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Villa La Rocca
1923-24
25 Rittergasse, Bâle
Il appréciait énormément le mode de Constituée à l’origine uniquement daleuses. Au lieu de conduire à des
vie des Français. Durant ses loisirs, il d’œuvres se rattachant au purisme, enchères élevées dignes de la qua-
entreprenait de longues promenades la collection La Roche prit une lité de la collection de Kahnweiler ces
afin de découvrir les beautés de ampleur considérable à partir de ventes massives eurent pour effet de
Paris et de ses environs, souvent 1921, sur les conseils de Le Corbu- brader des chefs-d’œuvre.
accompagné de compatriotes qui, sier. À cette époque en effet furent
comme lui, avaient choisi d’y vivre et organisées les célèbres « ventes La Roche ne participa pas directe-
d’y travailler. Kahnweiler » qui se déroulèrent – ment aux ventes, mais il a dû certai-
comme le rapporte Pierre Assouline nement discuter préalablement avec
Fidèle à son pays natal il fréquentait dans l’ouvrage qu’il consacre au ses conseillers du choix des pièces à
les Déjeuners Suisses qui se tenaient galeriste – dans des conditions scan- acquérir. Selon le témoignage que
tous les mois à l’Hôtel Roncery. En
1917 il rencontra l’ingénieur-entre-
preneur Max Du Bois. C’est par son
intermédiaire que La Roche fit la
connaissance de Charles-Édouard
Jeanneret en 1918. Il fut séduit par la
peinture de celui qui signait encore
Jeanneret et de son ami Amédée
Ozenfant qui étaient en train de jeter
les bases du purisme. Les couleurs
et les formes épurées de cet art
l’enthousiasmèrent, il en appréciait
l’effet apaisant. Ces œuvres devaient
occuper plus tard une place à part
dans sa collection. Homme aisé mais
d’une grande modestie, La Roche les Catalogue de vente
identifiait à la simplicité de son mode de la collection Kahnweiler
de vie et il en fit ses compagnes. Il se (exemplaire de Raoul La Roche)
lia d’amitié avec les deux artistes,
commença à acheter leurs toiles et
les aida à l’occasion financièrement,
notamment pour éditer la revue
l’Esprit Nouveau qui fut publiée de
1920 à 1925.
nous en a laissé La Roche, Le vinrent compléter logiquement la col- laquelle il note qu’il vient de com-
Corbusier l’aurait poussé à ne pas lection. Quelques paysages de Bau- mander un Havane La Rocca). Le
acheter d’impressionnistes – ceux-ci chant, peintre naïf, s’y sont aussi 7 décembre 1960, Le Corbusier lui
atteignaient déjà des prix élevés à curieusement ajoutés. enverra un exemplaire de L’Atelier de
l’époque –, mais d’attendre plutôt les la recherche patiente avec la dédi-
ventes d’art vraiment moderne, en À cette époque, La Roche vivait dans cace suivante : « Voici cher Raoul La
particulier des toiles cubistes, ce qui lui un appartement situé 25 bis rue de Roche, cette maison que nous avons
permettrait d’acquérir à bon marché et Constantine, à proximité du dôme des entreprise il y a 37 années. Ce fut
sans réelle concurrence des œuvres Invalides dans le 7e arrondissement, l’occasion de notre amitié. On la bap-
de premier ordre, les marchands et entouré de mobilier traditionnel mais tisa : « La villa della Rocca » pour
les collectionneurs renommés ayant aussi, et de plus en plus, d’art faire entendre qu’on y avait mis cer-
épuisé leur budget dans l’achat de contemporain. Il écrit à ce propos à taines intentions, bien intenses, bien
tableaux impressionnistes. Le calcul Le Corbusier en 1923 : « J’ai accroché novatrices, bien créatrices… ».
