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Gabriel Jiménez

Étudiant étranger Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

N° étudiant: 11625970 UFR 04 – Ecole des Arts de la Sorbonne

Année universitaire 2019-2020

NOTE DE SYNTHÈSE

2ème année de Master « Gestion des Arts et de la Culture »

UE « Actualités des Arts et de la Culture »


Dirigée par Lucie Marinier

Institutionnalisation de la culture hip-hop ou


appropriation d’une “culture” ?
Aujourd’hui la culture urbaine (ou hip-hop) a prit une importance mondiale tant dans la sphère
sociale que dans le monde de l’art et des institutions culturelles. Nous trouvons de plus en plus
d’expositions autour de ce sujet, de marques qui s’approprient son discours, d’artistes de cette
culture devenu.e.s des référents sociaux, de galeries qui se spécialisent dans le “street art” pour
arriver à vendre des oeuvres à des prix jamais pensés. Par exemple, la vente la plus chère effectuée,
est un tableau de Banksy qui a atteint la somme de 11,1 millions d’euros1 .

Mais, même si cette culture qui est devenue une des plus puissante au monde et qui se situe
aujourd’hui, dans notre société, au centre du modèle culturel, nous devons nous poser une question
obligatoire :

Est-ce que la culture urbaine (hip-hop) est dans un processus d’institutionnalisation naturel, car elle
se développe, après 40 ans, autour des codes rattachés à cette même contre-culture ou bien est-ce les
institutions culturelles, artistiques voire même politiques qui se sont appropriées leur message en
profitant de leur proximité avec les publics ?

Serait-t-il possible faire de rentrer dans un modèle social et établi un mouvement né de la


contestation contre le pouvoir et les institutions elles-mêmes ?

Afin d’introduire le sujet que nous allons aborder, je voudrais faire un petit récapitulatif sur
l’histoire de la culture hip-hop et ses racines aux États Unis, dans le monde ainsi qu’en France :

“ Au début des années 70, déserté par les Blancs et rongé par le chômage, la violence et la drogue,
ce ghetto noir de New York voit l'émergence d'une nouvelle culture urbaine et contestataire, entre
musique rap, breakdance et graffitis. ” 2

Nous parlons du South-Bronx, aux États-Unis, un lieu dont nous pourrions dire qu’il a été le “point
zéro” de cette culture. Tout autour d’un contexte social inégal, où la population noire se sentait
exclue et discriminée dans un pays qui dansait aux rythmes de la musique disco mais où la
répression politique et les niveaux d’abandon ont déclenché des méthodologies de contestations qui
trouvent leurs origines au sein de la population la plus pauvre.

Sans rentrer dans des détails déjà connus sur l’évolution du mouvement, nous allons trouver 3
grands axes majeurs de manifestation artistique dans la culture urbaine: la danse avec le
breakdance, la peinture avec le graffiti et les tags3 , et la musique avec le deejaying et les MC’s
(Master of ceremony ou microphone controller4).

Autour de ces moyens d’expression et d’une construction de codes (sociaux, d’habillement et de


langage), le mouvement est devenu une culture, ou je préfère l’appeler une contre-culture car son
principal discours a été de se manifester contre les inégalités et d’être contre le système en place.

1https://www.lesinrocks.com/2019/10/04/actualite/societe/banksy-bat-son-record-en-vendant-une-oeuvre-111-millions-
deuros/
2 https://www.franceculture.fr/emissions/metronomique/south-bronx1973-la-naissance-du-hip-hop
3 https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/tag/76404
4 https://www.beauxarts.com/expos/cest-quoi-un-mc-la-genese-du-hip-hop-en-un-lexique/
Au début, ce mouvement a été accusé de vandalisme et condamné par les organismes politiques.
L’exemple le plus connu est la “Graffiti War”, entre les années 70’s et 80’s, où les maires de New
York, John Lindsay et Ed Koch, ont condamné les tags et graffitis dans les métros de la ville.

Nous pourrions parcourir l’histoire de ce mouvement et trouver des milliers de faits similaires, mais
malgré la discrimination, le regard péjoratif porté par une partie du politique mais aussi par monde
de l’art, la “culture du rap” à évolué jusqu’à s’imposer dans notre société.
Des artistes musiciens capables d’influencer et même d’élever des fonds pour des politiciens5.
Devenus porte-paroles de mouvements politiques et sociaux, créateurs de tendances dans le monde
de la mode, l’audiovisuel et le graphisme, le mouvement a construit autour de lui, ces dernières
trente année, une base solide de crédibilité grâce à ces racines provenants du peuple, des citoyens et
aussi grâce aux codes crées autour de cette culture. Toujours avec une base sociale et sans jamais
oublier la forme de contestation.

