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Annales.

Histoire, Sciences
Sociales

Inventivité et sérialité des images médiévales. Pour une approche


iconographique élargie
Monsieur Jérôme Baschet

Abstract
Inventivity and Seriality of Medieval Images.

Within the framework of the present-day renewal of historical approaches to medieval imagery, it seems necessary to propose
methodological redefinition of the iconographical method. This particular approach aims specifically at the plastic implementation
of meanings, but can only be deemed pertinent on the condition that it takes the whole work into account, without disassociating
meaning and form and by considering the modalities of its reception as well as the effects it produces. On the other hand, if the
traditional conception of medieval art at once codified and subject to dogma could be satisfied by the classification of
iconographic types, the recognition of the extreme inventivity of this art invites one, on the contrary, to define serial approach.
This kind of approach aims at constructing ranges of transformations, allowing for the articulation of regularities and
variations,constants and sudden bursts. Finally, we suggest the extension of the serial method to the study of hyper-themes,
thematic networks which, without postulating the unity of global iconographie system, reveal their structuring, multiform and
complex relations (for example, here between several themes concerning divine Kinship).

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Baschet Jérôme. Inventivité et sérialité des images médiévales. Pour une approche iconographique élargie. In: Annales.
Histoire, Sciences Sociales. 51ᵉ année, N. 1, 1996. pp. 93-133;

doi : https://doi.org/10.3406/ahess.1996.410835

https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1996_num_51_1_410835

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INVENTIVIT ET RIALIT DES IMAGES DI VALES
Pour une approche iconographique élargie

Jérôme BASCHET

Les relations entre les arts visuels et la réalité historique globale de


même que les rapports entre les deux disciplines qui ont ces domaines pour
objets sont loin être simples Sans développer ici ces questions1 on plai
dera volontiers pour une interrelation plus féconde entre histoire et histoire
de art tout en soulignant la nécessité de reconnaître la spécificité de cha
cune des deux démarches En ce qui concerne les rapports entre histoire et
images on admettra aisément que les productions visuelles participent une
réalité sociale avec laquelle elles sont nouées par des relations quelque
complexes elles soient Excluant idée une anhistoricité de son objet
approche historienne des images se donne comme perspective exploration
de ces liens Elle écarte de certaines formes histoire de art qui sans nier
que le fait artistique soit inscrit dans son temps font preuve une telle
méfiance égard une mise en relation avec les domaines extra-artistiques
elles excluent de fait de leur pratique une telle perspective2 On peut
leur donner acte que historien souvent trop pressé obtenir des réponses

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historien
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Col
loque de Cerisy-la-Salle 1991) sous presse Je remercie vivement Jean-Claude Bonne Herbert
Kessler Dominique Rigaux Jean-Claude Schmitt pour leur lecture critique et les suggestions
dont cet article pu bénéficier
Le point de vue subtil développé par Pacht dans la tradition de cole de Vienne est
marqué par cette tension entre la nécessité une référence histoire générale et la revendica
tion une autonomie de art qui est en pratique beaucoup plus déterminante PACHT
Questions de méthode en histoire de art trad fran aise Paris 1994 Les dangers une
approche historique font également objet une dénonciation dans article inspiration
sémiologique ayant suscité une polémique assez vive aux tats-Unis de BAL et BRY-
SON Semiotics and Art History The Art Bulletin 73 1991 pp 174-208 On regrettera que
sur le point qui nous occupe cette critique repose sur une vision excessivement schématique de
approche historique des uvres voir en particulier ce qui concerne la notion de contexte
p.175)

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Annales HSS janvier-février 1996 no pp 93-133
IMAGES MEDIEVALES

ses questions peut avoir tendance forcer image voire négliger certains
paramètres nécessaires sa compréhension saisie globale de image et de
uvre dans laquelle elle insère inscription dans des séries dans un proces
sus qui est précisément objet de histoire de art)
Surtout la nature des liens entre uvre et son environnement est haute
ment problématique dès lors on rejette toute formulation simple en terme
de lien causal de reflet ou homologie directe On préférera reconnaître
existence de relations double sens dynamiques et multiformes art est
inscrit dans histoire tout en participant la production de histoire il tient
un rôle actif dans le jeu complexe des interactions sociales Encore convient-il
admettre la possibilité de failles de discordances de tensions entre les dif
férents domaines une réalité historique donnée où la très grande diffi
culté une opération visant lier ensemble les séries de faits observables3 On
ne saurait donc invoquer quelque contexte que ce soit en espérant trou
ver la clarté sur le sens de uvre prendre en compte inscription sociale de
uvre conduit au contraire en rendre analyse infiniment et heureuse
ment plus complexe encore Néanmoins condition de reconnaître la spé
cificité du domaine expression visuelle et le caractère toujours probléma
tique du rapport entre uvre et son environnement étude des images peut
apporter une contribution étude historique des sociétés du passé Ou pour
le dire de fa on plus offensive dès lors que les images jouent un rôle impor
tant dans les pratiques sociales et mentales de Occident médiéval il ne peut
avoir de compréhension globale une telle société sans une analyse poussée
de ses expériences de image et du champ visuel4
Deux axes de recherche particulièrement développés ces dernières
années ont bien montré attention est concentrée sur le statut de
image les débats suscités par la figuration évolution des discours
théologiques liturgiques ou autres sur les images5 ainsi que sur les pra
tiques et les fonctions des images6 Celles-ci ne sauraient être considérées
comme de pures représentations de simples moyens de transmission un
discours elles inscrivent dans des pratiques rituelles ou dévotionnelles et
assument des fonctions multiformes sociales politiques juridiques Notons
ici que le terme image volontiers utilisé par les historiens soucieux
échapper la catégorie art inadaptée époque médiévale et trop long
temps liée une approche atemporelle du Beau est pas sans entraîner

