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LE MENSUEL

DE TOUS
LES PRATICIENS
DU DROIT

N°253 • DÉCEMBRE 2015

DOSSIER MODERNISATION DE L’ACTE


UNIFORME SUR LES PROCÉDURES
COLLECTIVES DE L’OHADA

ÉCLAIRAGE

De l’art bien conseillé


Focus sur le conseil des PRATIQUE
professionnels du droit et Mécanisme de
de la gestion de patrimoine
PAUL OAKLEY

en matière de droit de l’art protection « Aurillac » 


et de marché de l’art Faut-il purger ou proroger ?
DÉCEMBRE 2015 • N°253

ACTUALITÉ
ÉCLAIRAGE
DOSSIER
De l’art bien conseillé .................................... 6
ENTRETIEN
MODERNISATION
« Il est indispensable que les DE L’ACTE UNIFORME
notaires français deviennent SUR LES PROCÉDURES
“européens” » ....................................................... 10
Entretien avec Sébastien Collet, rapporteur COLLECTIVES
général de la 66e session de l’Assemblée de
liaison des notaires. DE L’OHADA
PROFESSIONS Avant-propos ............................................................. 30
La transmission d’entreprise Par le Professeur Dorothé C. Sossa,
promue par les professions du Secrétaire Permanent de l’OHADA
droit et du chiffre.............................................. 12
Zoom sur la journée d’information sur la Les procédures de prévention dans
transmission d’entreprise qui a eu lieu fin l’AUPC révisé : la conciliation et le
novembre à Paris. règlement préventif .............................................. 32
Par Filiga Michel Sawadogo, Ancien doyen,
Une résidence séniors financée ancien recteur, Agrégé des facultés de droit,
par un emprunt obligataire.................. 13 Professeur titulaire, Université de Ouaga II,
Une future résidence services Villa Médicis Ministre des Enseignements secondaire et
sera notamment financée par un emprunt supérieur, Burkina Faso
obligataire.
Le redressement et la liquidation mieux
encadrés et plus rapides.................................... 39
Quel avenir pour les notaires de Par Mamadou Konate, Avocat à la Cour,
plus de 70 ans ? ................................................. 13 Associé Fondateur du Cabinet d’Avocats
Les notaires dépassant la limite d’âge fixée Associés, Jurifis Consult, Bamako, Mali
par la loi Macron doivent s’organiser d’ici le
1er août 2016. Des procédures adaptées
aux « petites » entreprises : les
MÉDIAS procédures simplifiées........................................ 44
Un cabinet d’avocat orienté Par Bakary Diallo, Docteur en Droit, Avocat
commerce sur la toile .................................. 14 au Barreau de Paris

LE MOIS Le droit international privé de l’Acte


Le mois du droit................................................. 16 uniforme OHADA .................................................. 49
Par Laurence-Caroline Henry, Avocat général
à la Cour de cassation, Agrégée des
P. 6 universités, Expert « Insolvabilité » du
gouvernement français à la CNUDCI, et Jean-
De l’art bien conseillé Luc Vallens, Magistrat, Ancien professeur
Avocats, notaires, gestionnaires associé aux Universités de Strasbourg et de
de patrimoine et banquiers Paris, Expert « Insolvabilité » du
privés guident leurs clients sur le gouvernement français à la CNUDCI
droit de l’art et le marché de l’art.
DROIT & PATRIMOINE n N°253 n DÉCEMBRE 2015
SOMMAIRE
A C T U A L I T É • P R A T I Q U E • A N A LY S E • D O S S I E R • J U R I S P R U D E N C E

ANALYSE
IMMOBILIER
Le mécanisme de protection
« Aurillac » : faut-il purger ou
proroger ?................................................................. 18
Par Édouard Colas, Titulaire d’un Master 2
Urbanisme-Construction (Paris XII), Juriste-
consultant au CRIDON Sud-Ouest

ANALYSE
FISCALITÉ
Retour sur les 15 actions du projet
BEPS................................................................................ 26
Par Daniel Gutmann, Professeur à l’École de
droit de la Sorbonne (Université Paris I)

CHRONIQUES
DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ PATRIMONIAL
Septembre 2014 - octobre 2015 :
PAUL OAKLEY

Affaires à suivre (du caractère


feuilletonesque du droit
international privé)......................................... 72
Les débiteurs dans l’AUPC révisé : Par Marie-Élodie Ancel, Professeur à la
la modernisation du droit de l’insolvabilité Faculté de droit de Paris-Est (UPEC)
dans la continuité ........................................................ 55
DROIT DES BIENS
Par Philippe Roussel Galle, Professeur à
l’Université de Paris Descartes – Sorbonne Mai - octobre 2015 : Entre
Paris Cité, Membre du CEDAG sédimentation et innovation ................ 82
Par Jean-Baptiste Seube, Professeur à
Des créanciers et des contractants mieux l’Université de la Réunion, Doyen honoraire
protégés.............................................................................. 59 de la faculté de droit et d’économie, et
Par Pierre Crocq, Professeur à l’Université Thierry Revet, Professeur à l’Université Paris I
Panthéon-Assas, Directeur du Collège de droit, (Panthéon-Sorbonne)
Directeur de l’Institut d’études judiciaires
Pierre-Raynaud

Des mandataires judiciaires mieux


encadrés, pour une procédure plus L’EXPERT FISCAL
efficace ................................................................................. 65
Par Alain Fénéon, Avocat honoraire au
Le panorama de la fiscalité
barreau de Paris, Arbitre – Médiateur du patrimoine ....................................................... 88

Ce numéro est accompagné d’un encart publicitaire et d’un supplément de 84 pages “WECONOMIE”

DROIT & PATRIMOINE n N°253 n DÉCEMBRE 2015


29

DOSSIER
MODERNISATION
DE L’ACTE UNIFORME
SUR LES PROCÉDURES
COLLECTIVES
➧ Avant-propos ➧ Des procédures adaptées ➧ Des créanciers et des
PAR DOROTHÉ C. SOSSA..............................30 aux « petites » entreprises : contractants mieux protégés
les procédures simplifiées PAR PIERRE CROCQ........................................59
➧ Les procédures de prévention PAR BAKARY DIALLO ....................................44
dans l’AUPC révisé : ➧ Des mandataires judiciaires
la conciliation et le règlement ➧ Le droit international privé mieux encadrés, pour
préventif de l’Acte uniforme OHADA une procédure plus efficace
PAR FILIGA MICHEL SAWADOGO ..............32 PAR LAURENCE-CAROLINE HENRY PAR ALAIN FÉNÉON .......................................65
ET JEAN-LUC VALLENS.................................49
➧ Le redressement et
la liquidation mieux encadrés ➧ Les débiteurs dans l’AUPC
et plus rapides révisé : la modernisation
PAR MAMADOU KONATE ..............................39 du droit de l’insolvabilité
dans la continuité
PAR PHILIPPE ROUSSEL GALLE .................55

L
e 10 septembre 2015 à Grand-Bassam (Répu- les entreprises, de préservation et de création d’em-
blique de Côte d’Ivoire), l’Organisation pour plois, mais aussi de promotion de la croissance écono-
l’Harmonisation en Afrique du Droit des Af- mique dans les États membres de l’OHADA.
faires (OHADA) a écrit une nouvelle page de Publié au Journal Officiel de l’Organisation le 25 sep-
son histoire avec l’adoption, par le Conseil des Minis- tembre 2015, le nouveau texte entrera donc en vigueur
tres, d’un nouvel Acte uniforme portant organisation à la date symbolique du 24 décembre 2015, veille de la
des procédures collectives d’apurement du passif nativité pour les chrétiens, et aube d’une nouvelle an-
(AUPC). Ce nouveau texte, qui vient se substituer à née pour le plus clair de l’humanité. De la sorte, le nou-
l’Acte uniforme initial du 10 avril 1998, est le fruit d’une veau texte est comme porteur d’une espérance : l’espé-
longue maturation, mais aussi le résultat d’un remar- rance d’un jour nouveau qui se lève sur la prévention
quable consensus. et le traitement des difficultés économiques des entre-
Il marque en effet un saut qualitatif de grande enver- prises en Afrique ; l’espérance portée par un droit qui,
gure. Il tend à renforcer la célérité et l’efficacité des aujourd’hui mieux qu’hier, contribue au raffermisse-
procédures collectives, favoriser le sauvetage des en- ment du tissu économique et accompagne efficace-
treprises viables et le paiement substantiel des créan- ment la croissance économique dans les États afri-
ciers. Il est donc de nature à soutenir le développement cains.
du marché des crédits et du secteur privé dans les pays
de l’espace OHADA. Il constituera, assurément, un le- Par le Professeur Dorothé C. Sossa,
vier important d’accès à un meilleur financement pour Secrétaire Permanent de l’OHADA

DROIT & PATRIMOINE n N°253 n DÉCEMBRE 2015


30 DOSSIER
MODERNISATION DE L’ACTE UNIFORME SUR LES PROCÉDURES COLLECTIVES

AVANT-PROPOS
LE SECRÉTAIRE PERMANENT DE L’OHADA REVIENT SUR LE PROCESSUS
DE MODERNISATION DE L’ACTE UNIFORME PORTANT ORGANISATION
DES PROCÉDURES COLLECTIVES D’APUREMENT DU PASSIF, ET
DÉTAILLE LES AMBITIONS ET GRANDS AXES DU NOUVEL ACTE.

des procédures, lourdeur et inadapta- – l’institution de procédures simpli-


tion des procédures pour les micro-en- fiées de règlement préventif, de re-
PAR LE PROFESSEUR
DOROTHÉ C. SOSSA, trepreneurs, absence d’une procédure dressement judiciaire et de liquidation
SECRÉTAIRE PERMANENT préventive de conciliation moderne des biens adaptées aux petites entités
DE L’OHADA pour promouvoir les négociations pri- économiques ;
vées et les accords extrajudiciaires en- – l’institution de délais dont l’inobser-
tre le débiteur et ses créanciers, et ab- vation est sanctionnée, afin de réduire
sence d’un régime adéquat pour les la durée de mise en œuvre des procé-

L
e 10 septembre 2015 à Grand- faillites internationales ouvertes hors dures collectives et favoriser l’atteinte
Bassam (République de Côte de l’espace OHADA. des objectifs poursuivis ;
d’Ivoire), l’Organisation pour Le diagnostic ainsi établi, il restait à en – la fixation d’un cadre juridique pour
l’Harmonisation en Afrique tirer les conséquences à travers le pro- l’activité des mandataires judiciaires
du Droit des Affaires (OHADA) a écrit jet de texte révisé. Celui-ci a été longue- que sont les experts au règlement pré-
une nouvelle page de son histoire avec ment débattu et enrichi par les Com- ventif et les syndics, afin de garantir la
l’adoption, par le Conseil des Minis- missions Nationales OHADA, dont compétence, l’éthique et encadrer la
tres, d’un nouvel Acte uniforme por- une réunion plénière a été organisée à rémunération ;
tant organisation des procédures Abidjan (Côte d’Ivoire) les 30 et 31 mars – l’institution d’un privilège de « l’ar-
collectives d’apurement du passif 2015. Conformément à la procédure lé- gent frais » pour ceux qui consentent
(AUPC). Ce nouveau texte, qui vient se gislative de l’OHADA, le Secrétariat de nouveaux crédits à l’entreprise en
substituer à l’Acte uniforme initial du Permanent a, ensuite, adressé une de- difficulté pour faciliter son assainisse-
10 avril 1998, est le fruit d’une longue mande d’avis à la Cour Commune de ment ou son redressement ;
maturation, mais aussi le résultat d’un Justice et d’Arbitrage (CCJA), qui s’est – la clarification de l’ordre de priorité
remarquable consensus. prononcée en date du 17 juin 2015. Le des créanciers ;
En effet, c’est depuis l’année 2007 que, texte définitif du projet a ensuite été – l’établissement d’un nouveau régime
dans le cadre de l’évaluation exhaus- mis au point au cours d’une réunion d’insolvabilité transfrontalière basée
tive et systématique de ses textes, spéciale du Comité des Experts de sur la Loi-type de la CNUDCI.
l’OHADA a commis les premières l’OHADA, tenue à Abidjan (Côte Bien évidemment, il ne s’agit là que
études de diagnostic de l’application d’Ivoire) du 3 au 5 août 2015, avant son d’une énumération, à la fois arbitraire
de différents Actes uniformes. L’éva- adoption par le Conseil des Ministres et sommaire, des traits les plus saillants
luation de l’AUPC, alors éprouvé par en sa session de septembre 2015. d’une profonde réforme qui marquera
plusieurs années d’application, a bé- Le nouvel Acte uniforme propose des durablement le droit des entreprises
néficié du concours de diverses réponses modernes et adaptées aux en difficultés de l’espace OHADA.
équipes d’experts africains, européens différentes insuffisances révélées par Dans ce numéro spécial de la Revue
et nord-américains, tous spécialistes les études de diagnostic. Prenant en Droit et Patrimoine, de riches contribu-
reconnus du droit des procédures col- compte les préceptes de l’analyse éco- tions, préparées pour certaines par
lectives. Cet audit de l’application, en- nomique du droit et les meilleures pra- des experts ayant participé au proces-
richi par les données économétriques tiques juridiques internationales, sus de révision, donnent un aperçu
disponibles, a permis d’identifier les l’AUPC du 10 septembre 2015 révolu- plus complet de l’œuvre accomplie.
facteurs qui affectent négativement tionne le paysage des procédures col- Le nouvel Acte uniforme relatif au trai-
l’efficacité et l’efficience des procé- lectives dans l’espace OHADA. Ses tement de l’insolvabilité dans les pays
dures de traitement de l’insolvabilité principales innovations ont trait à : membres de l’OHADA a été publié au
dans l’espace OHADA, notamment : – l’institution d’une procédure de Journal Officiel de l’Organisation le
absence de réglementation des man- conciliation pour favoriser la sauve- 25 septembre 2015. Il entrera donc en
dataires judiciaires, durée trop longue garde des entreprises ; vigueur à la date symbolique du 24 dé-

DROIT & PATRIMOINE n N°253 n DÉCEMBRE 2015


DOSSIER 31
Avant-propos

cembre 2015, veille de la nativité pour bles et le paiement substantiel des d’un outil moderne, en phase avec les
les chrétiens, et aube d’une nouvelle créanciers. Il est donc de nature à sou- meilleures pratiques juridiques inter-
année pour le plus clair de l’humanité. tenir le développement du marché des nationales et adapté au contexte éco-
De la sorte le nouveau texte est comme crédits et du secteur privé dans les nomique africain ;
porteur d’une espérance : l’espérance pays de l’espace OHADA. Il consti- – exprimer la profonde gratitude des
d’un jour nouveau qui se lève sur la tuera, assurément, un levier impor- Organes et des Institutions de
prévention et le traitement des difficul- tant d’accès à un meilleur financement l’OHADA à l’endroit des Partenaires
tés économiques des entreprises en pour les entreprises, de préservation Techniques et Financiers, qui ont colla-
Afrique ; l’espérance portée par un et de création d’emplois, mais aussi de boré de façon exemplaire pour
droit qui, aujourd’hui mieux qu’hier, promotion de la croissance écono- conduire à bien le processus de révi-
contribue au raffermissement du tissu mique dans les États membres de sion ;
économique et accompagne efficace- l’OHADA. – féliciter les experts qui, avec science
ment la croissance économique dans À l’occasion de cette nouvelle avancée et patience, ont accompagné ce pro-
les États africains. majeure dans l’amélioration du climat cessus ;
Le nouveau texte marque en effet un de l’investissement en zone OHADA, – remercier la très grande commu-
saut qualitatif de grande envergure. Il je voudrais : nauté des amis de l’OHADA, et l’enga-
tend à renforcer la célérité et l’effica- – remercier les Gouvernements des ger à œuvrer pour la diffusion et l’ap-
cité des procédures collectives, favori- États membres, qui ont consenti les sa- propriation du nouveau droit africain
ser le sauvetage des entreprises via- crifices nécessaires à l’élaboration du traitement de l’insolvabilité. n

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32 DOSSIER
MODERNISATION DE L’ACTE UNIFORME SUR LES PROCÉDURES COLLECTIVES

LES PROCÉDURES DE
PRÉVENTION DANS L’AUPC
RÉVISÉ : LA CONCILIATION ET
LE RÈGLEMENT PRÉVENTIF
PARMI LES RÉFORMES APPORTÉES PAR L’AUPC RÉVISÉ, ON NOTE CELLES
CONCERNANT LES PROCÉDURES DE PRÉVENTION : LA CONCILIATION,
PROCÉDURE TOUTE NOUVELLE, ET LE RÈGLEMENT PRÉVENTIF QUI,
AU REGARD DES PROFONDS CHANGEMENTS, APPARAÎT COMME
UNE NOUVELLE PROCÉDURE.

PAR FILIGA MICHEL moins, connaît de sérieuses difficultés savoir le sauvetage des entreprises
SAWADOGO, ANCIEN financières, en vue d’assurer le paie- viables, la liquidation des entreprises
DOYEN, ANCIEN RECTEUR,
AGRÉGÉ DES FACULTÉS
ment des créanciers et, dans la mesure non viables, le paiement substantiel
DE DROIT, PROFESSEUR du possible, le sauvetage de l’entre- des créances, le tout de manière rapide
TITULAIRE, UNIVERSITÉ prise et, par voie de conséquence, de et transparente, n’étaient pas atteints
DE OUAGA II, MINISTRE
l’activité et des emplois. L’évolution dans des proportions significatives.
DES ENSEIGNEMENTS
SECONDAIRE ET SUPÉRIEUR, historique récente est caractérisée par
BURKINA FASO l’émergence d’une vision plus globale Ainsi, dans le cadre des procédures de
et plus précoce des difficultés des en- liquidation des biens, il apparaît que,
treprises. On n’attend plus que les en- dans les États de l’espace OHADA, les
treprises soient en état de cessation dividendes reçus par les créanciers
INTRODUCTION GÉNÉRALE des paiements avant de s’intéresser à sont de faibles montants, les coûts
leur situation. De là découle la nais- d’administration excessifs du fait des
sance du droit des entreprises en diffi- honoraires exorbitants des syndics et
L’Acte uniforme révisé portant organi- culté, qui englobe le droit des procé- de la durée des procédures trop
sation des procédures collectives dures collectives et qui se veut plus longue : ainsi, on a noté, dans le cadre
d’apurement du passif (AUPC) a été efficace quant au sauvetage des entre- de l’application de l’AUPC, les élé-
adopté le 10 septembre 2015 à Grand- prises viables ou, en tout cas, suscepti- ments suivants :
Bassam, en Côte d’Ivoire. Il vient abro- bles d’être redressées. Le droit des pro-
ger et remplacer l’Acte uniforme origi- cédures collectives, ou le droit des – les créanciers dans l’espace OHADA
nel adopté le 10 avril 1998 à Libreville, entreprises en difficulté, constitue une doivent attendre, en moyenne, trente-
au Gabon, ayant le même objet. matière complexe du fait que celle-ci huit mois pour être payés;
L’AUPC, révisé comme originel, traite fait appel à de nombreuses autres ma- – les créanciers ne recouvrent ap-
des procédures collectives. Celles-ci tières, notamment le droit commercial, proximativement que 14 % de leurs
peuvent être définies comme des pro- le droit civil, la procédure civile et com- créances en souffrance ; en outre, les
cédures judiciaires ouvertes lorsque le merciale, le droit bancaire, les saisies et coûts d’application des procédures de
débiteur professionnel (et pas seule- les voies d’exécution, le droit pénal. l’AUPC représentent 21,56% de la va-
ment le commerçant) ou la personne leur du patrimoine de chaque entre-
morale de droit privé n’est plus en me- Sa révision aura duré près de huit ans prise liquidée;
sure de payer ses dettes – on dit d’un tel puisqu’elle a démarré en 2007 par des – une part trop importante de l’actif du
débiteur aux abois qu’il est en état de études diagnostiques dont la conclu- débiteur est donc absorbée par les
cessation des paiements – ou, à tout le sion est que les objectifs poursuivis, à coûts ou frais de recouvrement, avec

DROIT & PATRIMOINE n N°253 n DÉCEMBRE 2015


DOSSIER 33
Les procédures de prévention dans l’AUPC révisé

une pointe de 60 % pour le Tchad, – des procédures trop lourdes pour les tites entreprises», notamment les mi-
34% pour le Cameroun, 29% pour la micro-entrepreneurs qui, de fait, ne re- cro-entreprises;
République démocratique du Congo courent pas à ces procédures; – l’intégration de définitions des
et 18% pour la Côte d’Ivoire(1). – l’absence de réglementation des concepts clés pour faciliter l’applica-
mandataires judiciaires, à savoir les tion et l’interprétation de l’AUPC ré-
À l’opposé, les procédures de liquida- experts au règlement préventif et les visé;
tion dans les États de l’OCDE donnent syndics; – l’institution d’une nouvelle procé-
plus de satisfaction aux créanciers, – l’absence d’un régime adéquat pour dure préventive de conciliation, selon
signe qu’il n’y a pas de fatalité : les les faillites internationales ouvertes l’analyse économique du droit et les le-
créanciers des États de l’OCDE atten- hors de l’espace OHADA; çons du droit comparé, pour sauve-
dent seulement vingt et un mois pour – une insuffisante clarté dans l’ordre de garder les entreprises en difficulté;
recouvrer 68 % des sommes prêtées priorité de paiement des créanciers et – la mise en place d’un privilège de
tandis que le coût des procédures col- le caractère incomplet de celui-ci. « new money » ou d’« argent frais »
lectives est de moins de 10% de la va- pour ceux qui font de nouveaux crédits
leur de l’entreprise(2). Le rapport de l’audit préalable s’est ap- ou apports de biens ou de services à
puyé sur l’analyse économique du l’entreprise en difficulté pour faciliter
Quant au sauvetage de l’entreprise par droit(3), les meilleures pratiques juri- son assainissement ou son redresse-
la voie des procédures collectives lato diques internationales, dont celles du ment;
sensu, il intervient tellement rarement Guide législatif sur le droit de l’insolva- – le raccourcissement des délais et de la
qu’un auteur, certainement désabusé, bilité de la Commission des Nations durée des procédures collectives, ca-
a écrit : d’une manière générale, les en- unies pour le droit commercial inter- ractérisées par l’exigence de célérité,
treprises qui parviennent à se redres- national (CNUDCI). Il en résulte pour favoriser l’atteinte des objectifs
ser par la voie des procédures collec- qu’une législation efficace en matière poursuivis;
tives lato sensu sont rares. Cela a de procédures collectives doit satis- – la nécessité de l’adoption d’un cadre
conduit un auteurà relever, sans doute faire à trois exigences principales, juridique pour réglementer les activi-
avec beaucoup de déception : «Des en- conformément à l’analyse écono-
treprises en difficulté, on en trouve un mique du droit : NOTES
peu partout en Afrique; des entreprises
en difficulté qui se redressent, on en 1°/ Réhabiliter les entreprises viables (1) Banque mondiale, Rapport Doing
cherche». et liquider rapidement les entités non Business 2014.
viables; Diverses causes expliquent cette faible
performance de l’AUPC que la révision
L’audit préalable a permis de relever 2°/ Maximiser les montants recouvrés
vise à enrayer.
les principaux maux dont souffrait par les créanciers, sur la base de la va- (2) Banque mondiale, Rapport Doing
l’AUPC originel et de dégager les prin- leur du marché du patrimoine de l’en- Business 2014, précité.
cipaux objectifs à atteindre dans le ca- treprise débitrice; (3) L’analyse économique du droit, ou
dre de la révision. 3°/ Établir un ordre précis de paiement analyse économico-juridique, se propose,
des créances garanties ou non garan- à partir d’une conception de l’être
Sous l’angle d’analyse décrit ci-dessus, ties. humain et de ses rapports avec les autres,
une relecture de l’ensemble du droit en
il est ressorti du rapport de l’audit remontant à la raison d’être des
préalable que l’AUPC en vigueur, sur- Les pays dotés d’une législation rem- institutions juridiques. Elle cherche à
tout par rapport à son application dans plissant ces trois exigences affichent mettre à jour «l’économie du droit».
les États parties, souffre des insuffi- en général des taux de recouvrement Fondée sur la microéconomie, elle se
sances suivantes : de créances supérieurs à ceux d’autres concentre sur l’efficacité de l’application
pays. Cela facilite aussi l’accès au fi- des normes juridiques, des
réglementations et d’autres sources du
– l’absence d’une procédure préven- nancement et en réduit le coût.
droit pour atteindre les objectifs
tive de conciliation moderne pour pro- L’audit préalable a permis de relever économiques et sociaux fixés par les
mouvoir les négociations privées et les les principaux maux dont souffrait pouvoirs publics. V. J. Torres López,
accords extrajudiciaires entre le débi- l’AUPC originel et de dégager les prin- Análisis económico del derecho, Tecnos,
teur et ses créanciers afin de sauvegar- cipaux objectifs à atteindre dans le ca- Madrid, 1987, et E. Mackaay et
der les entreprises en difficulté et, en dre de la révision. S. Rousseau, Analyse économique du
droit, Dalloz, 2008, n° 21. V. également
même temps, améliorer les taux de re- En réponse à cette évaluation, une sé-
Droit et économie, Archives de
couvrement des créances au profit des rie de recommandations et d’innova- philosophie du droit, numéro spécial,
créanciers, qu’ils soient munis de sûre- tions précises ont été formulées dans le 1992, 37.
tés ou non; rapport en conformité avec l’analyse (4) L’influence du droit comparé, en
– un champ d’application restreint de économique du droit et avec les meil- particulier français, est loin d’être
l’AUPC au regard des entreprises sus- leures pratiques juridiques internatio- négligeable. V., entre autres, notre article,
ceptibles d’en bénéficier; nales(4), parmi lesquelles on note : La prise en compte du droit comparé
dans l’œuvre d’unification de
– une durée trop longue des procé- l’Organisation pour l’harmonisation du
dures collectives, qu’elles tendent au – l’élargissement du champ d’applica- droit des affaires en Afrique (OHADA),
sauvetage de l’entreprise ou à sa dispa- tion de l’AUPC et l’institution de procé- Revue de droit international et de droit
rition par sa liquidation; dures simplifiées au bénéfice des «pe- comparé 2008, nos 2 et 3, p. 307 à 347.

DROIT & PATRIMOINE n N°253 n DÉCEMBRE 2015


34 DOSSIER
MODERNISATION DE L’ACTE UNIFORME SUR LES PROCÉDURES COLLECTIVES

tés des mandataires judiciaires, que tion et le règlement préventif, ou cura- A – LES CARACTÈRES ET
sont les experts au règlement préventif tives, en l’espèce le redressement judi- LES CONDITIONS DE LA
et les syndics, par l’institution d’une ciaire et la liquidation des biens(6). On PROCÉDURE DE CONCILIATION
autorité ou structure nationale régula- note dans ces dernières procédures,
trice dans chaque État partie; notamment, les délais impartis au syn- Il découle de l’article 2, alinéa 2, que la
– l’établissement d’un nouveau régime dic pour déposer son rapport de clô- conciliation est une procédure préven-
d’insolvabilité transfrontalière basé ture de la procédure de liquidation des tive, consensuelle et confidentielle,
sur la loi type de la CNUDCI qui est biens et le principe d’un délai maximal destinée à éviter la cessation des paie-
connue de par le monde et a fait ses de six mois pour aboutir à l’homologa- ments de l’entreprise débitrice afin
preuves. tion du concordat de redressement ju- d’effectuer, en tout ou partie, sa re-
diciaire. structuration financière ou opération-
Parmi les innovations du nouvel AUPC nelle pour la sauvegarder. Cette re-
que l’on peut considérer comme étant Avec la naissance du droit des entre- structuration s’effectue par le biais de
saillantes, il y a certainement l’exten- prises en difficulté, l’attention doit être négociations privées et de la conclu-
sion des procédures collectives à toute attirée sur l’importance de la préven- sion d’un accord de conciliation négo-
personne physique exerçant une acti- tion des difficultés des entreprises du cié entre le débiteur et ses créanciers
vité professionnelle indépendante, ci- fait des faibles performances enregis- ou, au moins, ses principaux créan-
vile, commerciale, artisanale ou agri- trées par «les mesures curatives» in- ciers, grâce à l’appui d’un tiers neutre,
cole, étant rappelé que les personnes tervenant après la cessation des paie- impartial et indépendant, dit «concilia-
physiques commerçantes étaient déjà ments qui tend à caractériser une teur». Elle peut concerner ses cocon-
incluses. Cette formule comprend les situation irrémédiablement compro- tractants.
entreprenants par l’AUPC révisé ainsi mise dans laquelle le sauvetage de l’en-
que les membres du secteur informel. treprise devient extrêmement difficile NOTES
Il y a également la réglementation des et le paiement substantiel des créan-
mandataires judicaires dans le cas des ciers quasi impossible. C’est pourquoi (5) La définition de la cessation des
paiements est allongée et précisée : elle
procédures collectives que sont l’ex- nous consacrerons les développe- est «l’état où le débiteur se trouve dans
pert dans le règlement préventif, le ments ci-après aux procédures l’impossibilité de faire face à son passif
syndic dans le règlement préventif, préventives de l’AUPC, à savoir la exigible avec son actif disponible, à
dans le redressement judiciaire et la li- conciliation (I), la procédure entière- l’exclusion des situations où les réserves
quidation des biens. Cette réglementa- ment nouvelle, puis le règlement pré- de crédit ou les délais de paiement dont le
tion, entièrement nouvelle, prévoit, en- ventif (II), qui apparaît, en comparai- débiteur bénéficie de la part de ses
créanciers lui permettent de faire face à
tre autres, les conditions d’accès aux son de celle-ci, comme une innovation
son passif exigible». C’est la prise en
fonctions de mandataire judiciaire et limitée mais il ne s’agit là que d’une compte de la théorie dite de la «réserve
d’exercice de celle-ci, le contrôle et la apparence. de crédit» conformément aux meilleures
discipline des mandataires judiciaires, législations ou pratiques internationales.
la responsabilité professionnelle des Sans être indispensable parce qu’elle
mandataires judiciaires, ainsi que les I – L’INNOVATION INTÉGRALE : pouvait être raisonnablement sous-
entendue, la précision est utile du fait
règles de détermination et de paie- LA CONCILIATION
qu’elle apporte une réelle sécurité
ment des honoraires des mandataires juridique aux moratoires consentis par
judiciaires, en particulier des experts les créanciers.
où l’on avait observé des excès préjudi- C’est certainement une procédure, (6) Cette distinction est relative,
ciables à l’atteinte des objectifs. mais qu’il est difficile de qualifier de notamment en France du fait que la
Pour s’en tenir aux procédures dont le collective dans la mesure où elle peut procédure de sauvegarde, véritable
rôle dans l’atteinte des objectifs est es- ne concerner qu’une infirme partie des procédure collective, s’ouvre avant la
cessation des paiements et que la
sentiel pour l’atteinte des objectifs, on créanciers, lesquels ne sont pas re- conciliation peut y être ouverte même en
note le maintien et la réforme des pro- groupés en une masse. Elle est reprise cas de cessation des paiements
cédures existantes : règlement préven- de la législation française qui l’a insti- n’excédant pas quarante-cinq jours. C’est
tif, redressement judiciaire et liquida- tuée à la faveur de la réforme apportée pourquoi un auteur relève que «la
tions des biens. Elles ont fait l’objet de par la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 cessation des paiements n’est donc plus le
réformes plus ou moins profondes (JO 27 juill.) de sauvegarde des entre- critère de répartition des procédures
amiables et judiciaires» (C. Saint-Alary-
pour plus d’efficacité. À celles-ci est ve- prises(7). Elle a pour but de permettre
Houin, Droit des entreprises en difficulté,
nue s’ajouter la toute nouvelle procé- au débiteur de résoudre les difficultés LGDJ, 9e éd., 2014, p. 982, n° 291).
dure de conciliation. Il est usuel de clas- de son entreprise par le biais de la (7) Sur cette procédure en droit français,
ser les procédures suivant qu’elles se conclusion d’un accord avec ses créan- v., entre autres, M.-C. Coquelet,
situent avant ou après la cessation des ciers et, éventuellement, ses cocon- Entreprises en difficulté et instruments de
paiements(5), notion au cœur des pro- tractants. paiement et de crédit, Dalloz, 5e éd., 2015;
F. Pérochon, Entreprises en difficulté,
cédures collectives. Ainsi, suivant Cette nouvelle procédure sera appro-
LGDJ, 10e éd., 2014, 878 p., nos 91 et s;
qu’elles se situent avant ou après la chée en examinant, d’une part, ses ca- Ph. Pétel, Procédures collectives, Dalloz,
cessation des paiements, la doctrine ractères et ses conditions (A), d’autre 8e éd., 2014, nos 23 et s.; C. Saint-Alary-
distingue classiquement les procé- part, le conciliateur et l’accord amia- Houin, Droit des entreprises en difficulté,
dures préventives, comme la concilia- ble (B). LGDJ, 9e éd., 2014, nos 326 et s.

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DOSSIER 35
Les procédures de prévention dans l’AUPC révisé

La procédure de conciliation se situe ble» mais ne se trouvent pas «en cessa- sion d’ouverture par le président de la
avant la cessation des paiements et a tion des paiements depuis plus de qua- juridiction compétente, se voit confier
pour objectif de trouver des solutions rante-cinq jours » (12). À l’analyse, la une mission devant aboutir à un ac-
aux difficultés naissantes de l’entre- formule française est suffisamment cord amiable entre le débiteur et ses
prise (art. 4, al. 2). Elle se rapproche vague pour englober tout type de diffi- créanciers. Le conciliateur est au cen-
ainsi du concordat amiable(8) qu’il est culté ou de situation (13). Sur le plan tre de la procédure. L’AUPC révisé ap-
toujours loisible à tout débiteur de pratique, l’appréciation ne sera pas porte des précisions sur son profil et sa
conclure avec ses créanciers, notam- forcément aisée et sans risque(14). La rémunération.
ment les banquiers, les principales dif- durée de la conciliation est de trois
férences étant l’intervention du conci- mois, durée pouvant être prorogée Le profil du conciliateur n’est pas dé-
liateur et la possibilité de faire d’un mois. À l’expiration de ces délais, fini avec précision. Néanmoins, il ré-
homologuer l’accord en justice ou de la conciliation prend fin de plein droit sulte des articles 4-5 et suivants que le
lui conférer un caractère notarié. L’on et il ne peut être ouvert de nouvelle conciliateur doit avoir le plein exercice
sait que beaucoup d’États de l’espace conciliation avant l’expiration d’un dé- de ses droits civils, justifier de sa com-
OHADA et hors de cet espace n’étaient lai de trois mois. La décision ouvrant la pétence professionnelle et demeurer
pas favorables à cette conciliation procédure ou rejetant la demande indépendant et impartial vis-à-vis des
pour son apparente inefficacité et le d’ouverture ne fait l’objet d’aucune pu- parties concernées par la conciliation.
risque d’inégalité entre les créan- blicité. Celle ouvrant la procédure Le conciliateur qui accepte sa mission
ciers(9). A priori, on peut se demander nomme un conciliateur dont la mission doit porter cette acceptation à la
pourquoi viser les contractants, ce qui doit aboutir à un accord amiable. connaissance du président de la juri-
suppose qu’ils n’ont pas la qualité de diction compétente, sans délai. S’il
créanciers, ces derniers étant déjà ci- B – LE CONCILIATEUR ET suppose en sa personne une cause de
tés. Pour l’essentiel, ce sont les fournis- L’ACCORD AMIABLE récusation, il doit en informer le prési-
seurs et les clients. Comme ils ne sont dent de la juridiction et ne peut accep-
pas des créanciers, on suppose que la Les deux questions sont liées puisque ter sa mission qu’avec l’accord una-
négociation va concerner les condi- le conciliateur, désigné dans la déci- nime et écrit des parties concernées
tions du maintien, voire du développe-
ment, des relations contractuelles en-
tre eux et le débiteur. NOTES
La conciliation est caractérisée par la
confidentialité qui s’impose à toute per- (8) Pour le cas de la France, un auteur (11) Cette question sera traitée supra, II.
affirme que la «procédure de conciliation, (12) V. dans ce sens, D. Voinot,
sonne qui en a connaissance (art. 4-2). telle qu’issue de la réforme de la loi du Procédures collectives, Montchrestien,
Celle-ci permet au débiteur de conser- 26 juillet 2005 (…) est l’héritière directe, coll. «Cours», 2011, n° 60.
ver une discrétion sur ses difficultés et mais enrichie, du règlement amiable mis (13) Ibid., n° 60. V. P.-M. Le Corre et
sur les tentatives pour y remédier. La en place par une loi du 1er mars 1984» E. Le Corre-Broly, Droit des entreprises
publicité de l’ouverture d’une procé- (A. Jacquemont, Droit des entreprises en en difficulté, Sirey, 2e éd., 2006, n° 21,
dure de prévention ou de traitement difficulté, LexisNexis, 8e éd., 2013, n° 88). selon lesquels «les difficultés que peuvent
(9) L’avis n° 0001 du 17 juin 2015 de la rencontrer les personnes accessibles à la
des difficultés, quelle qu’elle soit, a ten-
Cour commune de justice et d’arbitrage procédure de conciliation se situent sur un
dance à alerter ses partenaires, ses (CCJA) a trouvé cette procédure inutile, panel extrêmement élargi. Il peut s’agir de
clients, ses fournisseurs, etc., et risque superfétatoire, sans pertinence, difficultés juridiques, économiques ou
ainsi d’avoir un effet d’amplification de considérant qu’elle devait être supprimée. financières. La difficulté peut être avérée
ces difficultés(10). Dans le même sens, un auteur relève que ou simplement prévisible. Il faut d’ailleurs
Elle a les mêmes justiciables que les au- «l’idée de résoudre les difficultés des noter la malfaçon législative qui consiste à
entreprises par une négociation privée (et viser un débiteur qui éprouve (…) une
tres procédures (11). Elle relève de la
donc amiable) avec les créanciers a difficulté prévisible! Ce visa très large
compétence du président de la juridic- longtemps été entourée, en France, d’un permet incontestablement d’englober
tion compétente qui est saisi par re- voile de suspicion. Cette hostilité dans le champ d’application de la
quête du débiteur à laquelle sont s’explique pour l’essentiel par les atteintes procédure de conciliation à peu près
jointes des pièces moins nombreuses que ce mode de négociation porte au toutes les entreprises, sous réserve de leur
que celles exigées pour le règlement principe d’égalité des créanciers ainsi que état de cessation des paiements».
préventif ou pour les procédures cura- le risque de fraude ou d’un engagement (14) V. F. Pérochon, Entreprises en
pris à la légère par le débiteur prêt à tout difficulté, précité, n° 228, pour qui «la
tives (art. 4-3, qui en cite sept). La re- pour obtenir l’allègement de ses dettes» difficulté principale tant pour le juge que
quête du débiteur expose ses difficul- (M.-L. Coquelet, Entreprises en difficulté pour les intéressés, mais elle est au cœur
tés ainsi que les moyens d’y faire face. et instruments de paiement et de crédit, de toute cette branche du droit, est
Le projet n’apporte pas de précision précité, n° 48). d’apprécier la situation financière du
sur le type de difficulté concernée, sauf (10) F. Pérochon, Entreprises en difficulté, débiteur et l’éventuelle cessation des
que l’on sait que le débiteur ne doit pas précité, n° 139 : «La réussite escomptée de paiements : elle n’est pas nouvelle, et la loi
la conciliation suppose en général la plus du 26 juillet 2005, à travers les autres
être en état de cessation des paie-
grande discrétion sur les difficultés du conditions dont elle entoure
ments. En droit français, la procédure débiteur». Ceci montre que la publicité l’homologation, s’efforce d’éviter que
s’adresse aux entreprises qui «éprou- prévue dans le cadre du règlement soient homologués des accords qui se
vent une difficulté juridique, écono- préventif a certes des avantages mais peut borneraient à prolonger l’état de cessation
mique ou financière, avérée ou prévisi- nuire à l’entreprise qui s’y engage. des paiements (…)».

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36 DOSSIER
MODERNISATION DE L’ACTE UNIFORME SUR LES PROCÉDURES COLLECTIVES

par la conciliation. Aucun parent ou al- et après avis du conciliateur, reporter En conclusion, c’est une procédure qui
lié du débiteur jusqu’au quatrième de- le paiement des sommes dues et or- peut être utile aux débiteurs diligents
gré inclus ne peut être désigné. Il en va donner la suspension des poursuites qui ont une vision claire de l’évolution
de même pour tout magistrat en fonc- engagées par ce créancier qui négo- prévisible de leur entreprise. Elle est ac-
tion ou ayant quitté ses fonctions de- cierait de mauvaise foi (art. 5-7). ceptable en ce qu’elle constitue une
puis moins de cinq ans. Quant à la forme et à la force de l’ac- possibilité supplémentaire de re-
cord, elles sont traitées par l’article 5-10 cherche de solution offerte aux débi-
Les modalités de rémunération du qui prévoit la possibilité que l’accord si- teurs. Certes, l’on sait que les débiteurs
conciliateur sont déterminées par le gné puisse, à la requête de la partie la africains préfèrent les procédures où la
président de la juridiction compétente plus diligente, être déposé au rang des suspension des poursuites est prévue
avec l’accord du débiteur au jour de minutes d’un notaire, ce qui n’appelle mais une évaluation pourra être faite
l’ouverture de la conciliation. Les cri- pas de développement, ou être homo- pour situer son apport en la matière et,
tères sur la base desquels elle est arrê- logué ou exequaturé(15) par la juridic- au besoin, lui apporter les améliora-
tée, son montant maximal et le mon- tion compétente statuant à huis clos. tions souhaitables. Elle ne soulève pas
tant des provisions sont précisés dans L’homologation ou l’exequatur est de de difficulté dans la mesure où c’est une
un document signé par le débiteur et le droit et ne peut être refusé que si l’ac- procédure légère entièrement à la dis-
conciliateur et annexé à la décision cord est contraire à l’ordre public. Le crétion du débiteur et qui n’oblige pas
d’ouverture. Si, au cours de sa mission, président fait apposer la formule exé- les créanciers. La révision n’a pas re-
le conciliateur estime que le montant cutoire par le greffe. Des copies valant tenu l’idée que le débiteur ne doit pas
initialement déterminé est dépassé, il titre exécutoire peuvent être délivrées être en état de cessation des paiements
doit en informer sans délai le président aux parties à l’accord. La décision d’ho- au-delà d’une période de 45 jours,
de la juridiction qui fixe les nouvelles mologation ne fait l’objet d’aucune pu- comme c’est le cas en France, sans
conditions avec l’accord du débiteur. À blicité et ne reprend pas le contenu de doute par crainte que cela constitue une
défaut d’accord, il est mis fin à la mis- l’accord qui reste confidentiel. Mais brèche dans laquelle vont s’engouffrer
sion du conciliateur. La rémunération pour ne pas avoir des privilèges oc- les entreprises en état de cessation des
du conciliateur est à la charge du débi- cultes préjudiciables aux créanciers, la paiements dans leur grande majorité,
teur et fait l’objet d’une ordonnance de publicité est prévue si le privilège de chacune prétendant à tort que sa cessa-
taxe. Cette réglementation de la rému- «new money» institué à l’article 5-11 a tion des paiements ne date pas de plus
nération du conciliateur, sauf son été accordé aux personnes qui ont de quarante-cinq jours(16). Dans l’en-
caractère contractuel, paraît assez consenti dans l’accord un nouvel ap- semble, il faut espérer qu’il sera fait un
confuse et de mise en œuvre difficile. Si port en trésorerie ou un nouveau bien usage fréquent et respectueux de la let-
l’on ne peut pas être plus précis, il se- ou service au débiteur en vue d’assurer tre et de l’esprit du texte à même de pro-
rait peut-être préférable de se limiter à la poursuite de l’activité de l’entreprise duire les résultats attendus. Les expé-
indiquer qu’elle est convenue entre les débitrice et sa pérennité. Les arti- riences du droit comparé montrent que
parties tant dans son montant que cles 166 et 167 leur accordent le pre- son apport peut être plus important que
dans ses modalités de paiement. mier rang en matière de paiement. celui des autres procédures(17).
Le conciliateur peut obtenir du débi- La décision homologuant l’accord
teur tous renseignements utiles à la n’est pas susceptible de recours. Elle
NOTES
réalisation de sa mission (art. 5-5). met fin à la conciliation. Le cas échéant,
Le conciliateur rend compte de sa mis- la conciliation prend fin par la signa- (15) Le cas de l’accord faisant l’objet
sion au président de la juridiction com- ture de l’accord et, en tout état de d’exequatur semble répondre à la
pétente. Il informe celui-ci immédiate- cause, à l’expiration des délais prévus situation du Cameroun dont le délégué a
ment de l’éventuelle survenance de la par l’alinéa 1er de l’article 5-3. été à l’origine de son introduction.
cessation des paiements afin qu’il Pendant la durée de son exécution, (16) V. C. Saint-Alary-Houin, Droit des
entreprises en difficulté, précité, n° 291,
mette fin à la conciliation sans délai. Le l’accord interrompt ou interdit toute qui, dans le cas de la France, relève que
président doit y mettre fin dès qu’il ap- action en justice et arrête ou interdit «la cessation des paiements n’est donc
prend que le débiteur est en cessation toute poursuite individuelle tant sur les plus le critère de répartition des
des paiements, quelles que soient ses meubles que les immeubles du débi- procédures amiables et judiciaires».
sources d’information : ministère pu- teur dans le but d’obtenir le paiement (17) F. Pérochon, Entreprises en
blic, créancier, débiteur, etc. Il est éga- des créances qui en font l’objet. L’ac- difficulté, précité, n° 230, traitant des
statistiques sur la pratique et les résultats
lement mis fin à la conciliation en cas cord interrompt, pour la même durée,
de la conciliation en France : « Selon
d’impossibilité de parvenir à un ac- les délais impartis aux créanciers qui certaines sources, le taux de conclusion
cord. sont parties à l’accord à peine de dé- d’un accord de conciliation serait de 60 %,
En principe, la participation à la conci- chéance ou de résolution des droits af- ce qui serait un peu supérieur au taux
liation n’emporte pas de restriction férents aux créances mentionnées par d’adoption d’un plan de sauvegarde.
aux droits des créanciers. Toutefois, si l’accord. Surtout, les suites sont en général plus
favorables, qu’une procédure collective
le débiteur est mis en demeure ou Les personnes ayant consenti une sû-
ne serait ensuite ouverte que dans
poursuivi par un créancier appelé à la reté personnelle ou ayant affecté ou 30 % des cas : en dépit du faible recul, ce
conciliation pendant la période de re- cédé un bien en garantie et les coobli- chiffre est encourageant et justifie
cherche de l’accord, le président du tri- gés peuvent se prévaloir des clauses de pleinement que la réforme de 2014
bunal peut, à la demande du débiteur, l’accord. s’efforce de favoriser la prévention ».