Le résultat de toute cette équation est que finalement ce sont les publics qui vont à la recherche des
programmations/artistes provenants de ce mouvement. Et finalement, sa consommation culturelle,
musicale et économique sera forcément liée au hip-hop.

Il n’est pas anodin que la culture hip-hop soit connue comme “l’art de la rue”6, et il semble logique
que ses origines et sa puissance envers le public aient attiré l’attention des institutions et des
organismes privés.

Des galeries spécialisées dans le genre, des marques qui sortent des éditions des années 80-90, des
institutions qui construisent leur message avec les codes du hip-hop, des performances d’opéra à
Paris avec une chorégraphie urbaine7 , … Toute une nouvelle gamme d’artistes inconnus devenus
des "influenceurs” d’un mouvement culturel.

C’est à ce moment-là que nous allons trouver la fissure qui donne son point de départ à cette
analyse:

Est-ce que les résultats qui sont visibles aujourd’hui font partie d’une évolution logique de cette
culture ou est-ce simplement les institutions ou les organismes privés qui se sont emparés le
message de ce mouvement afin de profiter de sa puissance face à un public de plus en plus exigeant.

Je vais utiliser deux exemples, que j’ai vécu moi-même, afin de montrer comment les institutions
ont utilisé la culture hip-hop pour “enrichir” leur programmation culturelle:

L’année 2018, lors de mon stage au Studio 13/16 du Centre Pompidou, à Paris en France. L’espace
est conçu pour un public adolescent, entre 11 et 18 ans. Son but ici est de construire un lieu où les
jeunes peuvent sentir la liberté d’être en contact avec l’art. Parfois il s’agit même de leur premier
contact. La moyenne des visites par jour dans le Studio a été de 20-30 personnes par jour (ouverture
entre 14h et 18h).

5 https://www.nme.com/news/music/jay-z-66-1260544

6 https://www.histoire-immigration.fr/hip-hop-art-de-rue-art-de-scene
7 Les Indes Galantes de Jean-Philippe Rameau / Opera Paris 2019 - https://bit.ly/2WdqrFm
En décembre 2017, j’ai été présent lors d’une intervention de l’artiste Tony Regazzony appelée “La
boite de nuit”. Une de ses activités a consisté à une formation et une compétition de “street dance”
organisée par la “Juste Debout School”8.

Ce jour-là et pour la première fois de ma vie, a été le moment où j’ai vu au Centre Pompidou autant
de publics adolescents: on pouvait en compter entre 200 et 300 personnes (dix fois la moyenne des
visiteurs). Venu de leur propre motivation et avec l’envie de participer/regarder/soutenir, le public
est resté plus des trois heures au dans le hall central du musée parisien.

Aussi, durant l’année 2016, j’ai eu la chance de travailler avec l’agence de représentation des
danseur du hip-hop dans la région parisienne. Dans le cadre d’un Festival à La Villette, à la fin de
la résidence de quatre compagnies de danseurs provenant de différents pays, la première fonction
était le défi que le public ne serait que des personnes mineures en situation d’insécurité, de risque
social. Ils étaient “invités” dans le cadre d’un projet d’approche de l’art à ce type de public: les
jeunes dans les milieux à risques.

Tout au début, la chose que l’on entendait plus était les cris des enseignants et des responsables
desdits mineurs, leur demandant de rester sur leurs chaises, de ne pas parler, de ne pas bouger,:
autant de règles et de limitations qui font que les jeunes publics s’éloignent des espaces
institutionnels.

10 minutes après le début du spectacle, la musique entourait le lieu. Timidement quelques jeunes
commençaient à se lever de leur chaise, à danser, à valoriser certains mouvements de la
performance qu’ils avaient devant leurs yeux. 15 minutes après le début du spectacle, plus de 50%
de la salle était débout, en profitant, en partageant, en communiquant et enfin en train de réaliser un
dialogue avec la performance qu’ils avaient en face d’eux.

Ce deux exemples que je viens de présenter cherchent à vous montrer que la culture hip-hop, même
si elle provient “de la rue”, est aujourd’hui capable de mobiliser un public et de créer une véritable
lien entre des institutions traditionnels et leurs visiteurs.

