe ». Les juges ont considéré
que Rob Lawrie avait bien agi de
manière désintéressée. Le par-
quet a cependant accusé Rob
Lawrie d’avoir fait courir un ris-
que à Bahar en la faisant voyager
dans un véhicule utilitaire, sans
véritable siège ni ceinture, d’où la
requalification de l’accusation.
« La fin ne justifie pas les moyens, a
lancé le procureur Jean-Pierre Va-
lensi. Ce n’est pas parce qu’on veut
aider une enfant qu’on peut l’aider
en mettant sa vie en danger. »
Me Lucile Abassade, l’avocate de
Rob Lawrie a annoncé qu’il ne fe-
rait pas appel. Cette « peine pécu-
niaire d’avertissement », selon les
mots du juge, a été acclamée par
les militants associatifs et les pro-
ches du Britannique. A sa sortie,
Inscrivez-vous sur : www.salondesmasters.com
Rob Lawrie a annoncé qu’il en fera
« encore plus. On ne peut pas lais- INSCRIVEZ-VOUS

de transport de cette jeune fille ?
Cherchiez-vous à cacher l’enfant
pour ne pas être vu en cas de con-
trôle ? » La tension, palpable, tran-
chait avec la parfaite aisance que
le gaillard affichait lors d’une con-
nuit-là, elle allait retourner dormir
dans sa tente. Ce que j’ai fait était
stupide, j’étais émotionnellement
épuisé. Je suis désolé. »
Cités comme témoins, Christian
Salomé et Stéphane Maugendre,
ser ces enfants pourrir dans la
“jungle”. Un jour, ces gens-là se-
ront peut-être avocats, docteurs ou RENDEZ-VOUS SUR
professeurs… Ils nous le rendront
bien ». p
loup espargilière
12 | éclairages 0123
SAMEDI 16 JANVIER 2016

MÉDIATEUR | f r anck nouch i

Pour Bowie, on fait combien ?

I
l est 7 h 55. C’est l’heure où, au Monde, par
temps calme, les dés sont jetés. La confé-
rence de rédaction vient d’avoir lieu, la
« une » a été calée. Un autre café et ce sera
la dernière ligne droite du bouclage. Horaire
impératif : 10 h 30. Les rotatives n’attendent pas.
Ce lundi 11 janvier, à 7 h 55, Sylvain Siclier
dort. Spécialiste ès musiques en tous genres,
ses horaires de travail l’y autorisent. Bizarre : le
téléphone fixe et le portable sonnent simulta-
nément. « Tout de suite, je me suis dit : c’est soit
un truc familial, soit le boulot. » Au bout du fil,
il reconnaît la voix de Madeleine Fitoussi, l’as-
sistante du service culture : « Aureliano cher-
che à te joindre. On vient d’apprendre la mort de
David Bowie. »
Au journal, boulevard Auguste-Blanqui, Aure-
liano Tonet, le chef du service culture, a du mal à
réaliser. « J’avais des palpitations, d’autant plus
que nous n’avions rien de prêt. Je n’arrivais pas à
croire que Bowie nous avait, une dernière fois,
mystifiés, composant sa mort comme un vérita-
ble geste artistique. » Dans un billet publié le
« À L’ARRIVÉE, jour même, il racontera joliment ce qu’est l’an-
goisse d’un chef de service pris au dépourvu par
ON N’A PAS un mort célèbre. Quatre heures plus tard, le
journal serait en kiosques, et à l’heure, avec
À ROUGIR Bowie à la « une » et sur quatre pages.
DE CE QU’ON Cela, à 7 h 55, Sylvain Siclier ne peut l’imaginer.
Un café et un rapide coup d’œil sur Internet par-
A FAIT »
viennent à le convaincre que Bowie est bel et
bien mort. « En me commandant la nécro, Aure-
SYLVAIN SICLIER
liano m’avait juste précisé qu’on faisait deux pa-
rédacteur
ges, que Thomas [Sotinel] s’occupait de l’aspect
cinéma et qu’on allait republier des extraits d’un
entretien que Bowie avait accordé à Véro [Véro-
nique Mortaigne] en 2002. Il me restait un peu
plus d’une heure et demie pour écrire une page. »
Pressentiment ? Depuis quelques mois, Syl-
vain Siclier se constituait un dossier sur Bowie.
« A peu près 50 000 signes de notes. Je m’en étais
servi cet été pour faire un papier sur sa maison
d’Haddon Hall (Le Monde du 21 août 2015) ; et
puis aussi pour chroniquer Blackstar, son dernier
album (Le Monde du 9 janvier). J’étais dans l’am-
biance Bowie. »
A la direction de la rédaction, Luc Bronner, lui
non plus, n’y a pas cru immédiatement. « On
avait fait la “une” sur Bowie trois jours plus tôt,
à l’occasion de la sortie de son nouvel album. On
craint toujours une mauvaise blague, une
fausse rumeur sur les réseaux sociaux. » Très
vite, pourtant, il se rend à l’évidence. « On est
d’abord partis sur deux pages. Puis, très vite,
nous rendant compte de l’importance fonda-
mentale de l’image, et donc de la photo, s’agis-
sant d’un tel personnage, nous avons décidé de
passer à quatre pages. »
Facile à dire ; beaucoup, beaucoup plus com-
pliqué à faire, surtout quand il ne reste que qua-
tre-vingt-dix minutes pour boucler. Chacun de
leur côté, Bruno Lesprit et Michel Guerrin se
mettent au travail. Pas le temps de discuter, il
faut foncer. Au premier l’exploration de la dis-
cographie de Bowie, au second celle de son rap-
port à l’image. On ne se rendra compte qu’après
le bouclage d’un possible « doublon » entre ces
deux papiers. Mieux, si l’on peut dire, Michel
Guerrin, qui ne savait pas que Bruno Lesprit
écrivait de son côté un article, ira même jusqu’à
lui « emprunter » quelques lignes d’un « vieux »
papier publié à l’occasion de l’exposition « Da-
vid Bowie Is », il y a un an. Quelques lignes que
Bruno Lesprit réutilisera lui aussi dans son arti-
cle. Personne, au moment du rush final du bou-
clage ne s’en apercevra, de nombreux lecteurs étaient prêtes – Michel Delpech ou Pierre Bou- la fois tenir compte du grand public et d’un cer-
attentifs, si. Trop tard. lez, par exemple –, d’autres n’ont été écrites tain nombre de lecteurs au profil très typé, expli-
« A l’arrivée, on n’a pas à rougir de ce qu’on a qu’une fois connu le décès. que Luc Bronner. Ces notices concernent aussi
fait, confie, avec sa modestie habituelle, Sylvain Au Monde, l’homme des « nécros » s’appelle bien un chanteur populaire qu’un Prix Nobel de
Siclier. Bien sûr, si on avait eu plus de temps ou si Christian Massol. Entré au journal en 1983, il a physique ou un dirigeant syndical. » « Tout a
on s’était préparés à l’avance, on aurait pu faire régné pendant longtemps sur le Central, le changé depuis l’avènement d’Internet, ajoute
mieux. Mais en deux heures de temps… » Le secrétariat de rédaction d’autrefois. Membre de Christian Massol. Aujourd’hui, nous devons tenir
même jour, entre 13 heures et 17 heures, mais la rédaction en chef, c’est lui qui veille scrupu- compte des différents lectorats du Monde, plus
cette fois-ci sur Internet, il enrichira sa « nécro », leusement à ce qu’on appelle dans notre jargon “traditionnels” sur le papier, et plus jeunes sur le
la faisant passer du simple au double. « Evidem- – et d’avance pardon pour la trivialité de l’ex- Web. » Un exemple : aurions-nous consacré un
ment, j’aurais préféré publier cette version sur le pression – « l’état du frigo ». « Pour l’heure, réca- article entier au leader du groupe de rock Motör-
papier. Tant pis. » pitule-t-il, nous avons 300 nécrologies prêtes. head, Lemmy Kilmister, il y a trente ans ? Les in-
J’en ai listé une trentaine d’autres qui ne peuvent ternautes ne nous ont guère laissé le choix.
« TROIS CENTS NÉCROLOGIES DÉJÀ PRÊTES » plus attendre. » Dit autrement, cela signifie Il faut remonter à l’été 2007 pour retrouver
La mort de David Bowie a été le point d’orgue qu’une trentaine de rédacteurs du Monde ont une telle série de décès illustres. Michel Ser-
d’une folle quinzaine au cours de laquelle ont reçu, ou vont recevoir sous peu, une visite de rault a été enterré dans Le Monde du 31 juillet ;
été « enterrés » Madame Claude (Le Monde daté « Massol » et qu’il leur faudra ensuite passer à le lendemain, Ingmar Bergman, et, le surlende-
26-27-28 décembre), Jean-Marie Pelt, Gaston l’acte. « Enterrer » l’un de leurs « protégés ». main, Michelangelo Antonioni. Conscients que
Viens, Eugène Dodeigne (29 décembre), Alfred « Auparavant, ajoute Christian Massol, on aura nous venions de tourner une page importante
Gilman (30 décembre), Lemmy Kilmister discuté entre nous pour déterminer la longueur de l’histoire du 7e art, nous avions publié deux
(31 décembre), Manuel Agujetas (1er janvier), de l’article, voire, dans certains cas, du nombre de jours plus tard un supplément de huit pages in-
Robert L. Spitzer (2-3-4 janvier), Michel Delpech pages que nous consacrerons au décès de telle ou titulé « Bergman, Antonioni, face à face ». Un
et Natalie Cole (5 janvier), Michel Galabru, Vil- telle personnalité. » peu comme si, aujourd’hui, nous vous propo-
mos Zsigmond et Jean-Albert Cartier (6 jan- Outre la « place » accordée au défunt, une sions un « Face-à-face Boulez-Bowie ». p
vier), Paul Bley et André Turcat (7 janvier), autre question nous agite souvent : qui mérite
Pierre Boulez (9 janvier), André Courrèges d’être enterré ? A qui Le Monde se doit-il de con- nouchi@lemonde.fr
(10 janvier). Certaines de ces nécrologies sacrer une notice nécrologique ? « Nous devons à Twitter : @FranckNouchi
COURRIER DES LECTEURS
Un peu de mesure Boulez, on peut le féliciter d’ac- manquent aucun bouton de à l’art sacré. Et je remercie Le
Je trouve très exagérée et vrai- corder autant de place à Boulez guêtre rédactionnel ni aucun Monde d’avoir consacré une
ment déplacée l’importance qu’à Bowie. Au passage, un clou de qualité au cercueil, mon- page quasi entière à cet homme
donnée à la disparition de David grand bravo à Renaud Machart tre une absence d’émotion, de remarquable. En voici encore
Bowie (quatre pleines pages !) pour ces quatre pages Boulez si sympathie, d’empathie qui con- un qui, comme dirait Paul
dans Le Monde du 12 janvier, soigneusement préparées. vient à un maître de cérémonie Veyne, « ne s’ennuiera pas au
sans compter la photo occupant Louis Ollivier, fier d’avoir été chargé d’organi- paradis » !
la moitié de la première page, Jouy-en-Josas (Yvelines) ser le deuil, mais qui semble ne Etienne Got,
comme s’il s’agissait d’une rien éprouver d’autre. (…) Rouen
catastrophe touchant l’humanité Pierre Boulez : pour Par ailleurs, la mise en valeur
entière… un hommage plus équilibré d’un intertitre en capitales gras- Michel Galabru :
Un peu de mesure et de retenue, Maintenant que, comme disait ses (« le ghetto plein de merde et fils de Raimu
s’il vous plaît… Ce n’est tout de Mallarmé, ayant franchi « un peu de poussière »), formule qu’en ef- Michel Galabru n’était pas un
même pas le tsunami de fin profond ruisseau calomnié la fet Boulez eût bien fait de ne pas malappris. Mais bien épris de
2004, qui a causé plus de mort », Pierre Boulez est dans prononcer, est la seule qui attire fantaisie. Galabru est le fils aîné,
200 000 victimes ! « l’avare silence et la massive l’attention du lecteur, pressé ou le fils aimé de Raimu. Galabru
Michel Héraud, nuit », il reste aux admirateurs et non : « malignité » de choix dans n’avait rien d’une brute. Il est
Paris aux autres le soin d’approfondir les innombrables déclarations de l’Amiral, loufoque pilote de ligne
leurs connaissances et de médi- Boulez, qui aide mieux à saisir de Soigne ta droite, grand bon-
Boulez, Bowie et l’histoire ter sur le créateur. une sourde animosité n’osant homme du poème de Godard.
D’aucuns trouveront démesurée Vous avez très bien fait de consa- pas s’exprimer à découvert, mais Il traîne une trogne à gaudriole
la place accordée à David Bowie crer quatre pages de votre quoti- sous-tend les quatre pages de sur les chemins frivoles des trop
dans Le Monde du 12 janvier. (…) dien à cette disparition, « Pierre cette nécrologie et accroît le ma- faciles besognes. Il fait du rire
Il s’agit certes de la disparition Boulez, monarque et prophète » laise devant cette absence de vi- une joie rare, d’une disgrâce de
d’une « légende » – « extraterres- (Le Monde du 8 janvier) mais le bration intellectuelle, esthétique faciès une finesse, une justesse,
tre », « dandy caméléon » – qui a lecteur très assidu que je suis de et tout simplement humaine. une délicatesse. Sa gueule cas-
marqué l’histoire de la musique, votre journal (depuis mes an- Dominique Dubreuil, sée était boxée de paradoxes.
ce dont témoigne le nombre as- nées étudiantes, 1960 !, et en- Caluire-et-Cuire (Rhône) Galabru était cousu dans de
tronomique d’albums vendus. suite abonné multirécidiviste) l’étoffe d’humanité. L’homme
Une marque malgré tout sans s’étonne, et espère ne pas être le André Turcat : au timbre d’ogre a fait un tour
commune mesure avec celle seul qui en témoigne dans votre les deux « vies » de piste d’artiste. Galabru laisse
d’un Pierre Boulez, que Le Monde courrier, de la sensible… insensi- de « M. Concorde » la scène nue.
avait célébré le 8 janvier. bilité qui guide votre rédacteur. J’avais admiré André Turcat L’art de Galabru ne court pas
On peut regretter que les places Il n’est pas question de reprocher pendant sa première vie, celle les rues. Il est temps désormais
respectives accordées à ces deux à une « nécro » d’avoir été peaufi- du pilote d’essai, mais je l’ad- que le peuple esclaffé se dé-
musiciens ne soient pas tout à née et devenue prête à l’emploi, mire encore plus depuis que je coiffe.
fait à la mesure de leur impor- tant la chronique d’une mort an- connais sa seconde vie, grâce à Christian de Maussion,
tance relative. Mais voyons le noncée pour Pierre Boulez l’avait la nécrologie « André Turcat et Paris
verre à moitié plein, et, au lieu de été depuis longtemps. Mais cet le Concorde, une vie dans les
déplorer que Le Monde accorde ensemble de textes, objective- cieux » (Le Monde du 7 janvier), courrier-des-lecteurs@lemonde.fr
autant de place à Bowie qu’à ment composés, auxquels ne celle d’un chrétien se consacrant http://mediateur.blog.lemonde.fr

POLITIQUE | CHRONIQUE
par fr ançoise fr e s s o z

L’erreur d’aiguillage
la crise économique et que toutes sortes de reur a été d’agir trop tard et trop mollement, si sance politique. Jean-Pierre Raffarin a tendu la

J usqu’au bout de son quinquennat, Fran-

çois Hollande s’échine à démontrer que
tout n’est pas fait pour lutter contre le chô-
mage.
Ces derniers jours, tir groupé contre François
Hollande : « Faute de courage et de vision, notre
pays décroche », s’insurge, dans Le Figaro, Henri
de Castries, le patron d’Axa, ancien condisciple
du chef de l’Etat à l’ENA. « On n’a pas tout fait
pour l’emploi », renchérit, dans Le Monde, le mi-
nistre de l’économie, Emmanuel Macron, en
constatant que la France fait partie « des quatre
pays européens » qui n’ont pas réussi à faire
baisser le chômage. « Il faut un plan d’urgence
audacieux pour l’emploi », plaident, dans
Le Journal du dimanche, cinq organisations pa-
tronales parmi lesquelles le Medef et l’AFEP.
On se croirait revenu au tout début du quin-
quennat, lorsque le nouvel élu pataugeait dans
Cassandre lui conseillaient de bouger, vite,
avant la catastrophe finale ! Mais on n’est plus
au début du mandat.
Près de quatre ans ont passé depuis l’élection
de François Hollande et on en est toujours à se
demander comment faire tomber le taux de
chômage sous la barre des 10 %, alors que l’Alle-
magne affiche 4,5 % et la Grande-Bretagne
5,6 %. C’est grave. Le président, pourtant, s’est
démené : du CICE au pacte de responsabilité en
passant par le contrat de génération, les em-
plois d’avenir et autres emplois aidés, François
Hollande a actionné une très large palette de
mesures pour vaincre le fléau.
Lorsqu’il s’est trouvé acculé, début 2014, par
l’insuffisance du traitement social, il a pris le
risque de se mettre à dos une partie de la majo-
rité en défendant la « politique de l’offre ». Il s’y
est ensuite tenu avec opiniâtreté, mais son er-
bien qu’aujourd’hui il récolte tous les inconvé-
nients des mesures qu’il a décidées sans en
toucher les fruits. La gauche le juge trop à
droite, la droite trop à gauche, et une majorité
de Français ne croient plus à sa promesse d’in-
verser la courbe du chômage de façon « durable
et crédible ».
CHÔMAGE DE MASSE
Le choc des élections régionales, en décembre,
lui a cependant ouvert la possibilité d’agir une
dernière fois vite et fort : de nombreux élus de
gauche comme de droite ont, en effet, diagnos-
tiqué que la poussée du FN était directement
liée à l’enkystement de la France dans un chô-
mage de masse. Ils en ont déduit que, pour lut-
ter contre la dynamique Le Pen, il fallait s’atta-
quer, en priorité et sans tabou, à ce problème
devenu le signe le plus tangible de l’impuis-
main, Manuel Valls l’a saisie et puis plus rien, si
ce n’est la promesse d’un traitement social à
haute dose, l’annonce de 500 000 formations
pour les chômeurs dont on se demande qui les
financera.
Et aujourd’hui, l’ancien premier ministre se
fait procureur. Il dénonce une erreur
d’aiguillage. Sur LCP, il reproche à François
Hollande d’avoir voulu rechercher l’union na-
tionale sur la déchéance de la nationalité plu-
tôt que sur l’emploi, d’avoir préféré le symbole
au réel, d’avoir choisi la manœuvre politique
plutôt que la résolution des problèmes.
L’accusation est lourde dans la bouche d’un
centriste, mais elle vient confirmer cette ab-
surdité française : tout n’est pas fait contre le
chômage. p
fressoz@lemonde.fr
0123
SAMEDI 16 JANVIER 2016
Alan Rickman
Acteur britannique
A
lan Rickman est mort,
emporté par un cancer,
jeudi 14 janvier, à Lon-
dres. Il avait 69 ans. Le
cinéma pleure aujourd’hui la dis-
parition de cet acteur qui jouissait
d’un solide capital de sympathie,
et restera dans l’histoire pour avoir
incarné quelques méchants mé-
morables. Si sa carrière ne s’est pas
cantonnée au côté obscur de la na-
ture humaine, l’aura ambiguë, vé-
néneuse et sexy qu’il a su donner à
des personnages comme Hans
Gruber, dans Piège de cristal, de
John McTiernan (1988), ou de Seve-
rus Rogue, dans la saga Harry Pot-
ter, fait de lui une sorte de cousin
britannique de John Malkovich,
avec qui il a en commun d’avoir in-
carné un Valmont particulière-
ment inspiré.
Deuxième d’une famille de qua-
tre enfants, Alan Rickman est né le
21 février 1946 à Londres, d’un père
ouvrier, irlandais d’origine, et
d’une mère galloise. Il débute sa
carrière sur les planches, où il fait
sa première apparition à l’âge de
7 ans malgré un problème d’élocu-
tion lié à une malformation de la
mâchoire qui façonnera sa voix
grave et chuchotante, reconnais-
sable entre toutes. Après des étu-
des et un début de carrière dans le
graphisme, il intègre, à 26 ans, la
Royal Academy of Dramatic Arts
et rejoint, en 1978, la Royal Shakes-
peare Company. C’est en son sein
qu’il décroche, dans une mise en
scène de Christopher Hampton, le
rôle du vicomte libertin des
Liaisons dangereuses, qui le pro-
pulse sous les feux de la rampe.
Engagement politique à gauche
En confirmant sa stature
d’homme de théâtre, où il aura en-
core de nombreuses occasions de
déployer son immense talent, ces
Liaisons dangereuses lui valent
d’être remarqué par John McTier-
nan. Le cinéaste lui offre son pre-
mier rôle hollywoodien, celui du
bandit de haut vol et machiavéli-
que Hans Gruber, adversaire co-
riace de John McClane (Bruce
Willis), dont le plan pour récupérer
un mégabutin le conduit à se faire
DAVID HARRISON/EYEVINE/BUREAU233
21 FÉVRIER 1946 Naissance
à Londres
2001 « Harry Potter à l’école
des sorciers », premier volet
de la saga de J. K. Rowling
portée à l’écran
2003 « Love Actually »
14 JANVIER 2016 Mort
à Londres
Daniel Radcliffe, qui jouait le jeune
Harry dans la saga, lui a rendu un
vibrant hommage, louant aussi
bien son talent d’acteur que ses
qualités humaines – loyauté, géné-
rosité, drôlerie et sens de l’autodé-
rision rares… « Il fut l’un des pre-
miers acteurs (…) à me considérer
comme un partenaire à part en-
tière, et non comme un enfant. Tra-
vailler avec lui à un âge où l’on est
encore en plein apprentissage a été
incroyablement important pour
moi. Je n’oublierai jamais ses ensei-
gnements. »
Marié à Rima Horton, une pro-
fesseure d’économie proche du La-
bour, Alan Rickman était connu
pour son engagement politique à
gauche, son implication dans di-
verses fondations, ses prises de po-
sition contestataires – que ce soit
pour critiquer le fonctionnement
de la Royal Shakespeare Company,
ou le Michael Collins, de Neil Jor-
dan, dans lequel il jouait lui-même
un rôle. En 2005, il a dirigé la pièce
My Name is Rachel Corrie (« Mon
nom est Rachel Corrie »), écrite à
partir des e-mails de l’étudiante
américaine qui fut tuée par un
bulldozer dans une manifestation
contre les agissements des forces
d’action israéliennes dans la
bande de Gaza.
La carrière cinématographique
d’Alan Rickman comprend
d’autres rôles que ses célèbres mé-
chants. Ceux d’un violoncelliste
qui revient hanter la vie de la
femme qu’il aimait, dans Truly,
Madly, Deeply, d’Anthony Min-
ghella (1992), de Col Brandon dans
Sense and Sensibility, d’Ang Lee
(1995), où il donne la réplique à
Emma Thompson. Une actrice
qu’il retrouvera régulièrement par
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AU CARNET DU «MONDE»
Naissances
Gwénaëlle HUET et Franck AVICE
ont l’immense bonheur d’annoncer
la naissance de
Paul et Hugo,
le 1er janvier 2016.
27, avenue du Château,
94300 Vincennes.
Décès
Anne-Marie Abecassis,
son épouse,
Emmanuelle, Anne-Françoise,
ses illes,
Jean-Pierre, Philippe,
ses gendres,
Olivier et Colombe,
Nicolas, Léonard,
ses petits-enfants,
ont la tristesse de faire part du décès de
Jacques ABECASSIS,
survenu le 13 janvier 2016,
dans sa quatre-vingt-neuvième année.
Ses obsèques auront lieu le lundi
18 janvier, à 14 h 45, au cimetière
nouveau de Courbevoie, rue du Révérend-
Père Cloarec.
28, boulevard de la Paix,
92400 Courbevoie.
Le Seigneur a rappelé à lui,
Jacques BONY,
professeur émérite
à l’université de Paris 12,
survenu le 23 décembre 2015,
dans sa quatre-vingt-quatrième année.
Jean-Pierre Denis,
président du groupe
Crédit Mutuel Arkéa,
Ronan Le Moal,
directeur général du groupe,
Les membres
du conseil d’administration
Et l’ensemble des administrateurs
du groupe,
Les membres du comité de direction
générale du groupe,
L’ensemble des salariés,
font part avec beaucoup de tristesse
et d’émotion de la disparition, à quarante
ans et après deux ans d’un long combat
contre la maladie, de
Hervé CROSNIER,
directeur général adjoint.
Simonne GAULTIER,
née CHAPLAIN,
est décédée le 13 janvier 2016,
à l’âge de quatre-vingt-dix-huit ans.
C’était une femme tendre, aimante,
tolérante et engagée.
Résistante communiste FTP, elle a été
arrêtée en 1943 et déportée au camp
de concentration de Ravensbrück.
Elle était chevalier de la Légion
d’honneur,
Sylvie et Patrick Clapier, Alice, Martin
et Magali,
Mireille Czarny, Marion et Patrick,
Romain et Stéphanie, Julia et Laurent,
Denis et Évelyne Gaultier, Camille,
Pauline,
ses enfants et ses petits-enfants,
Charlotte, Tristan, Mathilde, Elisa,
Roméo, Maya, Neil, Noémie,
ses arrière-petits-enfants,
sont tristes et conscients de leur chance
de l’avoir eue pour mère et grand-mère.
L’inhumation aura lieu ce vendredi
15 janvier, à 15 heures, au cimetière
de Malakoff (Hauts-de-Seine).
Danielle Gourevitch,
son épouse,
Alexandre et Raphaël,
ses ils,
ont la tristesse d’annoncer le décès de
Michel GOUREVITCH,
médecin psychiatre,
survenu le 16 décembre 2015, à Paris,
à l’âge de quatre-vingt-cinq ans.
Il repose au cimetière parisien
de Bagneux.
21, rue Béranger,
75003 Paris.
Sylvie et Olivier,
ses enfants,
Véronique,
sa belle-ille,
Lou-Ahn,
sa petite-ille,
Jean-Claude Gérard de Saint Hilaire,
son frère,
Les familles Lamour, Labib et Flori,
ont la tristesse de faire part du décès de
Mme Jean-Philippe LAMOUR,
née Jacqueline GÉRARD
de SAINT HILAIRE,
survenu le 12 janvier 2016,
dans sa quatre-vingt-unième année.
L’Académie des Jeux loraux
de Toulouse
a la tristesse d’annoncer le décès
de son secrétaire perpétuel
le professeur
Georges MAILHOS,
ancien élève
de l’Ecole normale supérieure
(Saint-Cloud),
professeur émérite des Universités,
président honoraire
de l’université de Toulouse Jean-Jaurès,
oficier de la Légion d’honneur,
survenu le 12 janvier 2016, à Toulouse,
à l’âge de quatre-vingt-trois ans.
Magdeleine Rossignol,
sa mère,
Jacqueline Bascou,
sa compagne,
Emmanuelle et Charles-Henri
Rossignol,
ses enfants,
Mathilde et Romane Rouquet,
ses petites-illes,
Ses cousines, ses neveux et nièces
Et tous ses amis,
ont la douleur de faire part du décès de
Jean-Luc ROSSIGNOL,
survenu le 9 janvier 2016, à Pantin,
à l’âge de soixante-seize ans.
Professeur des Universités,
il fut successivement directeur de l’Institut
de génétique et microbiologie à Orsay
(1992-1995) et de l’Institut Jacques Monod
à Paris (1996-2001).
Reconnu pour ses travaux portant
sur la recombinaison méiotique
et un phénomène épigénétique qu’il
avait découvert chez le champignon
ilamenteux Ascobolus immersus, il a aussi
marqué plusieurs générations d’étudiants
par son enseignement et des ouvrages
disparitions & carnet | 13
Claire,
sa ille
et Jean-Luc Termignon,
Isabelle Peyronnet,
sa belle-ille,
Simon, Marie, Lucie et Louise,
Antoine, Pauline et Alix,
ses petits-enfants,
Les Mardis de Sévigné
« La femme à Rome
une révolution élégiaque »
Geneviève Fourcassié, conférence donnée
sa sœur,
par Sylvie Laigneau Fontaine,
professeure
ont la grande tristesse de faire part de Langues et Littérature latine
du décès de à l’université de Bourgogne
et au Collège Sévigné,
François PEYRONNET,
mardi 19 janvier 2016,
survenu le 13 janvier 2016,
à l’âge de quatre-vingt-dix ans. de 18 h 30 à 20 h 30.
Ils rappellent à votre souvenir, Collège Sévigné,
son épouse, 28, rue Pierre Nicole, Paris 5e.
Tél. : 01 53 10 14 14.
www.collegesevigne.org
Janine PEYRONNET
et ses enfants,
Philippe et Elisabeth.
La cérémonie religieuse sera célébrée
le mar di 19 jan vi er, à 10 h 30,
en la chapelle Sainte-Bernadette,
« Chaire
4, rue d’Auteuil, Paris 16e. Grands enjeux
stratégiques contemporains »
« J’ai lutté la belle lutte,
j’ai ini la course,
j’ai gardé coniance. »
Enjeux stratégiques au Moyen-Orient.
2 Timothée 4, 7. Leçon inaugurale
Les grands enjeux stratégiques
Christine Clerici, de 2016,
présidente de l’université Paris-Diderot, Jean-Yves Le Drian,
ministre de la Défense,
Philippe Ruszniewski,
doyen de la faculté de Médecine, Lundi 18 janvier 2016,
de 18 heures à 20 heures,
Isabelle Aubin-Auger,
coordonnatrice Centre Sorbonne,
du Département de médecine générale Amphithéâtre Richelieu,
17, rue de la Sorbonne, Paris 5e.
Et l’ensemble Inscription obligatoire sur le site :
de la communauté universitaire, chairestrategique.univ-paris1.fr
ont la tristesse de faire part du décès, Programme des conférences 2016,
survenu le 5 janvier 2016, de leur collègue, les lundis de 18 heures à 20 heures,
le docteur Raymond WAKIM, 18 janvier : leçon inaugurale,
Jean-Yves Le Drian,
maître de conférences associé ministre de la Défense,
de médecine générale Les grands enjeux stratégiques de 2016,
à l’université Paris-Diderot.
25 janvier : Hubert Védrine,
Ils rendent hommage à ses qualités
ancien ministre des Affaires étrangères,
humaines et professionnelles et partagent Crises contemporaines et néo-réalisme,
leur émotion et leur peine avec sa famille
et tous les membres de son équipe. 1er février : Shahram Chubin,
Carnegie Endowment
Faculté de Médecine Paris-Diderot, for International Peace, Genève,
10, avenue de Verdun, Moyen-Orient :
75010 Paris.
un paysage stratégique en mutation,
8 février : Ayesha Siddiqa,
Conférences
expert, Islamabad, Pakistan,
Le Pakistan peut-il se permettre
de « perdre » le Moyen-Orient ?
15 février : Pierre Vermeren,
université Paris 1,
Panthéon-Sorbonne, France,
Rencontre de la société des lecteurs De Beyrouth à Damas,
quarante ans de guerre
« Egyptomania, deux siècles au Moyen-Orient, quelles logiques ?
de découvertes et de fascination »
22 février : Ali Kazancigil,
Middle East technical University,
A l’occasion du lancement de la nouvelle
collection du Monde « Egyptomania, Ankara, Turquie,
les trésors de l’Egypte ancienne », La diplomatie turque au Moyen-Orient :
les raisons d’un échec,
Le Monde et la Société des lecteurs
ont le plaisir de vous convier
à une conférence sur le thème : 29 février : Yann Richard,
université Paris1,
« Egyptomania : deux siècles Panthéon-Sorbonne, France,
de découvertes et de fascination », L’Union européenne au Moyen-Orient.
Un acteur faible
Robert Solé, dans un voisinage compliqué,
journaliste, écrivain,
auteur de nombreux ouvrages sur l’Egypte 7 mars : Salman Zaidi,
et parrain de la collection du Monde expert, Islamabad, Pakistan,
« Egyptomania », Radicalisation :
les réponses pakistanaises,
Guillemette Andreu,
14 mars : Emile Hokayem,
directrice honoraire du département
des antiquités égyptiennes du Louvres International Institute
for Strategic Studies, Bahreïn,
et Jean-Marcel Humbert, La situation irako-syrienne :
conservateur général honoraire principal enjeu de sécurité
du Patrimoine dans la région,
participeront au débat animé 21 mars : Jeffrey Lewis,
par Vincent Giret, rédacteur en chef Middle Institute of international Studies,
du journal Le Monde, Monterey, Etats-Unis,
L’emploi des sources ouvertes pour
le vendredi 15 janvier 2016, l’étude de la prolifération nucléaire,
à 18 heures,
Institut du Monde Arabe, 4 avril : Ram Jakhu,
salle du Haut Conseil, niveau 9, Institut de l’Air et de l’Espace,
1, rue des Fossés Saint-Bernard, Paris 5e. Université Mac Gill, Montréal, Canada,
Normes juridiques
Réservation obligatoire par mail et guerre dans l’espace,
uniquement et dans la limite des places
disponibles à sdl@lemonde.fr 11 avril : colloque conclusif.
de génétique. # #  $    

passer pour un terroriste d’ex- la suite, que ce soit dans la comé-
Ses obsèques seront célébrées  !# $  # 
 #$   $ # &. + *2.+
trême gauche. Porté par le succès die romantique Love Actually, de dans l’intimité le samedi 16 janvier 2016, Enseignant-chercheur hors pair, poète,  #$ $   
 #$ $   $ #
  $  #  *'$ %&# &
planétaire du film, ce personnage Richard Curtis (2003), ou dans L’In- à 10 h 30, en la basilique Notre-Dame peintre, il a toute sa vie œuvré pour faire  #$    # . *&%%*

froid aux pulsions sadiques lui vitée de l’hiver (1997), qui mar- d’Avesnières de Laval (Mayenne). progresser les idées et les hommes.  #  $
  ! # !  #! *%& + &/&
Conscient des dangers qui  #$  % # #  
 # " $
 #$ ! #!    # %&!- &(). % *  ** %%#&%.
vaudra d’en jouer une kyrielle quera ses débuts de réalisateur. menacent notre planète et ses habitants,
Marine, Lorène, Aurique, Vanina,  * %  # %*  # * .*
d’autres dans la même veine, à Son deuxième film, Les Jardins du
ses illes, il a consacré la dernière année de sa vie  # #   ** &.*-& +
# % *&% 2#/ 
.$%%
*%. (*$%- *
commencer par le tyrannique shé- roi, intrigue amoureuse sise dans Pierre, Lucie, Muriel, Hugo, Dylan, à un projet visant à fédérer les actions  #   $ $  %%- &-  # (( &.*  # 3"&0+"
 #   $# *%" &%%+  # .** % * +- % ++&#
rif de Nottingham dans Robin des le Versailles du Roi-Soleil, est sorti Léopold, Juliette, en faveur du respect de la nature  #$ $ $ %# $  $  ##+ /%
&-
ses petits-enfants, et des hommes.  #$ $ %# $ $ .# % *& &.*-
bois : prince des voleurs, de Kevin en France en 2015.  #$   % ! #
 #  #!  %%-  *-
Reynolds. Il réapparaîtra bientôt à l’écran ont le regret d’annoncer le décès de Une cérémonie a eu lieu au crématorium  #  % &.1
Mais c’est le trouble Severus Ro-
&#+ $%3
gue, agent double indéchiffrable et
&.
dans Operation Eye in the Sky, un du cimetière du Père- Lachaise, Paris 20e,  #$ #!#$
* + (-&&*&.
# 
thriller sur fond de guerre des dro- Henri DELANNOY, le 12 janvier.   *  3 -
 #$ *%"
sommité de l’école de sorcellerie nes, où il a joué un officier de l’ar- géographe et climatologue, Famille Rossignol,  #     $  $ -* % &#2
de Poudlard, qui assoit véritable- mée de l’air américaine. p 8, rue Beaurepaire,  #        # * +- % -
ment sa gloire, dans Harry Potter. isabelle regnier le 13 janvier 2016, à Lagnes (Vaucluse). 93500 Pantin. !  !$ %   ** * (*+ %- +- % *% & / (*+ %-
14 | culture
« A la Philharmonie,
il y a encore
beaucoup
à imaginer »
Laurent Bayle, président de l’établissement
parisien, dresse un premier bilan
très positif du lieu conçu par Jean Nouvel
et inauguré en janvier 2015
ENTRETIEN
L
a Philharmonie de Paris
aura traversé, non sans
tapage, sa première an-
née. Le 14 janvier 2015,
quelques jours après les attentats
à Paris et à Montrouge (Hauts-de-
Seine), le bâtiment ouvrait ses
portes en présence du président
de la République, François Hol-
lande. L’architecte Jean Nouvel,
absent car il jugeait l’événement
prématuré, avait manifesté, par
voie de presse et de justice, son
opposition. Depuis, l’auditorium
de 2 200 places a trouvé son pu-
blic, aidé par le succès des deux
expositions inaugurales, consa-
crées l’une à David Bowie, mort le
10 janvier, l’autre à Pierre Boulez,
décédé le 5 janvier. A l’heure où
l’on enterre ces figures tutélaires,
et tandis que son mandat arrive à
échéance, Laurent Bayle, 64 ans, à
la tête depuis 2001 de la Cité de la
musique, devenue Philharmonie
de Paris, livre un état des lieux.
Au terme de cette première an-
née, quel est le constat général ?
Il s’agit indéniablement d’un
premier succès. L’engouement
des débuts s’est confirmé. Non
seulement dans la vie musicale
parisienne, mais aussi sur l’échi-
quier mondial. Les chefs d’or-
chestre et solistes internatio-
naux, les grands orchestres, van-
tent les qualités de la salle. Cer-
tains vont même jusqu’à dire que
la Philharmonie est « la meilleure
salle du monde ». Quant au pu-
blic, il est souvent émerveillé par
la forme intimiste de la salle, la
sensation d’immersion dans le
son, le sentiment de participer
« physiquement » au concert.
Une acoustique enveloppante,
une forte proximité du public
avec la scène : le succès
n’était-il pas prévisible ?
Cela peut sembler évident,
quand il s’agit de construire un
auditorium essentiellement dé-
volu au répertoire symphonique.
Mais il a fallu mener un combat
qui n’a pas toujours été bien com-
pris par le milieu culturel et artis-
tique. Pour la majorité, une salle
de concert est un bâtiment au
geste architectural novateur ;
l’acoustique passe au second
plan. En poussant à l’extrême,
pour certains, il n’y a pas de diffé-
rence notoire entre un musée et
un auditorium symphonique.
Seule la proposition de Jean Nou-
vel a répondu aux demandes
d’un cahier des charges exigeant.
Elle est même allée au-delà, ima-
ginant des modulations ingé-
nieuses de la salle, pour en multi-
plier les utilisations.
Les cassandres prévoyaient la
perte d’un tiers des mélomanes
par rapport à Pleyel. Qu’en est-il ?
Les premières données, qui com-
parent la première année de la
Philharmonie à une saison type de
la précédente configuration
Pleyel-Cité de la musique, mon-
trent une progression globale de
65 % du nombre de spectateurs et
de 28 % pour les concerts payants.
En 2015, nous en avons comptabi-
NOUVELLE PRODUCTION
MUSICAL
3-12 FÉVRIER 2016
MUSIQUE ET LYRICS
COLE PORTER
CHATELET-THEATRE.COM
01 40 28 28 40
Le 8 janvier, à la
Philharmonie,
à Paris.
SERGE PICARD/VU
POUR « LE MONDE »
lisé plus de 1,2 million (dont 75 000
pour les concerts gratuits). Cette
augmentation s’équilibre dans les
deux salles, la Cité profitant de l’ef-
fet Philharmonie (89 % au lieu de
83 %, en 2014). Malgré une jauge
nettement supérieure (1 900 pla-
ces à Pleyel, 2 200 places à la Phil-
harmonie, soit une hausse de 20 %
de la capacité d’accueil), la Philhar-
monie atteint un taux de remplis-
sage de 97 %, alors que celui de
Pleyel était de 87 % en 2014. Nous
refusons souvent du monde. Et
certains artistes attirent un public
plus large que lorsqu’ils se produi-
saient à Pleyel ou à la Cité de la mu-
sique. Ces premières données de-
vraient être affinées lors d’une
étude, prévue pour l’été, en étroite
collaboration avec le département
des études, de la prospective et des
statistiques du ministère de la cul-
ture et de la communication.
On note l’émergence d’un pu-
blic qui ne possède pas les co-
des de la musique classique et
qui applaudit, par exemple, en-
tre les mouvements d’une so-
nate ou d’une symphonie…
On a même constaté que ce phé-
nomène augmente lors des con-
certs du week-end destinés aux fa-
milles. Il y a un appel d’air pour les
nouveaux publics, et nous nous
acheminons vers un modèle du
type Centre Pompidou, dont la dy-
namique ne s’est jamais démentie.
Que sait-on sur
ce nouveau public ?
Il semblerait qu’il vienne essen-
tiellement de la banlieue, qui re-
présente un tiers (31 %) des specta-
teurs, dont 19 % de Seine-Saint-
Denis. Mais aussi des régions et de
l’étranger (21 %), ce dernier ayant
doublé. Reste les 48 % de Pari-
siens, un chiffre stable, mais où le
poids des gens des arrondisse-
ments limitrophes du 19e s’est
alourdi. Cela aboutit à un rééquili-
brage entre l’est et l’ouest de l’Ile-
de-France. Difficile, en revanche,
de savoir ce que nous avons con-
servé de notre public de Pleyel.
Parmi les critiques adressées à
la Philharmonie figure son ac-
cessibilité. Qu’en est-il ?
La RATP a densifié son trafic du-
rant l’heure qui précède le concert,
mais nous ne bénéficierons ja-
mais des mesures accordées au
Parc des Princes ou au Stade de
France ! Il n’y a pas de solution mi-
racle, c’est pourquoi nous appor-
tons une multiplicité de réponses.
Ainsi des bus gratuits, qui recon-
duisent les gens à Châtelet et à
Denfert-Rochereau, à Paris. Je sou-
ligne que cette question n’est un
problème que pour le public de la
musique classique. Pour celui des
autres musiques et pour le nou-
veau public de la Philharmonie, le
sujet n’est même pas évoqué.
Jean Nouvel a intenté une action
en justice, estimant que son
droit d’auteur avait été bafoué.
Où en sont l’achèvement des tra-
vaux et les démêlés judiciaires ?
Je prends la responsabilité en-
tière de l’ouverture de la Philhar-
monie, le 14 janvier 2015. C’était
mon devoir à l’égard de la commu-
nauté musicale, des tutelles et du
public. Pour ce qui concerne les
travaux, l’intérieur du bâtiment
est sous contrôle depuis l’été. Pour
l’extérieur, le dépôt de bilan d’un
sous-traitant belge façadier a in-
terrompu le chantier en
juillet 2015. Nous n’avons obtenu
la levée des scellés qu’au début dé-
cembre 2015 et Bouygues a repris
le chantier. On devrait pouvoir
marcher sur le toit de la Philhar-
monie au printemps. Quant à Jean
Nouvel, nous sommes toujours en
procédure. La justice l’a débouté de
sa demande de modification une
première fois, en avril 2015. L’appel
est en cours. J’espère que nous par-
viendrons à un accord.
Le nom de la Cité de la musique
est de nouveau accolé à celui de
la Philharmonie 2. Pourquoi ?
Nous avons constaté à quel
point cet ancrage était fort dans
l’esprit du public. D’autre part, la
disparition du nom a pu laisser
« J’aimerais
renouer un
dialogue plus
serein avec
Jean Nouvel »
penser que le bâtiment créé par
Christian de Portzamparc était su-
bordonné à celui de Jean Nouvel,
ce qui n’est pas le cas. L’avantage
du nom « philharmonie » est qu’il
rencontre un écho dans de nom-
breux pays du monde. Nous al-
lons le garder et nous allons dis-
tinguer en son sein la Philharmo-
nie-Grande Salle et la Philharmo-
nie-Cité de la musique, ce qui
devrait éviter tout quiproquo.
Comment établissez-vous le
partage de la programmation
entre les deux salles ?
La Grande Salle est naturelle-
ment dévolue au répertoire sym-
phonique. Elle accueille égale-
ment quelques têtes d’affiche de
la chanson. Nous restons dans des
modèles de musique peu ampli-
fiée, car la réverbération naturelle
de la salle ne permet pas d’aller
au-delà d’un certain seuil. La
« Cité » programme en priorité les
musiques actuelles amplifiées, le
jazz, les musiques du monde.
Nous voudrions y développer des
projets plus atypiques, comme
l’hommage du danseur et choré-
graphe Philippe Decouflé à David
Bowie, qui pourraient s’inscrire
dans la durée. La structuration
thématique ne devrait plus con-
cerner que les week-ends.
Programmées dans un lieu
« classique », les musiques di-
tes « actuelles » n’ont-elles pas
tendance à s’identifier à des
musiques de répertoire ?
Cela excède l’aura de la Philhar-
monie. C’est une réalité du milieu,
qui tend à sortir de ses circuits ha-
bituels, et se cherche une « respec-
tabilité ». Quant au hip-hop, nous
0123
SAMEDI 16 JANVIER 2016
n’en avons pas programmé, car la
Grande Halle de La Villette en
avait fait son identité, mais tout
est désormais possible.
Après la disparition de Pierre
Boulez, considéré comme le
« père » de la Philharmonie,
l’auditorium pourrait-il porter
son nom ?
Je souhaite que soit rendu à Bou-
lez tout ce que ce projet lui doit.
Cela fait partie des discussions que
nous allons avoir avec la Ville de
Paris et l’Etat. Je trouverais justifié
que son nom soit notamment ap-
parenté à la Grande Salle.
Votre mandat arrive à
échéance en juin. A cette date,
vous aurez 65 ans, la limite de
l’âge légal. Mais la rumeur dit
que vous serez reconduit pour
cinq ans...
La décision, qui nécessite un dé-
cret, appartient aux tutelles. Je ne
l’aurais jamais souhaité si l’Etat et
la Ville de Paris s’y étaient oppo-
sés, mais il est évident que j’ai en-
vie de voir la façon dont le projet
va se stabiliser dans les prochai-
nes années. J’ai envie aussi de dé-
velopper de nouveaux chantiers,
comme celui des orchestres d’en-
fants, dans les quartiers défavori-
sés, dans le cadre du dispositif
d’éducation musicale et orches-
trale à vocation sociale.
D’ici à 2018, il devrait y avoir une
trentaine d’orchestres en région,
dont un outre-mer. Chacun néces-
site 270 000 euros par an. La Phil-
harmonie mettra 100 000 euros,
l’Etat 70 000 euros. Les
100 000 euros qui restent seront
apportés, à terme, par les collecti-
vités territoriales. Mais il nous fau-
dra trouver, chaque année, 5 mil-
lions d’euros de mécénat privé.
J’aimerais aussi renouer un dialo-
gue plus serein avec Jean Nouvel :
il y a encore beaucoup à imaginer
pour mieux intégrer la Philhar-
monie dans le Parc de la Villette. p
propos recueillis par
marie-aude roux
et sylvain siclier
0123
SAMEDI 16 JANVIER 2016 culture | 15