de Le Corbusier se révéla judicieux. votre grand tableau en face de mon
C’est ainsi que les deux artistes, lit ; il est vraiment admirable et me La Roche avait donc pris la décision
excellents connaisseurs du milieu cause une grande joie. La peinture de changer totalement d’environne-
artistique, ont pu faire l’acquisition puriste se trouve concentrée dans la ment et de se faire construire une
de peintures de très grande qualité chambre à coucher et constitue un villa par son ami architecte, au n° 10
de Picasso, de Braque et de Léger, ensemble presque plus parfait du Square du Docteur Blanche, à
couvrant la période 1907 à 1914, et encore que les tableaux cubistes du Auteuil, quartier qui se trouvait
qui constituèrent le premier ensem- salon. » On notera qu’il répartira les encore à la lisière de Paris. La Roche
ble cubiste de la collection La Roche. œuvres de la même façon dans son était le maître d’ouvrage parfait : il
Celui-ci écrit en date du 21 mai 1923 nouveau logement. Son appartement donnait carte blanche à son archi-
à Le Corbusier : « … Je suis très dési- n’était probablement pas très spa- tecte et acceptait de se laisser sur-
reux de vous donner un témoignage cieux, il ne constituait nullement le prendre. Ce fut un Gesamtkunstwerk,
pour votre précieux concours dans la cadre idéal pour y accrocher toutes parfaite mise en application des prin-
constitution de ma petite collection ses nouvelles acquisitions. cipes de Le Corbusier, avec ses meu-
de tableaux au cours de ces der- bles en cuir, en bois et en acier ; les
nières années. Vous me feriez un C’est en 1922, à l’occasion d’un sols étaient recouverts de tapis ber-
grand plaisir en acceptant comme voyage à Venise et Vicence en com- bères, la nappe traditionnelle fut
souvenir de ma part un tableau de pagnie de Le Corbusier, que La Roche, remplacée par des napperons de
Braque que vous avez choisi parmi envisagea de se faire construire une couleur et le champagne servi dans
les récentes acquisitions à la vente villa par son ami qui lui servait alors des coupes plates bordées d’or. Évi-
Kahnweiler. » de guide pour la visite des villas et demment ce prototype de béton et de
À la suite de ces achats, La Roche palais, construits pour la plupart par métal nécessitera de fréquentes
rencontra Fernand Léger à plusieurs Palladio. Ils sont sans doute passés réparations et adaptations au cours
occasions, probablement par l’entre- devant la villa della Rocca réalisée des années qui suivront sa réalisa-
mise du galeriste Léonce Rosenberg, par Scamozzi, car le nom « La Rocca » tion. Le propriétaire l’évoquera pudi-
qui l’incita à acquérir des toiles de deviendra le pseudonyme de la nou- quement auprès de ses proches en
Juan Gris et des sculptures de Jacques velle résidence de La Roche (il leur expliquant : « Ma villa est au fond
Lipchitz, artistes appartenant égale- envoie une carte postale d’Italie à comme une belle femme, capricieuse
ment à l’école cubiste. Leurs œuvres l’attention de Pierre Jeanneret sur et chère. »
L’œuvre commanditée par La Roche l’un de ses livres « Die Mathematische rence à la Villa Schwob dite aussi
suscita immédiatement l’admiration Denkweise » à son beau-frère. Il est « Maison turque ». Le 26 mai 1928
de nombreux architectes et d’artistes probable que Speiser soit discrète- La Roche lui écrit depuis Francfort :
notamment parmi ses compatriotes. ment intervenu pour que Le Corbusier « … m’a amené à Niederrad voir la
Le livre d’or de la maison en garde le obtienne la commande de la Confé- cité de M. May... » Sur un ton amusé
témoignage. On raconte que lors des dération suisse pour construire le il raconte que le chauffeur lui avait dit
jours où la maison était ouverte aux célèbre Pavillon suisse à la Cité qu’il refuserait d’y habiter. Sur une
visiteurs, La Roche était rarement universitaire internationale à Paris en carte non datée envoyée depuis
présent. Il était certes pris par son 1931, le mathématicien Edouard Séville, où il séjournait probablement
travail mais c’était surtout un person- Fueter, président du comité de pro- en compagnie d’Ozenfant : « Nous
nage plutôt timide qui n’aimait pas motion était en effet son homologue trouvons des petites maisons simples
être dérangé. Il a quand même dû à Zurich. et charmantes (assez puristes) un
assister à quelques visites, car il On mentionne rarement le rapport alcazar mauresque de toute beauté
racontait sur un ton amusé, que la particulier que La Roche entretenait et une cathédrale gothique qui je
plupart de ses hôtes ne s’intéres- avec la religion. Bâlois, c’était un crois trouverait de la grâce devant
saient qu’à la maison et non à sa col- homme rigoureux, protestant vos yeux. »
lection de peintures. convaincu. Ce qui explique qu’il fré-
quenta la paroisse protestante de Durant la Seconde Guerre mondiale,
La Roche était resté très attaché à sa Passy et qu’il était très lié au pasteur La Roche tint absolument à rester en
sœur cadette, Emilie et à sa famille. Bœgner. France, mais pas dans Paris occupé.