Damisch souligné la nécessité pour approche des faits artistiques de renoncer


idée une relation simple une homogénéité entre tous les traits une époque avatar de la
belle totalité hégélienne au profit de la conception une histoire plurielle notamment
DAMISCH origine de la perspective Paris 1987 pp 15 et 34
On ne saurait mieux dire que FRANCASTEL La figure et le lieu Paris 1967 67
imagerie était au Moyen Age la condition même de ordre social
Dans impossibilité de multiplier les références sur ce point on renvoie aux travaux de
J.-C SCHMITT Occident Nicée II et les images du vine au xn siècle dans BOESPFLUG
et LOSSKY éds Nicée 787-1987 Douze siècles images religieuses Paris 1987 pp 271-
301 et Rituels de image et récits de vision Testo immagine alto medioevo XLI Setti
mana di studio del Centro italiano di studi alto medioevo Spolète 1994 pp 419-462
Cf notamment BELTING Bild und Kult Eine Geschichte des Bildes vor dem Zeitalter
der Kunst Berlin 1991 BASCHET et J.-C SCHMITT éds image Fonctions et usages des
images dans Occident médiéval Colloque Enee 1992) Paris Le Léopard or sous presse)

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BASCHET INVENTIVITE ET SERIALITE

son tour quelques inconvénients Outre il risque de faire oublier la


dimension esthétique des uvres reconnue au Moyen Age même comme
une condition indispensable leur fonctionnement le terme image sug
gère une dissociation entre la représentation et son support qui peut nuire
la reconnaissance de la dimension fonctionnelle des uvres Or ce dont
nous parlons constituent des images-objets des objets en acte qui parti
cipent une dynamique des rapports sociaux et contribuent définir les
relations des hommes entre eux et des hommes avec le monde surnaturel7
Les images sont de plain-pied dans histoire
est toutefois sur un autre aspect savoir iconographie que on
se concentrera ici8 Ceci peut paraître quelque peu paradoxal dans la mesure
où on ne prétend pas faire de iconographie un secteur dominant ni même
autonome de étude des images approche iconographique est un
aspect une démarche plus large prenant pour objet image dans sa globa
lité intégrant étude des pratiques des fonctions des conditions de produc
tion des différents niveaux de réception ainsi que analyse formelle des
uvres Pour bien marquer la nécessité de prendre en compte tous ces élé
ments on préférerait parler non de iconographie qui semble isoler cette
perspective mais plutôt de iconographique dès lors que on vise les
aspects iconographiques une réalité plus complexe
Si on choisit au sein une approche historique globale des images de
se concentrer ici sur ce domaine est parce il est plus traditionnel au
point que le terme iconographie pourra paraître certains désuet sinon
dangereux sans pour autant nous inciter recourir la notion warburgo-
panofskienne iconologie)9 Surtout il importe accorder aux problèmes
méthodologiques soulevés par étude des aspects iconographiques toute
attention nécessaire En particulier il convient de définir les conditions de
légitimité de étude iconographique dès lors que on admet la pertinence
des critiques dont elle fait objet On insistera ensuite sur un aspect déter
minant pour la conception de approche iconographique opposé des

Outre la notion image-objet on peut admettre une oscillation contrôlée entre les termes
art et image cf Introduction image-objet dans Fonctions et usages des images op
cit On privilégiera également arts visuels et surtout uvre Ce dernier terme on peut
tenir pour très proche de la notion image-objet en outre avantage de suggérer le savoir-
faire de Vopifex et la valeur de ce il produit sans être nécessairement lié idée art et de
chef-d uvre
ensemble de la démarche exposée ici repose sur la seule expérience des images de
Occident médiéval et ne saurait donc priori valoir pour autres lieux et autres époques
En particulier la perspective adoptée ici de sens que parce que la dimension iconogra
phique des arts médiévaux est massive et requiert donc attention
Que Panofsky lui-même soit revenu sur la distinction iconographie/iconologie est pas
notre sens décisif pas plus que les considérations sur les significations respectives des suf
fixes logie et graphie cf PANOFSKY Essais iconologie trad fran aise Paris 1967
pp 3-5 et 22 Plus fondamentalement on récuse un modèle deux niveaux qui superposerait
une identification besogneuse et étriquée des significations conventionnelles de iconogra
phie et une analyse noble de la portée historique des uvres On ne saurait distinguer de fa on
pertinente deux niveaux de pratiques dès lors il agit de proposer comme on le dira une
approche renouvelée et multiforme des aspects thématiques des uvres Ne devant donc retenir
un seul terme on préfère en tenir au plus courant et en renouveler le contenu plutôt
que user un mot connotant la fois une volonté de distinction inutile et une référence
pesante égard de la tradition panofskienne