La culture soigne ses fréquentations

A L B U M
Après les attentats, l’Etat lance une opération pour séduire les publics français et étrangers

ourists welcome. » Les tou-
ristes sont plus que jamais
bienvenus dans les mu-
sées, les lieux de patrimoine, les
festivals, les théâtres et salles de
concert en France… Après les at-
tentats de janvier et novem-
bre 2015, le ministre des affaires
étrangères et du développement
international, Laurent Fabius, en-
voie le message et lance « Le Grand
Tour ».
Cette opération a été présentée
jeudi 14 janvier, au Quai d’Orsay, en
présence d’Isabelle Huppert.
« Alors que l’année 2015 a vu notre
pays et de nombreux citoyens,
amateurs de liberté et de musique,
dessinateurs et passants de Paris,
meurtris en leur cœur, il est essen-
tiel de rappeler que la France sans la
culture ne serait pas respectée,
aimée, visitée comme elle est », écrit
le ministre dans le document pré-
sentant l’opération.
Olivier Poivre d’Arvor la pilote,
depuis octobre 2015, en tant
qu’« ambassadeur chargé de l’at-
tractivité culturelle », un poste
qu’il s’est créé sur mesure, après
son départ de France Culture. « La
France est le premier pays de desti-
nation touristique, avec 85 millions
de visiteurs. Et environ 35 à 40 % de
touristes viennent chez nous pour
découvrir la culture au sens large, le
patrimoine, les musées, mais aussi
la gastronomie et l’art de vivre. La
France est aussi le troisième pays
d’accueil des étudiants étrangers, et
la Fête de la musique 2016 leur sera
dédiée », résume-t-il. Il précise :
« Au départ, j’ai envisagé ma mis-
sion dans un contexte de repli et de
montée du Front national. Je vou-
lais mettre en valeur l’ouverture cul-
turelle de la France, un pays où l’on
traduit un grand nombre de livres,
où l’on coproduit beaucoup de
films étrangers… Après les attentats
de novembre, un nouvel enjeu, que
l’on pourrait qualifier de résistance,
s’est ajouté, avec l’idée que la cul-
ture est un rempart contre l’obscu-
rantisme. »
Cent cinquante pays
Le Grand Tour identifie quarante-
trois événements culturels et ar-
tistiques dans l’agenda 2016, à Pa-
ris et ailleurs, lesquels feront l’ob-
jet d’une communication dans les
ambassades de « 150 pays » : parmi
les rendez-vous, le festival Pre-
miers Plans d’Angers, consacré aux
nouveaux talents du cinéma (du
22 au 31 janvier), l’exposition « Nés
quelque part » à la Sucrière, à Lyon
(du 4 février au 6 mars), le Salon du
livre à Paris (du 17 au 20 mars), le
Printemps de Bourges (du 12 au
17 avril), le Festival international
des jardins à Chaumont-sur-Loire,
dans le Loir-et-Cher (du 4 mai au
1er novembre), la Nuit européenne
des musées, le 21 mai, ou encore le
très couru festival de métal Hell-
fest à Clisson, en Loire-Atlantique
(du 17 au 19 juin). Autrement dit, à
ceux qui redoutent des tensions à
Paris, bienvenue en région… Un bi-
lan sera effectué les 18 et 19 juillet, à
Paris, en présence de « 500 agents
du réseau culturel français dans le
monde ».
Car un vent d’inquiétude souffle
dans les établissements culturels,
tout particulièrement dans les
Olivier Poivre
d’Arvor pilote
l’opération
en tant
qu’« ambassadeur
chargé de
l’attractivité
culturelle »
grands musées parisiens, qui affi-
chent pour la plupart un recul du
nombre de visiteurs, qu’ils soient
étrangers ou nationaux – des étu-
des sont en cours pour affiner les
statistiques, sachant que chaque
institution a un public très spécifi-
que. La tension est palpable, dans
ces grands vaisseaux où la subven-
tion de l’Etat est en baisse et où
chacun s’observe, dans un climat
de compétition. Si le Musée du
Louvre dit maintenir sa « position
de musée le plus fréquenté au
monde », il enregistre un recul sen-
sible du nombre d’entrées avec
8,7 millions de visiteurs en 2015,
contre 9,3 millions en 2014.
Un net décrochage a été notam-
ment observé au lendemain des
attentats, durant la semaine du 16
au 22 novembre (− 35 % de visi-
teurs), puis du 23 au 30 novembre
(− 30 %). Mais la direction se dit da-
vantage inquiète du repli des visi-
teurs nationaux et des scolaires –
le nombre de ceux-ci accusant une
baisse de 26 % par rapport à 2014.
En effet, les chefs d’établissement
privilégient les sorties de proxi-
S É L E C T I O N
mité, afin d’éviter les transports en trois quarts franciliens. « Les gens ART HU R HON EGGER
commun. Paradoxalement, la part sont restés calfeutrés chez eux Symphonie no 2
des visiteurs étrangers au Louvre a après les attaques, mais nous pour cordes
augmenté en 2015 (représentant comptons sur la reprise progressive et trompette en ré
78 % du total des entrées), peut- des habitudes, indique-t-on au majeur.
être du fait du « boom » des Chi- Centre Pompidou. Des débats en Symphonie no 3
nois (800 000 en 2015). lien avec l’actualité sont actuelle- « Liturgique ». Rugby.
Le Musée d’Orsay, lui, connaît ment organisés, à l’initiative du Pacific 231
une fréquentation en baisse de président, Serge Lasvignes. Pro- Orchestre
seulement 1 %, avec 3,4 millions de chain rendez-vous, « Cette vio- symphonique de la
visiteurs – auxquels s’ajoutent lence qui nous arrive », le 3 février à SWR de Stuttgart,
770 000 entrées au Musée de 19 heures, avec notamment l’his- Stéphane Denève
l’Orangerie. Derrière ce chiffre jugé torien Patrick Boucheron et le so- (direction).
stable, la réalité est plus contras- ciologue et historien Pierre Rosan- Stéphane Denève pour-
tée. Dans ce musée fréquenté à vallon. suit son grand bon-
65 % par des étrangers, en tête des- Mais l’institution parisienne qui homme de chemin avec
quels les Américains, une étude souffre le plus du climat post-at- un appétit d’ogre jamais
menée début décembre 2015 sur tentats est sans doute le Musée rassasié. Cette musique
l’impact des attentats a révélé une d’art et d’histoire du judaïsme, le française du début du
chute de 5 % de cette catégorie de MAHJ. Quatre militaires sont en XXe siècle, stylistique-
visiteurs, mais aussi de 17 % pour permanence postés devant l’en- ment inféodée à l’Allema-
les Européens. S’agissant du public trée, rue du Temple, dans le Ma- gne mais en rupture avec
asiatique, la chute est sévère : rais. Le lieu culturel, qui n’est pas un monde habité par la
moins 67 %. Un effondrement dû à un grand vaisseau, est sans doute guerre et la violence, sied
la désertion des Sud-Coréens, ex- le plus sécurisé de la capitale, mais à la vitalité d’un chef d’or-
plique le musée, Séoul ayant dé- le dispositif peut se révéler dissua- chestre qui ménage aussi
conseillé les voyages en région pa- sif pour les visiteurs. « Alors que bien la rythmique que
risienne à ses ressortissants. leur nombre s’établissait à l’émotion. Tour à tour
123 000 en 2014, il devrait repasser brillant et contenu, jubila-
A Beaubourg, un recul de 11,3 % sous la barre des 100 000 en 2015, toire et passionnément
Dans son communiqué, le Centre soit une diminution de 25 % de la recueilli, l’Orchestre de la
Pompidou annonce être resté au- fréquentation », indique le service SWR de Stuttgart donne
dessus de la barre des 3 millions de communication. ici une belle leçon de cette
visiteurs, tout en reconnaissant Les visites scolaires sont en humanité dont Arthur
une baisse de fréquentation chute libre, et pourtant les ateliers Honegger (1892-1955)
« comparable à celle que connais- à destination des collégiens sem- avait fait son credo, et
sent la plupart des grands musées blent aussi passionnants qu’utiles, marque un nouveau jalon
parisiens ». En chiffre, cela signifie dans cette période troublée : l’un dans la discographie mo-
qu’avec un total de 3 059 343 visi- d’eux est issu d’un partenariat derne. p marie-aude
teurs l’année 2015 accuse un recul avec l’Institut du monde arabe et a roux
de fréquentation de 11,3 %. A l’in- pour thème le vivre-ensemble en- 1 CD SWR Klassik.
verse du Louvre ou d’Orsay, le pu- tre juifs et musulmans. p Retrouvez l’intégralité
blic de Beaubourg est constitué à clarisse fabre de la sélection album
60 % de visiteurs français, aux et emmanuelle jardonnet sur Lemonde.fr

Aux Oscars, une nomination française «UN FORMIDABLE MANIFESTE POUR LA LIBERTÉ.»
Présenté par la France, « Mustang » concourra pour l’Oscar du film PARIS
PARIS MATCH
MATCH

en langue étrangère. Charlotte Rampling a été également nommée «UNE ÉNERGIE SAUVAGE, ÉLÉGANTE ET SENSUELLE.»
LES
LES INROCKUPTIBLES
INROCKUPTIBLES

«UN FILM ÉLECTRISANT.»

P our la première fois depuis
Entre les murs, en 2009, le
long-métrage présenté par
la France est nommé pour l’Oscar
du film en langue étrangère. Mus-
Cate Blanchett (Carol), Brie Larson
(Room), Jennifer Lawrence (Joy) et
Saoirse Ronan (Brooklyn).
Avec douze nominations, The
Revenant, d’Alejandro Gonzalez
Ridley Scott ; Le Pont des espions,
de Steven Spielberg, tous nom-
més pour l’Oscar du meilleur film,
se partagent l’essentiel des autres
nominations. Brooklyn, de John
LE
LE MONDE
MONDE

tang, réalisé en turc et en Turquie Iñarritu (Oscar du meilleur film
par Deniz Gamze Ergüven, con- en 2015 pour Birdman), domine la
courra pour ce trophée avec, entre sélection des concurrents aux tro-
autres, Le Fils de Saul, de Laszlo phées décernés par l’Academy of
Nemes (Hongrie). Motion Picture Arts and Science.
Charlotte Rampling est nommée Mad Max, de George Miller ; Carol,
pour la première fois à l’Oscar de la de Todd Haynes ; Spotlight, de
meilleure actrice pour son rôle Tom McCarthy ; The Big Short,
dans 45 ans, d’Andrew Haigh, avec d’Adam McKay ; Seul sur Mars, de
NOUVEL ALBUM
T H E T R AV E L L E R
Sortie le 15 janvier 2016
Crowley, et Room, de Lenny Abra-
hamson, sont aussi nommés à
l’Oscar du meilleur film.
« Star Wars » nommé quatre fois
Deux films produits par la plate-
forme Netflix figurent dans la ca-
tégorie documentaires, What Hap-
pened Miss Simone ? et Winter on
Fire : Ukraine’s Fight For Freedom.
Netflix, qui voudrait devenir un ac-
teur majeur du cinéma, n’a pas ob-
tenu de nomination pour Beasts of
No Nation, de Cary Joji Fukunaga,
et son interprète Idriss Elba.
Annoncées jeudi 14 janvier à Los
Angeles, ces nominations ont aus-
sitôt suscité une polémique due à
l’absence d’acteurs issus des mino-
rités. Et la nomination des scéna-
ristes de Straight Outta Compton,
le film sur le groupe de hip-hop
NWA, n’apparaîtra pas comme une
consolation suffisante. Jonathan
Herman et Andrea Berloff ne sont
pas issus de la communauté afro-
américaine, contrairement au réa-
lisateur et aux acteurs. FULL HOUSE PRÉSENTE
Outre Star Wars, qui se contente
de quatre nominations (musique,
montage et mixage du son et ef-
fets spéciaux), les perdants de ces
annonces sont Les Huit Salopards
(deux nominations avec celle du
compositeur Ennio Morricone).
C’est aussi le cas, dans une moin-
dre mesure, de Steven Spielberg,
Ridley Scott et Todd Haynes, qui
Crédits non contractuels • Design : Benjamin Seznec / TROIKA

L’icône de la musique sénégalaise revient avec son n’ont pas été nommés dans la caté-
album le plus dense et ambitieux à ce jour. gorie meilleur réalisateur. Carol,
donné comme l’un des grands fa-
En concert le 16 janvier à L’Alhambra voris, n’a pas été nommé à l’Oscar
(Paris) du meilleur film. Les Oscars seront
remis, dimanche 28 février, à Los
ACTUELLEMENT AU CINÉMA
Angeles, lors d’une cérémonie pré-
sentée par Chris Rock. p
thomas sotinel
16 | télévisions
Une blonde sans revanche
Un documentaire de Patrick Jeudy retrace la vie de l’actrice abondamment « bustée » Jayne Mansfield
ARTE
DIMANCHE 17 – 23 H 25
DOCUMENTAIRE
E
lle faisait partie de ces
créatures aux courbes vo-
luptueuses qui soutien-
nent ce qu’elles avancent ;
plus prosaïquement, Jayne Mans-
field (1933-1967) était une « busty
blonde » (« blonde à gros seins »),
telle que les producteurs de ci-
néma la voyaient, elle et quelques
autres starlettes abondamment
« bustées ».
Jayne Mansfield, qui s’appelait
Vera Palmer avant son premier
mariage, voulut d’abord être une
nouvelle Shirley Temple. Puis,
après le traitement radical d’une
décoloration en blonde platine,
elle devint une sorte d’ersatz de
Marilyn Monroe, dont elle copiait
les mines mutines, les petits cris
aigus, mais qu’elle battait au rayon
des mensurations. D’ailleurs, l’un
des studios pour lesquels Mans-
field travailla la présentait comme
une « Marilyn King Size ».
L’actrice, rappelle Patrick Jeudy
dans son documentaire Jayne
Mansfield, la tragédie d’une blonde
(diffusé par Arte en mars 2015),
comprit vite à quel point ses
101 cm de tour de poitrine allaient
la servir. Elle se fit photographier
volontiers en contre-plongée, or-
chestra des « accidents de garde-
robe » et fut « la première vedette
Au centre de la tragédie du « Vol 93 »
Le film de Paul Greengrass est une allégorie sur la vulnérabilité de notre monde
OCS CHOC
SAMEDI 16 – 22 H 10
FILM
A quoi peut bien servir Vol
93, le premier long-mé-
trage à avoir traité des évé-
nements du 11 septembre 2001,
dont l’horreur nous est devenue si
familière ? A première vision, le
film de Paul Greengrass est une
épreuve, qui force à refaire pas à
pas la trajectoire d’un vol United
93, parti de Newark (New Jersey) à
destination de San Francisco (Cali-
fornie), et qui s’est écrasé dans un
GRILLE N° 16 - 013
PAR PHILIPPE DUPUIS
1 2 3 4 5 6
I
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
IX
X par Guy Chabot. 4. Préposition. Din-
SOLUTION DE LA GRILLE N° 16 - 012
HORIZONTALEMENT I. Bateau-Lavoir. II. Avariée. Orna. III. Ring. Luit. DS.
IV. BCG. Bernanos. V. Ou. Ne. Sa. ONU. VI. Ulcéra. Raser. VII. Item. Soir. SA.
VIII. Lesseps. Rein. IX. Lus. Pistolet. X. Eradications.
VERTICALEMENT 1. Barbouille. 2. Aviculteur. 3. Tang. Cessa. 4. Erg. Nems.
5. Aï. Ber. Epi. 6. Uélé. Aspic. 7. Leurs. Ossa. 8. Inari. Tt. 9. Vota. Arroi.
10. Or. Nos. Elo (olé). 11. Indonésien. 12. Rassurants.
du cinéma d’une telle notoriété » à
se montrer nue à l’écran pour re-
lancer l’attention du public mas-
culin et empocher les revenus que
nécessitait son train de vie dispen-
dieux. Mais, à son plus haut, Jayne
Mansfield ne fit que des films se-
condaires et ne connut que quel-
ques années de succès, quand elle
finit par être la remplaçante d’une
Marilyn Monroe que les studios ne
voulaient plus engager en raison
de son imprévisibilité. Mansfield
avait fini par se substituer à celle
dont la presse disait pourtant
qu’elle n’était que « la doublure
d’une imitation »…
Manque de reconnaissance
Victime d’un système machiste ?
Mansfield prouva plutôt le con-
traire par une crâne obstination à
faire ce qu’elle voulait. Les studios
lui déconseillaient de se marier ?
Jayne épousa un Tarzan en la per-
sonne d’un ancien culturiste dont
elle appréciait les pectoraux. On
désapprouvait ses grossesses ? Elle
fit cinq enfants, de trois pères dif-
férents, et afficha une vie dissolue,
qui le fut plus encore quand elle
versa dans l’alcool et le LSD.
La fin de carrière de Mansfield,
rappelle Patrick Jeudy, fut un peu
misérable : empâtée, à la dérive,
l’actrice sans réelle filmographie
mémorable continuait de fasciner
la clientèle masculine des night-
clubs miteux où elle se produisait
champ de Pennsylvanie, après que
les passagers eurent tenté de maî-
triser les terroristes.
L’énumération des faits connus,
combinée à la dramaturgie cons-
truite autour de ce que l’on a pu de-
viner des dernières minutes du
vol 93, force à se mettre au centre
d’une tragédie dont la significa-
tion n’apparaît pas pour autant
clairement. Si l’on arrive à surmon-
ter cette émotion primale, on peut
en discerner une autre dans le film
de Greengrass, cinéaste britanni-
que venu du reportage télévisé :
derrière la reconstitution se des-
7 8 9 10 11 12
sine une interrogation pertinente
sur le monde et ses systèmes que
les terroristes du 11-Septembre ont
réussi à blesser grièvement.
Anonymat des transports
Vol 93 n’est pas un film en temps
réel. D’abord parce que le Boeing
737 de United n’est resté en vol que
trente-cinq minutes. Ensuite parce
que les premières séquences se si-
tuent plusieurs heures avant la
chute de l’avion. On voit quatre
jeunes gens dire leurs prières dans
un motel, le nouveau responsable
de la sécurité aérienne sur la côte
HORIZONTALEMENT
I. Une liberté qu’il faut souvent dé-
fendre. II. Dame de compagnie. Scène
grecque et parisienne. III. Fait tout
sauter. Espace fortiié en Afrique du
Nord. S’entend bien avec la chemise.
IV. Tranche de rigolade. Bien relâchée.
V. Celles du temps sont irréparables.
Interjection. VI. A combattu pour li-
bérer le Vietnam. Bonne conduite.
VII. Au cœur des foyers. Essaie de ne
pas rater une miette. VIII. Plume amé-
ricaine née en France. Grand parti
d’hier. Regarnit les pieds au jardin.
IX. Equipe anglaise. Pour les proches.
Doublé romain. X. Bonnes afaires,
mais pas pour tout le monde.
VERTICALEMENT
1. Manœuvre inement pour arriver
à ses ins. 2. Ne sont pas au parfum.
3. Fut redevable. Son coup est signé
don de la farce. En marche. 5. Son
coup est toujours hasardeux. Un peu
de sport. 6. Auxiliaire. Passage habi-
tuel en allant vers l’âne. 7. Riche en
pétrole, en thé et en riz. 8. Richement
couvert. La chaîne d’ancre y prend
place. 9. Sont en rade. Beau parleur.
10. Détruire les cellules. 11. Avec sa
méthode, ça peut inir par marcher.
Devenue désagréable. 12. Prendrais
indûment.
Est prendre ses fonctions. Le mon-
tage alterne entre embarquement
des passagers et début de la jour-
née des contrôleurs. Ce qui per-
met, avant le vol, de montrer les
deux attentats contre les tours du
World Trade Center.
Le cinéaste préfère s’en tenir à
l’anonymat des transports de
masse. Ce que l’on peut deviner
des gens qui montent à bord se li-
mite aux informations que don-
nent leur attitude, leur tenue. C’est
à peine si les terroristes sont plus
remarquables que les autres passa-
gers. De même, rien ne laisse pré-
SUDOKU
N°16-013
Jayne Mansfield,
le 8 juillet 1955.
BETTMANN/CORBIS
avant de rentrer mettre au lit sa
progéniture. C’est au retour d’une
de ces soirées que l’automobile de
l’actrice percuta un camion et lui
fit perdre la vie, le 29 juin 1967.
Jayne Mansfield, pas plus que
Marilyn Monroe, ne reçut jamais
l’hommage suprême du métier,
celui des Academy Awards, les fa-
meux Oscars dont elle rêvait. Elle
n’eut que la récompense décernée
par l’Association de la presse étran-
gère d’Hollywood, les Golden Glo-
bes Awards. Ironique hommage à
celle qui fit de ses rondeurs mam-
maires son argument de promo-
tion favori. Le documentaire de Pa-
trick Jeudy aurait pu se passer d’in-
tégrer de trop nombreuses sé-
quences où des actrices inconnues
s’humilient devant la caméra à
dire qu’elles ressemblent à Jayne
Mansfield, alors qu’il n’en est rien.
Cette cruauté, qui semble répercu-
ter sur elles le regard cynique
qu’avaient les producteurs sur la
« blonde explosive », n’apporte rien
au propos. p
renaud machart
Jayne Mansfield, la tragédie
d’une blonde, de Patrick Jeudy
(Fr., 2014, 50 min).
sager qui, parmi les otages, après
avoir appris les attentats contre les
deux tours du World Trade Center
et le Pentagone, prendra à la der-
nière minute la tête de la révolte
contre quatre hommes armés de
cutters et d’une fausse bombe.
Sans lyrisme, Paul Greengrass
montre ce sursaut pour une der-
nière réaction d’humanité, un ul-
time choix, avant l’inévitable. p
thomas sotinel
Vol 93, de Paul Greengrass. Avec
Christian Clemenson, Trish Gates
(GB - Fr.- EU, 2006, 107 min).
0123
SAMEDI 16 JANVIER 2016
VOTRE
SOIRÉE
TÉLÉ
SAM E D I 1 6 JAN VIE R
TF1
20.55 Le Grand Concours
Divertissement présenté
par Carole Rousseau.
23.30 Le Grand Blind Test
Divertissement présenté
par Laurence Boccolini.
France 2
21.00 Les Années bonheur
Divertissement présenté
par Patrick Sébastien.
23.15 On n’est pas couché
Talk-show animé
par Laurent Ruquier.
France 3
20.55 Le Sang de la vigne
Téléfilm avec Pierre Arditi
(Fr., 2015, 95 min).
22.55 Belinda et moi
Téléfilm de Thierry Binisti.
Avec Line Renaud, Alexandre Styker
(Fr., 2014, 95 min).
Canal+
20.55 L’Affaire SK1
Film policier de Frédéric Tellier.
Avec Raphaël Personnaz,
Nathalie Baye, Olivier Gourmet
(Fr., 2014, 120 min).
22.55 L’Enquête
Thriller de Vincent Garenq.
Avec Gilles Lellouche, Charles
Berling, Laurent Capelluto
(Fr.-Lux., 2014, 100 min).
France 5
20.40 Echappées belles
« Finistère, entre terre
et mer ». Magazine présenté
par Jérôme Pitorin.
22.10 Le Jardin des délices
Documentaire de Stuart Elliott
(GB, 2015, 2/4, 50 min).
Arte
20.50 Un jour en France
Documentaire de Roland Théron
et Elise Darblay (Fr., 2015, 95 min).
22.25 Pink Floyd
Documentaire de John Edginton
(GB, 2014, 60 min).
M6
20.55 NCIS : Los Angeles
Série créée par Shane Brennan.
Avec Chris O’Donnell, LL Cool J,
Daniela Ruah (EU, saison 7, ép. 4/24 ;
S4, ép. 21, 22/24 ; S2, ép. 7 et 8/24).
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA
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à compter du 15 décembre 2000.
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Toulouse (Occitane Imprimerie)
Montpellier (« Midi Libre »)
0123
SAMEDI 16 JANVIER 2016
styles | 17
Parabellum. DR

de l’usine
au dressing
Certaines marques font le pari de la vente
directe au consommateur, sans passer
par les boutiques traditionnelles. Résultat :
des vêtements et accessoires moitié moins chers

MODE multiplié par huit, plus selon les On trouve chez Sézane des man-
catégories », explique Akim teaux à 250 euros et des vestes de

L
orsque la marque califor- Mousterou, expert en vente dans smoking en viscose et revers en
nienne Parabellum a le luxe. Deux tiers de ce montant soie à 180 euros, fabriqués à la li-
rouvert sa boutique en li- payé par le client ira aux bouti- sière est de l’Union européenne.
gne fin 2015, les inter- ques. En éradiquant l’intermé- Maison Standards, lancé par Collection Maison Standards X Pascal Humbert. FELIPE OLIVEIRA BAPTISTA
nautes ont eu droit à une belle diaire, les marques augmentent Uriel Karsenti, ex-patron du chaus-
surprise. De la ceinture doublée leur marge, tout en diminuant le seur Pierre Hardy, vient de mettre
de Kevlar aux sacs pour femme, prix des produits au moins de en ligne une collection de costu-
tous les prix avaient été divisés moitié. mes pour hommes et femmes ne
par deux, voire plus pour cer- dépassant pas les 350 euros. Des tre, de générer du trafic, puis de sophie de la marque : « Nous esti-
tains articles. Ni publicité ni défilé vêtements qui, en boutique, faire revenir le client. Les bouti- mons que nos clients ont le droit
Ce n’était pourtant pas encore Le modèle a fait ses preuves. « auraient coûté trois à quatre fois ques ne sont plus là pour soutenir de savoir combien cela nous coûte
la période des soldes ni un pré- Fondé en 2010, le pionnier du ce prix », selon Uriel Karsenti, qui et défendre ; il faut donc exister de fabriquer tel ou tel produit,
coce Black Friday (au lendemain genre dans l’industrie de la mode assure que « ce système de création autrement, et par soi-même. La nous révélons donc nos coûts et
de Thanksgiving, ce vendredi et de l’accessoire, le lunetier amé- et de production élimine le gâchis à clé, c’est d’être assez désirable et nos marges. »
ouvre la période des achats de ricain Warby Parker, vient d’être toutes les étapes ». d’avoir une offre suffisamment Pour solidifier le message, la
Noël et permet de bénéficier de re- valorisé à 1,2 milliard de dollars. En « direct to consumer », bien construite pour que le client marque a diffusé une vidéo retra-
mises importantes). Les nouveaux Le Français Jimmy Fairly, spécia- comme disent les Américains, se dispense d’aller voir les autres. Il çant le parcours de ses tee-shirts
prix étaient fixés pour durer. lisé aussi dans la lunette, s’est des économies sont faites à tous POUR ATTIRER faut devenir une destination », ad- de l’usine au client. Parabellum
Fondée il y a huit ans, la mar-
que, reconnue pour son cuir de
lancé peu après avec le même
principe. Le prêt-à-porter a suivi
les niveaux, car les marques fa-
briquent selon la demande et ne
ET FIDÉLISER, met Uriel Karsenti. est sur le point de construire un
espace dans le quartier de Down-
bison, venait d’opérer un virage avec les labels américains Ever- sont plus obligées de tenir salon CES MARQUES SUIVENT Des marges réduites town, à Los Angeles, où seront
majeur : évincer les intermédiai- lane, Cuyana, The Arrivals, Bykini pour les acheteurs aux quatre Pour attirer et fidéliser, ces mar- présentés tous les produits, et où
res – c’est-à-dire les boutiques – et Outdoor Voices. coins du monde pendant les se- LA VOIE OUVERTE ques de mode suivent la voie les clients pourront regarder les
de son processus de vente. « Nous Côté français, on peut citer Sé- maines de la mode. Pas de défilé, ouverte par l’industrie agroali- ouvriers travailler le cuir de bi-
n’avons jamais compris la logique zane et Maison Standards. La pre- pas de publicité, pas de boutique PAR L’INDUSTRIE mentaire (avec les labels, le bio, le son, histoire de se rassurer. Mai-
de ce système où la majeure partie mière, véritablement ouverte à l’enseigne, donc moins de frais AGROALIMENTAIRE, commerce équitable) ; toutes son Standards a elle choisi
du montant payé par les clients va en 2013, vend des collections fé- et… de visibilité. C’est un peu le mettent en avant le même argu- d’ouvrir son showroom au pu-
dans les caisses du revendeur et minines en édition limitée dans revers de la médaille. AVEC LE MÊME ment : un souci de transparence. blic ; un lieu ou l’on peut à la fois
non dans celles du concepteur », son « appartement » parisien et Car le rôle d’une boutique mul- Elles expliquent aux internautes voir des collections en prépara-
avoue Mike Feldman, le patron de sur son site Web : « Les clientes y timarque ou d’un grand magasin ARGUMENT : pourquoi leurs produits sont tion, essayer, acheter et retirer sa
Parabellum.
Traditionnellement, une mar-
gagnent un rapport qualité-prix
incomparable et un service très
est de proposer, voire de présen-
ter un label ou un créateur à des
LA TRANSPARENCE moins chers, pourquoi ça ne veut
pas forcément dire qu’ils sont de
commande.
Ces labels attendent des clients
que de mode vend ses produits à attentif. Avec ce modèle commer- clients qui n’en ont certainement moins bonne qualité, et si néces- qu’ils fassent un choix pragmati-
un tarif de gros aux boutiques cial, on se sent beaucoup plus li- jamais entendu parler, tout en le saire, cognent sur les marques que et raisonné, qu’ils prennent
multimarques, aux concept sto- bre, il n’y a pas d’acheteurs de gratifiant de son sceau de valida- « plus traditionnelles » aux mar- le temps de chercher, s’informer,
res et grands magasins, qui en- grands magasins qui ne payent tion (s’il est en boutique, c’est ges « exorbitantes ». « Le modèle lire et faire les comparaisons.
suite affichent, en rayon, un tarif pas à temps, qui imposent un qu’il a été choisi parmi beaucoup DTC nous permet de jouer cartes Beaucoup le font quand il est
« public ». « En général, entre le style, des prix, et des collections d’autres). En « DTC », tout est à sur table. Notre démarche est di- question d’acheter une brique de
coût de la fabrication d’un article prêtes un an à l’avance », explique faire pour les marques. « Les défis dactique. Nous expliquons nos lait ou un lave-linge, beaucoup
et sa vente aux clients, le prix a été Morgane Sézalory, la fondatrice. inhérents sont de se faire connaî- méthodes, nos coûts, nos marges, moins lorsqu’il s’agit de mode.
nous ouvrons les yeux des con- Qu’est-ce qui justifie l’achat
sommateurs sur les pratiques de d’une paire de chaussures à se-
Sensee, un autre regard l’industrie, de la manière la plus
honnête possible, et, bien sûr, sur
melles rouges pour un montant
équivalant à un mois de loyer
le prix, pilier central de notre posi- d’un studio parisien ? L’aura
une paire de lunettes de vue à 49 €, contre Meetic, dont il a aujourd’hui revendu un prix si bas. Le risque c’est que les gens n’y tionnement. Nous pratiquons des d’une marque prestigieuse, patri-
c’est ce que propose la marque française une grande partie. Au départ, Sensee se vou- croient pas. Ironiquement, là où il n’y a marges de 2,5 sur le prix de revient, moniale, le glamour qu’elle évo-
Sensee. Ce prix, suivant le modèle du « di- lait distributeur de montures « de mar- aucune arnaque, ils se demandent où elle est ! contre 7 à 10 chez les autres », que, la beauté de l’objet, etc.
rect-to-consumer » est rendu possible en ques », mais ces dernières, soucieuses de ne Reste qu’une fois qu’ils ont compris, ils se de- poursuit Uriel Karsenti. Mettre honnêteté et confiance
supprimant les intermédiaires (les opti- pas entacher leurs relations avec la dou- mandent comment ils ont pu payer beau- « Les clients ont accès, avec Inter- en avant bouleverse la manière
ciens) et sans faire de dépense marketing. zaine de milliers d’opticiens français, ont re- coup plus cher pendant des années. » net, à une quantité d’informa- d’acheter les vêtements. Le défi
« Dans les grandes chaînes d’opticiens, 60 % fusé de vendre à Sensee leurs produits. Marc Simoncini admet que cela va pren- tions qui était impensable il y a de ces jeunes marques n’est pas
du prix d’une paire de lunettes est destiné à Marc Simoncini a alors fait volte-face et dre du temps, mais Sensee en a devant lui. dix ans. Ils sont bien plus intelli- seulement d’être le plus transpa-
la publicité », fait remarquer Marc Simon- lancé sa marque de lunettes, vendue en li- « Le site lentillesmoinscheres.com vend une gents que certains le croient et ne rent possible, mais de l’être tout
cini, le PDG de l’entreprise. gne exclusivement, avec plus de soixante lentille sur dix en France, nous sommes à se font pas avoir par les tours de en faisant rêver, en créant des
L’homme d’affaires a racheté lentilles- modèles. Le défi majeur est de faire passer le 30 millions d’euros de chiffre d’affaires, ce passe-passe marketing », ajoute émotions, sans être ennuyeux. Le
moinscheres.com et investi 7,5 millions message aux consommateurs : « Nous fabri- qui permet de donner de la marge de Mike Feldman, de Parabellum. temps dira si leur pragmatisme
d’euros en 2011, faisant passer le site sous quons nos lunettes à la main, en France, dans manœuvre à Sensee. Nous existons depuis Sur le site d’Everlane, dont le slo- fonctionne aussi bien que le rêve
l’escarcelle Sensee. Internet, il connaît. le Jura. Un modèle pas si complexe que ça à quatre ans. Je m’en suis donné dix. » p gan est « Radical Transparency », impénétrable du luxe. p
Dix ans auparavant, il fondait le site de ren- expliquer, même si l’on doit presque justifier j. n. un long manifeste édicte la philo- julien neuville
18 | 0123 0123
SAMEDI 16 JANVIER 2016

CULTURE | CHRONIQUE GOODYEAR,

UNE PEINE
par m iche l gue r r in

INOPPORTUNE d’un repreneur potentiel, le PDG de Titan, incriminés. Il met inutilement de l’huile

Jésus superstar… s’en prenant d’emblée à ces « soi-disant

ouvriers » avant de jeter l’éponge, avait en-
tretenu le jusqu’au-boutisme, critiqué au
à Colmar sein même du syndicat.
La désespérance sociale des salariés de
Goodyear explique cette séquestration me-
née sans violence physique. Mais elle ne la
sur le feu.
Les juges de la Somme ont donné du
grain à moudre à Philippe Martinez, qui a
engagé sa centrale dans une radicalisation
tous azimuts. Rendant Manuel Valls direc-
tement responsable de ce jugement, la CGT
a lancé une pétition pour la relaxe des

L
e 7 janvier, le New York
Times recommandait à
ses lecteurs 52 destina-
tions à visiter dans le
monde. Dont Colmar. Et s’il y a
Colmar, c’est pour ses canaux, ses
maisons à colombages, mais
aussi son retable peint par l’Alle-
mand Matthias Grünewald au dé-
but du XVIe siècle. Une œuvre din-
gue ! Onze panneaux taillés dans
le tilleul, que l’on ouvre ou ferme
comme une fenêtre, en fonction
des fêtes catholiques.
Allez au musée Unterlinden et
le retable sera gravé dans votre
cerveau. La crucifixion vous don-
nera des cauchemars. Le corps de
Jésus est squelettique, la peau
verte, la chair purulente, les vais-
seaux sont éclatés, les lèvres
bleues, les pieds et mains défor-
més par les clous, la tête pend
comme décapitée. Ouvrez en-
suite les panneaux : la résurrec-
tion déborde de joie et de cou-
leurs psychédéliques, comme si le
peintre avait fumé la moquette.
Quel musée en France déplace
les foules du monde entier sur
une œuvre ? Le Louvre avec la
Joconde. Et Unterlinden pour le
Retable d’Issenheim, du nom du
village alsacien pour lequel
Grünewald l’a créé. Cette œuvre
religieuse va être sacralisée un
peu plus. Le musée Unterlinden
vient d’être rénové et sa surface a
ALLEZ AU MUSÉE
UNTERLINDEN,
ET LE « RETABLE
D’ISSENHEIM »
SERA GRAVÉ DANS
VOTRE CERVEAU
sions libérales, qui gère le lieu et
le personnel (une trentaine de
personnes), entretient le bâti-
ment, organise des expositions,
achète des œuvres. La Ville de Col-
mar donne un coup de main en
payant seize gardiens. Sinon, le
musée vit surtout de ses recettes.
Donc des entrées. Donc du reta-
ble. Aussi, pendant les travaux,
pour que l’argent continue de
rentrer, l’œuvre est restée visible,
déplacée dans le Couvent des
Dominicains.
Jean Lorentz, un magistrat à la
retraite, préside depuis 2000 la
Société Schongauer. Cet Alsacien
truculent, qui approche les
80 ans, vient tous les jours au mu-
sée. « Je suis bénévole, mais le pa-
tron, c’est moi, car je paie les salai-
res. » La formule fait sourire la di-
rectrice Pantxika de Paepe, une
Basque tombée amoureuse de
l’Alsace : « M. Lorentz me paie et la
U ne vague d’indignation a soulevé
la gauche de la gauche après la
condamnation de huit anciens sa-
lariés de Goodyear à deux ans de prison,
dont neuf mois ferme. Mardi 12 janvier, le
tribunal correctionnel d’Amiens a eu la
main lourde en condamnant ces militants
de la CGT pour la séquestration durant
trente heures, en janvier 2014, de deux di-
recteurs du site industriel alors en voie de
fermeture. Ces faits avaient constitué l’épi-
logue d’un conflit de sept ans ponctué de
violences. Ultramajoritaire dans cette
usine de la Somme, la CGT avait refusé tout
compromis, comme une modification de
l’organisation du temps de travail, menant
une véritable guérilla, y compris à l’encon-
tre des autres syndicats. En 2009, l’attitude
justifie pas. C’est un acte condamnable. Au-
dessus de sept jours, le code pénal qualifie la
séquestration de crime. En dessous, comme
chez Goodyear, c’est un délit passible d’une
peine maximale de cinq ans de prison. Dans
la plupart des cas, les séquestrations – qui
restent rares – sont réglées dans le protocole
de fin de conflit. Les plaintes sont retirées et
les éventuelles sanctions sont disciplinaires.
C’est justement dans le cadre d’un tel proto-
cole que la direction de Goodyear et les ca-
dres séquestrés avaient abandonné les
poursuites pénales.
Le jugement d’Amiens est donc double-
ment inédit. D’une part parce que c’est le
parquet qui a décidé de poursuivre –
comme si, après l’affaire des chemises dé-
chirées à Air France, en octobre 2015, les ju-
ges voulaient donner un coup d’arrêt à ces
agissements inadmissibles. D’autre part,
parce qu’une condamnation de syndicalis-
tes ouvriers à de la prison ferme est quasi-
ment sans précédent. La sévérité du juge-
ment, qui peut être cassé en appel, est dis-
proportionnée par rapport aux faits
« huit Goodyear ». Renouant avec un lan-
gage qui fleure bon les années 1950, elle a
estimé que, si ce gouvernement « dit de
gauche » veut « déclarer la guerre au syndi-
calisme CGT, il devra en assumer les consé-
quences ». Pour Jean-Luc Mélenchon, ja-
mais avare d’une outrance, le gouverne-
ment « veut que l’on matraque les
travailleurs ». Il l’a accusé d’« inventer les
sous-salariés, les esclaves qui doivent em-
brasser la main qui les frappe ». Jeudi, le pre-
mier ministre a qualifié la décision des ju-
ges d’« indéniablement lourde », ajoutant
que « tout n’est pas permis, y compris quand
la violence sociale est très importante ».
Répondant à la CGT et à la gauche de la
gauche, M. Valls a affirmé qu’« il n’y aura
pas dans notre pays de criminalisation de
l’action syndicale », récusant « le soupçon ou
le sous-entendu ». Dans le climat délétère
que connaît le pays, entre la menace terro-
riste et la montée du chômage, le jugement
d’Amiens paraît bien inopportun. Il faut re-
trouver le chemin de l’apaisement, y com-
pris du côté de la justice. p

doublé après trois ans de travaux
– un projet mené par les architec-
tes Herzog et de Meuron. Le lieu
sera inauguré le 23 janvier par
François Hollande, et par Martin
Schulz, le président du Parlement
européen.
Cet attelage franco-allemand
colle au triomphe de l’œuvre.
Dans les années 1980-1990, grâce
au retable ou presque, le musée
Unterlinden attire 350 000 per-
sonnes par an. C’est le musée le
plus visité de France, hors Paris.
On y vient de Suisse, Belgique,
Corée, Chine, Etats-Unis, Japon (les
manuels nippons reproduisent ce
tableau). Mais surtout la moitié du
public vient d’Allemagne. Car pour
les Allemands, c’est une œuvre
culte, punaisée en carte postale
dans nombre de foyers. Après la
chute du mur de Berlin, en 1989, la
fréquentation tombe à 200 000
personnes. « Les touristes d’outre-
Rhin ont trouvé plus tendance de
visiter les pays de l’Est », explique
Pantxika de Paepe, la directrice du
musée Unterlinden.
Un lieu hors norme
Deux cents mille personnes, ça
reste hors norme. Alors que la
grande majorité des musées en
France doivent déborder d’éner-
gie et inventer des expositions
temporaires coûteuses pour con-
tenir la désaffectation du public,
le musée de Colmar pourrait dor-
mir sur son retable. Alors que les
musées invitent des écoles pour
que leurs salles ne soient pas trop
vides, les scolaires ne représen-
tent que 15 % du public à Unterlin-
den. Qui leur préfère des visiteurs
volontaires et qui paient. On tou-
che là au statut curieux du lieu.
Le retable appartient à l’Etat, les
murs à la Ville mais le musée est
privé. Il dépend de la Société
Schongauer, du nom d’un peintre
local du XVe siècle de renommée
mondiale. C’est une association
créée en 1847, vénérable et un brin
désuète, constituée de 700 mem-
bres en majorité issus de profes-
CETTE ŒUVRE
CULTE ATTIRE
PRÈS DE
200 000
VISITEURS PAR AN
LA MATINALE DU MONDE
ville me note. » Son salaire est en
effet réglé par la mairie, qui est
ensuite remboursée par la Société
Schongauer.
LE MEILLEUR DE L’INFO 7 JOURS SUR 7
Caché comme un fugitif
de marque
La gouvernance du musée induit
un jeu subtil à trois – le maire, le
président, la directrice – dont tous
s’accommodent, et qui a ses avan-
tages. Dont celui-ci : dans un mu-
sée privé, les décisions sont plus
rapides. Jean Lorentz donne
l’exemple du collectionneur Jean-
Paul Person, qui a voulu donner
des œuvres au Centre Pompidou.
« Il y a été très mal reçu, alors il leur
a dit d’aller se faire foutre, et puis il
est venu chez moi. Ma femme lui a
fait une choucroute, je lui ai offert
du bon vin d’Alsace, et depuis sa
collection et ses trente-cinq Dubuf-
fet sont au musée. »
Pour être viable, le musée
agrandi d’Unterlinden doit faire
non plus 200 000 mais
320 000 entrées payantes par an.
Avec pour appât le bâtiment d’He-
rzog et de Meuron, la nouvelle aile
de tableaux modernes (Dubuffet,
De Staël, Dix, Léger, Soulages, Pi-
casso, etc.), et toujours le Retable.
Le ticket passera de 8 à 13 euros.
Bref, c’est un pari. Si ça ne marche
pas ? La question fait éclater de
rire Jean Lorentz. Le maire LR, Gil-
bert Meyer, a la réponse pragmati-
que : « Ce sera le problème de la
Société Schongauer. » Mais ce der-
nier est peu inquiet. Du reste, son
dada se résume à une formule :
« Investir dans la culture est un
levier de promotion économique. »
« C’est une chance “énormissime”
d’avoir ce tableau, reconnaît Pant-
xika de Paepe. Un tableau qui, de la
période révolutionnaire à celle des
nazis, a été caché comme un fugi- SWIPEZ, SÉLECTIONNEZ, LISEZ
tif de marque. A fait l’objet de dé-
bats sans fin sur son interpréta-
tion. De polémiques sur sa restau-
ration récente. A marqué Huys-
mans, Picasso, Matisse, Francis
Bacon, Jasper Johns, Beethoven,
Otto Dix, Hindemith… Une ribam-
belle de présidents et ministres du
L’application La Matinale du Monde est téléchargeable gratuitement dans vos stores. A retrouver en intégralité pour 4,99 € par mois
monde entier ont voulu le voir. sans engagement avec le premier mois offert. Les abonnés du Monde ont accès à l’intégralité des contenus.
« En général, ils restent muets, ont
comme moi les poils qui se héris-
sent », raconte Pantxika de Paepe.
Jean Lorentz, lui, se souvient d’un
ancien président de l’Italie : « J’ai
oublié son nom, il s’est approché de
moi et m’a dit : “Je peux vous em-
brasser ?” » p

Tirage du Monde daté vendredi 15 janvier : 275 096 exemplaires

M Le magazine du Monde no 226. Supplément au Monde no 22084 — SaMedi 16 janvier 2016.
ne peut être vendu séparément. disponible en France métropolitaine, Belgique et Luxembourg.

Bowie
et nous
 4

carte blanche à

Viviane Sassen.
la photographe néerlandaise se démarque par ses jeux d’ombre
et de couleurs vives. pour “m”, elle a puisé dans ses archives
des clichés contrastés, évoquant la perte, l’attente, la migration.

Courtesy of Viviane Sassen and Stevenson Gallery

The Coca-Cola Totem (2015).