Tous les ans sa sœur lui rendait visite Il aimait régulièrement faire des Il quitta la capitale le 11 juin 1940 et
durant quelques semaines. Elle se fai- voyages culturels. Il lui arrivait d’en- suivant son employeur, alla s’installer
sait conseiller par une amie d’Ozenfant, voyer des cartes postales à Jean- à Lyon. Il laissa sa précieuse collec-
Germaine Bongard, modiste réputée, neret qui témoignent de la complicité tion en grande partie dans la villa aux
pour renouveler sa garde-robe. Son qui régnait entre eux. Le 31 mai 1920 soins du dévoué couple Bénain. Dans
mari Andreas Speiser était mathéma- lors d’une visite à La Chaux-de-Fonds une lettre datée du 15 avril 1941, La
ticien et Le Corbusier le consultera il écrit déjà à l’attention de Le Roche écrit depuis Lyon : « c’est une
plus tard pour le MODULOR. Il com- Corbusier – Saugnier : « Bref je suis visite de notre ami Montmollin qui
prenait parfaitement l’intérêt de La plein d’admiration pour cet échan- m’apprend que vous êtes à Vichy.
Roche pour l’architecture et l’art tillon de votre architecture et vous Malade ? Non certes pas. Et si ce
contemporain et le confortait dans sa avoir comme cher ami avec meilleurs n’est pas une cure d’eau qui vous fixe
passion de collectionneur. Il dédia souvenirs. » Il fait certainement réfé- à cet endroit célèbre, est-ce autre
ment autour des techniques nou- retracer les différents moments tions domestiques de la Maison La
velles et à l'instigation d'un esprit d’élaboration pour en comprendre Roche dans la maison “de la tante”,
neuf né du profond bouleverse- toute la complexité. pour récupérer ces volumes et les
ment de l'époque machiniste (3). affecter à des espaces de réception
Dans les premières versions, la et d’exposition de la collection de pein-
Un seul pilotis élancé porte tout le Maison Jeanneret-Raaf était doublée tures. Entre ces deux parties, privée
poids de la masse de la galerie, péril- d’une maison jumelle. Parfaitement et publique, le vaste hall (qui à l’origine
leuse démonstration du principe (fon- symétriques elles mesuraient cha- était occupé par un salon au premier
damental pour le Modernisme) de cune environ 12 m de long et étaient étage) formait comme une frontière,
séparation entre forme et structure munies d’une grande baie vitrée. En traversée par une passerelle (Fig. 3).
(Fig. 2). Une fenêtre en longueur uni- septembre 1923, Le Corbusier apprit La chambre de La Roche, initialement
fie les deux maisons, défiant la force que la Banque avait vendu une prévue au rez-de-chaussée, sous la
de gravité : seuls les poteaux de parcelle de 5,45 m, réduisant ainsi la galerie, fut transférée dans la maison
25 centimètres soutiennent le mur. Le longueur initiale du terrain. Cette de la tante où elle prit la place de la
toit plat accueille un jardin et les parcelle située à droite de la Maison chambre d’amis au deuxième étage.
plans des étages sont indépendants Jeanneret-Raaf, n’a finalement pas Ce bouleversement eut pour consé-
de l’organisation des murs au-dessus été utilisée. La deuxième maison quence de préserver l’unique et
et au-dessous. À l’époque, ces effets jumelle s’en trouvait réduite presque héroïque pilotis sous la galerie et de
paraissaient relever de la magie et de moitié. Dans un premier temps libérer le volume de trois étages du
présentaient même un caractère Le Corbusier dessina pour ce terrain hall avec sa passerelle.