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IMAGES DI VALES

vues traditionnelles qui soulignent le caractère codifié stéréotypé de art


médiéval on soutiendra hypothèse une extrême inventivité des uvres
de cette période En relation étroite avec cet aspect on défendra la nécessité
une approche sérielle des images en distinguant plusieurs types de séries
et en insistant pour finir sur les plus complexes entre elles on nom
mera hyperthèmes Ce faisant on tentera de formaliser un processus his-
toriographique en cours visant élaborer une pratique renouvelée ou du
moins élargie de iconographie et au-delà de étude historique des images

iconographique est-ce que le sens en mage

Un renouveau des études iconographiques doit inscrire dans le prolon


gement des critiques suscitées par les conceptions Emile Mâle ou Envin
Panofsky En effet on ne saurait admettre la définition que ce dernier donne
de iconographie entendue alors au sens large englobant iconologie
iconographie est cette branche de histoire de art qui se rapporte au
sujet ou la signification des uvres art par opposition leur forme 10
un des postulats fondamentaux de iconographie traditionnelle consiste
opérer une dissociation entre le sens et la formen iconographie choisit le
sens un sens préexistant oeuvre relevant un énoncé linguistique et
délaisse les formes réputées étrangères la production du sens est pour
quoi elle accorde tant importance la recherche des textes qui formulant
verbalement le contenu de image en constitueraient la source et donc la
clé On trouve les mêmes fondements essentiels dans la pratique de icono
graphie médiévale héritée Mâle Le Moyen Age con art comme
un enseignement 12 cette proclamation liminaire ouvrant art religieux
du xiiie siècle est la docile réplique des énoncés fameux du pape Grégoire le
Grand dans sa lettre Serenus faisant des images les substituts de Ecriture
intention des illettrés13 Pour Mâle qui con oit iconographie comme
la transposition du savoir livresque rassemblé par les auteurs scolastiques la
cathédrale est la Summa theologiae des pauvres tandis que lui-même décal
que le plan de son ouvrage sur la structure de uvre encyclopédique de
Vincent de Beauvais
Parmi les critiques suscitées par ces conceptions certaines sont venues
une histoire de art plus attachée approche stylistique Ainsi Otto
Pacht reproche iconographie panofskienne et surtout celle de ses dis
ciples un recours systématique aux textes dans une démarche con ue
comme décryptage des allégories cachées dans uvre mais négligeant le
difficile effort de voir qui constitue selon lui la mission spécifique de histo-

10 PANOFSKY Essais iconologie trad frse Paris 1967 13


11 Pour une formulation plus neutre mais de même orientation cf BIA OSTOCKI Ency
clopedia of World Art Londres 1963 VII 770 iconographie est the descriptive and clas-
sificatory study of images with the aim of understanding the direct or indirect meaning of the
subject matter represented
12 LE art religieux du XIIIe siècle en France 8e éd. Paris 1948 11
13 Sur le mythe de image médiévale comme bible des illettrés cf Introduction dans
Fonctions et usages des images op cit où on trouvera la bibliographie antérieure notamment
les articles de Camille Kessler J.-C Schmitt)

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BASCHET INVENTIVITE ET SERIALITE

rien art14 Un état du débat hui peut être saisi dans un recueil
publié Princeton qui présente un bilan nuancé de la démarche de Panof-
sky et de son héritage15 introduction prend acte des critiques visant
excessive prééminence accordée aux textes16 elle souligne il convient
de concevoir entre textes et images des relations complexes et accorder
toute attention requise la spécificité du champ visuel17 En ce qui nous
concerne on admettra sur ce point une attitude simple historien
aucune raison de renoncer prendre en compte tous les documents textes
ou autres susceptibles éclairer ou entrer en résonance avec objet
il étudie Mais il ne saurait réduire la signification de celui-ci ses
sources il lui faut au contraire analyser précisément les relations spéci
fiques entre uvre et les textes invoqués et surtout comprendre agence
ment singulier qui réélabore ou transforme des thèmes textuels au sein de
uvre visuelle considérée dans sa structure ensemble
Une autre ligne critique égard des pratiques traditionnelles de his
toire de art est développée dans le sillage de uvre de Pierre Francas-
tel18 On rappellera surtout importance de la notion de pensée figurative
affirmer que les images pensent on pense en images transforme
radicalement approche et permet échapper au rapport extériorité entre
le contenu et le style supposé par iconographie traditionnelle Si les
uvres visuelles sont des actes de pensée les procédés formels qui les
constituent cessent apparaître comme de simples habillages de discours ou
de doctrines préélaborées Ils sont eux-mêmes signifiants et participent la
production du sens en image Ainsi Francastel pose avec force irréducti-