M Le magazine du Monde — 16 janvier 2016

- LE BON MARCHÉ – 24, RUE DE SÈVRES – PARIS 7 E .
 Le M
Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde. Matthieu Valluet
de la semaine.
« A bicyclette. »
matthieu valluet

Pour nous écrire ou envoyer vos photographies de M (sans oublier

de télécharger l’autorisation de publication sur www.lemonde.fr/m-le-mag) :
M Le magazine du Monde, courrier des lecteurs, 80, bd Auguste-Blanqui,
75707 Paris Cedex 13, ou par mail : courrier-mlemagazine@lemonde.fr
 7

L’overdose ? Pas pour nous. Comme souvent à notre époque de réseaux sociaux et de
chaînes info, il est légitime de s’interroger pour savoir si l’immense émotion suscitée par la
mort de David Bowie n’a pas frôlé le trop-plein. A M Le magazine du Monde, alors que nous
ne pratiquons jamais le genre de la nécro (à la notable exception de Steve Jobs en 2011),
nous avons pourtant considéré que l’heure est encore, aujourd’hui, à l’hommage. D’abord parce
que, assumons-le, Bowie est placé très haut dans notre panthéon personnel. Mais surtout parce
que sa figure résonne de façon singulière avec le moment que nous traversons. C’est ce que
Judith Perrignon raconte dans le beau texte qu’elle consacre à cette disparition : elle s’interroge
sur la place qu’occupent les idoles, sur les traces qu’ils laissent dans nos mémoires, sur le besoin
que nous avons d’eux, sur le temps qui chasse inexorablement la jeunesse, mais la reconvoque
à intervalles réguliers. Il nous semble surtout que Bowie, artiste complet et protéiforme, jouant
avec les genres, musicaux et sexuels, incarne quelque chose de finalement assez difficile à
appréhender aujourd’hui : la modernité. Après les disparitions de Pierre Boulez et d’André
Courrèges, c’est un autre avant-gardiste qui s’en va, guidé par une curiosité réelle pour le
présent et un appétit certain pour l’avenir. Hors de question de trouver que c’était mieux avant,
Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde

que l’époque manque d’intérêt ou qu’elle est incapable de produire des visionnaires. Mais elle
semble trop inquiète et inquiétante pour susciter une réelle confiance. Les outils technolo-
giques apportent le pire comme le meilleur. Les victimes peuvent devenir des bourreaux en
un rien de temps. La peur fait perdre la raison et annihile les sentiments de beaucoup. Les
convictions vacillent… Et voilà pourquoi nous avons tant besoin de nous souvenir de David
Bowie et de chanter à tue-tête des chansons qui ont singulièrement bien vieilli. Dans ce
numéro, il y a donc, outre le texte de Judith Perrignon, des images de l’élégant Bowie, souvent
connues, mais dont nous ne parvenons pas à nous lasser. La photo de couverture, d’ailleurs, a
déjà été mise en avant par nos confrères de Télérama au début des années 2000. Mais nous
l’avons choisie entre toutes parce qu’elle représente notre Bowie préféré, chic et troublant.
Marie-Pierre LanneLongue

16 janvier 2016 — M Le magazine du Monde

 16 janvier 2016

La semaine Les chroniques Le magazine Le portfolio Le style

15 21 23 42 51
Avec le procès Revu et… corrigé Bowie nostalgie. Retour à Tahrir. Mode
de l’infante Cristina, Mauvaise impression. Avec la mort de David Dans Fire in Cairo, Genre pas bête.
l’Espagne veut croire Il fallait oser. Bowie, c’est toute le photographe américain 53
en sa justice. Au bonheur du jeu. une époque qui revient Matthew Connors Le goût des autres
17 22 en mémoire, celle a rassemblé ses clichés Au bout du roulé.
L’instant data J’y étais d’une jeunesse arrivée pris dans la capitale 54
Barack Obama Sous la combi, le képi. trop tard. Après la folie égyptienne de janvier L’invité mystère
rate sa cible. et les utopies. Un monde à juin 2013. Une œuvre L’homme tressé.
18 fiévreux et désenchanté qui revendique sa part de 55
Le gardien de but qu’il savait si bien chanter. subjectivité et de fiction. Fétiche
de l’Iran pourrait passer 34 Jus d’orange.
de la cage au cachot. L’arbitrage 56
19 rend justice à Paris. Variations
Tirage à part. L’affaire Tapie a Droit des regards.
Flambée du pétrole. tout à la fois braqué 57
20 les projecteurs et La palette
Le grand défilé jeté une ombre sur Vent frais.
Zinédine Zidane. cette justice privée. 58
Il n’empêche: Un peu de tenues
42 la capitale française Grands soirs.
est la championne 64
de ces procédures qui Une ville, deux possibilités
permettent de règler Ubud.
des différends entre des 66
entreprises ou des Etats. Ligne de mire
38 Ashes to ashes.
Casse de haut vol. 67
Faute de preuves, Une affaire de goût
le mafieux new-yorkais Bonne pâte.
Vincente Asaro, l’un 68
des braqueurs présumés Dessous de table
du casse de la Lufthansa Le bon Sauvage.

Illustrations Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde

en 1978, a été acquitté. 69
Magnifié par le film de Deuxième rideau
Scorsese Les Affranchis, Butiner en paix.
le plus gros hold-up
de l’histoire américaine
garde sa part de mystère.

La photographie
de couverture a été réalisée par
Markus Klinko & Indrani/Agence A.
11

80, bd Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13 —Tél. : 01-57-28-20-00/25-61

Courriel de la rédaction : Mlemagazine@lemonde.fr —
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La culture
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Et aussi : théâtre, Eric Pillault
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numéro France métropolitaine ; un encart « DVD 19 »
et un encart « Egyptomania », destiné aux abonnés
France métropolitaine.

16 janvier 2016 — M Le magazine du Monde

À PEINE NÉ, DÉJÀ GRAND.
THE NEW MINI CLUBMAN.

Consommations et émissions en cycle mixte selon la norme européenne NEDC : de 3,8 à 6,2 l/100 km. CO2 : de 99 à 144 g/km. BMW France, S.A. au capital de 2 805 000 € - 722 000 965 RCS Versailles - 3 avenue Ampère,
78180 Montigny-le-Bretonneux. The New MINI Clubman = Nouveau MINI Clubman.
 14

Ils ont participé

à ce numéro.
Journaliste — Photographe — Illustrateur
Styliste — Chroniqueur — Grand reporter

judith perrignon,
journaliste et romancière,
se souvient cette semaine
de la rockstar David Bowie.
« On a appris sa mort à
l’heure du journal du
matin, qu’on écoute
aujourd’hui en guettant le
prochain drame. C’était
lui, la mauvaise nouvelle.
ça n’avait rien à voir avec
le reste, et pourtant si : il
était le corps et le visage
multiple d’un âge d’or
décoiffant qu’on
veut abattre et qui recule
inexorablement. » Judith
Perrignon a publié récem-
ment Victor Hugo vient de
mourir (L’Iconoclaste).
(p. 23)
Lisa VignoLi est
journaliste. Elle s’est plon-
gée dans le monde de l’ar-
bitrage, cette justice pri-
vée qui permet aux Etats
et aux entreprises de régler
leurs différends. « L’af-
faire Tapie a un peu terni
l’image de cette justice
alternative. Pourtant,
Paris est une place forte et
très reconnue dans la réso-
lution d’affaires interna-
tionales. En me plongeant
dans ce microcosme, j’ai
découvert une commu-
nauté cosmopolite, discrète
qui contribue à faire briller
le droit au-delà des petits
séismes médiatiques. »
(p. 34)
sébastien thibauLt
a illustré l’enquête sur l’ar-
bitrage français. Ce Qué-
bécois est un habitué du
monde de l’imprimé. Il
travaille régulièrement
pour The New York Times,
The Guardian, Fortune
ou The Washington Post.
Son travail s’est vu récom-
pensé à plusieurs reprises
au cours des dernières
années. (p. 34)
Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde. Le Monde. Bastien Lattanzio. Carmen Tremblay. Cécile Lauer
stéphane Lauer ,
correspondant du Monde
à New York, revient sur
l’acquittement de l’un des
suspects du « casse de la
Lufthansa», le plus impor-
tant braquage jamais
commis aux Etats-Unis.
« Ce procès était sans
doute l’ultime chance de
condamner le dernier
auteur présumé encore en
vie, alors que le butin n’a
jamais été retrouvé. Les
débats autour de l’itiné-
raire de Vincent Asaro ont
permis de se replonger
dans le New York des
années 1970, lorsque la
ville était en proie aux
familles de la Mafia. »
(p. 38).

M Le magazine du Monde — 16 janvier 2016

 15

Cristina de Borbón
et son mari,
Iñaki Urdangarin,
le 11 janvier, à Majorque,
jour de l’ouverture de leur
procès pour corruption.

1 — Avec le procès droite sur sa chaise, immobile pendant accusée de fraude fiscale dans le cadre
de l’infante Cristina, des heures, le visage sérieux, le regard
plongé dans le vide, la mine déconfite,
de l’affaire Noos, du nom de l’institut pré-
tendument sans but lucratif qui aurait
l’Espagne veut des cernes noirs sous les yeux. Plus de permis à son époux, Iñaki Urdangarin, de
croire en sa justice. 500 journalistes sont accrédités pour
suivre le dernier acte de la descente aux
détourner plus de 2,6 millions d’euros de
fonds publics, n’est pas celui d’une affaire
Gérard Julien/AFP

le 11 janvier, Devant les caméras qui retrans- enfers de la fille cadette de l’ancien roi de corruption comme les autres, dans une
mettent, en Direct et en continu, la première Juan Carlos, la sœur de l’actuel, Felipe VI, Espagne qui ne les compte plus.
journée Du procès Dont elle est l’une Des accu- au sixième rang pour la succession au Symbole du discrédit qui frappe toutes
sées, l’infante cristina ressemble à une statue, trône. Le procès de Cristina de Borbón, les institutions, sans exception, et de la •••

16 janvier 2016 — M Le magazine du Monde

 Depuis 2013, le couple
et leurs quatre enfants
ont quitté Barcelone
pour la Suisse, où ils
tentent d’échapper à
la pression médiatique.

••• crise politique et morale qui s’est ajou-
tée à la crise économique, l’affaire Noos a
provoqué, en 2011, quand elle a éclaté,
une tempête sur l’institution monarchique.
Les Espagnols se sentent trahis par le
couple modèle, sympathique et simple,
que semblaient former Cristina de Borbón
et Iñaki Urdangarin. Le fait que les affaires
de corruption, qui frappent tous les partis,
puissent toucher aussi des membres de la
famille royale, dont la seule obligation est
de faire preuve d’un comportement
exemplaire, renforce l’idée de l’impunité
des « élites ». La Couronne, jusque-là jugée
moderne, et appréciée pour son rôle
durant la transition démocratique de
l’après-Franco, est tombée en disgrâce.
La cote de popularité de Juan Carlos n’a
cessé de chuter et le scandale a contribué
à sa décision d’abdiquer en 2014.
« Il n’y a pas assez de pain pour tant de
“chorizos” » (surnom donné aux corrom-
pus) est devenu l’un des refrains de l’in-
dignation qui a crû outre-Pyrénées
d’autant plus vite que les Espagnols se
trouvaient soumis à une dure politique
d’austérité (avec une explosion du chô-
mage et de la pauvreté) lorsque le scan-
dale a éclaté. C’est sur ce terreau qu’a
germé le sentiment qu’une nouvelle tran-
sition était nécessaire, une idée portée
par les jeunes partis qui sont apparus
récemment sur l’échiquier politique
espagnol, Podemos en tête.
En juin 2015, Felipe VI a retiré à sa sœur
le titre de duchesse de Palma, que lui
avait accordé en 1997 son père, Juan
Carlos, en guise de cadeau de mariage.
Il tente ainsi d’instaurer une sorte de
cordon sanitaire entre l’institution monar-
chique qu’il représente et la « brebis
galeuse » de la famille royale, dans la
crainte que, comme son père avant lui, il ne
paie pour les frasques de son beau-frère.
Dans une Espagne qui aspire au change-
ment, aucune précaution n’est de trop.
L’infante est aujourd’hui seule. Il semble
très loin le temps où la jeune fille de 19 ans
suscitait la sympathie du pays qui la voyait
s’asseoir, queue-de-cheval et jean, dans
les amphithéâtres de l’université de la Com-
plutense aux côtés des jeunes de sa géné-
ration, comme une étudiante ordinaire,
avant de devenir, cinq ans plus tard, la pre-
mière femme de la famille royale à possé-
der un titre universitaire. Son époux,
l’ancien champion olympique de handball,
Iñaki Urdangarin, l’ex-gendre idéal, beau et
sympathique garçon, est fui comme la
peste. Dès la fin de l’année 2011, il a été
banni des cérémonies officielles par la Casa
Real (le Palais royal). Le Musée de cire de
Madrid a même pris soin d’éloigner son
mannequin, en tenue de soirée, de ceux du
reste de la famille royale, pour le reléguer,
en short, dans la partie réservée aux spor-
tifs de haut niveau. En 2013, peu avant la
saisie par la justice de leur somptueuse
demeure de Barcelone, le couple, hué, vili-
pendé, et ses quatre enfants, s’est installé
en Suisse pour fuir la pression médiatique.
Aujourd’hui, les Espagnols observent
la chute de ce couple qui semblait
parfait il y a encore cinq ans, comme s’ils
savouraient leur revanche et cherchaient
la preuve qu’aujourd’hui la justice est
la même pour tous. Sandrine Morel

la première fois que le monde a écrit…

Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde. AFP

star. le 12 septembre 1945, emile Henriot, de l’académie française, se penche, dans sa
chronique littéraire, sur L’Oreille, de Jean-Jacques Gautier. « Un conte fantastique et philo-
sophique, mêlé, de chapitre en chapitre, au journal intime de l’auteur », où l’on découvre
que starisation, transformisme et étrangeté corporelle entretenaient déjà des liens étroits,
deux ans avant la naissance d’un certain david robert Jones, dit david Bowie. « Le récit
commence par la rencontre, dans une gare de campagne, d’un curieux de femmes et d’une
élégante inconnue. L’homme est affligé d’une anomalie assez déplaisante : il a une oreille
deux fois plus grande que l’autre ; et, malgré cette bizarrerie physique, il plaît à la facile
voyageuse, dont il devient aisément le maître et l’amant. Non content de cette agréable
conquête, ce Lionel Sabouraux s’empare totalement de la jeune femme, Florence ; et, de
petite chanteuse de boîtes de nuit qu’elle était, s’avise non seulement d’en faire une star à
la mode, mais encore de la transformer du tout au tout, d’âme, de visage et de corps. »
 17

l’instant data

2— Barack Obama
rate sa cible.
LA NOUVELLE OffENsiVE DU PRÉsiDENT AMÉRiCAiN CONTRE LEs ARMEs à fEU
EsT-ELLE PERDUE D’AVANCE ? C’EsT LE PARADOxE RELEVÉ PAR LE “NEw YORk TiMEs” :
à ChAqUE fOis qUE bARACk ObAMA APPELLE à LiMiTER LEUR ACCès
à LA sUiTE D’UNE TUERiE DE MAssE, L’ONCLE sAM s’ÉqUiPE DE PLUs bELLE.
Source : nytimes.com — Gun Sales Soar After Obama Calls for New Restrictions

16 janvier 2016 — Illustration Datagif pour M Le magazine du Monde


3— Le gardien
de but de
l’Iran pourrait
passer de la
cage au cachot.
Voilà le gardien de l’équipe nationale
iranienne de foot, SoSha Makani, aux MainS
deS gardienS de la Vertu. Ce joueur de
29 ans a été arrêté et transféré, le
3 janvier, à la tristement célèbre prison
d’Evin, dans le nord de Téhéran, après
la diffusion sur Internet de photos pira-
tées où on le voit en compagnie de
femmes en tenues non conformes à la
morale en vigueur dans le pays. Dans
l’attente de son jugement, il a été libéré,
moyennant une caution d’un milliard
de tomans (250 000 euros).
Sur l’un de ces clichés, ce grand Iranien
à la peau bronzée tient dans chaque bras
une jeune femme sans voile, aux lèvres
botoxées et au nez refait, devant une
piscine. Une autre image le montre avec
Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde. Amin Mohammad Jamali/Getty. Capture écran Web
une partenaire qui porte un pantalon
moulant et un petit haut laissant
apparaître la peau de son ventre.
Ces détails seraient sans importance
si les photos n’impliquaient une célébrité
vivant en République islamique d’Iran.
Dans ce pays, le contact physique entre
un homme et une femme qui ne sont
pas mariés ensemble est interdit, et
les femmes sont tenues de couvrir leurs
cheveux et leur corps, à l’exception
du visage et des mains.
La circulation en masse de ces clichés
a rapidement alarmé Sosha Makani, qui
a d’abord tenté d’endiguer le scandale.
« Depuis quelques jours, des malades
qui ne craignent même pas Dieu ont
piraté mes comptes personnels, a soutenu
le jeune homme sur sa page Instagram.
Ils doivent savoir que diffuser mes photos
de famille ne leur apporte rien et que
la puissante police du pays assure
la sécurité de nos familles. »
Son post n’a guère dissuadé la cyberpo-
lice iranienne de le convoquer au tribunal
de la culture et des médias de Téhéran.
Avant d’honorer cette convocation,
Des clichés piratés,
où l’on voit Sosha
Makani entouré
de femmes
non voilées, sont
à l’origine de ses
problèmes. Son
club, le Persepolis
FC, l’a déjà limogé.
le joueur a bien tenté une autre stratégie
pour justifier les photos en se rendant à
la police accompagné d’un homme qu’il
présentait comme étant « le père de sa
fiancée », en référence à l’une des femmes
que l’on voit sur certaines photos. « Mais
il n’a pas pu justifier la présence des autres
filles qui s’affichaient avec lui sur les
clichés », a expliqué le chargé des mœurs
Journée à thèMe
de la Fédération iranienne de foot,
Mohammad Hosseini, après l’arrestation
harold pullman Coffin se
du jeune homme.
retourne-t-il dans sa tombe ?
Furieuse, la jeune promise s’en est violem-
Chroniqueur humoristique
ment prise, sur sa page Instagram, aux
du San Francisco Examiner
« voleurs » de leurs « photos de famille »,
disparu en 1981, Coffin
qui les ont distribuées « sans aucune
(« cercueil » en anglais)
honte ». « Vous avez montré au monde
fut l’instigateur en 1973 du
entier que vous êtes tous arriérés et
National Nothing Day qui
appartenant au tiers-monde [adjectif
se déroule le 16 janvier.
utilisé en Iran comme insulte, dénonçant
une journée où il est loisible
l’obscurantisme des auteurs de l’acte],
de ne rien entreprendre,
a-t-elle écrit. Je ne vous pardonnerai
de ne rien célébrer et de ne
jamais si quelque chose arrive à mon
rien commémorer. l’homme
fiancé. » Les commentaires haineux
était allé jusqu’à déposer les
ont tout de même fusé contre le couple.
statuts de la Coffin’s natio-
« Vous êtes des débauchés et vous
nal nothing foundation qui,
voulez imiter l’Occident, s’est indigné
comme ses objectifs l’impli-
un internaute en réaction au post de la
quaient, n’aurait rien entre-
jeune femme. Vous devriez avoir honte. »
pris. le non-événement
Soucieux du respect des bonnes mœurs
de harold Coffin se voulait
islamiques par la jeunesse iranienne, le
une réponse aux incessantes
pouvoir judiciaire risque de prononcer
demandes de création
un verdict sévère à l’encontre de Sosha
de journée consacrée à
Makani. Aucune date n’a pour le moment
tel ou tel groupe d’intérêts
été avancée pour son procès. Son club,
ou communauté. et qui
Persepolis FC, a d’ores et déjà annoncé
n’a donc pas eu les effets
qu’il n’a plus besoin de ce joueur « sans
escomptés. d’une certaine
mœurs » et que Sosha Makani sera
façon, harold Coffin est
remplacé. Ghazal Golshiri
le père spirituel de cette
petite rubrique. Ce serait
un non-sens absolu que
vouloir lui rendre hommage
ce 16 janvier.
19

tirage à part

4— Flambée du pétrole.
par Bruno BarBey avec les archives de magnum photos

C’était il y a vingt-Cinq ans, dans un monde où tout était à éCrire, juste après l’effondrement
du bloc communiste. Le 16 janvier 1991, une coalition de 34 pays, emmenés par
les Etats-Unis, entre en guerre. Six mois plus tôt, l’Irak de Saddam Hussein a envahi
le Koweït et fait main basse sur son pétrole. La riposte est violente : les avions de
la coalition larguent des milliers de bombes pour préparer le terrain aux troupes ter-
restres, qui passent à l’offensive en février. Le monde découvre la guerre en direct et
la toute-puissance de l’Amérique de CNN. Dans ce conflit militairement déséquilibré,
les Irakiens en déroute ont incendié tous les puits de pétrole, comme le montre
cette image de Bruno Barbey prise en 1991, lors de l’opération « Tempête du désert ».
Malgré la défaite, Saddam Hussein, lui, a préservé son pouvoir. Il faudra attendre
douze ans de plus pour que le dictateur ne soit emporté, en 2003, par une seconde
intervention en Irak. Un nouveau conflit qui fera le lit de l’organisation Etat islamique.

16 janvier 2016 — M Le magazine du Monde

 le grand défilé

Zinédine Zidane
I
1988, catégorIe meIlleur espoIr.

5— au mur de sa chambre, dans le foyer des jeunes travailleurs

de Provence, il a accroché l’affiche de deux films. le premier
raconte l’histoire d’un homme coincé dans le métro; le
Pour la Première fois de sa carrière, la star second celle d’un être mutique rêvant de prendre son envol.
l’un des deux est hautement prophétique. mais en attendant
du foot fraNÇais Porte le costume d’eNtraîNeur. le décollage, Zinédine, en pleine formation à cannes, a
esPéroNs Pour le coach du real madrid qu’il lui encore beaucoup à apprendre. Par exemple? que la matière
aille mieux que certaiNes de ses PrécédeNtes teNues. piquée de son polo a été spécifiquement pensée par rené
par marc beaugé lacoste, en 1933, pour empêcher la transpiration. et qu’il
est donc inutile de glisser un tricot de corps dessous.

Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde. Icon Sport. William Stevens/Gamma. Fernando Camino/Cover/Getty Images. Franziska Krug/Getty. Gérard Julien/AFP
II
1997, la classe de neIge.
Neuf ans plus tard, l’envol a eu lieu. Voilà Zidane, en altitude, à tignes
– point culminant : 3 656 mètres. le meneur de jeu, star des Bleus
et de la Juventus, est aussi l’icône d’adidas, à qui il ne peut rien refuser.
même de se cailler sur les pistes dans un simple sweat à capuche
à quelques jours de Noël. l’équipementier allemand pourra arguer
que ledit sweat est inspiré par l’esthétique des tuniques de hockey,
et donc forcément taillé pour le froid, mais tout de même : III
à quelques mois de la coupe du monde, est-ce vraiment raisonnable
de courir ainsi le risque d’une pneumonie ? 2002, la tête haute.
a 30 ans, Zidane est mieux qu’une
star : une icône. Naturellement,
on s’inquiète pour lui. des mesures
sont prises pour contrôler que
son périmètre crânien n’est pas
en train d’augmenter… mais de toute
évidence, Zizou n’a pas oublié d’où
il vient. comme au foyer, en 1988,
il porte un jean artificiellement usé et,
sous une chemise à rayures Bengale,
un tricot de corps. Par ailleurs,
sa veste brille tant qu’il ne faut pas
exclure qu’elle soit en skaï.

V
2016, la guerre
des Boutons.
les mondanités sont enfin
IV terminées. aux côtés du
2007, tout ce QuI BrIlle. président florentino Pérez,
un an après avoir pris sa retraite le nouvel entraîneur du
sur un coup de tête, Zidane real madrid porte une veste
profite enfin de la grande evie. à l’imprimé dit « window-
ce soir-là, à Genève, il est étince- pane », soit « carreaux de
lant. les flashs des paparazzis fenêtre ». mais, bêtement,
n’y sont pas pour grand-chose. il en a fermé le dernier
après le skaï, l’homme a opté bouton, ce qui ne se fait plus
pour l’un de ces costumes en depuis que le roi edouard Vii,
laine satinée que les vendeurs au début du xxe siècle, a
refourguent aux futurs mariés découvert que cela ne flattait
au prétexte qu’ils sont taillés pas le corps masculin…
dans une « laine super 130’s comme quoi, même à 43 ans,
de grande qualité » et que les on a encore des choses
femmes « aiment les hommes qui à apprendre.
brillent ». le premier argument
est faux. le second aussi. même
si Véronique fait bien semblant.
 21

il fallait oser

Au bonheur du jeu.
par jean-michel normand

Du champagne et Des jeux. Tout ce que détestent les terroristes. Malgré

l’effet de sidération suscité par les attentats, les Français ont fait passer
le message. En 2015, les ventes de champagne, qui déclinaient depuis
quatre ans, sont reparties à la hausse. A Noël, malgré les attentats, la
stagnation du pouvoir d’achat et les mauvaises nouvelles sur le front
de l’emploi, les producteurs ont fait d’excellentes affaires. « Les
consommateurs ont besoin de vivre », assure le PDG des Champagnes
Lanson. De son côté, la Française des jeux, dont le nombre d’habitués
commençait à décliner, n’a pas souffert de l’année assez glauque qui
vient de s’achever. Au contraire. Son chiffre d’affaires va dépasser les
revu et… corrigé
13 milliards d’euros, chiffre qu’elle avait pourtant envisagé de faire
Mauvaise impression. disparaître de son agenda après les tueries d’un certain vendredi 13, à
Paris. Fallait-il maintenir les tirages exceptionnels qui voient les mises
p a r lucien jedwab augmenter d’un tiers lorsque le cinquième jour de la semaine tombe
le 13 du mois ? La FDJ a légèrement surjoué son cas de conscience.
« Qui vole un “i” vole un ski ! » Affublé d’un « y » intempestif, le nom du Après le sondage qu’elle a commandé à OpinionWay, la voilà libérée
dessinateur Wolinski a été écorché sur la plaque apposée sur les lieux de ses scrupules. Selon cette étude, 85 % des personnes interrogées
de la tuerie de Charlie Hebdo à l’occasion de son premier anniversaire. veulent maintenir le jackpot du vendredi 13, considérant qu’il faut
Relayée sur les « réseaux sociaux », la coquille a fait le tour du monde « continuer à vivre normalement ». Il y aura donc un tirage du gros lot
à la vitesse de la lumière. Wolinski n’aimait pas qu’on altère son nom. le vendredi 13 mai. Sans doute faut-il aussi y voir un autre signe de
Son père, petit patron ferronnier d’origine juive polonaise, avait été résilience. D’accord, élever au statut d’acte suprême de résistance le
tué par un employé licencié, à Tunis, en 1936. De quoi être attaché au fait de gratter un ticket de Morpion ou de siroter une coupe de cham-
nom du père, aussi mécréant soit-on, non ? L’écrivain et journaliste pagne serait pousser le bouchon un peu loin, voire franchement ba-
Guy Konopnicki rappelait récemment dans Marianne que le dirigeant roque. L’important est que ces deux activités-là, aussi anodines soient-
de la CGT Henri Krasucki avait eu son nom et son prénom pareille- elles, se pratiquent souvent en terrasse, au milieu des autres, dans la
ment écorchés au bas d’accords sociaux. L’ignorance n’étant pas com- paix civile. Et cela, c’est sacré.
plètement innocente, on va réviser. La terminaison des noms propres
en -ski (polonaise, comme les terminaisons en -icz et -cki) se distin-
guait naguère de celle en -sky, russe. Exemple : Léon Trotsky. Fausse
simplicité : aujourd’hui, les noms russes s’écrivent avec un « i » en
français. En anglais, ils ont gardé leur « y ». Exemple : Léon Tolstoï –
en anglais : Leo Tolstoy. (Il fut un temps où le « i » final faisait « rital » :
avant de s’appeler Jean-Baptiste Lully, le musicien du Roi-Soleil s’ap-
Illustrations Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde

pelait... Giovanni Battista Lulli.) Mais revenons-en à nos coquilles.

Entre une « esplanade François-Mitterand » à Reims, un « parc
Georges-Clémenceau » à Tourcoing et un « jardin Rosa-Luxem-
bourg » à Paris (un point par faute), il y a des coups de règle qui se
perdent. Les coquilles de l’administration énervent, surtout quand
elles sont « aussi larges que des bénitiers » (j’emprunte à Anatole
France). Heureusement, les coquilles ne sont pas seulement gravées
dans le marbre. Il y en a aussi dans les livres. Et quelquefois dans les
journaux… On en reparlera. En conclusion, je convoquerai le regretté
Roland Topor (encore un « polak »!). Sollicité afin d’« aider la Po-
logne », il répondit en substance : « Les Polonais n’ont pas besoin
d’être aidés, mais de voyelles. » Tak.

16 janvier 2016 — M Le magazine du Monde


j’y étais
Sous la combi, le képi.
par Guillemette Faure
Le 11 janvier au saLon de La pLongée,
porte de versaiLLes, à paris.
Si la gendarmerie est présente au Salon du cheval, avec
la Garde républicaine, pourquoi ne serait-elle pas au
Salon de la plongée avec ses plongeurs ?
Etienne Goret est enquêteur subaquatique. Il fait
partie des 200 gendarmes qui travaillent sous l’eau. Il
explique ça au stand de la gendarmerie nationale. Et,
en vrai, c’est moins facile que dans « Les Experts »,
à la télé : « Ils plongent dans un étang d’un hectare,
tombent sur un cheveu qui au labo permettra d’arrêter
l’assassin… »
Enquêteur subaquatique, c’est comme la vie d’un en-
quêteur en surface, les disputes de voisinage en moins.
On cherche des indices et on établit des PV. Evidem-
ment, c’est plus compliqué pour « fixer la scène »
(« quatre piquets pour geler les lieux, ça ne marche
pas… »). Le jour de notre visite, on espérait une
démo, annoncée dans le grand bassin au milieu du sa-
lon de la Porte de Versailles. Mais elle a fait plouf. La
batterie permettant de retransmettre sur écran le pré-
lèvement d’indices au fond de l’eau est tombée en
panne. Tant pis ! L’an dernier, les plongeurs étaient
allés relever des indices sur des armes au fond du bas-
sin. Ils avaient renoncé à mettre en scène un squelette.
Trop anxiogène au milieu des stands de plongée à
Bora Bora ou à la Guadeloupe. A défaut, restent les
vidéos diffusées sur leur stand. Où l’on découvre que
les plongeurs du GIGN, même quand ils portent un
masque de plongée, doivent être floutés sur les images.
Ceux qui s’arrêtent au stand ne sont pas nécessaire-
ment ceux qu’attendent les recruteurs de la gendar-
merie. « Des gens qui, à la quarantaine, ne savent plus
où aller… » – alors qu’il faut être âgé de moins de
35 ans – ou ceux qui croient qu’une vie de gendarme
plongeur les enverra aux Seychelles. « Ne vous atten-
dez pas à tomber sur Nemo et des requins… », insiste
M Le magazine du Monde — 16 janvier 2016
22
Etienne. C’est pour cela que la formation a changé de
nom en 2008. Plongeur, ça pouvait faire rêver. Enquê-
teur subaquatique, ça ne promet pas de coraux. Au
mieux, ils ne voient rien : 95 % des plongées se font
sans visibilité. « Ça peut être des conditions très dégra-
dées », comme on dit en parler-gendarme à propos de
plongées qui peuvent aussi bien avoir lieu dans le
Rhin que dans une fosse septique.
« Toi, tu préfères La Réunion ou l’île Maurice ? », de-
mande un visiteur sur le stand du Café corse où l’on
parle des trésors cachés aux Seychelles ou à Madagas-
car. Au Salon de la plongée, personne ne pense aux
plongées en fosse septique. Encore moins aux bar-
rières de manifestations dans lesquelles les enquê-
teurs subaquatiques se cognent parfois sous l’eau,
explique un ancien plongeur du GIGN. « Mais pour-
quoi les gens jettent-ils des barrières dans l’eau ? »,
demande-t-on. « Pourquoi jettent-ils des Caddies de
supermarché ? répond-il. Les Caddies, c’est le piège des
plongeurs. On peut y rester coincé… »
Ces gendarmes ne parlent pas de ce qu’ils gagnent.
Personne ne devient enquêteur subaquatique pour ça.
« Chercher des cadavres dans la vase, même pour beau-
Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde
coup d’argent, la plupart des gens ne le feraient pas »,
dit Etienne à propos des journées de ces gendarmes
en eaux troubles. On parle plutôt de portefeuille re-
trouvé sous le pont Alexandre-III, on évoque les 14 ki-
lomètres de berge à remonter après un suicide, les
recherches des parties d’un corps démembré… Evi-
demment quand on est enquêteur subaquatique, on
ne trouve quasiment jamais de survivant. Un ancien
passe au stand et montre sur son smartphone des pho-
tos de palmes incroyables prises à un autre stand (un
salon c’est toujours l’occasion de vérifier ce qu’il nous
manque). Des palmes immenses, fendues en deux.
Rotatives. Incroyables, mais de là à les acheter… Il
n’est pas si simple de trouver palme à son pied.
 David Bowie,
en 2002.

Bowie nostalgie. Il est mort par surprise, ravivant le souvenir

Markus Klinko & Indrani/Agence A

d’une époque disparue avec lui. Une époque pas si heureuse pourtant. Car le chanteur
d’“Heroes” est arrivé après. Après la révolution rock, après les utopies. Changer
le monde était déjà passé de mode. C’est la descente que racontent ses chansons.
Mais une descente en flammes. Puisqu’on ne pouvait pas changer la vie, restait
à la brûler par tous les bouts. Ce qu’il fit. Et une partie du monde avec lui. Judith Perrignon
par
En 1974.

David Bowie, 1974.

 25

a mort s’est invitée dans les journaux du

matin. Elle tombait mal, fit bafouiller les animateurs, les journalistes.
Il y avait déjà tant à dire sur le monde en berne. Ou plutôt elle tombait
à point nommé. Prenez-nous Bowie pendant que vous y êtes ! N’est-il
pas la figure parfaite, le totem, le corps de la dépravation occidentale
prise pour cible dans le communiqué des terroristes. Le dernier soupir
de Bowie à la rescousse de Daech. Son cadavre sur la nappe sale de nos
démocraties à bout de souffle. Tout se mélangeait.
Terry O’Neill/Getty

Et ils ont sorti les disques. Envie de d’écrire le mot « disques »,

d’imaginer nos vinyles avec sa tête à cheveux rouges, dressés devant
et longs sur la nuque, plutôt que des pistes numériques. On entendit
vite Space Oddity, son tout premier succès, l’histoire de Major •••

16 janvier 2016 — M Le magazine du Monde

 26

1 : à Paris,
en 1977. 2 : avec 1
Catherine
Deneuve, en 1982,
lors du tournage
des Prédateurs.
3 : avec Iggy Pop
et Lou Reed,
à Londres, en
1972. Après avoir
été leur fan,
il deviendra leur
producteur.
4 : en concert
au Milton Keynes
Bowl, en Angle-
terre, en 1983.
5 : en 1971,
avec Angela,
sa première
femme, en train
de promener
leur fils Duncan
Zowie, alors
âgé de trois
semaines,
en 1971.
6 : avec Mick
Jagger,
à Londres,
en 1987.

4 5

M Le magazine du Monde — 16 janvier 2016

 ••• Tom perdu là-haut dans l’espace. Après avoir mis son casque, pris
ses protéines, être sorti de l’appareil, il flotte et dit « Allô ! tour de
contrôle. La Terre est bleue, je n’y peux rien. » On n’y peut rien à la
Terre. Elle est comme elle est, on ne la changera pas. C’était en 1969,
après quelques 45 tours méprisés. Un an plus tard, John Lennon chan-

C
tait « The dream is over ». Le rêve est terminé.

ar Bowie arriva dans la lumière alors que la fête était

déjà finie. Le feu d’artifice bouclé. La révolte, les
idées folles épuisées. La descente était annoncée,
saturée de drogues et de cachetons, tandis qu’en
Italie ou en Allemagne, les plus acharnés prenaient
les armes. Il ne restait qu’à conquérir l’espace comme
Armstrong sur la Lune, Kubrick le temps d’une Odyssée et s’y perdre
comme Major Tom dans la chanson. Ou à faire ce qu’on voulait de sa vie,
de son corps, de son cul, et tant mieux si ça choquait, et tant mieux si on
survivait. C’est ce qu’il fit, punk avant l’heure. Silhouette sèche qui donna
à voir autant qu’à entendre, orchestra sa révolution, comme on se détourne
de son axe. Il avait des yeux étranges, une pupille intacte, l’autre dilatée
par une ancienne bagarre d’adolescent. Il était comme le monde, qui
avance d’un œil et se souvient de l’autre.Très jeune, en 1973, il enregistre
l’Amsterdam de Brel, puis une compil des chansons rock et pop qu’il a
aimées au cours de la décennie écoulée. Sur la couverture, il est accom-
pagné de Twiggy, beau mannequin londonien en vogue. Ils sont de jeunes
icônes, ils semblent porter un masque et un regard déjà désabusé sur la
vie qui vient. C’est sombre. « Et là, à 26 ans, David Bowie invente à lui
seul le concept de nostalgie, qu’il industrialise littéralement », écrit Philippe
Manœuvre dans son livre Rock’n’roll, la discothèque idéale (Albin Michel,
2005). Elle a donc commencé il y a longtemps, la nostalgie.
Et pourtant, quand nous avons allumé la radio ce lundi matin, quand nous
avons entendu « Bowie est mort », ça nous a pincé le cœur, les souvenirs,
la jeunesse, comme si les beaux jours s’en allaient vraiment. Quels beaux
jours, puisqu’il n’en fut jamais

Quand nous avons entendu question dans ses chansons,

Mike Roth. Denis O’Regan/Getty Images. Daily Mirror/Mirrorpix/Corbis.

puisqu’il avança déguisé en Ziggy

Christian Simonpietri/Sygma/Corbis. Hulton Archive/Getty Images.

“Bowie est mort”, ça nous

Stardust, en Berlinois androgyne
du sombre avant-guerre, en se
défonçant à l’héroïne et à la coke

a pincé le cœur, comme pendant des années pour échap-

per à la simple condition

si les beaux jours s’en allaient

humaine ? Quels beaux jours
puisqu’il ne cessa de liquider ses
personnages successifs? Puisque,

vraiment. Quels beaux jours, depuis le début, il composait sur

Denis O’Regan/Getty Images

les débris du rock et des rêves,

puisqu’il n’en fut jamais

chantait sur des cendres, chantait
les cendres – Ashes, en anglais –,
Ashes to Ashes scandait son tube

question dans ses chansons? de 1980, « Poussière, tu redevien-

dras poussière ». Nous le regar-
dions, dans son clip, avancer d’un
pas lent en clown triste ou prisonnier d’une camisole, menacé d’être
6
enseveli, sans écouter vraiment les paroles, sans faire attention qu’il s’y
souvenait de Major Tom égaré dans l’univers. « Qui était Major Tom? »,
se demandaient les ados d’alors. Les chansons forment une longue his-
toire qu’on prend en marche, selon le jour où l’on est né. Il fallait remon-
ter le temps et les albums pour rencontrer Major Tom. Comprendre que
l’histoire commence quand Bowie chante « Planet Earth is blue, and
there’s nothing I can do », sans savoir qu’elle finira quand il chantera
Blackstar. Ne pas croire qu’il est passé du bleu au noir. La beauté des
jours est toute relative dans l’espace-temps de nos vies, la sienne comme
les nôtres. Tout dépend d’où et de quand l’on regarde.
Let’s Dance chantait Bowie en 1983. Dansons. Dansons, répétait le tube
de l’année martelé par une bande FM sans aspérités. Et nous dansions.
Il avait alors le blond peroxydé avec mèche brushée, (Suite page 32) •••
 Ci-contre,
à Los Angeles,
en 1984.

A droite, en 1973,
en costume
de scène
de l’Aladdin
Sane Tour,
signé Kansai
Yamamoto.
 Greg Gorman/Contour by Getty Images. Sukita
29

16 janvier 2016 — M Le magazine du Monde

 Ci-contre,
en août 1980,
David Bowie
incarne John
Merrick dans
The Elephant
Man sur
les planches
du Blackstone
Theatre de
Chicago.

Page de droite,
en 1974.
 Anton Corbijn/Contour by
Getty Images. Terry O’Neill/Getty
31

16 janvier 2016 — M Le magazine du Monde

 32

••• (Suite de la page 27) il se réinventait une nouvelle vie, au repos cette Bowie, sa première femme, dans Please Kill Me. Je veux dire, la
fois, il épouserait le vide et les petits arrangements des années 1980, sodomie était interdite par la loi. Il faut bien réaliser d’où venait
comme il avait épousé les provocations des années 1970, il alignerait les David. Du coup, quand il entendait Lou Reed parler des drag-queens
tubes, quelques films même. Et Modern Love, même année, même de New York, ça signifiait pour lui que l’Amérique était le territoire
album, ferait courir Denis Lavant dans le film de Leos Carax Mauvais le plus ouvert et le plus merveilleux qui soit. »
sang un peu plus tard. « Et maintenant, pour Christophe qui habite le 5e, Quand il débarqua aux Etats-Unis en 1971, en nouveau prodige bri-
de la part de Juliette qui habite le 1er, L’Amour moderne par David tannique, escorté d’un manager et de la maison de disque RCA, le
Bowie », annonce la radio dans le film, avant que la chanson ne com- mieux était de foncer à la Factory de Warhol pour obtenir sa bénédic-
mence et que l’acteur ne se mette à courir.C’est un tube,encore un.Mais tion. Paul Morrissey, réalisateur et collaborateur de Warhol, les reçut.
L’Amour moderne par David Bowie, c’est d’abord un cri lancé par sa « Son manager, DeFries, me dit : “RCA m’a confié beaucoup d’argent
génération vingt ans plus tôt, la liberté en héritage. pour promouvoir ce type en Amérique”, et il me désigne Bowie, ce
Pourtant, à l’époque, tel un boxeur KO, Bowie ne voulait plus trop drôle de petit mec à la peau laiteuse assis dans un coin », raconte-t-il
entendre parler de tout ça, il recevait la presse à la chaîne, avec chro- dans Please Kill Me. Le drôle de petit mec a vite poussé ensuite aux
nomètre et attachée de presse en cerbère. Antoine de Caunes s’en engrais et aux acides de l’underground new-yorkais. « Quand David
souvient dans son dictionnaire amoureux du rock (Plon, 2010) : a dit, dans le magazine Melody Maker, qu’il était homo, – il a rectifié
« Jusqu’en 76, il avait, à l’en croire, mené la vie “archétype et imbé- en se définissant comme bisexuel, ce qui correspond à ce qu’il voulait
cile” du rock’n’roll rarement associé à une notion d’équilibre ou de dire à l’origine – il n’aurait jamais eu le cran de faire une telle décla-
santé. Mais il ne blâmait que lui-même, s’étant créé
tout seul cette existence. “J’avais juste oublié de lire
le scénario”, avait-il joliment ajouté. Précisant :
“Je ne suis pas tout à fait convaincu finalement que
ce soit si facile de se comporter en héros”. »
Il avait survécu à la décennie transgressive. Let’s “Let’s Dance”, martelait-il
sur la FM. Dansons les
Dance, martelait-il sur la FM. « Dansons sur la chan-
son qui passe à la radio », disait la chanson qui passait
à la radio. Mais nous n’écoutions pas vraiment. C’était
pourtant comme une mise en abyme, ou simplement
un abîme. Dansons les années 1980, dansons, années 80, dansons, puisque
nous ne serons jamais à la
puisqu’on nous le demande, puisque tout s’est passé
avant et que tout a échoué.Dansons,puisque nous ne
serons jamais à la hauteur de ce qui arrive. Il avait
l’élégance de nous faire danser sur nos cendres.
Mais lundi matin, ce n’est pas Let’s Dance qu’on a hauteur de ce qui nous arrive.
Il avait l’élégance de nous
eu envie d’entendre, pas le mot d’ordre des années
1980 qui disait « Dansons », et implicitement, « Ne
pensons plus », nous menant tout droit à la dépres-
sion d’aujourd’hui. Ce sont plutôt ses débuts fra-
giles du Major Tom dans l’espace, ce temps désé-
quilibré qu’il avait voulu évacuer, Heroes et ses
faire danser sur nos cendres.
mots frondeurs : « Je serai le roi/ Et toi/ tu seras la
reine/ rien ne les éloignera/ mais nous pouvons les
battre/ juste pour un jour/ nous pouvons être des
héros/ juste pour un jour. » Il habitait Berlin encore coupé en deux, ration s’il n’avait pas traîné avec Iggy et Lou. Car ils représentaient
il vivait là avec Iggy Pop et Lou Reed dans les parages. « Je pense que ce lieu de l’autre côté de l’Océan où les choses étaient en train de chan-
l’engouement de David Bowie pour Iggy venait du fait que Bowie ger, donc merde à tous les hypocrites d’Angleterre », poursuit Angela
voulait accéder à la réalité rock’n’roll que vivait Iggy et que David Bowie dans Please Kill Me. Et quand l’Amérique parut trop étouf-
Bowie ne pourrait jamais vivre parce qu’il était une mauviette d’étu- fante, ils partirent vivre ensemble sur la balafre berlinoise, bercés par

Steve Schapiro/Corbis . Michael Ochs/Corbis. Christian Simonpietri/Sygma/Corbis

diant en art du sud de Londres, tandis qu’Iggy était un sac à merde de
Detroit. David Bowie savait qu’il ne pourrait jamais parvenir à la
réalité dans laquelle était né Iggy », raconte Leee Black Childers,
ancien vice-président de MainMan (la société de management de
Bowie), dans Please Kill Me. L’histoire non-censurée du punk racontée
par ses acteurs (Ed. Allia, 2014).
Les Mémoires et les mots des punks se foutent des légendes et des
hommages. Rien d’ailleurs n’était prémédité. C’est bien connu et c’est
écrit dans un roman de Nick Hornby qui a pourtant le rock chevillé à
la vie : « Les musiciens étaient des enfoirés et ce, depuis le jour où on
avait inventé le luth. » Leurs histoires sont d’abord celles de mecs
psychédéliques, facilement divas, talentueux, mi-sérieux, mi-bouffons,
irresponsables, joueurs, opportunistes, qui savaient juste qu’ils ne vou-
laient pas finir dans le même pavillon que leurs parents. Bowie était
parmi les plus déterminés du genre. En quête de toutes les stimula-
tions et de toutes les expériences. Il était né au sud de Londres, sur la
grande île qui avait enfanté les Beatles et les Stones, mais il partirait.
Il s’envolerait même. « C’était très facile d’impressionner David
Bowie parce que l’Angleterre était tellement rétrograde, raconte Angela
ses nuits décadentes, dans leurs corps maigres dopés à la coke. Leur
vie sans programme était devenue politique et Heroes un hymne,
prouvant une fois encore à la société en ordre que c’est toujours de ses
marges, de ses débordements, de ses désobéissances que viennent les
plus belles poussées.
Qu’ils semblent beaux les jours seventies, vus d’ici et maintenant, du
matin où sa mort s’est invitée, de tous ces matins où la mort s’invite,
grande gagnante de ce début de siècle. La légende vient de là. Autant
que de ses meilleurs albums, de ses paillettes, de ses artifices et de ses
mises en scène. Il faut avoir troublé les consciences pour traverser le
temps et installer la nostalgie de soi. Lundi, les réseaux sociaux crou-
laient sous les hommages, relayaient cette réaction de l’acteur britan-
nique Simon Pegg : « Si vous êtes triste aujourd’hui, n’oubliez pas
que le monde a déjà 4 milliards d’années et que vous avez eu la
chance d’exister en même temps que Bowie. » Il ressemblait déjà à une
petite planète lointaine peuplée de tous les personnages et de tous les
costumes qu’il a habités. Au rythme ou vont les choses, il finira par
avoir l’air d’un extra terrestre, ce qui ne serait pas pour lui déplaire.Allô
la tour de contrôle, la Terre n’est plus si bleue et il n’y peut rien.