quelque peu inquiétant. une toute petite maison, qu’il nomma,
non sans humour “Ma tante”. Fina- Ces changements ont radicalement
Tous ces dispositifs n’étaient pas le lement, faute de client, il réussit à perturbé la composition, y ajoutant
fruit d’une création spontanée. convaincre le brave La Roche de une touche avant-gardiste. Ils ont
L’étude du projet connut de nom- l’acquérir pour l’ajouter à sa parcelle. néanmoins considérablement compli-
breuses phases, d’avril à novembre qué les circulations, rendant laborieux
1923, et la construction ne com- Le 22 septembre 1923, Le Corbusier l’accès à la chambre et à la biblio-
mença qu’en février 1924 (4). Il faut en transféra presque toutes les fonc- thèque. Ils ont également eu pour effet
Figure 3
Maison La Roche,
le hall, publié dans L'Almanach
de l'Architecture Moderne (1925)
FLC L2(12)74
(3) Le Corbusier et Pierre Jeanneret, Œuvre Complète 1910-1929, (première édition 1929) Les Editions de l’Architecture, 1964, p. 60
(4) Benton, T. (2007). Les Villas parisiennes de Le Corbusier et Pierre Jeanneret, 1920-1930 [Première édition 1984], Paris, Editions de la
Villette. Pour une description détaillée de l’évolution génétique du projet.
Figure 6 – Croquis du hall de la Maison La Roche, notes préparatoires pour la cinquième conférence, Buenos Aires, 1929
(Getty Research Institute 920083-1(1)7)
L’effet de transparence produit par Mais ce qui m’émeut surtout, ce Le cristal, qui pousse, s'arrête en
les fenêtres fait fusionner l’extérieur sont ces constantes qui se dehors suivant les formes théo-
et l’intérieur. Ce sont tous ces élé- retrouvent dans toutes les riques de la géométrie ; et
ments qui firent de la Maison La grandes œuvres d’architecture, l'homme se complaît à ses agen-
Roche la référence de l’architecture mais que l’on rencontre si rare- cements parce qu'il y trouve
moderne des années vingt. Le ment dans les constructions comme la justification de ses
Corbusier insistait toujours sur le fait modernes. Votre mérite de relier conceptions abstraites de la géo-
que la connaissance de ses œuvres ainsi notre époque aux précé- métrie : l'esprit de l'homme et la
passait par l’expérience visuelle dentes est particulièrement nature trouvent un facteur com-
vécue plutôt que par des reproduc- grand. Vous avez “débordé le mun, un terrain d'entente, dans le
tions photographiques. La Roche par- problème” et fait œuvre de plas- cristal comme dans la cellule,
tageait ce point de vue et lorsqu’il ticien (7). partout où l'ordre est sensible au
lui envoie l’album de prises de vues point qu'il justifie les lois humaines
réalisées pour Vogue par Fred La Villa La Rocca est une “œuvre de d'explication de la nature que la
Boissonas, le fameux photographe plasticien” dans tous les sens du raison s'est complue à édicter (9).
Suisse, il lui écrit : terme, combinant peinture, sculpture
et architecture. Le Corbusier et Ozenfant, sélection-
Je dois confesser que, malgré nant les œuvres de Picasso, Braque,
l’art de M. Boissonas, la “Villa La Gris, Léger et Lipchitz, retenaient les
Rocca” est plus belle en nature
qu’en “peinture”. A quoi cela
La maison plus proches des principes du
“cubisme cristal”. Ils déclarèrent
tient-il ? Certainement à ce que la
reproduction la meilleure ne pro-
d’un collectionneur ensuite que leurs propres peintures
puristes visaient à parfaire ce qui
cure que d’une façon imparfaite Les articles repris dans Vers une avait débuté avec le cubisme cristal.
l’émotion ressentie en contact Architecture avaient été publiés dans C’est exactement selon cette même
direct avec cette symphonie de L’Esprit Nouveau entre 1920 et 1921. logique que Le Corbusier et Ozenfant
prismes. Ah, ces prismes, il faut Au cours de l’été 1923, Amédée conseillèrent La Roche lorsqu’il créa
croire que vous en avez le secret, Ozenfant et Le Corbusier commen- sa collection de peintures (cf. Philip
avec Pierre, car je les cherche cent à écrire une nouvelle série de Speiser, supra) (10). Raoul La Roche
vainement ailleurs. Vous nous neuf articles qui seront publiés en joua les mécènes en achetant des
avez montré la beauté, enseigné 1925 dans La Peinture Moderne (8). œuvres d’Ozenfant et Le Corbusier à
le sens et, grâce à vous nous Ces articles désignent le Purisme des prix supérieurs à ceux pratiqués
savons ce que c’est l’architec- – fondé par Ozenfant et Jeanneret – pour acquérir des œuvres de Picasso
ture (6). comme héritier légitime du cubisme et de Braque (11).