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DOSSIER 37
Les procédures de prévention dans l’AUPC révisé

En matière de prévention, à la concilia- peine d’irrecevabilité de plein droit de bien connaître, a été considéré comme
tion s’ajoute le règlement préventif la requête. une lacune.
institué par l’AUPC originel. La proposition de concordat devient Outre les changements ci-dessus qua-
projet de concordat. On assiste ici à un lifiés de mineurs, d’autres apparais-
changement injustifié de terminolo- sent comme des changements ma-
II – L’INNOVATION gie, sauf à mentionner que c’est l’ex- jeurs.
APPAREMMENT LIMITÉE : pression retenue par le droit français.
LE RÈGLEMENT PRÉVENTIF En revanche, la précision de l’article 8 B – LES CHANGEMENTS
selon laquelle le projet de concordat MAJEURS
doit être sérieux pour entraîner l’ou-
Bien qu’étant déjà en place dans verture du règlement préventif est Trois changements retiennent l’atten-
l’AUPC originel, le règlement préven- bienvenue. Antérieurement, le mu- tion à ce titre.
tif est profondément modifié par tisme de l’AUPC sur le caractère de la La première innovation, qu’il faut sa-
l’AUPC révisé. Malgré les apparences, proposition de concordat faisait l’objet luer, devrait conduire au respect des
on pourrait presque dire que l’on se de discussions(19). délais. Elle tient en ce que la suspen-
trouve face à un nouveau règlement La suspension des poursuites tendant sion des poursuites prend fin lorsque
préventif. à obtenir le paiement des créances le délai imparti expire sans que la juri-
Les changements peuvent être distin- nées antérieurement à la décision diction compétente ait homologué le
gués selon qu’ils sont mineurs (A) ou d’ouverture s’étend désormais à projet de concordat. Dans ce sens,
majeurs (B). toutes les créances et non plus seule- l’article 14, alinéa 3, prévoit que « la ju-
ment à celles visées dans la requête ridiction saisie doit se prononcer im-
A – LES CHANGEMENTS comme dans l’AUPC originel (art. 9). médiatement ou au plus tard dans un
MINEURS La portée pratique de cette réforme est délai de trente jours à compter de sa
mitigée : d’une part, beaucoup de débi- saisine. Le règlement préventif conti-
Il n’est pas possible d’être exhaustif à teurs avaient déjà tendance à lister nue de produire ses effets, en particu-
cet égard. Les changements mineurs toutes leurs créances ; d’autre part, il lier concernant la suspension des
sont ceux qui ne bouleversent pas la peut sembler de bonne pratique d’au- poursuites individuelles des créan-
construction ancienne. Ils concernent toriser les paiements qui n’accroissent ciers, jusqu’à ce que la juridiction sta-
les pièces ou documents devant être pas la gêne du débiteur, en l’occur- tue. Si celle-ci n’est pas saisie dans les
joints à la requête, le projet de concor- rence celle des petites créances, ce qui conditions de l’alinéa 1er ou si elle ne se
dat, la généralisation du domaine de la peut clarifier la situation du passif du prononce pas dans les trente jours à
suspension des poursuites, l’allonge- débiteur. compter de sa saisine, le règlement
ment du délai donné à l’expert pour dé- On assiste à l’allongement du délai préventif prend fin de plein droit, les
poser son rapport ainsi que la possibi- donné à l’expert pour déposer son rap- créanciers recouvrant l’exercice de
lité de désigner l’expert comme syndic port. La conséquence est l’allonge- tous leurs droits et le débiteur recou-
contrôleur. ment de la durée de la suspension des vrant la pleine administration de ses
Relativement aux pièces ou docu- poursuites individuelles (art. 9 et 13), biens ». Ceci sanctionne le retard ob-
ments, il est précisé qu’ils doivent da- qui passe de deux à trois mois, avec une
ter de moins de trente jours. Cette exi- possibilité de prorogation exception- NOTES
gence ne semble pas pertinente pour nelle d’un mois. Cela doit donner satis-
toutes les pièces. Leur nombre aug- faction aux praticiens et aux nombreux (18) Le constat unanime était que les
mente et passe ainsi de dix à quatorze auteurs qui estimaient ce délai trop tribunaux ne semblaient pas attacher une
(art. 6-1). Elles sont légèrement rema- bref. Telle n’était pas notre position grande importance à ces pièces. En
général, les tribunaux se contentaient de
niées pour prendre en compte notam- dans la mesure où l’expert effectue son
mentionner vaguement «vu les pièces»
ment la nouvelle procédure de conci- travail sur la base de l’offre de concor- produites, ce qui ne permet pas de savoir
liation, la possibilité pour le débiteur dat déposée avant sa nomination : il n’a si elles sont toutes fournies et, si tel n’est
de proposer une personne à la dési- donc pas à élaborer son rapport ex ni- pas le cas, quelles sont celles qui sont
gnation en qualité d’expert au règle- hilo. Du reste, la célérité que requiert la fournies et celles qui manquent et, pour
ment préventif, ce qui renforce le ca- procédure milite en faveur d’un bref celles qui manquent, la raison de leur
ractère amiable de la procédure. Le délai pour faire un travail de qualité. absence.
(19) Apparemment, il n’était pas prévu de
projet de concordat figure au nombre Une autre innovation tient en ce que la pouvoir d’appréciation du président de la
des pièces à fournir alors qu’il s’agis- juridiction compétente peut désigner juridiction compétente sur le caractère
sait antérieurement d’un élément au- l’expert au règlement préventif en qua- sérieux de la proposition de concordat.
tonome. Surtout, la production de cer- lité de syndic pour surveiller l’exécu- On aurait pu ou dû conditionner
taines pièces, sans doute en réaction tion du concordat si celui-ci est homo- explicitement la prise de la décision à
contre le laxisme observé en la matière logué (art. 16, al. 1er). Sous l’empire de l’appréciation du président portant sur le
caractère sérieux de la proposition de
dans la pratique judiciaire observée l’AUPC originel, le fait de n’avoir pas
concordat. Mais peut-être que cela allait
jusque-là (18), devient incontourna- prévu expressément la possibilité pour de soi dans la mesure où la proposition
ble : ainsi, les documents visés aux nu- l’expert, s’il est vraiment indépendant, de concordat qui ne serait pas sérieuse
méros 1° à 5° ainsi qu’aux numéros 7°, d’être désigné comme syndic à l’exé- pourrait être assimilée à une absence de
8°, 10° et 13° doivent être fournis à cution du concordat qu’il est censé proposition.

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38 DOSSIER
MODERNISATION DE L’ACTE UNIFORME SUR LES PROCÉDURES COLLECTIVES

servé par l’expert dans le dépôt de son également valable pour les procé- mentation détaillée visant à garantir
rapport ou de la juridiction compé- dures curatives que sont le redresse- aussi bien la compétence que l’éthique
tente dans l’homologation du concor- ment judiciaire et la liquidation des des mandataires judiciaires et enca-
dat. Dans l’AUPC originel, certes l’ex- biens. drer leur rémunération. Chaque État
pert engageait sa responsabilité civile partie peut mettre en place une auto-
envers le débiteur ou les créanciers en rité nationale de contrôle de leur ac-
cas de non-respect du délai ci-dessus. CONCLUSION GÉNÉRALE tion. L’AUPC ainsi révisé tend à renfor-
En pratique, toutefois, le délai n’était cer la célérité et l’efficacité des
presque jamais respecté (20) et la res- procédures collectives, à favoriser le
ponsabilité de l’expert n’était pas mise Après ce survol de la procédure de la sauvetage des entreprises viables et le
en jeu. D’une manière générale, ce nouvelle procédure de conciliation et paiement substantiel des créan-
sont tous les délais prévus par l’AUPC de celle de règlement préventif, réfor- ciers(24).
relativement au règlement préventif mée en profondeur par l’AUPC, le bi- Il reste cependant du travail à faire : si
qui n’étaient pas respectés, ce qui nuit lan qui s’en dégage est largement po- l’on peut considérer que le texte est
à l’avancement de la procédure et à sitif. L’institution de la nouvelle amélioré, il reste à espérer que les
l’atteinte des objectifs poursuivis et procédure de conciliation qui, dans hommes chargés de l’appliquer, no-
cause un préjudice aux créan- une certaine mesure, est la formalisa- tamment les organes judiciaires, spé-
ciers (21). tion de la pratique des entreprises, no- cialement le juge-commissaire, les
Une autre innovation tout aussi im- tamment dans leurs relations avec les mandataires judiciaires et les débi-
portante a trait au moment d’ouver- banques, doit être approuvée et des teurs, soient à la hauteur des attentes.
ture de la procédure : celle-ci s’ouvre actions de promotion entreprises au Il leur revient de s’investir pour ame-
avec la décision de suspension des regard de son apport potentiel du ner les procédures collectives à attein-
poursuites et de nomination d’un ex- point de vue de l’analyse économique dre, plus souvent que par le passé,
pert. En conséquence, elle se clôture, du droit et des résultats déjà engran- leurs objectifs de sauvetage de l’entre-
comme le redressement judiciaire, gés par les États devanciers(23). prise, de paiement substantiel des
avec l’homologation du concordat. créanciers et de punition des débiteurs
C’est la prise en compte d’une sugges- S’agissant du nouveau « règlement et dirigeants fautifs de personnes mo-
tion que nous avions faite aux experts préventif», l’on peut positivement ap- rales, sans oublier les mandataires ju-
au cours des travaux. En effet, il nous précier : l’exigence d’un projet de diciaires véreux ou indélicats. On
a paru peu cohérent que, dans le concordat sérieux pour l’ouverture du pourrait ainsi, avec joie, donner tort à
même Acte uniforme, l’homologation règlement préventif ; le fait que le rè- Honoré de Balzac, qui considérait la
du concordat entraîne l’ouverture de glement préventif s’ouvre avec la déci- faillite comme «une espèce de vol invo-
la procédure de règlement préventif, sion de suspension des poursuites in- lontaire admise par la loi mais aggra-
en sorte qu’il n’y a pas à proprement dividuelles et de nomination d’un vée par les formalités»(25). n
parler de règlement préventif tant que expert et se clôture avec l’homologa-
le concordat n’est pas homologué, et la tion du concordat préventif; le recou-
clôture de la procédure de redresse- vrement de leur droit de poursuites in-
ment judiciaire. Surtout que les condi- dividuelles par les créanciers en cas de NOTES
tions d’homologation ainsi que les ef- dépassement des délais impartis à (20) V. les commentaires sous l’article 13.
fets de l’annulation et de la résolution l’expert pour déposer son rapport ou (21) Cette situation de non-respect des
sont exactement les mêmes pour les à la juridiction compétente pour ho- délais non suivi de sanctions,
deux procédures. Concernant la clô- mologuer le concordat de règlement préjudiciable à l’atteinte des objectifs de
ture, dans le sens de l’harmonisation préventif. la procédure de règlement préventif, a
avec le redressement judiciaire, Au total, on peut affirmer, avec le conduit la république de Côte d’Ivoire à
saisir la CCJA de la demande d’avis
l’AUPC révisé précise à son article 16, Conseil des ministres de l’OHADA, n° 001/2007/AC du 26 juin 2007, laquelle
alinéa 1er, que la décision de la juridic- tenu du 9 au 11 septembre 2015 à a émis l’avis n° 01/2009/EP du 15 avril
tion compétente homologuant le Grand-Bassam, que le texte révisé 2009. Cet avis méconnu n’avait pas eu
concordat préventif met fin à la mis- prend en compte les préceptes de d’impact tangible sur la question.
sion de l’expert et à la procédure de rè- l’analyse économique du droit. Il insti- (22) Cette procédure simplifiée faisant
glement préventif. tue une procédure de conciliation et l’objet d’une communication spécifique,
elle ne fera pas l’objet de développement.
Enfin, comme pour le redressement des procédures simplifiées de règle-
(23) V. pour des statistiques
judiciaire et la liquidation des biens, il ment préventif, de redressement judi- convaincantes, F. Pérochon, Entreprises
est prévu une procédure de règlement ciaire et de liquidation des biens en difficulté, précité, n° 230.
préventif simplifiée dans les arti- applicables aux petites entités écono- (24) V. le compte-rendu de la réunion du
cles 24-1 à 24-5(22). miques. L’AUPC révisé est de nature à Conseil des ministres de l’OHADA,
De manière générale, la réglementa- imprimer plus de célérité à la conduite Grand-Bassam, Côte d’Ivoire, 9, 10 et
11 sept. 2015.
tion des procédures préventives est des procédures collectives, dans la me-
(25) H. de Balzac, Le Faiseur, Imprimerie
satisfaisante, sous réserve de sa cor- sure où celles-ci sont enfermées dans nationale, 1993, cité par F. Pollaud-
recte mise en œuvre par les parties des délais dont l’inobservation est Dulian, note sous Cass. ass. plén., 9 juill.
prenantes, surtout les organes et man- sanctionnée. Les experts et les syndics 1993, n° 89-19.211, Société générale
dataires judiciaires. Cette réserve est font désormais l’objet d’une régle- c/ Guiraud, JCP G 1993, 11, p. 368.

DROIT & PATRIMOINE n N°253 n DÉCEMBRE 2015


DOSSIER 39
Le redressement et la liquidation mieux encadrés et plus rapides

LE REDRESSEMENT ET
LA LIQUIDATION MIEUX
ENCADRÉS ET PLUS RAPIDES
L’AUPC ADAPTE LE CADRE DES PROCÉDURES COLLECTIVES AUSSI BIEN
AU CONTEXTE SOCIOÉCONOMIQUE AFRICAIN QU’AUX MEILLEURES
PRATIQUES INTERNATIONALES EN LA MATIÈRE.

procédures collectives à toute per- tives permet de faire deux constats :


PAR MAMADOU KONATE,
AVOCAT À LA COUR,
sonne exerçant une activité profes- d’une part, l’existence de conditions
ASSOCIÉ FONDATEUR sionnelle indépendante, civile, com- d’ouverture mieux encadrées (I), d’au-
DU CABINET D’AVOCATS merciale, artisanale ou agricole, ou tre part, des effets plus énergiques de
ASSOCIÉS, JURIFIS CONSULT,
encore en instituant pour les petites la procédure collective (II).
BAMAKO, MALI
entreprises des procédures simplifiées
de règlement préventif, de redresse-
ment judiciaire ou de liquidation des I – DES CONDITIONS
D’OUVERTURE NETTEMENT

L
’Acte uniforme portant orga- biens(2) (art. 1-2). L’Acte uniforme pro-
nisation des procédures col- cède donc à d’importantes autres in- MIEUX ENCADRÉES
lectives d’apurement du passif novations.
(AUPC) révisé a été adopté le
10 septembre 2015 à Grand-Bassam, Toutefois, comme dans l’Acte uni- L’ouverture des procédures de redres-
en République de Côte d’Ivoire, par le forme originel, le législateur subor- sement judiciaire et de liquidation des
Conseil des ministres de l’Organisa- donne l’ouverture du redressement ju- biens reste subordonnée à la constata-
tion pour l’harmonisation en Afrique diciaire et de la liquidation des biens à tion d’un état de cessation des paie-
du droit des affaires (OHADA). Le nou- la constatation de l’état de cessation ments dont le concept a été nouvelle-
veau dispositif apporte des modifica- des paiements du débiteur (art. 25), la ment défini (A), même si le formalisme
tions substantielles qui parachèvent seule nouveauté étant qu’il définit à accompagnant la déclaration a été
l’évolution conceptuelle des procé- nouveau en précisant et étendant la no- considérablement allégé (B).
dures collectives en l’adaptant aussi tion de cessation des paiements. La
bien au contexte socioéconomique nouvelle définition tient compte « de A – LA REDÉFINITION
africain qu’aux meilleures pratiques lege feranda » de la théorie de la réserve DE LA NOTION DE CESSATION
internationales en la matière. de crédit consentie par certains créan- DES PAIEMENTS
ciers et l’octroi de délais largement pris
Le législateur OHADA prouve à nou- en compte par la jurisprudence notam- Dans l’Acte uniforme originel, la ré-
veau que le dessein majeur du droit des ment internationale. Cette nouvelle dé- daction de l’article 25, alinéa 1er, sem-
procédures collectives demeure le sau- finition présente l’avantage d’offrir ble faire référence à une appréciation
vetage des entreprises, pour autant une réelle sécurité juridique aux mora- comptable et financière de l’état de
qu’elles soient économiquement via- toires accordés par les créanciers que cessation des paiements. À la diffé-
bles à travers l’institution de la conci- le débiteur devra toutefois prouver. Le rence de cet acte, la nouvelle rédaction
liation. À côté de la conciliation, sub- nouvel AUPC entend donc faire
sistent, mais profondément rénovés, le preuve de pragmatisme pour apparaî-
règlement préventif, qui est lui aussi un tre plus attractif aux acteurs écono- NOTES
instrument préventif(1), et bien sûr le miques de la zone OHADA. (1) V. l’article de F. M. Sawadogo dans le
redressement judiciaire et la liquida- présent Dossier.
tion des biens. En outre, le législateur L’examen des dispositions de l’AUPC (2) V. l’article de B. Diallo dans le présent
innove en élargissant l’application des révisé portant sur les procédures cura- Dossier.

DROIT & PATRIMOINE n N°253 n DÉCEMBRE 2015


40 DOSSIER
MODERNISATION DE L’ACTE UNIFORME SUR LES PROCÉDURES COLLECTIVES

offre une définition plutôt dynamique à court terme. À cet égard, la définition comptes ; ce crédit dont bénéficie l’en-
de la notion. En effet, la cessation des consacrée renoue avec les solutions treprise doit être intégré dans la notion
paiements est considérée comme traditionnelles de la jurisprudence, en d’actif(6).
« l’état où le débiteur se trouve dans ce sens que le passif non exigé, bien
l’impossibilité de faire face à son passif qu’exigible, peut ne pas être pris en Le deuxième terme de la cessation des
exigible avec son actif disponible, à l’ex- considération en raison de la « tolé- paiements est l’actif disponible. Il com-
clusion des situations où les réserves de rance » manifestée par tel ou tel créan- prend l’ensemble des liquidités en
crédit ou les délais de paiement dont le cier. Cette interprétation suppose caisse et en compte en banque, ainsi
débiteur bénéficie de la part de ses quelques tempéraments. La « tolé- que le réalisable susceptible d’une
créanciers lui permettent de faire face à rance » affichée par le ou les créanciers conversion immédiate en disponible.
son passif exigible ». Dans l’analyse de doit être appréciée diversement. En ef- Le critère de liquidité consacré par la
l’actif disponible, on constate donc que fet, si ceux-ci ont la claire intention de
la notion de liquidité est complétée ou procurer un certain crédit à l’entre-
NOTES
suppléée par la référence faite au cri- prise, la cessation des paiements peut
tère de la réserve de crédit et mora- ne pas être constituée. Tel est le cas (3) Cette nouvelle rédaction consacre,
toires. Cette réserve dont peut immé- lorsque le créancier consent explicite- comme pour l’article L. 631-1 du Code de
diatement bénéficier le débiteur ment(4) ou implicitement des délais(5). commerce (français), la jurisprudence de
devient alors un « élément décisif de En revanche, s’il y a simplement un la Cour de cassation et facilite la preuve
par le débiteur du défaut de cessation des
son actif disponible exclusif de toute « laxisme » de la part des créanciers, il
paiements le rendant éligible aux
cessation des paiements »(3). convient de retenir une solution in- procédures préventives. Sur la nécessité
verse, eu égard à l’appréciation de la si- de prouver les réserves de crédit, Cass.
Le premier terme de la cessation des tuation financière de l’entreprise. com., 15 févr. 2011, n° 10-13625, D. 2011,
paiements est donc le passif exigible. p. 591.
La doctrine semble unanime pour ad- Ainsi ne peuvent par exemple être (4) Cass. com., 20 janv. 1990.
(5) Cass. com., 22 févr. 1994, JCP E
mettre que le passif exigible est syno- considérés comme des créances exigi-
1995, II, 699, note L. Lévy.
nyme de passif échu. Cette interpréta- bles les soldes créditeurs des comptes (6) CA Aix-en-Provence, 16 avr. 1985,
tion est conforme aux précisions courants d’associés alors que leurs ti- D. 1987, somm., p. 389, obs.
apportées. Le passif échu doit être dis- tulaires n’ont à aucun moment mani- J.-C. Bousquet – CA Caen, 23 mars 1995,
tingué de la notion comptable de passif festé l’intention de clôturer les Piolet, Bedel c/ Robin, inédit.

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DOSSIER 41
Le redressement et la liquidation mieux encadrés et plus rapides

jurisprudence, comme la composante mesure la capacité du débiteur de faire entendre toute autre personne dont
principale de l’actif disponible, a, en ef- face à son passif exigible est appelé à l’audition lui paraît utile et à désigner
fet, une signification plus juridique que jouer un rôle décisif. un juge du siège ou toute autre per-
comptable. Il intègre, tout d’abord, la sonne qu’elle estime qualifiée afin de
trésorerie (7) mais aussi les liquidités B – LA SUPPRESSION DE lui remettre un rapport dans un délai
de « nature bancaire ». La prise en L’OBLIGATION DE PRÉSENTATION qu’elle détermine, et qui ne peut être
compte de ces liquidités s’effectue D’UN PLAN CONCORDATAIRE supérieur à un mois, sur la situation
dans le contexte de la situation d’en- économique et sociale du débiteur. Ces
semble de l’entreprise. Le changement le plus important tou- deux moyens peuvent être efficaces
chant les deux procédures collectives quant à l’éclairage de la juridiction
Avec quelques réserves, on peut même de redressement judiciaire et de liqui- compétente sur la décision à prendre.
considérer que les effets de commerce dation des biens est le critère de choix Comme limite ou risques, il y a la pro-
peuvent entrer dans la composition ou entre les deux procédures. Jusque-là, bable utilisation systématique du re-
dans l’évaluation de l’actif disponible. le choix se faisait en fonction de la pré- cours à ce « rapporteur », son coût
En plus, des effets de commerce peu- sentation par le débiteur d’une propo- pour l’entreprise en difficulté, car on
vent être escomptés sans pour autant sition de concordat sérieux (redresse- peut penser qu’il sera souvent fait ap-
être forcément honorés. En la matière, ment judiciaire) ou de son absence pel aux experts-comptables et autres
l’appréciation des juges du fond peut dans les délais impartis (liquidation spécialistes en diagnostic d’entre-
être délicate. des biens). L’une des insuffisances rési- prises dont les rémunérations, pour le
dait en ce qu’il se peut que l’entreprise moment, sont exorbitantes. Il y a éga-
Il est également possible d’inclure soit susceptible d’être redressée mais lement le retard que cela met à l’ouver-
dans l’actif disponible les créances que ses dirigeants ne parviennent ce- ture de la procédure.
dont la mobilisation a été acceptée. En pendant pas à respecter le délai im-
ce domaine, le rôle des banquiers de parti pour déposer une proposition de Au total, on peut estimer que la juridic-
l’entreprise apparaît essentiel, sans concordat sérieux ou que celle-ci, en la tion compétente a beaucoup tendance,
compter les risques de responsabilité forme ou sur le plan technique, pré- par humanisme, à considérer quasi
éventuels. Leur attitude ne sera pas sente des déficiences. Dans un tel cas, systématiquement que ces possibilités
sans être suspectée : s’ils refusent la l’ouverture de la liquidation des biens existent, d’autant que l’étape suivant
mobilisation des créances, l’entreprise serait un gâchis économique. Même si l’ouverture est celle de l’évaluation, ce
peut être déclarée en cessation des le projet de concordat présente des in- qui veut dire que c’est à ce moment que
paiements ; s’ils l’acceptent, la solution suffisances, il semble plus sérieux du l’on va véritablement chercher à
inverse pourra être retenue. Ainsi, des fait qu’il repose sur le débiteur qui est connaître la situation réelle de l’entre-
créances « mobilisables » même à la personne qui a le plus intérêt au sau- prise, d’où le risque de voir dilapider,
court terme ne peuvent être prises en vetage de l’entreprise. au cours de la période d’évaluation,
compte dans l’actif disponible. l’actif restant.
Dans le projet de révision de l’AUPC, il
Le troisième terme de la cessation des découlait de l’article 33 de l’AUPC que L’AUPC révisé semble avoir pris en
paiements est contenu dans l’expres- la juridiction compétente « prononce compte ces observations sensibles et
sion « impossibilité pour l’entreprise de l’ouverture du redressement judiciaire déterminantes quant au sauvetage des
faire face (…) ». C’est, semble-t-il, le cri- s’il lui apparaît qu’il existe des possibi- entreprises. Il maintient, en effet, l’an-
tère le plus significatif, car il invite le lités sérieuses de sauvegarde de l’en- cien système comme règle de principe,
juge du fond à se livrer à une analyse treprise et d’apurement du passif. Dans c’est-à-dire que le redressement judi-
dynamique de la situation de l’entre- le cas contraire, elle prononce l’ouver- ciaire est prononcé si le débiteur a fait
prise en introduisant le facteur temps. ture de la liquidation des biens ». Cette une proposition de concordat sérieux
disposition du projet a suscité un cer- ou s’il apparaît qu’un tel concordat a
Il en résulte que la cessation des paie- tain nombre de critiques. En fonction des chances sérieuses d’être obtenu,
ments ne saurait se réduire à un dés- de quoi, en effet, pourrait-on savoir sinon c’est la liquidation des biens. Par
équilibre momentané entre actif dis- qu’il existe des « possibilités sérieuses exception, si l’entreprise lui paraît re-
ponible et passif exigible, envisagé de de sauvegarde de l’entreprise et d’apu- dressable par la voie d’une cession glo-
manière statique, mais doit plutôt ex- rement du passif ? » Le souhait ex- bale, l’AUPC prévoit que la juridiction
primer l’idée que le débiteur est dans primé par le débiteur dans sa requête compétente prononce l’ouverture
l’impossibilité, dans un avenir immé- de voir ouvrir une procédure de re- d’un redressement judiciaire.
diat ou très proche, de retrouver un dressement judiciaire (art. 26, al. 2) et
équilibre durable. En définitive, la vo- l’examen des seules pièces déposées
lonté du législateur est de ne pas privi- en vertu de l’article 27 nouveau de- NOTES
légier une optique exclusivement vraient-ils suffire, en l’absence de dé-
comptable dans l’approche de la défi- pôt d’une proposition de concordat (7) V. J. Stoufflet, La trésorerie : existe-t-il
une notion juridique ?, RJ com. 1989,
nition de l’état de cessation des paie- par le débiteur ?
p. 26, La trésorerie et le financement des
ments. entreprises, n° spécial. V. Cass. com.,
Implicitement, on mesure combien le Il est vrai que l’article 32, alinéas 2 et 3, 30 janv. 1990, RJ com. 1990, p. 373, n° 94,
critère tiré de la réserve de crédit qui autorise la juridiction compétente à obs. Gallet.

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42 DOSSIER
MODERNISATION DE L’ACTE UNIFORME SUR LES PROCÉDURES COLLECTIVES

Cette technique semble offrir un cri- vation. Celui-ci prévoit, en effet, que, mais le cas des contrats conclus intuitu
tère de choix réaliste à la juridiction « en cas d’ouverture d’une procédure personae n’est plus réservé ; de la pro-
compétente pour l’ouverture de la pro- de liquidation des biens, les personnes cédure de licenciement ; du recours à la
cédure collective idoine. Le premier qui avaient consenti dans le concordat location-gérance dont la durée a toute-
rôle revient au débiteur pour faire une préventif un nouvel apport en trésorerie fois été réduite ; de la constitution de la
proposition de concordat sérieux, au débiteur en vue d’assurer la pour- masse des créanciers avec ses corol-
mais s’il n’inspire plus confiance alors suite de l’activité de l’entreprise et sa pé- laires la discipline collective, la produc-
que la situation de l’entreprise n’est rennité sont payées par privilège selon tion, les inopposabilités de la période
pas désespérée, une cession globale les rangs prévus par les articles 166 suspecte, les revendications et les
peut être prononcée. et 167 du présent Acte uniforme. Les droits du conjoint du débiteur sous
personnes qui fournissent un nouveau procédure collective, etc.
Une fois la procédure collective ou- bien ou service en vue d’assurer la pour-
verte, elle va produire des effets qui suite de l’activité de l’entreprise et sa pé- Au-delà de cet encadrement des inté-
sont encore plus énergiques dans rennité bénéficient du même privilège rêts en présence, le déroulement des
l’AUPC révisé que dans l’ancien. pour le prix de ce bien ou de ce service ». procédures collectives est désormais
C’est ce que la doctrine qualifie de pri- accéléré à travers le plafonnement de
vilège de « new money »(8), qui est des- leur durée.
II – DES EFFETS PLUS tiné à faciliter le fonctionnement de
ÉNERGIQUES DE LA l’entreprise et la relance de ses activi- B – UN BON PLAFONNEMENT
PROCÉDURE COLLECTIVE tés. Le même privilège est d’ailleurs DE LA DURÉE DE LA PROCÉDURE
mis en place dans l’article 33-1, pour les COLLECTIVE
nouveaux apports consentis dans les
De l’AUPC révisé, on peut noter, d’une mêmes conditions dans le concordat Dans les deux procédures collectives
part, un meilleur encadrement des in- de redressement judiciaire. de redressement judiciaire et de liqui-
térêts en présence (A), d’autre part, un dation des biens, il est désormais
plafonnement de la durée de la procé- Par ailleurs, la réglementation des or- prévu des mécanismes en vue d’en ac-
dure collective (B). ganes demeure sensiblement la même, célérer le déroulement.
sauf pour le syndic qui fait l’objet d’une
A – UN MEILLEUR ENCADREMENT véritable réglementation, tout comme Concernant le redressement judi-
DES INTÉRÊTS EN PRÉSENCE la désignation des contrôleurs qui fait ciaire, son ouverture se traduit par une
également l’objet de nouvelles disposi-
Selon l’article 26 de l’AUPC révisé, le tions : leur nombre augmente puisque
NOTES
débiteur doit faire une déclaration de l’on a quasi systématiquement trois
cessation des paiements au plus tard créanciers contrôleurs et un contrô- (8) Privilège du « new money » L. 611-11
dans les trente jours qui suivent la ces- leur salarié, mais les modalités de dési- du Code de commerce français : ce
sation des paiements qu’il doit déposer gnation de ce dernier dépendent du privilège concerne les entreprises qui
au greffe de la juridiction compétente nombre de salariés dans l’entreprise et négocient une conciliation, les personnes
contre récépissé. Le débiteur précise de l’existence ou non d’un comité qui soutiennent l’entreprise par un
nouvel apport de trésorerie. Ce dispositif
dans sa déclaration s’il demande l’ou- d’entreprise ; lorsqu’il s’agit d’une pro- vise à convaincre les créanciers de prêter
verture d’une procédure de redresse- fession libérale soumise à un statut ré- aux entreprises en difficulté.
ment judiciaire ou de liquidation des glementé, l’ordre ou le corps profes- L’article L. 611-11 du Code de commerce
biens. sionnels ou l’autorité compétente est dispose que : « En cas d’ouverture d’une
de droit contrôleur par l’entremise procédure (…) de redressement judiciaire
Des pièces devant accompagner la dé- d’un de ses représentants, sans préju- ou de liquidation judiciaire, les personnes
qui avaient consenti, dans le cadre d’une
claration de cessation des paiements – dice de la désignation de trois créan-
procédure de conciliation ayant donné
au nombre de onze –, on note une inno- ciers contrôleurs et d’un contrôleur sa- lieu à l’accord homologué mentionné au II
vation principale. Le débiteur doit pro- larié. À noter également que, par de l’article L. 611-8, un nouvel apport en
duire une attestation précisant s’il bé- application de l’article 72 de l’AUPC ré- trésorerie au débiteur en vue d’assurer la
néficie d’un accord de conciliation et, visé, les créanciers contrôleurs de- poursuite d’activité de l’entreprise et sa
en tout état de cause, qu’il n’est pas sou- viennent en quelque sorte des organes pérennité, sont payées, pour le montant
de cet apport, par privilège avant toutes
mis à une procédure de règlement pré- non institués mais subsidiaires,
les autres créances (…). Les personnes qui
ventif, de redressement judiciaire ou puisqu’ils peuvent agir en lieu et place fournissent, dans le même cadre, un
de liquidation des biens qui ne serait en cas de carence du syndic pour sup- nouveau bien ou service en vue d’assurer
pas encore clôturée ; le cas échéant, si pléer ce dernier. la poursuite d’activité de l’entreprise et sa
le débiteur a bénéficié d’un concordat pérennité bénéficient du même privilège
préventif, le montant des créances res- Les effets de l’ouverture de la procé- pour le prix de ce bien ou de ce service ».
tant dues aux créanciers bénéficiant du dure sur le débiteur et sur les créan- Le privilège du « new money » permet
aux nouveaux créanciers qui ont prêté à
privilège de l’article 11-1 de l’AUPC ré- ciers sont dans l’ensemble conservés. l’entreprise, dans l’accord homologué,
visé, ainsi que leur nom et domicile. Il Il en est ainsi : de l’inventaire ; des actes pour qu’elle puisse parer à ses difficultés,
faut noter également que le privilège conservatoires ; du dessaisissement ; d’être payés en priorité dans le cas de
de l’article 33-1 est une véritable inno- de la poursuite des contrats en cours, l’ouverture d’une procédure collective.

DROIT & PATRIMOINE n N°253 n DÉCEMBRE 2015


DOSSIER 43
Le redressement et la liquidation mieux encadrés et plus rapides

période qui avait été qualifiée dans un deux modes de clôture propres à cette d’une nouvelle clôture pour insuffi-
des projets de période d’évaluation qui procédure que sont l’union et la clôture sance d’actif dans un délai de cinq ans.
s’apparentait à la période d’observa- pour insuffisance d’actif sont conser-
tion mise en place en France par la loi vés sans changement. Au total, le souci de clarification et de
n° 85-98 du 25 janvier 1985 (JO 26 janv.) simplification est remarquable dans le
relative au redressement et à la liquida- L’innovation majeure est apportée par texte de l’AUPC révisé, mais puisque
tion judiciaires des entreprises. Celle- l’article 33, alinéa 4, de l’AUPC, qui ac- dans ce domaine comme dans d’autres,
ci fixait comme objectif prioritaire aux célère le déroulement de la procédure le succès est tributaire des hommes, no-
procédures collectives le redresse- de liquidation des biens. Il est ainsi li- tamment les juges, qui assurent et gui-
ment de l’entreprise et la sauvegarde bellé : « Dans la décision prononçant la dent toute la phase judiciaire, mais aussi
de l’emploi et réduisait en consé- liquidation des biens, la juridiction les procureurs dont le rôle et la mission
quence les droits des créanciers qui compétente fixe le délai au terme du- s’est accrue dans l’AUPC révisé. À
n’étaient plus réunis en une masse. Le quel la clôture de la procédure est exa- ceux-là, il faut ajouter tous les profes-
législateur français, faisant montre minée, sans que ce délai puisse être su- sionnels intervenant en tant qu’organes
d’un grand optimisme, avait décidé périeur à dix-huit mois. Si la clôture de institués tels que les syndics, les admi-
que toute procédure collective devait la procédure ne peut être prononcée nistrateurs judiciaires et même les
être un redressement judiciaire qui au terme de ce délai, la juridiction contrôleurs. Il faut espérer une justice
commençait nécessairement par une compétente peut proroger de six active, prompte et toujours alerte pour
période d’observation de six mois à mois, une seule fois, après avoir en- appréhender la situation de l’entreprise
l’issue de laquelle seulement la liquida- tendu les justifications du syndic, par et les évolutions de l’activité écono-
tion pouvait être prononcée. Fort heu- une décision spécialement motivée. À mique. Une justice animée par des ma-
reusement, la loi française n° 94-475 du l’expiration de ce délai, la juridiction gistrats suffisamment nombreux, bien
10 juin 1994 (JO 11 juin) est venue accé- compétente prononce la clôture de la formés, conscients des enjeux de la pro-
lérer la procédure en corrigeant cer- liquidation des biens d’office, ou à la cédure(11), et qui acceptent de lui sacri-
taines imperfections de la loi n° 85-98 demande de tout intéressé. Ainsi, en fier suffisamment de leur temps et de
du 25 janvier 1985, notamment en per- principe, avec le nouvel article 33, ali- leurs connaissances. n
mettant le prononcé immédiat de la li- néa 4, de l’AUPC, la durée de la procé-
quidation judiciaire. dure collective de liquidation des
biens ne devrait pas dépasser dix-huit NOTES
À la différence de la législation fran- mois, susceptible d’être prorogé de six
çaise où la période d’observation fait mois seulement. En contrepartie, si (9) C. com., art. L. 631-14 et s., et R. 631-17
et s., pour le redressement judiciaire ;
l’objet de nombreuses dispositions, tous les actifs n’ont pu être réalisés
art. L. 622-1 et s., et R. 622-1 et s., pour la
tant législatives que réglementaires(9), dans ces délais, les créanciers recou- procédure de sauvegarde.
l’AUPC révisé dans sa version finale vrent l’exercice de leurs droits sur ces (10) « Le rebond », ou rétablissement
adoptée n’institue pas expressément actifs (art. 170 et 174). La méthode est professionnel, avait été envisagé par la
de période d’évaluation. L’article 33 assez originale mais elle a pour objec- doctrine, notamment le 28 mars 2013 lors
dispose toutefois, en son avant-dernier tif d’éviter des liquidations des biens d’une table ronde organisée par la Revue
alinéa, que, à l’expiration d’un délai de qui s’étalent dans le temps sans répar- des procédures collectives. Les
participants avaient évoqué l’idée de la
six mois à compter du jugement d’ou- titions. » création d’un rétablissement
verture, délai qui ne peut être prorogé professionnel comparable au
qu’une seule fois pour une durée de Une autre innovation mérite sans rétablissement personnel des particuliers.
trois mois, le redressement est converti doute d’être signalée puisqu’elle per- Mais c’est surtout par la voix du
en liquidation des biens. Cette période met au débiteur honnête « de rebon- professeur Lucas et de Me Senechal,
sera utilisée notamment pour élaborer dir » (10) après la clôture pour insuf- mandataire judiciaire, que le
rétablissement professionnel a vu le jour.
un « un bilan économique et social qui fisance d’actif de la procédure.
La procédure de rétablissement
précise l’origine, l’importance, et la na- L’article 174 prévoit en effet que, sauf professionnel sans liquidation de
ture des difficultés de l’entreprise débi- exceptions, les créanciers ne recou- l’ordonnance de 2014 (Ord. n° 2014-326,
trice » (art. 119-1). vrent pas leurs créances après clôture 12 mars 2014, JO 14 mars) s’inspire
Quoi qu’il en soit, à tout moment du- de la procédure pour insuffisance d’ac- fortement de leur travail.
rant cette phase de recherche d’un tif. Cette règle connaît bien sûr des ex- La sémantique de « rétablissement »
sous-entend un « redressement », une
concordat de redressement judiciaire ceptions à raison de la nature des
« remise sur pied » du débiteur.
et au plus tard à l’expiration des délais créances en faveur des créanciers (11) Si la justice est rendue au nom du
précités, la juridiction compétente d’aliments par exemple ou à raison des peuple et si la décision ainsi rendue est
convertit le redressement en liquida- fautes du débiteur puisqu’elle est par censée protéger l’intérêt général, on doit
tion. L’objectif est d’éviter que les exemple écartée s’il est condamné en également admettre qu’une mauvaise
contraintes imposées aux créanciers faillite personnelle. Mais sous ces ré- décision, une application approximative
restent limitées à un délai raisonnable. serves, le débiteur personne physique de la règle de droit, finit par porter
préjudice à l’intérêt du peuple. Par
trouvera désormais un attrait non né- exemple, quel serait l’impact économique
S’agissant de la liquidation des biens, gligeable à la liquidation des biens, de la liquidation d’une société dont la
les modifications par rapport à l’AUPC mais attention, le bénéfice de ce dispo- cessation des paiements n’est pas
originaire sont peu nombreuses. Les sitif est écarté si le débiteur bénéficie pleinement établie ?

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44 DOSSIER
MODERNISATION DE L’ACTE UNIFORME SUR LES PROCÉDURES COLLECTIVES

DES PROCÉDURES ADAPTÉES


AUX «PETITES» ENTREPRISES :
LES PROCÉDURES SIMPLIFIÉES
L’EFFECTIVITÉ DU DROIT PORTANT ORGANISATION DES PROCÉDURES
COLLECTIVES PASSE PAR LA MISE EN ŒUVRE DE PROCÉDURES
SIMPLIFIÉES ET ADAPTÉES AUX PETITES ENTREPRISES LARGEMENT
MAJORITAIRES DANS LA ZONE ÉCONOMIQUE OHADA.

qu’ils rencontrent au cours de leurs ac- L’AUPC propose donc aux « petites »
PAR BAKARY DIALLO,
tivités. Très peu ont recours à ces ins- entreprises, notamment celles à ca-
DOCTEUR EN DROIT, truments pour la résolution de leurs ractère commercial, agricole, artisa-
AVOCAT AU BARREAU difficultés. Cela résulte sans doute nal et professionnel(3), sous certaines
DE PARIS
d’une perception souvent déformée conditions, de déroger à l’application
du droit de l’entreprise en difficulté et des procédures collectives classiques
des procédures judiciaires, jugées trop de l’AUPC. C’est ainsi que les petites

L
’institution de procédures sim- longues, trop complexes ou trop coû-
plifiées destinées aux petites teuses et marquées par un formalisme
NOTES
entreprises fait directement dont l’intérêt pratique n’est que faible-
écho à la création du statut de ment apprécié. En conséquence, il a (1) Adopté le 15 décembre 2010 à Lomé
l’entreprenant par l’Acte uniforme por- paru nécessaire et souhaitable d’inci- (Togo) et entré en vigueur le 16 mai 2011
tant sur le droit commercial général ré- ter les chefs d’entreprise à recourir da- (JO OHADA, 15 févr. 2011, n° 23).
visé(1) en ce qu’elle répond également vantage à ces instruments en leur pro- (2) Le rapport de l’audit préalable sur
l’application de l’AUPC du 16 novembre
à un réel souci d’adaptation du droit des posant des procédures simples et
2013 relevait fort justement qu’«il est
procédures collectives aux réalités so- adaptées à leurs petites structures. important que les petites unités
cioéconomiques et à l’environnement économiques soient sauvegardées dans la
des dix-sept États parties de l’Organi- Mais c’est aussi une manière efficace mesure du possible ou liquidées de manière
sation pour l’harmonisation en Afrique d’agir sur l’environnement des af- transparente au bénéfice de l’ensemble
du droit des affaires (OHADA)(2). Il est faires. Les chiffres sont éloquents : les de leurs créanciers, comme il en est, du
moins théoriquement, pour les grandes et
en effet facile d’observer à travers la ty- PME représentent un pourcentage si-
moyennes entreprises» (p. 25, 28).
pologie des entreprises de la quasi-to- tué entre 90 et 95% de la totalité des en- (3) Conformément aux recommandations
talité ces États quelques spécificités qui, treprises, dont 70 à 80% sont des mi- de l’audit préalable du 16 novembre 2013
sans être véritablement exception- cros et très petites entreprises qui (p. 25), en particulier afin de prendre en
nelles, comportent une dimension lo- emploient jusqu’à 70% de la popula- compte l’entreprenant, l’AUPC ne vise
cale toute particulière marquée par : la tion active. Dès lors, il est légitime, plus seulement les commerçants mais
multitude et la diversité des acteurs, le voire indispensable, que l’Acte uni- notamment «toute personne physique
exerçant une activité professionnelle
caractère informel de leurs activités, le forme révisé portant organisation des indépendante civile, commerciale,
poids écrasant des petites, voire des mi- procédures collectives d’apurement artisanale ou agricole», ce qui a pour
cros-entreprises, etc. du passif (AUPC) révisé accorde un in- effet, outre les commerçants, de faire
térêt tout particulier à ces acteurs es- entrer dans le champ d’application de
Or, en Afrique subsaharienne, plus sentiels de l’économie en se montrant l’AUPC, non seulement les artisans, les
qu’ailleurs, nombreux sont les chefs pragmatique à leur égard par l’intro- agriculteurs, l’entreprenant, mais aussi
les professions libérales, qu’elles soient
d’entreprise qui vivent dans la mécon- duction de procédures souples et at-
ou non réglementées. V. également
naissance des instruments juridiques tractives propres à réhabiliter les en- Insolvabilité et droits des créanciers,
et en particulier dans l’ignorance des treprises lorsqu’elles sont viables et à Rapport sur l’observation des normes et
procédures judiciaires mises à leur dis- liquider à moindre coût et dans de codes (RONC) du Burkina Faso,
position pour répondre aux difficultés brefs délais lorsqu’elles ne le sont pas. juin 2009, p. 42.

DROIT & PATRIMOINE n N°253 n DÉCEMBRE 2015


DOSSIER 45
Des procédures adaptées aux «petites» entreprises : les procédures simplifiées

entreprises auront la faculté de de- I – APPLICATION DES Il suffit donc que l’entreprise débitrice
mander, selon leur situation, à bénéfi- RÉGIMES DES PROCÉDURES dépasse l’un des deux premiers cri-
cier du règlement préventif simplifié COLLECTIVES SIMPLIFIÉES tères de taille au cours des douze mois
(art. 24 à 24-6) du redressement judi- précédant la saisine de la juridiction
ciaire simplifié (art. 145 à 145-10) ou de compétente pour ne plus être éligible à
celui de la liquidation des biens simpli- Statistiquement, les procédures sim- l’application d’une procédure simpli-
fiée (art. 179 à 179-11). plifiées telles qu’instituées pourraient fiée, ou qu’elle détienne un actif immo-
être appliquées à plus de la moitié des bilier pour ne pas pouvoir bénéficier
Plutôt que de proposer des procédures entreprises pouvant faire l’objet de la liquidation des biens simplifiée.
simplifiées régies par un corpus de rè- d’une procédure collective en zone
gles autonomes, il est apparu plus ap- OHADA, si toutefois les entreprises Dans le contexte africain, ce nombre
proprié de définir des règles déroga- concernées recouraient au droit des de 20 salariés peut paraître a priori
toires aux procédures de droit procédures collectives, ce qui est très élevé. Cette impression est à nuancer
commun dont les textes demeurent ap- loin d’être le cas aujourd’hui. Selon sa par rapport à l’autre critère cumulatif
plicables toutes les fois qu’il n’y est pas situation, toute entreprise qui répond portant sur le chiffre d’affaires qui est
dérogé. Il ne s’agit donc pas de procé- aux critères définis par l’AUPC révisé en définitive assez faible puisqu’il cor-
dures autonomes par rapport au droit peut demander l’application du respond à moins de 76000 euros ou de
commun. régime simplifié d’une procédure col- 86000 dollars US. C’est d’ailleurs sans
lective (A), et ce choix demeure totale- nul doute ce dernier critère qui se révé-
Cette option présente plusieurs avan- ment facultatif, sauf pour la liquida- lera à l’usage être le plus limitatif. Il est
tages. D’abord, elle évite d’isoler les tion (B). en effet peu probable que dans les
petites entreprises dans le traitement États parties dans lesquels les salaires
de leur situation d’insolvabilité par A – CHAMP D’APPLICATION sont les plus faibles, une entreprise
rapport au droit commun. Ensuite, réalisant un tel chiffre d’affaires puisse
elle permet l’instauration d’une passe- Les procédures simplifiées instituées employer une vingtaine de salariés. En
relle entre les procédures simplifiées par le nouvel Acte uniforme dans le outre, le décompte des salariés se fait
et les procédures normales applica- but d’accélérer le déroulement des sur une période couvrant les douze
bles aux autres entreprises n’entrant procédures ne concernent que les pe- derniers mois(6).
pas dans cette catégorie. Enfin, cette tites entreprises. En droit comparé, les
démarche tend à limiter les effets de textes juridiques traitant des procé- Dans les faits, ce critère du nombre de
seuils qui peuvent soulever des diffi- dures collectives simplifiées combi- salariés peut poser des difficultés pra-
cultés considérables dans un espace nent très souvent plusieurs critères et tiques. Nombre de ces petites entre-
comptant dix-sept États parties. Il au- prennent notamment en compte le prises évoluent dans le secteur dit «in-
rait sans doute été possible d’envi- nombre de travailleurs ainsi que le formel». Les salariés travaillant dans
sager de réserver par exemple ces chiffre d’affaires de l’entreprise de telles entreprises ne sont pas systé-
procédures simplifiées aux seules en- concernée. L’AUPC révisé ne déroge matiquement déclarés, si bien qu’il
treprises individuelles, mais une telle pas à cette démarche. Pour la défini- peut s’avérer difficile, voire impossi-
approche risquait de réduire à néant tion de la notion de petites entreprises,
l’innovation puisque dans la pratique le législateur s’est inspiré de l’expé-
NOTES
les entrepreneurs individuels, plutôt rience pratique d’un État de la zone
que de demander l’ouverture d’une OHADA (4). Il renvoie à la définition (4) Au Sénégal, il existe déjà une
procédure collective, préfèrent dans la de la petite entreprise visée par l’arti- législation dédiée aux PME. C’est le
plupart des cas « mettre la clé sous la cle 1-3 de l’AUPC révisé. dispositif sur les modes alternatifs de
porte». C’est également perdre de vue règlement des différends (MARD,
D. n° 2009-95, 6 févr. 2009) portant
que dans certains États parties, cer- Ainsi, la procédure simplifiée est appli-
création et organisation de l’Observatoire
tains entrepreneurs individuels em- cable à toute entreprise, relevant du de la qualité des services financiers
ploient un nombre considérable de sa- champ d’application de l’AUPC, qui instituant un cadre de médiation en
lariés avec un chiffre d’affaires tout satisfait à deux conditions négatives matière bancaire et en matière
aussi important. Par ailleurs, il n’a pas cumulatives, auxquelles il convient d’assurances au profit des PME, qui a
été institué de procédure de concilia- d’ajouter une troisième pour la liqui- largement inspiré la définition des petites
entreprises.
tion simplifiée dans la mesure où cette dation :
(5) AUPC révisé, art. 179-1.
nouvelle procédure est apparue suffi- (6) Le droit français fixe comme critère,
samment souple sans qu’il soit néces- – un nombre de salariés inférieur ou outre un chiffre d’affaires hors taxes
saire d’en proposer une variante sim- égal à 20; inférieur ou égal à 300000 euros, un
plifiée. – un chiffre d’affaires n’excédant nombre de salariés inférieur ou égal à 1
pas 50 000 000 de francs CFA, soit pour l’application obligatoire de la
Après avoir précisé les conditions 76000 euros environs hors taxes; liquidation simplifiée. Elle est facultative
au-delà de ces seuils et si elle ne compte
d’ouverture et d’application de ces pro- – un critère supplémentaire spécifique pas plus de 5 salariés et un chiffre
cédures simplifiées (I), il conviendra de à la liquidation des biens est prévu et d’affaires inférieur à 750000 euros.
mettre en exergue les principaux traits qui est relatif à une absence d’actif im- (C. com., art. L. 641-2, al. 1er, D. 641-10,
de ces régimes simplifiés (II). mobilier(5). al. 1er).