M Le magazine du Monde — 16 janvier 2016

 En Californie,
en 1976 (1).
Bowie époque
Ziggy, en 1973
(2). A Paris,
en 1977 (3).

3
L
34

a décision est tombée juste avant
La Cour de justice de la
noël.
République renvoyait Christine
Lagarde devant les tribunaux pour
son rôle présumé dans l’affaire
Tapie. Dernier rebondissement en
date d’un scandale qui a placé sous
les projecteurs une forme de justice
méconnue : l’arbitrage. En 2007,
celle qui était alors ministre de
l’économie avait donné son accord
pour que le litige lié à la vente
d’Adidas entre Bernard Tapie et le
Crédit Lyonnais se règle devant la
justice arbitrale plutôt que devant
une juridiction ordinaire. On connaît la suite. En juillet 2008, ce tribu-
nal accordait très généreusement 403 millions d’euros à l’homme
d’affaires. Une sentence controversée, finalement annulée en
février 2015. Début décembre, la cour d’appel a condamné Bernard
Tapie à rembourser cette somme.
Par cette affaire, le grand public a découvert cette justice privée qui
permet à des entreprises comme à des Etats de régler leurs différends,
selon des règles qui lui sont propres. Dans les tribunaux classiques, on
ne se verrait pas choisir son juge. Ici, chaque partie nomme son avocat,
bien sûr, mais aussi son arbitre. Ensemble, les deux arbitres élisent
alors le « président » de leur tribunal. Ces « juges à louer » pour une
seule affaire laissent les parties désigner leurs experts, fixent la durée
des audiences, le droit choisi et poursuivent la procédure dans la confi-
dentialité. Dans cette justice taillée sur mesure, le moindre soupçon
de partialité peut vite laisser penser à un petit arrangement entre amis.
C’est en tout cas le sentiment qu’a pu laisser l’affaire Tapie. « L’im-
pression donnée, c’était : “On va se prendre une procédure occulte, on
va régler nos problèmes en famille et personne n’en saura rien !” »,
regrette le juriste Thomas Clay, spécialiste de l’arbitrage. En dehors
de cet imbroglio, cette justice singulière a pourtant sa raison d’être
quand il s’agit de régler des litiges entre entreprises étrangères ou
entre une entreprise et un Etat. « Choisir l’arbitrage, c’est se placer
dans une zone tampon, explique l’avocat Elie Kleiman, qui dirige la
plus grosse équipe parisienne spécialisée dans l’arbitrage au sein du
cabinet Freshfields. C’est une façon de dire: “Je ne fais pas confiance à
la justice de ton pays. Tu n’aimes pas la mienne non plus. On ne lavera
notre linge sale ni chez toi ni chez moi, mais devant un tribunal que l’on
nomme ensemble et dans un pays que l’on choisit ensemble”. » Ce pays,
c’est bien souvent la France et donc Paris, devenu véritable capitale
de l’arbitrage mondial. C’est ici que sont rendues, chaque année, des
centaines de décisions dans des affaires aussi variées que la fin d’une
association entre un grand groupe japonais et une firme américaine,
un litige entre le Congo et la société d’investissement Commisimpex,
propriété d’un Anglo-Libanais, ou encore entre ArcelorMittal et le
Sénégal pour l’exploitation de mines de fer…
dans cet univers-là, on parle d’audience, pas de procès. « Pour
les détails, décrit Emmanuel Gaillard, autre avocat star de l’arbi-
trage, on est assis autour d’une table, en costume de ville. C’est
moins formel qu’un procès classique, l’ambiance est plus “business.”»
Devant les arbitres, on susurre, on ne déclame pas. Ni robe noire, ni
juge en chaire, ni tribunal. Le lieu tient davantage de la salle de
conférences. Tour à tour, ces audiences spéciales s’installent dans
les salons de grands hôtels de la capitale (Prince-de-Galles, George-
V, The Westin…), au siège parisien de la Banque mondiale, qui loue
à la journée et à prix d’or des salles toute l’année, ou encore à la cour
arbitrale de la Chambre de commerce internationale (CCI) : le siège
parisien de cet organisme mondial profite largement au rayonne-
ment de la capitale française en matière d’arbitrage. « Quand on
demande à ma mère en quoi consiste mon métier, s’amuse un jeune
avocat, elle répond que je réunis des gens dans les hôtels pour qu’ils
se mettent d’accord devant des types qui ne sont pas de vrais juges. »
Dans ce tribunal à trois têtes, les arbitres sont en effet le plus •••

L’arbitrage rend
justice à Paris.
L’affaire Tapie a nui à son image. Pourtant, l’arbitrage permet
aux Etats et aux entreprises de régler leurs comptes en terrain
neutre. Une justice privée dont la capitale française est devenue
la place forte. Experts de toutes les nationalités affluent
pour trancher des contentieux à plusieurs millions d’euros.
par Lisa vignoLi — illustrations sébastien thibauLt

M Le magazine du Monde — 16 janvier 2016


••• souvent d’éminents professeurs de droit pour qui cette activité
parallèle devient un atout financier et honorifique, d’anciens juges qui
en font leur « plan de retraite » ou encore des avocats spécialistes de
la question. « C’est même le Graal, pour un avocat réputé bon en
défense, d’être nommé arbitre par une partie », explique Emmanuel
Gaillard. Le temps d’une affaire, le plaideur passe de l’autre côté de la
barrière, goûte la solitude du juge. Pour éviter le conflit d’intérêt, les
grands cabinets d’avocats usent de logiciels ultraperformants capables
de déceler tout lien gênant: on ne peut arbitrer dans une affaire où l’on
a côtoyé de près ou de loin l’une des parties. Pour le reste, passer d’une
activité à l’autre ne semble pas poser de problème déontologique :
« Arbitre est une activité entrepreneuriale adossée à une autre activité »,
théorise Elie Kleiman. Son nom fait partie de ceux qui, appréciés pour
leur expérience et leur impartialité, reviennent au fil des audiences,
d’un côté ou de l’autre du tribunal. « L’arbitrage est une des voies les
plus prisées pour les praticiens et pour les universitaires, intellectuelle-
ment et en termes de rémunération », insiste Thomas Clay, professeur
de droit, auteur, dans ses jeunes années, d’une thèse sur l’arbitre, et
aujourd’hui directeur du master d’arbitrage de Versailles. Depuis la
création de ce cursus, il y a dix ans, constate que la profession attire de
plus en plus, jusque sur les bancs de la fac. Chaque année, pas moins
de 1000 candidats se présentent pour 30 places. « Certains jeunes veu-
lent même devenir arbitres tout de suite, mais je leur explique que ce n’est
pas si simple », raconte le juriste. L’arbitre ne propose pas ses services,
on le choisit. Il n’a pour lui que sa réputation, qu’il s’est forgée dans
A
son domaine, pour être reconnu par ses pairs.
vec les années, un véritable “Who’s Who” de
l’arbitrage s’est constitué à Paris »,assure
Thomas Clay, qui a lui aussi sa page dans ce
Bottin mondain. Des professionnels qui
publient dans des revues spécialisées et ne
sont pas pour rien dans la réputation de la
ville. Les décisions rendues dans la capitale française sont citées en
exemple dans toutes les universités du monde.
« Ce que les entreprises qui choisissent l’arbitrage à Paris attendent, c’est
qu’il n’y ait pas de mauvaises surprises. », explique Elie Kleiman. Et
justement, Paris rassure. Car le juge français sait se faire discret dans
cette justice parallèle. La sentence, qui peut être exécutée tout de
suite, dans plus de 150 pays, doit être validée par un « vrai » juge. Il
n’intervient qu’à la fin de la procédure, après les arbitres indépen-
dants. Rarement pour les contredire.
La capitale a aussi des atouts diplomatiques, juge Jacques-Alexandre
Genet: « Pour un gouvernement d’Amérique latine qui passe son temps
à cracher sur les “Yankees”, c’est un lieu beaucoup plus neutre que
Washington », note cet avocat spécialiste de l’exécution des sentences.
De manière générale, la capitale française séduit les Etats et leurs
adversaires par son indépendance. « En quelques années, elle est deve-
nue La Mecque de l’arbitrage” », constate Andrew de Lotbinière
McDougall, avocat canadien chez White &Case, mastodonte incon-
tournable de la place Vendôme. Les rangs de son équipe n’ont cessé
de grandir: en 2000, seuls neuf avocats de son cabinet sur 55 étaient
spécialisés en arbitrage ; aujourd’hui, ils sont 60 sur 170. « Depuis
quinze ans, j’ai vraiment vu le milieu évoluer, constate Thomas Clay.
Pour proposer une offre cosmopolite à Paris, les gros cabinets ont fait
venir de l’étranger des professionnels. D’Amérique du Sud notamment
et, depuis 2010, des pays arabes. » Chez Shearman & Stearling, par
exemple, on parle une vingtaine de langues.
Cette convergence de talents a contribué à former à Paris une vraie
communauté. C’est pourquoi lorsque, en 2011, la Chambre de com-
merce internationale, s’estimant mal logée et trop à l’étroit cours
Albert-1er, dans le 8e arrondissement, a évoqué un déménagement à
Illustrations Sébastien Thibault/Anna Goodson Management pour M Le magazine du Monde — 16 janvier 2016
36
l’étranger, elle a provoqué un petit séisme dans cet univers feutré.
« On était une quarantaine de cabinets d’avocats à se réunir pour
alerter les pouvoirs publics, se souvient Elie Kleiman. Dans une sorte
de cote mal taillée, on est arrivés à démontrer que le petit monde de
l’arbitrage parisien génère entre 300 et 500 millions de chiffres d’af-
faires. ça devient quand même une grosse PME ! »
A l’époque, la ministre des finances, Christine Lagarde, prend
conscience que ce secteur pourrait être délocalisé encore plus vite
qu’un call center. En deux temps trois mouvements, on trouve à la
CCI un beau bâtiment dans le 16e arrondissement, à un prix abor-
dable, ce qui douche les ardeurs de Genève. La ville suisse s’était
aussitôt positionnée comme terre d’accueil, avec promesses de bel
immeuble sur le lac et de visas de travail facilités pour tous les expa-
triés. « Cette prise de conscience était nécessaire », estime aujourd’hui
Thomas Clay. Quelques années plus tôt, il s’était rendu dans le
bureau de l’ex-maire de Paris, Bertrand Delanoë, pour attirer son
attention sur cette manne attractive. « C’est une chance inouïe
d’avoir ça ici. Sans même parler de toute l’activité qui en découle et
que j’aurais voulu que la Ville de Paris mesure. » Les nuits d’hôtels
pour les délégations qui y résident, les restaurants, les interprètes…
« Pour la France, le départ de la CCI aurait été très mauvais, pour-
suit Emmanuel Gaillard. C’est comme si, en matière touristique, on
déplaçait la tour Eiffel en Suisse. » Lui en sait quelque chose : son
vaste bureau au sein du cabinet Shearman & Sterling jouit d’une
belle vue sur le monument.
C’est ici, dans un triangle d’or autour des Champs-Elysées et de la
place de l’Etoile que s’est préparée la négociation d’un des plus gros
arbitrages au monde opposant la Russie au groupe pétrolier Ioukos
démantelé par Moscou. Certes, le contentieux fut tranché à La Haye
mais l’entreprise avait notamment choisi pour la représenter un avocat
parisien, en l’occurrence Emmanuel Gaillard, du cabinet Shear-
man&Sterling. Il a fait « plier Poutine » qui, selon la légende, aurait
cassé un verre entre ses mains en apprenant la décision: 50 milliards
de dollars d’indemnités à verser par le Kremlin aux ex-actionnaires de
Ioukos. Et encore, Gaillard demandait 130 milliards. Pour Shear-
man&Sterling, les dix ans de procédure se sont soldés par des hono-
raires atteignant les 70 millions de dollars, un pactole qui a fait jaser le
Tout-Paris. « Il y a quelques années, un contentieux d’un milliard de
dollars était inenvisageable. Aujourd’hui, on en traite des dizaines et
une affaire d’un million d’euros est considérée comme petite », détaille
Andrew de Lotbinière McDougall. Dans ces cas-là, les honoraires des
avocats représentent 84 % du coût de la procédure. La conséquence
en est presque mathématique: « Quand on apprend qu’un arbitrage
va tomber, toute la place est en émoi. Les gros cabinets en ont besoin »,
reconnaît-il. Par ailleurs, « ce genre de dossiers est toujours plus chic, sexy
et people que d’aller plaider au tribunal de grande instance de l’arron-
dissement », plaisante Michael Polkinghorne, un Australien à l’humour
caustique du cabinet White&Case. Comme 30 % des avocats expa-
triés qui ne résident à Paris que pour pratiquer l’arbitrage – « et pour
le French way of style », ajoute-t-il – il peut plaider en anglais, devant
trois arbitres de nationalités différentes, dans un droit étranger. Les
interprètes traduisent en temps réel et, à peine son allocution termi-
née, il reçoit instantanément le compte rendu d’audience sur son télé-
phone portable. L’ONU ne fait pas mieux.
La place parisienne, qui regroupe le plus grand nombre de cabinets
internationaux, n’a jamais aussi bien reflété cette mosaïque. Un succès
qui excite la convoitise de ses rivales. «Aujourd’hui plus que jamais les
places se livrent à un véritable marketing arbitral, confirme Emmanuel
Gaillard. Beaucoup d’Etats se disent: “Nous aussi, on veut profiter de
ce business!”» Dans ce contexte, Paris se serait volontiers passé de la
publicité de l’arbitrage Tapie, dont la concurrence fait ses choux gras.
En quête de parts de marché, Genève ou Singapour ne se privent pas,
en coulisses, de brandir l’affaire qui fait tache.
 C’est à Paris que s’est préparé l’un
des plus gros arbitrages au monde,
opposant le géant pétrolier Ioukos et
Moscou. Résultat: le Kremlin a dû verser
50milliards d’euros. Vladimir Poutine
en aurait brisé un verre entre ses mains…
 Après avoir de l’opération, en 1996. Son par-
neutralisé le James Burke, tenaire, Vincent
personnel (3, un dit « Jimmy Asaro, soupçonné
employé inter- the Gent », fut d’avoir joué un
rogé par le FBI ), condamné pour rôle-clé, est arrêté
le gang dérobe meurtre en 1980 en janvier 2014 (5)
6 millions de dol- (1, un an avant), pour répondre
lars en espèces mais ne sera de crimes commis
et bijoux. La jamais inquiété depuis 1968.
fourgonnette pour ce braquage. Le 12 novembre
utilisée pour le Incarné dans dernier, il est
casse est retrou- Les Affranchis acquitté malgré
vée deux jours par Robert le témoignage
plus tard (4). De Niro (2), il de son cousin
Cerveau présumé meurt en prison Gaspare Valenti.

2 3

5
 39
D ans l’obscurité
de la nuit, on dis-
tingue à peine la
f o u rg o n n e t t e
Ford Econoline
noire, qui file en toute discrétion
sur le tarmac de l’aéroport de New
York-John F. Kennedy (JFK),
avant de stationner devant le ter-
minal de la Lufthansa.A son bord,
six hommes encagoulés, qui
débarquent dans les locaux de la
compagnie aérienne. En ce
11 décembre 1978, il est 3 heures
du matin, l’heure de la pause des
agents de sécurité. En soixante-
quatre minutes précisément,grâce
à la complicité d’un employé, ils
neutralisent le personnel et les
systèmes d’alarme, avant de s’en-
fuir avec le contenu du coffre-fort.
A l’intérieur, des devises destinées
aux militaires américains station-
nés en Allemagne de l’Ouest. Il y
en a pour plus de 5 millions de
dollars (22 millions actuels), plus
des bijoux d’une valeur totale de
1 million de l’époque.
Trente-sept ans plus tard, l’argent
du casse le plus important jamais
réalisé sur le territoire américain
reste introuvable et le FBI vient
de perdre, fin 2015, l’occasion de
coincer l’un des derniers protago-
nistes supposés. Vincent Asaro,
l’un des principaux accusés de ce
vol évoqué dans le film de Martin
Scorsese Les Affranchis, a été
acquitté, le 12 novembre, par la
cour fédérale de Brooklyn, à
New York. Celui qu’on appelait
dans le milieu « Vinny » emporte
avec lui, sans doute à tout jamais,
les secrets d’une légende qui a
laissé derrière elle une hécatombe
PH/AP/Sipa. 1978/Daily News, L.P. (New York) x2. Ullstein Bild via Getty Images.
Screen Prod/Photononstop. Bryan Smith/Zuma Press/Corbis
Casse de haut vol.
Acquitté faute de preuves. Tel est le verdict que vient de pronon-
cer la cour fédérale de Brooklyn à l’encontre de Vincent Asaro,
l’un des derniers braqueurs présumés du casse de la Lufthansa,
commis en 1978 à l’aéroport JFK. Sublimé par “Les Affranchis”
de Martin Scorsese, ce hold-up mafieux reste le plus gros jamais
commis aux Etats-Unis. Et l’un des plus mystérieux.
par Stéphane Lauer
de témoins gênants, éliminés
en toute impunité par la Mafia
new-yorkaise.
On ne peut pas accuser le FBI de
ne pas s’être donné les moyens de
coincer Asaro. Pendant près de
trente ans, l’agence fédérale n’eut
de cesse de le traquer, n’hésitant
pas à le mettre sur écoute, tentant
de convaincre les rares témoins de
parler. Mais à 80 ans, le « street
boss » présumé, dont le père et le
grand-père appartenaient au clan
des Bonanno, l’une des cinq famil-
les new-yorkaises liées à Cosa
Nostra, a fait un joli pied de nez à
la justice. Les procureurs qui, ces
dernières années, avaient réussi à
faire condamner des parrains
comme John Gotti, le chef de la
famille Gambino, ou encore Vin-
cent Gigante, dit « the Chin » (le
menton), se sont, cette fois, cassé
les dents sur Asaro.
Alors que l’homme se remettait
d’un triple pontage, il avait été
arrêté en janvier 2014 pour
répondre de nombreux crimes
perpétrés sur une période de qua-
rante-cinq ans, de 1968 à 2013,
dont le fameux casse de JFK. De
quoi l’envoyer pour ce qui lui reste
à vivre derrière les barreaux. Mais
Vincent Asaro, malgré la multitude
de témoins appelés à la barre par
l’accusation, ne s’est pas laissé
démonter, continuant de plaider
non coupable. A l’issue de deux
jours de délibérations, le jury lui a
donné raison.
Une bonne partie de l’accusation
tenait sur le témoignage de Gas-
pare Valenti, un cousin de Vincent
Asaro qui coopérait avec le FBI
depuis 2008, osant braver la •••
16 janvier 2016 — M Le magazine du Monde
 ••• fameuse loi du silence. Au
cours du procès,Valenti est revenu
sur le casse : « Nous pensions qu’il
y avait 2 millions de dollars en
espèces, en fait il y en avait pour
plus de 6 millions », a-t-il expliqué
à la barre. Une découverte, qui
consigne ne fut manifestement
pas respectée par Asaro, qui
s’acheta une seconde maison, un
yacht et un magnifique coupé
deux-portes, la fameuse Lincoln
Continental dessinée par Bill
Blass. L’homme ouvrit même sur
zabeth Macedonio, lors de sa
plaidoirie finale, « des menteurs
invétérés ». La défense s’est ainsi
servie de la crédibilité douteuse
du témoin pour contrer l’accusa-

“Libre !”, s’est écrié

avait rendu Asaro « euphorique »,
avant que le côté sombre du per-
sonnage ne reprenne le dessus.
« Nous devons faire très attention
à partir de maintenant, aurait-il
glissé à son cousin. Ils vont cher­
cher à nous voler, ils vont nous tuer.
N’importe qui pourrait entendre
parler du partage. »
Valenti a raconté le hold-up par le
menu. Comment James Burke,
dit « Jimmy the Gent », le « gent-
leman », membre du clan des
Lucchese, une autre famille de la
Mafia new-yorkaise, avait
orchestré le coup. Incarné à l’écran
par Robert De Niro à travers le
personnage de Jimmy Conway,
l’homme ne sera pourtant jamais
inquiété pour ce braquage.
Condamné en 1980 pour meurtre
dans une autre affaire,il n’a aujour-
d’hui plus les moyens de contre-
dire ses accusateurs : incarcéré au
pénitencier d’Alden, dans l’Etat
de New York, il succomba en 1996
à un cancer du poumon.
Valenti a aussi retracé la façon dont
l’un des membres de la bande,
Henry Hill, joué par Ray Liotta
dans Les Affranchis, s’est procuré
les plans des locaux de la Luft-
hansa. Il a expliqué comment avait
été préparé le casse dans un club
du quartier du Queens, le Robert’s
Lounge. Valenti, qui faisait partie
des six hommes encagoulés, a
décrit la scène-clé du casse
lorsqu’ils ont découvert dans le
coffre-fort la quarantaine de boîtes
contenant chacune 125000 dollars
en liasses de petites coupures, puis
comment ils se sont enfuis avant
de retrouver Burke et Asaro, qui
attendaient sagement dans une
voiture à moins de deux kilo-
mètres de JFK.
Toujours selon Valenti, le butin
aurait été ensuite caché dans la
cave d’une maison de Brooklyn,
Rockaway Boulevard, l’artère qui
longe l’aéroport JFK, une boîte
de nuit : l’After, pour « l’after
Lufthansa », selon Valenti. Enfin,
Asaro finit par céder à son péché Vincent Asaro à la
sortie du tribunal avant
mignon : le jeu. Il engloutit ainsi
plus de 750 000 dollars dans les
courses de chevaux.
Ce sont d’ailleurs ces dettes qui
envenimèrent les relations entre de lâcher une phrase
qui sonne comme
les deux cousins. « J’étais très pro­
che de lui, nous avions comme une
liaison », a confessé Valenti, avant
que la multiplication des trahisons
d’Asaro pour des histoires d’ar- un aveu: “Je ne peux
pas y croire.”
gent ne le convainque de com-
mencer à renseigner le FBI et à
devenir bavard sur leurs esca-
pades criminelles. Comme ce
hold-up raté où les compères
croyaient braquer un camion rem- tion. Qui s’est fracassée égale-
pli de manteaux de vison, mais ment sur les photos prises par le
qui ne contenait que des soutiens- FBI. On y voit Asaro tantôt un
gorge et des petites culottes. Plus gobelet de café à la main, tantôt
1
dramatique : le meurtre en 1969 quittant son restaurant, The
d’un indic, Paul Katz. Asaro avait Great Im-Pasta. Mais « pas une
été arrêté en compagnie de Burke, seule fois ils n’ont pris M. Asaro
alors qu’ils devaient récupérer un en train de faire quelque chose d’il­
2
butin dans un entrepôt du Queens légal », a eu beau jeu de souligner
appartenant à Katz.Valenti affirme Me Macedonio. Et dans le flot
que c’est à partir de ce moment d’enregistrements produits lors
qu’ils ont commencé à soupçon- du procès, le mot « Lufthansa »
ner l’homme d’être une balance. n’est jamais prononcé.
Il a détaillé lors du procès com- Quant aux détails donnés par
ment ils s’étaient débarrassés de Valenti, une bonne partie a été
Katz en l’étranglant avec une couchée sur le papier par Henry
chaîne avant d’enfouir son corps Hill lui-même. Dans Wiseguy,
dans le sous-sol d’une maison que livre co-écrit avec Nicholas
le père de Valenti était en train de Pileggi en 1986, qui a servi de
construire à proximité. Mais le base au scénario des Affranchis,
cadavre ne fut jamais retrouvé. puis à titre posthume dans le
best-seller qu’il a signé avec
Des preuves, c’est bien ce Daniel Simone, The Lufthansa
qui a manqué au cours De ce procès. Heist (Lyons Press, août 2015). Ce
L’accusation eut beau affirmer livre révèle notamment que c’est
qu’Asaro « était né dans cette vie » John Gotti qui exécuta Tommy
de mafieux, qu’il avait « complè­ DeSimone, le psychopathe joué NY Daily News via Getty Images. Ken Murray/AP/Sipa.
US Attorney’s Office/Eastern D/The New York Times/
tement embrassé » cette carrière, par Joe Pesci dans le film de Scor-
que sa fidélité aux Bonanno était sese, lui aussi impliqué dans le
aussi indéfectible que le tatouage casse de la Lufthansa. Une préci-
The Kobal Collection/Aurimages. Reuter.

avant d’être déplacé à plusieurs
reprises. « Burke a distribué très
peu d’argent au début », a-t-il
raconté. Une scène que l’on
retrouve dans le film de Scorsese
lorsque Jimmy Conway met en
garde ses comparses contre des
dessiné sur son bras était indélé- sion qui n’apparaissait pas dans le
bile – « la mort plutôt que le dés­ premier livre, Hill redoutant des
honneur » –, bref qu’il était un représailles. DeSimone avait
affranchi, un vrai, rien n’y fit. Para- notamment liquidé le premier
doxalement, ce sont peut-être les témoin gênant du hold-up, Par-
témoins qui ont fait pencher la nell Edwards. Celui-ci avait eu le
balance en faveur de l’octogé- tort de ne pas faire disparaître la
Redux/REA

dépenses trop luxueuses qui ris- naire. « Ce sont des gens mépri­ fameuse fourgonnette Ford, qui
queraient d’attirer l’attention. La sables », a lancé son avocate, Eli- fut retrouvée deux jours après par
 41

la police devant une bouche à

incendie dans le quartier de
Canarsie, dans le sud-est de Broo-
klyn. DeSimone ne l’emporta pas
au paradis : lors d’un règlement
de compte commandité par les
Gambino, il est exécuté de trois
balles de 38 Magnum dans le
crâne, alors qu’il est attablé dans
un restaurant italien du Bronx.
Son corps ne fut jamais retrouvé.
Après la mort de Paul Vario, dit
« Paulie », l’un des capos du clan
Lucchese, en 1988, après celle de
Burke en 1996, de Gotti en 2002 et
de Hill sur le lit d’un hôpital de
Los Angeles en 2012, le gang a été
entièrement décimé et la plupart
des témoins du casse exécutés.
Avant son dernier souffle, Hill
affirma à Daniel Simone, son co-
auteur, qu’aucun des participants
n’était encore en vie. Réflexe d’af-
franchi pour protéger Asaro? Une
façon de se racheter pour le mar-
ché qu’il avait passé avec le FBI
après son arrestation en 1980 ?
Contre la protection de sa famille,
il avait en effet balancé 50 mafieux
dont Paulie et Burke, avant de se
faire expulser du programme de
protection des témoins du FBI
pour trafic de stupéfiants en 1987.
Une semaine Edwards pour ne Henry Hill (1, à La réponse à cette question res-
pas avoir dissi-
après le hold-up
(3, la “une” mulé la fourgon-
gauche, joué
par Ray Liotta),
tera un mystère. Toujours est-il
du Daily News au nette (4). Il est
lui-même liquidé
balance des que les récits, sujets à caution, de
lendemain), le dizaines de noms
mafieux Tommy dans la foulée par au FBI. Mais ne Valenti n’ont pas été suffisants
le parrain John
DeSimone (1, au
centre, joué par Gotti (2), mort en
souffle mot sur la
supposée impli-
pour convaincre un jury qui atten-
Joe Pesci dans 2002. Deux ans
plus tard, l’un des
cation de Vincent dait des preuves sonnantes et tré-
Les Affranchis) Asaro (5, photo
tue Parnell auteurs du casse, de filature). buchantes.A l’annonce du verdict,
Asaro, pull col en V et chemise
ouverte, a levé à trois reprises le
3
poing en signe de victoire.
« Libre! » s’est-il écrié à sa sortie
4 du tribunal avant de lâcher une
phrase qui sonne comme un aveu :
« Je ne peux pas y croire. »
Avec cette affaire se tourne défi-
nitivement une page de la Mafia
new-yorkaise qui a commencé à
être démantelée à partir des
années 1980. De cette époque, il
ne reste que ce code de l’honneur
qu’Asaro se sera échiné à respec-
ter jusqu’au bout. Sans doute le
prix de sa survie.
Comme pour ne pas décevoir son
5
public, l’homme s’est retiré de la
scène dans une dernière pirouette
en sortant du prétoire. Alors qu’il
s’engouffrait dans une voiture qui
l’attendait, pour plaisanter, devant
la foule de journalistes, il a lancé à
l’un de ses avocats : « Sam, ne les
laisse pas voir le corps qu’il y a
dans le coffre. »

16 janvier 2016 — M Le magazine du Monde

 42

Le photographe Matthew Connors a choisi de ne pas légender

les images pour que son travail ne soit pas assimilé à du
photojournalisme. Il s’agit davantage d’une évocation, par bribes,
d’une ville livrée au chaos et à la violence. Ces photos sont
illustrées par un texte de fiction écrit également par l’auteur.

M Le magazine du Monde — 16 janvier 2016

 Retour
à Tahrir.
C’était deux ans jour pour jour après le début de la révolution
égyptienne. Le 25 janvier 2013, les Cairotes se réunissent à nouveau
place Tahrir pour dénoncer ceux qui leur ont volé la victoire.
Ils obtiendront la chute du président Mohamed Morsi. Mais aussi
une reprise en main par l’armée. L’Américain Matthew Connors
a suivi de janvier à juin 2013 les affrontements entre contestataires
et forces de l’ordre.A mi-chemin entre poésie et photoreportage,
sa série “Fire in Cairo” se veut une fiction historique.
photos matthew connors — texte hélène sallon
 44

C e 25 janvier 2013, La révoLution égyptienne vit L’un de ses derniers

soubresauts. L’espoir suscité par la chute de l’ancien président
Hosni Moubarak, dix-huit jours après le début du soulèvement du
25 janvier 2011, s’est évanoui. Les nostalgiques de la place Tahrir
redescendent dans la rue. Dans une communion pacifique ou
armés de cocktails Molotov, comme les militants ultraviolents du
black bloc en première ligne face aux forces de sécurité, ils affron-
tent un régime accusé de dévoyer leurs idéaux révolutionnaires:
« Pain, liberté, dignité et justice sociale. » Après la transition assumée d’une main de fer par le
Conseil suprême des forces armées (CSFA), Mohamed Morsi, premier président démocrati-
quement élu, en juin 2012, est accusé d’entraîner le pays vers le péril islamiste. Il sera renversé
par l’armée, après une nouvelle « révolution », le 30 juin 2013, qui a vu des millions d’Egyptiens
manifester, et la confrérie les Frères musulmans réprimée dans le sang.
Ce sont à ces six mois, entre janvier et juin 2013, que le photographe américain Matthew
Connors a consacré son premier livre, Fire in Cairo. Après avoir travaillé à New York sur le
mouvement Occupy, il choisit d’aller confronter son imaginaire de la révolution de Tahrir
à la réalité. Il en tire une succession de fragments – nuages de gaz lacrymogène, lasers,
ombres et barricades – et des portraits, accompagnés d’une nouvelle de fiction, inspirée de
l’auteur postmoderniste américain Donald Barthelme. « Je ne suis pas journaliste. Je ne
voyais pas ce que je pouvais apporter sur le plan de l’histoire intelligible. Je voulais retrans-
crire l’énergie et la répétitivité des événements, mon expérience et ma compréhension de la
situation », explique l’artiste de 40 ans.
Diplômé de littérature, Matthew Connors définit son œuvre comme une fiction historique,
quelque part entre le reportage, la poésie et le surréalisme. Il se dégage de ses photographies
un sentiment de chaos et de confusion. « Rétrospectivement, je réalise que j’étais très naïf
face au danger : j’étais entouré par la violence. La situation sur le terrain évoluait constam-
ment, et je n’étais jamais sûr de qui était face à qui. La perspective était déboussolante »,
raconte-t-il. Cette confusion imprime son livre, où les photographies – non légendées – sont
présentées comme, dit-il, « un flux qui s’étend et se contracte ».

La pLace tahrir a depuis été nettoyée des stigmates de la révolution. La mémoire et l’héritage
du 25 janvier 2011 ont été balayés, ses nostalgiques conspués et ses 1100 « martyrs » oubliés.
Le 30 juin 2013 a clos la parenthèse révolutionnaire. Il a été érigé en moment refondateur de
la nation en lieu et place d’un 25 janvier désormais décrié comme un complot ourdi par des
agents de l’étranger pour déstabiliser le pays et porter les islamistes au pouvoir. L’heure est
au retour à l’ordre et à la stabilité, promis par le président Abdel Fattah Al-Sissi à une popu-
lation éprouvée par les troubles politiques et le marasme économique. L’Etat policier a
retrouvé ses vieux réflexes, réprimant durement islamistes et agitateurs révolutionnaires.
Dépossédés de la place Tahrir, privés de leurs espaces d’expression, hantés par leurs martyrs
et leurs rêves brisés, les nostalgiques du 25 janvier ont dû céder la place. Se fondre dans la
masse d’anonymes, résignés et accaparés par les soucis du quotidien, ou continuer à lutter,
reclus dans un entre-soi. A l’approche du cinquième anniversaire de la révolution, une colère
sourde gronde face aux promesses non tenues. Mais, contre les contestataires qui appellent
sur les réseaux sociaux à une « nouvelle révolution contre la tyrannie », le pouvoir invoque
les peurs de voir le pays sombrer à nouveau dans le chaos.
Fire on Cairo, de Matthew Connors, SPBH Editions, 160 p.

M Le magazine du Monde — 16 janvier 2016

Matthew Connors
Matthew Connors
47

16 janvier 2016 — M Le magazine du Monde

 48

Matthew Connors

M Le magazine du Monde — 16 janvier 2016

 AFCAE et BNP Paribas
présentent

Du 20 au 26
janvier 2016

3,50€
Pour voir ou revoir
les meilleurs
films de l’année
dans les salles
Art et Essai :

• Trois Souvenirs
de ma jeunesse
la place de cinéma • Mia madre
avec le PASS • Mustang
• Comme un avion
dans Télérama • Life
les 13 et 20 janvier • Dheepan
• Much loved
• L’Homme
Un événement irrationnel
• Birdman
à vivre sur • Taxi Téhéran
telerama.fr • Phoenix
• Fatima
#TFestivalCiné • Back home
• Marguerite
• La Loi
du marché
• Phantom Boy

PHOTO LAURENT SEROUSSI

 51

« Love animals, don’t eat them » : lorsque

l’actrice Pamela Anderson lance sa ligne
de chaussures sans produit animal,
c’est le photographe David LaChapelle
qui signe la campagne de publicité.

Genre pas bête.

le végan soufflait déjà sur l’assiette, voilà qu’il gagne le vestiaire.
cuir végétal, fausse fourrure, raphia : les fibres vertes ont
le vent en poupe. et n’en finissent plus d’inspirer les créateurs.
par Alice Pfeiffer
David LaChapelle

16 janvier 2016 — M Le magazine du Monde


C
E SOIR DE
DÉCEMBRE 2015,
c’est la cohue
devant la bou-
tique pointue
Opening Ceremony, à Los
Angeles. Les flashs crépitent
et les fans scandent le nom
de Pamela Anderson, venue
présenter sa ligne de chaus-
sures conçue avec la créatrice
d’accessoires française
Amélie Pichard. Une ligne
végane, – c’est-à-dire
végétalienne, fabriquée sans
le moindre produit animalier
(ici en raphia, denim et faux
cuirs). Cocktail en grande
pompe, photographes mon-
dains, campagne immortalisée
par David LaChapelle : un lan-
cement plutôt inhabituel pour
une marque éco-consciente,
segment longtemps perçu
comme baba-cool et peu
créatif. Mais l’exemple n’est pas
M Le magazine du Monde — 16 janvier 2016
isolé : plusieurs marques se
sont ainsi alliées à des person-
nalités pour médiatiser leur
cause végétaliste. Cet hiver,
le chausseur Robert Clergerie
propose deux paires de bot-
tines en matières végétales,
une masculine et une féminine,
réalisées avec le groupe
pop Lilly Wood & The Prick.
Outre-Atlantique, le luxueux
label d’accessoires végéta-
liens Freedom of Animals
s’associe à l’actrice Nikki
Reed pour créer un sac
à main, et le designer Philippe
Starck a travaillé avec la
marque brésilienne écolo
Ipanema pour lancer des
tongs véganes.
Selon Pascaline Wilhelm,
directrice de la mode du salon
de textile Première Vision,
« dès la révolution industrielle,
des imitations de textiles
nobles souvent animaliers
sont créées pour les masses ».
Mais contrairement à cette
approche, économique plus
qu’écologique, la mode végé-
talienne s’adresse aujourd’hui
à la clientèle du luxe, comme
la pionnière en la matière
Stella McCartney qui, dès le
De gauche à droite, bottines en
matière végétale Lilly Wood &
The Prick pour Robert Clergerie,
sac à main Nikki Reed pour
Freedom of Animals, sac à dos
en tweed et laine recyclée
Honest By et tongs véganes
Starck pour Ipanema.
lancement de sa marque, en
2001, proposait sacs en cuir
végétal et fausse fourrure.
Pourquoi un tel essor ? Il est
lié à « une double évolution
dans le marché : des matériaux
novateurs et raffinés ainsi
qu’un changement radical de
la perception de cette cause »,
analyse Amélie Pichard.
De fait, on assiste aujourd’hui
à un relooking global de la
consommation dite green,
entre les jeans fabriqués en
bouteilles d’eau repêchées
dans les océans chez G-Star
avec Pharrell Williams
et les livres de recettes bio
de Gwyneth Paltrow. « Les
“fashionistas vegan” émergent,
si bien que les créateurs de
mode comme les restaurateurs
doivent aujourd’hui réfléchir
à des versions végétaliennes
de leur offre », affirme
Amélie Pichard au sujet
de cette prise de conscience
de l’élite créative.
AU-DELÀ DE L’ENGAGEMENT, c’est
aussi un « exercice à la fois
stylistique et technique pas-
sionnant pour un créateur,
analyse Eva Taub, présidente
de Robert Clergerie qui déve-
52
loppa, suite au rationnement
du cuir dans les années 1940,
ses désormais emblématiques
tressages de raphia. A chaque
restriction sa nouvelle créati-
vité. » Pour Nili Hadida,
la chanteuse de Lilly Wood
& The Prick, « c’est une façon
de communiquer sur une
cause de manière pop, cool,
sans être moralisateur ».
Si ces produits répondent aux
attentes de la mode actuelle,
ils coûtent aussi chers – voire
davantage – que ceux
en matière animale. Mais
Bruno Pieters, de Honest By,
une marque écolo en passe
de devenir 100 % végétalienne,
de remarquer : «Le végan est
un marché de niche. Le cuir
reste l’une des matières
les plus répandues parce
que bon marché et facile à
produire. Il est pourtant impé-
ratif aujourd’hui de réduire
cette production. Mais cette
évolution ne pourra avoir
lieu que si le profit n’est plus
l’objectif premier des marques
de textile. »
Julot Bandit. Freedom of Animals. Honest By. Ipanema
 le goût des autres

Au bout du roulé.
par Carine Bizet — illustration Kristian hammerstad

Quand elle n’égraine pas son visage – remodelé au laser

les tendances, la mode accumule
les effets de style. Il faut bien dis-
traire le public pour faire marcher
le commerce. Parmi ces exercices
de mise en scène textile, le duo
ourlet de pantalon roulotté/chaus-
settes apparentes a gagné du
même élan douteux les vestiaires
masculin et féminin. Le ratage
global de l’expérience peut être
considéré comme une forme
d’égalité des sexes,même si chaque
camp subit un échec différent.
Chez les femmes, ce traitement
de l’ourlet avec mise en valeur de
la chaussette se rencontre surtout
chez les sujets de grande taille.
Elles imputent ce choix à une vo-
lonté de militer pour le genre «an-
drogyne chic» mais le sous-texte
est souvent moins chic: cette fille
prend de haut (au sens propre et
figuré) tout ce qui relève de l’attri-
but féminin dit « classique »,
comme la jupe et le maquillage
apparent. Tant pis si, dans la réa-
lité, sa coupe de cheveux dégra-
dée-décoiffée mobilise trois
heures de son temps deux fois par
mois minimum tandis que les
quatre couches de sérums en tout
genre superposées sur la peau de
chez le dermatologue – lui per-
mettent de mépriser l’usage du
fond de teint. Avec sa dégaine de
faux dandy, cette personne peu
sympathique entre dans la catégo-
rie «snob à grands pieds». Car, au
fond, tous ces jeux d’ourlet ser-
vent surtout à dissimuler le fait
qu’elle chausse du 42 et que sa
cheville est un peu lourde sous les
replis de la chaussette.
Chez le sujet mâle, le problème
prend des proportions inverses: ce
sont les petits qui roulent de l’our-
let et se posent en garçons cool et
branchés. Dans la réalité, cet effet
tient du désastre optique : les
jambes ont l’air plus courtes que
jamais. Et cela ne cache pas long-
temps la triste vérité: rouler l’our-
let permet de ne pas couper le bas
d’un pantalon trop long.
Chez l’homme, la classification
des chaussettes est aussi révéla- nerfs si vous ne rangez pas ses cé- la douche, pour faire l’intéressant
trice qu’inquiétante. Elles sont réales en fonction de leur contenu – développer un talent quel-
chics, de couleur, achetées chez un en fibres. Les chaussettes sont conque, c’est bien trop fatigant.
fournisseur élitiste (celui du pape, plutôt sportives et un peu dou- Autant dire qu’il se roule autant
par exemple). Ce petit homme les teuses ? Voici un hipster sale, la les pouces que l’ourlet. De quoi
range de manière très précise, en créature branchée qui préfère pas- avoir le moral dans les chaus-
dégradé de couleurs, pliées et non ser du temps à désassortir minu- settes ? Sans doute : mieux vaut
pas roulées – c’est un obsessionnel tieusement ses vêtements au dé- laisser le roulé aux pâtissiers et aux
compulsif qui fera une crise de triment de l’usage biquotidien de marchands de tabac.

le théorème

Rouge gorge.
Natalie Baetens x2. Baccarat, Patrick Schüttler

Maison Francis KurKdjian Baccarat BouQuet incandescent

Déjà sept ans que le créateur
du Mâle de Jean Paul Gaultier
décline le parfum sous toutes
ses formes pour la marque
qui porte son nom : fragrances
mixtes, bracelets de cuir odorant et
autres bulles de savon parfumées.
De la manufacture de cristal, fondée
il y a plus de 250 ans, on connaît
les collections pour la table,
les lustres et les flacons pour
la parfumerie de luxe. Et l’emblé­
matique rouge, un cristal obtenu
grâce à de la poudre d’or.
Inspiré par le cristal rouge Baccarat,
Francis Kurkdjian a imaginé
un bouquet épicé, qui cède
la place aux notes sensuelles de
l’ambre gris et du cèdre. L. B.-C.
Baccarat Rouge 540, Maison Francis Kurkdjian,
195 € les 70 ml, www.franciskurkdjian.com
 l’invité mystère

L’homme tressé.
acteur, chanteur, musicien, romancier, héros de fiction…
qui se cache derrière ces quatre indices ?
par Fiona KhaliFa

librement inspiré

Pics graphiques.
la designer elisabeth hertzfeld
a créé une boîte à bijoux en forme de
cactus : colliers et parures
s’accrochent aux épines, et à l’inté-
rieur se cachent les autres trésors.

Qu’il soit succulent ou drosera, le

cactus s’est imposé en quelques
années comme un élément de
décoration très graphique. Cette
inépuisable famille de végétaux a
la veste le papier à notamment inspiré la designer
de survêtement rouler, 32 feuilles
en coton et polyester, en chanvre bio, Elisabeth Hertzfeld. « Je cherchais
modèle Superstar, OCB, 0,99 €.
Adidas, 70 €. www.smokeit.fr à dessiner une boîte à bijoux qui
www.adidas.fr ressemble à un arbre. Au fil de mes
le spray
le bonnet rafraîchissant croquis préparatoires, elle s’est
en tricot rayé, 14,90 €, pour dreadlocks,
Bonnets Company Dollylocks, 15,95 € transformée en cactus. J’ai alors
www.bonnets- chez Dreadshop. accentué le contraste entre l’aspect
company.com. www.dollylocks.com
rond du corps et les épines qui en
Réponse : Bob Marley. émergent », explique-t-elle. Pour
fabriquer le corps cylindrique de
cet accessoire, elle a choisi la tech-
nique du tournage sur bois, spécia-
lité de l’éditeur jurassien Y’a pas le
feu au lac. « Après l’idée des piques
qui accueillent les bijoux, j’ai évidé
horlogerie
le cœur de la structure pour en faire

Petit format.
M Le magazine du Monde. Y’a pas le feu au lac. Getty Images/DeAgostini. Cartier
une poche magique qui cache
des trésors, de la même façon que le
cœur du cactus renferme de l’eau,
si précieuse dans le désert. » Ce
alors que sa haute horlogerie se distinguait jusqu’ici par d’imposants diamètres totem, dont les formes et les teintes
et des designs hyperboliques, cartier infléchit aujourd’hui son style. la rotonde évoquent l’esthétique Memphis
chronographe incarne un virage empreint de retenue. aiguilles pomme bleues, (le mouvement coloré et anti-
couronne en spinelle bleu, chiffres romains et fonctionnaliste du design italien
cadran à motif, les codes identitaires de la maison des années 1980), dispose, en
sont bien là. mais les mensurations ont été revues à prime, d’un couvercle qui abrite
la baisse. quant à la boîte, c’est un cercle simple et un petit miroir. M. Go.
élégant qui détonne face aux formes sophistiquées Cactus en tilleul, Elisabeth Hertzfeld,
des collections cartier (galet des ballon bleu, édité par Y’a pas le feu au lac, 49 €.
rectangle des tank). D. Ch. www.yplfl.com

Cartier Rotonde Chronographe. Boîtier en acier de 40 mm.