“héroïque” de Picasso et de Braque
C’est ce que Le Corbusier désirait avant la guerre. Depuis la Grande L’accrochage dans la maison suivant
entendre, c’est le leitmotiv de son Guerre, selon eux, le cubisme était les arguments développés dans La
livre Vers une Architecture, publié en devenu décoratif. Seul “le cubisme Peinture Moderne visait à comparer
octobre 1923 : on n’attend pas de l’ar- cristal” avait conservé la rigueur les meilleures œuvres cubistes
chitecte moderne qu’il innove mais il géométrique de la révolution cubiste d’avant-guerre avec, d’un côté, des
se doit de tirer parti de la nouvelle d’origine. Bien entendu, ce “cubisme exemples du cubisme cristal d’après
sensibilité et des matériaux issus de cristal” renvoyait aux qualités archi- guerre et, de l’autre, les œuvres des
l’industrialisation pour réaliser une tecturales évoquées par les “prismes” puristes Ozenfant, Le Corbusier et
architecture comparable aux grandes si chers à Raoul La Roche. Fernand Léger, leur ami.
œuvres classiques.
Figure 11
La bibliothèque,
montrant Les deux femmes à la toilette,
de Léger, au fond, et, à droite,
le Livre, pipe et verre de Le Corbusier.
Photo Fred Boissonnas
FLC L2(12)109
(14) Charlotte Perriand, une vie de création, Odile Jacob Paris 1998. L’enregistrement électrique, inventé en 1925, a très vite remplacé
l’ancien système acoustique, mais les gramophones de qualité coutaient très chers.
vant d’emménager Square du Pour ce qui concerne l’ameublement, décoratifs et industriels modernes, et
A Docteur-Blanche en 1925,
Raoul La Roche habitait dans
un immeuble néoclassique de type
certains objets choisis ou conçus
pour la « Villa La Rocca » et la maison
voisine de Lotti et Albert Jeanneret
des « solutions intégrales » promues
à cette époque par les grands maga-
sins et les décorateurs-ensembliers.
haussmannien surplombant l’espla- furent prêtés pour l’aménagement du Si l’aménagement initial de la Maison
nade des Invalides, à Paris. Vers Pavillon de l’Esprit Nouveau en 1925 ; La Roche dans son ensemble repré-
1923, il confia à Le Corbusier l’agen- d’autres, destinés à l’origine à la sente bien en 1925 une étape déci-
cement de son appartement, avec seule exposition, trouvèrent finale- sive dans l’histoire de l’équipement
comme objectif de l’adapter à l’im- ment leur place dans les maisons de la maison, les modifications que
portante collection d’art cubiste et mitoyennes d’Auteuil. Le Pavillon et connaîtra la galerie de tableaux
post-cubiste qu’il avait commencé à les maisons La Roche et Jeanneret témoigneront de son évolution pro-
rassembler en 1921. La nouvelle mai- constituèrent à l’époque l’illustration gressive, notamment à l’occasion de
son de collectionneur dont il passera parfaite du programme rigoureux son réaménagement en 1928 quand
commande à Le Corbusier l’année affiché dans l’Esprit Nouveau. Les cet espace puriste polychrome se
suivante devait par conséquent être, visiteurs furent frappés par l’aména- retrouva ponctué d’élégantes solu-
elle aussi, spécifiquement conçue gement volontairement provocateur tions qui contribuèrent à souligner son
comme un cadre destiné à abriter de l’intérieur du Pavillon – curieux raffinement fonctionnel et à mettre
ces précieuses peintures d’avant- mélange de rigueur spartiate et d’une en valeur l’esthétique des matériaux
garde. Le Corbusier et Pierre Jean- profusion d’objets hétéroclites. Cette de l’époque machiniste.