DROIT & PATRIMOINE n N°253 n DÉCEMBRE 2015


46 DOSSIER
MODERNISATION DE L’ACTE UNIFORME SUR LES PROCÉDURES COLLECTIVES

ble, d’obtenir un décompte fiable sur tion financière et économique ou un in- procédure. Dès lors, il est assez logique
une période de douze mois écoulés. ventaire provisoire. Il devra en outre de prévoir l’application de la procé-
Néanmoins, le fait d’avoir retenu fournir une attestation sur l’honneur à dure simplifiée qui sera moins coû-
comme critère un nombre de salariés l’appui de sa demande. teuse, y compris si le débiteur ne la
assez élevé pourrait réduire, du moins sollicite pas. Enfin, même si ces condi-
peut-on l’espérer, ces difficultés. Il est vrai que pour les petites entre- tions sont réunies, la juridiction com-
prises, l’exigence d’un projet concor- pétente peut en refuser l’application
Concernant l’application du régime dataire ou de certains documents dès ou, à l’inverse, après en avoir fait appli-
simplifié de la liquidation des biens, en la demande d’ouverture peut parfois cation, décider de ne plus en faire ap-
plus des conditions de seuils précitées, constituer un réel obstacle. Aussi, plication. Cette souplesse se justifie
le débiteur ne doit pas disposer d’actif lorsque dans le cas de la procédure de par le fait que par expérience on sait
immobilier. Ce critère supplémentaire règlement préventif simplifié, par que dans ces petites entreprises, on
se comprend facilement, la réalisation exemple, le projet n’a pas été fourni, il dispose souvent de fort peu d’éléments
d’immeubles peut prendre du temps et pourra être ultérieurement établi par le au moment de l’ouverture de la procé-
surtout elle doit être entourée de pré- débiteur avec le concours de l’expert. dure. Par conséquent, il peut apparaî-
cautions et, en particulier, elle néces- tre que la procédure simplifiée soit
site une autorisation du juge-commis- Une demande est par principe faculta- adaptée ou pas selon les circonstances.
saire. Dès lors, si le débiteur possède tive pour le débiteur. Lorsque les De manière générale, l’existence de
des immeubles, la liquidation des biens conditions cumulatives des seuils sont cette possibilité de passerelle de la pro-
simplifiée est inadaptée et en tout cas réunies, le débiteur a la faculté de de- cédure simplifiée à la procédure nor-
inapplicable. mander l’application d’une des procé- male répond à un souci de réalisme et
dures simplifiées adaptées à sa situa- permet au débiteur comme au juge
B – UNE DEMANDE FACILITÉE ET tion. compétent de faire face à la sur-
LAISSÉE AU CHOIX DU DÉBITEUR venance d’une complication empê-
Dans le cadre d’une procédure de re- chant de tenir les délais de clôture de la
Pour éviter la lourdeur d’une convoca- dressement judiciaire, le demandeur a procédure : contentieux en cours,
tion spécifique et alléger les modalités d’ailleurs toujours la faculté de faire la créances longues à recouvrer, entre-
de la demande d’application d’une demande d’application du redresse- prise débitrice qui est une filiale d’un
procédure simplifiée, un formalisme ment judiciaire simplifié, même après groupe en difficulté, actifs difficiles à
allégé est mis en place pour faciliter la la décision d’ouverture de la procé- réaliser, difficultés préexistantes mais
demande d’ouverture du débiteur. dure, au plus tard dans un délai de sous-estimées lors de l’ouverture de la
Mais même si la demande d’ouverture trente jours s’il arrive à établir que les procédure.
d’une procédure simplifiée est par conditions d’application de cette pro-
principe facultative pour le débiteur, la cédure existent toujours. La juridiction La décision de la juridiction compé-
décision du juge compétent de faire ou compétente doit alors statuer après tente doit toutefois en telle hypothèse
non application de la procédure n’est, avoir entendu le syndic (art. 145-5). être spécialement motivée, ce qui a
elle, susceptible d’aucun recours. pour objet d’attirer son attention sur le
Une décision de la juridiction com- fait qu’une telle décision doit rester ex-
Un formalisme allégé. – Un des avan- pétente.- S’il n’est pas prévu par les ceptionnelle.
tages principaux des procédures sim- textes que la juridiction compétente
plifiées tient au fait que les documents puisse décider d’office de l’application Si les règles du droit commun s’appli-
exigés lors de toute demande de pro- d’une procédure simplifiée de règle- quent au jugement prononçant l’ou-
cédure collective classique sont consi- ment préventif ou de redressement ju- verture d’une procédure collective qui
dérablement allégés. C’est le cas par diciaire, cette possibilité existe bien peut faire l’objet d’un appel ou d’un
exemple dans la procédure de règle- dans le cadre d’une procédure de liqui- pourvoi en cassation, l’exercice de la
ment préventif simplifié où le débiteur dation des biens simplifiée. En effet, faculté par la juridiction compétente
est dispensé de fournir un projet après l’ouverture d’une procédure d’appliquer ou de ne pas appliquer une
concordataire alors que dans le régime «normale» de liquidation des biens, le procédure simplifiée est une mesure
de droit commun cette production est syndic rédige et dépose un rapport d’administration judiciaire non sus-
obligatoire. Il en est également de dans les trente jours de sa désignation. ceptible de recours. D’origine juris-
même dans le cas de la procédure de Au vu de ce rapport, la juridiction com- prudentielle, la mesure d’administra-
redressement judiciaire simplifié où la pétente peut d’office faire application tion judiciaire vise « seulement à
production de documents tels que, par de la procédure simplifiée après avoir assurer la bonne marche de l’ins-
exemple, les états financiers de syn- entendu ou dûment appelé le débiteur tance» et n’a donc pas une nature juri-
thèse ou encore l’inventaire formelle- (art. 179-3). Cette spécificité s’explique dictionnelle.
ment requis pour le régime normal par le fait que beaucoup de liquida-
n’est pas nécessaire si lesdits docu- tions judiciaires de petites entreprises Sur le plan pratique, il est nécessaire de
ments ou l’information sollicitée ne conduisent à aucune répartition en- laisser à la juridiction concernée le
n’existent pas ou sont difficiles à obte- tre les créanciers, car bien souvent le choix de l’opportunité en fonction des
nir. Le débiteur devra alors fournir un produit de la vente des actifs ne permet circonstances du dossier et des élé-
document de nature à établir sa condi- même pas de rembourser les frais de ments autres que les seuls critères ob-

DROIT & PATRIMOINE n N°253 n DÉCEMBRE 2015


DOSSIER 47
Des procédures adaptées aux «petites» entreprises : les procédures simplifiées

jectifs des seuils. L’impossibilité par- pour le redressement de l’entreprise, À la différence de ce qui est prévu dans
fois de connaître les critères objectifs notamment les modalités d’apure- la procédure de droit commun, l’ho-
avec certitude, l’imprécision sur la ment du passif et, en particulier, la de- mologation du concordat dans le ca-
consistance des actifs annoncés (et mande de délais et de remises, les per- dre du redressement judiciaire simpli-
souvent cachés) par le débiteur, la na- sonnes tenues d’exécuter le concordat fié se fait sans vote des créanciers.
ture de ces actifs mobiliers difficiles à préventif, ainsi que, s’il y a lieu, les ga- Deux raisons peuvent justifier cette
réaliser rapidement, la volonté de ranties fournies pour en assurer l’exé- particularité. D’une part, dans le cas
mieux contrôler les opérations de cution. En tout état de cause, ce projet des entreprises éligibles au redresse-
vente d’actifs, l’existence ou la proba- précise les éléments permettant d’éta- ment judiciaire simplifié, le vote des
bilité de contentieux, l’éventualité blir la viabilité financière et écono- créanciers apparaît souvent inadapté.
d’actions en sanctions constituent no- mique du débiteur (art. 24-5). Certains créanciers importants ont
tamment autant de raisons sérieuses quasiment à eux seuls la majorité, ou
de renoncer à l’application d’une pro- Concernant le redressement judiciaire ceux-ci sont trop peu nombreux pour
cédure simplifiée même si le législa- simplifié, selon l’article 145-3 de l’Acte que le vote soit véritablement perti-
teur lui-même a eu la sagesse d’autori- uniforme, le débiteur, avec le concours nent. D’autre part, en pratique, le
ser la juridiction compétente à décider du syndic, doit déposer un projet de concordat est en quelque sorte réduit à
à tout moment de ne plus faire applica- concordat de redressement judiciaire, son strict minimum puisqu’il se traduit
tion de la procédure simplifiée par un au plus tard dans les quarante-cinq essentiellement par des remises de
jugement spécialement motivé. jours qui suivent sa déclaration. Ainsi, dettes et des délais de paiement. Or les
le délai de soixante jours pour présen- remises de dettes ne peuvent en aucun
ter le projet de concordat de redresse- cas être imposées aux créanciers tan-
II – DÉROULEMENT DES ment judiciaire est réduit à quarante- dis que les délais de paiement doivent
PROCÉDURES SIMPLIFIÉES cinq (45). Mais il est prévu que le syndic être acceptés par les créanciers. En re-
participe activement à la réalisation du vanche, les créanciers qui n’accepte-
projet de concordat de redressement raient aucun délai de paiement pour-
L’institution des procédures simpli- judiciaire, là encore parce que bien raient se voir imposer par la juridiction
fiées répond à des objectifs assumés souvent dans ces petites entreprises, il compétente de tels délais pour une du-
de célérité et d’efficacité, cela se tra- n’y a pas de conseils pouvant les aider. rée qui ne peut excéder deux ans,
duit notamment aussi bien dans les Il n’a pas été jugé utile d’exiger que soit comme le prévoyait d’ailleurs l’AUPC
modalités de l’élaboration du plan dressé un bilan économique et social dans le régime normal avant révision.
concordataire (règlement préventif dans ce cadre (art. 145-4). De surcroît, Cette possibilité, désormais réservée à
simplifié et redressement judiciaire le projet peut se limiter à des délais de la procédure simplifiée, suppose toute-
simplifié) (A) que dans les modalités de paiement, des remises de dettes ainsi fois que la juridiction qui homologue le
réalisation des actifs dans le cadre de la qu’aux garanties éventuelles que le concordat vérifie que celui-ci est sé-
liquidation des biens simplifiée (B). chef d’entreprise doit souscrire pour rieux et que ces délais imposés concer-
en assurer l’exécution. Concernant les nent seulement quelques créanciers
A – ÉLABORATION ET ADOPTION délais de paiement et les remises de récalcitrants. On comprend mieux dès
DU CONCORDAT dettes, l’accord de chaque créancier lors pourquoi le recours à cette procé-
concerné est nécessaire. dure simplifiée est laissé au libre arbi-
Dans les deux procédures simplifiées tre du débiteur qui en remplit les
de règlement préventif et de redresse- Toujours dans le redressement judi- conditions. Il peut en effet préférer re-
ment judiciaire, les modalités d’élabo- ciaire simplifié, aux termes de l’arti- courir à la procédure de droit commun
ration du concordat ont été considéra- cle 145-8, «au moins quinze jours avant dans laquelle il peut espérer obtenir,
blement allégées. que la juridiction compétente statue sur selon le cas, plus d’efforts de la part de
l’homologation du projet de concordat, ses créanciers. À défaut, il bénéficie
Concernant le règlement préventif le syndic communique ledit projet aux d’une procédure simple et efficace.
simplifié, dans le cadre de sa demande créanciers, par lettre au porteur contre
d’application, le débiteur n’est pas récépissé ou par lettre recommandée B – RÉALISATION SIMPLIFIÉE ET
tenu de produire un projet de concor- avec demande d’avis de réception ou ACCÉLÉRÉE DES ACTIFS DANS
dat préventif, difficile à fournir de fa- par tout moyen laissant trace écrite ». LA LIQUIDATION DES BIENS
çon immédiate pour une petite entre- Ainsi, à défaut de convoquer obligatoi- SIMPLIFIÉE
prise (art. 24-2; v. supra). Il a été jugé rement les créanciers, il est tout de
préférable d’associer l’expert au rè- même nécessaire de les consulter. Les dérogations au régime normal de
glement préventif à l’élaboration de ce Cette consultation qui est faite par le liquidation des biens caractérisant la
projet, la petite entreprise étant rare- syndic se traduit par l’envoi du projet procédure simplifiée s’organisent au-
ment entourée de conseils pouvant de concordat. S’il prévoit des remises tour de quatre thèmes.
l’aider à cet effet. Il s’agit d’une cer- de dettes ou des délais de paiement su-
taine façon de vérifier de la solidité du périeurs à deux ans, chaque créancier Des règles particulières de réali-
projet et son sérieux. Ce projet appa- doit donner son accord. À noter que le sation des actifs du débiteur
raît assez simple puisqu’il précise les défaut de réponse dans un délai de (art. 179-6). – La procédure de liqui-
mesures et conditions envisagées quinze jours vaut refus. dation des biens simplifiée postule

DROIT & PATRIMOINE n N°253 n DÉCEMBRE 2015


48 DOSSIER
MODERNISATION DE L’ACTE UNIFORME SUR LES PROCÉDURES COLLECTIVES

qu’il n’y ait pas de cession de l’entre- les créances qui ont une chance d’être fre toujours la possibilité de la passe-
prise (si la cession globale est envisa- payées. relle à la procédure normale de droit
geable, c’est une raison de ne pas ap- commun, en espérant toutefois que
pliquer la liquidation des biens L’établissement d’un projet de ré- cette passerelle ne sera utilisée que
simplifiée) et la réalisation d’actifs ne partition (art. 179-8). – Il s’agit d’une dans des cas strictement justifiés.
peut concerner que les meubles, la innovation à saluer. À l’issue de la pro-
présence d’immeuble(s) excluant de cédure de vérification et d’admission En conclusion, dans sa démarche
facto le recours à la liquidation des des créances et de la réalisation de l’ac- délibérément simplificatrice pour
biens simplifiée. tif, le syndic établit un projet de répar- les petites entreprises, le législateur
tition qu’il dépose au greffe de la juri- OHADA a logiquement montré le bon
En régime normal, c’est le juge-com- diction compétente. Le dépôt de ce exemple en ne consacrant que très peu
missaire qui ordonne la vente aux en- projet fait l’objet d’une mesure de pu- d’articles aux régimes des procédures
chères publiques ou autorise la vente blicité dans les conditions prévues aux simplifiées de règlement préventif, de
de gré à gré des biens mobiliers. En ré- deux premiers alinéas de l’article 37 de redressement judiciaire et de liquida-
gime simplifié, la juridiction compé- l’Acte uniforme, réalisée par le greffe. tion des biens. Toutefois, bien que
tente, dans la décision décidant de Tout intéressé peut prendre connais- conçues comme des procédures d’ex-
l’application de la liquidation des sance du projet de répartition et, à l’ex- ception, celles-ci pourraient devenir
biens simplifiée, détermine les biens clusion du syndic, le contester devant en réalité très vite dans la pratique les
du débiteur pouvant faire l’objet d’une le juge-commissaire, dans un délai de procédures les plus appliquées
vente de gré à gré et le syndic y pro- dix jours à compter de la publicité pré- compte tenu de la typologie des entre-
cède dans les quatre-vingt jours sui- vue dans l’alinéa précédent. Le juge- prises en zone OHADA. En effet, la va-
vant la publication de cette décision. commissaire statue sur les contesta- riété de situations des entreprises peut
À l’issue de cette période, il est pro- tions par une décision qui fait l’objet légitimement amener les juridictions à
cédé à la vente aux enchères des biens d’une notification par tout moyen per- appliquer plus ou moins généreuse-
subsistants. La simplification réside mettant d’établir la réception effective ment ce nouveau mécanisme. Mais en-
donc dans la suppression de la tutelle par le destinataire aux créanciers inté- core faudra-t-il que les entreprises
du juge-commissaire et il n’est pas non ressés. Sa décision est insusceptible de concernées recourent aux instru-
plus prévu que le débiteur soit en- recours. La faiblesse des actifs et donc ments juridiques de traitement de
tendu. L’accélération résulte de l’édic- des sommes à répartir laisse à penser leurs difficultés, ce qui constituerait
tion du délai de trois mois pour les que les contentieux seront quasi une amélioration notable de la situa-
ventes de gré à gré à l’issue duquel la inexistants tion actuelle. C’est donc à l’usage qu’il
vente aux enchères publiques devient sera intéressant d’observer comment
obligatoire. Le syndic procède à la répartition les micro-entrepreneurs utiliseront et
conformément au projet ou, si ce der- assimileront ces nouveaux dispositifs
Toutefois, on peut craindre sur ce point nier a été contesté, à la décision ren- d’élargissement et d’assouplissement.
précis de voir naître quelques critiques due. Là encore, la réduction stricte des
en cas de présence d’un actif mobilier voies de recours pourrait surprendre À cet égard, un bilan d’étape par retour
de valeur, par exemple un fonds de mais la modicité des sommes à répartir d’expérience sera opportun et néces-
commerce. On pourra tout simple- dans la plupart des cas limite considé- saire pour permettre une évaluation de
ment rétorquer que dans ce cas le juge rablement les enjeux. la pratique et une éventuelle évolution
compétent a toujours la possibilité des textes. Or le rythme de réforme des
d’appliquer en ce cas le régime général Une clôture accélérée de la procé- Actes uniformes jusqu’ici adopté est
de la liquidation des biens (par la pro- dure (art. 179-9). – Il est prévu que la trop lent et peu adapté à une catégorie
cédure de la passerelle), voire de refu- juridiction compétente prononce la de droit qui relève avant tout de la pra-
ser, dès le départ, l’application du ré- clôture de la liquidation des biens sim- tique, donc qui est par essence très évo-
gime simplifié. plifiée, au plus tard cent vingt jours lutif. À cet égard, faut-il rappeler qu’en
après l’ouverture ou la décision pro- France le droit de l’entreprise en diffi-
Une vérification des créances allé- nonçant la procédure simplifiée, le dé- culté est en perpétuelle évolution. De-
gée (art. 179-7). – Toujours dans une biteur entendu ou dûment appelé. La puis 1985, on ne dénombre pas moins
logique d’accélération du déroule- juridiction compétente peut, par un de cinq réformes majeures, sans comp-
ment de la procédure collective, la vé- jugement spécialement motivé, pro- ter l’instillation régulière de petites
rification des créances est limitée aux roger la procédure pour une durée qui touches éparses, les professionnels au
seules créances susceptibles de venir ne peut excéder soixante jours. La du- chevet des entreprises estiment en effet
en rang utile, sauf les créances sala- rée maximale de la liquidation judi- que c’est l’une des matières ayant le
riales qui devront être vérifiées. En ciaire simplifiée est donc de cent qua- plus besoin de s’adapter au rythme du
théorie, il peut paraître difficile pour le tre-vingt jours, soit six mois. Cette monde des affaires. Sans aller jusqu’à
syndic de déterminer, a priori, les durée peut paraître brève mais c’est là réformer aussi souvent, le législateur
créances qui viendront en rang utile. l’essence même de cette procédure OHADA pourrait sans doute essayer,
Mais en réalité, s’agissant de «petites simplifiée. Par ailleurs, s’il s’avère que au moins sur des questions aussi cru-
entreprises» disposant d’un actif assez la procédure ne pourra pas être clôtu- ciales que celle-ci, d’envisager des
faible, il devrait être aisé de déterminer rée dans les délais, l’article 179-10 of- amendements de façon régulière. n

DROIT & PATRIMOINE n N°253 n DÉCEMBRE 2015


DOSSIER 49
Le droit international privé de l’Acte uniforme OHADA

LE DROIT INTERNATIONAL
PRIVÉ DE L’ACTE UNIFORME
OHADA
L’ACTE UNIFORME ADOPTÉ PAR L’OHADA OFFRE AUX PRATICIENS
UN OUTIL DE COOPÉRATION ENTRE LES TRIBUNAUX ET
LES PROFESSIONNELS POUR LA GESTION COORDONNÉE
DES PROCÉDURES COLLECTIVES. IL S’INSPIRE LARGEMENT DE LA LOI
TYPE DE LA CNUDCI PARTICULIÈREMENT POUR LES RELATIONS
AVEC LES ÉTATS HORS DE L’ESPACE OHADA. EN CE QUI CONCERNE
LES RELATIONS ENTRE ÉTAT MEMBRES, UNE INFLUENCE INDÉNIABLE
DU RÈGLEMENT DE L’UNION EUROPÉENNE TRANSPARAÎT.

PAR LAURENCE-CAROLINE HENRY, sance et les effets d’une procédure col- le territoire des autres États parties,
AVOCAT GÉNÉRAL À LA COUR DE lective ouverte dans un État signa- sans attendre qu’elles soient défini-
CASSATION, AGRÉGÉE DES UNIVERSITÉS,
EXPERT « INSOLVABILITÉ » DU
taire (I) et la reconnaissance et les effets tives. En outre, ce principe est étendu
GOUVERNEMENT FRANÇAIS À LA CNUDCI, d’une procédure ouverte hors de l’es- aux décisions rendues par un État ex-
ET JEAN-LUC VALLENS, MAGISTRAT, pace OHADA (II). térieur à l’espace OHADA si elles sont
ANCIEN PROFESSEUR ASSOCIÉ reconnues conformément aux dispo-
AUX UNIVERSITÉS DE STRASBOURG ET
DE PARIS, EXPERT « INSOLVABILITÉ » DU sitions applicables aux procédures
GOUVERNEMENT FRANÇAIS À LA CNUDCI I – LA RECONNAISSANCE collectives étrangères (art. 247, al. 2,
DES DÉCISIONS RENDUES opérant un renvoi au titre VII, chapi-
DANS L’ESPACE OHADA tre II, v. infra, II). Une fois reconnues,
ces décisions peuvent être traitées de

L
’Acte uniforme révisé sur les la même manière que celles rendues
procédures collectives d’apu- Les articles 247 à 255-1 de l’Acte uni- par les juridictions des États parties,
rement du passif, adopté par forme posent des règles de droit rela- cette précision apportée à l’occasion
l’Organisation pour l’harmo- tives à la reconnaissance des déci- de la révision de l’Acte uniforme ren-
nisation en Afrique du droit des af- sions rendues en matière de force la sécurité juridique offerte aux
faires (OHADA), coïncide, du fait des procédure collective entre les États créanciers étrangers à l’espace
travaux menés en parallèle en Europe parties. Les décisions concernées OHADA et, par ricochet, elle aug-
et en Afrique, avec l’adoption du règle- sont énumérées à l’article 247. Il s’agit mente l’attractivité du droit OHADA.
ment européen n° 2015/848/UE du des décisions ouvrant ou clôturant De manière presque superfétatoire,
20 mai 2015 (JOUE 5 juin, n° L 141) des procédures collectives, mais aussi puisque l’autorité de chose jugée est
ayant modifié le règlement précédent « celles qui règlent les contestations ou distincte de la force exécutoire, le der-
n° 1346/2000/CE du 29 mai 2000 (JOCE les différends nés de ces procédures et nier alinéa énonce que les mesures
30 juin, n° L 160) sur les procédures celles sur lesquelles les procédures d’exécution forcée requièrent l’exe-
d’insolvabilité. L’adoption de ces dis- collectives exercent une influence juri- quatur, mais la précision, pragma-
positions contribue sans conteste à dique ». Le domaine de la reconnais- tique, n’est pas nécessairement inu-
l’attractivité du droit OHADA, ces rè- sance est donc très large lorsque l’on tile. Le chapitre premier du titre VII
gles apportant une sécurité juridique rappelle que le droit de l’insolvabilité relatif aux procédures collectives in-
aux investisseurs. Les observations est impérialiste, perturbant le droit ternationales décline les conditions
qui suivent portent sur les aspects in- des contrats, des sûretés, des sociétés, d’une reconnaissance mesurée (A),
ternationaux de l’Acte. Elles s’articu- etc. Ces décisions, si elles sont exécu- mais utilement coordonnée (B) au sein
lent en deux chapitres : la reconnais- toires, ont autorité de chose jugée sur de l’espace OHADA.

DROIT & PATRIMOINE n N°253 n DÉCEMBRE 2015


50 DOSSIER
MODERNISATION DE L’ACTE UNIFORME SUR LES PROCÉDURES COLLECTIVES

A – UNE RECONNAISSANCE OHADA. La lecture combinée de l’arti- exigeante, c’est l’apport de la révision.
MESURÉE cle 251, alinéa 1er, et de l’article 252-1 Il doit publier « dans tout État partie où
permet de conclure qu’un débiteur cette publication pourrait être utile à la
Entre États parties, la reconnaissance peut être soumis à une procédure col- sécurité juridique et aux intérêts des
des décisions rendues au sein de lective dans différents États parties. Le créanciers, le contenu essentiel des dé-
l’OHADA emporte des effets varia- premier texte précise que la reconnais- cisions relatives à une procédure col-
bles. Seule la procédure principale a un sance des effets d’une procédure col- lective et, le cas échéant, la décision qui
effet universel (art. 251, al. 2), ce qui est lective ouverte par la juridiction com- le nomme » (art. 248, al. 2 : la même pu-
un apport de la révision. Il convient pétente d’un État partie ne fait pas blicité peut être décidée d’office par la
donc de distinguer entre les effets re- obstacle à l’ouverture d’une autre pro- juridiction ayant ouvert la procédure).
connus à la procédure principale et cédure collective, y compris secon- À défaut, le syndic engage sa respon-
ceux accordés aux autres procédures daire, par la juridiction compétente sabilité civile. En outre, d’autres publi-
qui sont territoriales selon les bonnes d’un autre État partie. Le second texte cités peuvent être assurées en cas de
pratiques internationales(1). énonce qu’en cas d’ouverture de plu- besoin, elles concernent les « décisions
sieurs procédures collectives dans plu- relatives à la procédure collective au li-
L’Acte uniforme se réfère aux procé- sieurs États parties à l’encontre d’un vre foncier, au registre du commerce et
dures principales, secondaires et ter- même débiteur, la coordination des ju- du crédit mobilier ou à tout autre regis-
ritoriales. Le vocabulaire ne va pas ridictions et des syndics s’impose. tre public tenu dans les États parties ».
s’en rappeler celui du règlement Dans ce cas, il n’y a pas de hiérarchie Cette publicité est le gage de la sécu-
n° 1346/2000/CE du 29 mai 2000 alors entre les procédures principales et les rité juridique dans l’espace OHADA
que l’Acte uniforme ne s’inspire pas de autres procédures. Cette souplesse se grâce à l’information des créanciers,
ces dispositions mais s’appuie davan- retrouve dans l’article 255-1, qui pré- contractants, dispensateurs de crédit,
tage sur le guide législatif de la Com- cise que si la liquidation des actifs etc. Ensuite, l’efficacité transfronta-
mission des Nations unies pour le d’une procédure collective permet de lière des décisions d’ouverture dépend
droit commercial international payer toutes les créances admises dans de la reconnaissance de pouvoirs ex-
(CNUDCI). L’insolvabilité internatio- cette procédure, le syndic désigné traterritoriaux au syndic désigné par
nale est de plus en plus caractérisée dans celle-ci transfère le surplus d’actif la juridiction ayant ouvert la procé-
par des concepts communs. On re- au syndic de l’autre procédure ouverte dure. Ainsi, l’article 249 de l’Acte uni-
trouve les notions de procédure prin- dans un autre État partie. Mieux, si plu- forme, qui n’a pas été modifié, énonce
cipale, de procédure secondaire et de sieurs procédures sont ouvertes dans que le syndic d’une procédure collec-
procédure territoriale. Cependant, à plusieurs États parties, le surplus est tive ouverte par une juridiction com-
la différence du droit de l’Union euro- réparti « au prorata du montant des pétente « peut exercer, sur le territoire
péenne, l’Acte uniforme n’entre pas passifs admis dans chacune de ces pro- d’un autre État partie, tous les pouvoirs
dans les subtilités relatives au centre cédures ». Cette dernière précision est qui lui sont reconnus par le présent
des intérêts principaux et à la notion l’apport de la révision qui valorise une Acte uniforme aussi longtemps qu’au-
d’établissement. Il précise seulement fois encore les meilleures pratiques in- cune autre procédure collective n’est
que la juridiction ayant ouvert la pro- ternationales (3). Elle tire les consé- ouverte dans cet État ». Cette disposi-
cédure principale est celle du lieu de si- quences de l’absence de hiérarchie en- tion n’est pas réservée aux seuls
tuation du siège social ou principal tre les procédures et du maintien d’une syndics nommés dans le cadre d’une
établissement ; dans les autres cas, les souveraineté affirmée des États par- procédure principale. Ainsi, par l’in-
juridictions compétentes ouvrent une ties en introduisant un principe de termédiaire des pouvoirs de son syn-
procédure secondaire si la procédure coordination explicite. dic, toute procédure présente un ca-
principale est ouverte, ou une procé- ractère extraterritorial minimal. Dès
dure territoriale si la procédure princi- B – UNE RECONNAISSANCE lors, on comprend que l’article 249, ali-
pale n’est pas encore ouverte (art. 1-3). COORDONNÉE néa 2, précise les modalités de la
L’article 251, alinéa 2, donne un effet preuve de la nomination du syndic.
universel à la procédure principale et La coordination concerne les juridic-
cantonne la procédure secondaire à tions et les syndics. L’inspiration vient En présence d’une procédure princi-
un effet territorial (tout comme la pro- de la loi type relative à l’insolvabilité pale et de procédure(s) secondaire(s),
cédure territoriale qui, comme dans transfrontalière de la CNUDCI quant à l’émergence de principes communs
les règlements européens, est ouverte la coopération des juridictions. La coo-
avant la procédure principale) (art. 1-3 pération entre les syndics était déjà
NOTES
et 251, al. 3 et 4). Les bonnes pratiques prévue dans l’Acte uniforme avant sa
internationales sont ici prises en révision, ces derniers restent la clef de (1) CNUDCI, Guide pour l’incorporation
compte(2). voûte d’une coordination réussie des et l’interprétation sur la loi type relative
procédures. Mieux, sur eux repose l’ef- à l’insolvabilité transfrontalière, 1997,
Si dans le droit de l’Union européenne, ficacité transfrontalière des procé- p. 14 ; v. également CNUDCI, Guide
législatif sur le droit de l’insolvabilité,
plusieurs procédures collectives prin- dures. D’abord, l’article 248 fait peser 2005, p. 46 à 48.
cipales ne peuvent pas être ouvertes à sur le syndic nommé dans une procé- (2) Ibid.
l’encontre d’un même débiteur, tel dure ouverte par la juridiction d’un (3) V. CNUDCI, Guide législatif sur
n’est toujours pas le cas dans l’espace État partie une obligation de publicité le droit de l’insolvabilité, précité, p. 38.

DROIT & PATRIMOINE n N°253 n DÉCEMBRE 2015


DOSSIER 51
Le droit international privé de l’Acte uniforme OHADA

à l’insolvabilité internationale est l’ouverture d’une procédure collective


évidente. L’article 252 ne va pas sans dans un autre État partie, c’est-à-dire
rappeler l’article 31 du règlement tant que les mesures de publicité im-
n° 1346/2000/CE ; il introduit un de- posées par l’article 248 ne sont pas en-
voir d’information à la charge des syn- core assurées (v. supra). Ainsi, le
dics (la même obligation est recon- créancier « qui, sur le territoire d’un
duite dans le règlement refondu État partie, exécute un engagement au
n° 2015/848/UE, dans le cadre du prin- profit du débiteur soumis à une procé-
cipe de coordination pesant sur les dure collective ouverte dans un autre
praticiens de l’insolvabilité, art. 41) État partie alors qu’il aurait dû le faire
alors qu’il n’est pratiquement pas mo- au profit du syndic de cette procédure
difié par la révision (simplement, il collective, est libéré s’il a exécuté cet
apporte une précision pour que la pro- engagement ». Cette protection est re-
cédure secondaire ne soit pas liquida- lative, car même en l’absence des me-
tive). Les deux textes méritent quand de la procédure principale), mais il sures de publicité, il est possible de
même d’être lus parallèlement. On re- reste que l’issue de la procédure secon- rapporter la preuve de sa connais-
trouve l’obligation d’information réci- daire dépend quand même partielle- sance de la procédure collective.
proque, la contrainte du temps se re- ment des intérêts de la procédure prin-
trouve aussi, car dans les deux textes, cipale. Les articles 250, alinéa 1er, et 255 assu-
l’information se fait sans délai. Enfin, rent, quant à eux, le respect du principe
l’objet de l’information est le même Ensuite, elle permet une coopération de l’égalité des créanciers. D’une part,
puisque c’est dans les mêmes termes « horizontale », c’est-à-dire réciproque l’article 250, alinéa 1er, contraint le
qu’il est défini, il s’agit de « tout rensei- et sur un pied d’égalité quelle que soit créancier qui a obtenu un paiement to-
gnement qui peut être utile à une autre la procédure collective concernée. tal ou partiel de sa créance sur les biens
procédure collective, notamment l’état Cette coopération profite avant tout du débiteur situés sur le territoire d’un
de la production et de la vérification des aux créanciers. L’article 253 précise autre État partie que l’État d’ouverture
créances et les mesures visant à mettre qu’ils peuvent produire leurs créances de la procédure à « restituer au syndic
fin à la procédure collective pour la- à la procédure principale comme aux ce qu’il a obtenu, sans préjudice des
quelle ils sont nommés ». procédures secondaires. Les syndics clauses de réserve de propriété et des
ont également la faculté de « produire actions en revendication ». Formulé dif-
Au-delà d’un devoir d’information pe- dans une autre procédure collective les féremment, on retrouve l’esprit de l’ar-
sant sur les syndics et sanctionné par la créances déjà produites dans celle pour ticle 5 du règlement n° 1346/2000/CE
mise en œuvre de leur responsabilité laquelle ils ont été désignés, sous ré- (Règl. n° 2015/848/UE, art. 8) qui pré-
civile, c’est une véritable coopération serve du droit des créanciers de s’y op- serve les droits réels des créanciers sur
qui est esquissée par l’Acte uniforme. poser ou de retirer leur production ». les biens du débiteur situés dans un au-
Elle prend différentes formes. tre État membre que l’État d’ouver-
Enfin, l’article 252-1 pose un principe ture. En application de l’Acte uni-
D’abord, elle introduit, à l’instar du rè- général de coopération en cas d’ou- forme, le respect de l’égalité des
glement européen, un embryon de hié- verture de procédures collectives à créanciers explique l’obligation de res-
rarchie entre procédure principale et l’encontre d’un même débiteur dans titution qui pèse sur le créancier désin-
procédure secondaire. Cette dernière différents États parties. Ce principe téressé au détriment de la procédure,
n’est pas nécessairement liquidative : concerne avant tout les juridictions, ce mais certains droits réels sont proté-
le syndic de la procédure secondaire qui est une nouveauté. Jusqu’à pré- gés. D’autre part, l’article 255 précise
doit apporter son aide au syndic de la sent, la coopération concernait les que « le créancier qui a obtenu, dans une
procédure principale pour que ce der- syndics. L’influence de la loi type rela- procédure collective, un dividende sur
nier puisse « présenter des proposi- tive à l’insolvabilité transfrontalière de sa créance ne participe aux répartitions
tions relatives à l’issue de la procédure la CNUDCI se retrouve ici et le principe ouvertes dans une autre procédure col-
collective secondaire ou à toute utilisa- d’une coopération entre les juridic- lective que lorsque les créanciers de
tion des actifs de la procédure collective tions devient un concept commun au même rang ont obtenu, dans cette der-
secondaire » (art. 252, al. 2). Le syndic traitement international de l’insolva- nière procédure, un dividende équiva-
de la procédure principale doit donner bilité, car il se retrouve aussi dans le rè- lent ».
son accord avant qu’il puisse être mis glement n° 2015/848/UE, applicable le
fin à la procédure secondaire, soit par 26 juin 2017. Elles peuvent coopérer Ainsi, entre les États parties à l’Acte
concordat préventif, soit par concor- directement ou par l’intermédiaire uniforme, une circulation raisonnée
dat de redressement judiciaire ou par d’un syndic. des décisions de justice relatives à l’in-
une liquidation des biens. Certes les solvabilité a été inventée, offrant un
conditions dans lesquelles cet accord Les créanciers font l’objet d’une atten- instrument juridique sur mesure aux
est donné sont strictement encadrées, tion particulière, mais c’était déjà le syndics et aux juridictions. Dans les re-
notamment quant aux délais, quant à la cas avant la révision de l’Acte uni- lations avec les États tiers, c’est une lo-
raison du refus (la preuve que la solu- forme. L’article 250, alinéa 2, les pré- gique de droit international privé qui
tion affecte les intérêts des créanciers serve s’ils sont dans l’ignorance de s’impose.

DROIT & PATRIMOINE n N°253 n DÉCEMBRE 2015


52 DOSSIER
MODERNISATION DE L’ACTE UNIFORME SUR LES PROCÉDURES COLLECTIVES

II – LA RECONNAISSANCE sonne morale de droit privé », ce qui térêts des créanciers, des tiers et du dé-
DES PROCÉDURES s’applique aux sociétés commerciales biteur seront suffisamment protégés,
ÉTRANGÈRES de droit privé dont le capital social est par exemple par une mesure de publi-
détenu majoritairement par des États cation ou des garanties, et pourra à
ou des collectivités locales. tout moment y mettre fin.
La réglementation consacrée aux pro-
cédures ouvertes hors de l’espace A – MESURES D’ASSISTANCE B – RECONNAISSANCE DE
OHADA, que nous appellerons par LA PROCÉDURE COLLECTIVE
commodité « procédures collectives 1°/ Droit d’accès et ÉTRANGÈRE
étrangères », s’inspire directement de de communication directe
la loi type de la CNUDCI sur l’insolva- Les praticiens étrangers se voient re- Il ne s’agit pas d’une procédure d’exe-
bilité internationale. Elle a pour objec- connaître le droit d’accéder directe- quatur, accordant à une décision
tif d’offrir un cadre à la reconnaissance ment aux tribunaux de l’État partie, ce étrangère les effets prévus par la loi de
et à l’exécution des jugements rendus qui les dispense de solliciter la repré- l’État d’ouverture, mais d’une procé-
en matière de procédures collectives. sentation de professionnels locaux ou dure de droit interne où le législateur
L’Acte uniforme vise à assurer une l’ouverture d’une procédure collective détermine souverainement les modali-
coopération judiciaire, à garantir la sé- préalable devant le tribunal compétent. tés de la reconnaissance et ses effets.
curité juridique, la protection des inté-
rêts en cause, l’optimisation de la va- Les professionnels étrangers peuvent 1°/ Conditions
leur des actifs et le redressement des demander l’ouverture d’une procé- La procédure collective étrangère doit
entreprises « de manière à protéger dure collective locale, si les conditions être une procédure collective judi-
leurs investissements et préserver les d’ouverture sont réunies. Il est douteux ciaire, administrative ou autre, y com-
emplois » (art. 256). qu’ils puissent demander l’ouverture pris une procédure provisoire, régie
d’une procédure de type règlement par une loi sur l’insolvabilité ou sur les
À la loi type de la CNUDCI sur l’insol- préventif, qui n’est ouverte qu’au débi- procédures collectives d’un État étran-
vabilité internationale, il faut ajouter teur ou au débiteur et à un ou plusieurs ger, et contenir les caractères d’une
deux autres instruments annexes éla- créanciers par une requête conjointe. telle procédure : « Les biens et les af-
borés par la CNUDCI : le « Guide pour faires du débiteur sont soumis au
l’incorporation et l’interprétation de la Ils peuvent aussi participer à une pro- contrôle ou à la surveillance d’une juri-
loi type sur l’insolvabilité internatio- cédure collective déjà en cours. Le diction étrangère aux fins de redresse-
nale », et un document intitulé « La loi terme « participer » recouvre, pour le ment du débiteur ou de la liquidation de
type de la CNUDCI sur l’insolvabilité « Guide pour l’incorporation et l’inter- ses biens » (art. 1-3). Une procédure
internationale : le point de vue du prétation de la loi type sur l’insolvabilité étrangère qui ne viserait pas au redres-
juge »(4). internationale » de la CNUDCI, le droit sement ou à la liquidation mais seule-
de présenter des requêtes et des ment à protéger les investisseurs ne se-
Le champ d’application des disposi- conclusions devant le tribunal local re- rait pas nécessairement reconnue(6).
tions adoptées est celui couvert par lativement à la protection des biens, à
l’Acte uniforme : les personnes phy- leur réalisation et la répartition du pro- Quant à la référence à une loi sur l’in-
siques exerçant une activité indépen- duit des ventes d’actifs. solvabilité plutôt qu’à une condition
dante, commerciale, artisanale ou agri- d’insolvabilité, la modification, re-
cole et les personnes morales de droit Les professionnels seront habilités à prise dans les mêmes termes par le rè-
privé, sauf celles exerçant une activité communiquer directement avec les glement européen n° 2015/848/UE du
réglementée, comme les établisse- praticiens locaux et à coopérer avec 20 mai 2015, couvre largement les pro-
ments de crédit, les établissements de eux sous le contrôle du tribunal local. cédures fondées sur des difficultés fi-
micro-finance, les acteurs des marchés nancières, étant précisé que « la loi sur
financiers et les entreprises d’assu- 2°/ Mesures provisoires l’insolvabilité » peut aussi être conte-
rance et de réassurance. On mention- En vue de faire reconnaître une procé-
nera qu’une entité peut avoir la person- dure collective étrangère, les profes- NOTES
nalité morale dans un État et pas dans sionnels désignés dans cette procé-
un autre : un « business trust » est doté dure pourront demander des mesures (4) Disponibles sur le site de la CNUDCI :
www.uncitral.org sous “Insolvabilité”.
de la personnalité morale aux États- conservatoires : des investigations, un (5) Court of Appeal of England and
Unis mais peut ne pas être reconnu si arrêt des poursuites individuelles, la Wales, Rubin Eurofinance, 2010, EWCA
dans l’État requis il n’est pas un sujet de désignation d’un administrateur local, Civ. 895, 2012, UKSC 46 ; les décisions
droit(5). Mais l’origine internationale l’autorisation de gérer provisoirement citées ici sont mentionnées dans le
de l’Acte uniforme peut conduire à re- les biens du débiteur, ou encore une in- document « Le point de vue du juge »
connaître néanmoins une telle procé- terdiction temporaire pour ce dernier dans le présent Dossier ; v. aussi
J.-L. Vallens, La loi type de la CNUDCI
dure, sauf contradiction manifeste à de disposer de ses biens (art. 256-20-4
sur l’insolvabilité internationale, D. 1998,
l’ordre public de l’État requis. et 256-20-7), ce jusqu’à la décision sta- chr., p. 157.
tuant sur sa demande de reconnais- (6) Court of Appeal of England and
Sont aussi couvertes les « entreprises sance de la procédure étrangère. Le Wales, Stanford, 2009, EWHC 1441 Ch,
publiques ayant la forme d’une per- tribunal local devra vérifier que les in- 2010, EWCA Civ 137.

DROIT & PATRIMOINE n N°253 n DÉCEMBRE 2015


DOSSIER 53
Le droit international privé de l’Acte uniforme OHADA

nue dans un autre texte législatif, centre des intérêts principaux du débi- principal établissement sur le terri-
comme le droit des sociétés(7). teur. Le critère correspond également toire national, son siège ou le principal
à l’interprétation des tribunaux améri- centre d’exploitation (art. 3-1, par ren-
La qualification de la procédure im- cains, qui se basent sur « le principal voi des articles 256-3 et 256-16). Le tri-
porte aussi pour en mesurer ses effets : établissement »(8). bunal saisi doit statuer « dans un bref
la procédure étrangère est soit « prin- délai », afin de faciliter l’action du re-
cipale », soit « non principale ». La pro- Plusieurs éléments de fait ont été sug- présentant étranger et d’éviter que les
cédure principale est celle ouverte gérés pour éclairer la détermination biens du débiteur ne soient dispersés.
dans un État étranger où le débiteur a du centre des intérêts principaux, ou-
le centre de ses intérêts principaux. tre le lieu du siège : la résidence des di- Le tribunal saisi est parallèlement ha-
L’Acte uniforme révisé ajoute à ce cri- rigeants, le lieu des principaux avoirs, bilité à rapporter sa décision ou à la
tère : « y compris son siège, son centre la localisation des principaux créan- modifier, s’il apparaît que les motifs de
d’exploitation, son principal établisse- ciers, le droit applicable aux différends la reconnaissance étaient totalement
ment ou le cas échéant (pour une per- entre le débiteur et ses créanciers. Il a ou partiellement absents ou qu’ils ont
sonne physique) sa résidence habi- été aussi relevé qu’il fallait vérifier si les cessé d’exister. Cette souplesse vise à
tuelle ». La procédure est dite « non tiers ordinaires pouvaient déterminer éviter les demandes abusives ou non
principale », c’est-à-dire secondaire, si le lieu où le débiteur menait ses princi- justifiées, sans préjudice des recours
elle est ouverte dans un État étranger pales activités(9), notamment en véri- prévus (art. 216 et s.).
où le débiteur dispose d’un établisse- fiant les informations se trouvant dans
ment, défini comme étant tout lieu le domaine public et celles qu’un tiers 4°/ Effets de la reconnaissance
d’exploitation d’opérations où le débi- apprend normalement de ses rapports L’Acte uniforme révisé énumère les ef-
teur exerce de façon non transitoire avec le débiteur(10). fets directs de la reconnaissance d’une
une activité économique de produc- procédure étrangère principale : l’ar-
tion, de transformation ou de fourni- Le « Guide pour l’incorporation et l’in- rêt des poursuites individuelles et des
ture de biens ou de services, avec des terprétation de la loi type sur l’insolva- procédures civiles d’exécution visant
moyens humains et des biens (art. 1-3). bilité internationale » de la CNUDCI les biens et les droits du débiteur, l’ar-
ajoute que si ces facteurs n’étaient pas rêt des mesures d’exécution, c’est-à-
Ces catégories s’inspirent de la régle- clairs, d’autres éléments peuvent être dire, d’une part, les procédures de
mentation européenne mais s’en dis- pris en compte : la tenue de la compta- saisie et, d’autre part, les actes subsé-
tinguent cependant. Le critère du cen- bilité, la source du financement, la lo- quents. Sont aussi visées les obliga-
tre des intérêts principaux détermine, calisation des principaux actifs et de tions du débiteur qui sont suspendues
dans le règlement communautaire, la l’activité, le siège du principal créan- (le paiement des dettes exigibles), le
compétence internationale directe cier bancaire, le lieu de travail des sala- transfert des droits du débiteur, la
des tribunaux des États membres, riés, celui où se définit la politique com- constitution de sûretés et la disposi-
alors qu’il ne vise ici qu’à déterminer merciale, le droit applicable ou la tion de ses biens, de manière à assurer
les effets de la reconnaissance d’une localisation des services informa- l’égalité effective de créanciers et ge-
procédure collective étrangère. L’ap- tiques. ler le patrimoine du débiteur à la date
proche est aussi plus large, par les pré- de la décision de reconnaissance.
cisions apportées à la définition du 3°/ Cas d’une procédure collective
centre des intérêts principaux du dé- étrangère principale Les conséquences de la reconnais-
biteur. La demande de reconnaissance in- sance sont atténuées par plusieurs rè-
combe au « représentant étranger », gles qui en soulignent le caractère évo-
2°/ Les critères du centre c’est-à-dire à « la personne ou l’organe lutif : les actions individuelles restent
des intérêts principaux du débiteur désigné même à titre provisoire auto- possibles pour présenter une créance
Les critères du centre d’exploitation et risé à administrer le redressement ou contre le débiteur ; l’ouverture d’une
du principal établissement pour les la liquidation des biens des affaires du procédure collective demeure aussi
personnes morales et celui de la rési- débiteur ou à agir en tant que repré- possible ; enfin, les mesures prises
dence habituelle pour une personne sentant de la procédure collective peuvent être levées, à la demande du
physique, ajoutés par l’Acte uniforme, étrangère » (art. 1-3). Cela exclurait praticien étranger, d’office ou encore
étendent le contenu de la notion cen- toute autre partie intéressée, comme le
trale du centre des intérêts principaux. débiteur lui-même ou un créancier. Le
L’Acte uniforme révisé attribue une praticien étranger doit justifier de l’ou-
NOTES
présomption au siège statutaire pour verture de la procédure et de sa dési- (7) United States Bankruptcy Court,
une personne morale et à la résidence gnation. Il doit aussi préciser si la pro- D. Nevada, Betcorp 400 BR 266, 2009.
habituelle pour une personne phy- cédure étrangère est qualifiée de (8) United States District Court, South
sique. Les autres critères, comme le procédure principale ou de procédure District of New York, Bear Stearns 389
centre d’exploitation et le principal non principale, en raison des effets dif- BR 325 SDNY, 2008, ou le « centre
névralgique », v. US Supreme Court,
établissement, ne bénéficient pas de la férents qui s’y attachent. Hertz Corp. c/ Friend, 130 S. Ct.
présomption : aussi le praticien étran- 1181-2010.
ger devra démontrer que ces éléments Le tribunal local compétent est celui (9) Arrêt « Betcorp » précité.
de fait coïncident effectivement avec le dans le ressort duquel le débiteur a son (10) Arrêt « Stanford », précité.