Mouvement à remontage automatique avec heures, minutes, secondes,
date, chronographe. Prix sur demande. www.cartier.fr
55

fétiche

Jus d’orange.
Comment réinventer la senteur Cologne, concentré d’écorces d’agrumes
dans sa version traditionnelle, alors qu’elle n’a jamais été autant déclinée
par les marques de parfums ? Hermès n’a cessé de la faire évoluer depuis
la création en 1978 d’Eau d’Orange Verte, lui inventant des cousines, acidulées
ou duveteuses, parfois même dépourvues de zestes, à l’instar de l’Eau
de Gentiane Blanche. Cette fois, c’est au néroli que le parfumeur maison
Jean-Claude Ellena consacre son dernier jus, Eau de Néroli Doré. Cette essence
de fleur d’oranger obtenue par distillation à la vapeur d’eau évoque les
madeleines et les produits pour bébés. C’est pourtant un tout autre tableau
qui se dessine sur la peau. La fleur a conservé tout son relief, y compris
ses petits défauts qui la rendent singulière : une légère senteur de caoutchouc
en tête qui disparaît au profit des pétales. Puis, comme un coup de soleil,
jaillit un safran lumineux qui offre un nouvel élan au néroli. Une surprise
qui prouve que le thème Cologne continue d’inspirer les parfumeurs. L. B.-C.
Eau dE néroli doré, HErmès, 125 € lEs 200 ml.
dès févriEr. www.HErmEs.com

16 janvier 2016 — Photo Erik Haberfeld & Audrey Corregan pour M Le magazine du Monde. Stylisme Fiona Khalifa
 56

variations

Droit des regards.

En 2015, une étude du CSA révélait que les foyers français sont
équipés de 6,4 écrans en moyenne… Cette omniprésence
technologique entraîne une fatigue visuelle qui commence
à faire recette. Ainsi plusieurs marques spécialisées dans
les « lunettes de repos » ont-elles vu le jour. Sans modifier
la correction, leurs verres, teintés de jaune, filtrent une partie
de la lumière bleue émise par les ordinateurs, tablettes
et autres téléviseurs. Des lunettes qui offrent un éventail
de formes, histoire d’en faire aussi un accessoire de mode. V. Ch.
de haut en bas et de gauche à droite,
en acétate de cellulose, edie&Watson, 45 €. WWW.edie-et-Watson.com
en acétate façon écaille, sensee, 49 €. WWW.sensee.com
en acétate noir, by Polette, 39,99 €. WWW.lusinealunettes.com
en acétate mate façon écaille, see concePt, 30 €. see-concePt.com

Photo Erik Haberfeld & Audrey Corregan pour M Le magazine du Monde. Stylisme Fiona Khalifa — 16 janvier 2016
 la palette

Vent frais.
Emblème des écologistes, de l’agriculture
biologique et des croix de pharmacie,
le vert est devenu l’antidote à la pollution,
des villes comme des corps. La couleur
colonise les réseaux sociaux à grand renfort
de jus détox au brocoli cru, de thé matcha
et de salades bienfaisantes. Rayon beauté,
le vert a d’abord été l’étendard des produits
amincissants puis a recouvert les flacons
de crèmes pour peaux grasses ou acnéiques.
Cette couleur évoque la purification, mais
aussi la jeunesse et la pleine santé. D’où
son utilisation par de nombreuses marques
comme Crème de La Mer ou plus récemment
Body Shop pour des produits anti-âge.
« Autrefois délaissé, rejeté, mal aimé, le
vert est devenu une couleur messianique,
écrit le spécialiste des couleurs Michel
Pastoureau dans Vert. Histoire d’une
couleur (Le Seuil). Il va sauver le monde. »
Pas étonnant qu’il soit aussi décliné
en mascara par L’Oréal Paris ou en parfum
luxueux par Armani Privé pour son dernier
Vert Malachite. L. B.-C.
De haut en bas : Volume Millions de Cils Féline,
L’Oréal Paris, 15,50 €. www.loreal-paris.fr
Drops of Youth Youth Essence Lotion, The Body Shop,
15 € les 160 ml. www.thebodyshop.fr
Nuxuriance Ultra Crème Nuit Redensifiante,
Nuxe, 43 € les 50 ml. www.nuxe.com
Vert Malachite, Armani Privé,
280 € les 100 ml. www.armanibeauty.fr
Wonder Mud, Biotherm, 50 € les 50 ml. www.biotherm.fr
Cucumber Gel Mask, Peter Thomas Roth, 49,90 € les 150 ml,
en exclusivité chez Sephora. www.sephora.fr

réédition

Tube italien.
A mi-chemin entre forme végétale et architecturale, le vase Bambu est un manifeste du
travail d’Enzo Mari. Ce Piémontais né en 1932 imaginait des produits industriels durables,
en mettant à profit les traditions artisanales. Sa collaboration avec l’éditeur Danese
lui a permis d’opérer sur le long terme cette synthèse inédite. En 1968, Mari fabrique
des prototypes de vases en PVC. Puis il utilise le biscuit – pâte céramique cuite à l’aspect
mat –, selon lui excellent compromis « entre l’éthique et l’esthétique, l’industriel et
M Le magazine du Monde. Danese Milano

l’artisanat ». Il dessine plusieurs modèles dont ce Bambu. Sa forme organique n’est pas
décorative, elle répond avant tout à sa fonction de vase en s’inscrivant dans une logique
de production industrielle. Danese a cessé de le fabriquer en 2002, mais l’intérêt que
portent au travail de Mari les jeunes générations a poussé l’éditeur à se pencher de
nouveau sur ce classique. Il vient de rééditer toute la collection de tubes cannelés en
céramique dont les lignes simples expriment les valeurs de l’immense designer. M. Go.
Vases Bambu en céramique d’Enzo Mari, Danese. 225 €. www.danesemilano.com
un peu de tenues

Grands soirs.
manteau en nylon rouge sang, robe en vinyle noire
et tee-shirt à message, la nuit réveille les rebelles.
par marine chaumien — photos pierre-ange carlotti
59

page de gauche,
tee-shirt en
coton imprimé,
Courrèges.
Jupe en Jean,
Vetements.

ci-contre,
chemise en coton,
ralph lauren
purple label.
pantalon en
coton, paul smith.

16 janvier 2016 — M Le magazine du Monde

 60

ci-contre, robe
en denim avec
broderies
en sequins et
breloques
et robe en vinyle
noir, Miu Miu.
bracelet
en vermeil,
Charlotte
Chesnais.

page de droite,
sous-pull en
maille interlock,
soie et coton,
chemise manches
courtes en
popeline de
coton, broderie
cd, pull sans
manches en
maille intarsia
de laine double
motif argyle,
jean skinny fit
stretch,
Dior hoMMe.

M Le magazine du Monde — 16 janvier 2016

63

page de gauche,
Top eT jupe en
maille de coTon,
J.W. Anderson.

ci-conTre,
manTeau en
nylon, panTalon
en néoprène,
LAcoste.

coiffure :
BénédicTe cazau
@arTlisT
maquillage :
Karin WesTerlund
@callmyagenT
assisTanTe
sTylisTe :
maeva danezan
producTion :
WhiTe doT
producTion
merci à clara
3000, sTefan,
loliTa, luKa
eT juan.

16 janvier 2016 — M Le magazine du Monde

 64

une ville, deux possibilités

Ubud.
à bali, l’ancienne cité royale déploie ses temples et
ses demeures traditionnelles dans la vallée de la rivière
ayung. entre collines, rizières et jungle, esthètes ou
explorateurs succombent à sa décontraction raffinée.
par Pascale Desclos

Ubud, village
Roger-Viollet

de peintres
et d’artisans
en 1962.

Kenanga Boutique Resort Hotel.
s’endormir au milieu des rizières
au Kenanga Boutique hotel.
Ce charmant 4-étoiles abrite
21 chambres et bungalows
aux toits de chaume, intégrant
des éléments d’architecture
balinaise. Jolie piscine à
débordement, restaurant-bar
ouvrant sur les rizières et spa.
A partir de 132 € la chambre
double avec petit déjeuner.
Julan Raya Lungsiakan.
info.kenanga@mathiscollection.com
Agung Rai Museum of Art
passer à l’heure Balinaise
chez mawa house
Dans cette maison d’hôtes familiale
du quartier de Nyuh Kuning, à
dix minutes du centre d’Ubud
par une navette gratuite, chaque
Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde.
chambre a sa terrasse avec vue
sur jardin ou piscine. En prime, des
ateliers cuisine, des balades à vélo,
des cours d’offrandes à la balinaise
ou de port de sarong…
A partir de 66 € la chambre double
en B&B. mawahouseubud.com
à DéfAUT D’OffICE DU TOURISME EffICACE, CONSULTER LE SITE ANGLOPHONE BALI.TRAvELNEwS.COM. SINGAPORE AIRLINES PROPOSE
UN vOL qUOTIDIEN DE PARIS CDG à DENPASAR vIA SINGAPOUR (18 H DE vOL) à PARTIR DE 783 € L’ALLER-RETOUR. SINGAPOREAIR.COM.
i — c a l m e e t vo lu p t é
faire sa princesse
au spa the source
Le spa de l’hôtel Como Shambhala
Estate (ex-Begawan Giri), élu
parmi les cinq meilleurs du monde,
est niché dans un jardin luxuriant,
au bord d’une rivière s’écoulant
en bassins et cascades. Au pro-
gramme : yoga, massages et rituels
de beauté traditionnels comme
le Mandi Lulur, autrefois réservé aux
princesses (75 € les deux heures).
Jl Hanoman Rd. www.comohotels.com.
i i — c u lt u r e e t av e n t u r e
s’initier aux arts
à l’agung rai museum of art.
Membre de la famille princière de
Peliatan et collectionneur éclairé,
Agung Rai a fait de la sauvegarde
du patrimoine balinais sa mission.
Dans son musée-école, 400 enfants
viennent s’initier gratuitement à
toutes les disciplines artistiques :
peinture, musique, danse. Chaque
soir à 19 h 30, le lieu accueille
des spectacles traditionnels.
5 €. Julan Raya Pengosekan.
y aller
Sari Organik.
passer en mode veggie
au sari organiK.
Accessible à scooter ou à pied
par un sentier à travers les rizières,
ce petit warung (restaurant) offre
une pause bio et bucolique. La
carte décline les produits du jardin
en jus de fruits frais et recettes
végétariennes, comme le sauté de
tempeh salé-sucré ou les champi-
gnons cuits en feuille de bananier.
Subak Sok Wayah
(à 1 km de Julan Raya, chemin fléché).
Temple Saraswati.
se recueillir
au puri taman saraswati.
Ce paisible sanctuaire aquatique,
encadré d’un bassin tapissé de
fleurs de lotus, est dédié à Dewi
Saraswati, la déesse du savoir, de la
sagesse et des arts. On y entre par
une petite porte entre le palais royal
et l’hôtel voisin. Ne pas manquer
la sculpture de tortue portant l’uni-
vers sur ses épaules, dans la cour.
Entrée gratuite, mais offrandes
bienvenues. Julan Raya Ubud.
16 janvier 2016 — Photos Putu Sayoga/Arka Project/REA pour M Le magazine du Monde
se mettre sur son 31
à l’atelier manis
Ouverte par la Japonaise
Miki Takahashi, qui a fait ses classes
auprès du styliste Issey Miyake
avant de s’installer à Bali, cette
boutique propose sa collection
de vêtements. Lignes épurées,
coupes au cordeau, tissus
naturels – laine, soie, lin, coton –
et fabrication balinaise :
un vestiaire sobrement chic.
Julan Dewi Sita.
Braver les rapides
avec Bali adventure tours.
Le cours impétueux de l’Ayung, à
l’ouest d’Ubud, se prête particuliè-
rement à la pratique du rafting.
L’expédition de Bali Adventure
Tours conduit sur les quelque
9 km de rivière, tantôt au milieu
des rizières, tantôt au fond de
gorges, avant de franchir des
rapides en pleine forêt tropicale.
49 € par personne, avec prise en charge
à l’hôtel. baliadventuretours.com
 66

ligne de mire

Ashes to ashes.
par jean-michel tixier

Illustration Jean-Michel Tixier/Talkie Walkie pour M Le magazine du Monde

M Le magazine du Monde — 16 janvier 2016

 J’adore le paIn, je vénère ou grillée, éventuellement un
le travail des boulan- légume, et beaucoup de pain,
gers, et je crois que que l’on mangeait avec du
c’est mon respect pour ce pro- très bon beurre irlandais (salé
duit qui m’a toujours empêché évidemment), de la marmelade
d’essayer de le faire chez moi. ou de la confiture de fram-
Petite, je mangeais essentielle- boises du jardin, et du thé.
ment du pain et de la viande. Il y avait toujours sur la table
Nous habitions à la campagne, au moins trois sortes de pains :
non loin de Belfast. Mon père du pain de mie, du veda bread
élevait des vaches Hereford. au malt, et le fameux soda
Il cuisinait beaucoup et prenait bread, que l’on appelle aussi
un grand plaisir à le faire et à wheaten bread dans le Nord.
manger. Plus que ma mère, En Irlande, cette miche tradi-
qui ne se mettait aux four- tionnelle, c’est un peu le « pain
neaux que pour les occasions pour les nuls », facile et rapide
spéciales. C’est mon père qui à préparer. Chez nous, on dit
m’a donné la passion des que l’on peut faire le soda
bonnes choses au quotidien, bread entre le moment où
et l’envie constante de me l’on apprend que l’on a des
régaler – à une époque, où, en invités pour le thé et le
Irlande, l’intérêt pour la cuisine moment où ils arrivent. C’est
était assez faible. A la maison, un pain sans levure ni levain,
nous mangions bien, mais avec du bicarbonate de soude
notre régime n’était pas forcé- et du lait ribot, de la farine et
ment équilibré comme l’enten- du sel. Il n’a pas besoin de
dent les Français. Au petit lever, ni d’être pétri. Il suffit
déjeuner, c’était le fameux de mélanger rapidement
« Ulster fry » : œuf, bacon, sau- les ingrédients, de façonner
cisse, haricots, pancake – une une boule, de faire une croix
assiette qui vous tient au dessus (pour faire fuir le
corps. Et à 18 heures, le high diable, dit-on, mais aussi pour
tea faisait office de dîner : un que le pain gonfle bien) et de
plat à base de viande, mijotée l’enfourner. L’alchimie du bicar-
une affaire de goût
bonate de soude et de l’acide la recette
lactique du lait ribot lui confère le so da b r e a d
ses bulles et un petit goût de
IngrédIents
noisette. On peut le réaliser (pour 1 miche)
avec différentes farines, moi je 250 g de farine, 250 g
de farine complète, 1 c.
l’aime avec de la farine très
à c. bombée de bicarbonate
complète (whole wheat flour). de soude, 1 c. à c. de sel,
Il y a auTanT de varIanTes de 45 à 47,5 cl de lait ribot.
soda bread qu’il y a de familles.
i
Certains ajoutent du miel, de la Préchauffer le four à 225 °C.
mélasse, du beurre, des fruits dans un grand saladier,
secs, des graines… Parfois, cela mélanger les farines, le sel
et le bicarbonate de soude
s’apparente plus à un gâteau, tamisé. soulever la farine avec
tant il est riche, moelleux, les doigts pour bien répartir
sucré. Mais je crois que je le les éléments. Former un puits
et y verser le lait ribot. Avec
préfère dans sa formule la plus les doigts tendus et écartés,
simple. En grosses tranches remuer en un mouvement
circulaire du centre vers
grillées (l’odeur me rappelle
l’extérieur, en cercles de plus
les matins à la ferme avec en plus grands. Pétrir rapide-
mes frères), et deux couches ment pour finir d’incorporer
la farine.
de beurre : une première sur
la tartine chaude, pour que le
ii
beurre fonde dans les alvéoles, Avec les mains farinées, poser
et une seconde par-dessus, la pâte sur un plan de travail
pour avoir un peu de matière. fariné lui aussi, façonner la
pâte en boule, puis la transfé-
C’est un délice. Je suis revenue rer sur une plaque de cuisson.
m’installer en Irlande, à glisser les mains sous les
l’ouest de Cork, l’été dernier, bords, et tapoter doucement
pour obtenir un pain d’environ
et depuis, je mange du soda 4 cm d’épaisseur. Faire une
bread tous les jours. Même croix profonde sur le pain, et
le piquer à la fourchette.
s’il n’est pas sophistiqué, et
qu’il est presque méprisé
iii
aujourd’hui par les apôtres du enfourner pendant 15 min,
levain et de la boulange bran- puis baisser la température
chée, cela reste à 200 °C, et poursuivre encore
la cuisson 15 min. retourner
l’un de mes plus le pain pour 5 à 10 minutes,
grands plaisirs. jusqu’à ce que la base sonne
creux quand on la tapote
Mon Irlande,

Bonne pâte.
du bout des doigts.
Hachette cuisine, 39,95 €. Laisser tiédir sur une grille.

la chef IrlandaIse TrIsh deseIne, auTeure de lIvres

de cuIsIne quI onT réInvenTé le genre, renoue
dans son dernIer ouvrage avec ses orIgInes. eT avec
le soda bread, paIn sans levure nI levaIn qu’elle aIme
dégusTer en grosses TarTInes grIllées eT beurrées.
par Camille labro

Photos Julie Balagué pour M Le magazine du Monde


DESSOUS DE TABLE
Le bon Sauvage.
S
PAR
Effectivement, il y a de
URTOUT N’EN PARLEZ PAS ! »
quoi. Le quartier, il faut le dire, ronronne très
convenablement. Pour ceux qui ne connaissent
pas, la rue du Cherche-Midi, à Paris, c’est d’un chic
gratiné et légèrement froissé. Entre deux
enseignes, pourtant, s’inscrit cette cave à manger. Cela s’appelle
Sauvage. Mais on n’y vend pas de l’eau de toilette. Ni du vent.
Juste quelques tables à touche-touche et deux, trois tabourets.
Des rayonnages sérieusement garnis, des armoires à fromage et
c’est tout. Enfin presque. Il y a là surtout une sorte d’amicale
improvisée de renards en quête de tanière. On devise d’une table
à l’autre. Un vénérable évoque le choix de ses hôpitaux. Il le fait en
fonction des restaurants du quartier. Son visage est un parchemin
magnifique. On pourrait y lire une carte du Tendre et des voluptés.
Huîtres, porc aux carottes et à la bergamote
(à droite)… La cave à manger Sauvage propose
des produits riches en goût et sans chichis.
PLACE DE CHOIX DOMMAGE
Il y a intérêt à venir tôt Le format de poche
ou tard, car la petite de ce microbistrot est
vingtaine de places à la fois son atout et
est prise d’assaut. son charmant handicap.
M Le magazine du Monde — 16 janvier 2016
68
FRANÇOIS SIMON
L’assiette est comme un écho. Elle correspond à des appétits
curieux de tout avec une innocence qui est revenue de tout:
des palourdes avec du cidre et du citron, du porc avec carottes et
bergamote, des ris de veau, racines et cueillettes. C’est biblique,
nature, sans chichis. C’est du Doux Jésus. Une sorte de chant
tranquille, fredonné. Il émerge d’une cuisine que l’on imagine de
poche, ramassée. Un grand gaillard s’en extrait, il contemple
son public et ses assiettes avec une bonhomie paisible. Pas
ramenard, ni bravache, presque taiseux. Il n’a pas tort, tout est
dit dans cette cuisine pastorale, aimée. Son public fusionne allè-
grement, tape dans les étagères, éprouve les ressorts appliqués
de la biodynamie. On se dit alors que la gastronomie est douce,
loin du cirque absurde et grotesque de la toute dernière Liste
du Quai d’Orsay, ce « classement des 1 000 meilleurs restaurants
dans le monde ». Elle respire ici, se concrétise dans ces tables
adorables et inattendues, procurant le sel (et le poivre) de la vie.
Et de cela, nous voulions vous en parler.
Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde. Getty Images. Getty Images/iStockphoto. Sauvage x2. François Simon x2
À EMPORTER P A S S A G E À L’A C T E
L’un des nombreux flacons Sauvage, 60, rue du Cherche-Midi,
présents sur les rayonnages. Paris 6e. Tél. : 06-88-88-48-23.
Fermé le lundi et le dimanche soir.
De 10 h à 23 h.
Décibels
73 dB de papotages gourmands.
Mercure
Température clémente : 20 °C,
légère baisse lorsque la porte s’ouvre.
L’addition
Menu à 25 €, comptez 30 € à la carte.
Minimum syndical
Six huîtres Utah beach no 2 pour 15 €
avec un verre de vin à 6 €.
Verdict
Ah ! oui !
 DEUXIÈME RIDEAU

Butiner
en paix.
Si vous aimez le 7e arrondissement de Paris, alors
vous allez adorer cette bonbonnière si bon genre
et brave chic. Ici, tout est fait maison, même la
délicieuse enfant qui, en ce tout début de service,
galopait entre les tables. Ensuite, la maîtresse des
lieux reprend en main les rênes de la crèche. S’agit
alors, comme dans toutes ces adresses d’aplomb,
d’en avoir (de l’aplomb). C’est pas compliqué,
il faut la jouer un peu snob (ou alors très gentil)
pour avoir la paix. Ensuite, salades, tartes et
quiches du jour, vrillées par des desserts scélérats,
et le tour est joué. Les tables sont un peu serrées,
mais c’est sans doute le genre de la maison (serré).
Clientèle extra presque exclusivement féminine,
à part quelques égarés filant doux. Addition salée :
30-40 € pour un déjeuner très vertueux. Fr. S.
Les Deux Abeilles, 189, rue de l’Université, Paris 7e.
Tél.: 01-45-55-64-04. Du lundi au samedi, de 9 heures à 19 heures.

UNION LIBRE

Cuvée des œufs.

LA SIMPLICITÉ DE L’OMELETTE S’ACCOMMODE DU FRUITÉ
D’UNE MOUSSE OU DE LA PUISSANCE D’UN ROUGE.

BIÈRE BIO LA MOUSSE À ZIGUI, CHÂTEAU D’ARLAY,

CUVÉE ÉTIENNE
Avec une omelette bien
aérée, une mousse est idéale,
surtout si elle est légère
et désaltérante, fruitée
et d’une texture tendre.
Ensemble savoureux et frais.
4,50 €. Tél.: 06-45-05-88-84.
CÔTES-DU-JURA 2009
Aussi simple que l’omelette,
ce pinot noir bien né présente
assez de tanins et de person-
nalité pour tenir sa place face
à l’œuf sans être dénaturé. Un
mariage qui fonctionne. L. Go.
11 €. Tél.: 03-84-85-04-22.

Pages réalisées par Vicky Chahine et Fiona Khalifa (stylisme). Et aussi Lili Barbery-Coulon, Carine Bizet, David Chokron, Pascale Desclos,
Laure Gasparotto, Marie Godfrain, Camille Labro, Alice Pfeiffer, François Simon et Jean-Michel Tixier.

Illustrations Gilles & Cecilie et Broll & Prascida/Agence Karine Garnier pour M Le magazine du Monde
 70

RMB City (2008), de Cao Fei,

ou la vision magnifiée
d’une Chine Second Life.

M Le magazine du Monde — 16 janvier 2016

 expo

Caractères
chinois.
pas d’agit-prop ou d’expression collective,
les étoiles montantes de l’art contemporain
Cao Fei, 2015/Courtesy de l’artiste et Vitamin Creative Space, Canton

chinois s’expriment en leur nom propre

et portent un regard plein d’ironie sur
leur terre natale. des œuvres décalées et
faussement inoffensives à retrouver à la
fondation louis vuitton à partir du 27 janvier.
par Roxana azimi

a lors la
CHine ? »
Cette
question,
le Centre
Pompidou se l’était posée en
2003. Depuis cette exposition
un brin cacophonique, aucune
institution parisienne ne s’était
attelée à un panorama de la
scène chinoise de l’art contem-
porain. Un oubli que tente
de corriger la Fondation
Louis Vuitton, avec l’exposition
« Bentu », organisée à partir
du 27 janvier.
Bentu a beau signifier « terre
natale », n’y voyez aucun
accent à la « Heimat ». Finie
l’expression collective, voire
identitaire. Exit les étiquettes
comme « réalisme cynique »
ou « political pop », en vogue
à la fin des années 1990.
« La génération actuelle ne
veut pas s’exprimer au nom
d’un peuple, mais en son nom
propre », souligne Philip Tinari,
directeur du centre d’art UCCA
à Pékin, et co-commissaire
de « Bentu ». Directrice de
la Fondation Louis Vuitton,
Suzanne Pagé ne dit pas autre
chose : « Derrière la foule qui
frappe les visiteurs en Chine,
il y a de vraies individualités. »
Des individualités irréductibles
aux poncifs. Certains ont fait
leurs gammes à l’étranger,
avant de revenir au bercail.
Xu Qu (né en 1978), a suivi l’en-
seignement de l’artiste suisse
John M Armleder à l’université
de Brunswick. Pour autant, il
ne s’est « jamais posé la ques-
tion de rester en Allemagne ».
M Le magazine du Monde — 16 janvier 2016
“La réalité, c’est qu’un artiste
aujourd’hui c’est une marque.
Tous les gens sincères vous le diront.”
« Le rythme y est lent, moi, je
travaille très vite », précise-t-il.
Son aîné Zhang Huan (1965)
abonde : « L’Europe ronronne,
les Etats-Unis ne sortent pas
de leur sommeil. La Chine, elle,
ne dort jamais. La chose la
plus importante que j’ai apprise
à New York, c’est que j’étais
chinois. » Depuis qu’il s’est
réinstallé, voilà huit ans, à
une heure de Shanghaï, cet
ancien performeur a endossé
la casaque de l’entrepreneur
pressé. « J’ai quatorze minutes,
ne répétez pas vos questions »,
cingle-t-il. La visite de son
atelier – où s’affairent une cen-
taine de petites mains – se fait
au pas de charge. Les œuvres,
de plus en plus dilatées au
gré de son succès, s’enchaî-
nent sans transition : représen-
tations de bouddhas allongés,
peintures de cendres très pri-
sées des collectionneurs
étrangers, sculptures grandilo-
quentes de Confucius… Leur
exégèse reste sommaire.
Tout en noir arty, son cadet Xu
Zhen (1977) sait aussi ménager
sa communication. Cet artiste
prolifique s’abrite derrière
la société MadeIn Company,
qu’il a créée en 2009. Du chef
d’entreprise, il cultive les attri-
buts. « J’ai une Mercedes car
toutes les entreprises
doivent avoir une belle voiture
pour la façade », rigole-t-il.
Avant de reprendre plus
Xu Zhen, artiste plasticien
sérieusement : « La réalité,
c’est qu’un artiste aujourd’hui,
c’est une marque. Tous les gens
sincères vous le diront. »
Ces artistes ne laissent sourdre
nul état d’âme face à « la tur-
bulence des mutations », sous-
titre de l’exposition « Bentu ».
« Le choc est tellement rapide
qu’on n’a pas le temps d’avoir
une position critique », esquive
Xu Zhen. Sa consœur Cao Fei
(1978) sait que d’ici peu le
vieux théâtre désaffecté de
Pékin dont elle a provisoire-
ment pris possession sera rasé,
tout comme le quartier de
Jiuxianqiao qu’elle s’attache
à décrire avec précision.
A l’heure où nous écrivons, il
ne reste peut-être rien de l’ate-
lier pékinois de Liu Wei, dont
les abords s’étaient transfor-
més en vaste champ de ruines.
« La rapidité incroyable des
changements fait office de
bruit de fond, concède Philip
Tinari. Ils ne font plus d’œuvres
autour des destructions ou de
la pollution. Ils y sont habitués. »
Habitués, mais pas dupes. Il y a un
monde entre la vision magni-
fiée d’une Chine Second Life,
telle que la dépeignait Cao Fei
dans la saga RMB City en
2008, avant les Jeux olym-
piques, et celle, apocalyptique,
du film La Town, qu’elle a pré-
senté l’an dernier à la Biennale
de Venise. « On est dans une
situation gelée, à attendre le
prochain boom », confie-t-elle.
Foin d’agit-prop, cette nou-
velle génération prend ses
distances avec les méthodes
frontales d’Ai Weiwei. Quand
72
ce dernier agite les réseaux
sociaux, eux avancent camou-
flés. A première vue, les jolies
peintures sur soie de Hao
Liang (1983) paraissent bien
inoffensives. Presque décalées
avec leurs teintes suaves, gris
et rose fanés. Sauf qu’en revisi-
tant le paysage traditionnel
chinois, le jeune peintre tente
d’en restituer les strates dévas-
tées par l’urbanisme effréné.
A la Fondation Vuitton, il pré-
sente un rouleau de 10 mètres
de long qui dissèque la topo-
graphie d’un jardin créé à la fin
de la dynastie Ming et trans-
formé en parc d’attractions.
« Avant, l’homme était partie
intégrante de la nature. Mainte-
nant, j’aperçois celle-ci à travers
les vitres de ma voiture », sou-
pire-t-il. Pour Zhang Huan,
le problème est ailleurs, dans
« le manque de croyance, de foi,
de repères ». D’où un besoin
de retour aux sources.
L’entrepreneur se dit pétri de
bouddhisme tibétain. Xu Zhen,
lui, se réapproprie les antiqui-
tés chinoises qu’il mixe avec
le patrimoine occidental.
Nostalgie ? Ironie, plutôt, qui
tacle nos clichés. Xu Zhen
le dit bien : « Nous ne sommes
pas des pandas exotiques. »
« Bentu, des artistes chinois
dans la turBulence des mutations »,
à la Fondation louis Vuitton,
8, aVenue du mahatma-Gandhi,
Paris 16e. tél. : 01-40-69-96-00.
du 27 janVier au mois d’aVril.
www.FondationlouisVuitton.Fr
Yang Fudong, 2015/Courtesy de l’artiste, Galerie Marian Goodman, ACMI Melbourne et Auckland Art Gallery Toi O Tamaki/Photo Aurélien Mole . Xu Zhen/MadeIn Company

De haut

Xu Zhen.
(2011), de
(2014), de
vidéo : The
installations
en bas, deux

Yang Fudong,
Coloured Sky :

et Physique of
New Women II

Consciousness
 74

Andréa Bescond incarne près d’une dizaine de personnages, dans

une mise en scène d’Eric Métayer. « Un challenge ! », affirme-t-elle.

scène

“Je danse pour que le corps

prenne le relais sur l’indicible.”
la Danseuse et coméDienne anDréa BesconD a choisi D’être seule sur
scène pour aBorDer la péDophilie. Dans “les chatouilles”, au théâtre
Du petit-montparnasse, à paris, elle raconte entre humour et émotion,
l’histoire D’oDette, une petite fille qui tente De se reconstruire.
propos recueillis par Sandrine Blanchard

comment est né ce projet
artistique si singulier,
qui aBorDe la question De la
péDophilie en alliant coméDie
Dramatique et Danse ?
Ce sujet n’était absolument
pas traité en spectacle vivant.
C’est la première fois que
j’écris une pièce, et c’est cette
histoire-là qui devait sortir. Je
n’avais pas de place pour autre
chose. Je ne défendrai jamais
le fait que c’est mon histoire
ou pas. Cela n’a pas d’impor-
tance. Je ne veux pas en faire
un témoignage. L’important
est de savoir que c’est extrê-
mement courant et encore
assez tabou. Odette repré-
sente beaucoup de monde. A
la fin de chaque représenta-
tion, quelqu’un vient me voir
pourquoi avoir fait le choix
D’être seule en scène et D’inter-
préter plus D’une Dizaine De per-
sonnages – la mère, le péDophile
« qui veut jouer à la poupée »,
l’inspecteur De police, etc. ?
D’abord parce que je n’avais
aucun budget, aucune produc-
tion. Et puis j’avais le fantasme
de jouer un jour seule en scène
après avoir vu Eric Métayer
dans Un monde fou. Je trou-
vais l’exercice tellement
incroyable ! Je voulais relever
le challenge, être capable
de changer de personnage
d’une seconde à l’autre.
pourquoi avoir aussi utilisé
la Danse pour raconter
cette histoire ?
Cela faisait trois ans que je
Dans votre itinéraire,
la Danse est omniprésente…
Ma mère m’a toujours dit :
« Toute petite, quand tu mar-
chais, tu dansais déjà. » J’ai eu
la chance de rencontrer des
professeurs de danse qui ont
toujours cru en moi. En sortant
du Conservatoire national,
j’avais envie de voyager, de
casser le côté académique
pour retourner à une danse
très instinctive. Je suis une
danseuse de sol, très terrienne.
J’ai fait du hip-hop, de la danse
africaine. Je suis partie à
Los Angeles faire du Krump.
J’ai aussi travaillé pour le
Cirque du Soleil, Blanca Li ou
Corinne Lanselle. Mais, entre
20 et 30 ans, je me sentais
beaucoup trop libre pour inté-
pourquoi avoir mis une part
D’humour Dans “les chatouilles” ?
Parce que c’est la vie. Dans
toute expérience traumati-
sante, il y a des soupapes de
décompression. J’avais besoin
d’insuffler ces moments de
respiration. Je voulais en faire
une comédie dramatique.
Odette, prénom d’une héroïne
de ballet classique, traverse
des épreuves, mais c’est un
personnage d’amour et de
lumière. On peut se sortir de
tout dans la vie.
Les ChatouiLLes ou La danse
de La CoLère, texte, chorégraphie
et interprétation andréa Bescond,
mise en scène éric métayer,
au théâtre du petit-montparnasse,
31, rue de la gaîté, paris 14e.
tél. : 01-43-22-77-74. jusqu’au 26 mars,
du mardi au samedi à 21 heures
(et à 16 h 30 aussi le samedi).
www.theatremontparnasse.com

pour me dire : « Merci d’avoir
raconté mon histoire. »
jouais au théâtre et la danse
me manquait. Sur un tel sujet,
il fallait que le corps prenne le
relais sur l’indicible. Je voulais
respecter la pudeur du public ;
ne pas mettre de mots crus sur
ce qu’Odette avait subi.
grer une structure. J’avais trop
de choses à dire. J’ai tout de
suite eu envie d’interpréter des
personnages, de raconter des
histoires, c’est ce qui fait que je
me suis naturellement tournée
vers le théâtre. Et maintenant
Karine letellier

que j’ai appris à parler, je vais

continuer !

M Le magazine du Monde — 16 janvier 2016

 Depuis près de trente ans,
David Burnett saisit avec poésie
les exploits des sportifs.
Ci-contre, plongeon de haut vol,
Pékin, août 2008. Ci-dessous,
relais 4 × 100 m hommes, Colorado
Springs, Etats-Unis, juillet 1995.

photo permanent d’héroïsme, de
muscles et de victoire sur soi.
Jeux d’épreuves Le photographe David
Burnett, qui a couvert les Jeux
david Burnett/contact press images
dans les gradins, voire dans le Weegee), moins rapides et
paysage majestueux, au loin, plutôt encombrants, le photo-
que sur la piste. Le moment graphe a dû inventer des
décisif où l’athlète arrache la photos décalées, qui rendent

par Claire Guillot

Avec leur perfection absolue,
leur mouvement arrêté sur le
fil, leurs exploits alignés les uns
après les autres, les photos de
sport ont souvent quelque
chose d’ennuyeux pour ceux
que n’intéresse pas cet étalage
olympiques sans discontinuer
depuis 1984, a su renouveler le
genre. Dans ses images d’une
grande variété, en noir et blanc
et en couleurs, réunies dans un
livre aux éditions Marabout, il
ne cède jamais à la tentation
du peuple. L’action est autant
victoire s’efface souvent au
profit de l’instant d’après, ou
d’avant. Et les flous tourbillon-
nants suggèrent la vitesse
plutôt qu’ils ne figent l’action.
En utilisant des appareils
anciens (le Speed Graphic,
appareil mythique utilisé par
le geste à sa gratuité, à son
arbitraire et à sa poésie pure.
L’homme sans gravité,
de david Burnett.
MaraBout, 192 p., 35 €.
WWW.davidBurnett.coM

Renzo Piano Building Workshop

La méthode
Piano
45 avenue du Président Renzo Piano Building Workshop, 2009-2015 © Michel Denancé. Design graphique gr20paris

Wilson, Paris 16e

M° Trocadéro / Iéna
citechaillot.fr
EXPOSITION
#ExpoPiano

théâtre
Actes
baroques.
par Patrick Sourd
A 20 ans, Omar Porras s’offre
un aller simple pour Paris et
se lance dans le théâtre, loin
de Bogotá et de sa Colombie
natale. Aujourd’hui installé
en Suisse, où il vient de
prendre la direction du Théâtre
Kléber-Méleau de Renens,
l’acteur et metteur en scène
fête les 25 ans de sa compa-
gnie en reprenant La Visite de
la vieille dame, du Suisse
Friedrich Dürrenmatt, pièce
qui décida de sa carrière et
avec laquelle il représentera la
Suisse au Festival ibéro-améri-
cain de théâtre de Bogotá.
Celui qui fit entrer le drama-
turge espagnol Felix Lope de
Vega à la Comédie-Française
(avec l’inscription au répertoire
M Le magazine du Monde — 16 janvier 2016
de Pedro et le Commandeur)
débarque donc à Paris sans
contacts ni permis de séjour.
Son premier fait d’armes sera
un spectacle de marionnettes
qu’il joue dans le métro, entre
les stations Concorde et
Châtelet. « Cette époque était
l’âge d’or du théâtre à Paris,
se souvient Omar Porras.
Découvrir les créations
d’Antoine Vitez, de Giorgio
Strehler, de Peter Brook
et d’Ariane Mnouchkine fut
pour moi la plus formidable
des écoles. »
Un spectacle de rue finance
sa quête théâtrale qu’il
poursuit dans toute l’Europe.
L’aventure le mène en Suisse.
Là, il crée en 1990 sa compa-
gnie et monte La Visite de la
vieille dame dans un garage
désaffecté qu’il transforme en
théâtre. « Personne à Genève
n’avait imaginé qu’une pièce
jouée dans un squat puisse
attirer autant de monde.
Le Garage est alors devenu
la scène alternative la plus
populaire de Suisse romande. »
Se revendiquant de la tradition
du masque, exaltant le corps
de l’acteur et les musiques
festives jouées en live, Omar
Porras insuffle au classique de
Dürrenmatt la folie baroque
héritée de sa culture colom-
bienne. « Pour moi, la pièce est
une histoire d’amour tragique
proche des chansons popu-
laires latino-américaines. Cette
vieille dame devenue milliar-
daire n’a jamais oublié qu’elle a
été condamnée à l’exil lorsque,
76
La Visite de la
vieille dame,
du dramaturge
suisse Friedrich
Dürrenmatt, revu
et corrigé par le
Colombien Omar
Porras à l’occa-
sion des 25 ans
de sa compagnie.
jeune fille, l’homme qui l’avait
mise enceinte avait refusé de
reconnaître leur enfant. Elle
revient pour se venger, prête
à payer une fortune en échange
de la condamnation à mort
de son ancien amant. »
Du 11 au 27 mars, la pièce sera
donc présentée au Festival
de théâtre à Bogotá. « Partici-
per à cette grand-messe n’a
pas de prix… D’autant plus que
j’interprète le rôle de la vieille
dame. » On est loin d’un désir
de vengeance, c’est plutôt un
sentiment de fierté qui anime
le metteur en scène, celui
d’avoir bouclé la boucle tout
en restant fidèle à ses rêves.
La Visite de La VieiLLe dame,
de Friedrich dürrenmatt,
mise en scène d’Omar POrras.
théâtre 71, scène natiOnale de
malakOFF, 3, Place du 11-nOvembre.
tél. : 01-55-48-91-00. du 19 au 29 janvier.
www.theatre71.cOm
marc vanappelghem
 danse
Répétitions
générales.
par Rosita Boisseau
En résidence à l’Atelier de Paris
pour trois ans, la chorégraphe
américaine Liz Santoro, avec
la complicité artistique de
Pierre Godard, joue la carte du
conceptuel pour déconstruire
nos habitudes de perception.
Sa nouvelle pièce pour cinq
interprètes, intitulée For Claude
Shannon, rend hommage
à ce pionnier de l’informatique.
Elle entend « y déplacer les
tropismes de notre attention
et la hiérarchie des priorités
perceptives». Objectif? Mieux
accueillir l’inconnu et la sur-
prise. Sur scène, quatre dan-
seurs droits comme des
sémaphores articulent une
danse comme on règle la circu-
lation. Cette artiste passée par
la danse mais aussi les neuro-
sciences, et régulièrement
programmée dans les salles
new-yorkaises comme The
Kitchen ou la Chocolate Fac-
tory, n’a pas baptisé pour rien
sa compagnie Le Principe d’in-
certitude. « C’est notre pro-
gramme de travail, en quelque
sorte, précise-t-elle. Chercher
obstinément un état de disponi-
bilité en ayant pour seul
“principe” celui de combattre
les stéréotypes. »
Patrick Berger. dr
For Claude Shannon, de Liz Santoro
et Pierre Godard. ateLier de PariS,
CartouCherie, route du ChamP-de-
manœuvre, PariS 12e. téL. : 01-41-74-17-07.
LeS 22 et 23 janvier, à 20 h 30. 10-20 €.
www.ateLierdePariS.orG
polar découvrir, à ses dépens. elle risque d’y perdre son âme.
Maniant avec subtilité un flou Oliver Bottini a beau être l’au-
Berlin-Alger, constant et des digressions teur de doctes essais sur la
axe du mal. déroutantes, Oliver Bottini
bâtit une intrigue intelligente,
méditation et le bouddhisme,
on sort de Paix à leurs armes
par Yann Plougastel où apparaissent toutes les plus que troublé, avec l’impos-
zones d’ombre d’une Algérie sibilité de regarder le monde
L’Algérie actuelle apparaît déchirée entre l’affairisme des d’une façon zen.
rarement dans les romans noirs caciques militaires, l’exacerba- Paix à leurS armeS, d’oLiver Bottini,
contemporains. Et encore tion islamiste et l’impuissance traduit de L’aLLemand Par
didier deBord, éd. Piranha,
moins à travers les yeux d’un tragique des partisans de la 368 P., 19,99 €.
écrivain allemand… D’où l’inté- démocratie. Quant à l’Alle-
rêt de Paix à leurs armes, d’Oli- magne, trafiquante d’armes,
ver Bottini. Ce quinquagénaire
spécialiste de kung-fu et de
yoga, déjà auteur d’une dizaine
de polars très connus en Alle-
magne, a notamment imaginé
les enquêtes hautes en couleur
de Louise Boni, une commis-
saire de Fribourg (Meurtre sous
le signe du zen, 2009, et L’Eté
des meurtriers, 2014). Ce nou-
veau roman, où la commissaire
n’apparaît pas, se déroule entre
1995 et 2012, d’Alger à Berlin,
en passant par les montagnes
de Kabylie. Tout débute par le
kidnapping, à Constantine, du
représentant d’une entreprise
allemande d’armes. Une orga-
nisation terroriste islamiste est
W. Shakespeare
soupçonnée, mais Ralf Eley,
responsable de la sécurité à
Ivo van Hove
l’ambassade d’Allemagne à
Alger, doute de ce scénario. Il
enquête sur cette ténébreuse
affaire où armée algérienne,
Toneelgroep Amsterdam
marchands d’armes et gouver- Kings of War
nement allemand, mais aussi
opposants au régime de D’après Henri V, Henri VI
Bouteflika, jouent double jeu. et Richard III
Les islamistes apparaissent vite 22 au 31 janvier 2016
comme un chiffon rouge agité
à la face de l’opinion publique
Photo : Jan Versweyveld
pour cacher la réalité. Ralf va le
www.theatre-chaillot.fr / 01 53 65 30 00

Trois hommes à abattre (ci-dessous)
et Pour la peau d’un flic (à droite),
deux films librement adaptés du maître
du néo-polar français, Jean-Patrick Manchette.
le dvd de samuel blumenfeld
Au supplice.
à l’aube des années 1980, Alain Delon inaugurait la
période Jean-Patrick Manchette de sa carrière :
Trois hommes à abattre (1980), de Jacques
Deray, très librement adapté du Petit Bleu
de la côte Ouest, et Pour la peau d’un flic (1981),
réalisé et interprété par la star française d’après
Que d’os !, toujours signé du maître du néo-polar
français. Ces deux succès au box-office (plus de
2 millions d’entrées chacun) ne sauraient faire
oublier la réalité : le plus grand
acteur français de l’après-
guerre se meurt. Comme si,
après qu’il eut marqué de son
empreinte les deux décennies
précédentes, son époque
était passée, le condamnant
à poursuivre sa carrière en
porte-à-faux, particulièrement
après l’échec de Monsieur Klein
Dans “Pour (1976), de Joseph Losey,
dernier chef-d’œuvre de la
la peau d’un flic”, carrière du comédien.
le Delon star a fait L’alliage Delon-Manchette est
des plus baroques. Un oxymo-
place à un Delon ron. A la limite du non-sens.
perdu, sans collier, Delon se situe politiquement
à droite, Manchette très à
apeuré, lessivé, gauche. C’est le type même de
abandonné par la fausse rencontre. Le person-
nage de privé imaginé par le
les caméras. romancier est un ancien flic,
démissionnaire, traumatisé
après avoir tué accidentelle-
ment un manifestant. Dans
Pour la peau d’un flic, Delon en fait un person-
nage plus flamboyant, délesté de ce passé
encombrant, qui apparaît pour la première fois
à l’écran, au ralenti, lors d’un exercice de tir.
La critique sociale et politique de Manchette est
biffée, même si la complexité de son intrigue
M Le magazine du Monde — 16 janvier 2016
78
illustration satoshi hashimoto pour M le magazine du Monde. 1980 Pathé Production/France 2 cinéma/collection Fondation jérôme seydoux. 1981 Pathé Production/collection Fondation jérôme seydoux/Gilbert uzan
– la recherche d’une jeune fille disparue, les
ramifications politiques et judiciaires – reste
à peu près identique. Le romancier ne s’y
trompait pas et s’efforçait de préciser, au sujet
de Pour la peau d’un flic, dans l’une de ses
chroniques : « S’il nous arrivait d’affirmer
que ça n’est pas exécrable, sachez que
nous ne touchons nul pourcentage. »
“Pour la Peau d’un flic” devient la seule ProPriété
de delon, et pas seulement pour des questions
de pourcentage. Un film de lui, sur lui, dans ses
cordes, à un moment où, conscient de ne plus
jamais pouvoir retrouver les cinéastes qui
l’ont servi et magnifié – Luchino Visconti, René
Clément, Joseph Losey, Jean-Pierre Melville
auquel le film est dédié –, l’acteur n’a plus le
choix de laisser à un autre la possibilité de lui
tendre un miroir. Ici, ce n’est plus la star Delon
ou le Delon qui travaille sa trace dans l’histoire
du cinéma, mais un Delon perdu, sans collier,
apeuré, lessivé, abandonné par les caméras.
Son accoutrement d’abord : veste de costume,
chemise blanche entrouverte, flingue à la cein-
ture, jean et baskets. Le résultat est ridicule.
Mais sublimé par le mauvais goût. Vient ensuite
sa partenaire, Anne Parillaud, alors vedette de
L’Hôtel de la plage et égérie de la lessive Woolite,
devenue une improbable amazone qui ques-
tionne le sex-appeal de Delon. Reste le sado-
masochisme de la star, auquel seul le Brando
de La Poursuite impitoyable, d’Arthur Penn, dont
le visage servait d’exutoire, pourrait lui être
opposé. Delon devient un punching-ball humain,
le visage défoncé, touché au bras, à la jambe,
la main fracassée. L’acteur se révèle le martyr
d’une époque qu’il exècre, conscient d’appartenir
à une autre ère du cinéma, agissant en star, c’est- Pages
à-dire en architecte de son propre naufrage. coordonnées
Pour la Peau d’un flic, d’alain delon, et Trois hommes
par Emilie
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Mots croisés g r i l l e n o 226 Sudoku no 226 - difficile

PhiliPPe duPuis yan georget

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15
Compléter toute
1 la grille avec des
chiffres allant de 1
à 9. Chacun ne doit
2 être utilisé qu’une
seule fois par ligne,
3 par colonne et par
carré de neuf cases.