14 Le recours iconographie répond en réalité un désir secret celui de toucher au but


sans avoir pratiquer une difficile conversion du regard PACHT Questions de méthode en
histoire de art trad frse Paris 1994 40 On admettra volontiers la critique de Pacht et la
nécessité de cette conversion du regard Toutefois une pratique élargie de iconographie est
susceptible échapper un tel reproche
15 CASSIDY éd. Iconography at the Crossroads Princeton 1993 notamment
Holly qui rappelle que iconologie de Warburg peut être un utile contrepoint aux limites de
la démarche panofskienne Moxey qui en prend idéalisme philosophique de Panofsky
Camille qui pour repousser la tyrannie du texte propose une anti-iconographie prenant
acte de la dominante orale de la culture médiévale)
16 CASSIDY ibid. 10 souligne on ne peut plus admettre le principe find text and
ve found the answer
17 On regrettera cependant que dans cette présentation le souci de se prémunir contre les
excès de iconologie allégorétique conduise finalement dévaloriser la capacité de signification
des images Indiquant que la culture tant du public que des artistes est inférieure celle des
textes généralement invoqués par les iconologues elle suggère de privilégier la culture orale et
la tradition picturale plutôt que les discours savants Mais est faire là une confusion entre le
sens intentionnel la conscience de artiste) le sens per par le public et le sens structural
que historien le devoir de viser voir infra)
18 Cf notamment FRANCASTEL La figure et le lieu Paris 1967 DAMISCH Sémiolo
gie et iconographie dans La sociologie de art et sa vocation interdisciplinaire uvre
et influence de Francastel Paris 1974 pp 29-39 La peinture prise au mot Critique
1978 370 pp 274-290 et Le Jugement de Paris Iconologie analytique Paris 1993 DIDI-
HUBERMAN Devant image Paris 1990 sur la notion iconographie voir notamment pp 145-
152 Voir également KLEIN Considérations sur les fondements de iconographie dans
La forme et intelligible Paris 1970 pp 353-374

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IMAGES DI VALES

bilité du langage figuratif au langage verbal et indissolubilité de la forme


et du fond 19
Mais si on admet cette indissolubilité étude iconographique reste-t
elle possible Comment analyser les énoncés dans image sans réduire
image ces énoncés Quelle est la légitimité une opération qui extrait de
tels énoncés qui les transcrit verbalement et par conséquent les fabrique
Pourtant et uvre de Francastel en témoigne ce est pas en ce
sens il faut entendre les notions irréductibilité et indissolubilité En
dépit de ce que pourraient parfois suggérer certaines formulations naïve
ment militantes revendiquant autonomie des images on ne saurait pos
tuler une totale étrangeté entre les différents domaines de la pensée entre
langage figuratif et langage verbal entre textes et images La formulation
théorique du rapport entre eux demeure un problème ouvert qui demande
être largement repensé On peut en tout cas admettre il ne agit ni de les
séparer radicalement ce qui reviendrait interdire de parler des
images ni de les ramener unité mais de les articuler est-à-dire de les
penser un par autre dans leurs échos leurs tensions leurs décrochements
et sans nier ce il écart irréductible entre eux Fort de expérience
acquise la question est plus tant hui de plaider pour reconnaître la
spécificité du champ visuel que de travailler penser ses modes articula
tion avec les autres domaines de pensée
En tout cas dès lors on ne peut nier que les images dont nous parlons
portent des énoncés ces énoncés-en-images requièrent une analyse Il
convient donc de les produire verbalement Au reste on ne saurait affirmer
que les images pensent sans admettre elles pensent quelque chose Si la
pensée figurative travaille dans une totale interpénétration de la forme et du
fond il en est pas moins possible quels que soient les dangers une telle
opération de procéder dans analyse la production verbale du sens que
suppose approche iconographique Mais tout en procédant cette tâche de
désintrication iconographique doit chercher définir les modes imbrica
tion entre sens et formes et finalement analyser ce il en est du sens en
image

Imbrication du formel et du thématique


Une fois admise imbrication du thématique et du formel on ne peut
plus aborder le thématique sans considérer aussi finement que possible les
modalités de son expression visuelle Ces modalités participant pleinement
la signification de uvre sont au ur de la pratique une iconographie
attentive est pourquoi la délimitation de objet de iconographique ne
passe pas entre ce il est convenu appeler le contenu et la forme mais
doit être déplacée pour inclure interaction entre sens et formes
La distinction forme/contenu est brouillée par existence un aspect
intermédiaire que Jean-Claude Bonne nomme le syntaxique et qui
désigne les propriétés plastiques et chromatiques en tant elles sont
signifiantes notamment dans la mesure où elles contribuent définir les

dans
19 Limage
FRANCASTEL
la vision La
et imagination
figure et le lieuParis
op cit.
1983pp pp45-50
19-45et notamment
Art forme structure
28) 1965)