DROIT & PATRIMOINE n N°253 n DÉCEMBRE 2015


29

DOSSIER
MODERNISATION
DE L’ACTE UNIFORME
SUR LES PROCÉDURES
COLLECTIVES
➧ Avant-propos ➧ Des procédures adaptées ➧ Des créanciers et des
PAR DOROTHÉ C. SOSSA..............................30 aux « petites » entreprises : contractants mieux protégés
les procédures simplifiées PAR PIERRE CROCQ........................................59
➧ Les procédures de prévention PAR BAKARY DIALLO ....................................44
dans l’AUPC révisé : ➧ Des mandataires judiciaires
la conciliation et le règlement ➧ Le droit international privé mieux encadrés, pour
préventif de l’Acte uniforme OHADA une procédure plus efficace
PAR FILIGA MICHEL SAWADOGO ..............32 PAR LAURENCE-CAROLINE HENRY PAR ALAIN FÉNÉON .......................................65
ET JEAN-LUC VALLENS.................................49
➧ Le redressement et
la liquidation mieux encadrés ➧ Les débiteurs dans l’AUPC
et plus rapides révisé : la modernisation
PAR MAMADOU KONATE ..............................39 du droit de l’insolvabilité
dans la continuité
PAR PHILIPPE ROUSSEL GALLE .................55

L
e 10 septembre 2015 à Grand-Bassam (Répu- les entreprises, de préservation et de création d’em-
blique de Côte d’Ivoire), l’Organisation pour plois, mais aussi de promotion de la croissance écono-
l’Harmonisation en Afrique du Droit des Af- mique dans les États membres de l’OHADA.
faires (OHADA) a écrit une nouvelle page de Publié au Journal Officiel de l’Organisation le 25 sep-
son histoire avec l’adoption, par le Conseil des Minis- tembre 2015, le nouveau texte entrera donc en vigueur
tres, d’un nouvel Acte uniforme portant organisation à la date symbolique du 24 décembre 2015, veille de la
des procédures collectives d’apurement du passif nativité pour les chrétiens, et aube d’une nouvelle an-
(AUPC). Ce nouveau texte, qui vient se substituer à née pour le plus clair de l’humanité. De la sorte, le nou-
l’Acte uniforme initial du 10 avril 1998, est le fruit d’une veau texte est comme porteur d’une espérance : l’espé-
longue maturation, mais aussi le résultat d’un remar- rance d’un jour nouveau qui se lève sur la prévention
quable consensus. et le traitement des difficultés économiques des entre-
Il marque en effet un saut qualitatif de grande enver- prises en Afrique ; l’espérance portée par un droit qui,
gure. Il tend à renforcer la célérité et l’efficacité des aujourd’hui mieux qu’hier, contribue au raffermisse-
procédures collectives, favoriser le sauvetage des en- ment du tissu économique et accompagne efficace-
treprises viables et le paiement substantiel des créan- ment la croissance économique dans les États afri-
ciers. Il est donc de nature à soutenir le développement cains.
du marché des crédits et du secteur privé dans les pays
de l’espace OHADA. Il constituera, assurément, un le- Par le Professeur Dorothé C. Sossa,
vier important d’accès à un meilleur financement pour Secrétaire Permanent de l’OHADA

DROIT & PATRIMOINE n N°253 n DÉCEMBRE 2015


30 DOSSIER
MODERNISATION DE L’ACTE UNIFORME SUR LES PROCÉDURES COLLECTIVES

AVANT-PROPOS
LE SECRÉTAIRE PERMANENT DE L’OHADA REVIENT SUR LE PROCESSUS
DE MODERNISATION DE L’ACTE UNIFORME PORTANT ORGANISATION
DES PROCÉDURES COLLECTIVES D’APUREMENT DU PASSIF, ET
DÉTAILLE LES AMBITIONS ET GRANDS AXES DU NOUVEL ACTE.

des procédures, lourdeur et inadapta- – l’institution de procédures simpli-


tion des procédures pour les micro-en- fiées de règlement préventif, de re-
PAR LE PROFESSEUR
DOROTHÉ C. SOSSA, trepreneurs, absence d’une procédure dressement judiciaire et de liquidation
SECRÉTAIRE PERMANENT préventive de conciliation moderne des biens adaptées aux petites entités
DE L’OHADA pour promouvoir les négociations pri- économiques ;
vées et les accords extrajudiciaires en- – l’institution de délais dont l’inobser-
tre le débiteur et ses créanciers, et ab- vation est sanctionnée, afin de réduire
sence d’un régime adéquat pour les la durée de mise en œuvre des procé-

L
e 10 septembre 2015 à Grand- faillites internationales ouvertes hors dures collectives et favoriser l’atteinte
Bassam (République de Côte de l’espace OHADA. des objectifs poursuivis ;
d’Ivoire), l’Organisation pour Le diagnostic ainsi établi, il restait à en – la fixation d’un cadre juridique pour
l’Harmonisation en Afrique tirer les conséquences à travers le pro- l’activité des mandataires judiciaires
du Droit des Affaires (OHADA) a écrit jet de texte révisé. Celui-ci a été longue- que sont les experts au règlement pré-
une nouvelle page de son histoire avec ment débattu et enrichi par les Com- ventif et les syndics, afin de garantir la
l’adoption, par le Conseil des Minis- missions Nationales OHADA, dont compétence, l’éthique et encadrer la
tres, d’un nouvel Acte uniforme por- une réunion plénière a été organisée à rémunération ;
tant organisation des procédures Abidjan (Côte d’Ivoire) les 30 et 31 mars – l’institution d’un privilège de « l’ar-
collectives d’apurement du passif 2015. Conformément à la procédure lé- gent frais » pour ceux qui consentent
(AUPC). Ce nouveau texte, qui vient se gislative de l’OHADA, le Secrétariat de nouveaux crédits à l’entreprise en
substituer à l’Acte uniforme initial du Permanent a, ensuite, adressé une de- difficulté pour faciliter son assainisse-
10 avril 1998, est le fruit d’une longue mande d’avis à la Cour Commune de ment ou son redressement ;
maturation, mais aussi le résultat d’un Justice et d’Arbitrage (CCJA), qui s’est – la clarification de l’ordre de priorité
remarquable consensus. prononcée en date du 17 juin 2015. Le des créanciers ;
En effet, c’est depuis l’année 2007 que, texte définitif du projet a ensuite été – l’établissement d’un nouveau régime
dans le cadre de l’évaluation exhaus- mis au point au cours d’une réunion d’insolvabilité transfrontalière basée
tive et systématique de ses textes, spéciale du Comité des Experts de sur la Loi-type de la CNUDCI.
l’OHADA a commis les premières l’OHADA, tenue à Abidjan (Côte Bien évidemment, il ne s’agit là que
études de diagnostic de l’application d’Ivoire) du 3 au 5 août 2015, avant son d’une énumération, à la fois arbitraire
de différents Actes uniformes. L’éva- adoption par le Conseil des Ministres et sommaire, des traits les plus saillants
luation de l’AUPC, alors éprouvé par en sa session de septembre 2015. d’une profonde réforme qui marquera
plusieurs années d’application, a bé- Le nouvel Acte uniforme propose des durablement le droit des entreprises
néficié du concours de diverses réponses modernes et adaptées aux en difficultés de l’espace OHADA.
équipes d’experts africains, européens différentes insuffisances révélées par Dans ce numéro spécial de la Revue
et nord-américains, tous spécialistes les études de diagnostic. Prenant en Droit et Patrimoine, de riches contribu-
reconnus du droit des procédures col- compte les préceptes de l’analyse éco- tions, préparées pour certaines par
lectives. Cet audit de l’application, en- nomique du droit et les meilleures pra- des experts ayant participé au proces-
richi par les données économétriques tiques juridiques internationales, sus de révision, donnent un aperçu
disponibles, a permis d’identifier les l’AUPC du 10 septembre 2015 révolu- plus complet de l’œuvre accomplie.
facteurs qui affectent négativement tionne le paysage des procédures col- Le nouvel Acte uniforme relatif au trai-
l’efficacité et l’efficience des procé- lectives dans l’espace OHADA. Ses tement de l’insolvabilité dans les pays
dures de traitement de l’insolvabilité principales innovations ont trait à : membres de l’OHADA a été publié au
dans l’espace OHADA, notamment : – l’institution d’une procédure de Journal Officiel de l’Organisation le
absence de réglementation des man- conciliation pour favoriser la sauve- 25 septembre 2015. Il entrera donc en
dataires judiciaires, durée trop longue garde des entreprises ; vigueur à la date symbolique du 24 dé-

DROIT & PATRIMOINE n N°253 n DÉCEMBRE 2015


DOSSIER 31
Avant-propos

cembre 2015, veille de la nativité pour bles et le paiement substantiel des d’un outil moderne, en phase avec les
les chrétiens, et aube d’une nouvelle créanciers. Il est donc de nature à sou- meilleures pratiques juridiques inter-
année pour le plus clair de l’humanité. tenir le développement du marché des nationales et adapté au contexte éco-
De la sorte le nouveau texte est comme crédits et du secteur privé dans les nomique africain ;
porteur d’une espérance : l’espérance pays de l’espace OHADA. Il consti- – exprimer la profonde gratitude des
d’un jour nouveau qui se lève sur la tuera, assurément, un levier impor- Organes et des Institutions de
prévention et le traitement des difficul- tant d’accès à un meilleur financement l’OHADA à l’endroit des Partenaires
tés économiques des entreprises en pour les entreprises, de préservation Techniques et Financiers, qui ont colla-
Afrique ; l’espérance portée par un et de création d’emplois, mais aussi de boré de façon exemplaire pour
droit qui, aujourd’hui mieux qu’hier, promotion de la croissance écono- conduire à bien le processus de révi-
contribue au raffermissement du tissu mique dans les États membres de sion ;
économique et accompagne efficace- l’OHADA. – féliciter les experts qui, avec science
ment la croissance économique dans À l’occasion de cette nouvelle avancée et patience, ont accompagné ce pro-
les États africains. majeure dans l’amélioration du climat cessus ;
Le nouveau texte marque en effet un de l’investissement en zone OHADA, – remercier la très grande commu-
saut qualitatif de grande envergure. Il je voudrais : nauté des amis de l’OHADA, et l’enga-
tend à renforcer la célérité et l’effica- – remercier les Gouvernements des ger à œuvrer pour la diffusion et l’ap-
cité des procédures collectives, favori- États membres, qui ont consenti les sa- propriation du nouveau droit africain
ser le sauvetage des entreprises via- crifices nécessaires à l’élaboration du traitement de l’insolvabilité. n

DROIT & PATRIMOINE n N°253 n DÉCEMBRE 2015


32 DOSSIER
MODERNISATION DE L’ACTE UNIFORME SUR LES PROCÉDURES COLLECTIVES

LES PROCÉDURES DE
PRÉVENTION DANS L’AUPC
RÉVISÉ : LA CONCILIATION ET
LE RÈGLEMENT PRÉVENTIF
PARMI LES RÉFORMES APPORTÉES PAR L’AUPC RÉVISÉ, ON NOTE CELLES
CONCERNANT LES PROCÉDURES DE PRÉVENTION : LA CONCILIATION,
PROCÉDURE TOUTE NOUVELLE, ET LE RÈGLEMENT PRÉVENTIF QUI,
AU REGARD DES PROFONDS CHANGEMENTS, APPARAÎT COMME
UNE NOUVELLE PROCÉDURE.

PAR FILIGA MICHEL moins, connaît de sérieuses difficultés savoir le sauvetage des entreprises
SAWADOGO, ANCIEN financières, en vue d’assurer le paie- viables, la liquidation des entreprises
DOYEN, ANCIEN RECTEUR,
AGRÉGÉ DES FACULTÉS
ment des créanciers et, dans la mesure non viables, le paiement substantiel
DE DROIT, PROFESSEUR du possible, le sauvetage de l’entre- des créances, le tout de manière rapide
TITULAIRE, UNIVERSITÉ prise et, par voie de conséquence, de et transparente, n’étaient pas atteints
DE OUAGA II, MINISTRE
l’activité et des emplois. L’évolution dans des proportions significatives.
DES ENSEIGNEMENTS
SECONDAIRE ET SUPÉRIEUR, historique récente est caractérisée par
BURKINA FASO l’émergence d’une vision plus globale Ainsi, dans le cadre des procédures de
et plus précoce des difficultés des en- liquidation des biens, il apparaît que,
treprises. On n’attend plus que les en- dans les États de l’espace OHADA, les
treprises soient en état de cessation dividendes reçus par les créanciers
INTRODUCTION GÉNÉRALE des paiements avant de s’intéresser à sont de faibles montants, les coûts
leur situation. De là découle la nais- d’administration excessifs du fait des
sance du droit des entreprises en diffi- honoraires exorbitants des syndics et
L’Acte uniforme révisé portant organi- culté, qui englobe le droit des procé- de la durée des procédures trop
sation des procédures collectives dures collectives et qui se veut plus longue : ainsi, on a noté, dans le cadre
d’apurement du passif (AUPC) a été efficace quant au sauvetage des entre- de l’application de l’AUPC, les élé-
adopté le 10 septembre 2015 à Grand- prises viables ou, en tout cas, suscepti- ments suivants :
Bassam, en Côte d’Ivoire. Il vient abro- bles d’être redressées. Le droit des pro-
ger et remplacer l’Acte uniforme origi- cédures collectives, ou le droit des – les créanciers dans l’espace OHADA
nel adopté le 10 avril 1998 à Libreville, entreprises en difficulté, constitue une doivent attendre, en moyenne, trente-
au Gabon, ayant le même objet. matière complexe du fait que celle-ci huit mois pour être payés;
L’AUPC, révisé comme originel, traite fait appel à de nombreuses autres ma- – les créanciers ne recouvrent ap-
des procédures collectives. Celles-ci tières, notamment le droit commercial, proximativement que 14 % de leurs
peuvent être définies comme des pro- le droit civil, la procédure civile et com- créances en souffrance ; en outre, les
cédures judiciaires ouvertes lorsque le merciale, le droit bancaire, les saisies et coûts d’application des procédures de
débiteur professionnel (et pas seule- les voies d’exécution, le droit pénal. l’AUPC représentent 21,56% de la va-
ment le commerçant) ou la personne leur du patrimoine de chaque entre-
morale de droit privé n’est plus en me- Sa révision aura duré près de huit ans prise liquidée;
sure de payer ses dettes – on dit d’un tel puisqu’elle a démarré en 2007 par des – une part trop importante de l’actif du
débiteur aux abois qu’il est en état de études diagnostiques dont la conclu- débiteur est donc absorbée par les
cessation des paiements – ou, à tout le sion est que les objectifs poursuivis, à coûts ou frais de recouvrement, avec

DROIT & PATRIMOINE n N°253 n DÉCEMBRE 2015


DOSSIER 33
Les procédures de prévention dans l’AUPC révisé

une pointe de 60 % pour le Tchad, – des procédures trop lourdes pour les tites entreprises», notamment les mi-
34% pour le Cameroun, 29% pour la micro-entrepreneurs qui, de fait, ne re- cro-entreprises;
République démocratique du Congo courent pas à ces procédures; – l’intégration de définitions des
et 18% pour la Côte d’Ivoire(1). – l’absence de réglementation des concepts clés pour faciliter l’applica-
mandataires judiciaires, à savoir les tion et l’interprétation de l’AUPC ré-
À l’opposé, les procédures de liquida- experts au règlement préventif et les visé;
tion dans les États de l’OCDE donnent syndics; – l’institution d’une nouvelle procé-
plus de satisfaction aux créanciers, – l’absence d’un régime adéquat pour dure préventive de conciliation, selon
signe qu’il n’y a pas de fatalité : les les faillites internationales ouvertes l’analyse économique du droit et les le-
créanciers des États de l’OCDE atten- hors de l’espace OHADA; çons du droit comparé, pour sauve-
dent seulement vingt et un mois pour – une insuffisante clarté dans l’ordre de garder les entreprises en difficulté;
recouvrer 68 % des sommes prêtées priorité de paiement des créanciers et – la mise en place d’un privilège de
tandis que le coût des procédures col- le caractère incomplet de celui-ci. « new money » ou d’« argent frais »
lectives est de moins de 10% de la va- pour ceux qui font de nouveaux crédits
leur de l’entreprise(2). Le rapport de l’audit préalable s’est ap- ou apports de biens ou de services à
puyé sur l’analyse économique du l’entreprise en difficulté pour faciliter
Quant au sauvetage de l’entreprise par droit(3), les meilleures pratiques juri- son assainissement ou son redresse-
la voie des procédures collectives lato diques internationales, dont celles du ment;
sensu, il intervient tellement rarement Guide législatif sur le droit de l’insolva- – le raccourcissement des délais et de la
qu’un auteur, certainement désabusé, bilité de la Commission des Nations durée des procédures collectives, ca-
a écrit : d’une manière générale, les en- unies pour le droit commercial inter- ractérisées par l’exigence de célérité,
treprises qui parviennent à se redres- national (CNUDCI). Il en résulte pour favoriser l’atteinte des objectifs
ser par la voie des procédures collec- qu’une législation efficace en matière poursuivis;
tives lato sensu sont rares. Cela a de procédures collectives doit satis- – la nécessité de l’adoption d’un cadre
conduit un auteurà relever, sans doute faire à trois exigences principales, juridique pour réglementer les activi-
avec beaucoup de déception : «Des en- conformément à l’analyse écono-
treprises en difficulté, on en trouve un mique du droit : NOTES
peu partout en Afrique; des entreprises
en difficulté qui se redressent, on en 1°/ Réhabiliter les entreprises viables (1) Banque mondiale, Rapport Doing
cherche». et liquider rapidement les entités non Business 2014.
viables; Diverses causes expliquent cette faible
performance de l’AUPC que la révision
L’audit préalable a permis de relever 2°/ Maximiser les montants recouvrés
vise à enrayer.
les principaux maux dont souffrait par les créanciers, sur la base de la va- (2) Banque mondiale, Rapport Doing
l’AUPC originel et de dégager les prin- leur du marché du patrimoine de l’en- Business 2014, précité.
cipaux objectifs à atteindre dans le ca- treprise débitrice; (3) L’analyse économique du droit, ou
dre de la révision. 3°/ Établir un ordre précis de paiement analyse économico-juridique, se propose,
des créances garanties ou non garan- à partir d’une conception de l’être
Sous l’angle d’analyse décrit ci-dessus, ties. humain et de ses rapports avec les autres,
une relecture de l’ensemble du droit en
il est ressorti du rapport de l’audit remontant à la raison d’être des
préalable que l’AUPC en vigueur, sur- Les pays dotés d’une législation rem- institutions juridiques. Elle cherche à
tout par rapport à son application dans plissant ces trois exigences affichent mettre à jour «l’économie du droit».
les États parties, souffre des insuffi- en général des taux de recouvrement Fondée sur la microéconomie, elle se
sances suivantes : de créances supérieurs à ceux d’autres concentre sur l’efficacité de l’application
pays. Cela facilite aussi l’accès au fi- des normes juridiques, des
réglementations et d’autres sources du
– l’absence d’une procédure préven- nancement et en réduit le coût.
droit pour atteindre les objectifs
tive de conciliation moderne pour pro- L’audit préalable a permis de relever économiques et sociaux fixés par les
mouvoir les négociations privées et les les principaux maux dont souffrait pouvoirs publics. V. J. Torres López,
accords extrajudiciaires entre le débi- l’AUPC originel et de dégager les prin- Análisis económico del derecho, Tecnos,
teur et ses créanciers afin de sauvegar- cipaux objectifs à atteindre dans le ca- Madrid, 1987, et E. Mackaay et
der les entreprises en difficulté et, en dre de la révision. S. Rousseau, Analyse économique du
droit, Dalloz, 2008, n° 21. V. également
même temps, améliorer les taux de re- En réponse à cette évaluation, une sé-
Droit et économie, Archives de
couvrement des créances au profit des rie de recommandations et d’innova- philosophie du droit, numéro spécial,
créanciers, qu’ils soient munis de sûre- tions précises ont été formulées dans le 1992, 37.
tés ou non; rapport en conformité avec l’analyse (4) L’influence du droit comparé, en
– un champ d’application restreint de économique du droit et avec les meil- particulier français, est loin d’être
l’AUPC au regard des entreprises sus- leures pratiques juridiques internatio- négligeable. V., entre autres, notre article,
ceptibles d’en bénéficier; nales(4), parmi lesquelles on note : La prise en compte du droit comparé
dans l’œuvre d’unification de
– une durée trop longue des procé- l’Organisation pour l’harmonisation du
dures collectives, qu’elles tendent au – l’élargissement du champ d’applica- droit des affaires en Afrique (OHADA),
sauvetage de l’entreprise ou à sa dispa- tion de l’AUPC et l’institution de procé- Revue de droit international et de droit
rition par sa liquidation; dures simplifiées au bénéfice des «pe- comparé 2008, nos 2 et 3, p. 307 à 347.

DROIT & PATRIMOINE n N°253 n DÉCEMBRE 2015


34 DOSSIER
MODERNISATION DE L’ACTE UNIFORME SUR LES PROCÉDURES COLLECTIVES

tés des mandataires judiciaires, que tion et le règlement préventif, ou cura- A – LES CARACTÈRES ET
sont les experts au règlement préventif tives, en l’espèce le redressement judi- LES CONDITIONS DE LA
et les syndics, par l’institution d’une ciaire et la liquidation des biens(6). On PROCÉDURE DE CONCILIATION
autorité ou structure nationale régula- note dans ces dernières procédures,
trice dans chaque État partie; notamment, les délais impartis au syn- Il découle de l’article 2, alinéa 2, que la
– l’établissement d’un nouveau régime dic pour déposer son rapport de clô- conciliation est une procédure préven-
d’insolvabilité transfrontalière basé ture de la procédure de liquidation des tive, consensuelle et confidentielle,
sur la loi type de la CNUDCI qui est biens et le principe d’un délai maximal destinée à éviter la cessation des paie-
connue de par le monde et a fait ses de six mois pour aboutir à l’homologa- ments de l’entreprise débitrice afin
preuves. tion du concordat de redressement ju- d’effectuer, en tout ou partie, sa re-
diciaire. structuration financière ou opération-
Parmi les innovations du nouvel AUPC nelle pour la sauvegarder. Cette re-
que l’on peut considérer comme étant Avec la naissance du droit des entre- structuration s’effectue par le biais de
saillantes, il y a certainement l’exten- prises en difficulté, l’attention doit être négociations privées et de la conclu-
sion des procédures collectives à toute attirée sur l’importance de la préven- sion d’un accord de conciliation négo-
personne physique exerçant une acti- tion des difficultés des entreprises du cié entre le débiteur et ses créanciers
vité professionnelle indépendante, ci- fait des faibles performances enregis- ou, au moins, ses principaux créan-
vile, commerciale, artisanale ou agri- trées par «les mesures curatives» in- ciers, grâce à l’appui d’un tiers neutre,
cole, étant rappelé que les personnes tervenant après la cessation des paie- impartial et indépendant, dit «concilia-
physiques commerçantes étaient déjà ments qui tend à caractériser une teur». Elle peut concerner ses cocon-
incluses. Cette formule comprend les situation irrémédiablement compro- tractants.
entreprenants par l’AUPC révisé ainsi mise dans laquelle le sauvetage de l’en-
que les membres du secteur informel. treprise devient extrêmement difficile NOTES
Il y a également la réglementation des et le paiement substantiel des créan-
mandataires judicaires dans le cas des ciers quasi impossible. C’est pourquoi (5) La définition de la cessation des
paiements est allongée et précisée : elle
procédures collectives que sont l’ex- nous consacrerons les développe- est «l’état où le débiteur se trouve dans
pert dans le règlement préventif, le ments ci-après aux procédures l’impossibilité de faire face à son passif
syndic dans le règlement préventif, préventives de l’AUPC, à savoir la exigible avec son actif disponible, à
dans le redressement judiciaire et la li- conciliation (I), la procédure entière- l’exclusion des situations où les réserves
quidation des biens. Cette réglementa- ment nouvelle, puis le règlement pré- de crédit ou les délais de paiement dont le
tion, entièrement nouvelle, prévoit, en- ventif (II), qui apparaît, en comparai- débiteur bénéficie de la part de ses
créanciers lui permettent de faire face à
tre autres, les conditions d’accès aux son de celle-ci, comme une innovation
son passif exigible». C’est la prise en
fonctions de mandataire judiciaire et limitée mais il ne s’agit là que d’une compte de la théorie dite de la «réserve
d’exercice de celle-ci, le contrôle et la apparence. de crédit» conformément aux meilleures
discipline des mandataires judiciaires, législations ou pratiques internationales.
la responsabilité professionnelle des Sans être indispensable parce qu’elle
mandataires judiciaires, ainsi que les I – L’INNOVATION INTÉGRALE : pouvait être raisonnablement sous-
entendue, la précision est utile du fait
règles de détermination et de paie- LA CONCILIATION
qu’elle apporte une réelle sécurité
ment des honoraires des mandataires juridique aux moratoires consentis par
judiciaires, en particulier des experts les créanciers.
où l’on avait observé des excès préjudi- C’est certainement une procédure, (6) Cette distinction est relative,
ciables à l’atteinte des objectifs. mais qu’il est difficile de qualifier de notamment en France du fait que la
Pour s’en tenir aux procédures dont le collective dans la mesure où elle peut procédure de sauvegarde, véritable
rôle dans l’atteinte des objectifs est es- ne concerner qu’une infirme partie des procédure collective, s’ouvre avant la
cessation des paiements et que la
sentiel pour l’atteinte des objectifs, on créanciers, lesquels ne sont pas re- conciliation peut y être ouverte même en
note le maintien et la réforme des pro- groupés en une masse. Elle est reprise cas de cessation des paiements
cédures existantes : règlement préven- de la législation française qui l’a insti- n’excédant pas quarante-cinq jours. C’est
tif, redressement judiciaire et liquida- tuée à la faveur de la réforme apportée pourquoi un auteur relève que «la
tions des biens. Elles ont fait l’objet de par la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 cessation des paiements n’est donc plus le
réformes plus ou moins profondes (JO 27 juill.) de sauvegarde des entre- critère de répartition des procédures
amiables et judiciaires» (C. Saint-Alary-
pour plus d’efficacité. À celles-ci est ve- prises(7). Elle a pour but de permettre
Houin, Droit des entreprises en difficulté,
nue s’ajouter la toute nouvelle procé- au débiteur de résoudre les difficultés LGDJ, 9e éd., 2014, p. 982, n° 291).
dure de conciliation. Il est usuel de clas- de son entreprise par le biais de la (7) Sur cette procédure en droit français,
ser les procédures suivant qu’elles se conclusion d’un accord avec ses créan- v., entre autres, M.-C. Coquelet,
situent avant ou après la cessation des ciers et, éventuellement, ses cocon- Entreprises en difficulté et instruments de
paiements(5), notion au cœur des pro- tractants. paiement et de crédit, Dalloz, 5e éd., 2015;
F. Pérochon, Entreprises en difficulté,
cédures collectives. Ainsi, suivant Cette nouvelle procédure sera appro-
LGDJ, 10e éd., 2014, 878 p., nos 91 et s;
qu’elles se situent avant ou après la chée en examinant, d’une part, ses ca- Ph. Pétel, Procédures collectives, Dalloz,
cessation des paiements, la doctrine ractères et ses conditions (A), d’autre 8e éd., 2014, nos 23 et s.; C. Saint-Alary-
distingue classiquement les procé- part, le conciliateur et l’accord amia- Houin, Droit des entreprises en difficulté,
dures préventives, comme la concilia- ble (B). LGDJ, 9e éd., 2014, nos 326 et s.

DROIT & PATRIMOINE n N°253 n DÉCEMBRE 2015


DOSSIER 35
Les procédures de prévention dans l’AUPC révisé

La procédure de conciliation se situe ble» mais ne se trouvent pas «en cessa- sion d’ouverture par le président de la
avant la cessation des paiements et a tion des paiements depuis plus de qua- juridiction compétente, se voit confier
pour objectif de trouver des solutions rante-cinq jours » (12). À l’analyse, la une mission devant aboutir à un ac-
aux difficultés naissantes de l’entre- formule française est suffisamment cord amiable entre le débiteur et ses
prise (art. 4, al. 2). Elle se rapproche vague pour englober tout type de diffi- créanciers. Le conciliateur est au cen-
ainsi du concordat amiable(8) qu’il est culté ou de situation (13). Sur le plan tre de la procédure. L’AUPC révisé ap-
toujours loisible à tout débiteur de pratique, l’appréciation ne sera pas porte des précisions sur son profil et sa
conclure avec ses créanciers, notam- forcément aisée et sans risque(14). La rémunération.
ment les banquiers, les principales dif- durée de la conciliation est de trois
férences étant l’intervention du conci- mois, durée pouvant être prorogée Le profil du conciliateur n’est pas dé-
liateur et la possibilité de faire d’un mois. À l’expiration de ces délais, fini avec précision. Néanmoins, il ré-
homologuer l’accord en justice ou de la conciliation prend fin de plein droit sulte des articles 4-5 et suivants que le
lui conférer un caractère notarié. L’on et il ne peut être ouvert de nouvelle conciliateur doit avoir le plein exercice
sait que beaucoup d’États de l’espace conciliation avant l’expiration d’un dé- de ses droits civils, justifier de sa com-
OHADA et hors de cet espace n’étaient lai de trois mois. La décision ouvrant la pétence professionnelle et demeurer
pas favorables à cette conciliation procédure ou rejetant la demande indépendant et impartial vis-à-vis des
pour son apparente inefficacité et le d’ouverture ne fait l’objet d’aucune pu- parties concernées par la conciliation.
risque d’inégalité entre les créan- blicité. Celle ouvrant la procédure Le conciliateur qui accepte sa mission
ciers(9). A priori, on peut se demander nomme un conciliateur dont la mission doit porter cette acceptation à la
pourquoi viser les contractants, ce qui doit aboutir à un accord amiable. connaissance du président de la juri-
suppose qu’ils n’ont pas la qualité de diction compétente, sans délai. S’il
créanciers, ces derniers étant déjà ci- B – LE CONCILIATEUR ET suppose en sa personne une cause de
tés. Pour l’essentiel, ce sont les fournis- L’ACCORD AMIABLE récusation, il doit en informer le prési-
seurs et les clients. Comme ils ne sont dent de la juridiction et ne peut accep-
pas des créanciers, on suppose que la Les deux questions sont liées puisque ter sa mission qu’avec l’accord una-
négociation va concerner les condi- le conciliateur, désigné dans la déci- nime et écrit des parties concernées
tions du maintien, voire du développe-
ment, des relations contractuelles en-
tre eux et le débiteur. NOTES
La conciliation est caractérisée par la
confidentialité qui s’impose à toute per- (8) Pour le cas de la France, un auteur (11) Cette question sera traitée supra, II.
affirme que la «procédure de conciliation, (12) V. dans ce sens, D. Voinot,
sonne qui en a connaissance (art. 4-2). telle qu’issue de la réforme de la loi du Procédures collectives, Montchrestien,
Celle-ci permet au débiteur de conser- 26 juillet 2005 (…) est l’héritière directe, coll. «Cours», 2011, n° 60.
ver une discrétion sur ses difficultés et mais enrichie, du règlement amiable mis (13) Ibid., n° 60. V. P.-M. Le Corre et
sur les tentatives pour y remédier. La en place par une loi du 1er mars 1984» E. Le Corre-Broly, Droit des entreprises
publicité de l’ouverture d’une procé- (A. Jacquemont, Droit des entreprises en en difficulté, Sirey, 2e éd., 2006, n° 21,
dure de prévention ou de traitement difficulté, LexisNexis, 8e éd., 2013, n° 88). selon lesquels «les difficultés que peuvent
(9) L’avis n° 0001 du 17 juin 2015 de la rencontrer les personnes accessibles à la
des difficultés, quelle qu’elle soit, a ten-
Cour commune de justice et d’arbitrage procédure de conciliation se situent sur un
dance à alerter ses partenaires, ses (CCJA) a trouvé cette procédure inutile, panel extrêmement élargi. Il peut s’agir de
clients, ses fournisseurs, etc., et risque superfétatoire, sans pertinence, difficultés juridiques, économiques ou
ainsi d’avoir un effet d’amplification de considérant qu’elle devait être supprimée. financières. La difficulté peut être avérée
ces difficultés(10). Dans le même sens, un auteur relève que ou simplement prévisible. Il faut d’ailleurs
Elle a les mêmes justiciables que les au- «l’idée de résoudre les difficultés des noter la malfaçon législative qui consiste à
entreprises par une négociation privée (et viser un débiteur qui éprouve (…) une
tres procédures (11). Elle relève de la
donc amiable) avec les créanciers a difficulté prévisible! Ce visa très large
compétence du président de la juridic- longtemps été entourée, en France, d’un permet incontestablement d’englober
tion compétente qui est saisi par re- voile de suspicion. Cette hostilité dans le champ d’application de la
quête du débiteur à laquelle sont s’explique pour l’essentiel par les atteintes procédure de conciliation à peu près
jointes des pièces moins nombreuses que ce mode de négociation porte au toutes les entreprises, sous réserve de leur
que celles exigées pour le règlement principe d’égalité des créanciers ainsi que état de cessation des paiements».
préventif ou pour les procédures cura- le risque de fraude ou d’un engagement (14) V. F. Pérochon, Entreprises en
pris à la légère par le débiteur prêt à tout difficulté, précité, n° 228, pour qui «la
tives (art. 4-3, qui en cite sept). La re- pour obtenir l’allègement de ses dettes» difficulté principale tant pour le juge que
quête du débiteur expose ses difficul- (M.-L. Coquelet, Entreprises en difficulté pour les intéressés, mais elle est au cœur
tés ainsi que les moyens d’y faire face. et instruments de paiement et de crédit, de toute cette branche du droit, est
Le projet n’apporte pas de précision précité, n° 48). d’apprécier la situation financière du
sur le type de difficulté concernée, sauf (10) F. Pérochon, Entreprises en difficulté, débiteur et l’éventuelle cessation des
que l’on sait que le débiteur ne doit pas précité, n° 139 : «La réussite escomptée de paiements : elle n’est pas nouvelle, et la loi
la conciliation suppose en général la plus du 26 juillet 2005, à travers les autres
être en état de cessation des paie-
grande discrétion sur les difficultés du conditions dont elle entoure
ments. En droit français, la procédure débiteur». Ceci montre que la publicité l’homologation, s’efforce d’éviter que
s’adresse aux entreprises qui «éprou- prévue dans le cadre du règlement soient homologués des accords qui se
vent une difficulté juridique, écono- préventif a certes des avantages mais peut borneraient à prolonger l’état de cessation
mique ou financière, avérée ou prévisi- nuire à l’entreprise qui s’y engage. des paiements (…)».

DROIT & PATRIMOINE n N°253 n DÉCEMBRE 2015


36 DOSSIER
MODERNISATION DE L’ACTE UNIFORME SUR LES PROCÉDURES COLLECTIVES

par la conciliation. Aucun parent ou al- et après avis du conciliateur, reporter En conclusion, c’est une procédure qui
lié du débiteur jusqu’au quatrième de- le paiement des sommes dues et or- peut être utile aux débiteurs diligents
gré inclus ne peut être désigné. Il en va donner la suspension des poursuites qui ont une vision claire de l’évolution
de même pour tout magistrat en fonc- engagées par ce créancier qui négo- prévisible de leur entreprise. Elle est ac-
tion ou ayant quitté ses fonctions de- cierait de mauvaise foi (art. 5-7). ceptable en ce qu’elle constitue une
puis moins de cinq ans. Quant à la forme et à la force de l’ac- possibilité supplémentaire de re-
cord, elles sont traitées par l’article 5-10 cherche de solution offerte aux débi-
Les modalités de rémunération du qui prévoit la possibilité que l’accord si- teurs. Certes, l’on sait que les débiteurs
conciliateur sont déterminées par le gné puisse, à la requête de la partie la africains préfèrent les procédures où la
président de la juridiction compétente plus diligente, être déposé au rang des suspension des poursuites est prévue
avec l’accord du débiteur au jour de minutes d’un notaire, ce qui n’appelle mais une évaluation pourra être faite
l’ouverture de la conciliation. Les cri- pas de développement, ou être homo- pour situer son apport en la matière et,
tères sur la base desquels elle est arrê- logué ou exequaturé(15) par la juridic- au besoin, lui apporter les améliora-
tée, son montant maximal et le mon- tion compétente statuant à huis clos. tions souhaitables. Elle ne soulève pas
tant des provisions sont précisés dans L’homologation ou l’exequatur est de de difficulté dans la mesure où c’est une
un document signé par le débiteur et le droit et ne peut être refusé que si l’ac- procédure légère entièrement à la dis-
conciliateur et annexé à la décision cord est contraire à l’ordre public. Le crétion du débiteur et qui n’oblige pas
d’ouverture. Si, au cours de sa mission, président fait apposer la formule exé- les créanciers. La révision n’a pas re-
le conciliateur estime que le montant cutoire par le greffe. Des copies valant tenu l’idée que le débiteur ne doit pas
initialement déterminé est dépassé, il titre exécutoire peuvent être délivrées être en état de cessation des paiements
doit en informer sans délai le président aux parties à l’accord. La décision d’ho- au-delà d’une période de 45 jours,
de la juridiction qui fixe les nouvelles mologation ne fait l’objet d’aucune pu- comme c’est le cas en France, sans
conditions avec l’accord du débiteur. À blicité et ne reprend pas le contenu de doute par crainte que cela constitue une
défaut d’accord, il est mis fin à la mis- l’accord qui reste confidentiel. Mais brèche dans laquelle vont s’engouffrer
sion du conciliateur. La rémunération pour ne pas avoir des privilèges oc- les entreprises en état de cessation des
du conciliateur est à la charge du débi- cultes préjudiciables aux créanciers, la paiements dans leur grande majorité,
teur et fait l’objet d’une ordonnance de publicité est prévue si le privilège de chacune prétendant à tort que sa cessa-
taxe. Cette réglementation de la rému- «new money» institué à l’article 5-11 a tion des paiements ne date pas de plus
nération du conciliateur, sauf son été accordé aux personnes qui ont de quarante-cinq jours(16). Dans l’en-
caractère contractuel, paraît assez consenti dans l’accord un nouvel ap- semble, il faut espérer qu’il sera fait un
confuse et de mise en œuvre difficile. Si port en trésorerie ou un nouveau bien usage fréquent et respectueux de la let-
l’on ne peut pas être plus précis, il se- ou service au débiteur en vue d’assurer tre et de l’esprit du texte à même de pro-
rait peut-être préférable de se limiter à la poursuite de l’activité de l’entreprise duire les résultats attendus. Les expé-
indiquer qu’elle est convenue entre les débitrice et sa pérennité. Les arti- riences du droit comparé montrent que
parties tant dans son montant que cles 166 et 167 leur accordent le pre- son apport peut être plus important que
dans ses modalités de paiement. mier rang en matière de paiement. celui des autres procédures(17).
Le conciliateur peut obtenir du débi- La décision homologuant l’accord
teur tous renseignements utiles à la n’est pas susceptible de recours. Elle
NOTES
réalisation de sa mission (art. 5-5). met fin à la conciliation. Le cas échéant,
Le conciliateur rend compte de sa mis- la conciliation prend fin par la signa- (15) Le cas de l’accord faisant l’objet
sion au président de la juridiction com- ture de l’accord et, en tout état de d’exequatur semble répondre à la
pétente. Il informe celui-ci immédiate- cause, à l’expiration des délais prévus situation du Cameroun dont le délégué a
ment de l’éventuelle survenance de la par l’alinéa 1er de l’article 5-3. été à l’origine de son introduction.
cessation des paiements afin qu’il Pendant la durée de son exécution, (16) V. C. Saint-Alary-Houin, Droit des
entreprises en difficulté, précité, n° 291,
mette fin à la conciliation sans délai. Le l’accord interrompt ou interdit toute qui, dans le cas de la France, relève que
président doit y mettre fin dès qu’il ap- action en justice et arrête ou interdit «la cessation des paiements n’est donc
prend que le débiteur est en cessation toute poursuite individuelle tant sur les plus le critère de répartition des
des paiements, quelles que soient ses meubles que les immeubles du débi- procédures amiables et judiciaires».
sources d’information : ministère pu- teur dans le but d’obtenir le paiement (17) F. Pérochon, Entreprises en
blic, créancier, débiteur, etc. Il est éga- des créances qui en font l’objet. L’ac- difficulté, précité, n° 230, traitant des
statistiques sur la pratique et les résultats
lement mis fin à la conciliation en cas cord interrompt, pour la même durée,
de la conciliation en France : « Selon
d’impossibilité de parvenir à un ac- les délais impartis aux créanciers qui certaines sources, le taux de conclusion
cord. sont parties à l’accord à peine de dé- d’un accord de conciliation serait de 60 %,
En principe, la participation à la conci- chéance ou de résolution des droits af- ce qui serait un peu supérieur au taux
liation n’emporte pas de restriction férents aux créances mentionnées par d’adoption d’un plan de sauvegarde.
aux droits des créanciers. Toutefois, si l’accord. Surtout, les suites sont en général plus
favorables, qu’une procédure collective
le débiteur est mis en demeure ou Les personnes ayant consenti une sû-
ne serait ensuite ouverte que dans
poursuivi par un créancier appelé à la reté personnelle ou ayant affecté ou 30 % des cas : en dépit du faible recul, ce
conciliation pendant la période de re- cédé un bien en garantie et les coobli- chiffre est encourageant et justifie
cherche de l’accord, le président du tri- gés peuvent se prévaloir des clauses de pleinement que la réforme de 2014
bunal peut, à la demande du débiteur, l’accord. s’efforce de favoriser la prévention ».

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DOSSIER 37
Les procédures de prévention dans l’AUPC révisé

En matière de prévention, à la concilia- peine d’irrecevabilité de plein droit de bien connaître, a été considéré comme
tion s’ajoute le règlement préventif la requête. une lacune.
institué par l’AUPC originel. La proposition de concordat devient Outre les changements ci-dessus qua-
projet de concordat. On assiste ici à un lifiés de mineurs, d’autres apparais-
changement injustifié de terminolo- sent comme des changements ma-
II – L’INNOVATION gie, sauf à mentionner que c’est l’ex- jeurs.
APPAREMMENT LIMITÉE : pression retenue par le droit français.
LE RÈGLEMENT PRÉVENTIF En revanche, la précision de l’article 8 B – LES CHANGEMENTS
selon laquelle le projet de concordat MAJEURS
doit être sérieux pour entraîner l’ou-
Bien qu’étant déjà en place dans verture du règlement préventif est Trois changements retiennent l’atten-
l’AUPC originel, le règlement préven- bienvenue. Antérieurement, le mu- tion à ce titre.
tif est profondément modifié par tisme de l’AUPC sur le caractère de la La première innovation, qu’il faut sa-
l’AUPC révisé. Malgré les apparences, proposition de concordat faisait l’objet luer, devrait conduire au respect des
on pourrait presque dire que l’on se de discussions(19). délais. Elle tient en ce que la suspen-
trouve face à un nouveau règlement La suspension des poursuites tendant sion des poursuites prend fin lorsque
préventif. à obtenir le paiement des créances le délai imparti expire sans que la juri-
Les changements peuvent être distin- nées antérieurement à la décision diction compétente ait homologué le
gués selon qu’ils sont mineurs (A) ou d’ouverture s’étend désormais à projet de concordat. Dans ce sens,
majeurs (B). toutes les créances et non plus seule- l’article 14, alinéa 3, prévoit que « la ju-
ment à celles visées dans la requête ridiction saisie doit se prononcer im-
A – LES CHANGEMENTS comme dans l’AUPC originel (art. 9). médiatement ou au plus tard dans un
MINEURS La portée pratique de cette réforme est délai de trente jours à compter de sa
mitigée : d’une part, beaucoup de débi- saisine. Le règlement préventif conti-
Il n’est pas possible d’être exhaustif à teurs avaient déjà tendance à lister nue de produire ses effets, en particu-
cet égard. Les changements mineurs toutes leurs créances ; d’autre part, il lier concernant la suspension des
sont ceux qui ne bouleversent pas la peut sembler de bonne pratique d’au- poursuites individuelles des créan-
construction ancienne. Ils concernent toriser les paiements qui n’accroissent ciers, jusqu’à ce que la juridiction sta-
les pièces ou documents devant être pas la gêne du débiteur, en l’occur- tue. Si celle-ci n’est pas saisie dans les
joints à la requête, le projet de concor- rence celle des petites créances, ce qui conditions de l’alinéa 1er ou si elle ne se
dat, la généralisation du domaine de la peut clarifier la situation du passif du prononce pas dans les trente jours à
suspension des poursuites, l’allonge- débiteur. compter de sa saisine, le règlement
ment du délai donné à l’expert pour dé- On assiste à l’allongement du délai préventif prend fin de plein droit, les
poser son rapport ainsi que la possibi- donné à l’expert pour déposer son rap- créanciers recouvrant l’exercice de
lité de désigner l’expert comme syndic port. La conséquence est l’allonge- tous leurs droits et le débiteur recou-
contrôleur. ment de la durée de la suspension des vrant la pleine administration de ses
Relativement aux pièces ou docu- poursuites individuelles (art. 9 et 13), biens ». Ceci sanctionne le retard ob-
ments, il est précisé qu’ils doivent da- qui passe de deux à trois mois, avec une
ter de moins de trente jours. Cette exi- possibilité de prorogation exception- NOTES
gence ne semble pas pertinente pour nelle d’un mois. Cela doit donner satis-
toutes les pièces. Leur nombre aug- faction aux praticiens et aux nombreux (18) Le constat unanime était que les
mente et passe ainsi de dix à quatorze auteurs qui estimaient ce délai trop tribunaux ne semblaient pas attacher une
(art. 6-1). Elles sont légèrement rema- bref. Telle n’était pas notre position grande importance à ces pièces. En
général, les tribunaux se contentaient de
niées pour prendre en compte notam- dans la mesure où l’expert effectue son
mentionner vaguement «vu les pièces»
ment la nouvelle procédure de conci- travail sur la base de l’offre de concor- produites, ce qui ne permet pas de savoir
liation, la possibilité pour le débiteur dat déposée avant sa nomination : il n’a si elles sont toutes fournies et, si tel n’est
de proposer une personne à la dési- donc pas à élaborer son rapport ex ni- pas le cas, quelles sont celles qui sont
gnation en qualité d’expert au règle- hilo. Du reste, la célérité que requiert la fournies et celles qui manquent et, pour
ment préventif, ce qui renforce le ca- procédure milite en faveur d’un bref celles qui manquent, la raison de leur
ractère amiable de la procédure. Le délai pour faire un travail de qualité. absence.
(19) Apparemment, il n’était pas prévu de
projet de concordat figure au nombre Une autre innovation tient en ce que la pouvoir d’appréciation du président de la
des pièces à fournir alors qu’il s’agis- juridiction compétente peut désigner juridiction compétente sur le caractère
sait antérieurement d’un élément au- l’expert au règlement préventif en qua- sérieux de la proposition de concordat.
tonome. Surtout, la production de cer- lité de syndic pour surveiller l’exécu- On aurait pu ou dû conditionner
taines pièces, sans doute en réaction tion du concordat si celui-ci est homo- explicitement la prise de la décision à
contre le laxisme observé en la matière logué (art. 16, al. 1er). Sous l’empire de l’appréciation du président portant sur le
caractère sérieux de la proposition de
dans la pratique judiciaire observée l’AUPC originel, le fait de n’avoir pas
concordat. Mais peut-être que cela allait
jusque-là (18), devient incontourna- prévu expressément la possibilité pour de soi dans la mesure où la proposition
ble : ainsi, les documents visés aux nu- l’expert, s’il est vraiment indépendant, de concordat qui ne serait pas sérieuse
méros 1° à 5° ainsi qu’aux numéros 7°, d’être désigné comme syndic à l’exé- pourrait être assimilée à une absence de
8°, 10° et 13° doivent être fournis à cution du concordat qu’il est censé proposition.