Solution de la grille
7 précédente

10
Bridge no 226
Fédération Française de bridge

11

12

13

14

15

Horizontalement 1 Debout, il récupère les cadavres, couché il aide à vieillir. 2 Se répand.

Chaussée bien revêtue. 3 Dégagée. Hussard la plume à la main. Un gramme pour un kilomètre.
4 A suivre chemin faisant. Mot mal traité. Sans bornes. 5 Chantaient et récitaient en Grèce
leurs poèmes. Fait la liaison. Arrivés chez nous. 6 Récitent leurs prières. Fait tourner sur trois
temps. 7 Grâce à lui, les filles vont au lycée. Ouvrit la boîte. Possessif. 8 Récupère les brebis
égarées. Se lança. Mauvaise manie. 9 Eaux des Pyrénées. En fusion. Chassés en toutes saisons.
10 Goldoni ou Casanova. Endosse la responsabilité. 11 Sortie théâtrale. Pas facile d’en sortir.
Dans l’erreur. 12 Passé. Suivait la proie. A blessé ses porteurs. 13 Inspire le créateur. Fait front
à l’extérieur. 14 Capitale de la seigneurie d’Albret. Chaudement approuvée. 15 Ils vous met-
tent parfaitement au courant.
Verticalement 1 Sans trop se bousculer. 2 Profondément atteinte. Faire preuve d’autorité.
3 Forme de rire. Recommandera avec insistance. 4 Glossine africaine bien dérangeante.
Couverture sociale. Réalisé par Akira Kurosawa. 5 Préposition. Possessif. Oiseaux au bec frap-
peur. 6 Station du Finistère. A atteint ses limites. 7 Loi mal menée. Prises à la gorge. Défend
la classe ouvrière, en principe. 8 Prennent leur envol à l’air libre. Travailler sur la couche. 9 En
Ardèche sur le Rhône. Rend la partie nulle. Propos puéril. Dans le calme. 10 Donna de l’im-
portance. Confirma publiquement. 11 Risquent d’énerver tout le monde. Facilite l’approche
des autres. 12 Patron en région. Tient l’animal à distance. Compagnie en réduction. 13 Font
les malins dans les contes. Gêné pour se déplacer. 14 Attaquées au sommet. En armes. Le
premier à prendre l’avion. 15 Se rapprochent amoureusement. Eloignées pour un temps.

Solution de la grille no 225

Horizontalement 1 Caricature. Arcs. 2 Olibrius. Sphère. 3 Nimier. Asti. Vic. 4 Stase. Enchère. 5 Tes. Ren-
tière. Is. 6 Respecte. Timons. 7 Ennui. Cède. II. 8 Co. Etre. Erato. 9 Tutu. Ircam. Erin. 10 Ive. Hésitât. Tan.
11 Ventes. Ré. Aï. 12. Irien. Carillons. 13 Ste. Noriega. Rat. 14 Terminus. Niaise. 15 Essarté. Rétines.
Verticalement 1 Constructiviste. 2 Alitée. Ouvertes. 3 Rimasse. Teniers. 4 Ibis. Pneu. Té. Ma. 5 Créèrent.
Hennir.6Air.Ecuries.Ont. 7Tu.Entiers.Crue. 8 Usante.Cirais. 9 SCI.Cratère. 10 Esthète.Ma.Igné. 11 Piéride.
Talait. 12 Ah. Réméré. Il. Ai. 13 Rêve. Art. Orin. 14 Cri. Initia. Nase. 15 Sécessionnistes.

M Le magazine du Monde — 16 janvier 2016

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 82

L’écureuil
de Philippe Katerine.
l’artiste fantasque et protéiforme sera à l’affiche de deux comédies :
“la tour 2 contrôle infernale” d’éric judor et “Gaz de france” de Benoît
forGeard. après “maGnum”, il met la main à son prochain alBum tout
en caressant son écureuil en Bois, qui partaGe sa vie depuis trente ans.
propos recueillis par marie godfrain

J’ai vécu toute ma vie dans des regard. Mes dernières chansons écrites à voir
meublés et ne possède pas plus chez moi l’ont d’ailleurs toutes été sous Gaz de France,
d’objets que de doigts. Mais celui sa bienveillance. Il a toujours été près de de Benoît
forgeard.
qui ne m’a jamais quitté, c’est un écureuil moi, ne quitte jamais la maison et j’ai même en salles
le 13 janvier.
en bois que j’ai acheté dans un vide-gre- dormi avec lui. Je n’en suis pas fier, je n’en
niers à l’âge de 18 ou 19 ans pour 6 francs. ai pas honte non plus, je ne le brandis pas, La Tour 2
conTrôLe
Il était seul, posé par terre, m’a regardé il est simplement à moi. Je préférerais vrai- inFernaLe,
et m’a dit : “Prends-moi.” Je ne l’ai pas ment ne pas le perdre car cela fermerait la d’éric judor.
en salles
regretté, car il m’est devenu indispensable. porte à mon imagination et me ferait beau- le 10 février.

Je le caresse longuement à mes heures coup de peine. J’adore sa tête d’impéra-

perdues, il est en bois très lisse, mesure la
taille réelle d’un écureuil mais il est déme-
surément lourd. C’est d’ailleurs un objet
qui me sécurise, lorsque j’entends un bruit
inquiétant chez moi, je le prends dans ma
main et je suis prêt à l’utiliser comme une
arme. Heureusement, je ne m’en suis jamais
servi, car il est si lourd qu’il pourrait tuer
quelqu’un. L’écureuil – c’est son nom –
n’a que des qualités. Lorsque je le pose sur
mon piano, il m’encourage de son doux
trice légèrement flétrie, la forme de sa
queue comme un nuage est extraordinaire,
sa couleur rousse prend aussi merveilleuse-
ment la lumière et la reflète. Enfin, sa der-
nière qualité, c’est qu’il ne demande aucun
entretien et qu’il est très calme. L’écureuil
en tant qu’animal m’intéresse assez peu :
il épargne et est d’une nervosité sans
pareille tandis que le mien n’a conservé
que les qualités, à savoir qu’il est
coquin et mignon !
Philippe Katerine

M Le magazine du Monde — 16 janvier 2016

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« MADE IN FRANCE », FICTION
RATTRAPÉE PAR LA RÉALITÉ
→ PAGE 3
propos recueillis par anne chemin
E
lle n’a plus la coupe afro qui l’a ren-
due célèbre dans les années 1970,
mais ses convictions sont intactes : à
71 ans, Angela Davis continue à se bat-
tre en faveur de l’égalité « des genres,
des races et des classes ». Elle l’a encore
montré, le 4 décembre, à la Sorbonne, à Paris, en
prononçant la conférence inaugurale d’un collo-
que célébrant les 20 ans du premier groupement
de recherche du CNRS sur le genre, Marché du tra-
vail et genre (MAGE). Devant les chercheurs réu-
nis par la fondatrice du réseau, la sociologue Mar-
garet Maruani, elle a évoqué la condition des em-
ployés de maison du monde entier – des femmes,
souvent de couleur, toujours pauvres. C’est dans
ce lieu, où elle a étudié au début des années 1960,
que nous l’avons rencontrée.
Cahier du « Monde » No 22084 daté Samedi 16 janvier 2016 - Ne peut être vendu séparément
LES FEMMES MOINS VIOLENTES
QUE LES HOMMES ?
Née en 1944 à Birmingham (Alabama), Angela
Davis est une icône de la rébellion américaine.
Après des études de philosophie en Europe et
aux Etats-Unis, elle rejoint les Black Panthers et
le Parti communiste américain – elle sera deux
fois candidate à la vice-présidence américaine,
en 1980 et 1984. Au début des années 1970, après
une cavale de quinze jours, elle est arrêtée par le
FBI. Accusée d’avoir fourni les armes d’une prise
d’otages, elle est incarcérée pendant plus d’un
an avant d’être acquittée en 1972. Près de
100 000 personnes défilent alors à Paris, autour
de l’écrivain Louis Aragon, pour demander sa li-
bération. John Lennon et Yoko Ono ainsi que les
Rolling Stones composent des chansons en son
honneur (Angela et Sweet Black Angel).
Angela Davis, aujourd’hui professeure émérite à
l’université de Californie à Santa Cruz, est aussi
une intellectuelle. Après des études de littérature
SOCIÉTÉ
→ PAGES 4-5
Les combats
d’Angela Davis
A 71 ans, l’icône de la lutte des Noirs
aux Etats-Unis continue de militer
contre les discriminations
raciales, sexistes et sociales.
Entretien exclusif
et de philosophie, elle prépare une thèse dirigée
par le philosophe marxiste Herbert Marcuse. Ex-
clue en 1969 de l’université de Los Angeles en rai-
son de ses activités politiques – à l’époque, le gou-
verneur de l’Etat n’est autre que… Ronald Rea-
gan –, elle poursuit sa carrière à l’université de
Californie à San Francisco (1980-1984), puis à
Santa Cruz (1991 à 2008), où elle enseigne les « eth-
nic studies » et les « feminist studies ». Son princi-
pal combat reste la lutte contre le « complexe car-
céro-industriel » américain. Rencontre avec une
femme « à la ténacité bouleversante jusqu’à
l’étrangeté », selon le mot de l’écrivain Jean Genet.
Au début des années 1960, vous avez étudié
à la Sorbonne, à Paris, ainsi qu’à Biarritz.
Quelle est votre relation avec la France ?
Quand j’ai découvert la France, j’ai eu le senti-
ment qu’elle serait pour moi, en tant que femme
HISTOIRE
L’APATRIDIE, UN DÉNI
DES DROITS HUMAINS
→ PAGE 6
Angela Davis, en 1973. PHILIPPE HALSMAN/MAGNUM
noire, un lieu d’émancipation. Je raconte souvent
ma trajectoire personnelle comme une trajec-
toire géographique. Je viens du sud des Etats-
Unis, un lieu où régnaient le racisme et la ségré-
gation. Je suis ensuite partie faire des études dans
le nord du pays, à New York et près de Boston : je
pensais y trouver la liberté mais la réalité a, bien
sûr, été très différente. J’ai alors élargi mon hori-
zon : j’ai étudié la littérature française et, à l’épo-
que, la France m’est apparue comme « le » lieu de
l’émancipation. Je croyais très sincèrement à la
devise française « Liberté, Egalité, Fraternité ».
Je suis arrivée à Paris en pleine guerre d’Algérie.
Je vivais dans une petite chambre de bonne. Mes
voisines de chambre, qui étaient guadeloupéen-
nes, m’ont conseillé d’être très prudente parce
que je pouvais être prise pour une Algérienne.
lire la suite page 7
2| 0123
Samedi 16 janvier 2016 | CULTURE & IDÉES |
Que la force de la nature soit avec toi
L’univers de « Star Wars » rejoint les lignes de force du débat écologiste actuel, souligne Frédéric
Ducarme, chercheur en philosophie de l’environnement au Muséum national d’histoire naturelle
frédéric ducarme
L’
avenir dira si le destin de no-
tre planète se jouait à la
COP21, la conférence interna-
tionale sur le climat qui s’est
tenue à Paris du 30 novembre
au 12 décembre 2015. Ce qui est
sûr, c’est que ce rendez-vous essentiel a failli,
à une semaine près, être médiatiquement
éclipsé par une encombrante étoile noire : la
sortie de l’épisode 7 de Star Wars. Coïnci-
dence ? Sans doute. Mais cela n’empêche pas
d’y voir des liens : la grande force de la saga
intergalactique est en effet d’arriver à con-
centrer dans son symbolisme complexe tou-
tes les contradictions d’une époque. Y com-
pris, peut-être, celles que dessinent les li-
gnes de force du débat écologiste actuel.
La nature est souvent absente dans Star
Wars, pour une raison évidente : le spectacle
se déroule essentiellement dans l’espace, lieu
de l’inertie et du vide par excellence, au sein
de vaisseaux métalliques pressurisés et bar-
dés d’électronique. Pourtant, la nature reste
présente. A la fois thématiquement, notam-
ment à travers la Force (énergie mystique in-
visible dans laquelle les chevaliers Jedi pui-
sent leurs pouvoirs), et de manière visible
dans certains lieux. Sans rien dévoiler du
nouvel épisode, on peut dire qu’il reprend
certaines représentations de la nature issues
des précédents. Il en ajoute également de
nouvelles, comme la problématique des res-
sources énergétiques. Pour la première fois
est ainsi posée la question : à quoi carburent
ces technologies futuristes ?
Mais c’est surtout par l’intermédiaire de
deux héros presque concurrents, Han Solo et
Luke Skywalker, que peuvent se lire, durant
la trilogie initiale de Star Wars, deux visions
précises et radicalement différentes de la na-
ture. Ces deux personnages se croisent en
fait assez rarement dans la saga, mais leurs
destins sont profondément liés par une in-
terdépendance qui se manifeste à chacune
des nombreuses fois où les héros se sauvent
mutuellement la vie.
Ces deux personnages s’opposent par l’uni-
vers dans lequel ils évoluent : l’un, Han Solo,
tient du cow-boy de western, baroudeur-ba-
ratineur à la belle gueule et à la gâchette fa-
cile, évoluant entre saloons du bout du
monde et cavales effrénées, poursuivi par
des chasseurs de primes. L’autre, Luke
Skywalker, est un pur héros de roman de sa-
mouraï (ou, si l’on préfère, de manga) : ado-
lescent orphelin sans aspérité, il est happé
par une quête lointaine nécessitant un ap-
prentissage auprès de vieux maîtres, qui lui
lèguent leur héritage philosophique et mar-
tial avant de mourir. Cette quête le mènera à
la confrontation avec le Mal absolu, qui sera
l’occasion de son premier échec mais aussi
d’un enseignement capital : il faudra déve-
lopper des pouvoirs occultes et accepter une
révélation ontologique pour triompher. A
l’ascète, donc, la quête mystique ; au séduc-
teur, les aventures.
Cette opposition entre les deux personna-
ges se lit aussi dans leur rapport à la nature :
roi de la débrouille et de la bricole, Han Solo
incarne le pionnier américain qui sait
s’adapter aux contraintes de la wilderness,
c’est-à-dire l’homme qui par son ingéniosité
technique va triompher d’une nature mena-
çante – la rouille qui ronge son vaisseau,
mais aussi diverses créatures monstrueuses.
De l’autre côté, la quête de Luke va graviter
autour du système de Dagoba (planète de
maître Yoda), qui sera le lieu de sa conver-
sion en chevalier Jedi. Cette planète est le
parfait inverse de sa Tatooine natale : crou-
lant sous la biodiversité, c’est une planète
marécageuse, sombre, fumante, grouillante
de créatures terrifiantes.
On trouve ici l’archétype de la nature sau-
vage hostile et inhospitalière à l’homme ci-
vilisé, qui rappelle la description de Buffon :
« Des marécages qui, couverts de plantes
aquatiques et fétides, ne nourrissent que des
insectes vénéneux et servent de repaire aux
animaux immondes » (Histoire naturelle,
tome XII). Le jeune Luke est d’ailleurs tout
de suite inquiet dans ce paysage lugubre, et
subit de fait plusieurs agressions des créatu-
res environnantes, dont celle de Yoda lui-
même, d’abord pris pour un de ces ani-
maux. Pourtant, l’enseignement du maître
n’est pas celui de l’opposition de la techni-
que à l’organique, mais bien une transfor-
mation du héros visant à une meilleure har-
monie avec cette nature.
« Star Wars » propose un modèle
initiatique qui fait correspondre
la nature et le moi : en apprenant
à la connaître par immersion, Luke
apprend à se connaître lui-même
Star Wars nous présente ici un modèle ini-
tiatique qui fait correspondre la nature et le
moi : c’est en apprenant à connaître la nature
par l’immersion directe (après avoir désappris
tout ce qu’il a appris) que l’élève apprend à se
connaître lui-même, et les tréfonds d’une
grotte souterraine se révéleront même ouvrir
sur ceux de son inconscient. La séquence d’en-
traînement de Luke avec Yoda prend la forme
d’une ascèse où le jeune chevalier doit se dé-
barrasser du confort moderne pour n’être
plus qu’un corps presque nu au contact des
forces de la nature, dans lesquelles il faudra se
couler pour les maîtriser vraiment.
Parmi toutes les traditions philosophiques
auxquelles on a rattaché cette Force de Star
Wars, le taoïsme est sans doute la source la
plus probable. Cette synthèse entre le cheva-
lier et la force de la nature est la « voie », le
Tao qu’il faut découvrir pour le maîtriser en
fusionnant avec lui ; le terme « tao » a
d’ailleurs, lui aussi, une connotation guer-
rière, puisqu’il est le suffixe des arts mar-
tiaux japonais, nipponisé en -do. La voie de
la maîtrise de la force (aï-ki-do), la maîtrise
de soi et l’initiation guerrière forment une
même entité, qui se ressent dans les senten-
Luke Skywalker (Mark Hamill)
dans « La Guerre des étoiles »
épisode IV (1977). A gauche,
Han Solo (Harrison Ford)
dans l’épisode VII (2015).
RUE DES ARCHIVES. VISUAL PRESS AGENCY
ces laconiques de maître Yoda (très inspi-
rées du Tao-te-king de Lao Tseu).
Samouraï et cow-boy, les deux héros nour-
rissent donc chacun une relation distincte à
la nature, qui explique leurs différences –
tant dans leur rapport aux armes que dans
leur personnalité et leur rapport aux autres.
Alors que la quête de Han Solo est celle du
pionnier, baroudant horizontalement d’un
bout à l’autre de la galaxie, celle de Luke est
verticale. Elle est celle, concentrée, d’un ef-
fort sur lui-même et contre lui-même (et
son côté obscur) qui mènera à sa transfor-
mation progressive : son personnage va
d’ailleurs évoluer visuellement – coiffure,
vêtements, postures – entre les trois épiso-
des. Contrairement à celui de son ami, qui
porte toujours la même veste trente ans
plus tard, comme le lui fait remarquer la
princesse Leia dans l’épisode 7.
Avec l’incarnation de ces deux rapports à la
nature, ce sont aussi deux visions du monde
que nous propose Star Wars. La première est
l’approche « classique », ou chrétienne, de la
domination de la nature par la volonté hu-
maine au moyen de la ruse et de la techni-
que, symbolisée par Chewbacca, la bête ap-
privoisée. La seconde est celle, antique (stoï-
cienne, voire « orientale ») et sans doute
influencée par le new age californien, du
contrôle de soi visant l’harmonie avec la na-
ture, dont l’idéal est Yoda, le sage de la forêt
qui semble avoir atteint un second état de
nature. La saga intersidérale présente ainsi
une cosmologie originale, tant par ses inspi-
rations que par sa dualité, aucune de ces
deux approches n’étant privilégiée par rap-
port à l’autre. Bien au contraire, c’est l’al-
liance équilibrée de ces principes opposés
qui, seule, permet de venir à bout du mal : la
solution technique n’est en effet jamais suf-
fisante isolément, pas plus que la solution
métaphysique, comme le montrent ces deux
héros si dépendants l’un de l’autre – tels le
yin et le yang, principes de base du taoïsme.
C’est d’ailleurs le déséquilibre induit par la
disparition de l’un d’eux qui sert de fonde-
ment au scénario de l’épisode 7, le dévelop-
pement des forces du mal se nourrissant de
cette disharmonie dans la Force.
Or, ces deux tendances – techniciste et
autoréformatrice – sont également les deux
pôles majeurs du débat écologiste contem-
porain. D’un côté, les tenants de l’éco-ingé-
nierie, qui pensent pouvoir enrayer le chan-
gement climatique par l’ensemencement
des océans, le stockage de carbone, voire des
miroirs solaires en orbite. De l’autre le cou-
rant de la « deep ecology », qui prône une ré-
volution radicale des modes de vie et de
pensée pour refonder le contrat naturel qui
unit les sociétés humaines et la biosphère.
Ces deux pôles ont chacun leurs vertus et
leurs excès, leurs apôtres et leurs ayatollahs,
leur réalisme et leurs fantasmes, et se subdi-
visent en une prolifération de sous-cou-
rants. L’enjeu pour les décideurs consiste
donc à s’inspirer du meilleur de chacun de
ces champs pour construire une politique
pragmatique, unissant rigueur scientifique
et légitimité populaire. La suite au prochain
épisode ? p
vu des pays-bas
Hafid Bouazza
enflamme
le débat sur
les réfugiés
L’écrivain néerlandais
dénonce la « trop grande
tolérance » de l’Europe
à l’égard de l’islam
jean-pierre stroobants
Bruxelles, correspondant
T
oute personne qui a approché de
près cette mentalité, le machisme
pathologique de l’homme arabe,
ne peut s’étonner de ce qui s’est
déroulé à Cologne » : celui qui écrit cela est
Hafid Bouazza, un écrivain d’origine ma-
rocaine vivant aux Pays-Bas depuis l’âge
de 7 ans. En quelques jours et autant de
phrases au vitriol, il a enflammé le débat
intellectuel dans ce pays toujours trauma-
tisé par l’assassinat du cinéaste et polé-
miste Theo Van Gogh, poignardé par un
islamiste radical en 2004, à Amsterdam.
Van Gogh mort, Bouazza a pris le relais
et, comme l’écrivaine d’origine soma-
lienne Ayaan Hirsi Ali, autre cible des isla-
mistes, désormais exilée aux Etats-Unis, il
dénonce à la fois l’islam en tant qu’instru-
ment d’oppression des femmes et la
« trop grande tolérance » de l’Europe à son
égard. Et ce au moment où les Pays-Bas
discutent, en même temps que des agres-
sions de Cologne, en Allemagne, et de
l’accueil des réfugiés, de l’éventuelle créa-
tion d’un jour férié pour l’Aïd, la fête du
sacrifice. Bouazza, lui, y voit le signe que
l’Europe aurait perdu sa « colonne verté-
brale », qu’elle serait incapable de défen-
dre ses valeurs et la laïcité.
Son nouveau livre, « La Terre cultivée et
la cape. Sur la femme et l’islam » (Querido,
non traduit), est un pamphlet très docu-
menté qui ambitionne d’illustrer ce que
les Occidentaux ne voudraient pas voir :
« Dans le monde arabe, un petit garçon ap-
prend dès le biberon qu’il est supérieur à sa
sœur. (…) Nous avons affaire à quatre cents
années d’endoctrinement. »
« Porteurs de lunettes roses »
« Nous sommes si tolérants que cela en
devient de la docilité », a indiqué l’écrivain,
samedi 9 janvier, au quotidien belge De
Standaard. « Je suis très préoccupé par tout
centimètre de liberté que nous concédons
car, à chaque fois, nous perdons un mor-
ceau de civilisation », ajoutait-il, sur un
ton devenu coutumier dans un pays
passé d’une bienveillance généralisée à
une confrontation d’idées très radicale.
Bouazza déplore que des humoristes
néerlandais aient renoncé à brocarder
l’islam, même s’il dit le comprendre, car il
s’agirait, selon lui, d’une question de vie
ou de mort. « On ne doit évidemment pas
mourir pour la liberté de parole, ajoute-t-il,
moi-même je ne crois pas au martyre .»
Démonté par certains, qui lui reproche
son caractère émotionnel, ses citations
à la pelle et ses généralisations – il s’en
prend aux « porteurs de lunettes roses », à
savoir les défenseurs du multicultura-
lisme, les islamologues ou ceux qui s’ef-
forcent de comprendre cette religion –,
Bouazza est aussi accusé de s’être four-
voyé dans une analyse politique dou-
teuse. Interrogé sur son positionnement,
il a expliqué qu’il « ne participerait jamais
à une réunion du Front national ». Toute-
fois, a-t-il ajouté, « si cela s’appelle extrême
droite, je préfère cette vision à la rigidité de
l’islam ». Et de conclure : « Pourquoi, en
fait, Marine Le Pen ne pourrait-elle défen-
dre les valeurs de la France ? »
S’il affaiblit son auteur, le propos plaira
beaucoup à Geert Wilders, associé au FN
au sein du Parlement européen. Le débat
sur les réfugiés et les agressions de Colo-
gne ont propulsé sa formation dans les
sondages aux Pays-Bas : le Parti pour la li-
berté (PVV) est crédité de 36 % des inten-
tions de vote et 41 sièges sur les 150 de la
Chambre basse du Parlement néerlan-
dais. Les partis au pouvoir n’en auraient,
eux, plus que 27, soit 52 de moins que lors
des élections de 2012.
Au Centre des demandeurs d’asile
d’Utrecht, Ahmed, réfugié syrien, a, de
son côté, expliqué à un reporter du jour-
nal NRC Handesblad que ce qui s’est pro-
duit à Cologne ne correspond pas à « son
islam », à « ses règles ». Sa voix n’a pas
porté bien loin. p

Itinéraire d’un film maudit
Après bien des vicissitudes, « Made in France » sera finalement proposé en vidéo à la demande. Son auteur, Nicolas Boukhrief,
revient sur l’histoire de cette fiction prémonitoire sur le djihadisme, déprogrammée après les attentats du 13 novembre 2015
Une scène du film « Made in
France », de Nicolas Boukhrief.
PRETTY PICTURES
samuel blumenfeld
N
icolas Boukhrief aura, pour
ainsi dire, toujours couru
après Made in France. Et ce,
jusqu’au bout. La sortie en
salles de son film, initiale-
ment prévue le mer-
credi 18 novembre 2015, avait été repoussée
sine die par son distributeur, Pretty Pictures,
en raison des attentats du 13 novembre 2015.
Enfin programmée pour le 20 janvier, la sortie
du film a été annulée, renvoyant l’œuvre à
une distribution sur les plates-formes de vi-
déo à la demande (VoD).
C’était la dernière mésaventure rencontrée
par un film de son époque, sur son époque,
mais dont l’époque ne voulait pas. Avec les at-
tentats du 13 novembre, le film venait d’être
rattrapé par l’Histoire alors qu’il était en
avance sur celle-ci : la cellule djihadiste repré-
sentée dans Made in France, des hommes qui
prévoient un attentat sur les Champs-Elysées
en coordination avec d’autres opérations si-
multanées dans la capitale, annonçait de trop
près les attentats à Paris et à Saint-Denis.
Déjà, il y a un an, la violence terroriste avait
failli faire capoter le projet. Tandis que le réali-
sateur se trouvait en plein montage de Made
in France, les attaques contre Charlie Hebdo et
l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes
avaient bouleversé la France. Aussitôt, le dis-
tributeur du film, SND, s’était désengagé. A
l’origine, la société avait acheté un polar,
genre pour lequel Nicolas Boukhrief avait
déjà réalisé deux œuvres remarquables, Le
Convoyeur (2004) et Gardiens de l’ordre (2010).
Et voilà qu’elle héritait d’un film politique
dont elle ne savait plus que faire. « Je me suis
dit, se souvient Nicolas Boukhrief, que j’allais
trouver sans problème un distributeur, mais
au bout de six mois, rien. Le film se trouvait sur
le point de disparaître. »
En juin 2015, le réalisateur décide néan-
moins de reprendre son bâton de pèlerin. Il
envoie Made in France aux programmateurs
de différents festivals. Echec total. « Le film
pouvait ne pas leur plaire, c’est leur droit », es-
time le réalisateur, beau joueur. Finalement, le
film sera récupéré par Pretty Pictures, un dis-
tributeur qui, habituellement, ne fait pas de
créations françaises. « Et là, poursuit le réalisa-
teur, commence un combat pour trouver des
salles. Nous nous sommes rendus au congrès
des exploitants pour montrer qu’il ne s’agissait
pas d’une œuvre s’en prenant à l’islam mais
« Je me suis dit
que ce film serait
très difficile à écrire,
très difficile à faire,
très difficile à sortir »
nicolas boukhrief
cinéaste
que nous décrivions un fait de société. On était
obligés de faire un travail de pédagogie. »
A force de patience et d’avant-premières, le
cinéaste et son distributeur parviennent à
trouver des salles, une trentaine environ.
Bientôt, l’affiche du film, une kalachnikov ap-
puyée sur la tour Eiffel, apparaît dans les cou-
loirs du métro parisien. Le parcours du com-
battant semble sur le point de se terminer.
C’était compter sans les attentats du 13 no-
vembre 2015.
« J’ai tout de suite compris que le film ne sorti-
rait pas en salles, affirme Nicolas Boukhrief.
On avait péniblement trouvé des lieux de pro-
jection avant que les djihadistes s’en prennent à
une salle de spectacle, comment pouvait-on
imaginer en faire autant alors que la peur était
partout ? Quelques cinémas militants voulaient
le programmer, mais je souhaitais que le film
¶ soit vu par les mômes, qu’il soit partout visible
à voi r en VoD, plutôt que confiné au réseau Art & Es-
« made sai, où les mômes de banlieue n’iront pas. »
in france » Sans compter qu’il se voyait mal « sauter de
film français de joie devant 10 000 entrées, effectuer une comp-
Nicolas Boukhrief tabilité sordide en sachant que ces places se-
(1 h 29 min). raient en partie dues au sang versé ».
Avec Malik Zidi, Cette bagarre épuisante, Nicolas Boukhrief
Dimitri Storoge, ne l’a pas menée pour l’argent. D’ailleurs, de
François Civil. l’argent, il y en eut bien peu, à tel point que le
A partir du réalisateur avait mis la plus grande partie de
29 janvier son salaire dans la production du film. « Je
sur toutes n’ai même pas passé le premier tour de
les plates-formes l’avance sur recettes, gérée par le Centre natio-
de VoD, nal du cinéma. Qu’on ne l’obtienne pas, je peux
via TF1 Vidéo. le comprendre, c’est un concours après tout.
Mais le fait de ne même pas faire partie des
40 scénarios sélectionnés et de ne pas recevoir
non plus un centime de la région Ile-de-France
m’a beaucoup choqué. Il n’y a que Canal+ qui a
aimé ce scénario et a mis beaucoup d’argent
pour le faire. »
L’idée de Made in France trouve ses racines
dans un choc éprouvé par le cinéaste en 1995.
Cette année-là, Nicolas Boukhrief découvre
l’itinéraire radicalisé de Khaled Kelkal, voyou
minable de la banlieue lyonnaise passé de la
délinquance au djihadisme. Impliqué dans
plusieurs attentats, dont celui de la ligne B du
RER à la station Saint-Michel, à Paris, le
25 juillet 1995, revendiqué par le Groupe isla-
mique armé algérien, Kelkal sera abattu par
les gendarmes fin septembre. Son parcours
bouleverse le cinéaste. Il cherche à savoir ce
qui se cachait derrière cette image d’un gamin
tué par les forces de police. « C’est le parcours
classique, se souvient Nicolas Boukhrief, ab-
sence du père le plus souvent, délinquance, le
mec est largué, inculte. On voit le portrait du
type pas intégré, qui bascule dans la radicalisa-
tion. Ça me travaillait, mais je ne me sentais
pas encore prêt pour réaliser ce film. »
Cette trajectoire frappe le cinéaste, qui la met
en perspective avec la sienne : celle d’un gar-
çon né en 1963, à Antibes, d’un père algérien,
d’une mère française, à une époque de plein-
emploi, où l’intégration fonctionnait autre-
ment mieux. « Mon père est un pur produit de
la République, il a fait le choix de l’intégration
au sens fort du terme, de la culture française. Il
ne m’a pas appris l’arabe alors qu’il le parlait.
Mes parents nous ont dit, à mon frère et moi :
“Vous ne serez ni musulman ni catholique,
vous choisirez plus tard.” » A l’époque, se sou-
vient-il, sur la Côte d’Azur, on se faisait facile-
ment traiter de « sale Arabe ». « Votre père ar-
rive à la maison après s’être fait ratonner.
Même si vous êtes totalement de culture fran-
çaise, complètement intégré, même si vous ve-
nez de fêter Noël dans l’Aveyron, même si vous
| CULTURE & IDÉES |
PRETTY PICTURES
avez beau ne pas vous sentir arabe mais médi-
terranéen, votre identité vous est renvoyée à la
figure. Cela génère une certaine forme de vio-
lence et peut, en réaction, ouvrir la voie de la dé-
linquance. »
Pour Nicolas Boukhrief, c’est la voie de la ci-
néphilie qui s’est dessinée, dès l’âge de 14 ans.
Il y avait aussi l’idée, très forte chez lui, que
l’intégration passait par l’école de la Républi-
que, avec le devoir de s’affirmer en tête de
classe. « Mais, du coup, je comprends cette
agressivité, dans la mesure où j’en saisis les res-
sorts. Je comprends que des gamins fantas-
ment sur Scarface, l’immigré cubain incarné
par Al Pacino qui embrasse le rêve américain
dans le film de Brian De Palma. C’est l’intégra-
tion par la violence. »
En mars 2012, les tueries de Toulouse et de
Montauban créent un déclic chez le cinéaste.
Quand Mohamed Merah assassine trois mili-
taires, puis un enseignant et trois enfants
d’une école juive, Nicolas Boukhrief prend
l’affaire « en pleine poire ». L’une des causes de
son émotion tient à l’étrange effet de miroir
qu’il perçoit en apprenant que Mohamed
Merah a sorti une arme de poing pour assas-
siner Mohamed Farah Chamse-Dine, mem-
bre du 17e régiment du génie parachutiste.
« Ce gamin tue un militaire se prénommant
0123
Samedi 16 janvier 2016 |3
Mohamed, et il se trouve que c’est le prénom de
mon père. Je me dis que Mohamed tire sur Mo-
hamed, et les deux sont français. Cela vou-
drait-il dire que l’intégration marche si mal
qu’aujourd’hui tu es soit militaire, soit djiha-
diste ? Ensuite, Merah rentre dans une école et
tire sur des enfants de 5 ans, et là je décide
d’écrire le film. Mon père était musulman, je
suis un enfant de la République, trouvez chez
moi le vice de forme, j’ai la position idéale. Je
commence alors à parler avec des gens et j’en-
tends des choses bizarres autour de moi, que
les meurtres de Mohamed Merah seraient le
résultat du conflit israélo-palestinien… Un type
qui tue des enfants de 5 ans, comme s’il y avait
un rapport ! Je me dis que c’est un film qui sera
très difficile à écrire, très difficile à faire, très
difficile à sortir. »
Tout au long de sa préparation, le cinéaste
s’est nourri des histoires glanées autour de
lui, qui évoquaient les gamins perdus dans la
délinquance et pensant trouver une bouée de
sauvetage dans l’islamisme. Plusieurs de ses
intuitions ont été confirmées par la réalité.
Cette réplique du film par exemple : l’un des
terroristes, à la perspective de commettre un
attentat aveugle, dit : « Je ne veux pas tuer
d’enfants. » Et s’entendant répondre par l’un
de ses complices, un converti : « Tu crois que
ça les dérange de tuer des enfants, en Pales-
tine ? », il lui rétorque un cinglant : « De quoi
tu parles, toi ? Tu es breton. » Nicolas
Boukhrief se disait qu’il s’agissait d’une des
meilleures répliques qu’il ait jamais écrites.
De la fiction, donc. Un peu plus tard, il est
tombé sur un article du Parisien évoquant un
« djihadiste breton ». Un terme surréaliste, de-
venu désormais presque banal.
Une phrase de Mohamed Merah l’a marqué.
Dans l’un de ses échanges avec les hommes
du RAID, avant l’assaut final à Toulouse, Me-
rah a lancé : « J’aime la mort comme vous
aimez la vie. » Une pulsion mortifère que le ci-
néaste lie à la peste brune. « Les franquistes,
pendant la guerre d’Espagne, criaient “Viva la
muerte”. En Allemagne, les SS de la division To-
tenkopf arboraient sur le col de leur uniforme
leur devise : “Dieu avec nous”. Merah affirmait
qu’Allah était à ses côtés. Après le fléau nazi,
nous allons devoir subir le fléau djihadiste. »
Avant « Je suis Charlie », Nicolas Boukhrief
voulait écrire un texte intitulé « Je suis Moha-
med et Gabriel », les noms d’un des soldats et
d’un des enfants assassinés par Mohamed
Merah. Non par goût du paradoxe mais pour
signifier que nous avons perdu des années
dans ce combat contre le djihadisme, par cé-
cité et absence de courage. Puis le cinéaste a
remisé son texte, préférant laisser son film
s’exprimer à sa place. p
4| 0123
Samedi 16 janvier 2016 | CULTURE & IDÉES |
Ouvrière métallurgiste,
militante syndicaliste
et anarchiste, Germaine
Berton, ici photographiée
par la préfecture de police
de Paris, en 1923, après son
arrestation pour le meurtre
de Marius Plateau, secrétaire
de la Ligue d’Action
française. Elle sera acquittée
le 24 décembre
de la même année.
RUE DES ARCHIVES/RDA
La violence a-t-elle un sexe ?
La population féminine représente moins de 4 % des incarcérations en France. Tout semble concourir à cette situation.
Et, en premier lieu, les préjugés sexistes de la société
U
marion rousset
n homme battu par
sa femme. Le té-
moignage de
Maxime Gaget a
fait grand bruit au
printemps. Dans
Ma compagne, mon
bourreau (Micha-
lon, 2015), il se met à nu, expose ses bles-
sures, le drame intime qu’il a vécu pen-
dant de longs mois. « Expérience au bout
de l’horreur », « enfer », « calvaire » : en ré-
ponse, la presse rivalise alors de qualifi-
catifs pour traduire la monstruosité d’un
tel acte. Il faut dire que ce genre de faits
divers fascine la société autant qu’il
nourrit l’imaginaire des artistes.
Psychopathe ou paumée solitaires
dans Basic Instinct et Nikita, duos ven-
geurs dans Thelma et Louise, Baise-moi et
La Cérémonie, banlieusardes rebelles
dans Bande de filles… Les destins de fem-
mes violentes jalonnent l’histoire du ci-
néma. Mais, dans la vraie vie, elles sont
beaucoup plus rares. Les tortionnaires,
les meurtrières et les délinquantes sont
des figures d’exception dans un paysage
encore largement dominé par l’agressi-
vité des mâles. « Malgré l’évolution du
statut des femmes, il y a dans la distribu-
tion de la violence quelque chose qui ré-
siste », constate le sociologue Laurent
« Malgré l’évolution
Mucchielli.
Aujourd’hui, les femmes ne représen-
du statut
tent que 16,8 % des individus mis en
cause par la police pour crimes et délits,
des femmes, il y a
15,6 % pour atteinte volontaire à l’inté-
grité physique et 2,4 % pour violences
dans la distribution
sexuelles (rapport annuel 2014 de l’Ob-
servatoire national de la délinquance et
de la violence
des réponses pénales). Elles comptent
pour 10 % seulement des condamnés,
quelque chose
4 % quand les peines sont prononcées
pour crime. Et tout au bout de la chaîne
qui résiste »
pénale, leur présence est encore plus fai- laurent mucchielli
ble : elles représentent moins de 4 % des sociologue
personnes incarcérées. Seule exception :
les infanticides, où elles sont majoritai-
res (chiffres du ministère de la justice).
Que disent, en complément de ces chif-
fres, les enquêtes qui interrogent les indi-
vidus sur les violences qu’ils ont commi-
ses ? Dans une étude portant sur
13 600 adolescents dans deux grandes
métropoles (enquête « Polis-autorité », oc-
tobre 2013, projet de l’Agence nationale de
la recherche), 20,9 % des garçons contre
seulement 8,6 % des filles disaient avoir
« frappé ou battu quelqu’un si fortement
qu’il a été sérieusement blessé ou qu’il a
saigné ». « Pour les délits non violents,
comme fumer du cannabis, l’écart entre les
filles et les garçons est faible et pour le vol,
il se réduit, explique le politologue Sebas-
tian Roché, qui a dirigé le projet. Mais
quand il s’agit de faire mal volontairement
à quelqu’un, les garçons sont beaucoup
plus présents. Et les filles qui s’y mettent
s’associent le plus souvent à des garçons. »
Apparemment, rien ne semble donc
avoir changé : malgré la progression de
l’égalité, la brutalité physique reste l’apa-
nage des hommes. Périodiquement,
l’opinion s’alarme de l’apparition de
gangs au féminin. Mais les statistiques
attestent au contraire d’une marginalité
étonnamment stable de la violence des
femmes. « La délinquance chez les fem-
mes a toujours existé, du traditionnel crê-
page de chignon à des violences intrafa-
miliales plus graves, mais ce phénomène
a toujours été très marginal », rappelle
Laurent Mucchielli.
Pourquoi un tel fossé perdure-t-il, alors
même que les rôles et les identités
sexués sont toujours plus poreux ? De-
puis les mouvements d’émancipation
des années 1960 et 1970, la société a en
effet beaucoup bougé : les femmes ne
sont plus confinées à la maison, ni can-
tonnées à leur rôle de mère. Citoyennes à
part entière, elles ont quitté le foyer pour
conquérir l’espace public. Or, pour la so-
ciologue Coline Cardi, « la citoyenneté va
de pair avec l’accès au pouvoir de violence,
pouvoir qui a d’ailleurs permis d’obtenir
certains acquis politiques. Il peut être uti-
lisé ou non, mais il fait partie des modali-
tés d’action possibles ».
A elles l’instinct du soin, à eux le goût
du risque ? A elles la douceur, à eux les
muscles ? A elles les œstrogènes, à eux la
testostérone ? La faible présence des fem-
mes dans les tribunaux et les prisons ap-
pelle souvent la croyance en une « nature
féminine ». « Le sens commun a tendance
à expliquer ces différences de comporte-
ment par une question de nature : parce
qu’elles donnent la vie, les femmes ne
pourraient pas donner la mort », constate
Coline Cardi (« La déviance des femmes :
entre prison, justice et travail social », re-
vue Déviance et société, 2007).
Professeure de psychologie sociale,
Pascale Molinier évoque quant à elle Sig-
mund Freud : le fondateur de la psycha-
nalyse présentait la révolte des hommes
préhistoriques à l’encontre d’un père qui
accaparait toutes les femmes comme
l’acte fondateur de l’humanité. « Où sont
les femmes, que font-elles ? Dans cette rê-
verie psychanalytique, il n’est pas pensa-
ble que les femelles puissent se révolter
contre le père violent », note-t-elle (« Pré-
venir la violence : l’invisibilité du travail
des femmes », revue Travailler, 1999).