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BASCHET INVENTIVITE ET SERIALITE

relations entre les motifs constitutifs de image20 Il agit des facteurs dont
élucidation est toujours problématique qui élaborent dans une image don
née la hiérarchie des figures ou des objets) ainsi que leurs statuts respectifs
au regard de catégories telles que humain/divin terrestre/céleste...21 Jouent
ici un rôle décisif la position dans le champ de la représentation le rapport
de la figure avec le fond sur lequel elle enlève parfois avec la bordure ou
avec des marqueurs de lieu placés dans image22 ainsi que les relations entre
les figures elles-mêmes définies par leurs positions respectives et éven
tuelles modalités de contact par échelle de représentation adoptée pour
chaque constituant de image et par la confrontation des gestes et des
postures)23
Sur tous ces aspects interprétation ne saurait dériver une codification
strictement définie une fois pour toutes mais seulement de la prise en
compte de tous les caractères spécifiques de oeuvre concernée analyse
peut être très délicate dès lors elle fait intervenir plusieurs paramètres
qui peuvent avérer contradictoires entre eux Ainsi dans le Jugement der
nier du Camposanto de Pisé24 fig l) analyse des rapports de force entre
le Christ-Juge et Satan doit prendre en compte le rapport échelle nette
ment avantage de Satan la position plus haute du Christ plus eminente
symboliquement mais assurant Satan une plus grande proximité physique
avec le spectateur) la localisation de Satan sur axe médian de la zone infer
nale par opposition au décalage latéral du Christ faisant place ses côtés
sa mère
autres aspects qui pourraient paraître encore plus spécifiquement
formels jouent un rôle très important dans la signification de uvre
est le cas de la couleur qui outre sa valeur esthétique se prête des signi
fications symboliques ainsi des types de fonctionnement proprement
syntaxiques différenciations rapprochements oppositions entre les person
nages)25 On pense aussi au vêtement domaine privilégié une étude sty
listique chère aux historiens de art Pourtant là encore on doit souligner
imbrication entre les formes et la signification uvre dans image Sans
parler de aspect proprement déclaratif du vêtement habit royal noble clé
rical paysan...) sa mise en uvre formelle introduit des éléments signifiants
régularité/désordre stabilité/dynamisme positif/agitation négative

pp.18-22
20 J.-C BONNE art roman de face et de profil Le tympan de Conques Paris 1984
21 Sur tout ceci voir notamment SCHAPIRO Sur quelques problèmes de sémiotique de
art visuel champ et véhicule dans les signes iconiques repris dans Style artiste et société
Paris 1982 pp 7-32 et J.-C BONNE art roman op cit
22 est le cas en particulier de la nuée DAMISCH Théorie du nuage Pour une histoire
de la peinture Paris 1972 On pense également aux dispositifs centrés sur le motif de la porte
qui dans Annonciation mettent en jeu la problématique de entre-deux de la jonction-sépa
ration du franchissement qui est au ur de la scène cf notamment MARIN Annoncia-
tions toscanes repris dans Opacité de la peinture Essais sur la représentation au Quattrocento
Paris 1989 pp 125-163
23 SCHAPIRO Words and Pictures Paris-La Haye 1973 notamment pp 36-49 pour
opposition frontalité/profil/trois quarts)
24 Je me permets de renvoyer Les justices de au-delà Les représentations de enfer en
France et en Italie xir-xve siècle) BEFAR 279 Rome 1993 eh
25 PASTOUREAU Couleurs images symboles Paris s.d

99
IMAGES MEDIEVALES

FIG Pise Camposanto fresques de Buonamic

et peut aussi marquer une hiérarchie entre des figures dont les vêtements
sont plus ou moins travaillés plus ou moins ornés
propos du Couronnement de la Vierge Enguerrand Quarton 1453) un
problème souvent posé est celui de identification respective du Père et du Fils
dès lors ils se caractérisent par une ressemblance physique absolue une
stricte identité de geste et une rigoureuse symétrie de disposition26 fig 2)

26 Sur cette uvre conservée au Musée de Villeneuve-lès-Avignon voir notamment tudes


vauclusiennes XXIV-XXV 1980-1981 et et LE PICH Le mystère du Couronnement de
la Vierge Paris 1982

100
J.BASCHET INVENTIVITE ET SERIALITE

Buffalmacco Jugement dernier et enfer ca 1330-1340)

Tous deux concourent également acte de couronnement de Marie tandis


que la colombe touchant de la même manière leurs bouches manifeste la
procession de Esprit pâtre filioque On identifie parfois le Fils par réfé
rence iconographie traditionnelle de la Trinité qui suivant le Psaume 109
place le Fils la droite du Père Mais cet argument est pas sans faille27