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38 DOSSIER
MODERNISATION DE L’ACTE UNIFORME SUR LES PROCÉDURES COLLECTIVES

servé par l’expert dans le dépôt de son également valable pour les procé- mentation détaillée visant à garantir
rapport ou de la juridiction compé- dures curatives que sont le redresse- aussi bien la compétence que l’éthique
tente dans l’homologation du concor- ment judiciaire et la liquidation des des mandataires judiciaires et enca-
dat. Dans l’AUPC originel, certes l’ex- biens. drer leur rémunération. Chaque État
pert engageait sa responsabilité civile partie peut mettre en place une auto-
envers le débiteur ou les créanciers en rité nationale de contrôle de leur ac-
cas de non-respect du délai ci-dessus. CONCLUSION GÉNÉRALE tion. L’AUPC ainsi révisé tend à renfor-
En pratique, toutefois, le délai n’était cer la célérité et l’efficacité des
presque jamais respecté (20) et la res- procédures collectives, à favoriser le
ponsabilité de l’expert n’était pas mise Après ce survol de la procédure de la sauvetage des entreprises viables et le
en jeu. D’une manière générale, ce nouvelle procédure de conciliation et paiement substantiel des créan-
sont tous les délais prévus par l’AUPC de celle de règlement préventif, réfor- ciers(24).
relativement au règlement préventif mée en profondeur par l’AUPC, le bi- Il reste cependant du travail à faire : si
qui n’étaient pas respectés, ce qui nuit lan qui s’en dégage est largement po- l’on peut considérer que le texte est
à l’avancement de la procédure et à sitif. L’institution de la nouvelle amélioré, il reste à espérer que les
l’atteinte des objectifs poursuivis et procédure de conciliation qui, dans hommes chargés de l’appliquer, no-
cause un préjudice aux créan- une certaine mesure, est la formalisa- tamment les organes judiciaires, spé-
ciers (21). tion de la pratique des entreprises, no- cialement le juge-commissaire, les
Une autre innovation tout aussi im- tamment dans leurs relations avec les mandataires judiciaires et les débi-
portante a trait au moment d’ouver- banques, doit être approuvée et des teurs, soient à la hauteur des attentes.
ture de la procédure : celle-ci s’ouvre actions de promotion entreprises au Il leur revient de s’investir pour ame-
avec la décision de suspension des regard de son apport potentiel du ner les procédures collectives à attein-
poursuites et de nomination d’un ex- point de vue de l’analyse économique dre, plus souvent que par le passé,
pert. En conséquence, elle se clôture, du droit et des résultats déjà engran- leurs objectifs de sauvetage de l’entre-
comme le redressement judiciaire, gés par les États devanciers(23). prise, de paiement substantiel des
avec l’homologation du concordat. créanciers et de punition des débiteurs
C’est la prise en compte d’une sugges- S’agissant du nouveau « règlement et dirigeants fautifs de personnes mo-
tion que nous avions faite aux experts préventif», l’on peut positivement ap- rales, sans oublier les mandataires ju-
au cours des travaux. En effet, il nous précier : l’exigence d’un projet de diciaires véreux ou indélicats. On
a paru peu cohérent que, dans le concordat sérieux pour l’ouverture du pourrait ainsi, avec joie, donner tort à
même Acte uniforme, l’homologation règlement préventif ; le fait que le rè- Honoré de Balzac, qui considérait la
du concordat entraîne l’ouverture de glement préventif s’ouvre avec la déci- faillite comme «une espèce de vol invo-
la procédure de règlement préventif, sion de suspension des poursuites in- lontaire admise par la loi mais aggra-
en sorte qu’il n’y a pas à proprement dividuelles et de nomination d’un vée par les formalités»(25). n
parler de règlement préventif tant que expert et se clôture avec l’homologa-
le concordat n’est pas homologué, et la tion du concordat préventif; le recou-
clôture de la procédure de redresse- vrement de leur droit de poursuites in-
ment judiciaire. Surtout que les condi- dividuelles par les créanciers en cas de NOTES
tions d’homologation ainsi que les ef- dépassement des délais impartis à (20) V. les commentaires sous l’article 13.
fets de l’annulation et de la résolution l’expert pour déposer son rapport ou (21) Cette situation de non-respect des
sont exactement les mêmes pour les à la juridiction compétente pour ho- délais non suivi de sanctions,
deux procédures. Concernant la clô- mologuer le concordat de règlement préjudiciable à l’atteinte des objectifs de
ture, dans le sens de l’harmonisation préventif. la procédure de règlement préventif, a
avec le redressement judiciaire, Au total, on peut affirmer, avec le conduit la république de Côte d’Ivoire à
saisir la CCJA de la demande d’avis
l’AUPC révisé précise à son article 16, Conseil des ministres de l’OHADA, n° 001/2007/AC du 26 juin 2007, laquelle
alinéa 1er, que la décision de la juridic- tenu du 9 au 11 septembre 2015 à a émis l’avis n° 01/2009/EP du 15 avril
tion compétente homologuant le Grand-Bassam, que le texte révisé 2009. Cet avis méconnu n’avait pas eu
concordat préventif met fin à la mis- prend en compte les préceptes de d’impact tangible sur la question.
sion de l’expert et à la procédure de rè- l’analyse économique du droit. Il insti- (22) Cette procédure simplifiée faisant
glement préventif. tue une procédure de conciliation et l’objet d’une communication spécifique,
elle ne fera pas l’objet de développement.
Enfin, comme pour le redressement des procédures simplifiées de règle-
(23) V. pour des statistiques
judiciaire et la liquidation des biens, il ment préventif, de redressement judi- convaincantes, F. Pérochon, Entreprises
est prévu une procédure de règlement ciaire et de liquidation des biens en difficulté, précité, n° 230.
préventif simplifiée dans les arti- applicables aux petites entités écono- (24) V. le compte-rendu de la réunion du
cles 24-1 à 24-5(22). miques. L’AUPC révisé est de nature à Conseil des ministres de l’OHADA,
De manière générale, la réglementa- imprimer plus de célérité à la conduite Grand-Bassam, Côte d’Ivoire, 9, 10 et
11 sept. 2015.
tion des procédures préventives est des procédures collectives, dans la me-
(25) H. de Balzac, Le Faiseur, Imprimerie
satisfaisante, sous réserve de sa cor- sure où celles-ci sont enfermées dans nationale, 1993, cité par F. Pollaud-
recte mise en œuvre par les parties des délais dont l’inobservation est Dulian, note sous Cass. ass. plén., 9 juill.
prenantes, surtout les organes et man- sanctionnée. Les experts et les syndics 1993, n° 89-19.211, Société générale
dataires judiciaires. Cette réserve est font désormais l’objet d’une régle- c/ Guiraud, JCP G 1993, 11, p. 368.

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DOSSIER 39
Le redressement et la liquidation mieux encadrés et plus rapides

LE REDRESSEMENT ET
LA LIQUIDATION MIEUX
ENCADRÉS ET PLUS RAPIDES
L’AUPC ADAPTE LE CADRE DES PROCÉDURES COLLECTIVES AUSSI BIEN
AU CONTEXTE SOCIOÉCONOMIQUE AFRICAIN QU’AUX MEILLEURES
PRATIQUES INTERNATIONALES EN LA MATIÈRE.

procédures collectives à toute per- tives permet de faire deux constats :


PAR MAMADOU KONATE,
AVOCAT À LA COUR,
sonne exerçant une activité profes- d’une part, l’existence de conditions
ASSOCIÉ FONDATEUR sionnelle indépendante, civile, com- d’ouverture mieux encadrées (I), d’au-
DU CABINET D’AVOCATS merciale, artisanale ou agricole, ou tre part, des effets plus énergiques de
ASSOCIÉS, JURIFIS CONSULT,
encore en instituant pour les petites la procédure collective (II).
BAMAKO, MALI
entreprises des procédures simplifiées
de règlement préventif, de redresse-
ment judiciaire ou de liquidation des I – DES CONDITIONS
D’OUVERTURE NETTEMENT

L
’Acte uniforme portant orga- biens(2) (art. 1-2). L’Acte uniforme pro-
nisation des procédures col- cède donc à d’importantes autres in- MIEUX ENCADRÉES
lectives d’apurement du passif novations.
(AUPC) révisé a été adopté le
10 septembre 2015 à Grand-Bassam, Toutefois, comme dans l’Acte uni- L’ouverture des procédures de redres-
en République de Côte d’Ivoire, par le forme originel, le législateur subor- sement judiciaire et de liquidation des
Conseil des ministres de l’Organisa- donne l’ouverture du redressement ju- biens reste subordonnée à la constata-
tion pour l’harmonisation en Afrique diciaire et de la liquidation des biens à tion d’un état de cessation des paie-
du droit des affaires (OHADA). Le nou- la constatation de l’état de cessation ments dont le concept a été nouvelle-
veau dispositif apporte des modifica- des paiements du débiteur (art. 25), la ment défini (A), même si le formalisme
tions substantielles qui parachèvent seule nouveauté étant qu’il définit à accompagnant la déclaration a été
l’évolution conceptuelle des procé- nouveau en précisant et étendant la no- considérablement allégé (B).
dures collectives en l’adaptant aussi tion de cessation des paiements. La
bien au contexte socioéconomique nouvelle définition tient compte « de A – LA REDÉFINITION
africain qu’aux meilleures pratiques lege feranda » de la théorie de la réserve DE LA NOTION DE CESSATION
internationales en la matière. de crédit consentie par certains créan- DES PAIEMENTS
ciers et l’octroi de délais largement pris
Le législateur OHADA prouve à nou- en compte par la jurisprudence notam- Dans l’Acte uniforme originel, la ré-
veau que le dessein majeur du droit des ment internationale. Cette nouvelle dé- daction de l’article 25, alinéa 1er, sem-
procédures collectives demeure le sau- finition présente l’avantage d’offrir ble faire référence à une appréciation
vetage des entreprises, pour autant une réelle sécurité juridique aux mora- comptable et financière de l’état de
qu’elles soient économiquement via- toires accordés par les créanciers que cessation des paiements. À la diffé-
bles à travers l’institution de la conci- le débiteur devra toutefois prouver. Le rence de cet acte, la nouvelle rédaction
liation. À côté de la conciliation, sub- nouvel AUPC entend donc faire
sistent, mais profondément rénovés, le preuve de pragmatisme pour apparaî-
règlement préventif, qui est lui aussi un tre plus attractif aux acteurs écono- NOTES
instrument préventif(1), et bien sûr le miques de la zone OHADA. (1) V. l’article de F. M. Sawadogo dans le
redressement judiciaire et la liquida- présent Dossier.
tion des biens. En outre, le législateur L’examen des dispositions de l’AUPC (2) V. l’article de B. Diallo dans le présent
innove en élargissant l’application des révisé portant sur les procédures cura- Dossier.

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40 DOSSIER
MODERNISATION DE L’ACTE UNIFORME SUR LES PROCÉDURES COLLECTIVES

offre une définition plutôt dynamique à court terme. À cet égard, la définition comptes ; ce crédit dont bénéficie l’en-
de la notion. En effet, la cessation des consacrée renoue avec les solutions treprise doit être intégré dans la notion
paiements est considérée comme traditionnelles de la jurisprudence, en d’actif(6).
« l’état où le débiteur se trouve dans ce sens que le passif non exigé, bien
l’impossibilité de faire face à son passif qu’exigible, peut ne pas être pris en Le deuxième terme de la cessation des
exigible avec son actif disponible, à l’ex- considération en raison de la « tolé- paiements est l’actif disponible. Il com-
clusion des situations où les réserves de rance » manifestée par tel ou tel créan- prend l’ensemble des liquidités en
crédit ou les délais de paiement dont le cier. Cette interprétation suppose caisse et en compte en banque, ainsi
débiteur bénéficie de la part de ses quelques tempéraments. La « tolé- que le réalisable susceptible d’une
créanciers lui permettent de faire face à rance » affichée par le ou les créanciers conversion immédiate en disponible.
son passif exigible ». Dans l’analyse de doit être appréciée diversement. En ef- Le critère de liquidité consacré par la
l’actif disponible, on constate donc que fet, si ceux-ci ont la claire intention de
la notion de liquidité est complétée ou procurer un certain crédit à l’entre-
NOTES
suppléée par la référence faite au cri- prise, la cessation des paiements peut
tère de la réserve de crédit et mora- ne pas être constituée. Tel est le cas (3) Cette nouvelle rédaction consacre,
toires. Cette réserve dont peut immé- lorsque le créancier consent explicite- comme pour l’article L. 631-1 du Code de
diatement bénéficier le débiteur ment(4) ou implicitement des délais(5). commerce (français), la jurisprudence de
devient alors un « élément décisif de En revanche, s’il y a simplement un la Cour de cassation et facilite la preuve
par le débiteur du défaut de cessation des
son actif disponible exclusif de toute « laxisme » de la part des créanciers, il
paiements le rendant éligible aux
cessation des paiements »(3). convient de retenir une solution in- procédures préventives. Sur la nécessité
verse, eu égard à l’appréciation de la si- de prouver les réserves de crédit, Cass.
Le premier terme de la cessation des tuation financière de l’entreprise. com., 15 févr. 2011, n° 10-13625, D. 2011,
paiements est donc le passif exigible. p. 591.
La doctrine semble unanime pour ad- Ainsi ne peuvent par exemple être (4) Cass. com., 20 janv. 1990.
(5) Cass. com., 22 févr. 1994, JCP E
mettre que le passif exigible est syno- considérés comme des créances exigi-
1995, II, 699, note L. Lévy.
nyme de passif échu. Cette interpréta- bles les soldes créditeurs des comptes (6) CA Aix-en-Provence, 16 avr. 1985,
tion est conforme aux précisions courants d’associés alors que leurs ti- D. 1987, somm., p. 389, obs.
apportées. Le passif échu doit être dis- tulaires n’ont à aucun moment mani- J.-C. Bousquet – CA Caen, 23 mars 1995,
tingué de la notion comptable de passif festé l’intention de clôturer les Piolet, Bedel c/ Robin, inédit.

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DOSSIER 41
Le redressement et la liquidation mieux encadrés et plus rapides

jurisprudence, comme la composante mesure la capacité du débiteur de faire entendre toute autre personne dont
principale de l’actif disponible, a, en ef- face à son passif exigible est appelé à l’audition lui paraît utile et à désigner
fet, une signification plus juridique que jouer un rôle décisif. un juge du siège ou toute autre per-
comptable. Il intègre, tout d’abord, la sonne qu’elle estime qualifiée afin de
trésorerie (7) mais aussi les liquidités B – LA SUPPRESSION DE lui remettre un rapport dans un délai
de « nature bancaire ». La prise en L’OBLIGATION DE PRÉSENTATION qu’elle détermine, et qui ne peut être
compte de ces liquidités s’effectue D’UN PLAN CONCORDATAIRE supérieur à un mois, sur la situation
dans le contexte de la situation d’en- économique et sociale du débiteur. Ces
semble de l’entreprise. Le changement le plus important tou- deux moyens peuvent être efficaces
chant les deux procédures collectives quant à l’éclairage de la juridiction
Avec quelques réserves, on peut même de redressement judiciaire et de liqui- compétente sur la décision à prendre.
considérer que les effets de commerce dation des biens est le critère de choix Comme limite ou risques, il y a la pro-
peuvent entrer dans la composition ou entre les deux procédures. Jusque-là, bable utilisation systématique du re-
dans l’évaluation de l’actif disponible. le choix se faisait en fonction de la pré- cours à ce « rapporteur », son coût
En plus, des effets de commerce peu- sentation par le débiteur d’une propo- pour l’entreprise en difficulté, car on
vent être escomptés sans pour autant sition de concordat sérieux (redresse- peut penser qu’il sera souvent fait ap-
être forcément honorés. En la matière, ment judiciaire) ou de son absence pel aux experts-comptables et autres
l’appréciation des juges du fond peut dans les délais impartis (liquidation spécialistes en diagnostic d’entre-
être délicate. des biens). L’une des insuffisances rési- prises dont les rémunérations, pour le
dait en ce qu’il se peut que l’entreprise moment, sont exorbitantes. Il y a éga-
Il est également possible d’inclure soit susceptible d’être redressée mais lement le retard que cela met à l’ouver-
dans l’actif disponible les créances que ses dirigeants ne parviennent ce- ture de la procédure.
dont la mobilisation a été acceptée. En pendant pas à respecter le délai im-
ce domaine, le rôle des banquiers de parti pour déposer une proposition de Au total, on peut estimer que la juridic-
l’entreprise apparaît essentiel, sans concordat sérieux ou que celle-ci, en la tion compétente a beaucoup tendance,
compter les risques de responsabilité forme ou sur le plan technique, pré- par humanisme, à considérer quasi
éventuels. Leur attitude ne sera pas sente des déficiences. Dans un tel cas, systématiquement que ces possibilités
sans être suspectée : s’ils refusent la l’ouverture de la liquidation des biens existent, d’autant que l’étape suivant
mobilisation des créances, l’entreprise serait un gâchis économique. Même si l’ouverture est celle de l’évaluation, ce
peut être déclarée en cessation des le projet de concordat présente des in- qui veut dire que c’est à ce moment que
paiements ; s’ils l’acceptent, la solution suffisances, il semble plus sérieux du l’on va véritablement chercher à
inverse pourra être retenue. Ainsi, des fait qu’il repose sur le débiteur qui est connaître la situation réelle de l’entre-
créances « mobilisables » même à la personne qui a le plus intérêt au sau- prise, d’où le risque de voir dilapider,
court terme ne peuvent être prises en vetage de l’entreprise. au cours de la période d’évaluation,
compte dans l’actif disponible. l’actif restant.
Dans le projet de révision de l’AUPC, il
Le troisième terme de la cessation des découlait de l’article 33 de l’AUPC que L’AUPC révisé semble avoir pris en
paiements est contenu dans l’expres- la juridiction compétente « prononce compte ces observations sensibles et
sion « impossibilité pour l’entreprise de l’ouverture du redressement judiciaire déterminantes quant au sauvetage des
faire face (…) ». C’est, semble-t-il, le cri- s’il lui apparaît qu’il existe des possibi- entreprises. Il maintient, en effet, l’an-
tère le plus significatif, car il invite le lités sérieuses de sauvegarde de l’en- cien système comme règle de principe,
juge du fond à se livrer à une analyse treprise et d’apurement du passif. Dans c’est-à-dire que le redressement judi-
dynamique de la situation de l’entre- le cas contraire, elle prononce l’ouver- ciaire est prononcé si le débiteur a fait
prise en introduisant le facteur temps. ture de la liquidation des biens ». Cette une proposition de concordat sérieux
disposition du projet a suscité un cer- ou s’il apparaît qu’un tel concordat a
Il en résulte que la cessation des paie- tain nombre de critiques. En fonction des chances sérieuses d’être obtenu,
ments ne saurait se réduire à un dés- de quoi, en effet, pourrait-on savoir sinon c’est la liquidation des biens. Par
équilibre momentané entre actif dis- qu’il existe des « possibilités sérieuses exception, si l’entreprise lui paraît re-
ponible et passif exigible, envisagé de de sauvegarde de l’entreprise et d’apu- dressable par la voie d’une cession glo-
manière statique, mais doit plutôt ex- rement du passif ? » Le souhait ex- bale, l’AUPC prévoit que la juridiction
primer l’idée que le débiteur est dans primé par le débiteur dans sa requête compétente prononce l’ouverture
l’impossibilité, dans un avenir immé- de voir ouvrir une procédure de re- d’un redressement judiciaire.
diat ou très proche, de retrouver un dressement judiciaire (art. 26, al. 2) et
équilibre durable. En définitive, la vo- l’examen des seules pièces déposées
lonté du législateur est de ne pas privi- en vertu de l’article 27 nouveau de- NOTES
légier une optique exclusivement vraient-ils suffire, en l’absence de dé-
comptable dans l’approche de la défi- pôt d’une proposition de concordat (7) V. J. Stoufflet, La trésorerie : existe-t-il
une notion juridique ?, RJ com. 1989,
nition de l’état de cessation des paie- par le débiteur ?
p. 26, La trésorerie et le financement des
ments. entreprises, n° spécial. V. Cass. com.,
Implicitement, on mesure combien le Il est vrai que l’article 32, alinéas 2 et 3, 30 janv. 1990, RJ com. 1990, p. 373, n° 94,
critère tiré de la réserve de crédit qui autorise la juridiction compétente à obs. Gallet.

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42 DOSSIER
MODERNISATION DE L’ACTE UNIFORME SUR LES PROCÉDURES COLLECTIVES

Cette technique semble offrir un cri- vation. Celui-ci prévoit, en effet, que, mais le cas des contrats conclus intuitu
tère de choix réaliste à la juridiction « en cas d’ouverture d’une procédure personae n’est plus réservé ; de la pro-
compétente pour l’ouverture de la pro- de liquidation des biens, les personnes cédure de licenciement ; du recours à la
cédure collective idoine. Le premier qui avaient consenti dans le concordat location-gérance dont la durée a toute-
rôle revient au débiteur pour faire une préventif un nouvel apport en trésorerie fois été réduite ; de la constitution de la
proposition de concordat sérieux, au débiteur en vue d’assurer la pour- masse des créanciers avec ses corol-
mais s’il n’inspire plus confiance alors suite de l’activité de l’entreprise et sa pé- laires la discipline collective, la produc-
que la situation de l’entreprise n’est rennité sont payées par privilège selon tion, les inopposabilités de la période
pas désespérée, une cession globale les rangs prévus par les articles 166 suspecte, les revendications et les
peut être prononcée. et 167 du présent Acte uniforme. Les droits du conjoint du débiteur sous
personnes qui fournissent un nouveau procédure collective, etc.
Une fois la procédure collective ou- bien ou service en vue d’assurer la pour-
verte, elle va produire des effets qui suite de l’activité de l’entreprise et sa pé- Au-delà de cet encadrement des inté-
sont encore plus énergiques dans rennité bénéficient du même privilège rêts en présence, le déroulement des
l’AUPC révisé que dans l’ancien. pour le prix de ce bien ou de ce service ». procédures collectives est désormais
C’est ce que la doctrine qualifie de pri- accéléré à travers le plafonnement de
vilège de « new money »(8), qui est des- leur durée.
II – DES EFFETS PLUS tiné à faciliter le fonctionnement de
ÉNERGIQUES DE LA l’entreprise et la relance de ses activi- B – UN BON PLAFONNEMENT
PROCÉDURE COLLECTIVE tés. Le même privilège est d’ailleurs DE LA DURÉE DE LA PROCÉDURE
mis en place dans l’article 33-1, pour les COLLECTIVE
nouveaux apports consentis dans les
De l’AUPC révisé, on peut noter, d’une mêmes conditions dans le concordat Dans les deux procédures collectives
part, un meilleur encadrement des in- de redressement judiciaire. de redressement judiciaire et de liqui-
térêts en présence (A), d’autre part, un dation des biens, il est désormais
plafonnement de la durée de la procé- Par ailleurs, la réglementation des or- prévu des mécanismes en vue d’en ac-
dure collective (B). ganes demeure sensiblement la même, célérer le déroulement.
sauf pour le syndic qui fait l’objet d’une
A – UN MEILLEUR ENCADREMENT véritable réglementation, tout comme Concernant le redressement judi-
DES INTÉRÊTS EN PRÉSENCE la désignation des contrôleurs qui fait ciaire, son ouverture se traduit par une
également l’objet de nouvelles disposi-
Selon l’article 26 de l’AUPC révisé, le tions : leur nombre augmente puisque
NOTES
débiteur doit faire une déclaration de l’on a quasi systématiquement trois
cessation des paiements au plus tard créanciers contrôleurs et un contrô- (8) Privilège du « new money » L. 611-11
dans les trente jours qui suivent la ces- leur salarié, mais les modalités de dési- du Code de commerce français : ce
sation des paiements qu’il doit déposer gnation de ce dernier dépendent du privilège concerne les entreprises qui
au greffe de la juridiction compétente nombre de salariés dans l’entreprise et négocient une conciliation, les personnes
contre récépissé. Le débiteur précise de l’existence ou non d’un comité qui soutiennent l’entreprise par un
nouvel apport de trésorerie. Ce dispositif
dans sa déclaration s’il demande l’ou- d’entreprise ; lorsqu’il s’agit d’une pro- vise à convaincre les créanciers de prêter
verture d’une procédure de redresse- fession libérale soumise à un statut ré- aux entreprises en difficulté.
ment judiciaire ou de liquidation des glementé, l’ordre ou le corps profes- L’article L. 611-11 du Code de commerce
biens. sionnels ou l’autorité compétente est dispose que : « En cas d’ouverture d’une
de droit contrôleur par l’entremise procédure (…) de redressement judiciaire
Des pièces devant accompagner la dé- d’un de ses représentants, sans préju- ou de liquidation judiciaire, les personnes
qui avaient consenti, dans le cadre d’une
claration de cessation des paiements – dice de la désignation de trois créan-
procédure de conciliation ayant donné
au nombre de onze –, on note une inno- ciers contrôleurs et d’un contrôleur sa- lieu à l’accord homologué mentionné au II
vation principale. Le débiteur doit pro- larié. À noter également que, par de l’article L. 611-8, un nouvel apport en
duire une attestation précisant s’il bé- application de l’article 72 de l’AUPC ré- trésorerie au débiteur en vue d’assurer la
néficie d’un accord de conciliation et, visé, les créanciers contrôleurs de- poursuite d’activité de l’entreprise et sa
en tout état de cause, qu’il n’est pas sou- viennent en quelque sorte des organes pérennité, sont payées, pour le montant
de cet apport, par privilège avant toutes
mis à une procédure de règlement pré- non institués mais subsidiaires,
les autres créances (…). Les personnes qui
ventif, de redressement judiciaire ou puisqu’ils peuvent agir en lieu et place fournissent, dans le même cadre, un
de liquidation des biens qui ne serait en cas de carence du syndic pour sup- nouveau bien ou service en vue d’assurer
pas encore clôturée ; le cas échéant, si pléer ce dernier. la poursuite d’activité de l’entreprise et sa
le débiteur a bénéficié d’un concordat pérennité bénéficient du même privilège
préventif, le montant des créances res- Les effets de l’ouverture de la procé- pour le prix de ce bien ou de ce service ».
tant dues aux créanciers bénéficiant du dure sur le débiteur et sur les créan- Le privilège du « new money » permet
aux nouveaux créanciers qui ont prêté à
privilège de l’article 11-1 de l’AUPC ré- ciers sont dans l’ensemble conservés. l’entreprise, dans l’accord homologué,
visé, ainsi que leur nom et domicile. Il Il en est ainsi : de l’inventaire ; des actes pour qu’elle puisse parer à ses difficultés,
faut noter également que le privilège conservatoires ; du dessaisissement ; d’être payés en priorité dans le cas de
de l’article 33-1 est une véritable inno- de la poursuite des contrats en cours, l’ouverture d’une procédure collective.

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DOSSIER 43
Le redressement et la liquidation mieux encadrés et plus rapides

période qui avait été qualifiée dans un deux modes de clôture propres à cette d’une nouvelle clôture pour insuffi-
des projets de période d’évaluation qui procédure que sont l’union et la clôture sance d’actif dans un délai de cinq ans.
s’apparentait à la période d’observa- pour insuffisance d’actif sont conser-
tion mise en place en France par la loi vés sans changement. Au total, le souci de clarification et de
n° 85-98 du 25 janvier 1985 (JO 26 janv.) simplification est remarquable dans le
relative au redressement et à la liquida- L’innovation majeure est apportée par texte de l’AUPC révisé, mais puisque
tion judiciaires des entreprises. Celle- l’article 33, alinéa 4, de l’AUPC, qui ac- dans ce domaine comme dans d’autres,
ci fixait comme objectif prioritaire aux célère le déroulement de la procédure le succès est tributaire des hommes, no-
procédures collectives le redresse- de liquidation des biens. Il est ainsi li- tamment les juges, qui assurent et gui-
ment de l’entreprise et la sauvegarde bellé : « Dans la décision prononçant la dent toute la phase judiciaire, mais aussi
de l’emploi et réduisait en consé- liquidation des biens, la juridiction les procureurs dont le rôle et la mission
quence les droits des créanciers qui compétente fixe le délai au terme du- s’est accrue dans l’AUPC révisé. À
n’étaient plus réunis en une masse. Le quel la clôture de la procédure est exa- ceux-là, il faut ajouter tous les profes-
législateur français, faisant montre minée, sans que ce délai puisse être su- sionnels intervenant en tant qu’organes
d’un grand optimisme, avait décidé périeur à dix-huit mois. Si la clôture de institués tels que les syndics, les admi-
que toute procédure collective devait la procédure ne peut être prononcée nistrateurs judiciaires et même les
être un redressement judiciaire qui au terme de ce délai, la juridiction contrôleurs. Il faut espérer une justice
commençait nécessairement par une compétente peut proroger de six active, prompte et toujours alerte pour
période d’observation de six mois à mois, une seule fois, après avoir en- appréhender la situation de l’entreprise
l’issue de laquelle seulement la liquida- tendu les justifications du syndic, par et les évolutions de l’activité écono-
tion pouvait être prononcée. Fort heu- une décision spécialement motivée. À mique. Une justice animée par des ma-
reusement, la loi française n° 94-475 du l’expiration de ce délai, la juridiction gistrats suffisamment nombreux, bien
10 juin 1994 (JO 11 juin) est venue accé- compétente prononce la clôture de la formés, conscients des enjeux de la pro-
lérer la procédure en corrigeant cer- liquidation des biens d’office, ou à la cédure(11), et qui acceptent de lui sacri-
taines imperfections de la loi n° 85-98 demande de tout intéressé. Ainsi, en fier suffisamment de leur temps et de
du 25 janvier 1985, notamment en per- principe, avec le nouvel article 33, ali- leurs connaissances. n
mettant le prononcé immédiat de la li- néa 4, de l’AUPC, la durée de la procé-
quidation judiciaire. dure collective de liquidation des
biens ne devrait pas dépasser dix-huit NOTES
À la différence de la législation fran- mois, susceptible d’être prorogé de six
çaise où la période d’observation fait mois seulement. En contrepartie, si (9) C. com., art. L. 631-14 et s., et R. 631-17
et s., pour le redressement judiciaire ;
l’objet de nombreuses dispositions, tous les actifs n’ont pu être réalisés
art. L. 622-1 et s., et R. 622-1 et s., pour la
tant législatives que réglementaires(9), dans ces délais, les créanciers recou- procédure de sauvegarde.
l’AUPC révisé dans sa version finale vrent l’exercice de leurs droits sur ces (10) « Le rebond », ou rétablissement
adoptée n’institue pas expressément actifs (art. 170 et 174). La méthode est professionnel, avait été envisagé par la
de période d’évaluation. L’article 33 assez originale mais elle a pour objec- doctrine, notamment le 28 mars 2013 lors
dispose toutefois, en son avant-dernier tif d’éviter des liquidations des biens d’une table ronde organisée par la Revue
alinéa, que, à l’expiration d’un délai de qui s’étalent dans le temps sans répar- des procédures collectives. Les
participants avaient évoqué l’idée de la
six mois à compter du jugement d’ou- titions. » création d’un rétablissement
verture, délai qui ne peut être prorogé professionnel comparable au
qu’une seule fois pour une durée de Une autre innovation mérite sans rétablissement personnel des particuliers.
trois mois, le redressement est converti doute d’être signalée puisqu’elle per- Mais c’est surtout par la voix du
en liquidation des biens. Cette période met au débiteur honnête « de rebon- professeur Lucas et de Me Senechal,
sera utilisée notamment pour élaborer dir » (10) après la clôture pour insuf- mandataire judiciaire, que le
rétablissement professionnel a vu le jour.
un « un bilan économique et social qui fisance d’actif de la procédure.
La procédure de rétablissement
précise l’origine, l’importance, et la na- L’article 174 prévoit en effet que, sauf professionnel sans liquidation de
ture des difficultés de l’entreprise débi- exceptions, les créanciers ne recou- l’ordonnance de 2014 (Ord. n° 2014-326,
trice » (art. 119-1). vrent pas leurs créances après clôture 12 mars 2014, JO 14 mars) s’inspire
Quoi qu’il en soit, à tout moment du- de la procédure pour insuffisance d’ac- fortement de leur travail.
rant cette phase de recherche d’un tif. Cette règle connaît bien sûr des ex- La sémantique de « rétablissement »
sous-entend un « redressement », une
concordat de redressement judiciaire ceptions à raison de la nature des
« remise sur pied » du débiteur.
et au plus tard à l’expiration des délais créances en faveur des créanciers (11) Si la justice est rendue au nom du
précités, la juridiction compétente d’aliments par exemple ou à raison des peuple et si la décision ainsi rendue est
convertit le redressement en liquida- fautes du débiteur puisqu’elle est par censée protéger l’intérêt général, on doit
tion. L’objectif est d’éviter que les exemple écartée s’il est condamné en également admettre qu’une mauvaise
contraintes imposées aux créanciers faillite personnelle. Mais sous ces ré- décision, une application approximative
restent limitées à un délai raisonnable. serves, le débiteur personne physique de la règle de droit, finit par porter
préjudice à l’intérêt du peuple. Par
trouvera désormais un attrait non né- exemple, quel serait l’impact économique
S’agissant de la liquidation des biens, gligeable à la liquidation des biens, de la liquidation d’une société dont la
les modifications par rapport à l’AUPC mais attention, le bénéfice de ce dispo- cessation des paiements n’est pas
originaire sont peu nombreuses. Les sitif est écarté si le débiteur bénéficie pleinement établie ?

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44 DOSSIER
MODERNISATION DE L’ACTE UNIFORME SUR LES PROCÉDURES COLLECTIVES

DES PROCÉDURES ADAPTÉES


AUX «PETITES» ENTREPRISES :
LES PROCÉDURES SIMPLIFIÉES
L’EFFECTIVITÉ DU DROIT PORTANT ORGANISATION DES PROCÉDURES
COLLECTIVES PASSE PAR LA MISE EN ŒUVRE DE PROCÉDURES
SIMPLIFIÉES ET ADAPTÉES AUX PETITES ENTREPRISES LARGEMENT
MAJORITAIRES DANS LA ZONE ÉCONOMIQUE OHADA.

qu’ils rencontrent au cours de leurs ac- L’AUPC propose donc aux « petites »
PAR BAKARY DIALLO,
tivités. Très peu ont recours à ces ins- entreprises, notamment celles à ca-
DOCTEUR EN DROIT, truments pour la résolution de leurs ractère commercial, agricole, artisa-
AVOCAT AU BARREAU difficultés. Cela résulte sans doute nal et professionnel(3), sous certaines
DE PARIS
d’une perception souvent déformée conditions, de déroger à l’application
du droit de l’entreprise en difficulté et des procédures collectives classiques
des procédures judiciaires, jugées trop de l’AUPC. C’est ainsi que les petites

L
’institution de procédures sim- longues, trop complexes ou trop coû-
plifiées destinées aux petites teuses et marquées par un formalisme
NOTES
entreprises fait directement dont l’intérêt pratique n’est que faible-
écho à la création du statut de ment apprécié. En conséquence, il a (1) Adopté le 15 décembre 2010 à Lomé
l’entreprenant par l’Acte uniforme por- paru nécessaire et souhaitable d’inci- (Togo) et entré en vigueur le 16 mai 2011
tant sur le droit commercial général ré- ter les chefs d’entreprise à recourir da- (JO OHADA, 15 févr. 2011, n° 23).
visé(1) en ce qu’elle répond également vantage à ces instruments en leur pro- (2) Le rapport de l’audit préalable sur
l’application de l’AUPC du 16 novembre
à un réel souci d’adaptation du droit des posant des procédures simples et
2013 relevait fort justement qu’«il est
procédures collectives aux réalités so- adaptées à leurs petites structures. important que les petites unités
cioéconomiques et à l’environnement économiques soient sauvegardées dans la
des dix-sept États parties de l’Organi- Mais c’est aussi une manière efficace mesure du possible ou liquidées de manière
sation pour l’harmonisation en Afrique d’agir sur l’environnement des af- transparente au bénéfice de l’ensemble
du droit des affaires (OHADA)(2). Il est faires. Les chiffres sont éloquents : les de leurs créanciers, comme il en est, du
moins théoriquement, pour les grandes et
en effet facile d’observer à travers la ty- PME représentent un pourcentage si-
moyennes entreprises» (p. 25, 28).
pologie des entreprises de la quasi-to- tué entre 90 et 95% de la totalité des en- (3) Conformément aux recommandations
talité ces États quelques spécificités qui, treprises, dont 70 à 80% sont des mi- de l’audit préalable du 16 novembre 2013
sans être véritablement exception- cros et très petites entreprises qui (p. 25), en particulier afin de prendre en
nelles, comportent une dimension lo- emploient jusqu’à 70% de la popula- compte l’entreprenant, l’AUPC ne vise
cale toute particulière marquée par : la tion active. Dès lors, il est légitime, plus seulement les commerçants mais
multitude et la diversité des acteurs, le voire indispensable, que l’Acte uni- notamment «toute personne physique
exerçant une activité professionnelle
caractère informel de leurs activités, le forme révisé portant organisation des indépendante civile, commerciale,
poids écrasant des petites, voire des mi- procédures collectives d’apurement artisanale ou agricole», ce qui a pour
cros-entreprises, etc. du passif (AUPC) révisé accorde un in- effet, outre les commerçants, de faire
térêt tout particulier à ces acteurs es- entrer dans le champ d’application de
Or, en Afrique subsaharienne, plus sentiels de l’économie en se montrant l’AUPC, non seulement les artisans, les
qu’ailleurs, nombreux sont les chefs pragmatique à leur égard par l’intro- agriculteurs, l’entreprenant, mais aussi
les professions libérales, qu’elles soient
d’entreprise qui vivent dans la mécon- duction de procédures souples et at-
ou non réglementées. V. également
naissance des instruments juridiques tractives propres à réhabiliter les en- Insolvabilité et droits des créanciers,
et en particulier dans l’ignorance des treprises lorsqu’elles sont viables et à Rapport sur l’observation des normes et
procédures judiciaires mises à leur dis- liquider à moindre coût et dans de codes (RONC) du Burkina Faso,
position pour répondre aux difficultés brefs délais lorsqu’elles ne le sont pas. juin 2009, p. 42.

DROIT & PATRIMOINE n N°253 n DÉCEMBRE 2015


DOSSIER 45
Des procédures adaptées aux «petites» entreprises : les procédures simplifiées

entreprises auront la faculté de de- I – APPLICATION DES Il suffit donc que l’entreprise débitrice
mander, selon leur situation, à bénéfi- RÉGIMES DES PROCÉDURES dépasse l’un des deux premiers cri-
cier du règlement préventif simplifié COLLECTIVES SIMPLIFIÉES tères de taille au cours des douze mois
(art. 24 à 24-6) du redressement judi- précédant la saisine de la juridiction
ciaire simplifié (art. 145 à 145-10) ou de compétente pour ne plus être éligible à
celui de la liquidation des biens simpli- Statistiquement, les procédures sim- l’application d’une procédure simpli-
fiée (art. 179 à 179-11). plifiées telles qu’instituées pourraient fiée, ou qu’elle détienne un actif immo-
être appliquées à plus de la moitié des bilier pour ne pas pouvoir bénéficier
Plutôt que de proposer des procédures entreprises pouvant faire l’objet de la liquidation des biens simplifiée.
simplifiées régies par un corpus de rè- d’une procédure collective en zone
gles autonomes, il est apparu plus ap- OHADA, si toutefois les entreprises Dans le contexte africain, ce nombre
proprié de définir des règles déroga- concernées recouraient au droit des de 20 salariés peut paraître a priori
toires aux procédures de droit procédures collectives, ce qui est très élevé. Cette impression est à nuancer
commun dont les textes demeurent ap- loin d’être le cas aujourd’hui. Selon sa par rapport à l’autre critère cumulatif
plicables toutes les fois qu’il n’y est pas situation, toute entreprise qui répond portant sur le chiffre d’affaires qui est
dérogé. Il ne s’agit donc pas de procé- aux critères définis par l’AUPC révisé en définitive assez faible puisqu’il cor-
dures autonomes par rapport au droit peut demander l’application du respond à moins de 76000 euros ou de
commun. régime simplifié d’une procédure col- 86000 dollars US. C’est d’ailleurs sans
lective (A), et ce choix demeure totale- nul doute ce dernier critère qui se révé-
Cette option présente plusieurs avan- ment facultatif, sauf pour la liquida- lera à l’usage être le plus limitatif. Il est
tages. D’abord, elle évite d’isoler les tion (B). en effet peu probable que dans les
petites entreprises dans le traitement États parties dans lesquels les salaires
de leur situation d’insolvabilité par A – CHAMP D’APPLICATION sont les plus faibles, une entreprise
rapport au droit commun. Ensuite, réalisant un tel chiffre d’affaires puisse
elle permet l’instauration d’une passe- Les procédures simplifiées instituées employer une vingtaine de salariés. En
relle entre les procédures simplifiées par le nouvel Acte uniforme dans le outre, le décompte des salariés se fait
et les procédures normales applica- but d’accélérer le déroulement des sur une période couvrant les douze
bles aux autres entreprises n’entrant procédures ne concernent que les pe- derniers mois(6).
pas dans cette catégorie. Enfin, cette tites entreprises. En droit comparé, les
démarche tend à limiter les effets de textes juridiques traitant des procé- Dans les faits, ce critère du nombre de
seuils qui peuvent soulever des diffi- dures collectives simplifiées combi- salariés peut poser des difficultés pra-
cultés considérables dans un espace nent très souvent plusieurs critères et tiques. Nombre de ces petites entre-
comptant dix-sept États parties. Il au- prennent notamment en compte le prises évoluent dans le secteur dit «in-
rait sans doute été possible d’envi- nombre de travailleurs ainsi que le formel». Les salariés travaillant dans
sager de réserver par exemple ces chiffre d’affaires de l’entreprise de telles entreprises ne sont pas systé-
procédures simplifiées aux seules en- concernée. L’AUPC révisé ne déroge matiquement déclarés, si bien qu’il
treprises individuelles, mais une telle pas à cette démarche. Pour la défini- peut s’avérer difficile, voire impossi-
approche risquait de réduire à néant tion de la notion de petites entreprises,
l’innovation puisque dans la pratique le législateur s’est inspiré de l’expé-
NOTES
les entrepreneurs individuels, plutôt rience pratique d’un État de la zone
que de demander l’ouverture d’une OHADA (4). Il renvoie à la définition (4) Au Sénégal, il existe déjà une
procédure collective, préfèrent dans la de la petite entreprise visée par l’arti- législation dédiée aux PME. C’est le
plupart des cas « mettre la clé sous la cle 1-3 de l’AUPC révisé. dispositif sur les modes alternatifs de
porte». C’est également perdre de vue règlement des différends (MARD,
D. n° 2009-95, 6 févr. 2009) portant
que dans certains États parties, cer- Ainsi, la procédure simplifiée est appli-
création et organisation de l’Observatoire
tains entrepreneurs individuels em- cable à toute entreprise, relevant du de la qualité des services financiers
ploient un nombre considérable de sa- champ d’application de l’AUPC, qui instituant un cadre de médiation en
lariés avec un chiffre d’affaires tout satisfait à deux conditions négatives matière bancaire et en matière
aussi important. Par ailleurs, il n’a pas cumulatives, auxquelles il convient d’assurances au profit des PME, qui a
été institué de procédure de concilia- d’ajouter une troisième pour la liqui- largement inspiré la définition des petites
entreprises.
tion simplifiée dans la mesure où cette dation :
(5) AUPC révisé, art. 179-1.
nouvelle procédure est apparue suffi- (6) Le droit français fixe comme critère,
samment souple sans qu’il soit néces- – un nombre de salariés inférieur ou outre un chiffre d’affaires hors taxes
saire d’en proposer une variante sim- égal à 20; inférieur ou égal à 300000 euros, un
plifiée. – un chiffre d’affaires n’excédant nombre de salariés inférieur ou égal à 1
pas 50 000 000 de francs CFA, soit pour l’application obligatoire de la
Après avoir précisé les conditions 76000 euros environs hors taxes; liquidation simplifiée. Elle est facultative
au-delà de ces seuils et si elle ne compte
d’ouverture et d’application de ces pro- – un critère supplémentaire spécifique pas plus de 5 salariés et un chiffre
cédures simplifiées (I), il conviendra de à la liquidation des biens est prévu et d’affaires inférieur à 750000 euros.
mettre en exergue les principaux traits qui est relatif à une absence d’actif im- (C. com., art. L. 641-2, al. 1er, D. 641-10,
de ces régimes simplifiés (II). mobilier(5). al. 1er).