neret en profitèrent pour traiter toute installation se revendiquait comme la
la construction, y compris les pièces parfaite antithèse du type d’objets
à vivre, dans un langage architectu- d’arts décoratifs quasi exclusivement
ral aussi novateur. représentés à l’Exposition des arts
Une première liste de meubles éta- Le Corbusier avait très tôt fait preuve siècles de recherches vers la forme
blie par Le Corbusier se limitait stric- d’une réelle capacité à créer des idéale. Le postulat de cette épure for-
tement à des objets de production en meubles, notamment des chaises. Il melle allait désormais être associé
série, anonymes : des fauteuils s’était jusqu’à présent limité à dessi- aux principes de la fabrication en
Thonet, des « chaises fer Rongier », ner des variantes d’élégants « meu- série. Les « objets-types » allaient
des « fauteuils cuir Maple », des bles de style », en s’efforçant toute- acquérir de cette façon une perti-
« tables Selmestein [sic] » ainsi que fois d’atteindre la plus grande simpli- nence et une présence qui en fai-
des secrétaires, des casiers et des cité possible. La recherche des saient des « objets en soi ».
lits « U.P. ». Ce choix se justifiait sans « invariants » se modifia après 1918,
doute en partie par la campagne lorsque les puristes Ozenfant et Les photographies des intérieurs de
menée à cette époque contre les arts Jeanneret orientèrent leurs choix la maison prises en 1925/26 témoi-
décoratifs, mais on peut y trouver vers des productions en série, dont la gnent de l’apport de nombreux
aussi d’autres explications. perfection formelle était l’héritage de objets-types : chaises de bureau en
Couleur et architecture :
« les premiers essais de polychromie »
Les nouveaux casiers standard ne selon un principe de composition cinquième dimension et contribua à
furent utilisés que dans la maison qu’il avait déjà expérimenté dans la renforcer le caractère unique de
voisine de Lotti et Albert Jeanneret, peinture puriste. chaque espace. La salle à manger,
mais on trouve chez La Roche des dont tous les murs y compris le pla-
casiers encastrés ainsi que des La « polychromie architecturale », qui fond sont peints en ocre rose (terre
rayons de bibliothèque réalisés en utilisait d’ailleurs les mêmes pig- de Sienne claire), devient ainsi l’élé-
béton. Ils sont solidaires de l’archi- ments que la peinture, joua un rôle ment central du « corps de logis »
tecture, contrairement aux pièces essentiel dans cette méthode de traditionnel. La galerie, haut-lieu de
mobiles qui appartiennent au monde composition. La couleur était elle- la peinture d’avant-garde, située de
des objets, des outils. Ces derniers, aussi introduite comme élément l’autre côté du grand hall cristallin,
en raison de leur forme spécifique, complémentaire qui modifiait les constitue le versant totalement
contrastaient avec le cadre architec- qualités spatiales et produisait des opposé de cette représentation tradi-
tonique composé presque unique- « ambiances colorées » pouvant tionnelle. Elle est le « rectangle élas-
ment de surfaces planes et cubiques. compenser l’absence presque com- tique » (Léger) par excellence, dont
La juxtaposion de ces diverses com- plète de matériaux visibles. Même les chaque paroi revendique sa propre
posantes était en totale contradiction chaises en bois courbé furent quasi- couleur.
avec l’idéal prôné à l’époque, qui prô- ment « annexées » par l’application
nait la parfaite fusion des murs, du d’une couche de couleur grise qui
mobilier et des œuvres d’art dans un occultait leur origine pour les inté-
ensemble cohérent et indissociable. grer à la composition.
l fallait interdire que des couleurs Je retiens (pour bientôt) que la poly- On pourrait sans difficulté faire le
LC 26.010 - Radiateurs
Gris foncé — - Plinthes, menuiseries intérieures des baies vitrées
- Bâti des meubles et plinthes de l’office et de la cuisine
- Porte vitrée métallique de la salle à manger
- Epaisseur des rampes d’escalier et des garde-corps
LC 26.012
- Mur côté rampe et de la mezzanine de la galerie de tableaux
Gris clair —
LC 26.013
- Mur Isorel (cimaise à droite en entrant) et plafond sous la mezzanine
Gris pâle —
de la galerie de tableaux
LC 26.030 - Murs des paliers côté hall d’entrée, menant à la salle à manger,
Bleu Charron — menant à la galerie de tableaux, menant à la chambre puriste
TRANSPORTEURS :
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FONDATION LE CORBUSIER
8-10 square du Docteur Blanche - 75016 Paris
Tél. : 01 42 88 41 53 - Fax : 01 42 88 33 17
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