27 La disposition de part et autre un personnage médian la Vierge pourrait faire préfé


rer un autre système de répartition la place la plus eminente celle qui devrait être assignée
au Père se trouvant la droite du personnage médian sur la concurrence de ces deux sys
tèmes de disposition cf SCHAPIRO Sur quelques problèmes art cité 22

101
IMAGES DI VALES

Illustration non autorisée à la diffusion

permettent
thèse identification On remarque abord un pan du manteau du per
sonnage de droite pour nous recouvre nettement le corps de la Vierge ce
qui est pas le cas de autre côté Le fait que ce pli vienne la fois pointer
le ventre de Marie et effleurer axe médian du retable se réfère doublement
engendrement incarnationnel et par conséquent la différence entre le
Père et le Fils identification est pas pour autant assurée on peut soute
nir que est le manteau du Fils qui pointe ainsi le ventre où celui-ci va

102
BASCHET INVENTIVITE ET RIALIT

incarner mais on peut préférer indiquer que le recouvrement par le man


teau suggère le pouvoir ïengendrement par le Père virtus Altissimi obum-
brabit tibi Le 135 autre part la bordure ornée du vêtement du
personnage de gauche crée une puissante ligne verticale qui le distingue for
tement de son vis-à-vis pour qui ouverture du manteau souligne plutôt un
axe horizontal Cette ligne verticale qui fait écho la croix qui occupe axe
médian de image peut être mise en relation avec le destin incarnationnel
du Fils et son rôle de médiation entre le ciel et la terre Sur la base de ces
deux observations on tendrait donc confirmer la position du Fils la
droite du Père si ce était les réserves dont on fera état plus loin)
On ne saurait pour autant prétendre que tout dans les formes fait sens
soit sémantiquement soit syntaxiquement Reste une part ornementale
dont la fonction décorative et esthétique concourt la cohérence et la
puissance visuelle de uvre et par conséquent la rend efficace28 Encore
faut-il préciser que les aspects ornementaux ne peuvent être entièrement
tenus écart de approche iconographique29 La limite entre iconogra
phique et ornementalité pure ne peut être établie de fa on rigide30 on
admettra plutôt que ce champ est par excellence celui des significations
flottantes Selon les uvres et les spectateurs) le sens fixe avec plus
ou moins évidence Il reste souvent virtuel allusif voire facultatif La
représentation une bête sauvage dans un décor roman peut suggérer une
lecture morale la puissance hostile du mal) mais elle autorise aussi le spec
tateur ne retenir que effet de la seule confrontation avec un animal mena
ant En tout cas ensemble des éléments indiqués ici étend la sphère de la
signification au-delà des limites étroites on lui assigne parfois et assu
rément bien au-delà de ce on appelle souvent le sujet iconographique

Sens multiples sens incertains


II est guère besoin insister sur la capacité des images condenser des
significations multiples31 On se contentera de rappeler la critique que Jean
Wirth adresse Panofsky confronté avec le tableau de Francesco Maffei
la conjonction exceptionnelle de deux attributs épée et le plat et soucieux
de trancher le dilemme Judith ou Salomé32 Jean Wirth pertinemment
proposé la notion hybridation iconographique et montré il convenait

28 Sur ornemental comme catégorie transversale de art voir le livre paraître de J.-C
BONNE et déjà De ornemental dans art médiéval dans image Fonctions et usages des
images... op cit
29 Voir ici même article de J.-C BONNE ainsi que ses études sur les modalités particulières
omniprésence du cruciforme et du trinitaire dans les pages tapis des manuscrits insulaires du
Haut Moyen Age uds écriture le fragment de vangéliaire de Durham dans
DUMCHEN et NERLICH éds Texte-Image Bild-Text Berlin 1990 pp 85-105
30 On devra en particulier se garder des deux extrêmes soit limiter analyse de ces élé
ments animaux végétaux géométriques au décodage un sens symbolique déterminé en
vertu un code supposé fixe soit éliminer toute perspective sémantique sous prétexte on
est dans le registre de ornemental
31 Sur le parallèle entre le fonctionnement du sens dans image et dans le rêve cf notam
ment DiDi-HuBERMAN Devant image op cit. ch et J.-C BONNE Entre ambiguïté et
ambivalence Problématique de la sculpture romane La part de il 1992 pp 147-164
32 Essais iconologie op cit. pp 26-27