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46 DOSSIER
MODERNISATION DE L’ACTE UNIFORME SUR LES PROCÉDURES COLLECTIVES

ble, d’obtenir un décompte fiable sur tion financière et économique ou un in- procédure. Dès lors, il est assez logique
une période de douze mois écoulés. ventaire provisoire. Il devra en outre de prévoir l’application de la procé-
Néanmoins, le fait d’avoir retenu fournir une attestation sur l’honneur à dure simplifiée qui sera moins coû-
comme critère un nombre de salariés l’appui de sa demande. teuse, y compris si le débiteur ne la
assez élevé pourrait réduire, du moins sollicite pas. Enfin, même si ces condi-
peut-on l’espérer, ces difficultés. Il est vrai que pour les petites entre- tions sont réunies, la juridiction com-
prises, l’exigence d’un projet concor- pétente peut en refuser l’application
Concernant l’application du régime dataire ou de certains documents dès ou, à l’inverse, après en avoir fait appli-
simplifié de la liquidation des biens, en la demande d’ouverture peut parfois cation, décider de ne plus en faire ap-
plus des conditions de seuils précitées, constituer un réel obstacle. Aussi, plication. Cette souplesse se justifie
le débiteur ne doit pas disposer d’actif lorsque dans le cas de la procédure de par le fait que par expérience on sait
immobilier. Ce critère supplémentaire règlement préventif simplifié, par que dans ces petites entreprises, on
se comprend facilement, la réalisation exemple, le projet n’a pas été fourni, il dispose souvent de fort peu d’éléments
d’immeubles peut prendre du temps et pourra être ultérieurement établi par le au moment de l’ouverture de la procé-
surtout elle doit être entourée de pré- débiteur avec le concours de l’expert. dure. Par conséquent, il peut apparaî-
cautions et, en particulier, elle néces- tre que la procédure simplifiée soit
site une autorisation du juge-commis- Une demande est par principe faculta- adaptée ou pas selon les circonstances.
saire. Dès lors, si le débiteur possède tive pour le débiteur. Lorsque les De manière générale, l’existence de
des immeubles, la liquidation des biens conditions cumulatives des seuils sont cette possibilité de passerelle de la pro-
simplifiée est inadaptée et en tout cas réunies, le débiteur a la faculté de de- cédure simplifiée à la procédure nor-
inapplicable. mander l’application d’une des procé- male répond à un souci de réalisme et
dures simplifiées adaptées à sa situa- permet au débiteur comme au juge
B – UNE DEMANDE FACILITÉE ET tion. compétent de faire face à la sur-
LAISSÉE AU CHOIX DU DÉBITEUR venance d’une complication empê-
Dans le cadre d’une procédure de re- chant de tenir les délais de clôture de la
Pour éviter la lourdeur d’une convoca- dressement judiciaire, le demandeur a procédure : contentieux en cours,
tion spécifique et alléger les modalités d’ailleurs toujours la faculté de faire la créances longues à recouvrer, entre-
de la demande d’application d’une demande d’application du redresse- prise débitrice qui est une filiale d’un
procédure simplifiée, un formalisme ment judiciaire simplifié, même après groupe en difficulté, actifs difficiles à
allégé est mis en place pour faciliter la la décision d’ouverture de la procé- réaliser, difficultés préexistantes mais
demande d’ouverture du débiteur. dure, au plus tard dans un délai de sous-estimées lors de l’ouverture de la
Mais même si la demande d’ouverture trente jours s’il arrive à établir que les procédure.
d’une procédure simplifiée est par conditions d’application de cette pro-
principe facultative pour le débiteur, la cédure existent toujours. La juridiction La décision de la juridiction compé-
décision du juge compétent de faire ou compétente doit alors statuer après tente doit toutefois en telle hypothèse
non application de la procédure n’est, avoir entendu le syndic (art. 145-5). être spécialement motivée, ce qui a
elle, susceptible d’aucun recours. pour objet d’attirer son attention sur le
Une décision de la juridiction com- fait qu’une telle décision doit rester ex-
Un formalisme allégé. – Un des avan- pétente.- S’il n’est pas prévu par les ceptionnelle.
tages principaux des procédures sim- textes que la juridiction compétente
plifiées tient au fait que les documents puisse décider d’office de l’application Si les règles du droit commun s’appli-
exigés lors de toute demande de pro- d’une procédure simplifiée de règle- quent au jugement prononçant l’ou-
cédure collective classique sont consi- ment préventif ou de redressement ju- verture d’une procédure collective qui
dérablement allégés. C’est le cas par diciaire, cette possibilité existe bien peut faire l’objet d’un appel ou d’un
exemple dans la procédure de règle- dans le cadre d’une procédure de liqui- pourvoi en cassation, l’exercice de la
ment préventif simplifié où le débiteur dation des biens simplifiée. En effet, faculté par la juridiction compétente
est dispensé de fournir un projet après l’ouverture d’une procédure d’appliquer ou de ne pas appliquer une
concordataire alors que dans le régime «normale» de liquidation des biens, le procédure simplifiée est une mesure
de droit commun cette production est syndic rédige et dépose un rapport d’administration judiciaire non sus-
obligatoire. Il en est également de dans les trente jours de sa désignation. ceptible de recours. D’origine juris-
même dans le cas de la procédure de Au vu de ce rapport, la juridiction com- prudentielle, la mesure d’administra-
redressement judiciaire simplifié où la pétente peut d’office faire application tion judiciaire vise « seulement à
production de documents tels que, par de la procédure simplifiée après avoir assurer la bonne marche de l’ins-
exemple, les états financiers de syn- entendu ou dûment appelé le débiteur tance» et n’a donc pas une nature juri-
thèse ou encore l’inventaire formelle- (art. 179-3). Cette spécificité s’explique dictionnelle.
ment requis pour le régime normal par le fait que beaucoup de liquida-
n’est pas nécessaire si lesdits docu- tions judiciaires de petites entreprises Sur le plan pratique, il est nécessaire de
ments ou l’information sollicitée ne conduisent à aucune répartition en- laisser à la juridiction concernée le
n’existent pas ou sont difficiles à obte- tre les créanciers, car bien souvent le choix de l’opportunité en fonction des
nir. Le débiteur devra alors fournir un produit de la vente des actifs ne permet circonstances du dossier et des élé-
document de nature à établir sa condi- même pas de rembourser les frais de ments autres que les seuls critères ob-

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DOSSIER 47
Des procédures adaptées aux «petites» entreprises : les procédures simplifiées

jectifs des seuils. L’impossibilité par- pour le redressement de l’entreprise, À la différence de ce qui est prévu dans
fois de connaître les critères objectifs notamment les modalités d’apure- la procédure de droit commun, l’ho-
avec certitude, l’imprécision sur la ment du passif et, en particulier, la de- mologation du concordat dans le ca-
consistance des actifs annoncés (et mande de délais et de remises, les per- dre du redressement judiciaire simpli-
souvent cachés) par le débiteur, la na- sonnes tenues d’exécuter le concordat fié se fait sans vote des créanciers.
ture de ces actifs mobiliers difficiles à préventif, ainsi que, s’il y a lieu, les ga- Deux raisons peuvent justifier cette
réaliser rapidement, la volonté de ranties fournies pour en assurer l’exé- particularité. D’une part, dans le cas
mieux contrôler les opérations de cution. En tout état de cause, ce projet des entreprises éligibles au redresse-
vente d’actifs, l’existence ou la proba- précise les éléments permettant d’éta- ment judiciaire simplifié, le vote des
bilité de contentieux, l’éventualité blir la viabilité financière et écono- créanciers apparaît souvent inadapté.
d’actions en sanctions constituent no- mique du débiteur (art. 24-5). Certains créanciers importants ont
tamment autant de raisons sérieuses quasiment à eux seuls la majorité, ou
de renoncer à l’application d’une pro- Concernant le redressement judiciaire ceux-ci sont trop peu nombreux pour
cédure simplifiée même si le législa- simplifié, selon l’article 145-3 de l’Acte que le vote soit véritablement perti-
teur lui-même a eu la sagesse d’autori- uniforme, le débiteur, avec le concours nent. D’autre part, en pratique, le
ser la juridiction compétente à décider du syndic, doit déposer un projet de concordat est en quelque sorte réduit à
à tout moment de ne plus faire applica- concordat de redressement judiciaire, son strict minimum puisqu’il se traduit
tion de la procédure simplifiée par un au plus tard dans les quarante-cinq essentiellement par des remises de
jugement spécialement motivé. jours qui suivent sa déclaration. Ainsi, dettes et des délais de paiement. Or les
le délai de soixante jours pour présen- remises de dettes ne peuvent en aucun
ter le projet de concordat de redresse- cas être imposées aux créanciers tan-
II – DÉROULEMENT DES ment judiciaire est réduit à quarante- dis que les délais de paiement doivent
PROCÉDURES SIMPLIFIÉES cinq (45). Mais il est prévu que le syndic être acceptés par les créanciers. En re-
participe activement à la réalisation du vanche, les créanciers qui n’accepte-
projet de concordat de redressement raient aucun délai de paiement pour-
L’institution des procédures simpli- judiciaire, là encore parce que bien raient se voir imposer par la juridiction
fiées répond à des objectifs assumés souvent dans ces petites entreprises, il compétente de tels délais pour une du-
de célérité et d’efficacité, cela se tra- n’y a pas de conseils pouvant les aider. rée qui ne peut excéder deux ans,
duit notamment aussi bien dans les Il n’a pas été jugé utile d’exiger que soit comme le prévoyait d’ailleurs l’AUPC
modalités de l’élaboration du plan dressé un bilan économique et social dans le régime normal avant révision.
concordataire (règlement préventif dans ce cadre (art. 145-4). De surcroît, Cette possibilité, désormais réservée à
simplifié et redressement judiciaire le projet peut se limiter à des délais de la procédure simplifiée, suppose toute-
simplifié) (A) que dans les modalités de paiement, des remises de dettes ainsi fois que la juridiction qui homologue le
réalisation des actifs dans le cadre de la qu’aux garanties éventuelles que le concordat vérifie que celui-ci est sé-
liquidation des biens simplifiée (B). chef d’entreprise doit souscrire pour rieux et que ces délais imposés concer-
en assurer l’exécution. Concernant les nent seulement quelques créanciers
A – ÉLABORATION ET ADOPTION délais de paiement et les remises de récalcitrants. On comprend mieux dès
DU CONCORDAT dettes, l’accord de chaque créancier lors pourquoi le recours à cette procé-
concerné est nécessaire. dure simplifiée est laissé au libre arbi-
Dans les deux procédures simplifiées tre du débiteur qui en remplit les
de règlement préventif et de redresse- Toujours dans le redressement judi- conditions. Il peut en effet préférer re-
ment judiciaire, les modalités d’élabo- ciaire simplifié, aux termes de l’arti- courir à la procédure de droit commun
ration du concordat ont été considéra- cle 145-8, «au moins quinze jours avant dans laquelle il peut espérer obtenir,
blement allégées. que la juridiction compétente statue sur selon le cas, plus d’efforts de la part de
l’homologation du projet de concordat, ses créanciers. À défaut, il bénéficie
Concernant le règlement préventif le syndic communique ledit projet aux d’une procédure simple et efficace.
simplifié, dans le cadre de sa demande créanciers, par lettre au porteur contre
d’application, le débiteur n’est pas récépissé ou par lettre recommandée B – RÉALISATION SIMPLIFIÉE ET
tenu de produire un projet de concor- avec demande d’avis de réception ou ACCÉLÉRÉE DES ACTIFS DANS
dat préventif, difficile à fournir de fa- par tout moyen laissant trace écrite ». LA LIQUIDATION DES BIENS
çon immédiate pour une petite entre- Ainsi, à défaut de convoquer obligatoi- SIMPLIFIÉE
prise (art. 24-2; v. supra). Il a été jugé rement les créanciers, il est tout de
préférable d’associer l’expert au rè- même nécessaire de les consulter. Les dérogations au régime normal de
glement préventif à l’élaboration de ce Cette consultation qui est faite par le liquidation des biens caractérisant la
projet, la petite entreprise étant rare- syndic se traduit par l’envoi du projet procédure simplifiée s’organisent au-
ment entourée de conseils pouvant de concordat. S’il prévoit des remises tour de quatre thèmes.
l’aider à cet effet. Il s’agit d’une cer- de dettes ou des délais de paiement su-
taine façon de vérifier de la solidité du périeurs à deux ans, chaque créancier Des règles particulières de réali-
projet et son sérieux. Ce projet appa- doit donner son accord. À noter que le sation des actifs du débiteur
raît assez simple puisqu’il précise les défaut de réponse dans un délai de (art. 179-6). – La procédure de liqui-
mesures et conditions envisagées quinze jours vaut refus. dation des biens simplifiée postule

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48 DOSSIER
MODERNISATION DE L’ACTE UNIFORME SUR LES PROCÉDURES COLLECTIVES

qu’il n’y ait pas de cession de l’entre- les créances qui ont une chance d’être fre toujours la possibilité de la passe-
prise (si la cession globale est envisa- payées. relle à la procédure normale de droit
geable, c’est une raison de ne pas ap- commun, en espérant toutefois que
pliquer la liquidation des biens L’établissement d’un projet de ré- cette passerelle ne sera utilisée que
simplifiée) et la réalisation d’actifs ne partition (art. 179-8). – Il s’agit d’une dans des cas strictement justifiés.
peut concerner que les meubles, la innovation à saluer. À l’issue de la pro-
présence d’immeuble(s) excluant de cédure de vérification et d’admission En conclusion, dans sa démarche
facto le recours à la liquidation des des créances et de la réalisation de l’ac- délibérément simplificatrice pour
biens simplifiée. tif, le syndic établit un projet de répar- les petites entreprises, le législateur
tition qu’il dépose au greffe de la juri- OHADA a logiquement montré le bon
En régime normal, c’est le juge-com- diction compétente. Le dépôt de ce exemple en ne consacrant que très peu
missaire qui ordonne la vente aux en- projet fait l’objet d’une mesure de pu- d’articles aux régimes des procédures
chères publiques ou autorise la vente blicité dans les conditions prévues aux simplifiées de règlement préventif, de
de gré à gré des biens mobiliers. En ré- deux premiers alinéas de l’article 37 de redressement judiciaire et de liquida-
gime simplifié, la juridiction compé- l’Acte uniforme, réalisée par le greffe. tion des biens. Toutefois, bien que
tente, dans la décision décidant de Tout intéressé peut prendre connais- conçues comme des procédures d’ex-
l’application de la liquidation des sance du projet de répartition et, à l’ex- ception, celles-ci pourraient devenir
biens simplifiée, détermine les biens clusion du syndic, le contester devant en réalité très vite dans la pratique les
du débiteur pouvant faire l’objet d’une le juge-commissaire, dans un délai de procédures les plus appliquées
vente de gré à gré et le syndic y pro- dix jours à compter de la publicité pré- compte tenu de la typologie des entre-
cède dans les quatre-vingt jours sui- vue dans l’alinéa précédent. Le juge- prises en zone OHADA. En effet, la va-
vant la publication de cette décision. commissaire statue sur les contesta- riété de situations des entreprises peut
À l’issue de cette période, il est pro- tions par une décision qui fait l’objet légitimement amener les juridictions à
cédé à la vente aux enchères des biens d’une notification par tout moyen per- appliquer plus ou moins généreuse-
subsistants. La simplification réside mettant d’établir la réception effective ment ce nouveau mécanisme. Mais en-
donc dans la suppression de la tutelle par le destinataire aux créanciers inté- core faudra-t-il que les entreprises
du juge-commissaire et il n’est pas non ressés. Sa décision est insusceptible de concernées recourent aux instru-
plus prévu que le débiteur soit en- recours. La faiblesse des actifs et donc ments juridiques de traitement de
tendu. L’accélération résulte de l’édic- des sommes à répartir laisse à penser leurs difficultés, ce qui constituerait
tion du délai de trois mois pour les que les contentieux seront quasi une amélioration notable de la situa-
ventes de gré à gré à l’issue duquel la inexistants tion actuelle. C’est donc à l’usage qu’il
vente aux enchères publiques devient sera intéressant d’observer comment
obligatoire. Le syndic procède à la répartition les micro-entrepreneurs utiliseront et
conformément au projet ou, si ce der- assimileront ces nouveaux dispositifs
Toutefois, on peut craindre sur ce point nier a été contesté, à la décision ren- d’élargissement et d’assouplissement.
précis de voir naître quelques critiques due. Là encore, la réduction stricte des
en cas de présence d’un actif mobilier voies de recours pourrait surprendre À cet égard, un bilan d’étape par retour
de valeur, par exemple un fonds de mais la modicité des sommes à répartir d’expérience sera opportun et néces-
commerce. On pourra tout simple- dans la plupart des cas limite considé- saire pour permettre une évaluation de
ment rétorquer que dans ce cas le juge rablement les enjeux. la pratique et une éventuelle évolution
compétent a toujours la possibilité des textes. Or le rythme de réforme des
d’appliquer en ce cas le régime général Une clôture accélérée de la procé- Actes uniformes jusqu’ici adopté est
de la liquidation des biens (par la pro- dure (art. 179-9). – Il est prévu que la trop lent et peu adapté à une catégorie
cédure de la passerelle), voire de refu- juridiction compétente prononce la de droit qui relève avant tout de la pra-
ser, dès le départ, l’application du ré- clôture de la liquidation des biens sim- tique, donc qui est par essence très évo-
gime simplifié. plifiée, au plus tard cent vingt jours lutif. À cet égard, faut-il rappeler qu’en
après l’ouverture ou la décision pro- France le droit de l’entreprise en diffi-
Une vérification des créances allé- nonçant la procédure simplifiée, le dé- culté est en perpétuelle évolution. De-
gée (art. 179-7). – Toujours dans une biteur entendu ou dûment appelé. La puis 1985, on ne dénombre pas moins
logique d’accélération du déroule- juridiction compétente peut, par un de cinq réformes majeures, sans comp-
ment de la procédure collective, la vé- jugement spécialement motivé, pro- ter l’instillation régulière de petites
rification des créances est limitée aux roger la procédure pour une durée qui touches éparses, les professionnels au
seules créances susceptibles de venir ne peut excéder soixante jours. La du- chevet des entreprises estiment en effet
en rang utile, sauf les créances sala- rée maximale de la liquidation judi- que c’est l’une des matières ayant le
riales qui devront être vérifiées. En ciaire simplifiée est donc de cent qua- plus besoin de s’adapter au rythme du
théorie, il peut paraître difficile pour le tre-vingt jours, soit six mois. Cette monde des affaires. Sans aller jusqu’à
syndic de déterminer, a priori, les durée peut paraître brève mais c’est là réformer aussi souvent, le législateur
créances qui viendront en rang utile. l’essence même de cette procédure OHADA pourrait sans doute essayer,
Mais en réalité, s’agissant de «petites simplifiée. Par ailleurs, s’il s’avère que au moins sur des questions aussi cru-
entreprises» disposant d’un actif assez la procédure ne pourra pas être clôtu- ciales que celle-ci, d’envisager des
faible, il devrait être aisé de déterminer rée dans les délais, l’article 179-10 of- amendements de façon régulière. n

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DOSSIER 49
Le droit international privé de l’Acte uniforme OHADA

LE DROIT INTERNATIONAL
PRIVÉ DE L’ACTE UNIFORME
OHADA
L’ACTE UNIFORME ADOPTÉ PAR L’OHADA OFFRE AUX PRATICIENS
UN OUTIL DE COOPÉRATION ENTRE LES TRIBUNAUX ET
LES PROFESSIONNELS POUR LA GESTION COORDONNÉE
DES PROCÉDURES COLLECTIVES. IL S’INSPIRE LARGEMENT DE LA LOI
TYPE DE LA CNUDCI PARTICULIÈREMENT POUR LES RELATIONS
AVEC LES ÉTATS HORS DE L’ESPACE OHADA. EN CE QUI CONCERNE
LES RELATIONS ENTRE ÉTAT MEMBRES, UNE INFLUENCE INDÉNIABLE
DU RÈGLEMENT DE L’UNION EUROPÉENNE TRANSPARAÎT.

PAR LAURENCE-CAROLINE HENRY, sance et les effets d’une procédure col- le territoire des autres États parties,
AVOCAT GÉNÉRAL À LA COUR DE lective ouverte dans un État signa- sans attendre qu’elles soient défini-
CASSATION, AGRÉGÉE DES UNIVERSITÉS,
EXPERT « INSOLVABILITÉ » DU
taire (I) et la reconnaissance et les effets tives. En outre, ce principe est étendu
GOUVERNEMENT FRANÇAIS À LA CNUDCI, d’une procédure ouverte hors de l’es- aux décisions rendues par un État ex-
ET JEAN-LUC VALLENS, MAGISTRAT, pace OHADA (II). térieur à l’espace OHADA si elles sont
ANCIEN PROFESSEUR ASSOCIÉ reconnues conformément aux dispo-
AUX UNIVERSITÉS DE STRASBOURG ET
DE PARIS, EXPERT « INSOLVABILITÉ » DU sitions applicables aux procédures
GOUVERNEMENT FRANÇAIS À LA CNUDCI I – LA RECONNAISSANCE collectives étrangères (art. 247, al. 2,
DES DÉCISIONS RENDUES opérant un renvoi au titre VII, chapi-
DANS L’ESPACE OHADA tre II, v. infra, II). Une fois reconnues,
ces décisions peuvent être traitées de

L
’Acte uniforme révisé sur les la même manière que celles rendues
procédures collectives d’apu- Les articles 247 à 255-1 de l’Acte uni- par les juridictions des États parties,
rement du passif, adopté par forme posent des règles de droit rela- cette précision apportée à l’occasion
l’Organisation pour l’harmo- tives à la reconnaissance des déci- de la révision de l’Acte uniforme ren-
nisation en Afrique du droit des af- sions rendues en matière de force la sécurité juridique offerte aux
faires (OHADA), coïncide, du fait des procédure collective entre les États créanciers étrangers à l’espace
travaux menés en parallèle en Europe parties. Les décisions concernées OHADA et, par ricochet, elle aug-
et en Afrique, avec l’adoption du règle- sont énumérées à l’article 247. Il s’agit mente l’attractivité du droit OHADA.
ment européen n° 2015/848/UE du des décisions ouvrant ou clôturant De manière presque superfétatoire,
20 mai 2015 (JOUE 5 juin, n° L 141) des procédures collectives, mais aussi puisque l’autorité de chose jugée est
ayant modifié le règlement précédent « celles qui règlent les contestations ou distincte de la force exécutoire, le der-
n° 1346/2000/CE du 29 mai 2000 (JOCE les différends nés de ces procédures et nier alinéa énonce que les mesures
30 juin, n° L 160) sur les procédures celles sur lesquelles les procédures d’exécution forcée requièrent l’exe-
d’insolvabilité. L’adoption de ces dis- collectives exercent une influence juri- quatur, mais la précision, pragma-
positions contribue sans conteste à dique ». Le domaine de la reconnais- tique, n’est pas nécessairement inu-
l’attractivité du droit OHADA, ces rè- sance est donc très large lorsque l’on tile. Le chapitre premier du titre VII
gles apportant une sécurité juridique rappelle que le droit de l’insolvabilité relatif aux procédures collectives in-
aux investisseurs. Les observations est impérialiste, perturbant le droit ternationales décline les conditions
qui suivent portent sur les aspects in- des contrats, des sûretés, des sociétés, d’une reconnaissance mesurée (A),
ternationaux de l’Acte. Elles s’articu- etc. Ces décisions, si elles sont exécu- mais utilement coordonnée (B) au sein
lent en deux chapitres : la reconnais- toires, ont autorité de chose jugée sur de l’espace OHADA.

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50 DOSSIER
MODERNISATION DE L’ACTE UNIFORME SUR LES PROCÉDURES COLLECTIVES

A – UNE RECONNAISSANCE OHADA. La lecture combinée de l’arti- exigeante, c’est l’apport de la révision.
MESURÉE cle 251, alinéa 1er, et de l’article 252-1 Il doit publier « dans tout État partie où
permet de conclure qu’un débiteur cette publication pourrait être utile à la
Entre États parties, la reconnaissance peut être soumis à une procédure col- sécurité juridique et aux intérêts des
des décisions rendues au sein de lective dans différents États parties. Le créanciers, le contenu essentiel des dé-
l’OHADA emporte des effets varia- premier texte précise que la reconnais- cisions relatives à une procédure col-
bles. Seule la procédure principale a un sance des effets d’une procédure col- lective et, le cas échéant, la décision qui
effet universel (art. 251, al. 2), ce qui est lective ouverte par la juridiction com- le nomme » (art. 248, al. 2 : la même pu-
un apport de la révision. Il convient pétente d’un État partie ne fait pas blicité peut être décidée d’office par la
donc de distinguer entre les effets re- obstacle à l’ouverture d’une autre pro- juridiction ayant ouvert la procédure).
connus à la procédure principale et cédure collective, y compris secon- À défaut, le syndic engage sa respon-
ceux accordés aux autres procédures daire, par la juridiction compétente sabilité civile. En outre, d’autres publi-
qui sont territoriales selon les bonnes d’un autre État partie. Le second texte cités peuvent être assurées en cas de
pratiques internationales(1). énonce qu’en cas d’ouverture de plu- besoin, elles concernent les « décisions
sieurs procédures collectives dans plu- relatives à la procédure collective au li-
L’Acte uniforme se réfère aux procé- sieurs États parties à l’encontre d’un vre foncier, au registre du commerce et
dures principales, secondaires et ter- même débiteur, la coordination des ju- du crédit mobilier ou à tout autre regis-
ritoriales. Le vocabulaire ne va pas ridictions et des syndics s’impose. tre public tenu dans les États parties ».
s’en rappeler celui du règlement Dans ce cas, il n’y a pas de hiérarchie Cette publicité est le gage de la sécu-
n° 1346/2000/CE du 29 mai 2000 alors entre les procédures principales et les rité juridique dans l’espace OHADA
que l’Acte uniforme ne s’inspire pas de autres procédures. Cette souplesse se grâce à l’information des créanciers,
ces dispositions mais s’appuie davan- retrouve dans l’article 255-1, qui pré- contractants, dispensateurs de crédit,
tage sur le guide législatif de la Com- cise que si la liquidation des actifs etc. Ensuite, l’efficacité transfronta-
mission des Nations unies pour le d’une procédure collective permet de lière des décisions d’ouverture dépend
droit commercial international payer toutes les créances admises dans de la reconnaissance de pouvoirs ex-
(CNUDCI). L’insolvabilité internatio- cette procédure, le syndic désigné traterritoriaux au syndic désigné par
nale est de plus en plus caractérisée dans celle-ci transfère le surplus d’actif la juridiction ayant ouvert la procé-
par des concepts communs. On re- au syndic de l’autre procédure ouverte dure. Ainsi, l’article 249 de l’Acte uni-
trouve les notions de procédure prin- dans un autre État partie. Mieux, si plu- forme, qui n’a pas été modifié, énonce
cipale, de procédure secondaire et de sieurs procédures sont ouvertes dans que le syndic d’une procédure collec-
procédure territoriale. Cependant, à plusieurs États parties, le surplus est tive ouverte par une juridiction com-
la différence du droit de l’Union euro- réparti « au prorata du montant des pétente « peut exercer, sur le territoire
péenne, l’Acte uniforme n’entre pas passifs admis dans chacune de ces pro- d’un autre État partie, tous les pouvoirs
dans les subtilités relatives au centre cédures ». Cette dernière précision est qui lui sont reconnus par le présent
des intérêts principaux et à la notion l’apport de la révision qui valorise une Acte uniforme aussi longtemps qu’au-
d’établissement. Il précise seulement fois encore les meilleures pratiques in- cune autre procédure collective n’est
que la juridiction ayant ouvert la pro- ternationales (3). Elle tire les consé- ouverte dans cet État ». Cette disposi-
cédure principale est celle du lieu de si- quences de l’absence de hiérarchie en- tion n’est pas réservée aux seuls
tuation du siège social ou principal tre les procédures et du maintien d’une syndics nommés dans le cadre d’une
établissement ; dans les autres cas, les souveraineté affirmée des États par- procédure principale. Ainsi, par l’in-
juridictions compétentes ouvrent une ties en introduisant un principe de termédiaire des pouvoirs de son syn-
procédure secondaire si la procédure coordination explicite. dic, toute procédure présente un ca-
principale est ouverte, ou une procé- ractère extraterritorial minimal. Dès
dure territoriale si la procédure princi- B – UNE RECONNAISSANCE lors, on comprend que l’article 249, ali-
pale n’est pas encore ouverte (art. 1-3). COORDONNÉE néa 2, précise les modalités de la
L’article 251, alinéa 2, donne un effet preuve de la nomination du syndic.
universel à la procédure principale et La coordination concerne les juridic-
cantonne la procédure secondaire à tions et les syndics. L’inspiration vient En présence d’une procédure princi-
un effet territorial (tout comme la pro- de la loi type relative à l’insolvabilité pale et de procédure(s) secondaire(s),
cédure territoriale qui, comme dans transfrontalière de la CNUDCI quant à l’émergence de principes communs
les règlements européens, est ouverte la coopération des juridictions. La coo-
avant la procédure principale) (art. 1-3 pération entre les syndics était déjà
NOTES
et 251, al. 3 et 4). Les bonnes pratiques prévue dans l’Acte uniforme avant sa
internationales sont ici prises en révision, ces derniers restent la clef de (1) CNUDCI, Guide pour l’incorporation
compte(2). voûte d’une coordination réussie des et l’interprétation sur la loi type relative
procédures. Mieux, sur eux repose l’ef- à l’insolvabilité transfrontalière, 1997,
Si dans le droit de l’Union européenne, ficacité transfrontalière des procé- p. 14 ; v. également CNUDCI, Guide
législatif sur le droit de l’insolvabilité,
plusieurs procédures collectives prin- dures. D’abord, l’article 248 fait peser 2005, p. 46 à 48.
cipales ne peuvent pas être ouvertes à sur le syndic nommé dans une procé- (2) Ibid.
l’encontre d’un même débiteur, tel dure ouverte par la juridiction d’un (3) V. CNUDCI, Guide législatif sur
n’est toujours pas le cas dans l’espace État partie une obligation de publicité le droit de l’insolvabilité, précité, p. 38.

DROIT & PATRIMOINE n N°253 n DÉCEMBRE 2015


DOSSIER 51
Le droit international privé de l’Acte uniforme OHADA

à l’insolvabilité internationale est l’ouverture d’une procédure collective


évidente. L’article 252 ne va pas sans dans un autre État partie, c’est-à-dire
rappeler l’article 31 du règlement tant que les mesures de publicité im-
n° 1346/2000/CE ; il introduit un de- posées par l’article 248 ne sont pas en-
voir d’information à la charge des syn- core assurées (v. supra). Ainsi, le
dics (la même obligation est recon- créancier « qui, sur le territoire d’un
duite dans le règlement refondu État partie, exécute un engagement au
n° 2015/848/UE, dans le cadre du prin- profit du débiteur soumis à une procé-
cipe de coordination pesant sur les dure collective ouverte dans un autre
praticiens de l’insolvabilité, art. 41) État partie alors qu’il aurait dû le faire
alors qu’il n’est pratiquement pas mo- au profit du syndic de cette procédure
difié par la révision (simplement, il collective, est libéré s’il a exécuté cet
apporte une précision pour que la pro- engagement ». Cette protection est re-
cédure secondaire ne soit pas liquida- lative, car même en l’absence des me-
tive). Les deux textes méritent quand de la procédure principale), mais il sures de publicité, il est possible de
même d’être lus parallèlement. On re- reste que l’issue de la procédure secon- rapporter la preuve de sa connais-
trouve l’obligation d’information réci- daire dépend quand même partielle- sance de la procédure collective.
proque, la contrainte du temps se re- ment des intérêts de la procédure prin-
trouve aussi, car dans les deux textes, cipale. Les articles 250, alinéa 1er, et 255 assu-
l’information se fait sans délai. Enfin, rent, quant à eux, le respect du principe
l’objet de l’information est le même Ensuite, elle permet une coopération de l’égalité des créanciers. D’une part,
puisque c’est dans les mêmes termes « horizontale », c’est-à-dire réciproque l’article 250, alinéa 1er, contraint le
qu’il est défini, il s’agit de « tout rensei- et sur un pied d’égalité quelle que soit créancier qui a obtenu un paiement to-
gnement qui peut être utile à une autre la procédure collective concernée. tal ou partiel de sa créance sur les biens
procédure collective, notamment l’état Cette coopération profite avant tout du débiteur situés sur le territoire d’un
de la production et de la vérification des aux créanciers. L’article 253 précise autre État partie que l’État d’ouverture
créances et les mesures visant à mettre qu’ils peuvent produire leurs créances de la procédure à « restituer au syndic
fin à la procédure collective pour la- à la procédure principale comme aux ce qu’il a obtenu, sans préjudice des
quelle ils sont nommés ». procédures secondaires. Les syndics clauses de réserve de propriété et des
ont également la faculté de « produire actions en revendication ». Formulé dif-
Au-delà d’un devoir d’information pe- dans une autre procédure collective les féremment, on retrouve l’esprit de l’ar-
sant sur les syndics et sanctionné par la créances déjà produites dans celle pour ticle 5 du règlement n° 1346/2000/CE
mise en œuvre de leur responsabilité laquelle ils ont été désignés, sous ré- (Règl. n° 2015/848/UE, art. 8) qui pré-
civile, c’est une véritable coopération serve du droit des créanciers de s’y op- serve les droits réels des créanciers sur
qui est esquissée par l’Acte uniforme. poser ou de retirer leur production ». les biens du débiteur situés dans un au-
Elle prend différentes formes. tre État membre que l’État d’ouver-
Enfin, l’article 252-1 pose un principe ture. En application de l’Acte uni-
D’abord, elle introduit, à l’instar du rè- général de coopération en cas d’ou- forme, le respect de l’égalité des
glement européen, un embryon de hié- verture de procédures collectives à créanciers explique l’obligation de res-
rarchie entre procédure principale et l’encontre d’un même débiteur dans titution qui pèse sur le créancier désin-
procédure secondaire. Cette dernière différents États parties. Ce principe téressé au détriment de la procédure,
n’est pas nécessairement liquidative : concerne avant tout les juridictions, ce mais certains droits réels sont proté-
le syndic de la procédure secondaire qui est une nouveauté. Jusqu’à pré- gés. D’autre part, l’article 255 précise
doit apporter son aide au syndic de la sent, la coopération concernait les que « le créancier qui a obtenu, dans une
procédure principale pour que ce der- syndics. L’influence de la loi type rela- procédure collective, un dividende sur
nier puisse « présenter des proposi- tive à l’insolvabilité transfrontalière de sa créance ne participe aux répartitions
tions relatives à l’issue de la procédure la CNUDCI se retrouve ici et le principe ouvertes dans une autre procédure col-
collective secondaire ou à toute utilisa- d’une coopération entre les juridic- lective que lorsque les créanciers de
tion des actifs de la procédure collective tions devient un concept commun au même rang ont obtenu, dans cette der-
secondaire » (art. 252, al. 2). Le syndic traitement international de l’insolva- nière procédure, un dividende équiva-
de la procédure principale doit donner bilité, car il se retrouve aussi dans le rè- lent ».
son accord avant qu’il puisse être mis glement n° 2015/848/UE, applicable le
fin à la procédure secondaire, soit par 26 juin 2017. Elles peuvent coopérer Ainsi, entre les États parties à l’Acte
concordat préventif, soit par concor- directement ou par l’intermédiaire uniforme, une circulation raisonnée
dat de redressement judiciaire ou par d’un syndic. des décisions de justice relatives à l’in-
une liquidation des biens. Certes les solvabilité a été inventée, offrant un
conditions dans lesquelles cet accord Les créanciers font l’objet d’une atten- instrument juridique sur mesure aux
est donné sont strictement encadrées, tion particulière, mais c’était déjà le syndics et aux juridictions. Dans les re-
notamment quant aux délais, quant à la cas avant la révision de l’Acte uni- lations avec les États tiers, c’est une lo-
raison du refus (la preuve que la solu- forme. L’article 250, alinéa 2, les pré- gique de droit international privé qui
tion affecte les intérêts des créanciers serve s’ils sont dans l’ignorance de s’impose.

DROIT & PATRIMOINE n N°253 n DÉCEMBRE 2015


52 DOSSIER
MODERNISATION DE L’ACTE UNIFORME SUR LES PROCÉDURES COLLECTIVES

II – LA RECONNAISSANCE sonne morale de droit privé », ce qui térêts des créanciers, des tiers et du dé-
DES PROCÉDURES s’applique aux sociétés commerciales biteur seront suffisamment protégés,
ÉTRANGÈRES de droit privé dont le capital social est par exemple par une mesure de publi-
détenu majoritairement par des États cation ou des garanties, et pourra à
ou des collectivités locales. tout moment y mettre fin.
La réglementation consacrée aux pro-
cédures ouvertes hors de l’espace A – MESURES D’ASSISTANCE B – RECONNAISSANCE DE
OHADA, que nous appellerons par LA PROCÉDURE COLLECTIVE
commodité « procédures collectives 1°/ Droit d’accès et ÉTRANGÈRE
étrangères », s’inspire directement de de communication directe
la loi type de la CNUDCI sur l’insolva- Les praticiens étrangers se voient re- Il ne s’agit pas d’une procédure d’exe-
bilité internationale. Elle a pour objec- connaître le droit d’accéder directe- quatur, accordant à une décision
tif d’offrir un cadre à la reconnaissance ment aux tribunaux de l’État partie, ce étrangère les effets prévus par la loi de
et à l’exécution des jugements rendus qui les dispense de solliciter la repré- l’État d’ouverture, mais d’une procé-
en matière de procédures collectives. sentation de professionnels locaux ou dure de droit interne où le législateur
L’Acte uniforme vise à assurer une l’ouverture d’une procédure collective détermine souverainement les modali-
coopération judiciaire, à garantir la sé- préalable devant le tribunal compétent. tés de la reconnaissance et ses effets.
curité juridique, la protection des inté-
rêts en cause, l’optimisation de la va- Les professionnels étrangers peuvent 1°/ Conditions
leur des actifs et le redressement des demander l’ouverture d’une procé- La procédure collective étrangère doit
entreprises « de manière à protéger dure collective locale, si les conditions être une procédure collective judi-
leurs investissements et préserver les d’ouverture sont réunies. Il est douteux ciaire, administrative ou autre, y com-
emplois » (art. 256). qu’ils puissent demander l’ouverture pris une procédure provisoire, régie
d’une procédure de type règlement par une loi sur l’insolvabilité ou sur les
À la loi type de la CNUDCI sur l’insol- préventif, qui n’est ouverte qu’au débi- procédures collectives d’un État étran-
vabilité internationale, il faut ajouter teur ou au débiteur et à un ou plusieurs ger, et contenir les caractères d’une
deux autres instruments annexes éla- créanciers par une requête conjointe. telle procédure : « Les biens et les af-
borés par la CNUDCI : le « Guide pour faires du débiteur sont soumis au
l’incorporation et l’interprétation de la Ils peuvent aussi participer à une pro- contrôle ou à la surveillance d’une juri-
loi type sur l’insolvabilité internatio- cédure collective déjà en cours. Le diction étrangère aux fins de redresse-
nale », et un document intitulé « La loi terme « participer » recouvre, pour le ment du débiteur ou de la liquidation de
type de la CNUDCI sur l’insolvabilité « Guide pour l’incorporation et l’inter- ses biens » (art. 1-3). Une procédure
internationale : le point de vue du prétation de la loi type sur l’insolvabilité étrangère qui ne viserait pas au redres-
juge »(4). internationale » de la CNUDCI, le droit sement ou à la liquidation mais seule-
de présenter des requêtes et des ment à protéger les investisseurs ne se-
Le champ d’application des disposi- conclusions devant le tribunal local re- rait pas nécessairement reconnue(6).
tions adoptées est celui couvert par lativement à la protection des biens, à
l’Acte uniforme : les personnes phy- leur réalisation et la répartition du pro- Quant à la référence à une loi sur l’in-
siques exerçant une activité indépen- duit des ventes d’actifs. solvabilité plutôt qu’à une condition
dante, commerciale, artisanale ou agri- d’insolvabilité, la modification, re-
cole et les personnes morales de droit Les professionnels seront habilités à prise dans les mêmes termes par le rè-
privé, sauf celles exerçant une activité communiquer directement avec les glement européen n° 2015/848/UE du
réglementée, comme les établisse- praticiens locaux et à coopérer avec 20 mai 2015, couvre largement les pro-
ments de crédit, les établissements de eux sous le contrôle du tribunal local. cédures fondées sur des difficultés fi-
micro-finance, les acteurs des marchés nancières, étant précisé que « la loi sur
financiers et les entreprises d’assu- 2°/ Mesures provisoires l’insolvabilité » peut aussi être conte-
rance et de réassurance. On mention- En vue de faire reconnaître une procé-
nera qu’une entité peut avoir la person- dure collective étrangère, les profes- NOTES
nalité morale dans un État et pas dans sionnels désignés dans cette procé-
un autre : un « business trust » est doté dure pourront demander des mesures (4) Disponibles sur le site de la CNUDCI :
www.uncitral.org sous “Insolvabilité”.
de la personnalité morale aux États- conservatoires : des investigations, un (5) Court of Appeal of England and
Unis mais peut ne pas être reconnu si arrêt des poursuites individuelles, la Wales, Rubin Eurofinance, 2010, EWCA
dans l’État requis il n’est pas un sujet de désignation d’un administrateur local, Civ. 895, 2012, UKSC 46 ; les décisions
droit(5). Mais l’origine internationale l’autorisation de gérer provisoirement citées ici sont mentionnées dans le
de l’Acte uniforme peut conduire à re- les biens du débiteur, ou encore une in- document « Le point de vue du juge »
connaître néanmoins une telle procé- terdiction temporaire pour ce dernier dans le présent Dossier ; v. aussi
J.-L. Vallens, La loi type de la CNUDCI
dure, sauf contradiction manifeste à de disposer de ses biens (art. 256-20-4
sur l’insolvabilité internationale, D. 1998,
l’ordre public de l’État requis. et 256-20-7), ce jusqu’à la décision sta- chr., p. 157.
tuant sur sa demande de reconnais- (6) Court of Appeal of England and
Sont aussi couvertes les « entreprises sance de la procédure étrangère. Le Wales, Stanford, 2009, EWHC 1441 Ch,
publiques ayant la forme d’une per- tribunal local devra vérifier que les in- 2010, EWCA Civ 137.

DROIT & PATRIMOINE n N°253 n DÉCEMBRE 2015


DOSSIER 53
Le droit international privé de l’Acte uniforme OHADA

nue dans un autre texte législatif, centre des intérêts principaux du débi- principal établissement sur le terri-
comme le droit des sociétés(7). teur. Le critère correspond également toire national, son siège ou le principal
à l’interprétation des tribunaux améri- centre d’exploitation (art. 3-1, par ren-
La qualification de la procédure im- cains, qui se basent sur « le principal voi des articles 256-3 et 256-16). Le tri-
porte aussi pour en mesurer ses effets : établissement »(8). bunal saisi doit statuer « dans un bref
la procédure étrangère est soit « prin- délai », afin de faciliter l’action du re-
cipale », soit « non principale ». La pro- Plusieurs éléments de fait ont été sug- présentant étranger et d’éviter que les
cédure principale est celle ouverte gérés pour éclairer la détermination biens du débiteur ne soient dispersés.
dans un État étranger où le débiteur a du centre des intérêts principaux, ou-
le centre de ses intérêts principaux. tre le lieu du siège : la résidence des di- Le tribunal saisi est parallèlement ha-
L’Acte uniforme révisé ajoute à ce cri- rigeants, le lieu des principaux avoirs, bilité à rapporter sa décision ou à la
tère : « y compris son siège, son centre la localisation des principaux créan- modifier, s’il apparaît que les motifs de
d’exploitation, son principal établisse- ciers, le droit applicable aux différends la reconnaissance étaient totalement
ment ou le cas échéant (pour une per- entre le débiteur et ses créanciers. Il a ou partiellement absents ou qu’ils ont
sonne physique) sa résidence habi- été aussi relevé qu’il fallait vérifier si les cessé d’exister. Cette souplesse vise à
tuelle ». La procédure est dite « non tiers ordinaires pouvaient déterminer éviter les demandes abusives ou non
principale », c’est-à-dire secondaire, si le lieu où le débiteur menait ses princi- justifiées, sans préjudice des recours
elle est ouverte dans un État étranger pales activités(9), notamment en véri- prévus (art. 216 et s.).
où le débiteur dispose d’un établisse- fiant les informations se trouvant dans
ment, défini comme étant tout lieu le domaine public et celles qu’un tiers 4°/ Effets de la reconnaissance
d’exploitation d’opérations où le débi- apprend normalement de ses rapports L’Acte uniforme révisé énumère les ef-
teur exerce de façon non transitoire avec le débiteur(10). fets directs de la reconnaissance d’une
une activité économique de produc- procédure étrangère principale : l’ar-
tion, de transformation ou de fourni- Le « Guide pour l’incorporation et l’in- rêt des poursuites individuelles et des
ture de biens ou de services, avec des terprétation de la loi type sur l’insolva- procédures civiles d’exécution visant
moyens humains et des biens (art. 1-3). bilité internationale » de la CNUDCI les biens et les droits du débiteur, l’ar-
ajoute que si ces facteurs n’étaient pas rêt des mesures d’exécution, c’est-à-
Ces catégories s’inspirent de la régle- clairs, d’autres éléments peuvent être dire, d’une part, les procédures de
mentation européenne mais s’en dis- pris en compte : la tenue de la compta- saisie et, d’autre part, les actes subsé-
tinguent cependant. Le critère du cen- bilité, la source du financement, la lo- quents. Sont aussi visées les obliga-
tre des intérêts principaux détermine, calisation des principaux actifs et de tions du débiteur qui sont suspendues
dans le règlement communautaire, la l’activité, le siège du principal créan- (le paiement des dettes exigibles), le
compétence internationale directe cier bancaire, le lieu de travail des sala- transfert des droits du débiteur, la
des tribunaux des États membres, riés, celui où se définit la politique com- constitution de sûretés et la disposi-
alors qu’il ne vise ici qu’à déterminer merciale, le droit applicable ou la tion de ses biens, de manière à assurer
les effets de la reconnaissance d’une localisation des services informa- l’égalité effective de créanciers et ge-
procédure collective étrangère. L’ap- tiques. ler le patrimoine du débiteur à la date
proche est aussi plus large, par les pré- de la décision de reconnaissance.
cisions apportées à la définition du 3°/ Cas d’une procédure collective
centre des intérêts principaux du dé- étrangère principale Les conséquences de la reconnais-
biteur. La demande de reconnaissance in- sance sont atténuées par plusieurs rè-
combe au « représentant étranger », gles qui en soulignent le caractère évo-
2°/ Les critères du centre c’est-à-dire à « la personne ou l’organe lutif : les actions individuelles restent
des intérêts principaux du débiteur désigné même à titre provisoire auto- possibles pour présenter une créance
Les critères du centre d’exploitation et risé à administrer le redressement ou contre le débiteur ; l’ouverture d’une
du principal établissement pour les la liquidation des biens des affaires du procédure collective demeure aussi
personnes morales et celui de la rési- débiteur ou à agir en tant que repré- possible ; enfin, les mesures prises
dence habituelle pour une personne sentant de la procédure collective peuvent être levées, à la demande du
physique, ajoutés par l’Acte uniforme, étrangère » (art. 1-3). Cela exclurait praticien étranger, d’office ou encore
étendent le contenu de la notion cen- toute autre partie intéressée, comme le
trale du centre des intérêts principaux. débiteur lui-même ou un créancier. Le
L’Acte uniforme révisé attribue une praticien étranger doit justifier de l’ou-
NOTES
présomption au siège statutaire pour verture de la procédure et de sa dési- (7) United States Bankruptcy Court,
une personne morale et à la résidence gnation. Il doit aussi préciser si la pro- D. Nevada, Betcorp 400 BR 266, 2009.
habituelle pour une personne phy- cédure étrangère est qualifiée de (8) United States District Court, South
sique. Les autres critères, comme le procédure principale ou de procédure District of New York, Bear Stearns 389
centre d’exploitation et le principal non principale, en raison des effets dif- BR 325 SDNY, 2008, ou le « centre
névralgique », v. US Supreme Court,
établissement, ne bénéficient pas de la férents qui s’y attachent. Hertz Corp. c/ Friend, 130 S. Ct.
présomption : aussi le praticien étran- 1181-2010.
ger devra démontrer que ces éléments Le tribunal local compétent est celui (9) Arrêt « Betcorp » précité.
de fait coïncident effectivement avec le dans le ressort duquel le débiteur a son (10) Arrêt « Stanford », précité.

DROIT & PATRIMOINE n N°253 n DÉCEMBRE 2015


54 DOSSIER
MODERNISATION DE L’ACTE UNIFORME SUR LES PROCÉDURES COLLECTIVES

à la demande de personnes lésées cessation des paiements, ce qui est de mande de reconnaissance, le tribunal
(art. 256-21, al. 3). nature à faciliter un examen de sa si- examinera si la procédure étrangère
tuation et l’ouverture d’une procédure produit des effets manifestement
D’autres mesures accessoires sont collective locale. La coordination des contraires à l’ordre public local, tout en
permises, comme des enquêtes, le procédures parallèles est ensuite assu- tenant compte de l’origine internatio-
transfert de la gestion des biens au pra- rée par plusieurs règles, destinées no- nale de la règle et de la nécessité de
ticien étranger ou à un praticien local, tamment à améliorer la mise en œuvre promouvoir l’uniformité de son appli-
la vente des biens et la distribution du des mesures prises, au profit des ob- cation et le respect de la bonne foi dans
produit de cette réalisation, dès lors jectifs de la procédure collective étran- les États parties (art. 256-7). Sont en
que le tribunal compétent estime que gère principale (art. 256-29). cause l’ordre public de fond (le carac-
les intérêts des créanciers résidant sur tère collectif de la procédure, l’arrêt
son territoire sont suffisamment pro- Un principe général d’égalité, calqué à des poursuites individuelles et l’égalité
tégés (art. 256-20). la fois sur la loi type de la CNUDCI et des créanciers non privilégiés) comme
sur le règlement européen, prévoit l’ordre public procédural (le caractère
Le praticien étranger peut enfin enga- qu’un créancier désintéressé dans saisissable des biens, le déroulement
ger les actions en inopposabilité pré- une procédure collective locale ne contradictoire de la procédure, le res-
vues par l’Acte uniforme, c’est-à-dire peut l’être dans une autre que lorsque pect des droits de la défense et l’égalité
remettre en cause les actes préjudi- les créanciers de même rang ont reçu des armes).
ciables aux intérêts des créanciers un paiement proportionnellement
(art. 67 et s.). égal (art. 256-31). Cette règle a natu- Deux exemples, cités dans le docu-
rellement vocation à être mise en œu- ment intitulé « Le point de vue du juge » :
5°/ Cas d’une procédure collective vre dans le cadre de procédures de li- bien que le principe du jugement par
secondaire quidation où la détermination des un jury ait une valeur constitutionnelle
Si la procédure collective étrangère est droits des créanciers par catégories aux États-Unis, une procédure étran-
une procédure « non principale » (se- est plus aisée (privilèges, hypothè- gère ouverte sans un jury peut être
condaire) ouverte du chef d’un établis- ques et créances non privilégiées) reconnue si elle apparaît équitable et
sement, les mêmes mesures peuvent mais aussi dans le cadre de procé- impartiale (11). Inversement, une pro-
s’appliquer (un arrêt des poursuites in- dures de redressement, qui font co- cédure de liquidation ouverte en Alle-
dividuelles, l’interdiction de disposer exister des catégories de créanciers magne, où le liquidateur peut intercep-
des biens, des mesures d’enquête, la différents : créanciers postérieurs au ter le courrier destiné au débiteur, ne
gestion des biens du débiteur et leur jugement d’ouverture, privilèges atta- serait pas conforme à l’ordre public en
réalisation), mais il faut alors une déci- chés au financement de l’entreprise, vigueur aux États-Unis (12). Interro-
sion expresse du tribunal : le tribunal sûretés réelles, droits des actionnaires gée sur ce point, la Cour de justice de
local doit veiller à n’accorder ces me- et des salariés, etc. l’Union européenne a précisé que l’or-
sures que lorsqu’il est nécessaire de dre public renvoyait aux « règles de
protéger les biens du débiteur ou les Enfin, la coopération des praticiens et droit essentielles » pour lesquelles une
intérêts des créanciers. Il doit aussi vé- la coordination des procédures font reconnaissance présenterait un carac-
rifier que « la mesure accordée se rap- l’objet de développements contenus tère « manifestement illicite »(13).
porte à des biens qui devraient être ad- dans le Guide pratique sur la coopéra-
ministrés dans la procédure collective tion en matière d’insolvabilité interna- Conclusion. – La mise en œuvre des
étrangère non principale, ou que la me- tionale de la CNUDCI, qui détaille les règles de droit international privé a
sure a trait à des renseignements requis modalités de coopération, en mention- pour ambition de faciliter la circulation
dans cette procédure ». Il s’agit de me- nant l’échange d’informations, la coor- des jugements entre les pays membres
sures « discrétionnaires », selon le dination des procédures, l’approba- de l’OHADA et les pays tiers. Nul doute
Guide pour l’interprétation et l’incorpo- tion de protocoles et la coexistence des qu’elles contribueront à apporter aux
ration de la loi type sur l’insolvabilité in- procédures concurrentes. établissements de crédit une meilleure
ternationale, c’est-à-dire de mesures prévisibilité pour la conservation de
facultatives pour le tribunal compé- D – EXCEPTION D’ORDRE PUBLIC leurs droits et participeront à un mou-
tent. Si, par ailleurs, le praticien étran- vement de rapprochement des écono-
ger engage une action en inopposabi- La reconnaissance d’une procédure mies. n
lité, il devra démontrer que l’action se collective étrangère peut être écartée,
rapporte à des biens qui devraient être si elle apparaît comme manifestement
normalement administrés dans cette contraire à l’ordre public de la partie NOTES
procédure. concernée. Il en va de même pour une
demande d’assistance ou de coopéra- (11) United States District Court, South
C – COORDINATION tion (art. 256-5). L’ordre public n’est District of New York, Ephedia, 349 BR
DES PROCÉDURES PARALLÈLES évidemment pas défini, la notion va- 333-SDNY 2006.
(12) United States District Court, South
riant selon les États. La notion recou- District of New York, Toft, 453 BR
Tout d’abord, la reconnaissance de la vre les principes fondamentaux du 186-Bankr SDNY 2011.
procédure étrangère principale fait droit, notamment ses principes consti- (13) CJUE, 16 juill. 2015, aff. C-681/13,
présumer que le débiteur est bien en tutionnels. Pour l’examen de la de- Diageo Brands BV.