Un argument sans doute plus ré-
pandu continue souvent de faire auto-
rité : l’influence des hormones sexuel-
les sur le cerveau. « On sous-estime le
poids des contraintes biologiques : les
femmes sont plus prédisposées, en rai-
son de leurs hormones, à recevoir, assure
le pédopsychiatre Philippe Jeammet. Ce
n’est pas ressenti comme une passivité.
Au contraire, la grande angoisse des
hommes, quel que soit leur niveau intel-
lectuel, c’est de ne pas être actifs. La me-
nace de l’impuissance les pousse davan-
tage à l’agressivité. »
Une thèse qui reste toutefois très discu-
tée chez les scientifiques, notamment
par la neurobiologiste Catherine Vidal.
« L’idée que l’agressivité, doublée d’un ap-
pétit sexuel supérieur, viendrait de la tes-
tostérone est encore très présente dans le
grand public, regrette cette scientifique,
qui estime que la relation de cause à effet
n’est pas prouvée. Chez les enfants, les
comportements violents existent avant la
puberté, donc avant l’apparition du pic
hormonal, et aucune étude réalisée à par-
tir de vastes échantillons ne montre de re-
lation entre la concentration d’hormones
et le niveau de violence. »
L’histoire apporte un autre démenti au
fameux « de tout temps ». Au cours des
siècles, la violence s’est parfois déclinée
au féminin : au XVIIIe, on trouve des fem-
mes au cœur de rixes sur les marchés et
de disputes dans les immeubles, mais
aussi dans les émeutes et les grèves, par-
fois même en tête de cortège. « A cette
époque, les femmes des classes populaires
allaient au cabaret et dans les cafés, ex-
plique l’historienne Arlette Farge, qui a
travaillé sur les archives de la violence.
La rue leur appartenait autant qu’aux
hommes. » Un geste déplacé sur une ser-
vante, dans une taverne, pouvait ainsi
déclencher une vive altercation, puis
une bagarre entre toutes et tous. « La ré-
probation de la violence féminine étant
moins forte au XVIIIe siècle, il est possible
qu’elles se soient senties plus libres en ce
temps-là de se battre », avance l’histo-
rienne Michelle Perrot.
Au milieu du XIXe siècle, la pudeur des
émotions devient cependant la norme
pour toutes. De la bourgeoise à
l’ouvrière, le modèle de la femme au
foyer dévouée atteint son apogée.
« Quand Haussmann repense l’espace pa-
risien en 1852 pour le rendre plus contrôla-
ble, les femmes reçoivent soudain l’in-
jonction de veiller sur les hommes en cas
d’ivresse et de prendre soin de leurs en-
fants, affirme Arlette Farge. C’est un siècle
très sévère envers elles. » Sous l’influence
de criminologues et de médecins hygié-
nistes qui cherchent à domestiquer les
corps féminins, les mentalités changent :
l’infirmière devient un idéal de féminité,
le soldat l’emblème de la virilité.
Les dispositifs de protection de l’en-
fance et de surveillance des familles qui
se mettent en place au XIXe siècle, sou-
vent dans un souci philanthropique, ren-
forcent le poids des modèles éducatifs et
culturels. « Ces dispositifs s’apparentent à
ce qu’on a appelé une “police des fa-
milles”, qui permet de surveiller les mères,
notamment dans les classes populaires,
raconte la sociologue Coline Cardi. C’est à
cette époque-là que l’instinct maternel est
inventé et que les femmes sont davantage
cantonnées à l’espace privé. A celles-ci, on
apprend la peur là où on enseigne aux
hommes, au contraire, la bagarre. »
Peu à peu, les femmes se font plus dis-
crètes dans l’espace public, leur présence
dans la rue recule. Du coup, explique Mi-
chelle Perrot, elles ont de fait moins d’oc-
casions de se battre. « Les espaces mascu-
lins et féminins sont davantage séparés et
les femmes fréquentent de moins en moins
les cabarets et les bistrots. Seules, elles sont
toujours suspectes de prostitution. Quand
les sexes se rencontrent, c’est dans le cadre
d’événements aussi organisés et codifiés
que les bals, qui sont en plein essor. »
Mais aujourd’hui ? Comment expli-
quer que ce partage des rôles persiste
dans une société pourtant si différente
| CULTURE & IDÉES |
¶ statistiques. « Dès le départ, la police
à lire
« pour e n f in ir
av e c l a fab rique
de s gar çon s »
sous la direction
de Sylvie Ayral et Yves
Raibaud (Maison des
sciences de l’homme
d’Aquitaine, 2014).
« pe n se r
l a v iol e nce »
de Laurent Mucchielli
(Fayard, 2011).
« g e n re e t
s o cial isation de
l’e n fance à l’âg e
adulte . e xpl ique r
l e s dif f é re nce s ,
pe n se r l’é gal ité »
de Véronique Rouyer,
Sandrine Croity-Belz
et Yves Prêteur
(Erès, 2010).
de celle du XIXe siècle ? Pourquoi la vio-
lence féminine continue-t-elle de passer
pour une anomalie ? « L’évolution juridi-
que et sociale qu’a connue le statut des
femmes n’atteint pas le socle psychosocio-
logique profond qu’est la construction de
la masculinité et de la féminité », estime
Laurent Mucchielli. Cette construction
sociale commence dès l’enfance : aux
fillettes les poupées, aux garçonnets les
pistolets. D’un côté l’univers de la mai-
son, de la beauté et de la maternité, de
l’autre celui de l’aventure, de la construc-
tion et de la motricité.
Mais les différences en termes d’éduca-
tion sont parfois plus subtiles. « Les pa-
rents ont l’impression de ne pas faire de dif-
férence mais il existe des habitudes qu’on
ne voit pas », affirme Véronique Rouyer,
professeure de psychologie du développe-
ment de l’enfant, notamment en termes
« L’idée que l’agressivité,
doublée d’un appétit sexuel
supérieur, viendrait de
la testostérone est encore très
présente dans le grand public »
de prise de risques : « Quand un garçon
grimpe sur un mur, les parents le laissent
faire, quand il s’agit d’une fille, on lui dit
que c’est dangereux et qu’elle doit faire at-
tention à ne pas tomber », explique-t-elle.
Beaucoup d’études montrent en outre
que l’expression de la colère est moins
tolérée chez les filles et que les parents
leur parlent davantage durant leurs pre-
mières années de vie, si bien qu’elles ap-
prennent à mieux communiquer. Ces
différences de traitement sont confor-
tées dans les espaces éducatifs, de la crè-
che au lycée. « En classe, les garçons timi-
des et les “bouffons” sont souvent harce-
lés par leur groupe de pairs, constate le
géographe Yves Raibaud, qui a enquêté
sur la « fabrique des garçons ». Il existe
une injonction à la virilité pour éviter de
subir le même sort. » Coauteure de l’en-
quête, Sylvie Ayral, docteure en science
de l’éducation, confirme cette consta-
tion : « Les adolescents doivent à tout prix
se démarquer de ce qui est assimilé au fé-
minin, sous peine de passer pour des ho-
mosexuels. » Signe de bonne santé chez
un garçon, l’esprit bagarreur relève plu-
tôt, chez les adolescentes, d’une patholo-
gie à soigner. « Quand une fille est vio-
lente, on l’oriente vers une prise en charge
psychologique, alors que quand un gar-
çon est violent, on lui propose de canaliser
sa violence dans… un sport violent ! »,
poursuit Sylvie Ayral.
Lorsque les tensions montent, l’envi-
ronnement tente souvent de brider chez
les filles le réflexe de la gifle ou du coup
de poing en désamorçant les tensions.
C’est en tout cas ce que suggère une
étude éclairante sur le football féminin
parue dans un numéro de la revue
Champ pénal (« Quand les footballeuses
en viennent aux mains », Nicolas Penin,
Fatia Terfous et Oumaya Hidri Neys,
2011). Quand, sur le terrain, une faute est
commise par un joueur, la sanction du
carton tombe, alors qu’avec une joueuse,
l’arbitre est plus paternaliste et plus pé-
dagogue. Si elle commet un impair, si
0123
Samedi 16 janvier 2016 |5
elle fait un geste déplacé ou si elle parle
trop haut, l’arbitre siffle, bien sûr. Mais
plutôt que de la punir, il accompagne
son coup de sifflet d’explications et de re-
commandations. « Les entretiens menés
avec des arbitres font apparaître des diffé-
rences tendancielles dans les façons de
faire : le recours à la sanction “stricte”
chez les garçons, plus de souplesse et de
pédagogie avec les filles », analyse le so-
ciologue Nicolas Penin.
A cette explication s’en ajoute peut-être
une autre. Quand l’échec scolaire se con-
jugue à l’absence de perspectives profes-
sionnelles, la délinquance fournit aux
garçons des quartiers populaires l’occa-
sion de revaloriser leur image. « Si les
filles en sont plus protégées, c’est d’abord
parce qu’elles réussissent mieux à l’école,
relève Laurent Mucchielli. Mais c’est
aussi parce qu’elles ont une solution de re-
pli en dehors du travail : la maternité. Leur
vie n’est pas rose pour autant, mais elles
catherine vidal
neurobiologiste
sont moins exposées à l’exclusion sociale
car ce rôle est valorisé comme tel. » Une
porte de sortie dont leurs frères sont pri-
vés. Le rôle du voyou est alors la seule is-
sue pour compenser un handicap social
et éviter de passer pour un raté. « C’est
l’identité par défaut de celui dont on dit
qu’il est nul », conclut le sociologue.
Tout semble donc fait pour que les
femmes n’expriment pas leur agressi-
vité. In fine, l’opération semble réussie
– même si elle ne l’est peut-être pas
autant que les chiffres de la police et de
la justice le laissent imaginer. Si elles
sont à ce point sous-représentées dans
la chaîne pénale, c’est en effet en raison
du regard que la police et la justice porte
sur elles. Plusieurs chercheurs ont, en ef-
fet, noté une clémence particulière à
leur égard, si bien qu’une partie des dé-
linquantes n’apparaissent pas dans les
opère un tri en fonction de deux critères :
pour être crédible dans le rôle de l’indi-
vidu violent, il faut être un homme et de
milieu populaire », affirme Thomas Léo-
nard, chercheur en sciences politiques.
Thomas Léonard a assisté à des audien-
ces en comparution immédiate à Lille et
à Lyon, épluché plus de 750 comptes ren-
dus d’audiences parus dans les quoti-
diens régionaux et consulté les minutes
des jugements dans six tribunaux. Il
montre que les femmes auteures de vio-
lences bénéficient de décisions judiciai-
res plus favorables, toutes choses égales
par ailleurs – le type de délit, le casier ju-
diciaire, la situation face à l’emploi et la
nationalité. Quoi qu’il en soit, l’indul-
gence des juges et des policiers à l’égard
de la gent féminine n’est qu’un élément
du puzzle : la violence fait encore partie
de la panoplie du mâle contemporain.
C’est d’ailleurs le seul « privilège » que
personne ne songe à lui disputer. A tort
ou à raison. p
¶
à lire
« no s ce rv eaux,
tous pare il s tous
dif f é re n ts ! »
de Catherine Vidal
(Belin, 2015).
« pe n se r
l a v iol e nce
de s f e m m e s »
sous la direction
de Coline Cardi et
Geneviève Pruvost
(La Découverte, 2012).
« de l a v iol e nce
e t de s f e m m e s »
de Cécile Dauphin
et Arlette Farge
(Albin Michel, 1997).
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Samedi 16 janvier 2016 | CULTURE & IDÉES |

on en parle

Le scandale Volkswagen
inspire Leonardo DiCaprio
Le scandale des véhicules diesel du
constructeur Volkswagen va être porté
à l’écran par les sociétés de production
Paramount et Appian Way – cette der-
nière appartient à l’acteur et produc-
teur américain Leonardo DiCaprio.
A l’initiative de celui-ci, les deux mai-
sons ont racheté les droits d’un essai
en préparation du journaliste du New
York Times Jack Ewing. L’ouvrage ra-
conte comment, entre 2009 et 2015,
Volkswagen a faussé le calculateur
moteur de ses voitures afin de falsifier
les tests antipollution de l’administra-
tion américaine. Révélée le 20 septem-
bre 2015, la tromperie a obligé le pa-
tron de l’entreprise, Martin Winterkon,
à démissionner, tandis que Volkswa-
gen perdait 35 % de sa capitalisation
boursière entre le 21 et le 23 septem-
bre. D’après Jack Ewing, c’est la hantise
du « toujours plus, toujours mieux, tou-
jours plus vite » qui a mené le construc-
teur à la fraude. Leonardo DiCaprio est
bien connu pour son engagement
en faveur des causes écologiques. Sa
fondation, consacrée « à la santé sur

Apatridie, l’envers du droit

le long terme et au mieux-être des habi-
tants de la Terre », a investi plusieurs
millions de dollars dans des projets
environnementaux.

Censure chinoise
Le statut d’apatride dénie toute existence juridique aux individus. Retour sur une réalité et cinéma occidental
très ancienne qui touche 12 millions de personnes dans le monde Il s’est vendu 1,26 milliard de tickets de
cinéma en Chine en 2015. Les recettes
ont atteint plus de 6,2 milliards de
dollars (5,5 milliards d’euros). Le pays
compte 31 297 écrans en salles. Ces chif-
nicolas weill n’y pouvais rien. [L’apatride] demande pardon ¶ non encore publié, sur cette fabrique d’apatri- fres, en hausse constante, font dire au

L
e débat sur la déchéance de natio-
nalité a redonné de l’actualité, en
dépit de la différence des contex-
tes, à la figure de l’apatride, consi-
déré et surtout traité au XXe siècle
comme la « lie de la terre », pour re-
prendre le titre d’un des livres d’Arthur Koest-
ler : celui dont personne ne veut. Il convient
de distinguer la condition de réfugié (qui ne
perd pas sa nationalité d’origine) de celle
d’apatride (qui n’a plus de nationalité et à qui
tout retour est interdit).
Aujourd’hui, on estime à 12 millions le nom-
bre de sans-patrie, dont de nombreuses per-
sonnes non déclarées à la naissance et rési-
dant dans leur propre pays natal. Tel est no-
tamment le cas des musulmans de Birmanie,
en butte aux exactions du pouvoir central.
Pour l’historienne Dzovinar Kévonian, de
l’université Paris-Ouest-Nanterre, spécialiste
du thème, « le problème principal que l’apa-
tride affronte est la mise en question de son
existence juridique même. Car celui qui relève
de ce statut ne peut ni ester en justice, ni se
déplacer, ni prétendre à certains emplois », à
commencer par ceux de fonctionnaires.
Autant dire que les personnes privées de
nationalité souffrent d’un terrible handicap.
Dans Les Origines du totalitarisme (Seuil,
1951), la philosophe Hannah Arendt affirme
que l’émergence de l’apatridie représente,
dans les années 1930, une sorte d’envers ou
de déni des droits humains. A partir du pre-
mier conflit mondial, ce phénomène a créé
des catégories de sans-droits, privés de la pro-
tection des frontières. Hannah Arendt ajoute
que la privation de nationalité a montré la
L’apatridie, comme
phénomène de masse,
coïncide avec
la première guerre
mondiale et la
dissolution des empires
présence et la diffusion d’une haine impré-
cise qui va bientôt submerger le Vieux Conti-
nent et transformer des groupes entiers de
population en gibier de déportation, réfugiés,
personne déplacées, etc.
Même après la guerre, alors que ce statut ne
conduisait plus dans les camps, l’apatridie est
demeurée un sort peu enviable. « Je me remé-
more mes visites annuelles à la préfecture de
police, écrit ainsi Elie Wiesel dans ses Mémoi-
res (Seuil, 1994), les attentes prolongées, les
interrogatoires humiliants. Devant le guichet,
l’apatride que j’étais s’efforçait de faire la
conquête de l’employée qui, de mauvaise hu-
meur, ne daignait même pas le regarder (…).
J’étais pathétique, peut-être même ridicule, je
à tout le monde : pardon de vous déranger, de
vous importuner, de prendre votre place au
soleil. Comme je comprenais Socrate qui, après
son procès, préféra la mort à l’exil. »
L’apatridie comme phénomène de masse
coïncide avec la première guerre mondiale et
la dissolution des empires. En France, une loi
de 1915 ôte la nationalité française aux
citoyens naturalisés d’origine ennemie. Le
terme d’« apatride » est inventé dans la fou-
lée,en 1918, par des juristes français soucieux
de dégermaniser la notion allemande de Hei-
matlos (« sans-patrie »), utilisée jusque-là.
D’autres pays adoptent des dispositions de dé-
naturalisation, que ce soit la Belgique en 1922
(pour ceux qui « manquent gravement à leurs
devoirs de citoyens belges »), la Turquie kéma-
liste, soucieuse d’empêcher le retour des Ar-
méniens survivants du génocide et de s’acca-
parer leurs biens, ou l’Italie fasciste…
Mais comme l’a montré l’historienne Cathe-
rine Gousseff, qui a étudié l’immigration
russe en France, la transformation de l’apatri-
die en problème majeur appelant des solu-
tions internationales accompagne d’abord la
décision du tout nouveau pouvoir soviétique
de retirer leur nationalité aux émigrés russes,
en 1921. D’individuelle, l’apatridie devient col-
lective. L’activité du Haut-Commissariat aux
réfugiés (HCR) et celle d’une commission de
juristes russes et arméniens aboutissent à
une convention en 1933 dans le cadre de la So-
ciété des nations (SDN) – texte peu ratifié vu
les circonstances des années 1930. « Ce qui est
remarquable dans cet épisode est que les réfu-
giés sont traités comme des acteurs à part en-
tière et participent à la rédaction finale du
texte », souligne Mme Gousseff.
Jusqu’à l’invention par le premier dirigeant
du HCR, le Norvégien Fridtjof Nansen (Prix
Nobel de la paix), du certificat ou passeport
Nansen, étendu aux Arméniens rescapés du
génocide puis aux Assyriens et Assyro-Chal-
déens, le moindre déplacement était impossi-
ble aux apatrides dépourvus de papiers. De
nombreuses personnalités de l’entre-deux-
guerres bénéficient du précieux document,
comme les compositeurs Sergueï Rachmani-
nov et Igor Stravinsky, l’écrivain Vladimir Na-
bokov, le photographe Robert Capa, le peintre
Marc Chagall, le « rabbi de Loubavitch » Mena-
chem Mendel Schneerson, le penseur ésotéri-
que Georges Gurdjieff ou le mathématicien
Alexandre Grothendieck. Certains Arméniens
exilés y restent attachés parce qu’il men-
tionne explicitement leur origine armé-
nienne, note Dzovinar Kévonian.
Après l’arrivée des nazis au pouvoir en Alle-
magne (1933) puis en Autriche (1938), une nou-
velle vague massive d’opposants et de juifs
fuient la mise au ban instituée par le nouveau
régime : en 1933, celui-ci prive de leur nationa-
lité tous les juifs allemands résidant à l’étran-
ger. Hannah Arendt en fait partie. Bientôt,
pour certains d’entre eux, ce statut équivaut à
une condamnation à mort, notamment dans
la France occupée, où les juifs apatrides sont
parmi les premiers visés par les mesures d’in-
ternement, puis de déportation. L’historienne
Claire Zalc (CNRS) vient d’achever un ouvrage,
à lire des que fut Vichy. Avant même l’adoption
« é chang e r d’un statut des juifs, le régime forme une com-
l e s pe upl e s . mission chargée d’étudier la révision des na-
l e dé pl ace m e n t turalisations (loi du 22 juillet 1940). Durant les
de s m inorité s aux quatre années d’occupation où elle siège à Pa-
con f in s pol ono - ris (avec pour vice-président le magistrat An-
s ov ié tique s dré Mornet, futur procureur au procès Pétain),
(1944- 194 7) » cette commission examine 250 000 dossiers
de Catherine Gousseff individuels ou familiaux (un million de per-
(Fayard, 2015). sonnes sont concernées) et produit plus de
15 000 décrets de dénaturalisation.
« l’e xil rus se . La loi s’abat aussi sur des naturalisés de dif-
l a fab rique du férentes origines : Italiens, Espagnols, Suisses,
ré f ug ié apatride » Russes, Polonais. Mais les juifs en constituent
de Catherine Gousseff une cible privilégiée. « Le lien avec la déporta-
(CNRS-Seuil, 2008). tion est évident, note Claire Zalc, même s’il n’y a
pas de relation de causalité. Etre étranger vul-
« l e dé shon n e ur nérabilise. De plus, le processus de dénaturali-
dan s l a sation engrange un grand nombre d’enquêtes
ré pub l ique . et rend donc visible aux yeux de l’administra-
un e h istoire tion. » En août 1943, les Allemands tentent
de l’in dig n ité , d’obtenir de Vichy la dénaturalisation auto-
1791- 1958 » matique de catégories entières de juifs pour
d’Anne Simonin accélérer le rythme d’envoi dans les camps
(Grasset, 2008). d’extermination. Un décret est élaboré mais le
maréchal Pétain et son chef du gouverne-
« ré f ug ié s ment, Pierre Laval, soucieux de conserver la
e t dipl omatie haute main sur leur politique antijuive, finis-
h uman itaire . l e s sent par faire volte-face.
acte urs e ur opé e n s A la Libération, non sans réticences de la
e t l a s cè n e part de quelques Français libres, mais sur l’in-
pr o ch e- orie n tal e sistance du juriste résistant – et pour cela dé-
pe n dan t l’e n tre- chu de sa nationalité par Vichy – René Cassin,
de ux- gue rre s » futur rédacteur de la Déclaration universelle
de Dzovinar Kévonian des droits de l’homme de 1948, les décrets de
(Publications de la dénaturalisation seront abrogés par le gou-
Sorbonne, 2004). vernement provisoire.
Après la guerre, la convention internationale
de 1954, elle largement ratifiée, inclut la persé-
cution politique dans la définition de l’apa-
tride, qui devient désormais celui « qu’aucun
Etat ne considère comme son ressortissant en
application de sa législation ». La création en
France de l’Office français de protection des ré-
fugiés et apatrides (Ofpra), en 1952, dont les ar-
chives ont été récemment ouvertes, assure sa
protection administrative et juridique. Une
autre convention internationale est rédigée
en 1961, mais la France, prise dans la guerre
d’Algérie finissante, ne l’a pas ratifiée. Malgré
le renforcement des garanties juridiques, les
convulsions d’après 1945 ont charrié leur lot
de Palestiniens, Russes des Etats baltes, victi-
mes des guerres de l’ex-Yougoslavie… dont
beaucoup relèvent de ce statut. On comptait
en France 1 300 apatrides en 2014.
Les textes internationaux et la mémoire du
« siècle de fer » pèsent toujours sur celle de
l’apatridie. Anne Simonin, chercheuse au
CNRS, qui a consacré son Déshonneur dans la
République (Grasset, 2008) à l’histoire de l’in-
dignité, notamment l’« indignité nationale »
appliquée aux anciens collaborateurs, pense
que l’invention d’une qualification juridique
inédite, le crime de « lèse-République », à
laquelle correspondrait une peine infamante,
également nouvelle, l’indignité civique,
applicable aux djihadistes, offrirait une ma-
nière crédible de répondre par le droit aux
tueries de 2015. p
cabinet japonais d’analyses économi-
ques Nomura que le box-office du ci-
néma en Chine va dépasser celui des
Etats-Unis en 2017. Cette nouvelle pas-
sion des Chinois attire bien des convoiti-
ses de la part des productions occidenta-
les. Mais pour s’imposer en Chine, elles
doivent tenir compte de la surveillance
constante de Sarft, la toute-puissante ad-
ministration de tutelle du cinéma, qui
pratique aussi une censure vigilante.
Ainsi, la scène de Titanic (James Came-
ron, 1997) où Kate Winslet pose nue a été
supprimée dans la version chinoise.
Quant au film d’espionnage Kingsman
(Matthew Vaughn, 2015), il a été amputé
de quatre minutes : la tuerie collective
finale provoquée par une drogue halluci-
nogène. Pour Skyfall, le James Bond
de 2012 (Sam Mendes), la censure s’est
contentée de couper le moment où un
agent de sécurité chinois se fait tuer
dans un ascenseur.
Cependant, l’intérêt des producteurs
pour l’énorme marché chinois est tel
qu’ils pratiquent l’autocensure. Ils
montrent désormais leur scénario à
des consultants nationaux avant de se
lancer. Ainsi, dans le film Pixels (Chris
Colombus, 2015), une scène où un
gigantesque Pac-Man grignotait
Shanghaï a été remplacée par une
dévoration de San Francisco.
L’arche de Palmyre
reproduite à l’identique
En avril, les visiteurs de Trafalgar Square,
à Londres, et de Times Square, à New
York, pourront découvrir une copie
grandeur nature de l’arche du temple de
Bêl, érigée à Palmyre (Syrie) il y a deux
mille ans, et détruite en mai 2015 par
l’organisation Etat islamique. Outre ce
temple, les djihadistes avaient fait sauter
l’arc de triomphe et le temple de Baals-
hamin, deux trésors de l’antique cité ins-
crite par l’Unesco au Patrimoine mon-
dial de l’humanité. Avant le début du
conflit syrien, en 2011, Palmyre attirait
150 000 visiteurs par an. Construit en
32, le temple de Bêl, l’un des mieux con-
servés de Syrie, présentait une architec-
ture orientale classique de cette épo-
que, associée à une façade de style
gréco-romain, dotée d’une arche monu-
mentale. La reproduction à l’identique
de celle-ci a été réalisée avec l’aide
d’une imprimante 3D. Roger Michel, un
responsable de l’Institut pour l’archéo-
logie numérique, hébergé par les uni-
versités d’Oxford (Royaume-Uni) et
Harvard (Etats-Unis), qui numérise les
œuvres du patrimoine pour mieux les
faire connaître, a déclaré au Times qu’il
s’agissait d’une initiative « à vocation
militante » : « Nous voulons leur dire que
s’ils détruisent quelque chose, nous le
reconstruirons. » p
f. jo

« Il faut reconnaître
le rôle du racisme
et du colonialisme »
Réagissant aux attentats de janvier et de novembre 2015 à Paris,
la philosophe Angela Davis s’interroge sur le concept de laïcité et sur
les raisons qui mènent des individus à recourir à une violence extrême
suite de la page 1
Cet épisode m’a permis de comprendre ce
qui se passait en Algérie. A l’époque, j’ai parti-
cipé à plusieurs manifestations en faveur de
l’indépendance et j’ai découvert la violence
de la police envers les Algériens. Je dis sou-
vent que je suis venue en France pour cher-
cher la liberté et l’émancipation et que j’y ai
trouvé la solidarité internationale avec la
révolution algérienne !
Qu’avez-vous ressenti en apprenant
les attaques terroristes du 13 novembre ?
La France est un peu devenue ma seconde
patrie. Quand j’ai appris les attaques, j’étais
terriblement choquée. J’ai passé toute la soi-
rée devant la télévision, j’étais extrêmement
peinée. Je pensais à ces jeunes gens qui
étaient allés à un concert de rock ou qui dî-
naient en terrasse, et qui, soudainement, ont
été la cible des balles des terroristes. Cela m’a
évidemment rappelé les attaques du 11 sep-
tembre 2001 aux Etats-Unis.
Au lendemain des attentats du 13 novem-
bre, François Hollande a instauré l’état
d’urgence. La France a-t-elle des choses
à apprendre de l’expérience américaine
du Patriot Act ?
Répondre au terrorisme en déployant une
violence d’Etat, c’est perdre de vue la démo-
cratie et la liberté. Aux Etats-Unis, la démocra-
tie a été très sérieusement mise à mal par le
Patriot Act. Qui sait le temps qu’il faudra pour
répondre aux conséquences à long terme du
Patriot Act ?
Certains des terroristes du 13 novembre
étaient nés en France, avaient grandi
en France, avaient fréquenté les écoles
françaises. Comment expliquez-vous
leur recours au terrorisme ?
Ces événements sont indicibles, incompré-
hensibles. Il faut cependant s’interroger sur
les raisons qui peuvent amener des gens à re-
courir à des actes d’une telle violence. Je suis
venue à Paris après les émeutes dans les ban-
lieues, en 2005. J’y suis revenue pour le
dixième anniversaire du Parti des indigènes
de la République, en 2015. J’ai participé à des
débats sur l’immigration et je dois dire qu’à
mes yeux, la France, en tant que nation, n’est
pas complètement innocente. La France est le
berceau historique de la démocratie mais les
personnes de couleur qui vivent en France,
qui sont des citoyens français, qui ont été sco-
larisées dans des écoles françaises, sont sou-
vent rejetées : elles sont les victimes du ra-
cisme et de l’islamophobie.
Les mesures policières et les lois répressives
ne viendront pas à bout de ce problème car il
exige une autre démarche : il faut reconnaître
le rôle du colonialisme et du racisme. Je le sais
en raison de ma propre expérience, mais
aussi en raison de l’histoire du mouvement
afro-américain aux Etats-Unis. A la fin des an-
nées 1960 et au début des années 1970, beau-
coup de militants se sont engagés dans des
mouvements dits de « guérilla urbaine ». Je ne
fais évidemment pas de parallèle entre ces
deux phénomènes – le mouvement de libéra-
tion américain poursuivait un objectif vérita-
ble d’égalité et de justice – mais je peux com-
prendre que le désespoir amène des jeunes
gens désabusés à faire n’importe quoi.
Vous dénoncez souvent la dimension isla-
mophobe des violences racistes en Eu-
rope. Pensez-vous que l’islamophobie est
particulièrement développée en France ?
Aux Etats-Unis, l’islamophobie s’est intensi-
fiée après les attaques terroristes du 11 sep-
tembre 2001 : dans cette période de « guerre
contre le terrorisme », elle s’est articulée avec
le racisme envers les Noirs et les Latinos.
En France, la situation est plus compliquée
parce que le concept de laïcité a été utilisé
pour marginaliser les musulmans. Les con-
cepts universels semblent porteurs de liberté
quand ils sont envisagés d’un point de vue
théorique mais, dans la réalité, ils peuvent de-
venir très répressifs. J’étais à Paris, au prin-
temps 2015, lors de la controverse sur l’exclu-
sion d’une lycéenne en raison de la longueur
de sa jupe. Quand j’ai raconté cette histoire
aux Etats-Unis, tout le monde croyait que la
jupe était trop courte : j’étais obligée de dire
qu’elle était trop longue et, surtout, qu’elle
était portée par une jeune fille musulmane !
Je crois que la France doit réfléchir à ce con-
cept universel qu’est la laïcité : c’est une
bonne notion, bien sûr, mais elle est sou-
vent racialisée et clandestinement chargée
d’islamophobie.
Pensez-vous que ce racisme et cette isla-
mophobie ont un rapport avec le passé
colonial de la France ?
Aux Etats-Unis, il est impossible de s’atta-
quer aux racines des violences raciales sans
prendre en compte le fait que l’esclavage est
encore structurellement inscrit dans les rela-
tions sociales. Je dirais la même chose au su-
jet de la France. Les peuples qui ont été sou-
mis, au cours de l’histoire, à l’ordre colonial
français ne peuvent être intégrés dans la so-
ciété française que si elle se transforme : il
faut évacuer les vestiges du colonialisme et
de l’esclavage.
Beaucoup de gens ignorent que la France
était l’un des principaux pays d’esclavage. Ce
fait historique est apparu récemment, lors des
débats sur la création, le 10 mai, d’une journée
nationale des mémoires de la traite, de l’escla-
vage et de leur abolition. L’esclavage et le colo-
nialisme ne disparaissent pas d’un coup de
baguette magique simplement parce qu’on
souhaite les voir disparaître.
Vous avez grandi dans les années 1950 à
Birmingham (Alabama). Quand vous étiez
enfant, l’esclavage était-il un souvenir
de l’histoire ou était-il encore vivant dans
la mémoire des habitants ?
Pendant très longtemps, les Noirs ont voulu
oublier l’esclavage, cette période si terrible et
si douloureuse de l’histoire américaine. Ma
grand-mère est née après l’abolition mais ses
parents avaient été esclaves. On n’en parlait
jamais dans ma famille, mais je me souviens,
enfant, avoir regardé ma grand-mère et avoir
imaginé l’esclavage à travers elle. C’est seule-
ment dans les années 1960 que ce sujet a
émergé, dans le sillage du « féminisme noir »
qui a irrigué les travaux universitaires et le
militantisme politique. Ce mouvement s’est
opposé aux tendances masculinistes qui im-
prégnaient alors les « black studies » et la cul-
ture populaire noire : toutes deux tentaient
d’esquiver la question de l’esclavage parce
qu’il avait, selon elles, porté atteinte à la puis-
sance des hommes noirs.
Les écrivaines et les universitaires féminis-
tes noires ont permis de façonner un nou-
veau discours sur l’esclavage. Toni Morrison,
avec son livre Beloved (Christian Bourgois,
1989), mais aussi Toni Cade Bambara et Octa-
via Butler, ont joué un rôle majeur dans ce
mouvement. Le premier article que j’ai publié
a été écrit pendant que j’étais en prison, dans
les années 1971-1972 : il portait justement sur
le rôle des femmes noires dans la commu-
nauté des esclaves. Cette réflexion m’a permis
de mieux comprendre les réalités politiques
du moment, et notamment cette idée que les
femmes noires étaient en train de conspirer
avec les hommes blancs afin d’opprimer les
hommes noirs.
Compreniez-vous, quand vous étiez petite,
qu’il y avait un lien entre la ségrégation et
l’esclavage ?
Je sentais que la ségrégation était un héri-
tage de l’esclavage. Ce que je ne comprenais
pas, en revanche, c’est que pour abolir vrai-
| CULTURE & IDÉES |
Angela Davis,
à la Sorbonne,
à Paris, le
3 décembre 2015.
ROBERTO FRANKENBERG
POUR « LE MONDE »
ment l’esclavage, il aurait fallu, comme l’a
écrit le chercheur W. E. B. Du Bois, non seule-
ment briser les chaînes des esclaves, mais
aussi construire une nouvelle démocratie.
Seules de nouvelles institutions auraient
permis d’intégrer les anciens esclaves dans
un nouveau système social. Mais ces institu-
tions n’ont jamais vu le jour. D’une certaine
manière, nous nous battons, aujourd’hui
encore, pour achever ce travail d’abolition de
l’esclavage.
Pouviez-vous imaginer, enfant, qu’un pré-
sident noir entrerait un jour à la Maison
Blanche ?
C’était impossible à concevoir ! Dans les an-
nées 1960, Robert Kennedy avait prédit avec
justesse l’élection de Barack Obama : il avait
affirmé qu’un Afro-Américain pourrait être
élu président dans quarante ans. Mais l’élec-
tion d’Obama, aussi importante soit-elle,
n’est qu’un moment symbolique : elle n’a pas
changé en profondeur les relations sociales.
Les gens savent désormais que dans une
structure très compliquée, le changement
d’un seul personnage, fût-il président, ne
met pas fin au caractère oppressant de la
structure.
Vous êtes féministe mais, dans votre jeu-
nesse, vous n’avez pas rejoint les mouve-
ments féministes américains, qui étaient
essentiellement blancs. Pourquoi ?
Si je ne l’ai pas fait, ce n’est pas parce que je
ne croyais pas à la possibilité d’un combat
commun. C’était plutôt parce que les mouve-
ments féministes se concentraient, pour l’es-
sentiel, sur ce que nous considérions alors
comme des questions « bourgeoises ». J’étais
évidemment en faveur des droits des femmes
– mais de toutes les femmes. Je ne parvenais
pas à m’identifier à un mouvement qui ne
s’intéressait pas au racisme et à la lutte des
classes car il fallait, selon moi, penser à la fois
la question de la race, celle du genre et celle de
la classe sociale.
A la fin des années 1970 et au début des an-
nées 1980, plusieurs mouvements féministes
multiraciaux sont apparus, intégrant des
femmes noires, latinos, asiatiques mais aussi
des femmes blanches de la classe ouvrière.
C’est là que j’ai trouvé ma place.
Pour moi, le féminisme est nécessaire-
ment antiraciste, anticapitaliste, anti-impé-
rialiste, anticolonialiste ! Il est évidemment
impossible de penser toutes ces questions à
la fois, mais il est utile, dans les combats
comme dans les analyses, de garder à l’es-
prit, en toile de fond, ces différentes appro-
ches de la notion de justice.
0123
Samedi 16 janvier 2016 |7
¶ Par ailleurs, je me sens beaucoup plus à
à lire l’aise lorsque je défends les femmes qui sont
« l a pris on e st- au bas de l’échelle sociale : quand on rem-
e l l e ob s ol è te ? » porte une victoire à cet endroit-là, tout le
d’Angela Davis monde avance. Quand, en revanche, on s’in-
(Au Diable Vauvert, téresse uniquement au plafond de verre, on
2014). se bat pour une toute petite minorité.
Dans la conférence inaugurale du colloque
célébrant les 20 ans du MAGE, vous avez
longuement évoqué la condition des em-
ployés de maison. Pensez-vous que le tra-
vail, même dans ces conditions, soit une
voie vers l’égalité hommes-femmes ?
Je suis d’accord avec les analyses de Karl
Marx. Il a compris que le travail était un
moyen d’exprimer sa liberté, mais aussi que
certaines formes de travail ne seraient ja-
mais créatives ou gratifiantes – le travail
peut aussi être extrêmement aliénant. C’est
pour cette raison qu’il estimait que le com-
bat premier de la classe ouvrière devait être
la réduction des horaires journaliers de tra-
vail. J’ai choisi de consacrer ma conférence
inaugurale aux employés de maison car on
les oublie : on les regarde avec condescen-
dance, mais c’est grâce à eux que d’autres
peuvent, à travers leur travail, faire l’expé-
rience de la liberté.
Aujourd’hui comme hier, les employés de
maison sont des gens de couleur qui vien-
nent, pour beaucoup, des anciennes colo-
nies. Leur situation permet de voir, de ma-
nière parfois tragique, que le racisme, le colo-
nialisme et la servitude n’ont pas disparu,
même s’ils ont adopté d’autres formes. Les
féministes doivent aborder ces questions. La
situation des employés de maison n’est sans
doute pas notre combat principal mais nous
devons avoir conscience que l’égalité « éli-
tiste », l’égalité pour certaines, ne sera jamais
l’égalité de toutes.
Diriez-vous que le mot-clé de votre vie est
le respect ?
Je n’y avais jamais pensé de cette manière
mais c’est vrai, le respect est une notion ex-
trêmement importante.
Quand j’étais jeune, j’étais très reconnais-
sante envers ma mère : grâce à elle, j’ai déve-
loppé un respect envers moi-même qui
n’était pas évident pour des jeunes Noirs
qui grandissaient dans un monde social et
idéologique marqué par l’infériorité raciale.
Elle avait été employée de maison mais elle
est devenue une militante de l’égalité : une
situation de soumission, voire de répres-
sion, peut ouvrir la voie à l’émancipation et
la liberté. p
propos recueillis par anne chemin
8| 0123
Samedi 16 janvier 2016 | CULTURE & IDÉES |
K Le président Barack Obama
lors d’une conférence de presse
sur le contrôle des armes à feu
aux Etats-Unis, à la Maison
Blanche, le 5 janvier.
KEVIN LAMARQUE/REUTERS
J Ségolène Royal, après
son élimination à l’issue
du premier tour de la primaire
du Parti socialiste,
le 8 octobre 2011.
VINCENT ISORE/IP3
J J Le premier ministre russe
Vladimir Poutine
après sa victoire à l’élection
présidentielle, à Moscou,
le 4 mars 2012.
MIKHAIL VOSKRESENSKIY/REUTERS
J J J Le président iranien
Mahmoud Ahmadinejad
pendant une cérémonie
de commémoration de la mort
de Fatima, la fille du prophète
Mahomet, à Téhéran,
le 28 mai 2009.
RAHEB HOMAVANDI/REUTERS
Larmes
politiques
images | Pleurer face aux médias est
un outil de communication comme un autre.
Les plus grands dirigeants s’y sont essayés
fanny arlandis
I
l laisse passer un silence, une
larme, et poursuit. Le président
américain Barack Obama a pleuré
lors de son discours du 5 janvier
en évoquant les enfants améri-
cains qui, chaque année, perdent
la vie dans des fusillades. De façon récur-
rente, par compassion, par chagrin, en
écoutant la chanteuse Aretha Franklin ou
pour remercier son équipe de campagne,
le président américain n’hésite pas à lais-
ser émerger son émotion. Et il n’est pas le
seul. Car il n’est pas rare de voir des prési-
dents ou des politiques s’adonner à une
séance lacrymale. Pleurer, depuis tou-
jours, fait partie de la politique.
« Les larmes des hommes politiques ne
sont pas étrangères aux sensibilités qui
dominent à un moment donné », énonce
Emmanuel Fureix, maître de conféren-
ces en histoire à l’université Paris-Est
Créteil et auteur de La France des larmes.
Deuils politiques à l’âge romantique (1814-
1840). Sous la Révolution française, il est
commun de s’épancher à l’Assemblée,
par émotion ou par attendrissement. Les
députés « versent des torrents de larmes
lorsqu’ils prêtent serment à la Constitu-
tion de 1791 », s’amuse l’historien. Ces
émotions profanes permettent à la com-
munauté de se souder.
Sous la Restauration s’opère ensuite un
« ressourcement par les larmes, censées ré-
concilier la société avec elle-même et res-
taurer un sentiment politique et religieux
après la Révolution et la Terreur, considé-
rées comme un excès de passions », pour-
suit l’historien. Leurs partisans commé-
morent la mort de Louis XVI ou de Marie-
Antoinette pour expier ce qu’on appelle
alors les « crimes de la Révolution ». C’est
dans ce contexte qu’il faut replacer cette
gravure représentant un ultraroyaliste
les yeux mouillés, un mouchoir entre les
mains. « L’ultraroyalisme était identifié à
l’obsession maladive du deuil de la Révolu-
tion », explique Emmanuel Fureix.
Une rigidification des comportements
s’opère ensuite, dans la seconde partie du
XIXe siècle. « La sensibilité s’est retournée
en sensiblerie ou en sentimentalisme »,
commente Anne Vincent-Buffault, cher-
cheuse au laboratoire de changement so-
cial et politique à l’université Paris-Dide-
rot et auteure du livre Histoire des larmes.
Si pleurer est considéré comme naturel
chez les femmes, les hommes de pouvoir,
eux, doivent savoir se maîtriser et ne se
laisser aller à aucun épanchement en pu-
blic, sauf lors d’occasions particulières
comme le deuil. « Ce changement a lieu
en réaction à la Révolution française. Le
discours contre-révolutionnaire veut se
démarquer des hommes sensibles qui ver-
saient si facilement des larmes alors qu’ils
avaient répandu le sang », poursuit l’his-
torienne. C’est aussi le siècle où le privé et
le public se dissocient clairement. Pleu-
rer est associé à l’intime et donc au privé.
Mais si les bourgeois s’arrêtent de san-
gloter au XIXe siècle, le peuple continue
d’aller au théâtre pour pleurer. « La presse
s’en donne alors à cœur joie et parle d’“in-
continence des larmes” », rappelle Anne
Vincent-Buffault.
L’injonction de la maîtrise masculine
des émotions se prolonge « jusqu’aux lar-
mes de George W. Bush, pense Patrick Le-
moine, psychiatre et auteur du livre Le
Sexe des larmes, jusqu’à ce que l’homme
le plus puissant du monde se mette à
pleurer devant des millions de personnes
sans se sentir émasculé ». Depuis, les poli-
tiques laissent paraître leurs émotions.
« Si les larmes sont bien utilisées, au bon
moment, il s’agit d’un outil de communi-
cation comme un autre », poursuit Pa-
trick Lemoine. Le président russe Vladi-
mir Poutine s’émeut de l’hymne natio-
nal et Mahmoud Ahmadinejad,
président iranien de 2005 à 2013, sort un
gros mouchoir pour honorer l’anniver-
saire de la mort de Fatima, la fille du pro-
phète Mahomet. Ainsi les politiques s’ex-
posent et sont de plus en plus exposés.
Ils sont jugés, appréciés à travers la quan-
tité de signes qu’ils produisent. Les mé-
dias et la télévision participent donc à la
construction de la légitimité et de la po-
pularité des politiques. Ces derniers
n’ignorent pas qu’une prestation la-
crymale fera l’objet d’une couverture
médiatique considérable, et ce d’autant
plus depuis le développement des chaî-
nes d’information en continu.
Mais en politique, notamment dans
l’Hexagone, cet exercice s’avère plus
compliqué pour les femmes. Celles-ci
doivent constamment balayer les criti-
ques sexistes qui font rapidement des
larmes féminines un aveu de faiblesse.
En 1974, la presse affirme avoir vu les lar-
mes de Simone Veil à la tribune de l’As-
semblée nationale, épuisée par les atta-
ques de ses adversaires lors de son com-
bat pour l’adoption de la loi sur
l’interruption volontaire de grossesse.
Trente ans plus tard, Mme Veil n’a pour-
tant « pas du tout le souvenir d’avoir
pleuré ». Quant à Ségolène Royal, les yeux
humides après sa défaite à la primaire so-
cialiste d’octobre 2011, elle s’est sentie
obligée d’affirmer en souriant : « Je m’en
remettrai parce que je suis forte. »
Que ses larmes soient motivées par
l’émotion, la tristesse, la colère, la vo-
lonté de faire passer un message ou l’in-
capacité à le faire, désormais l’homme
politique « normal » pleure. Pleurer, oui,
mais sans se laisser déborder par l’émo-
tion. « Beaucoup évitent de le faire car ils
ne maîtriseraient pas l’exercice », estime
Anne Vincent-Buffault. Car bien pleurer
en politique, c’est tout un art. Il ne faut ni
trop en faire ni pas assez. Ni montrer un
visage congestionné, ni laisser entendre
une voix brisée. En fait, il faut pleurer
comme Obama. p
¶
à lire
« l a f rance de s
l arm e s . de uil s
pol itique s à
l’âg e r oman tique
(1814- 1840) »
d’Emmanuel Fureix
(Champ Vallon,
2009).
« h istoire
de s l arm e s »
d’Anne
Vincent-Buffault
(Petite Bibliothèque
Payot, 2001).
« l e se xe
de s l arm e s »
de Patrick Lemoine
(Robert Laffont,
2002).
Leboncoin : la grande offensive
▶ Créé il y a dix ans, ▶ La filiale du norvégien ▶ Après l’immobilier et
le site est devenu l’un Schibsted va faire peau l’automobile, Leboncoin
des plus consultés neuve en février afin veut devenir numéro
de France, juste derrière de s’adapter aux portables un sur le marché
Google et Facebook et poursuivre son essor des annonces d’emplois
Renault pris à son tour
dans l’affaire du diesel
GRIPPE AVIAIRE PERTES & PROFITS | CASINO–CARREFOUR
LE GOUVERNEMENT GÈLE
LA PRODUCTION DES L’adieu à l’Asie
ÉLEVAGES DE CANARDS
DANS LE SUD-OUEST
V
oilà des décennies que ces deux-là
se chamaillent, mais cette fois ils
sont d’accord. Casino et Carrefour
→ LIR E PAGE 6
ne rêvent plus d’Orient. Jeudi 14 jan-
vier, Casino a surpris son monde en annonçant
la vente de son plus bel actif asiatique, sa
AUDIOVISUEL chaîne de supermarchés thaïlandais Big C. De
CANAL+ ACCÉLÈRE son côté, Carrefour a confirmé vendredi 15 jan-
vier la chute de ses ventes en Asie, et particuliè-
SON DÉVELOPPEMENT rement en Chine.
En décembre 2015, Casino avait déjà fait part
EN AFRIQUE de son intention de quitter le Vietnam, mais
cette fois il lâche sa pépite. Une entreprise valo-
→ LIR E PAGE 8 risée 4,3 milliards d’euros et dont il détient
58 % du capital. Mais priorité au redressement
financier. Le groupe Casino est lesté d’une
dette de 7,8 milliards d’euros, son cours de
Bourse a perdu la moitié de sa valeur en un an
et il a même reçu, en décembre, la visite d’un
nouveau loup de Wall Street lâchant quelques
boules puantes sous la forme d’une étude fus-
tigeant l’endettement et l’opacité du groupe
qui ont effrayé les investisseurs.
Il fallait donc agir. En mettant en vente son im-
plantation dans le royaume de Siam, constitué
en partie avec des actifs achetés à Carrefour, il
J CAC 40 | 4305 PTS – 1,59 % accélère son plan de désendettement. Au total,
le retrait de la Thaïlande et du Vietnam devrait
j DOW JONES | 16 379 PTS + 1,41 %
lui rapporter plus de 3 milliards d’euros. De quoi
j EURO-DOLLAR | 1,0886 relâcher sérieusement la pression.
J PÉTROLE | 30,28 $ LE BARIL Mais le groupe quitte dans le même temps
une région qui, en dépit du ralentissement chi-
K TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 0,88 %
nois, reste la plus dynamique du globe, et une
VALEURS AU 15/01 À 9H30 entreprise qui contribue de façon non négli-
Cahier du « Monde » No 22084 daté Samedi 16 janvier 2016 - Ne peut être vendu séparément
▶ Un nouveau dispositif
publicitaire va être créé
pour mieux monétiser
l’audience
→ LIR E PAGE 2
▶ L’action du
constructeur
automobile
a perdu 10 % jeudi
▶ Les émissions
polluantes se-
raient trois à cinq
fois supérieures
aux normes sur
certains modèles
▶ Aucun logiciel
« tricheur » n’a
été décelé
→ LIR E PAGE 3
geable aux bénéfices du groupe, 18,5 % du ré-
sultat opérationnel selon les analystes d’Oddo.
La Thaïlande et le Vietnam comptent parmi les
filiales les plus rentables du groupe. Mais il
faut savoir aussi arbitrer entre son bilan et son
compte d’exploitation, entre les revenus
d’aujourd’hui et la stabilité à plus long terme.
Chemin de croix
C’est ce qu’a fait Georges Plassat quand il est
arrivé à la tête de Carrefour en 2012, soldant
une grande partie de ses actifs asiatiques. Il lui
reste essentiellement une activité en Chine
qui reste son chemin de croix. Les ventes se
sont effondrées de 13,5 % à magasins compara-
bles. Un autre mythe s’écroule, celui de la mon-
tée irrépressible de la consommation dans
l’empire du Milieu.
Au final, le Savoyard (Carrefour a été créé à
Annecy en 1959) et le Stéphanois se retrouvent
avec un profil de plus en plus similaire. Une
forte présence en France et en Europe et une
expansion internationale qui se résume à
l’Amérique latine. Les deux y affichent des po-
sitions solides, mais la région est notoirement
fragile. Pas de chance, le Brésil est la première
victime du ralentissement… chinois.
Heureusement, il y a l’Europe et la France. Les
ventes se maintiennent, voire reprennent, no-
tamment en Espagne et en Italie. Voici donc le
nouveau paradigme de 2016. Un monde trou-
blé qui, sur le plan économique, sera peut-être
sauvé par la reprise du Vieux Continent. p
philippe escande
Emploi : les
patrons exigent
plus que
des mesurettes
L undi 18 janvier, François
Hollande doit présenter de-
vant le Conseil économi-
que, social et environnemental
les détails de son « plan d’ur-
gence » pour l’emploi. Objectif :
enrayer enfin la progression du
chômage, qui touche au total plus
de 5,4 millions de personnes. Et,
ainsi, occuper le terrain sur le
front économique, l’une des prin-
cipales préoccupations des Fran-
çais, à peine plus d’un an avant
l’élection présidentielle.
Une intention bien accueillie
par les chefs d’entreprise. « Toute
prise de conscience de la nécessité
de s’intéresser à l’emploi est à sa-
luer », relève Anne-Charlotte Fre-
denucci, à la tête du groupe De-
roure, une PME familiale du Mai-
ne-et-Loire.
Les pistes pour l’heure évo-
quées par l’exécutif peinent tou-
tefois à convaincre. « Mon princi-
pal problème pour créer davan-
tage d’emplois, c’est la complexité
administrative », insiste Mme Fre-
denucci. Quant aux aides à l’em-
bauche, elles sont jugées moins
lisibles que les baisses de charges.
« Quand je recrute un jeune ingé-
nieur, il met en moyenne trois ans
à être complètement opération-
nel. Ce n’est pas une prime qui va
décider de mon choix », indique
Bruno Grandjean, le PDG de Re-
dex, un fabricant de machines-
outils. p
→ LIR E PAGE 4
2
MILLIARDS D’EUROS
C’EST LE COÛT ÉVOQUÉ POUR LE
HAMILTON/REA PLAN EMPLOI QUI SERA ANNONCÉ
LUNDI PAR LE GOUVERNEMENT
DJIHADISME
Un hors-série du « Monde » et de France Info
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2 | plein cadre
Leboncoin, ringard mais efficace
O
n trouve de tout sur
Leboncoin.fr : des petites
cuillères et des avions d’oc-
casion, des vinyles d’André
Verchuren ou un château
dans les Yvelines (à 12 mil-
lions d’euros), des météorites, un CDI pour
trier des œufs en Ille-et-Vilaine, des chiens,
des locations de vacances, un crachoir den-
taire de 1885, des arbres, des poignées de
cercueil, quelques produits volés, sans
oublier de nombreux ratons laveurs… en pe-
luche. Toute la France dans une immense
brocante virtuelle.
On trouve de tout, et on en trouvera de plus
en plus. Dix ans après sa création, en
avril 2006, le site est devenu archi-leader des
petites annonces entre particuliers en
France, et il ne compte pas en rester là. Avec
23 millions de visiteurs uniques par mois, un
score en hausse de 10 % en un an, Leboncoin
se situe déjà parmi les cinq sites les plus con-
sultés dans l’Hexagone, derrière Google,
Facebook, Orange et Microsoft, au coude-à-
coude avec Dailymotion et Amazon. Un Fran-
çais sur trois s’y connecte chaque mois.
Filiale du norvégien Schibsted, le site passe
à présent à l’offensive pour couvrir de nou-
veaux secteurs, rajeunir son image et mieux
profiter financièrement de son incroyable
puissance. « Un grand virage », résume son
directeur général, Antoine Jouteau, qui pré-
pare pour début février une conférence sur
les innovations maison, sur le modèle des
« keynotes » d’Apple ou de Google. Il y sera
question de messagerie, de géolocalisation
ou encore d’acquisitions : après Kudoz (re-
cherche d’emploi) en septembre, la société
compte bien investir dans d’autres jeunes
pousses tricolores. « On analyse des dossiers
tous les mois », confie le directeur.
Première étape de cette offensive : Lebon-
coin va faire peau neuve, début février, avec
un logo modernisé, et surtout un site plus
adapté aux téléphones mobiles. Celui-ci est
en phase de test. Plus de 55 % des consulta-
tions passent déjà par les mobiles, un taux
qui pourrait monter à 70 % en fin d’année.
Face à ce basculement, il devenait urgent de
revoir le site.
Deuxième point-clé : un coup d’accéléra-
teur sur le marché du travail. Leboncoin est
très présent dans l’automobile, les biens de
consommation en général, et l’immobilier.
L’emploi constitue sa nouvelle frontière.
Dans ce domaine, le site pèse déjà lourd, avec
quelque 190 000 offres d’emploi en ligne, qui
trouvent en moyenne preneur au bout de
treize jours. A cette aune, « nous sommes plus
gros qu’un spécialiste comme Monster.fr »,
Ouvert en 2006, le site de petites
annonces est devenu l’un
des plus consultés de France.
Il lance aujourd’hui une
offensive pour s’imposer sur
le marché de l’emploi et mieux
monétiser son audience
note M. Jouteau. Le marché reste cependant
très éclaté, avec des concurrents comme Ca-
dremploi, Regionsjob ou encore LinkedIn. Il
y a donc une place à prendre, estiment les di-
rigeants de Leboncoin. La première, évidem-
ment. D’autant que, à 95 %, les offres dépo-
sées actuellement concernent des postes
d’employés ou d’ouvriers. Les cadres repré-
sentent à peine 5 % du total, ce qui ouvre là
aussi un vaste champ d’action.
UN CLIC SUR UNE RÉGION
Le projet de M. Jouteau est clair : « Nous vou-
lons imposer Leboncoin comme le réflexe en
matière d’emploi. » Il rencontre depuis quel-
ques semaines tous les grands recruteurs,
comme Pole Emploi. Objectif : signer des
contrats avec les entreprises à la recherche
de beaucoup de personnel, et mettre en
place des outils technologiques pour diffu-
ser automatiquement leurs annonces. « L’ar-
mée de terre, avec qui nous sommes en négo-
ciation, ou Carrefour ne vont pas saisir les
postes à pourvoir un par un », explique le
directeur général.
De quoi donner des frayeurs aux acteurs
déjà présents sur ce marché. « Quand Lebon-
coin s’intéresse à un domaine, il est en mesure
de carboniser la concurrence », constate Yves
Marin, consultant chez Kurt Salmon, im-
pressionné par l’« essor fulgurant » du site.
Créée à partir de rien en 2006, l’entreprise
tient aujourd’hui la dragée haute dans
l’Hexagone à un groupe américain comme
l’ancienne star eBay.
Ce succès, Leboncoin le doit un peu à la
crise, qui favorise l’essor du marché de l’occa-
sion, et beaucoup à sa simplicité d’utilisa-
tion, comme Google. « Pour les particuliers
qui veulent vendre quelque chose, il n’y a pas
de meilleure solution », relève Jérôme Colin,
du cabinet de conseil Roland Berger. Sur la
page d’accueil, une carte de France rudimen-
taire. Un clic sur une région, et toutes les an-
nonces apparaissent. Les trier est facile. Pour
les particuliers, tout est gratuit, acheter
comme vendre. Le site se contente de diffu-
ser les annonces. Aux intéressés, ensuite, de
se retrouver chez l’un, chez l’autre ou au café
du coin pour échanger les vieux disques de
Verchuren contre quelques billets.
« C’est formidable !, s’exclame Marie, une
Parisienne qui vient de se débarrasser d’une
partie de sa bibliothèque grâce au site. J’ai
vendu un sac de 100 romans pour 30 euros, et
l’acheteur s’est déplacé jusqu’à chez moi. En
plus, il n’y a pas de taxe, puisque la transaction
s’effectue de la main à la main, sans passer par
Leboncoin. Sur Amazon, il faut payer la TVA. »
Tout est gratuit ? En réalité, pas vraiment.
La réussite de Leboncoin repose sur un mo-
dèle mixte. L’essentiel des services est effec-
tivement gratuit, de façon à attirer un maxi-
mum d’internautes. Mais quelques presta-
tions sont payantes, pour que le site gagne sa
vie. Ainsi, les entreprises qui déposent des
offres doivent payer. Même règle pour les
marques qui placent des bannières publici-
taires. Enfin, tous les vendeurs peuvent faire
remonter leurs annonces dans la liste
moyennant quelques euros.
Ce cocktail « freemium », le même que celui
adopté par certains journaux, se révèle très
efficace. Au cours des neuf premiers mois de
2015, Leboncoin a vu son chiffre d’affaires
grimper de 18 %. Son excédent brut d’exploi-
tation représente… 64 % de ses ventes. Crois-
sance, rentabilité : la recette est si tonique
qu’à elle seule la jeune société française, avec
ses 350 personnes, vaut selon les analystes
« QUAND LEBONCOIN 2,5 à 3 milliards d’euros. Soit 40 % à 50 % de
S’INTÉRESSE l’ensemble du groupe Schibsted, un poids
lourd norvégien des médias, fondé en 1839,
À UN DOMAINE, qui compte 6 800 salariés et des dizaines de
sites similaires dans le monde ! Portée par le
IL EST EN MESURE succès de Leboncoin, l’action Schibsted a tou-
DE CARBONISER ché fin novembre le plus haut niveau de son
histoire, avant de redescendre un peu.
LA CONCURRENCE » En 2015, la marge de Leboncoin a bien légè-
rement fléchi, en raison des investissements
YVES MARIN réalisés. Mais ce n’est sans doute que mo-
consultant chez Kurt Salmon mentané. Le programme de 2016 prévoit une
importante initiative pour « monétiser » da-
vantage l’énorme audience. « Nous allons lan-
cer un concurrent de Google AdWords à la fin
du premier trimestre », annonce M. Jouteau.
Le système d’achat de mots-clés de Google,
grâce auquel les annonceurs peuvent cibler
les internautes intéressés par des thèmes pré-
cis, assure la fortune du moteur de recherche
américain. Leboncoin veut faire de même.
0123
SAMEDI 16 JANVIER 2016
Au siège
de Leboncoin,
à Paris.
KARIM
DAHER/RESERVOIR
PHOTO
« Avec une simple carte bancaire, une PME
pourra acheter des espaces publicitaires qui
seront visibles sur une zone de chalandise et
pour ceux qui auront tapé ces mots-clés »,
détaille le directeur. Un test est en cours.
L’horizon de Leboncoin n’est pas exempt
de nuages pour autant. D’une part, il fait par-
tie des sites qui se trouvent dans le viseur de
Bercy, qui cherche à récupérer une partie des
revenus des usagers de l’économie collabo-
rative. Des mesures sont attendues dans la
future loi de Myriam El Khomri, la ministre
du travail, à la suite du rapport du député (PS)
Pascal Terrasse.
L’IMMOBILIER MOBILISÉ
D’autre part, les concurrents ne restent pas
inertes. Face à la montée de Leboncoin,
désormais numéro un devant Seloger.com,
les acteurs de l’immobilier (agences, admi-
nistrateurs de biens, promoteurs, syndicats,
etc.) ont créé ensemble le 7 décembre 2015 un
site dénommé Bien’ici. Objectif : récupérer
une partie des annonces immobilières
aujourd’hui captées par leur concurrent
franco-norvégien.
« Leboncoin est payé en partie par les agen-
ces, qui y publient leurs annonces, si bien que
la profession immobilière encourage ses con-
currents », commente Laurent Vimont, prési-
dent de Century 21. La décision de lancer un
site propre est donc « une initiative pour ne
pas vivre ce qu’ont subi les hôteliers ou les
agents de voyages, avec des intermédiaires
comme Booking.com qui ont pris tellement
d’importance qu’ils dictent leurs règles », affir-
me-t-il. « Nous devions reprendre en main no-
tre avenir, avec un outil qui nous appartienne,
et éviter que de nouveaux entrants puissent
mettre un péage devant l’agence immobi-
lière », ajoute M. Vimont. Bien’ici propose
déjà plus de 500 000 biens et vise 1 million
d’annonces à la fin juin.
Enfin, la puissance même de Leboncoin
limite sa progression. « Le site a déjà une forte
pénétration, le nombre de ménages n’aug-
mente guère et tous ne veulent pas vendre ou
acheter d’occasion, note M. Colin. On peut
donc imaginer un ralentissement… sauf à s’in-
téresser à de nouveaux types de produits. »
Le groupe a fait une croix sur les armes, les
rencontres et les parfums, des marchés jugés
trop compliqués. Mais après l’emploi, il pour-
rait débarquer en force dans l’enseignement,
les services à la personne ou encore les évé-
nements locaux, pour remplacer les affichet-
tes scotchées dans les boulangeries. La saga
est loin d’être finie. p
denis cosnard
et cécile prudhomme
0123
SAMEDI 16 JANVIER 2016 économie & entreprise | 3