Mais d’un autre coté, nous pouvons trouver un type d’individus qui peuvent se servir du
mouvement pour seulement profiter économiquement d’un bien artistique :

“Dans la nuit du 16 au 17 février 2013, un mural peint au nord de Londres par le célèbre peintre de
rue Banksy est découpé. Quelques jours plus tard, le morceau de mur peint réapparait dans une
galerie de Miami, mis en vente pour 500,000 dollars. Les habitants du quartier manifestent, Banksy
proteste, les galeristes affirment que l’oeuvre leur a été vendue par le propriétaire du mur.”9

8http://www.parisetudiant.com/etudiant/sortie/centre-national-d-art-et-de-culture-georges-pompidou-streetdance-au-
centre-pompidou.html
9 https://www.lemonde.fr/blog/fredericjoignot/2013/03/02/laffaire-du-banksy-decoupe-a-qui-appartient-le-street-art/
C’est bien clair que le monde de l’art est l'un des mouvements économiques les plus puissants du
monde, et que vu l’importance de cette culture les trente dernières années, aujourd’hui les galeristes
et les représentants du business de l’art ont commencé a posé leurs yeux et à investir dans toutes les
disciplines du monde hip-hop: danse, art (grafitti, tag), musique.

De plus en plus, on commence à voir des artistes liés à la culture urbaine qui gagnent des fonds
privés ou publics pour financer ces projets. De plus en plus, on voit des expositions de “nouveaux”
talents qui placent leurs “grafittis” dans des toiles en séries numérisées. C’est là que notre sujet
trouve aujourd’hui une confrontation sur les valeurs fondamentales de cette culture.

Dans cet enjeu, nous allons trouver deux cotés assez opposés:

D’un coté, on peut trouver les acteurs les plus puristes et adeptes du modèle du début de la culture :
un endroit de contestation et de travail social, et pour l’autre côté on trouve des personnages qui à
partir de ce mouvement développent la carrière des artistes pour un but lucratif.

Ici je ne veux pas établir de jugement sur lequel de ces deux côtés représente la version la plus
valide ou la plus éthique, mais plutôt faire un constat: lors de cette “institutionnalisation” de la
culture hip-hop, on retrouve nécessairement des vision assez opposées.

En 2017, lors d’une conférence à Main d’Oeuvres, dédiée aux modèles de financement pour les
danseurs.ses indépendant.e.s et à laquelle participaient des conférenciers du CND10, de la DRAC11,
j’ai pu constater cette division entre ces acteurs actifs du monde de l’art. Un des arguments qui m’a
le plus m’intéressé a été celui d’un enseignant de breakdance dans des lieux insécuritaires qui disait
que qu’iil ne pouvait pas donner de son temps pour remplir les formulaires pour les aides et
subventions. Premièrement car il ne comprenait pas la méthodologie à compléter, même s’il avait
essayé plusieurs fois: il a lâché l’affaire car son dossier était toujours considéré comme incomplet.
De plus, il racontait que sa situation sociale ne lui permettait pas de perdre plus de jours de travail,
car dans le lieu où il habite, dès qu’il manque un jour, un enfant retombe dans la drogue, retourne
vers la délinquance, etc.

Peut être que nous pouvons prendre une position: celle de valider toutes ces différents opinions
proposées pas les acteurs. Nous pouvons, ainsi, valider la posture des institutions et des organismes
privés, puisque malgré tout la culture hip-hop reste, pour l’instant, un des mouvements artistiques et
culturels les plus puissants de notre époque.

Une bonne réflexion serait de comprendre que nous sommes déjà dans la deuxième génération des
représentants de la culture urbaine. Ceux qui ont été au début du mouvement, qu’il s’agisse
d’artistes, de musiciens, etc. ont acquit une connaissance et une expérience face à ce sujet, et c’est
donc à eux de transmettre leur savoir-faire pour construire des modèles associatifs afin de réussir à
dialoguer aussi bien avec les gens “de la rue” qu’avec es institutions.

10 Centre National de la Danse


11 Direction Régionale des affaires culturelles d’Ile de France
Plutôt qu’une appropriation de la culture urbaine par les acteurs du monde de la culture, je préfère
prendre ces faits comme une étape de l’évolution nécessaire des structures artistiques et culturelles,
une compréhension des envies sur la programmation de la part du public. Enfin, en abordant des
sujets qui invitent au dialogue et ouvrent des portes à la découverte, en mélangeant la culture
présente, avec celle déjà construite et, avec les aspirations de la culture future (des générations à
venir).

Comme nous le disions, c’est une obligation que de construire l’avenir sur la rentrée du monde du
hip-hop dans la culture institutionnalisée. En 2024, la ville de Paris va héberger les Jeux
Olympiques et le breakdance sera inclus dans une catégorie sportive. Là nous avons la possibilité de
montrer et de professionnaliser ce métier provenant de la culture urbaine12 .

L’institutionnalisation d’une culture ne prend pas un an ou deux: il s’agit d’un processus avec des
échecs et des victoires. Le plus important est que les gagnants de cette évolution soient le public et
qu’un jour, dans un futur optimiste, tant les nouveaux artistes comme les anciens, les maîtres
comme les apprentis trouvent un lieu d’échange.

12 https://www.lci.fr/autres-sports/jo-2024-a-paris-le-breakdance-confirme-par-le-cio-2116751.html

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