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54 DOSSIER
MODERNISATION DE L’ACTE UNIFORME SUR LES PROCÉDURES COLLECTIVES

à la demande de personnes lésées cessation des paiements, ce qui est de mande de reconnaissance, le tribunal
(art. 256-21, al. 3). nature à faciliter un examen de sa si- examinera si la procédure étrangère
tuation et l’ouverture d’une procédure produit des effets manifestement
D’autres mesures accessoires sont collective locale. La coordination des contraires à l’ordre public local, tout en
permises, comme des enquêtes, le procédures parallèles est ensuite assu- tenant compte de l’origine internatio-
transfert de la gestion des biens au pra- rée par plusieurs règles, destinées no- nale de la règle et de la nécessité de
ticien étranger ou à un praticien local, tamment à améliorer la mise en œuvre promouvoir l’uniformité de son appli-
la vente des biens et la distribution du des mesures prises, au profit des ob- cation et le respect de la bonne foi dans
produit de cette réalisation, dès lors jectifs de la procédure collective étran- les États parties (art. 256-7). Sont en
que le tribunal compétent estime que gère principale (art. 256-29). cause l’ordre public de fond (le carac-
les intérêts des créanciers résidant sur tère collectif de la procédure, l’arrêt
son territoire sont suffisamment pro- Un principe général d’égalité, calqué à des poursuites individuelles et l’égalité
tégés (art. 256-20). la fois sur la loi type de la CNUDCI et des créanciers non privilégiés) comme
sur le règlement européen, prévoit l’ordre public procédural (le caractère
Le praticien étranger peut enfin enga- qu’un créancier désintéressé dans saisissable des biens, le déroulement
ger les actions en inopposabilité pré- une procédure collective locale ne contradictoire de la procédure, le res-
vues par l’Acte uniforme, c’est-à-dire peut l’être dans une autre que lorsque pect des droits de la défense et l’égalité
remettre en cause les actes préjudi- les créanciers de même rang ont reçu des armes).
ciables aux intérêts des créanciers un paiement proportionnellement
(art. 67 et s.). égal (art. 256-31). Cette règle a natu- Deux exemples, cités dans le docu-
rellement vocation à être mise en œu- ment intitulé « Le point de vue du juge » :
5°/ Cas d’une procédure collective vre dans le cadre de procédures de li- bien que le principe du jugement par
secondaire quidation où la détermination des un jury ait une valeur constitutionnelle
Si la procédure collective étrangère est droits des créanciers par catégories aux États-Unis, une procédure étran-
une procédure « non principale » (se- est plus aisée (privilèges, hypothè- gère ouverte sans un jury peut être
condaire) ouverte du chef d’un établis- ques et créances non privilégiées) reconnue si elle apparaît équitable et
sement, les mêmes mesures peuvent mais aussi dans le cadre de procé- impartiale (11). Inversement, une pro-
s’appliquer (un arrêt des poursuites in- dures de redressement, qui font co- cédure de liquidation ouverte en Alle-
dividuelles, l’interdiction de disposer exister des catégories de créanciers magne, où le liquidateur peut intercep-
des biens, des mesures d’enquête, la différents : créanciers postérieurs au ter le courrier destiné au débiteur, ne
gestion des biens du débiteur et leur jugement d’ouverture, privilèges atta- serait pas conforme à l’ordre public en
réalisation), mais il faut alors une déci- chés au financement de l’entreprise, vigueur aux États-Unis (12). Interro-
sion expresse du tribunal : le tribunal sûretés réelles, droits des actionnaires gée sur ce point, la Cour de justice de
local doit veiller à n’accorder ces me- et des salariés, etc. l’Union européenne a précisé que l’or-
sures que lorsqu’il est nécessaire de dre public renvoyait aux « règles de
protéger les biens du débiteur ou les Enfin, la coopération des praticiens et droit essentielles » pour lesquelles une
intérêts des créanciers. Il doit aussi vé- la coordination des procédures font reconnaissance présenterait un carac-
rifier que « la mesure accordée se rap- l’objet de développements contenus tère « manifestement illicite »(13).
porte à des biens qui devraient être ad- dans le Guide pratique sur la coopéra-
ministrés dans la procédure collective tion en matière d’insolvabilité interna- Conclusion. – La mise en œuvre des
étrangère non principale, ou que la me- tionale de la CNUDCI, qui détaille les règles de droit international privé a
sure a trait à des renseignements requis modalités de coopération, en mention- pour ambition de faciliter la circulation
dans cette procédure ». Il s’agit de me- nant l’échange d’informations, la coor- des jugements entre les pays membres
sures « discrétionnaires », selon le dination des procédures, l’approba- de l’OHADA et les pays tiers. Nul doute
Guide pour l’interprétation et l’incorpo- tion de protocoles et la coexistence des qu’elles contribueront à apporter aux
ration de la loi type sur l’insolvabilité in- procédures concurrentes. établissements de crédit une meilleure
ternationale, c’est-à-dire de mesures prévisibilité pour la conservation de
facultatives pour le tribunal compé- D – EXCEPTION D’ORDRE PUBLIC leurs droits et participeront à un mou-
tent. Si, par ailleurs, le praticien étran- vement de rapprochement des écono-
ger engage une action en inopposabi- La reconnaissance d’une procédure mies. n
lité, il devra démontrer que l’action se collective étrangère peut être écartée,
rapporte à des biens qui devraient être si elle apparaît comme manifestement
normalement administrés dans cette contraire à l’ordre public de la partie NOTES
procédure. concernée. Il en va de même pour une
demande d’assistance ou de coopéra- (11) United States District Court, South
C – COORDINATION tion (art. 256-5). L’ordre public n’est District of New York, Ephedia, 349 BR
DES PROCÉDURES PARALLÈLES évidemment pas défini, la notion va- 333-SDNY 2006.
(12) United States District Court, South
riant selon les États. La notion recou- District of New York, Toft, 453 BR
Tout d’abord, la reconnaissance de la vre les principes fondamentaux du 186-Bankr SDNY 2011.
procédure étrangère principale fait droit, notamment ses principes consti- (13) CJUE, 16 juill. 2015, aff. C-681/13,
présumer que le débiteur est bien en tutionnels. Pour l’examen de la de- Diageo Brands BV.

DROIT & PATRIMOINE n N°253 n DÉCEMBRE 2015


DOSSIER 55
Les débiteurs dans l’AUPC révisé

LES DÉBITEURS DANS L’AUPC


RÉVISÉ : LA MODERNISATION
DU DROIT DE L’INSOLVABILITÉ
DANS LA CONTINUITÉ
LE LÉGISLATEUR OHADA, TOUT EN ÉTENDANT LE CHAMP
D’APPLICATION RATIONAE PERSONAE DE L’AUPC, A SENSIBLEMENT
AMÉLIORÉ LA SITUATION DU DÉBITEUR EN METTANT À SA DISPOSITION
DE NOUVEAUX INSTRUMENTS ET EN FAVORISANT SON REBOND SI LE
SAUVETAGE EST IMPOSSIBLE.

le parent pauvre dans cette matière. rales de droit privé non commerçantes
PAR PHILIPPE ROUSSEL
GALLE, PROFESSEUR À
Tel n’est plus le cas avec l’AUPC révisé. ainsi qu’à toute entreprise publique
L’UNIVERSITÉ DE PARIS ayant la forme d’une personne morale
DESCARTES – SORBONNE Tout d’abord, le champ d’application de droit privé (AUPC, art. 2 anc.). Si
PARIS CITÉ, MEMBRE DU rationae personae du droit des procé- pour les entreprises publiques la for-
CEDAG
dures collectives a été sensiblement mule n’a pas varié, il en va différem-
étendu, essentiellement à des per- ment pour les autres catégories. En
sonnes physiques (I). Ensuite, en met- effet, le texte ne vise plus les commer-

É
voquer les débiteurs dans tant en place de nouvelles procédures, çants mais beaucoup plus générale-
l’Acte uniforme portant or- et en améliorant celles existantes, le lé- ment «toute personne physique exer-
ganisation des procédures gislateur a mis à disposition des débi- çant une activité professionnelle
collectives d’apurement du teurs personnes physiques, mais aussi indépendante, civile, commerciale, ar-
passif (AUPC) révisé revient de prime morales, une «boîte à outils» plus per- tisanale ou agricole», ainsi que «toute
abord à étudier l’ensemble du texte, formante qui commande toutefois de personne morale de droit privé »
mais cela revient également à analyser faire des choix pour utiliser «le bon ou- (AUPC, art. 1-1 nouv.). La formule est
le cœur du dispositif. Il s’agit en effet til au bon moment» (II). Enfin, tout en donc très large et elle présente même
de traiter l’activité, le patrimoine actif accélérant le déroulement de la procé- une certaine redondance. Une fois visé
et passif d’une personne, le débiteur. dure liquidative dans l’intérêt du débi- l’exercice d’une activité profession-
Quand il s’agit d’une personne mo- teur et des créanciers, le législateur nelle indépendante, il n’était a priori
rale, la dimension personnelle de la OHADA a favorisé le rebond du débi- pas nécessaire d’ajouter «civile, com-
procédure s’estompe puisque c’est teur personne physique (III), conju- merciale, artisanale, ou agricole». Cette
l’entité qui est traitée. Mais quand il guant une vision économique et so- précision présente toutefois l’avan-
s’agit d’une personne physique, l’en- ciale de la matière. tage de lever toute ambiguïté sur le
treprise elle-même se confond sou- champ d’application de l’AUPC révisé
vent avec l’entrepreneur. Et précisé- et s’inscrit dans la vocation pédago-
ment, le droit des procédures I – EXTENSION DU CHAMP gique du texte; c’est particulièrement
collectives dans la zone OHADA (Or- D’APPLICATION RATIONAE vrai pour les professions civiles dont
ganisation pour l’harmonisation en PERSONAE l’entrée dans le champ de la commer-
Afrique du droit des affaires), comme cialité a toujours été discutée.
c’est souvent le cas, s’était en définitive
peu intéressé au débiteur personne Jusqu’alors, l’AUPC était applicable On relèvera tout d’abord que le texte
physique. Ce dernier est responsable aux commerçants, personnes phy- ne vise donc plus les commerçants
sur tout son patrimoine et est souvent siques ou morales, aux personnes mo- mais les personnes exerçant une acti-

DROIT & PATRIMOINE n N°253 n DÉCEMBRE 2015


56 DOSSIER
MODERNISATION DE L’ACTE UNIFORME SUR LES PROCÉDURES COLLECTIVES

en compte des secteurs qui représen-


tent une part non négligeable de l’acti-
vité. Aussi, il devenait urgent de pro-
poser aux professionnels concernés
des instruments juridiques leur per-
mettant de résoudre leurs difficultés.

En évoquant une activité indépen-


dante, le texte exclut bien sûr tous les
salariés et plus généralement toute
personne qui exercerait une activité
dans le cadre de laquelle elle est sou-
mise à un lien de subordination. La
question ne devrait toutefois pas sou-
lever difficulté. En revanche, il revien-
dra aux juges du fond de vérifier qu’il
s’agit bien d’une activité exercée à titre
«professionnel», et non d’un acte isolé.
À titre d’exemple, le simple statut d’en-
treprenant ne saurait suffire, il est né-
cessaire de démontrer une activité ef-
fective s’inscrivant dans la durée. Cette
démonstration doit être très rigou-
reuse puisque le droit des procédures
collectives est désormais favorable au
débiteur, quelle que soit la procédure
appliquée, y compris la liquidation des
biens.

On relèvera enfin que le nouvel alinéa 2


de l’article 1-1 de l’AUPC révisé prend
soin de préciser que les établissements
vité commerciale, ce dont il résulte que tout le secteur «économique», le terme de crédit, notamment, bénéficient des
ce n’est plus la qualité qui prévaut mais étant entendu dans un sens large. Les procédures mises en place par l’AUPC,
l’exercice de l’activité. En d’autres avocats, médecins, architectes, etc., sous réserve toutefois qu’il n’en soit
termes, toute personne qui exerce une mais aussi les artisans et les agricul- pas disposé autrement par une régle-
activité commerciale peut désormais teurs sont concernés. Aussi bien, la na- mentation spécifique. La règle est clas-
bénéficier des dispositions de l’AUPC, ture de l’activité n’était plus, depuis sique mais permet à tout le moins de
qu’elle ait ou non souscrit aux formali- fort longtemps, un obstacle à l’applica- poser le principe de l’articulation des
tés imposées pour avoir la qualité de tion du droit des procédures collec- dispositions spécifiques avec celles du
commerçant et s’en prévaloir. Ainsi, tives. Il suffisait qu’une activité civile, « droit commun » que constitue en ce
l’entreprenant, mais également un artisanale ou agricole soit exercée domaine l’AUPC.
professionnel exerçant dans le secteur dans le cadre d’une personne morale
informel, est visé, ce dont on peut se fé- de droit privé pour que cette dernière
liciter tout particulièrement dans le puisse bénéficier de l’AUPC. L’innova- II – PLUS D’INSTRUMENTS,
contexte de la zone OHADA dans la- tion permet de mettre fin à cette diffé- PLUS DE CHOIX OFFERTS
quelle on sait que ce secteur est loin rence de traitement selon le mode AU DÉBITEUR EN DIFFICULTÉ
d’être négligeable. Pour les autres pro- d’exercice du débiteur ; elle permet
fessionnels visés, artisans, agricul- également d’apporter certains aména-
teurs ou professionnels civils, l’ap- gements en faveur des professions ré- Le législateur OHADA a eu la sagesse
proche est la même puisqu’il convient glementées permettant aux ordres et de ne pas bouleverser l’architecture de
également de se référer à l’activité. autorités compétents d’être informés l’AUPC, adoptant une démarche qui,
de la procédure et, le cas échéant, de fa- tout en modernisant les textes, s’inscrit
Au passage, le champ d’application de voriser le respect du secret profession- dans la continuité. Il s’est ainsi abstenu
l’AUPC n’est donc plus limité aux com- nel lorsque le débiteur y est soumis. de créer une procédure de type «sau-
merçants puisque sont désormais vegarde à la française » ou « chapter
concernées les activités civiles, artisa- Enfin, sur un plan plus économique, en eleven à l’américaine». Mais il faut dire
nales et agricoles. Ainsi, à l’instar d’au- étendant aux professions civiles, mais que l’AUPC connaissait déjà le règle-
tres droits et notamment du droit fran- aussi et surtout aux artisans et agricul- ment préventif qui constitue une pro-
çais, le droit des procédures collectives teurs, le champ d’application de cédure de pré-insolvabilité, dont le
dans l’OHADA s’applique désormais à l’AUPC, le législateur OHADA prend caractère collectif a d’ailleurs été réaf-

DROIT & PATRIMOINE n N°253 n DÉCEMBRE 2015


DOSSIER 57
Les débiteurs dans l’AUPC révisé

firmé lors de la révision(1). On notera portance plus ou moins grande. À titre vanche, ses droits sont sensiblement
également qu’il n’a pas souhaité consa- d’exemple, on peut penser que la réduits en redressement judiciaire tan-
crer le mandat ad hoc «à la française», conciliation est sans doute plus adap- dis qu’en liquidation des biens, tous
relevant qu’il existe déjà bien souvent tée pour une restructuration exclusi- ses actifs sont cédés, sans parler du fait
des procédures de médiation dans les vement financière puisque la confi- que le dirigeant caution notamment
États parties; il a toutefois pris soin de dentialité est alors importante tandis doit alors exécuter son engagement.
préciser, dans un souci de pédagogie, qu’il n’est pas nécessaire d’attraire En redressement judiciaire de sur-
que toute entreprise, c’est-à-dire, tout dans la procédure tous les créanciers croît, il n’est pas à l’abri d’une conver-
personne physique ou morale entrant du débiteur. À l’inverse, le règlement sion en liquidation tandis que la juri-
dans le champ d’application de préventif paraît plus adapté à une re- diction compétente peut subordonner
l’AUPC, peut recourir à la médiation structuration lourde nécessitant des l’adoption du concordat de redresse-
selon les dispositions prévues par efforts de tous les partenaires de l’en- ment au remplacement d’un ou plu-
l’État partie concerné, dès lors qu’elle treprise. Mais c’est sans doute la pra- sieurs dirigeants (AUPC, art. 127-1).
n’est pas en cessation des paiements tique qui viendra apporter au fil du
(AUPC, art. 1-2, al. 1er, nouv.). Enfin, il a temps des éléments sur les critères de Cette « boîte à outils » mieux fournie
également mis en place des procé- choix entre ces instruments. Pour être commande de faire des choix et même
dures simplifiées de règlement pré- complet, il faut également ajouter la dans certains cas d’adopter des stra-
ventif, de redressement judiciaire et de possibilité pour la petite entreprise de tégies, l’objectif étant de choisir la
liquidation des biens(2). recourir au règlement préventif sim- procédure adaptée à la situation de
plifié, ce qui la dispense notamment de l’entreprise. En créant de nouveaux
Ainsi, l’entreprise en difficulté dispose fournir un projet de concordat préven- instruments et en modifiant les an-
désormais d’une « boîte à outils » tif lors de sa demande d’ouverture. ciens, le législateur OHADA contrac-
mieux fournie, ce qui postule qu’elle tualise en partie le droit des entreprises
est désormais appelée à faire des Après cessation des paiements, le en difficulté, le sauvetage étant en défi-
choix. Avant cessation des paiements, choix est plus imposé. D’une part, le nitive l’affaire de tous et pas seulement
elle peut donc recourir à une procé- débiteur doit alors recourir au redres- celle du débiteur. Il ne fait toutefois au-
dure préventive choisie, la conciliation sement ou à la liquidation dans un délai cun doute qu’une démarche précoce
ou le règlement préventif, et s’il s’agit de trente jours à compter de sa cessa- augmente les chances de sauvetage de
d’une «petite entreprise», le règlement tion des paiements (AUPC, art. 25, l’entreprise, à supposer bien sûr que
préventif simplifié. Après cessation al. 3). Mais surtout, d’autre part, c’est celle-ci soit viable. À défaut, le recours
des paiements, elle doit recourir à un cette fois sa situation qui est détermi- à la liquidation des biens paraît inévita-
redressement judiciaire ou à une liqui- nante. Soit il parvient à démontrer que ble, mais le débiteur honnête peut alors
dation des biens, et là encore, s’il s’agit l’adoption d’un concordat de redres- «rebondir» rapidement.
d’une petite entreprise, elle peut préfé- sement a des chances d’être obtenue
rer le régime simplifié. Si la cessation ou qu’une cession globale est envisa-
des paiements reste donc une notion geable et c’est le redressement judi- III – LE «REBOND» RAPIDE
clé, après mais surtout avant, le débi- ciaire, soit il n’y parvient pas et c’est la DU DÉBITEUR HONNÊTE
teur bénéficie de choix. liquidation des biens (AUPC, art. 33). À MAIS MALCHANCEUX
noter que concernant la petite entre-
Avant cessation des paiements, il dis- prise, si elle peut se voir imposer la li-
pose d’un choix entre une procédure quidation simplifiée, elle conserve le Si le sauvetage de l’entreprise en diffi-
souple, confidentielle et consensuelle : choix de recourir ou non au redresse- culté est bien sûr l’issue recherchée, le
la conciliation, et une procédure col- ment simplifié. Et cette fois, ce choix législateur OHADA, avec un certain
lective publique entraînant l’arrêt des peut être déterminant puisque le pragmatisme, s’est également inté-
poursuites et l’élaboration rapide d’un concordat n’a pas à être voté par les ressé à la liquidation des biens des en-
concordat préventif : le règlement pré- créanciers, mais en contrepartie il ne treprises qui ne sont pas viables. Il s’est
ventif. La nature et l’ampleur de ses dif- peut leur être imposé que des délais de en particulier attaché à accélérer le dé-
ficultés mais également les rapports paiement ne dépassant pas deux ans. roulement de cette procédure tant
qu’il entretient avec ses créanciers, dans l’intérêt des créanciers que dans
dont on oublie souvent qu’il s’agit la Bien évidemment, le débiteur a tout in- celui du débiteur. Concernant les
plupart du temps de partenaires, térêt à ne pas attendre la cessation des créanciers, tout d’abord, une liquida-
constituent donc des éléments de sa paiements puisque les procédures de tion rapide est bien sûr de leur intérêt
prise de décision. Le fait de souhaiter redressement et de liquidation sont puisque s’ils sont en rang utile, ils per-
les associer tous ou certains d’entre beaucoup moins favorables. En re- cevront tout ou partie de leurs
eux seulement peut également être dé- dressement judiciaire, il bénéficie en créances rapidement, et dans le cas
terminant de sa décision puisque dans particulier de l’arrêt des poursuites de
la conciliation il a le choix alors que tous ses créanciers et du maintien de NOTES
dans le règlement préventif, les créan- ses contrats en cours, et en liquidation (1) Sur ce point, v. l’article de
ciers sont désormais tous concernés. des biens, de la non-reprise des pour- F. M. Sawadogo dans ce dossier.
On peut également citer la confidentia- suites de ses créanciers après la clô- (2) Sur ce point, v. l’article de B. Diallo
lité qui, dans certains cas, revêt une im- ture, sauf exceptions (v. infra). En re- dans ce dossier.

DROIT & PATRIMOINE n N°253 n DÉCEMBRE 2015


58 DOSSIER
MODERNISATION DE L’ACTE UNIFORME SUR LES PROCÉDURES COLLECTIVES

contraire, il ne sert à rien d’attendre. diciable au débiteur et aux créanciers. La mesure, qui avait d’ailleurs été in-
Concernant le débiteur, ensuite, tout La durée excessive de la liquidation se troduite en droit français il y a plus de
particulièrement lorsqu’il s’agit d’une traduisait en effet généralement par le trente ans, par la loi du 25 janvier 1985,
personne physique, le déroulement ra- non-paiement de ces derniers. Désor- n’est pas nécessairement préjudicia-
pide de la procédure lui permet de ne mais, à l’expiration d’un délai de deux ble aux créanciers puisque ce n’est
pas subir plus longtemps que néces- ans, si tous les actifs n’ont pas été réa- qu’en cas de retour à meilleure fortune
saire le dessaisissement, puis de re- lisés, la procédure est clôturée et les qu’ils avaient une chance d’être payés.
bondir comme nous le verrons. créanciers peuvent provoquer cette Or, en pratique, le retour à meilleure
réalisation par les voies du droit com- fortune était souvent très hypothé-
Trois mesures au moins permettent mun. Si le débiteur est une personne tique, ce d’autant que le débiteur
l’accélération du déroulement de la li- physique, tout en bénéficiant lui aussi n’était guère incité à reprendre une ac-
quidation des biens. de cette clôture qui le rétablit dans ses tivité dont les bénéfices risquaient
droits, il devra gérer cette situation. S’il d’être absorbés par le paiement des
Il s’agit bien sûr de la mise en place s’agit d’une personne morale, sans créanciers sa vie durant. Cette situa-
d’une liquidation des biens simplifiée. doute faudra-t-il désigner un manda- tion pouvait même encourager le débi-
Certes, dans ce type de procédure, on taire ad hoc aux fins de la représenter. teur personne physique à reprendre
peut craindre que l’actif ne soit faible et On peut espérer que les inconvénients une activité sous un nom d’emprunt.
ne permette que bien partiellement de résultant du recours aux voies du droit En outre, il existait une différence diffi-
payer les créanciers, mais à tout le commun seront largement contreba- cile à justifier entre le dirigeant d’une
moins ce paiement intervient très rapi- lancés par les avantages en résultant. Il personne morale qui, par définition,
dement. sera toutefois sur ce point très intéres- échappe aux poursuites de ses créan-
sant de faire un état des lieux dans ciers et l’entrepreneur individuel qui
Une deuxième mesure est plus d’ordre quelques années pour vérifier l’effica- payait sa vie durant un échec alors qu’il
incitatif puisque le syndic ne peut per- cité de ce dispositif. était parfois malchanceux, ce qui s’ap-
cevoir une partie substantielle de sa ré- parentait à une sanction perpétuelle.
munération, 60% au moins, qu’à la clô- Pour favoriser le rebond du débiteur, le
ture de la liquidation (AUPC, art. 4-20 législateur OHADA ne s’est pas limité Ainsi, la liquidation devient une procé-
nouv.). Si on ajoute à cela que cette ré- à accélérer le déroulement de la liqui- dure comme une autre permettant de
munération ne peut excéder un pour- dation. Dans une vision à la fois écono- mettre fin aux difficultés du débiteur
centage de 20% du montant des actifs mique et sociale, il a décidé de consa- pour réemployer ses forces dans une
réalisés (AUPC, art. 4-19 nouv.), on me- crer le principe de non-reprise des autre activité salariée ou même dans
sure l’incitation forte en faveur d’un poursuites des créanciers après clô- une autre activité indépendante. Dans
déroulement rapide. ture de la procédure (AUPC, art. 174 ce dernier cas, on peut même espérer
nouv.). Bien sûr, ce principe bénéficie que l’expérience de son échec lui sera
Mais c’est sans doute la troisième me- essentiellement au débiteur personne profitable, vision que d’aucuns pour-
sure qui est la plus novatrice puisque le physique et il connaît des exceptions. raient qualifier d’angélique mais qui est
législateur OHADA n’a pas hésité à li- En particulier, il ne fait pas obstacle aux pourtant de plus en plus conforme aux
miter strictement la durée de la liquida- poursuites portant sur les actifs non bonnes pratiques internationales(3) et
tion des biens à dix-huit mois, proro- réalisés pendant la liquidation ; de qui a fait ses preuves. Gageons que tel
geable de six mois une seule fois même les créances résultant d’une sera le cas dans la zone OHADA.
(AUPC, art. 33 nouv.). Il en résulte que condamnation pénale ou de droits at-
la procédure peut prendre fin même si tachés à la personne du créancier ou Quoi qu’il en soit, en étendant le champ
tous les actifs n’ont pu être réalisés. encore celles des garants qui ont payé d’application de l’AUPC, en moderni-
Mais que l’on se rassure, si tel est le cas, à la place du débiteur ne sont-elles pas sant les instruments juridiques mis à
les créanciers recouvrent leurs droits concernées. En outre, la règle est écar- disposition des débiteurs, en favori-
de poursuites individuelles sur les ac- tée si le débiteur ne mérite pas de re- sant le rebond, le législateur OHADA a
tifs non réalisés (AUPC, art. 170, nouv.). bondir, soit parce qu’il a été condamné modernisé sensiblement son droit de
La règle est assez catégorique puisque, en banqueroute ou en faillite person- l’insolvabilité, tout en prenant soin de
en définitive, la liquidation ne peut plus nelle, soit encore parce qu’il a fraudé l’adapter à son contexte régional et de
excéder une durée de deux ans, ce qui ou notamment parce qu’il a récidivé ne pas le bouleverser dans ses fonde-
pourrait de prime abord être critiqué. dans un délai de cinq ans. Dans de ments.
En effet, cette innovation aboutit d’une telles hypothèses, il a été jugé que le dé-
certaine manière à rétablir le prix de la biteur ne méritait aucune faveur. Mais Bref, la modernisation dans la conti-
course alors que la procédure de liqui- dans les autres cas, prenant en consi- nuité. n
dation a précisément pour objet de dération le fait que la liquidation n’est
l’éviter. Mais c’est sans compter sur le pas nécessairement synonyme de mal- NOTES
fait qu’en pratique, de nombreuses li- honnêteté de la part du débiteur, le lé-
(3) V. notamment Recomm. Comm. UE
quidations s’éternisaient jusqu’à pré- gislateur OHADA a souhaité permet- relative à une nouvelle approche en
sent, pour diverses raisons, bonnes ou tre au débiteur honnête de rebondir en matière de défaillances et d’insolvabilité
moins bonnes, mais qui aboutissaient le déchargeant pour l’avenir du passif des entreprises, 12 mars 2014, C(2014)
dans tous les cas à une situation préju- impayé. 1500 final.

DROIT & PATRIMOINE n N°253 n DÉCEMBRE 2015


DOSSIER 59
Des créanciers et des contractants mieux protégés

DES CRÉANCIERS ET
DES CONTRACTANTS MIEUX
PROTÉGÉS
LA RÉFORME DE L’AUPC AMÉLIORE CONSIDÉRABLEMENT
LA SITUATION DES CRÉANCIERS TOUT EN RENFORÇANT
LES POSSIBILITÉS DE SAUVETAGE DES ENTREPRISES
AU MOYEN D’UNE INSTRUMENTALISATION DES SÛRETÉS,
L’ENSEMBLE DE CES INNOVATIONS ÉTANT FORTEMENT
INSPIRÉ DES DERNIÈRES RÉFORMES DU DROIT DES PROCÉDURES
COLLECTIVES FRANÇAIS.

PAR PIERRE CROCQ,


I – MODIFICATIONS ment dans le cas de l’ancienne procé-
PROFESSEUR GÉNÉRALES APPORTÉES dure de règlement préventif parfois
À L’UNIVERSITÉ À LA SITUATION considérée comme une faveur oc-
PANTHÉON-ASSAS, DES CRÉANCIERS ET troyée à un débiteur in bonis, afin de lui
DIRECTEUR DU COLLÈGE
DE DROIT, DIRECTEUR COCONTRACTANTS permettre de ne pas payer certains de
DE L’INSTITUT D’ÉTUDES ses créanciers pendant un temps plus
JUDICIAIRES PIERRE- ou moins long selon la complaisance
RAYNAUD
Si l’on procède à un examen de la situa- de la juridiction compétente. Le nouvel
tion de l’ensemble des créanciers et AUPC s’est donc efforcé de lutter
des cocontractants de l’entreprise en contre de tels comportements fraudu-
difficulté, envisagés d’une manière gé- leux.
nérale, trois grandes tendances (1) Il l’a fait, tout d’abord, en créant une

E
n dépit de quelques mala- peuvent être notées au sein des modi- nouvelle forme de procédure préven-
dresses, dues au fait que le fications apportées à leur situation par tive, la conciliation (AUPC, art. 5-1 et
travail de préparation du le nouvel AUPC : tout d’abord, un net s.), qui, à la différence du règlement
nouvel Acte uniforme por- accroissement de leur protection à préventif, n’entraîne pas la suspension
tant organisation des procédures l’encontre d’une utilisation fraudu- des poursuites individuelles et, de ce
collectives d’apurement du passif leuse par le débiteur des procédures fait, ne peut donc pas constituer une
(AUPC) a connu une évolution diffé- d’apurement du passif (A), ensuite, une manœuvre dilatoire pour le débiteur.
rente de celle qui avait présidé à volonté de leur assurer un traitement Il l’a fait également en encadrant stric-
l’adoption du nouvel Acte uniforme plus égalitaire (B) et, enfin, une diminu-
portant organisation des sûretés tion des restrictions apportées à leurs
(AUS), le nouvel AUPC apporte de droits (C).
NOTES
multiples et importantes amélio - (1) On laissera de côté ici les simples
rations à la situation des créanciers A – PROTECTION DES CRÉANCIERS précisions qui ont pu être apportées aux
et cocontractants et ce constat peut CONTRE UNE UTILISATION anciens articles de l’AUPC telles, par
être effectué aussi bien lorsque l’on FRAUDULEUSE DES PROCÉDURES exemple, que l’ajout des modes de
examine la situation des créanciers D’APUREMENT DU PASSIF paiement «communément admis dans les
relations d’affaires du secteur d’activité du
ou des cocontractants en général (I) débiteur» parmi les modes de paiement
que lorsque l’on s’intéresse plus par- On a bien souvent reproché à l’ancien échappant aux inopposabilités
ticulièrement au devenir des sûre- AUPC de favoriser des fraudes au dé- obligatoires de la période suspecte
tés (II). triment des créanciers, et ce notam- (AUPC, art. 68, 4°).

DROIT & PATRIMOINE n N°253 n DÉCEMBRE 2015


60 DOSSIER
MODERNISATION DE L’ACTE UNIFORME SUR LES PROCÉDURES COLLECTIVES

tement les délais des nouvelles procé- on regrettera ici que le législateur ait cas d’un séquestre conventionnel in-
dures collectives, de telle sorte que si exigé pour cela que l’annulation ou la vesti avant l’ouverture de la procédure
les créanciers y participent volontaire- résolution soit constatée par la juridic- collective d’une mission de distribu-
ment, ou s’ils y sont soumis, cela ne re- tion compétente et qu’il n’ait pas per- tion de fonds provenant de la vente
tarde pas d’une manière excessive leur mis que le seul non-respect d’une seule d’un bien appartenant au débiteur,
possibilité d’agir en paiement contre le échéance par le débiteur en difficulté mais aussi que l’élément de référence
débiteur dans l’hypothèse où, finale- permette au créancier de pouvoir réa- pour savoir si une procédure de saisie
ment, le redressement de l’entreprise liser sa sûreté(2). est ou non suspendue soit désormais la
en difficulté ne pourrait pas être ob- Le nouvel AUPC poursuit également date de répartition du prix de vente en-
tenu. C’est ainsi que la procédure de cet objectif de moralisation des procé- tre les créanciers et non plus la date à
conciliation voit sa durée maximale li- dures collectives en décidant que, dés- laquelle le bien saisi est sorti du patri-
mitée à quatre mois et qu’une nouvelle ormais, l’ouverture de la procédure de moine du débiteur (une telle sortie ne
procédure de conciliation ne peut pas règlement préventif emportera, en pouvant cependant plus être remise en
être ouverte si une autre est déjà en elle-même, la suspension des pour- question par la suspension des pour-
cours ou avant l’expiration d’un délai suites individuelles pour toutes les suites si elle a eu lieu avant l’ouverture
de trois mois après l’échec d’une pré- créances antérieures à cette ouverture, de la procédure collective).
cédente tentative de conciliation à l’exception des seules créances sala- Parfois, au contraire, le renforcement
(AUPC, art. 5-3). De même, dans le cas riales et d’aliments (AUPC, art. 9), et du traitement égalitaire profite aux
de la nouvelle procédure de règlement non plus seulement à l’égard des seuls créanciers ou aux cocontractants.
préventif, la suspension provisoire des créanciers visés par la requête du débi- Ainsi, le nouvel AUPC étend à tous les
poursuites individuelles en résultant teur, ce qui était une source de fraude, garants de la dette d’autrui la possibi-
voit également sa durée maximale li- mais ici la protection contre les ma- lité, antérieurement uniquement pré-
mitée à quatre mois (AUPC, art. 9) et il nœuvres frauduleuses rejoint un autre vue dans le cas des cautions, de repren-
est impossible de demander l’ouver- aspect des évolutions générales des dre des poursuites après la clôture
ture d’un nouveau règlement préventif droits des créanciers, à savoir le ren- d’une liquidation des biens pour insuf-
si un concordat de règlement préventif forcement de leur traitement égali- fisance d’actif (AUPC, art. 174). De
est en cours d’exécution ou avant l’ex- taire. même, le report du point de départ du
piration d’un délai de trois ans à comp- délai de production d’une créance à la
ter de l’homologation d’un précédent B – RENFORCEMENT date de réception d’un avertissement
concordat, ou encore avant l’expira- DU TRAITEMENT ÉGALITAIRE personnel d’avoir à produire donné
tion d’un délai de dix-huit mois à DES CRÉANCIERS par le syndic, qui ne concernait anté-
compter de la fin d’un règlement pré- rieurement que les créanciers titu-
ventif n’ayant pas abouti à un concor- La volonté de placer sur un pied d’éga- laires d’une sûreté publiée, s’applique
dat préventif (AUPC, art. 6). De même, lité tous les créanciers ou cocontrac- désormais également à tous les cocon-
également, une procédure de redres- tants se trouvant dans des situations si- tractants ayant publié leur contrat
sement judiciaire ne peut durer plus de milaires se manifeste à plusieurs conclu avec le débiteur en difficulté
neuf mois sans être automatiquement reprises au sein du nouvel AUPC. (AUPC, art. 79, al. 1er), ce qui corres-
convertie en liquidation des biens par Parfois, cela se fait au détriment des pond également à une volonté législa-
la juridiction compétente, et ce d’office créanciers et c’est ainsi que le nouvel tive plus générale de diminution des
ou à la demande de tout intéressé AUPC consacre, en matière de conci- restrictions apportées aux droits des
(AUPC, art. 33, al. 6). Il faut ajouter ici liation, la possibilité pour le juge de créanciers et des cocontractants du
que le nouvel AUPC a, en outre, fait en suspendre les poursuites d’un créan- débiteur.
sorte que les créanciers puissent re- cier qui profiterait des négociations
couvrer plus rapidement leur droit de pour essayer de gagner du temps par C – DIMINUTION DE CERTAINES
poursuite individuelle. Tel est notam- rapport aux autres créanciers en exer- DES RESTRICTIONS APPORTÉES
ment le cas au sein d’une procédure de çant immédiatement une action en AUX DROITS DES CRÉANCIERS
règlement préventif en cas de non-res- paiement ou en diligentant une mesure
pect des brefs délais imposés pour le d’exécution (v. AUPC, art. 5-7, inspiré Certaines des modifications appor-
dépôt du rapport de l’expert au règle- de C. com. français, art. L. 611-7, al. 5). tées à l’AUPC pour améliorer les droits
ment préventif (AUPC, art. 13) ou pour De même, on peut constater, en ma- des créanciers ne sont qu’apparentes.
que la juridiction compétente prenne tière de redressement judiciaire ou de Ainsi, la suppression, au sein de l’énu-
la décision d’homologuer ou non le liquidation des biens et dans le nouvel mération des cas d’inopposabilités fa-
concordat (AUPC, art. 14). Bien évi- article 75, alinéa 2 de l’AUPC (inspiré cultatives de la période suspecte, des
demment, la suspension des pour- de C. com. français, art. L. 622-21, II),
suites individuelles prend également une extension du domaine d’applica- NOTES
fin en cas d’annulation ou de résolu- tion de la suspension des voies d’exé-
tion du concordat préventif ou du cution à «toute procédure de distribu- (2) Comp. en droit français, Cass. com.,
2 juin 2015, n° 14-10.673, D. 2015, p. 1270,
concordat de redressement judiciaire, tion n’ayant pas produit un effet
obs. A. Lienhard, Banque et droit 2015,
lesquelles permettent alors aux créan- attributif avant la décision d’ouver- n° 162, p. 79, obs. N. Rontchevsky,
ciers de réaliser leurs sûretés réelles ture», ce qui implique non seulement Actualité proc. coll. 2015, 176, obs.
(AUPC, art. 18, al. 2, et 134, al. 4), mais que la suspension s’applique dans le J. Vallansan.

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DOSSIER 61
Des créanciers et des contractants mieux protégés

«inscriptions des sûretés mobilières ou des biens le créancier négligent laires de sûretés, on s’aperçoit que les
immobilières, consenties ou obtenues pourra agir en paiement contre la cau- nouvelles dispositions de l’AUPC ont
pour des dettes concomitantes lorsque tion, à la condition du moins que les ju- eu essentiellement (4) deux sources
leur bénéficiaire a eu connaissance de ridictions des pays membres de d’inspiration : d’une part, la nécessité
la cessation des paiements du débi- l’OHADA n’admettent pas, comme l’a de prendre en compte les modifica-
teur», visées par l’ancien article 69, ali- fait la Cour de cassation française(3) et tions issues du nouvel AUS (A) et, d’au-
néa 1er, 2°, de l’AUPC, ne change rien, de manière critiquable selon nous, que tre part, une volonté d’instrumentali-
en pratique, à la situation des créan- la caution puisse alors opposer au ser les sûretés au service du sauvetage
ciers, puisque de telles constitutions de créancier le bénéfice de subrogation. de l’entreprise en difficulté (B).
sûretés feront le plus souvent partie de Tel est également le cas du nouveau ré-
la catégorie des «actes à titre onéreux gime juridique de la continuation des A – INFLUENCES DU NOUVEAU
(lorsque) ceux qui ont traité avec le dé- contrats en cours à propos duquel il est DROIT DES SÛRETÉS SUR
biteur ont eu connaissance de la cessa- bien précisé qu’il ne s’applique pas à la LE NOUVEAU DROIT DE
tion des paiements du débiteur au mo- continuation du bail consenti à l’entre- L’ENTREPRISE EN DIFFICULTÉ
ment de leur conclusion», laquelle est prise en difficulté (AUPC, art. 97, al. 2),
toujours visée par le nouvel article 69, laquelle fait l’objet de dispositions spé- La prise en compte du nouveau droit
alinéa 1, 2°, de l’AUPC. En réalité, il cifiques, et où l’alignement sur le droit des sûretés par le nouveau droit de
s’agissait tout simplement ici d’amé- français se traduit notamment par une l’entreprise en difficulté s’est faite
liorer la lisibilité de cet article en sup- meilleure protection du cocontractant d’une manière plus ou moins heureuse
primant son ancien 2° qui était redon- puisqu’il est désormais précisé que le selon les cas : en effet, si d’un côté le lé-
dant avec son ancien 3°. contrat est continué aux conditions en gislateur a essayé d’une manière assez
D’autres évolutions sont nettement vigueur au jour de l’ouverture de la maladroite de limiter en partie l’effica-
plus importantes et tel est notamment procédure collective (AUPC, art. 108,
le cas de la modification de la sanction al. 3) et que le contrat est résilié de plein
du défaut de production de créance en droit si le syndic ne répond pas à la NOTES
temps utile, le législateur OHADA mise en demeure de prendre parti
(3) Cass. com., 19 févr. 2013, n° 11-28.423,
ayant ici suivi l’exemple du législateur adressée par le cocontractant ou s’il ne RTD civ. 2013, p. 416, obs. P. Crocq, Gaz.
français et abandonné cette sanction fournit pas la prestation promise Pal. 20-21 mars 2013, p. 20, obs.
excessive, que constituait l’extinction (AUPC, art. 109). M.-P. Dumont-Lefrand, LEDC, avr. 2013,
de la créance non produite, pour une n° 4, p. 2, obs. N. Leblond, D. 2013, p. 565,
simple inopposabilité à la masse et au obs. A. Lienhard, RLDC 2013/103, p. 34,
obs. G. Marraud des Grottes, Banque et
débiteur pendant la procédure de re- II – LES ÉVOLUTIONS droit 2013, n° 149, p. 44, obs. E. Netter,
dressement judiciaire ou de liquida- SPÉCIFIQUES DES DROITS JCP E 2013, 1216, n° 7, obs. Ph. Pétel,
tion des biens, ainsi que pendant la pé- DES CRÉANCIERS Dr. et procéd. 2013, Cahier Droit des
riode d’exécution d’un éventuel TITULAIRES DE SÛRETÉS entreprises en difficulté, p. 6, obs.
concordat de redressement judiciaire Ph. Roussel Galle.
(AUPC, art. 83). Un tel changement est (4) Là aussi, on laissera ici de côté les
important et a, par exemple, pour Si l’on examine, à présent, la situation simples précisions qui ont pu être
apportées aux anciens articles de l’AUPC.
conséquence qu’en cas de liquidation plus spécifique des créanciers titu- Certaines sont particulièrement
heureuses telles que la référence au
superprivilège des salariés désormais
effectuée par le nouvel article 95 de
l’AUPC (assortie au sein de l’article 96,
alinéa 3, de l’AUPC d’une suggestion de
création d’un mécanisme similaire à celui
de l’AGS) ou l’admission de l’application
du privilège du bailleur à l’indemnité
d’occupation (AUPC, art. 98; rappr., en
droit français, Cass. com., 25 oct. 2011,
n° 10-25.257, RLDC 2011/88, p. 36 et s.,
obs. J.-J. Ansault, Banque et droit 2011,
n° 140, p. 53, obs. F. Jacob, D. 2011,
p. 2653, obs. A. Lienhard, JCP G 2012,
117, n° 13, obs. Ph. Pétel). D’autres le sont
beaucoup moins comme la mention, dans
le nouvel article 120 de l’AUPC, des
créanciers titulaires de privilèges
généraux parmi les personnes devant
répondre à l’avertissement donné aux
créanciers en application de l’article 119
de l’AUPC alors que les titulaires de
privilèges généraux ne font pas partie
des créanciers devant recevoir un tel
avertissement selon ledit article 119.

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62 DOSSIER
MODERNISATION DE L’ACTE UNIFORME SUR LES PROCÉDURES COLLECTIVES

cité du nouveau pacte commis- d’exécution extrajudiciaire conformé- d’une créance nantie ou cédée à titre de
soire (1°), il a, en revanche, d’un autre ment à l’Acte uniforme portant organi- garantie (la logique voudrait que cette
côté, assez bien protégé les sûretés sation des sûretés» (nous soulignons). règle s’applique également dans le cas
fondées ab initio sur une situation d’ex- On remarquera ici que cet article, à la du concordat de règlement préventif,
clusivité (2°). différence de l’article 9, alinéa 2, em- bien que l’article 18 de l’AUPC n’ait
ploie d’une manière plus exacte le mot rien prévu à ce propos). De même en-
1°/ Limitation partielle de « clause » à propos du pacte commis- core, le législateur OHADA a dû, au
l’efficacité du pacte commissoire soire et non le terme de « mesure », sein de l’article 149 de l’AUPC, ajouter
S’agissant du pacte commissoire, le lé- mais la formulation retenue n’en de- le droit de rétention conventionnel à
gislateur OHADA a essayé de limiter meure pas moins maladroite, car ce l’énumération des sûretés pour les-
son efficacité en cas d’ouverture d’une n’est pas la saisie qui est soumise à la quelles le syndic peut payer le créan-
procédure collective, mais il ne l’a fait clause mais la réalisation de la sûreté. cier pour retirer le bien concerné et, lo-
que dans le cas de la procédure de rè- En outre, on ne peut que s’étonner ici giquement, cette règle devrait
glement préventif (ce en quoi on peut de ce que le nouvel article 154-1 de s’appliquer également en cas de re-
l’approuver car la survenue de la ces- l’AUPC, qui prévoit la possibilité pour dressement judiciaire en dépit du si-
sation des paiements fait douter d’une le syndic d’être subrogé dans les droits lence de l’AUPC à ce propos. Enfin, il a
réelle possibilité de sauver l’entreprise du créancier saisissant dont la voie été nécessaire de prendre en compte la
et donc de la nécessité de paralyser le d’exécution immobilière a été suspen- réforme de l’AUS au sein des nou-
jeu du pacte commissoire) et en énon- due par l’ouverture de la procédure, veaux articles 166 et 167 de l’AUPC
çant au sein de l’alinéa 2 de l’article 9 de envisage également le cas d’une exé- énonçant les classements des droits de
l’AUPC que «la suspension des pour- cution extrajudiciaire. Par rapproche- préférence pour en exclure expressé-
suites individuelles concerne aussi bien ment avec les articles précédents, on ment les sûretés bénéficiant d’un droit
les voies d’exécution que les mesures peut imaginer que le législateur a peut- de rétention et les propriétés-sûretés.
conservatoires, y compris toute me- être souhaité ainsi appliquer ce texte à Inversement, il a pu paraître logique de
sure d’exécution extrajudiciaire » l’hypothèse du pacte commissoire, se référer de manière générale à la ca-
(nous soulignons). mais ceci n’aurait alors aucun sens, car tégorie des sûretés réelles lorsqu’il
Il n’est pas certain, cependant, que on ne voit vraiment pas comment la était opportun qu’un article de l’AUPC
cette tentative soit totalement couron- procédure collective du débiteur, par s’appliquât désormais également dans
née de succès. En effet, pour une partie hypothèse déjà propriétaire du bien, le cas des propriétés-sûretés (par com-
de la doctrine, dont l’auteur de ces pourrait bénéficier du transfert de paraison, on remarquera qu’en droit
lignes, le pacte commissoire joue propriété résultant d’une subrogation français les cessions « Dailly» échap-
d’une manière automatique en cas de dans le bénéfice du pacte commis- pent aux nullités obligatoires de la pé-
défaillance du débiteur et aucune res- soire. riode suspecte (5), ce qui est peu lo-
triction n’est énoncée à ce propos par gique). C’est la raison pour laquelle le
l’AUS en matière mobilière. Si l’on ad- 2°/ Protection des sûretés fondées nouvel article 68, 5°, de l’AUPC, relatif
met ce point de vue, on peut considérer sur l’exclusivité aux inopposabilités de droit de la pé-
que le pacte commissoire ayant pour L’introduction par le nouvel AUS des riode suspecte ne contient plus une
objet un meuble n’est pas visé par ce propriétés-sûretés au sein des sûretés énumération de sûretés réelles tradi-
nouvel article 9, alinéa 2, puisque le réelles a rendu nécessaire la modifica- tionnelles mais vise d’une manière plus
créancier n’a aucune «mesure d’exé- tion des textes qui, antérieurement, vi- générale «toute sûreté réelle conven-
cution» à mettre en œuvre. Il reste à sa- saient les sûretés réelles sans distinc- tionnelle constituée à titre de garantie
voir ce que dira la jurisprudence à ce tion, lorsque leur application n’a pas d’une dette antérieurement contractée,
propos. de sens s’agissant des sûretés fondées à moins qu’elle ne remplace une sûreté
C’est ce même raisonnement, s’il est sur l’octroi ab initio d’une situation antérieure d’une nature et d’une éten-
retenu, qui conduit, d’ailleurs, à consi- d’exclusivité. due au moins équivalente (ce qui est la
dérer que, le créancier n’ayant pas de Ainsi, dans le cas du règlement pré- reprise d’une exception retenue par la
poursuite à exercer pour que le pacte ventif, les sûretés réelles visées par la Cour de cassation française (6)) ou
commissoire se réalise en matière mo- suspension des poursuites font désor- qu’elle soit consentie en exécution
bilière, la mise en œuvre de ce pacte mais l’objet d’une énumération limita- d’une convention antérieure à la cessa-
n’est pas restreinte en cas d’ouverture tive, laquelle ne comprend que les sû-
d’un redressement judiciaire ou d’une retés réelles traditionnelles et non les
liquidation de biens, l’article 75 de propriétés-sûretés (AUPC, art. 9, al. 3). NOTES
l’AUPC ne contenant aucune disposi- De même, l’article 134, alinéa 4, de (5) Cass. com., 28 mai 1996, D. aff. 1996,
tion similaire à l’alinéa 2 de l’article 9. l’AUPC, relatif aux effets du concordat p. 842 et s., RTD com. 1996, p. 508,
Mieux encore, sa mise en œuvre sem- judiciaire à l’égard des créanciers titu- obs. M. Cabrillac, RTD civ. 1996, p. 671,
ble expressément réservée par le nou- laires de sûretés, a pris soin de réserver obs. P. Crocq.
vel article 150 de l’AUPC selon lequel la possibilité pour ces créanciers d’agir (6) Cass. com., 20 janv. 1998, n° 95-16.402,
Bull. civ. IV, n° 28, JCP G 1998, I, 141, n° 8,
« les ventes d’immeubles ont lieu sui- contre un tiers afin de préserver leurs
obs. M. Cabrillac, RD bancaire
vant les formes prescrites en matière de droits, ce qui peut notamment s’appli- et bourse 1998, p. 73 et s.,
saisie immobilière, sauf dans le cas où quer dans le cas d’une action en paie- obs. M.-J. Campana et J.-M. Calendini,
ladite saisie est soumise à une clause ment exercée à l’encontre du débiteur D. aff. 1998, p. 254 et s., obs. A. L.