103
IMAGES MEDIEVALES

de voir dans cette uvre une Judith-Salome33 art médiéval apporte de


nombreux cas de figures ambivalentes associant plusieurs identités Abra
ham et Dieu le Père par exemple ou plusieurs types identité le type géné
rique de ermite et en même temps tel personnage historique)34 De même
image peut être ambivalente associant des significations contradictoires35
Loin être un handicap cette capacité joindre des sens multiples rend
image apte mettre en uvre des aspects importants de la pensée médié
vale dont la propension associative se manifeste notamment dans les liens
typologiques établis entre Ancien et Nouveau Testaments ou dans la stratifi
cation des lectures littérales et allégoriques de criture Habitués par exé
gèse multiplier les sens acceptables pour un texte donné les clercs peuvent
être aisément portés pratiquer avec les images le même type enchaîne
ment des significations En tant que pensée de ambivalence image fait
volontiers jouer les paradoxes fondamentaux du christianisme et tout parti
culièrement la jonction de humain et du divin que réalise Incarnation36 De
même en ce qui concerne les représentations de la Crucifixion plutôt que
établir une typologie distinguant les images du Christ glorieux et celle du
Christ souffrant il agit associer selon des modalités différentes et histo
riquement variables ces deux aspects la souffrance et la mort une part
la victoire sur la mort de autre37
côté de ambivalence il faut faire place ambiguïté38 Dans les deux
cas on renonce trancher mais soit pour faire valoir la force affirmée du
paradoxe soit parce que on demeure en-de dans incertitude Le sens
que on extrait des formes est vacillant on ne sait pas toujours si on bien
vu ce il avait voir ni même ce que on voit où importance des
descriptions39 La longueur de celles-ci et leur lourdeur presque obli
gée est le prix payer pour opérer le difficile passage du voir au dire

33 WIRTH Limage médiévale Naissance et développements -XV siècles) Paris 1989


pp 16-17
34 Un des exemples les plus remarquables été récemment produit par Herbert Kessler
analysant énigmatique figure du frontispice de la Bible de Grandval comme une combinaison
de Moïse saint Paul et Jean vangéliste et en même temps comme personnification de cri
ture dans sa totalité KESSLER Faciès bibliothecae revelata Carolingian Art as Spiritual
Seeing Testo immagine op cit. Spolète pp 533-594
35 Voir analyse de la posture du Christ au tympan de la cathédrale Autun la fois
debout et assis se levant et asseyant afin de signifier le lien entre son Ascension et son retour
lors du Jugement dernier J.-C BONNE Entre ambiguïté et ambivalence art cité
36 De même antithèse humiliation/exaltation abaissement/élévation est souvent mise en
jeu par iconographie du Christ on renvoie Lieu sacré lieu images Les fresques de Bomi-
naco Abruzzes 1263 Thèmes parcours fonctions Paris-Rome 1991 pp 146-149)
37 Cf les remarques de SINDING-LARSEN Iconography and Ritual Study of Analytical
Perspectives Oslo 1984 45 Voir aussi analyse de Virnaga pietatis comme image paradoxale
du Christ mort-vivant par BELTING Das Bild und sein Publikum im Mittelalter Berlin 1981
38 Tandis que ambivalence associe deux significations et logique) ambiguïté signale
impossibilité de choisir entre elles ou logique cf J.-C BONNE Entre ambiguïté et
ambivalence art cité
39 La description est une phase décisive du travail emblée problématique comme bien
mis en évidence Panofsky dans un texte de 1931 qui transcende puissamment les distinctions
et les règles il établies par la suite Contribution au problème de la description oeuvres
appartenant aux arts plastiques et celui de interprétation de leur contenu dans La perspec
tive comme forme symbolique trad frse Paris 1975 pp 235-255 et particulièrement 252

104
BASCHET INVENTIVITE ET SERIALITE

Ainsi analyse des figures tnnitaires dans le retable Quarton conserve-


t-elle un caractère hypothèse même si elle peut être étayée par la pré
sence de jeux comparables dans autres uvres Mais incertitude est ici
moins expression une faiblesse de analyse que la marque de ambiguïté
constitutive de uvre40 En effet il est propre au mystère trinitaire que on
interroge sur la distinction du Père et du Fils Le traitement des figures et
du vêtement permet associer similitude égalité essence et différence
la distinction des personnes) ce qui est expression même du paradoxe tri
nitaire Plus précisément la puissance particulière du retable de Villeneuve-
lès-Avignon tient sa capacité signifier tout la fois la différence du Père
et du Fils et même enjeu de cette différence engendrement et leur
identité au point que on est pas certain de pouvoir les identifier)
Enfin autant il faut admettre que ambiguïté et incertitude sont consti
tutives des modes expression visuelle autant on cherchera se garder
une rhétorique qui usant et abusant de cet argument autoriserait pro
duire propos une uvre tous les énoncés et leurs contraires Parmi les
dilemmes auxquels confronte uvre certains peuvent et doivent être
tranchés toutes les ambiguïtés ne sont pas bonnes prendre et certaines
doivent être tenues pour étrangères image considérée

Sens structural/sens per


Intégrer une problématique de la réception élargit encore le champ de
significations que mobilise analyse une uvre Sa mise en uvre pour
art médiéval est délicate surtout si on vise les spectateurs empiriques
Où Quand Qui Comment plutôt que le spectateur idéal la fa on
dont uvre organise objectivement sa propre perception Bien souvent
analyse de la localisation originelle de image permettant de reconsti
tuer idéalement sa destination prévue est le seul élément dont le médié
viste dispose pour engager une réflexion sur la réception de uvre41 Elle
ne dépasse généralement pas le stade hypothèses qui pour rester assez
générales en sont pas moins indispensables On soulignera notamment
que le sens de uvre est ici dépendant du temps de sa réception et en
particulier du moment liturgique ou rituel qui lui confère un sens parti
culier42
En ce qui concerne les publics de uvre on doit supposer une grada
tion de lectures plus ou moins savantes plus ou moins hétérogènes On est
en droit de poser pour le Moyen Age quelques distinctions simples qui
recoupent en fait des gammes de situations largement continues literati
illiterati culture cléricale/culture laïque clercs savants/clercs peu instruits
aristocratie/paysannerie/milieux urbains... Suger indiquait que les allégo
ries les plus subtiles des vitraux de Saint-Denis étaient accessibles aux