Renault pris dans la tourmente des gaz polluants

L’hypothèse de la triche est écartée, mais des dépassements des normes d’émissions sont constatés

D
eux milliards et demi
d’euros de capitalisa-
tion boursière partis
en fumée en une seule
séance ? C’est un tract de la CGT
qui a provoqué l’emballement des
marchés. Jeudi 14 janvier, Renault
a vu son cours de Bourse dévisser
de 10,2 %, et jusqu’à 22 % à la mi-
journée, après la révélation d’une
triple perquisition des locaux du
constructeur, menée par la Direc-
tion générale de la concurrence,
de la consommation et de la ré-
pression des fraudes (DGCCRF) les
7 et 8 janvier.
Le groupe français a entraîné
avec lui l’ensemble du secteur, et
notamment PSA, qui a vu son ti-
tre chuter de 5 % en fin de séance,
malgré l’absence de perquisi-
tions. « Il était coupable par asso-
ciation », glisse un analyste… A ce
rythme, l’Etat n’est pas prêt de cé-
der les 4 % de capital de Renault
achetés au mois d’avril 2015, un
engagement de cession pourtant
réitéré début décembre.
La révélation fin septembre
d’une tricherie du groupe Volk-
swagen, qui a installé à bord de
certains de ses modèles un logi-
ciel faussant les tests d’émissions
de gaz polluants, entretient
autour des constructeurs un cli-
mat de suspicion. Le grand public
et les milieux financiers sont dé-
sormais sur leur garde, tandis que
les pouvoirs publics multiplient
les contrôles.
L’annonce d’une perquisition
des sites de Lardy dans l’Essonne,
dans lesquels sont étalonnés les
nouveaux moteurs de Renault,
ainsi qu’au Technocentre, qui
conçoit ces mêmes moteurs, et
au siège social, où sont installés
les dirigeants de la direction de
COURS DE L’ACTION RENAULT
LE 14 JANVIER, EN EUROS
85,33
77,75
‒ 10,3 %
9 HEURES 17 H30
SOURCE : BLOOMBERG
Tests d’émission des gaz d’échappement chez Renault. DIDIER MAILLAC/REA
l’ingénierie, a mis le feu aux
poudres.
Pour calmer le jeu, deux minis-
tres sont montés au créneau pour
dédouaner le constructeur fran-
çais. Le cas de Renault ne repré-
sente « en aucun cas une situation
comparable » à celle du construc-
teur automobile allemand Volk-
swagen, embourbé depuis sep-
tembre 2015 dans un scandale pla-
nétaire de moteurs truqués, a as-
suré Emmanuel Macron depuis
Berlin.
« Pas de logiciel de fraude »
Selon le ministre de l’économie,
ses services ont procédé « à plu-
sieurs contrôles et perquisitions
depuis le mois de septembre der-
nier afin de vérifier la fiabilité et la
qualité des informations transmi-
ses au consommateur ». « Renault
a été l’un des constructeurs contrô-
lés », a-t-il ajouté.
« Je tiens à dire très fermement
qu’il n’y a pas de logiciel de
fraude », a répété pour sa part, pas
moins de quatre fois, Ségolène
Royal, lors d’un point presse jeudi
après-midi, à l’issue de la réunion
de la commission technique indé-
pendante chargé d’évaluer les
émissions des véhicules.
La ministre du développement
durable a ensuite martelé que
« ces perquisitions ne sont pas di-
rectement liées à l’enquête menée
par une commission technique in-
dépendante mise en place par le
gouvernement français, et chargée
de vérifier que les constructeurs
n’ont pas équipé leurs véhicules de
logiciels équivalents à ceux de
Volkswagen ». Cependant, con-
firme une source proche de la
commission, la DGCCRF, membre
de cette commission, a assuré
avoir pris ces tests en compte
dans son enquête sur Renault.
Si l’enquête de cette commis-
sion confirme l’absence d’un logi-
ciel truqueur, elle pointe un « dé-
passement de normes » pour le
CO2 et les oxydes d’azote de véhi-
cules de Renault, comme de plu-
sieurs autres marques étrangères.
Les véhicules de Peugeot et Ci-
troën, en revanche, respectent les
normes d’émissions. La firme au
losange semblait déjà au courant
de ces données, puisque ses repré-
Le cas de Renault
ne représente
« en aucun cas
une situation
comparable »
à celle de
Volkswagen
EMMANUEL MACRON
ministre de l’économie
sions de polluants, il le doit au
choix de la technologie de dépol-
lution de ses moteurs diesel. Re-
nault a opté très tôt pour le « Nox-
Trap », un filtre qui récupère les
oxydes d’azote. C’est un système
deux fois moins cher que le sys-
tème SCR choisi par ses concur-
rents, notamment PSA.
Problème, le « NoxTrap » est
moins efficace à froid, au démar-
rage, et laisse donc passer plus de
particules. « Si nous avons fait le
choix de cette technologie, ce
n’est pas seulement du fait de son
coût, plaide-t-on chez Renault.
Nous travaillons depuis de nom-
breuses années à la dépollution
des moteurs non seulement via
un post-traitement des fumées,
mais aussi en réinjectant une par-
tie des gaz polluants dans le
moteur. »
La « confiance » de Mme Royal
sentants ont rencontré des mem- 50 millions d’euros supplémen- Techniques, ces explications de-
bres du ministère du développe- taires. Le constructeur français vront surtout convaincre la
ment durable à ce sujet, sans en admettait ainsi implicitement commission indépendante. Le
tenir au courant les ONG siégeant un trop grand écart entre les constructeur doit expliquer dès
à la commission, confie une tests d’homologation et la réa- la semaine prochaine la raison
source. lité. A l’automne, l’ONG alle- du dépassement des émissions,
Avant même la fin des tests et mande DÜH avait alerté l’opi- ainsi que les mesures qu’il en-
l’épisode de jeudi, Thierry Bol- nion publique sur le cas de la tend mettre en œuvre. Sans at-
loré, le directeur général délégué nouvelle Espace qui surpassait tendre les résultats de cette audi-
de Renault avait annoncé le de beaucoup le niveau d’oxyde tion, la ministre de l’écologie a
17 décembre 2015, dans Le Figaro, d’azote autorisé. estimé que Renault doit réagir
sa volonté d’améliorer les systè- Si le constructeur français a dès maintenant pour mettre ses
mes de dépollution de ses mo- aujourd’hui des difficultés à res- moteurs aux normes. « Je fais
teurs en investissant, dès 2016, pecter les normes sur les émis- confiance à ce grand industriel
français », a-t-elle déclaré.
Quant à un éventuel rembour-
sement par la firme au losange
Fiat Chrysler incriminé aux Etats-Unis des aides accordées aux véhicules
les moins polluants, Mme Royal a
Le constructeur automobile italo-américain Fiat Chrysler Auto- considéré que ce n’était pas à l’or-
mobiles (FCA) s’est retrouvé dans la tourmente jeudi 14 janvier dre du jour.
après que deux de ses concessionnaires américains l’ont accusé Une manière d’essayer d’apaiser
de truquer ses chiffres de ventes aux Etats-Unis. Le groupe auto- le débat, de rassurer tant les mar-
mobile aurait mis en place un programme spécial lié à la perfor- chés que les clients. Et surtout les
mance baptisé « VGP ». Celui-ci inciterait les concessionnaires du actionnaires dont l’Etat. Vendredi
groupe à falsifier leurs ventes à la fin du mois contre une rému- à la Bourse de Paris, à l’ouverture,
nération déguisée en aides publicitaires et marketing, selon le l’action Renault tentait de repren-
texte de la plainte consultée par l’AFP. Fiat Chrysler est « con- dre des couleurs. p
vaincu que la plainte est infondée », a réagi le constructeur auto- dominique gallois,
mobile. En 2015, FCA a écoulé 2 millions d’unités aux Etats-Unis, philippe jacqué
en hausse de 7 % sur un an. et laetitia van eeckhout,

Les tests vont concerner douze constructeurs automobiles

I l n’y a pas de logiciel de fraude

sur les voitures Renault », a
assuré la ministre de l’écolo-
gie, Ségolène Royal, jeudi 14 jan-
vier, à l’issue d’une réunion de la
commission indépendante char-
gée d’encadrer et d’évaluer les
tests sur les véhicules diesel lan-
cés en France après le scandale
Volkswagen.
En soulignant l’absence de
fraude, la ministre a pour souci
principal de rappeler l’objectif
premier de ces tests, qu’elle a elle-
même demandés le 1er octo-
bre 2015. Il s’agissait d’identifier
les véhicules potentiellement
équipés d’un système de leurre, à
l’instar du logiciel installé sur
certains modèles de l’allemand
Volkswagen.
Le principe des tests, élaborés et
réalisés par l’UTAC-Ceram, l’orga-
nisme français de certification
des véhicules, est de déjouer un
tel système de fraude. Celui-ci a
pour caractéristique de faire
fonctionner différemment les
moteurs selon qu’ils sont testés
sur route ou en laboratoire. A
cette fin, les véhicules contrôlés,
fournis par une société de loca-
tion de voitures, subissent des es-
sais dans les conditions classi-
ques des tests d’homologation
qui comprennent un passage sur
un banc à rouleau en laboratoire,
puis sur une piste. Mais avec des
Opel, Volvo,
Nissan, Suzuki
et Fiat
vont désormais
faire l’objet
d’investigations,
en plus
de sept autres
marques
paramètres toutefois modifiés,
afin d’identifier les types de leur-
res potentiels. Sur piste, les véhi-
cules sont équipés d’un système
portable mesurant les émissions
(PEMS), d’oxydes d’azote (NOx) et
de CO2.
Initialement, l’UTAC-Ceram
n’envisageait que de relever les
émissions de NOx, le principal
polluant incriminé dans l’affaire
du constructeur allemand. Mais
« le scandale Volkswagen a jeté la
lumière sur un problème généra-
lisé de non-respect des normes en
Europe où les émissions de CO2
sont 40 % supérieures et les émis-
sions de NOx cinq fois plus élevées
en moyenne », ont rappelé France
Nature Environnement (FNE) et le
Réseau Action Climat (RAC), les
deux ONG environnementales
membres de la commission de
suivi de l’opération, faisant ainsi
valoir la nécessité de prendre en
compte les émissions de CO2.
Ces ONG ont également de-
mandé et obtenu que puissent
être aussi effectués, ne serait-ce
que sur une partie des voitures
contrôlées, des tests de mesures
« en conditions réelles de conduite,
sur route ouverte », pour connaî-
tre les émissions réelles. « La com-
mission s’est donné la transpa-
rence pour mission. Il est donc es-
sentiel de mesurer la véritable pol-
lution des voitures », insiste
Lorelei Limousin, du RAC.
Une transparence « nécessaire »
Eprouvé sur une première dizaine
de voitures de sept marques diffé-
rentes – Volkswagen, PSA, Re-
nault, Toyota, Ford, BMW, Merce-
des –, ce protocole d’essais a défi-
nitivement été arrêté jeudi par la
commission indépendante de
suivi. Les investigations doivent
maintenant se poursuivre pour
atteindre un échantillon de 100
véhicules, cinq autres construc-
teurs devant être ajoutés – Opel,
Volvo, Nissan, Suzuki et Fiat.
Si les tests effectués sur les pre-
mières voitures n’ont décelé, se-
lon la ministre, aucun logiciel de
fraude, hormis sur les véhicules
Volkswagen, ils ont toutefois
montré « un dépassement des nor-
mes » de NOx et de CO2 sur les véhi-
cules Renault, comme « plusieurs »
autres constructeurs étrangers, a-
t-elle indiqué sans toutefois révé-
ler l’importance des écarts consta-
tés. « Toutes les conclusions, a-t-
elle dit, seront publiées à l’issue de
l’ensemble des tests ». « Les autres
Etats membres vont tous commu-
niquer au fur et à mesure de la réa-
lisation de leurs tests », déplore
Charlotte Lepitre, de FNE, qui rap-
pelle pourtant que la France est le
premier à avoir lancé un contrôle
des émissions des véhicules après
le scandale Volkswagen.
Selon le député écologiste Denis
Baupin, membre aussi de la com-
mission, les dépassements obser-
vés sont « au moins d’un facteur
de 3 à 5 par rapport aux normes ».
« D’ores et déjà, la commission a
montré sa pertinence, car elle a
mis en évidence des situations plus
qu’anormales. C’est avant tout à
Renault et aux autres construc-
teurs de jouer la transparence et
d’expliquer le pourquoi de ces
écarts, juge le député de Paris.
Cette transparence est nécessaire
et attendue. »
Pour Lorelei Limousin, « les
écarts significatifs constatés ne
font que rappeler l’urgence qu’il y a
à mettre en place des contrôles
d’homologation indépendants et
en conditions réelles de conduite,
afin de dissuader les constructeurs
de tricher ou d’optimiser leurs vé-
hicules à outrance. » Dans un en-
tretien au Parisien, vendredi
15 janvier, Ségolène Royal appelle
elle aussi à une remise en cause
des normes d’homologation, res-
ponsable selon la ministre des dé-
passements constatés sur les vé-
hicules de Renault. p
l. v. e.
4 | économie & entreprise
Sur l’emploi,
les patrons
réclament un
« électrochoc »
Lundi 18 janvier, François Hollande
présentera un plan d’urgence
contre le chômage
I
l s’agira d’un « plan d’ur-
gence » pour l’emploi. Rien
de moins. Lundi 18 janvier,
François Hollande devrait
présenter devant le Conseil éco-
nomique, social et environne-
mental, les détails des mesures
annoncées lors de ses vœux aux
Français, le 31 décembre 2015.
Objectif : enrayer enfin la progres-
sion du chômage, qui touche au
total plus de 5,4 millions de per-
sonnes. Et ainsi, occuper le terrain
sur le front économique, l’une des
principales préoccupations des
Français, à peine plus d’un an de
l’élection présidentielle.
Sur le terrain, l’intention est
bien accueilli par les chefs d’entre-
prise. « Toute prise de conscience
de la nécessité de s’intéresser à
l’emploi est à saluer », relève Anne-
Charlotte Fredenucci, à la tête du
groupe Deroure, une PME fa-
miliale du Maine-et-Loire qui
conçoit et fabrique des ensembles
câblés, comme les commandes de
vol du Rafale.
Les pistes pour l’heure évo-
quées par l’exécutif
– 500 000 formations supplé-
mentaires pour les chômeurs,
une (nouvelle) prime à l’embau-
che pour les TPE-PME, et un élar-
gissement de l’accès à l’appren-
tissage – peinent toutefois à con-
7 000
C’est le nombre de TPE qui ont bénéficié de l’aide à l’embauche de
4 000 euros (sur deux ans) pour le recrutement d’un premier salarié
en CDI ou en CDD de plus de douze mois, selon les chiffres du minis-
tère du travail. Cette mesure faisait partie du plan annoncé par
Manuel Valls en juin 2015 pour stimuler l’embauche dans les PME et
TPE. Le gouvernement envisagerait de mettre en place une nouvelle
prime de 2 000 euros en 2016, pour l’embauche d’un salarié payé jus-
qu’à 1,3 smic par une PME, selon Reuters.
Le plan de formation des chômeurs suscite des réserves
Les 500 000 formations annoncées par le chef de l’Etat concerneraient les secteurs qui peinent à recruter et les métiers d’avenir
C’ est l’une dispositions-
phare du « plan d’ur-
gence » pour l’emploi
que François Hollande devrait dé-
tailler, lundi 18 janvier : assurer,
en 2016, 500 000 formations sup-
plémentaires en faveur des per-
sonnes à la recherche d’une acti-
vité. Un objectif très ambitieux
– irréaliste, même, disent certains.
L’idée du chef de l’Etat revient à
amplifier un programme qui
semble avoir plutôt bien marché :
les « formations prioritaires », lan-
cées en 2013, dont le nombre de
bénéficiaires a été augmenté, an-
née après année (30 000, ensuite
100 000, puis 150 000). Elles
s’adressent à des demandeurs
d’emploi dans des « secteurs en
tension » où un besoin de recrute-
ment a été identifié.
Selon une étude publiée en sep-
tembre 2015 par Pôle emploi, 57 %
des personnes qui sont passées
par ce dispositif ont retrouvé du
travail six mois après en être sor-
ties. Dans près de 75 % des cas, il
s’agit d’un CDI, d’un CDD ou
vaincre, alors que le ministre des
finances, Michel Sapin, a indiqué,
jeudi 14 janvier, qu’un coût de
2 milliards d’euros évoqué pour
ce nouveau plan emploi n’était
« pas loin de la vérité ».
« Concurrence déloyale »
« Ce n’est pas à la hauteur de l’en-
jeu. Un plan de formation, c’est très
bien, mais cela reste homéopathi-
que. C’est d’un électrochoc dont le
pays a besoin ! », martèle Bruno
Grandjean, le PDG de Redex, un
fabricant de machines-outils ins-
tallé à Ferrières-en-Gâtinais (Loi-
ret) et Senonches (Eure-et-Loir).
« Mon principal problème pour
créer davantage d’emploi, c’est la
complexité administrative »,
insiste Mme Fredenucci. « Nous
venons de passer les 300 salariés et
nous connaissons une forte crois-
sance. Mais compte tenu des obli-
gations que cela implique
– comme le renforcement de la
base de données économique et so-
ciale [qui renseigne les représen-
tants du personnel sur l’état de
l’entreprise] –, si j’étais en difficulté,
je préférerais rester à 299 plutôt
que 302 ! », admet la dirigeante, qui
a recruté une trentaine de person-
nes en 2015.
Autre grief récurrent : les baisses
de charges. Dans une tribune pa-
d’une mission d’intérim de plus
de six mois.
La cible visée par M. Hollande est
plus large : outre les domaines d’ac-
tivité qui peinent à embaucher,
sont aussi visés les métiers d’ave-
nir (transition énergétique, etc.).
Tour de passe-passe ?
Personne ne conteste la nécessité
de renforcer la formation des chô-
meurs. Mais le projet du président
de la République soulève beau-
coup de questions. « Sur le plan
quantitatif, c’est impossible d’ac-
complir un saut de 500 000 stages
en plus », fait-on valoir dans l’en-
tourage du président du Medef,
Pierre Gattaz.
La marche est trop haute :
en 2013, près de 644 000 deman-
deurs d’emplois ont débuté une
formation, selon la Dares (un ser-
vice du ministère du travail). L’ob-
jectif fixé par le chef de l’Etat cor-
respond à un accroissement de
plus de 70 % des effectifs. « Notre
système n’a ni les structures ni les
compétences requises pour s’occu-
rue le 10 janvier dans le Journal du
dimanche, les présidents du
Medef, de l’Association française
des entreprises privées (AFEP) ou
encore de CroissancePlus, récla-
ment une exonération totale de
cotisations sociales patronales
durant deux ans pour toute nou-
velle embauche dans les petites
entreprises, et une exonération
sociale totale pour tout recours à
un alternant (apprenti ou contrat
de professionnalisation).
Des mesures, selon eux, plus li-
sibles que les aides à l’embauche.
« Quand j’embauche un jeune ingé-
nieur, il met en moyenne trois ans à
être complètement opérationnel. Ce
n’est pas une prime qui va décider de
mon choix », indique M. Grandjean.
« C’est la baisse des charges qui don-
nerait à notre pays de la compétiti-
vité à long terme », confirme Phi-
lippe Petitcolin, le directeur géné-
ral du motoriste Safran, l’un des
poids lourds du CAC 40, qui em-
per d’un tel flux », estime Gilbert
Cette, professeur d’économie à
l’université d’Aix-en-Provence.
« Si on veut former des deman-
deurs d’emplois à bas niveau de
qualifications, ça ne se fait pas en
quelques jours », complète Jean
Wemaëre, président de la Fédéra-
tion de la formation profession-
nelle (FPP).
Les mauvaises langues font
aussi remarquer que les chômeurs
entrant en formation sont comp-
tabilisés dans la catégorie D de
Pôle emploi et non pas dans la ca-
tégorie A – celle qui fait référence
quand les données sur le chômage
sont publiées, chaque mois. Y a-t-il
un tour de passe-passe pour dé-
gonfler artificiellement les chif-
fres ? « On peut faire cette lecture »,
confie le président de la CGPME,
François Asselin. « Nous ne som-
mes pas dans le traitement statisti-
que du chômage », avait rétorqué,
le 5 janvier, la ministre du travail,
Myriam El Khomri.
Pour financer ce « plan d’ur-
gence », tous les acteurs concer-
ploie près de 42 000 personnes
dans l’Hexagone.
Dans les TPE, les artisans ont des
préoccupations plus concrètes
encore. A la tête d’une petite en-
treprise de rénovation pari-
sienne, Olivier (qui a souhaité gar-
der l’anonymat) n’a pas renouvelé
les trois CDD qu’il employait
en 2015. « Notre principal pro-
blème pour nous développer, et
donc embaucher, c’est la concur-
rence déloyale des travailleurs des
pays de l’Est, Pologne, Roumanie,
Bulgarie, qui se bradent pour
50 euros la journée, alors qu’un
gars déclaré nous coûte environ
22 euros de l’heure », déplore ce
quadragénaire, qui aimerait « les
mêmes bases sociales pour tous ».
Les aménagements du contrat
et du temps de travail font égale-
ment partie des doléances des
chefs d’entreprise. « En tant que
sous-traitant industriel, j’aimerais
que mes salariés puissent venir
nés par le sujet vont être mis à
contribution : l’Etat, Pôle emploi,
les conseils régionaux, les orga-
nismes gérés par les partenaires
sociaux – en particulier le Fonds
paritaire de sécurisation des par-
cours professionnels (FPSPP). Le
ministère du travail se refuse,
pour l’heure, à livrer une indica-
tion sur le coût de la mesure. La
somme d’un milliard d’euros
avait été évoquée au début du
mois par Les Echos.
L’une des inconnues se situe au
niveau des régions, « le financeur
majoritaire des formations pour
les personnes en recherche d’em-
ploi », selon la Dares (54 %
en 2013). « Sont-elles en capacité
de mettre quelque chose, sachant
qu’elles participent par ailleurs
aux actions d’apprentissage ?
s’interroge Stéphane Lardy (FO).
J’en ai discuté avec des responsa-
bles des services qui disent : “On
n’a plus un kopeck.” De plus, de
nouvelles équipes arrivent aux
commandes dans plusieurs
collectivités. Il faut leur laisser le
« C’est la baisse
des charges
qui donnerait
à notre pays de
la compétitivité
à long terme »
PHILIPPE PETITCOLIN
directeur général de Safran
plus de 39 heures durant une se-
maine, quand un client me de-
mande d’urgence une centaine de
pièces, puis leur donner un ou deux
jours la semaine suivante. Mais
notre convention collective, métal-
lurgie, nous demande de prévoir
ces pics et creux de charge très
longtemps à l’avance », regrette
Mme Fredenucci, qui rappelle que,
« dans nos métiers, un client peut
tout à fait aller chercher un four-
temps de prendre connaissance
des dossiers. »
« Nous sommes prêts à faire un
effort », assure le président de
l’Association des régions de
France (ARF), Alain Rousset (PS).
Mais il faut, à ses yeux, revoir le
fonctionnement du service pu-
blic de l’emploi, « trop émietté » à
l’heure actuelle, et confier un rôle
pivot aux régions. « La formation
des demandeurs d’emploi est no-
tre cœur de métier », renchérit le
président d’Alsace-Champagne-
Ardenne-Lorraine, Philippe Ri-
chert (LR), qui plaide pour un ren-
forcement des prérogatives des
régions.
Des vertus
Quels seront les effets d’une telle
mesure ? « Ce n’est pas la solution
magique permettant de résoudre à
court terme le problème du chô-
mage », décrypte Marc Ferracci,
professeur d’économie à l’univer-
sité Panthéon-Assas, qui rappelle
que « la formation tend à augmen-
ter la durée pendant laquelle les
0123
SAMEDI 16 JANVIER 2016
nisseur en Tunisie ou au Mexique
si nous ne pouvons pas livrer ».
Dans leur lettre commune, les
organisations patronales plaident
pour « un contrat de travail agile »,
« prévoyant des motifs de rupture
liés à la situation de l’entreprise ou
la réalisation d’un projet ». « Le
contrat de travail est un facteur qui
nous asphyxie. Ce qu’a fait Matteo
Renzi en Italie [avec sa réforme du
travail en 2015], en prévoyant des
droits du salarié qui augmentent
avec l’ancienneté, me semble une
piste intéressante », abonde M. Pe-
titcolin, chez Safran. « En France,
on a préféré le maxi-chômage aux
mini-jobs », tacle M. Grandjean.
Relance de l’apprentissage
Pour l’heure, le sujet demeure ta-
bou pour les syndicats comme
pour l’exécutif. En revanche, le
plafonnement des indemnités
prud’homales en cas de licencie-
ment sans cause réelle et sérieuse,
également appelé de leurs vœux
par les patrons, reste d’actualité.
Censurée par le Conseil constitu-
tionnel en août 2015 au motif
qu’elle constituait une rupture
d’égalité entre grandes et petites
entreprises, la mesure est au
menu des travaux de la ministre
du travail, Myriam El Khomri, qui
planche pour début mars sur une
réforme du code du travail.
Seule la relance de l’apprentis-
sage est unanimement saluée par
les chefs d’entreprise. « Mais au-
delà des mesures prises, il y a aussi
un problème culturel : cette filière
reste une voie de garage en France,
il est donc difficile de trouver des
candidats motivés », souligne
M. Grandjean, qui emploie une
quinzaine d’apprentis sur ses
250 salariés. « J’ai eu un apprenti
plombier en 2015 : il ne voulait po-
ser que des sanitaires neufs, et sur-
tout pas se mouiller ou se salir les
mains… », déplore Olivier, l’arti-
san parisien.
Certaines entreprises ont pris le
taureau par les cornes. Safran, qui
emploie 3 000 apprentis, envi-
sage d’ouvrir cette année, avec
plusieurs de ses sous-traitants
(Mecachrome, Aubert et Duval…),
sa propre école de formation dans
l’Essonne.
Reste que les nouvelles lois ne
régleront pas tout. « Les syndicats
aussi doivent évoluer, remarque
M. Petitcolin. En 2014, nous avons
eu besoin de fermer un des centres
de recherche et développement
dans notre branche sécurité en rai-
son de la chute du prix des cartes à
puces. Nous avons choisi l’Allema-
gne, les négociations syndicales
nous ont pris trois mois et la mise
en œuvre de l’accord, neuf mois. En
France, deux ans après, nous y se-
rions encore. » p
audrey tonnelier
demandeurs d’emploi n’ont
aucune activité », (de cent jours
environ, d’après une étude diffu-
sée fin 2007).
Le « plan d’urgence » a néan-
moins des vertus puisque « les em-
plois retrouvés par les chômeurs
après une formation sont plus du-
rables que ceux occupés par des
chômeurs qui n’en ont pas bénéfi-
cié », ajoute-t-il. Mais il faudra être
vigilant sur sa mise en œuvre car
« les chômeurs non formés risquent
d’être évincés du marché du travail
si le nombre de postes à pourvoir
reste le même », souligne-t-il.
Gilbert Cette, lui, se montre
plus sévère : à ses yeux, l’an-
nonce de M. Hollande relève « de
la réaction événementielle à un
problème structurel ». « Il faut
agir dans la continuité et non pas
en faisant un coup », estime-t-il,
en insistant sur le fait que notre
système de formation profes-
sionnelle continue d’être « ina-
dapté », en dépit de loi de
mars 2014 qui l’a réformé. p
bertrand bissuel
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SAMEDI 16 JANVIER 2016
GE se rêve en industriel numérique à Boston
General Electric déménage dans le Massachusetts, qui investit beaucoup dans la recherche
new york - correspondant
A
ux Etats-Unis, il n’y a
pas que les équipes de
football américain qui
peuvent faire des infi-
délités à leur ville d’accueil. Les
fleurons industriels peuvent
aussi avoir le goût de la mobilité.
Ainsi, mercredi 13 janvier, alors
qu’on apprenait que les Rams de
Saint-Louis allaient s’installer
avec armes et bagages à Los Ange-
les, General Electric (GE) annon-
çait le déménagement de son
siège à Boston (Massachusetts).
Le conglomérat industriel est
installé à Fairfield, une petite ville
du Connecticut. Le déménage-
ment est symbolique : il ne con-
cerne que 800 des 360 000 sala-
riés mondiaux. Parmi eux, 200 ca-
dres (direction, finances, ressour-
ces humaines, etc.) et
600 responsables industriels et
développeurs focalisés sur le nu-
mérique.
Cette composition illustre la
transformation à l’œuvre chez GE,
qui se projette en « industriel nu-
mérique ». Après avoir lancé, en
septembre 2015, une nouvelle divi-
sion baptisée « GE Digital », le
groupe veut créer une « GE Digital
Foundry », une « fonderie numéri-
que », sorte d’incubateur pour le
développement de nouveaux pro-
Pour le PDG de GE, Jeffrey Im-
melt, Boston est l’endroit idéal
pour accompagner ce virage tech-
nologique. « Nous voulons être au
centre d’un écosystème qui partage
nos aspirations. Le grand Boston
abrite 55 institutions universitaires.
Le Massachusetts dépense plus en
recherche et développement que
n’importe quelle autre région du
monde, et Boston attire une
main-d’œuvre diverse et à l’aise
avec la technologie, centrée sur la
résolution des défis dans le
monde », explique-t-il.
Chantage à la délocalisation
Mais le fait de s’implanter dans
l’« écosystème » de Boston n’est
pas l’unique argument du démé-
nagement. Le conglomérat est
aussi passé maître en lobbying
pour faire avancer ses intérêts.
En 2015, il n’a pas hésité à faire du
chantage à la délocalisation de
certaines unités de production
pour inciter le Congrès américain
à continuer à financer l’Export-
Import Bank (Ex-Im). GE est l’un
des principaux utilisateurs de
cette agence fédérale, dont la voca-
tion est de protéger les entreprises
exportatrices américaines d’un
défaut de leurs clients étrangers. A
l’époque, le groupe avait rayé de sa
liste de sites potentiels pour son
siège les Etats dont le gouverneur
Le conglomérat
américain
est passé maître
en lobbying pour
faire avancer
ses intérêts
contentieux. Dans le cadre d’un
appel d’offres pour le moteur de
l’avion de chasse F-35, l’entreprise
n’avait pas apprécié, en 2011, que
les autorités locales prennent fait
et cause pour son concurrent
Pratt & Whitney, installé à Hart-
ford, la capitale de l’Etat. Cette af-
faire « a assombri nos relations
avec GE », a reconnu le gouverneur
démocrate Dannel Malloy.
Les choses se sont un peu enve-
nimées en juin 2015 quand l’Etat a
annoncé une hausse substantielle
de la fiscalité locale pour les entre-
prises. Le gouverneur a proposé à
GE de nouveaux avantages fis-
caux, visiblement en vain.
Malgré tout, le leader de la majo-
rité démocrate au Sénat du Con-
necticut, Martin Looney, a tenté
de relativiser l’aspect fiscal du dos-
sier. Pour lui, cette délocalisation
« n’a rien à voir avec les impôts et
cela ne devrait pas être interprété
comme un référendum sur l’écono-
économie & entreprise | 5
AU TOMOBI LE
Les ventes de véhicules
neufs en hausse de 9 %
en Europe en 2015
Les ventes de voitures neu-
ves en Europe ont progressé
de 9 % en 2015, à 13,7 mil-
lions de véhicules, a annoncé
l’association européenne
Il n’empêche, le Massachusetts, Bien qu’ayant reçu des offres des constructeurs vendredi
souvent surnommé « Taxachu- plus généreuses, notamment de 15 janvier. Le mouvement a
setts », pointe à la 25e place du clas- la part de New York, le groupe a été tiré par l’Espagne (+ 21 %)
sement 2016 des Etats offrant la préféré se rapprocher d’universi- et l’Italie (+ 16 %). En décem-
fiscalité la plus avantageuse, tés prestigieuses comme Harvard bre 2015, le marché a pro-
quand le Connecticut se classe ou le Massachusetts Institute of gressé de 17 %, marquant
44e, selon la Tax Foundation. technology (MIT), et de la kyrielle le 28e mois consécutif de
A Boston, c’est bien entendu la d’entreprises technologiques im- hausse.
liesse. « Nous avons gagné à la lo- plantées le long de la route 128, qui
terie aujourd’hui en attirant GE contourne Boston par l’ouest. Les USA veulent investir
ici », s’est enthousiasmé Marty GE estime que son déménage- dans la voiture
Walsh, le maire de la ville. Ce ment n’aura aucun impact finan- sans chauffeur
« billet de loterie » a tout de même cier sur ses comptes. Pour com- L’administration Obama
nécessité une mise de départ. penser le coût de son installation, veut investir près de 4 mil-
L’Etat a ainsi accordé une subven- le groupe a annoncé la vente de liards de dollars (3,7 milliards
tion de 120 millions de dollars son siège de Fairfield et de ses bu- d’euros) sur dix ans pour
(110 millions d’euros) à l’entre- reaux du Rockefeller Plaza à New accélérer l’introduction et
prise, tandis que la ville lui fait ca- York. A Boston, les premiers sala- l’usage de voitures autono-
deau de 25 millions au titre de la riés déménageront dès cet été, mes sur les routes améri-
taxe foncière. A cela s’ajoute 1 mil- même si le lieu du siège définitif caines, a annoncé, jeudi
lion, qui sera consacré à la forma- doit être sélectionné d’ici à 2018, 14 janvier, le secrétaire
tion professionnelle, et 5 millions dans le Seaport District. Un quar- aux transports, Anthony
à un centre d’innovation censé tier en pleine expansion, où le la- Foxx.
créer des ponts entre les centres boratoire pharmaceutique Vertex
de recherche universitaires de a installé son siège, en 2014. p J EUX
l’agglomération et l’entreprise. stéphane lauer Vivendi vend sa
participation dans
Activision Blizzard
L’électroménager vendu à Haier Vivendi a annoncé, ven-
dredi 15 janvier, avoir
General Electric n’aura pas tardé à changer son fusil d’épaule. Un « vendu l’intégralité des ti-
mois seulement après avoir renoncé à vendre son activité d’élec- tres » qu’il détenait dans
troménager au suédois Electrolux, le conglomérat américain a l’éditeur américain de jeux
trouvé un nouvel acquéreur. Il compte à présent céder toute cette vidéo Activision Blizzard à
branche au groupe chinois Haier, l’un des leaders mondiaux du un établissement bancaire
secteur. La transaction atteint 5,4 milliards de dollars (5 milliards « pour un produit net de
d’euros), selon l’accord annoncé ven