DROIT & PATRIMOINE n N°253 n DÉCEMBRE 2015


DOSSIER 63
Des créanciers et des contractants mieux protégés

tion des paiements» (cette dernière ré- en temps utile était sanctionné par la tion que sont le renforcement de la
serve permettant notamment de pro- nullité de la créance); protection des garants personnes
téger les cessions de créance à titre de – enfin, le nouvel AUPC simplifie la physiques (1°) et la création du privi-
garantie qui ont été effectuées en ap- procédure de revendication en per- lège dit de «new money» (2°).
plication d’une convention-cadre si- mettant au syndic d’acquiescer à la de-
gnée avant la cessation des paiements mande amiable qui lui est faite (AUPC, 1°/ Renforcement de la protection
de l’entreprise(7)). art. 101 et s.). Là encore, en s’inspirant des garants personnes physiques
On peut ici remarquer que cette mise du droit français, le nouvel AUPC pré- En pratique, les procédures d’apure-
en cohérence du nouveau droit des voit désormais que le revendiquant ment du passif ne peuvent être couron-
procédures collectives par rapport au doit adresser une demande amiable au nées de succès que si elles sont ou-
nouveau droit des sûretés s’est accom- syndic dans un délai de quatre-vingt- vertes le plus tôt possible, dès les
pagnée de plusieurs améliorations de dix jours suivant la deuxième insertion premières difficultés financières des
la situation du créancier revendi- de la décision d’ouverture de la procé- entreprises. Il faut donc encourager le
quant : dure de redressement judiciaire ou de chef d’entreprise à y avoir recours très
liquidation des biens dans un journal tôt et, à tout le moins, faire en sorte que
– tout d’abord, le dernier alinéa de l’ar- d’annonces légales de l’État partie sa fréquente qualité de caution des
ticle 63 de l’AUPC contient désormais concerné. Si le syndic refuse ou s’il ne dettes de son entreprise ne l’en dis-
une précision nouvelle selon laquelle répond pas à cette demande amiable suade pas en lui faisant craindre que
«l’absence d’inventaire ne fait pas obs- dans un délai de trente jours courant à ses créanciers agissent alors immédia-
tacle à l’exercice des actions en reven- compter de la réception de la de- tement contre lui en paiement. À cette
dication ou en restitution » et la juris- mande, le revendiquant peut alors sai- fin, le législateur OHADA a adopté, au
prudence française montre bien sir le juge-commissaire d’une action sein de l’AUPC, de nouvelles disposi-
l’importance d’une telle précision en revendication dans un délai de tions qui viennent protéger le chef
s’agissant de l’attribution de la charge trente jours qui court, lui, «à compter d’entreprise diligent garantissant les
de la preuve de l’existence en nature du de l’expiration du premier délai ou de ce dettes de sa société, et ce en le quali-
bien revendiqué en affirmant qu’en refus». On remarquera ici que si le syn- fiant sous la dénomination générique
l’absence d’inventaire, c’est aux or- dic refuse avant l’expiration du délai de de « personne physique coobligée ou
ganes de la procédure collective qu’il trente jours qui lui est imparti pour ré- ayant consenti une sûreté personnelle
appartient de prouver que le bien pondre, le délai de trente jours imparti ou ayant affecté ou cédé un bien à titre
n’existait pas en nature au jour de l’ou- alors au revendiquant pour agir court de garantie», ce qui a l’avantage d’en-
verture de la procédure (8). Ceci sera à compter de ce refus et non, comme glober tous les cas de garantie de la
transposable en droit OHADA, même c’est le cas en droit français, à compter dette d’autrui, à l’exception toutefois
si l’existence en nature n’est plus ex- de l’expiration du premier délai de de la garantie autonome puisqu’une
pressément exigée par l’AUPC, lequel trente jours. Enfin, comme en droit personne physique ne peut souscrire
se contente de renvoyer aux condi- français, le revendiquant est dispensé une telle garantie en droit OHADA
tions d’efficacité de la réserve de pro- du respect de ces délais si le contrat (AUS, art. 40, al. 1er).
priété prévues par le nouvel AUS ayant pour objet le bien revendiqué a C’est ainsi que le garant personne phy-
(AUPC, art. 103); été publié, mais on peut ici noter qu’à la sique va bénéficier de la suspension
– ensuite, on remarquera la suppres- différence de la situation française, des poursuites individuelles en cas de
sion de l’avant-dernier alinéa de l’an- cette dispense s’appliquera systémati- règlement préventif (AUPC, art. 9, al. 5)
cien article 78 de l’AUPC qui imposait quement dans le cas de la réserve de ou de redressement judiciaire, y com-
au créancier revendiquant de produire propriété puisque celle-ci doit néces- pris pendant la période d’exécution du
sa créance. Cette suppression est heu- sairement être publiée pour être oppo-
reuse s’agissant des actions en reven- sable aux tiers (AUS, art. 74).
dication en général, mais dans le cas NOTES
particulier de la propriété-sûreté, elle B – INSTRUMENTALISATION (7) Comp. Cass. com., 20 févr. 1996,
laisse à la jurisprudence le soin de dé- DES SÛRETÉS PAR LE NOUVEAU n° 94-10.156, Bull. civ. IV, n° 56, RTD com.
cider si, dans le silence des textes, le ca- DROIT DE L’ENTREPRISE EN 1996, p. 309, obs. M. Cabrillac,
ractère accessoire de la sûreté impose DIFFICULTÉ RTD civ. 1996, p. 674, obs. P. Crocq,
une production de la créance pour que D. 1996, somm., p. 283, obs. A. Honorat;
Cass. com., 20 janv. 1998, RTD com. 1998,
la propriété-sûreté qui la garantit Si les développements qui précèdent
p. 396 et s., obs. M. Cabrillac,
puisse être opposée à la procédure col- ont déjà montré l’importance de l’in- RD bancaire et bourse 1998, p. 73 et s.,
lective ou si, au contraire, cette modifi- fluence de l’évolution du droit français obs. M.-J. Campana et J.-M. Calendini,
cation doit être interprétée comme des entreprises en difficulté sur le nou- Banque 1998, p. 89 et s., obs. J.-L. Guillot.
l’expression d’une volonté législative vel AUPC, c’est sans doute à propos de (8) Cass. com., 1er déc. 2009, n° 08-13.187,
de totalement supprimer l’obligation l’instrumentalisation des sûretés au D. 2010, p. 12, obs. A. Lienhard.
(9) V. également à ce propos R. Akano
faite aux revendiquants de produire, y service du sauvetage de l’entreprise en
Adam, Le sort des sûretés personnelles
compris dans le cas des propriétés-sû- difficulté (9) que cette influence est la dans l’avant-projet de réforme de l’Acte
retés (suivant en cela alors l’exemple plus forte, puisque l’on retrouve, au uniforme portant organisation des
donné par la jurisprudence française à sein du nouvel AUPC, les deux aspects procédures collectives du 10 avril 1998,
une époque où le défaut de déclaration principaux de cette instrumentalisa- RD bancaire et fin. 2015, étude 17.

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64 DOSSIER
MODERNISATION DE L’ACTE UNIFORME SUR LES PROCÉDURES COLLECTIVES

concordat judiciaire (AUPC, art. 75-1), fice des dispositions du concordat ju- – d’une part, ce privilège ne peut être
mais non dans le cas d’une liquidation diciaire ne va, de ce fait, concerner en invoqué, selon l’AUPC, qu’en cas d’ou-
des biens (le chef d’entreprise n’ayant pratique que les garants personnes verture subséquente d’une procédure
pas été suffisamment diligent se trou- morales. de liquidation des biens et l’on peut ici
vant ainsi sanctionné en sa qualité de s’interroger sur la logique de l’exclu-
garant). On regrettera, toutefois, ici un 2°/ Création d’un nouveau sion de son application lors de l’ouver-
petit oubli, même s’il n’a guère d’inci- privilège et attractivité des ture subséquente d’un redressement
dence pratique, le législateur OHADA procédures de sauvetage de judiciaire, et cela d’autant plus que
n’ayant pas pensé à faire également l’entreprise en difficulté lorsqu’un débiteur ayant antérieure-
bénéficier le garant personne phy- On se souvient de ce qu’avant l’entrée ment bénéficié d’un accord de conci-
sique de cette forme particulière de en vigueur de la loi de sauvegarde liation ou d’un concordat préventif de-
suspension des poursuites qui peut n° 2005-845 du 26 juillet 2005 mande l’ouverture d’un redressement
être exceptionnellement prononcée à (JO 27 juill.) réformant le droit fran- judiciaire, il doit fournir une attes-
l’encontre d’un créancier lors d’une çais des procédures collectives, les tation indiquant « le montant des
conciliation sur le fondement de l’arti- créanciers qui avaient participé à une créances restant dues aux créanciers
cle 5-7 de l’AUPC (comp. en droit fran- tentative de règlement amiable des bénéficiant du privilège de l’article 5-11
çais, C. com., art. L. 611-10-2, pré- difficultés d’une entreprise ne bénéfi- et de l’article 11-1 (…) ainsi que leurs
voyant un tel bénéfice au profit des ciaient d’aucun avantage spécifique si noms et domiciles» (AUPC, art. 26, 8°).
garants). cette tentative ne connaissait pas le Il est vrai, toutefois, qu’en pratique il
C’est ainsi, également, que le garant succès puisqu’ils étaient alors traités sera sans doute très exceptionnel
personne physique bénéficie de la rè- comme n’importe quel créancier an- qu’un redressement judiciaire soit ou-
gle de l’arrêt du cours des intérêts, non térieur à l’ouverture de la procédure vert après une conciliation ou un règle-
pas en cas de règlement préventif, car (ce qui n’était pas de nature à inciter ment préventif dans lesquels un ap-
cette règle n’existe pas alors (AUPC, les créanciers à aider une entreprise port d’argent frais aura été effectué,
art. 10), mais en cas de redressement en difficulté) et de ce que, pour remé- l’échec de la tentative de sauvetage de
judiciaire et aussi, curieusement, en dier à cela, la loi n° 2005-845 du 26 juil- l’entreprise se traduisant, le plus sou-
cas de liquidation des biens, l’article 77 let 2005 a créé, au sein de l’arti- vent, par l’ouverture d’une liquidation
de l’AUPC, prévoyant ce bénéfice, cle L. 611-11 du Code de commerce, des biens. En outre, le sort des appor-
étant commun à ces deux procédures. un nouveau privilège, dit de « new mo- teurs d’argent frais à l’occasion d’une
Même si, là encore, cela n’a qu’une im- ney », au profit des créanciers qui, au procédure de redressement judiciaire
portance fort limitée en pratique, on sein d’une procédure de conciliation n’est pas totalement ignoré au sein de
peut regretter cette extension du béné- (ayant remplacé l’ancienne procédure cette même procédure puisque le
fice de l’arrêt des cours des intérêts au de règlement amiable), apportent un concordat de redressement judiciaire
cas de la liquidation des biens, car il n’y nouveau soutien financier permettant ne pourra être homologué que si les
a aucune raison pour qu’un chef d’en- la poursuite de l’activité de l’entre- créanciers bénéficiaires du privilège
treprise ayant laissé la situation finan- prise. énoncé par l’article 33-1 de l’AUPC, et
cière de sa société se détériorer au Cet exemple a été suivi et même très les montants qui sont ainsi garantis,
point qu’elle doive être liquidée soit largement amplifié par le nouvel sont expressément mentionnés au sein
ainsi protégé. AUPC puisqu’un privilège de « new du concordat (AUPC, art. 127);
C’est ainsi, enfin, que les garants per- money» similaire y a été créé au profit – d’autre part, le nouvel AUPC ne
sonnes physiques bénéficient des dis- de ceux qui consentent à apporter de consacre pas au profit des bénéfi-
positions de l’accord de conciliation l’argent frais ou de nouveaux biens ou ciaires du privilège de «new money»
(AUPC, art. 5-12, al. 2, qui, comme en services à l’entreprise en difficulté, et un droit au paiement à l’échéance, ce
droit français, octroie également ce ce non seulement lors d’une procédure qui réduit quelque peu l’intérêt de cette
bénéfice aux garants personnes mo- de conciliation (AUPC, art. 5-11), mais sûreté en pratique, puisque les créan-
rales) et du concordat préventif homo- aussi à l’occasion d’un règlement pré- ciers dont les créances seront nées
logué (AUPC, art. 18, al. 3). En re- ventif (AUPC, art. 11-1) ou même d’un après l’ouverture de la liquidation judi-
vanche, le fait d’attendre la cessation redressement judiciaire (AUPC, ciaire pourront, eux, être payés à
des paiements fait théoriquement per- art. 33-1). En outre, ce privilège de l’échéance et l’emporter, de facto, sur
dre au chef d’entreprise cet avantage «new money» se voit ici doté d’un rang les bénéficiaires de ce privilège de
puisque les garants sont exclus du bé- nettement meilleur que celui que lui «new money».
néfice des dispositions du concordat confère le droit français, puisqu’il l’em-
judiciaire (AUPC, art. 134, al. 5). Cela porte sur toute autre sûreté, y compris Une fois encore, il apparaît que le nou-
est logique, mais, là encore, la nouvelle le superprivilège des salariés et le pri- vel AUPC n’est pas exempt de
législation n’est pas parfaite, car cette vilège des frais de justice, selon le clas- quelques lacunes ou autres mala-
disposition vient en contradiction avec sement établi par les nouveaux arti- dresses. L’importance de celles-ci ne
l’affirmation selon laquelle le garant cles 166 et 167 de l’AUPC. doit cependant pas être exagérée et
personne physique bénéficie de la sus- En revanche, deux autres différences cette réforme n’en constitue pas moins
pension des poursuites individuelles par rapport au droit français viennent un progrès tout à fait considérable
pendant la période d’exécution du amoindrir, quelque peu, l’intérêt de ce pour le droit africain des entreprises
concordat judiciaire. Le refus du béné- nouveau privilège de «new money» : en difficulté. n

DROIT & PATRIMOINE n N°253 n DÉCEMBRE 2015


DOSSIER 65
Des mandataires judiciaires mieux encadrés, pour une procédure plus efficace

DES MANDATAIRES
JUDICIAIRES MIEUX
ENCADRÉS, POUR UNE
PROCÉDURE PLUS EFFICACE
LE NOUVEL ACTE UNIFORME RÉVISÉ SUR LES PROCÉDURES
COLLECTIVES A L’AMBITION D’APPORTER AUX JUSTICIABLES ET
AUX OPÉRATEURS ÉCONOMIQUES TOUTES LES GARANTIES DE
PROFESSIONNALISME ET D’INTÉGRITÉ QU’ILS SONT EN DROIT
D’ATTENDRE DES MANDATAIRES JUDICIAIRES, ET CE, SOUS UN CONTRÔLE
RENFORCÉ DU MINISTÈRE PUBLIC.

sation des procédures collectives 1998, et plus encore au cours de l’éla-


PAR ALAIN FÉNÉON, d’apurement du passif (AUPC), boration de cette révision, les repré-
AVOCAT HONORAIRE concernant entre autres le statut des sentants du secteur privé ont souligné
AU BARREAU DE PARIS, mandataires judiciaires et le déroule- l’absence de tout contrôle sur les
ARBITRE – MÉDIATEUR
ment de la procédure, ne pouvaient conditions de recrutement et de nomi-
échapper à la critique. Les travaux de nation des experts et syndics, ainsi que
révision de cet Acte devaient donc né- sur le mode de calcul obscur et aléa-
cessairement conduire à une réflexion toire de leur rémunération.

L
es lois sur l’insolvabilité sur les conditions de nomination et
contribuent au dévelop- d’exercice des mandataires, afin de les Certes, le droit antérieur avait mis fin
pement du secteur privé rendre à la fois modernes et adaptées à au dualisme syndic de faillite/liquida-
lorsqu’elles favorisent la la réalité de la procédure OHADA (I). teur judiciaire, pratiqué jusqu’alors
continuation de l’activité des entre- La réforme de l’Acte uniforme ne pou- dans la plupart des législations natio-
prises viables tout en permettant dans vait également ignorer le caractère dé- nales africaines, à l’instar de la procé-
les meilleures conditions la liquidation terminant du rôle du juge-commis- dure collective française. Toutefois,
des entreprises dont la situation est saire, non plus que celui du ministère cette seule innovation s’avérait gran-
définitivement compromise. Encore public. L’accroissement de leurs pou- dement insuffisante, faute d’avoir
convient-il que les acteurs de la procé- voirs dans la procédure ayant pour fi- prévu pour ces syndics un véritable
dure collective soient en mesure, par nalité d’en renforcer l’efficacité. (II). statut, incluant des conditions de no-
leur compétence et leur intégrité, de mination, de responsabilité, de disci-
mener à bonne fin ces objectifs. Le pline ainsi qu’un minimum de règles
mandataire judiciaire joue en effet un I – DES MANDATAIRES gouvernant les modalités de leur ré-
rôle primordial dans les procédures JUDICIAIRES MIEUX munération.
collectives, au même titre que le juge- ENCADRÉS De même, aucune disposition de
commissaire et jusqu’alors, dans une l’AUPC de 1998 ne définissait les
moindre mesure, le ministère public. conditions auxquelles les experts de-
A – L’ACTE UNIFORME DU 10 AVRIL vaient répondre pour être désignés et
Les faiblesses de l’Acte uniforme du 1998 exercer leur mission. Il apparaissait
10 avril 1998 de l’Organisation pour dès lors indispensable de préparer un
l’harmonisation du droit des affaires Dès les études préliminaires pour la ré- véritable statut du mandataire judi-
en Afrique (OHADA) portant organi- vision de l’Acte uniforme du 10 avril ciaire, qu’il soit syndic ou expert.

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66 DOSSIER
MODERNISATION DE L’ACTE UNIFORME SUR LES PROCÉDURES COLLECTIVES

B – LES PRINCIPES RETENUS


PAR L’ACTE UNIFORME
DU 10 SEPTEMBRE 2015

L’Acte révisé pose tout d’abord pour


principe que nul ne peut être désigné
en qualité d’expert au règlement pré-
ventif ou de syndic dans une procé-
dure de règlement préventif, de règle-
ment judiciaire ou de liquidation des
biens, s’il n’est inscrit sur la liste natio-
nale des mandataires judiciaires. Il ap-
partiendra dès lors à chaque État par-
tie de dresser cette liste, sur la base des
critères retenus par l’article 4-2, à sa-
voir :

– le plein exercice de ses droits civils et


civiques;
– l’absence de toute sanction discipli-
naire, autre que l’avertissement ou une
condamnation pénale définitive à une
peine privative de liberté pour un
crime de droit commun ou à une peine L’article 4-3 prévoit que cette liste na- La déclinaison de ces principes
d’au moins trois mois d’emprisonne- tionale devra être publiée au Journal conduit à exclure de la désignation en
ment non assortie du sursis pour un officiel de chaque état et au Journal of- qualité d’expert au règlement préven-
délit contre les biens ou une infraction ficiel de l’OHADA, puis communiquée tif ou de syndic d’une procédure collec-
en matière économique ou financière aux juridictions de l’État partie tive, tout parent ou allié du débiteur, de
incompatible avec la fonction de man- concerné. Bien que le texte ne le pré- son comptable agréé, et a fortiori de
dataire judiciaire; cise pas, on peut supposer que la son commissaire aux comptes(1), ainsi
– la qualité d’expert-comptable ou l’ha- même publicité sera exigée pour tout que tout salarié, mandataire, ou subor-
bilitation par liste nationale; ajout ou retrait de cette liste. donné du débiteur ou de ses créan-
– la justification d’une résidence fiscale ciers.
dans l’État partie dans lequel il sollicite Le texte prévoit enfin que les décisions
l’inscription; d’admission ou de refus d’admission Plus curieusement, sont également vi-
– le respect de ses obligations fiscales; devront être motivées et pourront faire sées par cette interdiction, les per-
– la présentation de garanties de mora- l’objet d’un recours devant la juridic- sonnes physiques qui ont eu précé-
lité jugées suffisantes par l’autorité ou tion compétente de l’État partie. Là en- demment ou ont actuellement un
la juridiction compétente de l’État par- core, on peut supposer que chaque
tie. État précisera les conditions de re- NOTES
cours.
Il est à noter qu’au titre de ces condi- (1) C’est ainsi que l’étude préliminaire à la
tions, se trouvent exclus de l’accès aux C – DES CONDITIONS DE révision avait relevé notamment un arrêt
fonctions de mandataire judiciaire les DÉSIGNATION ET D’EXERCICE rendu par la cour d’appel de
Ouagadougou le 21 novembre 2003,
avocats ou les autres professions ré- STRICTEMENT RÉGLEMENTÉES réformant un jugement du tribunal de
glementées, ainsi encore que les syn- grande instance de la même ville qui avait
dics actuellement en fonction, sauf s’ils On retrouve dans l’article 4-4 de l’Acte désigné comme syndic le commissaire
répondent aux conditions ci-dessus, uniforme révisé l’expression, voulue aux comptes de la société débitrice. Ce
ce qui ne manquera pas de soulever par les pères fondateurs de l’OHADA, dernier soutenait qu’aucune disposition
sur ce point quelques difficultés. No- d’une réglementation à la fois précise légale ne lui interdisait ce mandat
judiciaire.
tons toutefois que le texte prend soin et complète qui ne devrait pas poser
La cour devait relever très justement que
de permettre aux États d’ajouter des problème d’interprétation et encore l’article 225 de l’Acte uniforme relatif au
personnes habilitées, formule suffi- moins nécessiter d’ajouts ou de com- droit des sociétés commerciales
samment large, pour permettre à cha- pléments de la part des législations na- disposant que la dissolution de la société
cun d’entre eux de trouver des solu- tionales. Ces dispositions nouvelles ne mettait pas fin aux fonctions des
tions adaptées à leur situation. précisent en effet de manière très commissaires aux comptes, celui-ci ne
pouvait à l’évidence exercer sa mission
exhaustive les garanties exigées de
avec indépendance, s’agissant de
Il s’agit là de conditions a minima, tout mandataire judiciaire, à savoir : contrôler ses propres comptes
chaque État partie pouvant ajouter à sa l’indépendance, la neutralité, ainsi que (CA Ouagadougou, 21 nov. 2003, arrêt
liste des conditions supplémentaires l’impartialité de leur comportement n° 84, Société Sahel Cie [SOSACO]
s’il l’estime nécessaire. professionnel. c/ Syndics liquidateurs de la SOSACO).

DROIT & PATRIMOINE n N°253 n DÉCEMBRE 2015


DOSSIER 67
Des mandataires judiciaires mieux encadrés, pour une procédure plus efficace

différend avec le débiteur ou un de ses contrôle de sa comptabilité. L’Acte uni- Il est aussi tenu responsable des agis-
créanciers. Il n’est pas certain toute- forme ne précise pas toutefois si ce sements des tiers dont il a sollicité l’in-
fois que les rédacteurs de cette partie contrôle doit être effectué sur place ou tervention dans l’exercice de ses attri-
du texte aient mesuré toute la portée sur pièces, chaque État étant libre d’en butions; se trouvent ainsi notamment
de cette disposition. Les défaillances déterminer les modalités. visés les experts ou consultants qu’il
d’entreprises engendrent souvent un aurait missionnés.
«effet de chaîne» et il n’est pas rare, en Par ailleurs, toute violation des lois et
effet, de voir le syndic d’une liquida- des règles professionnelles ou tout L’action en responsabilité engagée à
tion poursuivre le recouvrement de fait contraire à la probité, à l’honneur son encontre relève de la compétence
sommes dues à son administré par un ou à la délicatesse expose le manda- de la juridiction de l’État partie en
débiteur qui se trouve lui-même déjà taire à des poursuites disciplinaires charge des procédures collectives, du
en difficulté. Si ce dernier devait à son par la juridiction compétente. Là en- lieu de l’établissement du mandataire.
tour être placé en procédure collec- core, il appartiendra à chaque État Cette attribution de compétence est
tive, doit-on exclure la désignation de partie de déterminer les personnes justifiée par des raisons pratiques,
ce syndic en considération de cette recevables à engager ces poursuites mais s’avère néanmoins critiquable,
disposition? disciplinaires, étant précisé que le dé- au regard des liens informels qui unis-
biteur et les créanciers pourront éga- sent bien souvent le mandataire judi-
Certes, l’expert ou le syndic, en vue de lement communiquer à la juridiction ciaire et la juridiction qui l’a désigné et
sa nomination en tant que mandataire compétente tout document d’infor- devant laquelle il exerce habituelle-
judiciaire, peut informer préalable- mation susceptible d’étayer les pour- ment ses fonctions. Ne peut-on crain-
ment le président de la juridiction com- suites. dre dans ce domaine une certaine col-
pétente d’un risque d’incompatibilité lusion qui risque d’entraver toute
et, on le suppose alors, s’en trouvera Quant aux sanctions, l’article 4-9 pré- tentative de poursuites ? Il eût été a
relevé. Mais n’est-on pas allé trop loin voit, outre l’interdiction provisoire, la priori souhaitable qu’une option de
dans la liste des incompatibilités, par- possibilité pour la juridiction compé- compétence fût ouverte pour engager
ticulièrement dans des États où le tente de prononcer à l’encontre du cette procédure en responsabilité.
nombre de mandataires judiciaires est mandataire judiciaire un avertisse-
particulièrement limité? ment, un blâme avec inscription au Les dispositions nouvelles imposent
dossier, une suspension d’exercer par ailleurs à tout mandataire judi-
Par ailleurs, tout mandataire judiciaire pendant une durée de trois années au ciaire la souscription d’une assurance
doit signer une déclaration d’indépen- maximum et enfin la radiation de la en responsabilité civile profession-
dance, de neutralité et d’impartialité liste nationale. Ces sanctions sont no- nelle destinée à garantir la réparation
avant d’entrer en fonction, et prêter tifiées au mandataire judiciaire, ainsi des préjudices nés de l’exercice de ses
serment. qu’à son instance professionnelle. fonctions. Cette obligation d’assu-
Il apparaît à l’évidence que ces condi- rance est une heureuse initiative, car
tions d’exercice de mandat sont em- Le mandataire, s’il est radié, doit natu- les préjudices susceptibles d’être cau-
preintes d’une réelle volonté de mora- rellement être remplacé dans le cadre sés par la faute professionnelle des
liser les fonctions d’expert ou de de la procédure collective en cours, mandataires peuvent bien souvent dé-
syndic et ce, à la lumière de l’expé- sans qu’il soit toutefois précisé si ce passer la solvabilité de celui-ci.
rience de quinze années d’application remplacement peut prendre effet dès Enfin, tout mandataire judiciaire doit
du précédent Acte uniforme. l’engagement de la procédure discipli- tenir une comptabilité distincte de sa
naire, ou uniquement à son terme, une comptabilité personnelle pour cha-
D – DES RÈGLES DE CONTRÔLE fois la sanction rendue définitive. cune des procédures collectives dans
ET DE DISCIPLINE laquelle il est désigné. L’évidence n’al-
Fort opportunément, l’article 4-7 pré- lant pas toujours de soi dans les pro-
L’Acte uniforme révisé renvoie à cise que l’action disciplinaire se pres- cédures collectives, cette obligation
chaque État le soin de faire procéder au crit par trois ans à compter de la décou- méritait effectivement d’être préci-
contrôle des mandataires judiciaires verte des faits, ce qui leur confère une sée.
dans l’exercice de leur fonction. Il pré- certaine forme d’imprescriptibilité,
cise toutefois le contenu et les sanc- comme en matière d’abus de biens so- F – LA DÉLICATE PROBLÉMATIQUE
tions pouvant découler de ce contrôle. ciaux. DE LA RÉMUNÉRATION
DES MANDATAIRES JUDICIAIRES
Le contenu du contrôle est très étendu : E – RESPONSABILITÉ
il implique un pouvoir général d’inves- DES MANDATAIRES JUDICIAIRES Les modalités de fixation de la rémuné-
tigation et de vérification de tout docu- ration de l’expert et du mandataire ju-
ment détenu par le mandataire judi- L’article 4-12 de l’Acte uniforme révisé
ciaire sans que celui-ci puisse opposer pose pour principe que le mandataire NOTES
à ce contrôle le secret professionnel. judiciaire engage sa responsabilité ci- (2) M. Konate et S. Vilder, Revue et
vile à l’égard du débiteur, des créan- évaluation du droit uniforme OHADA –
Il prévoit également et plus particuliè- ciers et des tiers, sans préjudice de sa oct. 2008, étude réalisée à l’initiative du
rement le pouvoir de procéder au responsabilité pénale. Groupe de la Banque mondiale.

DROIT & PATRIMOINE n N°253 n DÉCEMBRE 2015


68 DOSSIER
MODERNISATION DE L’ACTE UNIFORME SUR LES PROCÉDURES COLLECTIVES

diciaire ont toujours constitué un sujet munération du syndic ne peut excéder des mandataires judiciaires. Juste, en
de débat, dans tout pays, et ce, quelle 20% du montant total résultant de la ce sens qu’ils doivent être rémunérés,
que soit la procédure collective suivie. réalisation de l’actif du débiteur. Sont même pour les dossiers peu impor-
Les solutions proposées par l’Acte uni- incluses dans ce plafond, les rémuné- tants, à la juste valeur de leur travail et
forme révisé ont donc le mérite, non rations versées par le syndic à des tiers de leur responsabilité. Transparent en
seulement de poser cette probléma- experts ou consultants qu’il aurait mis- ce que la fixation de critères objectifs,
tique, mais d’apporter des solutions sionnés. tels le chiffre d’affaires de l’entreprise
pour la résoudre, quand bien même il ou le nombre de ses salariés, ainsi que
est fait ici encore un renvoi aux législa- Fort opportunément, le dernier alinéa les recours possibles doivent permet-
tions nationales pour parfaire ces solu- de l’article 4-19 précise également, tre d’éviter les abus, malheureusement
tions. précisément pour les redressements jusqu’alors trop souvent constatés.
judiciaires simplifiés et les liquidations
Ainsi que l’avaient relevé Maître Ma- de biens simplifiées, que l’État partie G – UNE INNOVATION
madou Konate et Sébastien Vilder dans peut fixer un montant forfaitaire pour INTÉRESSANTE : L’OUVERTURE
leur rapport(2), la rémunération pou- la rémunération des syndics. D’UN COMPTE SPÉCIAL
vait être fixée de manière exagérément DE PROCÉDURE COLLECTIVE
élevée et ainsi porter préjudice aux Enfin, et dans le souci de voir clôturer
possibilités de redressement de l’entre- les dossiers, l’article 4-20 dispose que Les articles 4-22 et 4-23 du nouvel Acte
prise ou au paiement de ses créanciers. la juridiction compétente peut accor- révisé apportent une innovation re-
Il a donc été proposé de déterminer les der au syndic dans la décision le dési- marquable à la gestion et au contrôle
règles de rémunération en imposant gnant ou dans une décision ultérieure, des procédures collectives, à condition
un barème de tarification et en enca- une provision sur sa rémunération qui toutefois que les États de l’espace
drant le paiement de celle-ci en fonc- ne peut excéder 40% du montant pro- OHADA acceptent l’invitation qui leur
tion de l’avancement de la procédure. visionnel de celle-ci(4). Le complément est faite de prévoir que l’autorité ou la
de 60%, quant à lui, ne peut être versé juridiction compétente désigne la ou
Le mérite de cette mesure innovante qu’à compter de l’homologation du re- les banques auprès desquelles les syn-
est d’autant plus grand qu’il n’existait dressement judiciaire ou de la clôture dics ont désormais l’obligation d’ou-
jusqu’alors aucune tarification appli- de la procédure de liquidation de vrir un compte spécial afin d’y domici-
cable dans les États parties au Traité de biens. Il est évident que cette dernière lier les opérations afférentes aux
l’OHADA. Ainsi, la cour d’appel de Da- mesure est dictée par le souci de voir se procédures collectives. Ainsi, chaque
kar avait relevé dans un arrêt du clôturer les procédures dans les meil- procédure collective se verra attribuer
27 avril 2001 «qu’aucun texte législatif leurs délais. un compte spécial ouvert dans une
ou réglementaire ne fixe le barème ap- banque désignée; compte spécial dont
plicable aux prestations » et « qu’il Des règles similaires sont prévues en les produits financiers seront utilisés
convient dès lors de se référer aux ce qui concerne l’expert au règlement pour le redressement de l’entreprise
usages en la matière compte tenu de la préventif dont le barème de rémunéra- ou le paiement de ses créanciers.
mission confiée»(3). tion tient compte notamment du temps
passé, des difficultés éventuellement Certes, ne sont concernées par ce
L’Acte uniforme révisé va plus loin; il rencontrées et du nombre de créan- compte spécial que les «opérations af-
prévoit que la rémunération du syndic ciers concernés. Là encore, pour les rè- férentes aux procédures de redresse-
est déterminée par la juridiction com- glements préventifs simplifiés, l’État ment judiciaire et liquidation des
pétente dans sa décision de clôture de partie peut fixer un montant forfaitaire biens ». Cette formule exclut-elle la
la procédure collective selon un ba- pour la rémunération de l’expert; tout gestion courante de l’entreprise de
rème fixé par la réglementation de comme pour le syndic, la juridiction l’entreprise administrée ? Nous ne le
chaque État. Ce barème doit tenir peut accorder à l’expert au règlement pensons pas et il y a lieu de considérer
compte notamment du chiffre d’af- préventif une provision sur sa rémuné- que seront ainsi concernées toutes les
faires réalisé par le débiteur au cours ration qui ne peut excéder 40 % du opérations engagées sous la signature
de l’exercice précédant l’ouverture de montant prévisionnel de celle-ci. du mandataire judiciaire, ce qui, dans
la procédure collective, du nombre de ce cas, concerne toutes les opérations
travailleurs employés par le débiteur L’article 24-1 dispose enfin que les dé- courantes lorsque ce mandataire se
au cours de cette même période, du re- cisions rendues en matière de rémuné- voit attribuer par la juridiction compé-
couvrement des créances, du temps ration du syndic ou de l’expert sont tente une mission complète de gestion
passé et des difficultés éventuellement susceptibles d’appel devant la juridic-
rencontrées, ainsi que de la célérité des tion compétente dans les quinze jours NOTES
diligences accomplies. Chaque État de leur prononcé à la requête des débi-
partie peut ajouter à cette liste des cri- teurs, du mandataire judiciaire ou du (3) CA Dakar, 27 avr. 2001, n° 26, SCI
tères supplémentaires. ministère public. Teranga c/ Abdoulaye Drame. En
l’espèce, la cour devait fixer la
rémunération en fonction du nombre
L’Acte uniforme fixe par ailleurs un L’édiction de toutes ces règles a natu- d’heures de travail effectuées et de
plafond en cas de liquidation des biens, rellement pour objectif de rendre plus l’estimation d’un coût unitaire de l’heure
à savoir que le montant total de la ré- juste et transparente la rémunération de travail.

DROIT & PATRIMOINE n N°253 n DÉCEMBRE 2015


DOSSIER 69
Des mandataires judiciaires mieux encadrés, pour une procédure plus efficace

d’entreprise en redressement judi- France depuis la loi n° 81-927 du 15 oc- entrée en fonction sur la situation du
ciaire et, en tout état de cause, lorsqu’il tobre 1981 (JO 16 oct.). De même, dans débiteur et ses perspectives de redres-
intervient en qualité de liquidateur. la loi française, le ministère public peut sement (art. 66),
faire appel de certaines décisions, – de recevoir communication du rap-
On peut regretter toutefois que l’Acte même s’il n’a pas agi comme partie port du syndic tendant à ce que la juri-
uniforme révisé ne soit pas allé plus principale. Enfin, il reçoit tout au long diction compétente autorise la pour-
loin, dans le sens de la proposition des de la procédure communication des suite d’activité en cas de liquidation
experts, rédacteurs de l’avant-projet, à rapports et des décisions et peut ainsi des biens, ainsi que les résultats de l’ex-
savoir que les produits financiers au- jouer un rôle de moralisateur de la ploitation tous les trois mois (art. 113),
raient pu être utilisés pour améliorer la procédure de manière indépendante – d’assister à l’assemblée concorda-
formation des mandataires judiciaires et impartiale. taire et d’être entendu en ses conclu-
et des juridictions en charge des procé- sions orales ou écrites avant le vote
dures collectives, ainsi encore qu’ils Le renforcement du droit à l’infor- (art. 123 et 124),
auraient pu être affectés pour partie à mation du ministère public. – Certes, – de surveiller l’application des dispo-
la rémunération des mandataires dans dans l’ancien texte, le ministère public sitions relatives à la faillite personnelle
les dossiers impécunieux. disposait déjà d’un droit à l’informa- et d’en poursuivre l’exécution (art. 195,
tion. L’article 35 de l’ancien Acte uni- 200 et 222),
forme obligeait déjà le greffier à lui – enfin, d’initier la procédure des infra-
II – UNE PROCÉDURE adresser un extrait de la décision d’ou- ctions de banqueroute et des infra-
PLUS EFFICACE verture de la procédure. Ce droit à l’in- ctions assimilées (art. 234 à 237),
formation était ensuite rappelé à l’arti- sont autant de contributions du minis-
cle 63, qui lui donnait la possibilité tère public qui visent à rendre la procé-
Les travaux préparatoires à la révision d’assister à l’inventaire des biens du dure plus efficace et à en assurer la mo-
de l’Acte uniforme sur les procédures débiteur, et à l’article 66, qui obligeait le ralisation. Encore convient-il que le
collectives se sont accordés à constater juge-commissaire à lui communiquer ministère public les mette en pratique
que les juridictions en charge des pro- ses observations et le rapport que le li- en exerçant réellement les pouvoirs
cédures collectives ne s’acquittaient quidateur faisait un mois après son en- qui lui sont octroyés et qu’il ait reçu une
pas de leur tâche de manière satisfai- trée en fonction. formation suffisante à cet effet.
sante. Il s’avérait dès lors nécessaire de
renforcer les pouvoirs du ministère Aujourd’hui, le ministère public est in- La saisine du tribunal par le minis-
public (A) et de préciser ceux du juge- formé du déroulement de la procédure tère public. – Mais l’innovation essen-
commissaire, autre personnage émi- judiciaire et de liquidation des biens di- tielle de l’Acte uniforme révisé tient à la
nent de la procédure (B). rectement par le juge-commissaire. En possibilité désormais offerte au minis-
outre, il peut solliciter, à tout moment tère public de saisir directement la ju-
A – LE RENFORCEMENT de la procédure, toute information re- ridiction compétente. Il doit dans ce
DES POUVOIRS DU MINISTÈRE lative au fonctionnement de celle-ci et cas, comme toute autre partie deman-
PUBLIC toute communication d’actes ou de do- deresse, fournir les éléments motivant
cuments qu’il estimerait nécessaires à sa demande. Inscrite à l’article 29 de
Les procédures collectives intéressent son information. Il peut également l’Acte uniforme révisé, cette faculté
le ministère public du fait de la place communiquer au juge-commissaire nouvelle pour le ministère public de
qu’elles doivent donner à l’intérêt gé- toutes les informations à caractère pé- prendre l’initiative de l’ouverture de la
néral et à l’ordre public. Depuis très nal qui peuvent influencer le bon dé- procédure collective est rappelée en-
longtemps, on considère que la sauve- roulement de la procédure. suite à l’article 30, lorsque le débiteur
garde de l’entreprise, et corrélative- est décédé en état de cessation des
ment le maintien de l’activité et de l’em- Certes, le procureur de la République paiements.
ploi, ainsi que l’apurement du passif n’intervient pas directement dans la
intéressent les pouvoirs publics en rai- procédure, et de ce fait ne peut prendre NOTES
son de leur impact financier sur les au- aucune décision juridictionnelle. Mais
tres entreprises et plus généralement le fait qu’il puisse communiquer au (4) C’est ainsi qu’a été relevé le cas d’un
sur l’ensemble de l’économie. En ou- juge-commissaire, sur sa demande ou administrateur au concordat dont les
honoraires devaient être payés sur les six
tre, l’ouverture et le déroulement des même d’office, des renseignements
ans de la durée de celui-ci; le mandataire
procédures collectives peuvent révéler utiles à l’administration de la procé- a préféré se payer en une seule fois sur le
l’existence d’infractions susceptibles dure collective, et ce, nonobstant le se- produit de la vente du stock de
de poursuites. cret de l’instruction, constitue une in- l’entreprise et ce, avant tout paiement aux
novation intéressante. salariés ou au fournisseur
Toutefois, il n’avait pas été estimé utile (Ouagadougou, Civ. com. n° 33, 1er avr.
1994; v. F. M. Sawadogo, L’accès à la
dans le cadre de l’Acte uniforme du De même, l’obligation ou le droit pour
justice en Afrique francophone :
10 avril 1998 de permettre au minis- le ministère public : problèmes et perspectives. Le cas du
tère public de saisir la juridiction com- – de transmettre immédiatement ses Burkina Faso, Revue juridique et
pétente aux fins de l’ouverture de la observations sur le rapport que le syn- politique, indépendance et coopération,
procédure, comme c’est le cas en dic doit établir dans le mois de son 1995, p. 200).

DROIT & PATRIMOINE n N°253 n DÉCEMBRE 2015


70 DOSSIER
MODERNISATION DE L’ACTE UNIFORME SUR LES PROCÉDURES COLLECTIVES

Étant partie à la procédure, il peut éga- tables, les représentants du personnel, de la mesure de leur rôle, ce qui sup-
lement faire appel de la décision de mais aussi par les administrations et pose qu’ils maîtrisent le droit applica-
la juridiction compétente et ce, non organismes publics, organismes de ble et soient respectueux de l’intérêt
seulement en ce que cette décision ac- prévoyance, de sécurité sociale, les général.
cueille ou rejette l’ouverture de la pro- établissements de crédit ainsi que les
cédure, mais aussi lorsqu’elle pro- services chargés de centraliser les
nonce des sanctions. risques bancaires et les incidents de CONCLUSION
paiement, tous renseignements de na-
Le rôle croissant ainsi donné au minis- ture à lui donner une information
tère public constitue à l’évidence une exacte sur la situation économique, fi- Ces modifications significatives de
évolution favorable du droit OHADA nancière et sociale de l’entreprise. l’Acte uniforme sur les procédures col-
des procédures collectives, dès lors lectives renforcent la protection et le
qu’il aura pour résultat une moralisa- L’étendue de ce pouvoir d’information contrôle des différents acteurs de la
tion croissante de cette procédure et le est évidente, encore faut-il qu’il soit uti- procédure collective tout en lui assu-
respect de l’ordre public. lisé à bon escient et serve les intérêts de rant une plus grande efficacité.
la procédure.
B – LE RENFORCEMENT Cette réforme s’imposait. Elle doit per-
DE L’INDÉPENDANCE Le pouvoir de décision et de mettre de corriger les imperfections et
DU JUGE-COMMISSAIRE contrôle du juge-commissaire. – Se- le manque de cohérence qu’après
lon l’article 40 de l’Acte uniforme ré- quinze années de pratique, les diag-
Le juge-commissaire veille, sous l’au- visé, le juge-commissaire statue sur les nostics et les travaux préparatoires à la
torité de la juridiction compétente, au demandes, contestations et revendica- rédaction de l’acte ont mis en évidence.
déroulement régulier et rapide de la tions relevant de sa compétence dans
procédure de redressement judiciaire le délai de huit jours à partir de sa sai- La nouvelle dynamique élaborée par
ou de liquidation de biens, à la protec- sine. Passé ce délai, s’il n’a pas statué, il ce texte répond parfaitement au be-
tion des intérêts des parties, et à l’at- est réputé avoir rendu une décision de soin d’actualisation du droit OHADA
teinte des objectifs poursuivis. Cette rejet de la demande. et à son objectif en tant qu’instrument
nouvelle définition donnée par le pre- de progrès économique et social.
mier alinéa de l’article 39 est conforme Les décisions rendues sont immédia-
aux principes déjà établis par le précé- tement déposées au greffe et notifiées
dent Acte uniforme du 10 avril 1998. par les soins du greffier et à toutes per- Au regard de ce qui précède, la profes-
sonnes qui sont susceptibles de faire sionnalisation des magistrats, au
Elle en diffère toutefois par l’alinéa 2, grief par lettre recommandée ou par moyen de la création de véritables tri-
qui précise que la fonction du juge- tout moyen laissant trace écrite. bunaux de commerce, peut être por-
commissaire est exclusive de l’exercice teuse de progrès, comme cela est si
de toute autre attribution juridiction- Ces décisions peuvent être frappées souvent le cas dans toute œuvre de
nelle relative à la procédure collective d’opposition formée par simple décla- spécialisation. Elle permettrait de libé-
pour laquelle il a été désigné en cette ration au greffe de la juridiction com- rer les magistrats affectés au sein de
qualité. Cette précision était essen- pétente dans les huit jours de leur dé- ces tribunaux des autres matières afin
tielle. Le juge-commissaire est en effet, pôt ou de leur notification. Passé ce qu’ils puissent se concentrer sur les
selon la qualification donnée par délai, la juridiction compétente peut se procédures collectives et y développer
d’éminents auteurs, le «chef d’orches- saisir d’office et réformer ou annuler une expertise pouvant effectivement
tre de la procédure»(5). Il dispose à la les décisions du juge-commissaire. susciter des apurements du passif
fois d’un droit d’information le plus conclus par des redressements des dé-
large et d’un pouvoir de décision à bref Les décisions par lesquelles la juridic- biteurs assujettis.
délai (art. 40, al. 1er). tion statue sur le recours formé contre
les décisions rendues par le juge-com- Les procédures collectives forment un
Le pouvoir d’information du juge- missaire ne sont, sauf exceptions pré- droit complet. Pour les gérer de ma-
commissaire. – Le juge-commissaire vues aux articles 62 et 64, susceptibles nière professionnelle, le praticien doit
peut recueillir tous les éléments d’in- ni d’opposition ni d’appel. En outre, le disposer d’une formation suffisante en
formation qu’il estime utiles et notam- juge-commissaire contrôle les activi- matière juridique, mais aussi finan-
ment entendre le débiteur ou les diri- tés des syndics et rédige un rapport à cière, fiscale et comptable. C’est à ce
geants sociaux de la personne morale, l’intention de la juridiction compétente prix que l’OHADA pourra revaloriser
leur préposé, les créanciers ou toute tous les trois mois et à tout moment à la l’office des acteurs de ces procédures
autre personne, y compris le conjoint demande de cette dernière; il fait éga- pour hisser leur statut à la hauteur des
ou les héritiers connus dans l’hypo- lement rapport à la juridiction compé- missions qui leur sont attribuées. n
thèse de débiteurs décédés en état de tente de toute contestation ou diffé-
NOTES
cessation des paiements. rend né de la procédure collective.
(5) F. Derrida, P. Godé et J.-P. Sortais,
Il peut obtenir communication par les Là encore, il appartient aux juges- Redressement et liquidation judiciaires
commissaires aux comptes, les comp- commissaires de prendre conscience des entreprises, Dalloz, 2e éd., 1986, p. 28.

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