40 Sur la part indécidable qui infinitise analyse cf J.-C BONNE Entre ambiguïté et
ambivalence art cité 164
41 Sur la nécessité de étude des images en leur lieu cf Lieu sacré lieu images op cit
42 Cf SINDING-LARSEN Iconography and Ritual op cit. 36 et ses études sur San
Marco de Venise notamment Categorization of Images in Ritual and Liturgical Contexts
dans image Fonctions et usages des images... op cit

105
IMAGES MEDIEVALES

esprits les plus lettrés Il est évident que la réception commune demeurait
en-de des potentialités de signification des images même il ne faut pas
minimiser dans ce cas la perception de sens massifs essentiels articulés
effet esthétique puissant des uvres)
Surtout on soulignera que la problématique de la réception présente
deux dangers inverses un côté elle ne saurait être menée seule sans quoi
on limiterait la sphère de interprétation iconographique aux perceptions
médiévales supposées43 Or la visée du sens structural de uvre possède en
soi une pertinence historique indépendamment tant du sens intentionnel
voulu par artiste et les commanditaires que du sens per par ses destina
taires Aucune démarche historique ne saurait limiter son objet la
conscience que les acteurs ont pu avoir du sens de leurs actes ou de leurs
représentations De autre côté on risque étendre excès la signification
de uvre Ainsi dans son analyse du trumeau de Souillac Camille tente
de reconstituer écho que les animaux entrelacés qui le composent pou
vaient susciter auprès des publics de uvre répartis en deux catégories les
moines de abbaye et les laïcs)44 Pour ce faire il explore au sein des
cultures cléricales et laïques toutes les significations possibles des motifs
concernés la bouche la dévoration animal Il dessine ainsi ce on peut
définir comme la caisse de résonance de uvre Mais on regrettera que
celle-ci soit taillée de fa on un peu large En effet analyse dissocie les élé
ments constitutifs du trumeau sans considérer sa structure ensemble Bien
une telle lecture parcellaire ne soit pas exclue la prise en compte des
relations entre les éléments constituants conduirait resserrer le champ des
significations ouvertes par uvre
Aussi préfère-t-on définir des cercles concentriques de signification
organisés autour du sens structural dont élucidation suppose une interpré
tation globale de uvre tandis que les sens per us peuvent éloigner pro
gressivement de ce noyau en fonction tant de la culture du spectateur que
du mode de consommation de uvre qui peut en effet conduire rendre
plus lâches les liens structuraux une sorte de rêverie libre partir
de motifs isolés45

Sens/effet de uvre
uvre ne transmet pas seulement une signification décrypter elle
produit aussi un effet Cette dimension doit être intégrée dans approche
iconographique tant il est vrai que la signification se donne travers effet
produit par uvre Par les vertus formelles on lui prête et on peut
regrouper sous le nom de beauté) uvre étonne impressionne captive

43 Voir supra note 17 propos de analyse de Cassidy


44 CAMILLE Mouths and Meanings Towards an Anti-Iconography of Medieval Art
dans CASSIDY éd Iconography at the Crossroads op cit. pp 43-57
45 On admettra aussi la possibilité une lecture subversive laquelle Camille fait judi
cieusement sa place Le champ de significations de uvre tout en étant délimité est donc par
couru de tensions voire de contradictions entre le sens structural et le sens per lectures fau
tives parodiques ou subversives ou entre le sens intentionnel et le sens structural il
tension entre le souhait des commanditaires et le résultat produit par les artistes)

106
BASCHET INVENTIVITE ET SERIALITE

fascine46 effet esthétique concerne tout la fois des uvres ornementales


des uvres figuratives mais per ues dans leur fonction décorative le faste
décoratif du Palais des papes Avignon apparaît sans même tenir compte
de iconographie des peintures comme une revendication de pouvoir)47 ou
encore des aspects thématiques on ne saurait analyser la figure du Christ du
portail de Moissac sans souligner effet de puissance attaché au Roi céleste
et le rapport de domination il agissait établir avec les témoins de
uvre effet esthétique est bien souvent un rapport de pouvoir
autre part il faut tenir compte des modalités particulières par les
quelles le sens se donne dans image On déjà insisté sur une gamme de
modalités allant de incertain allusif de ambigu au potentiel Si image
met en jeu moins un sens établi fixé un travail du sens un sens qui éla
bore dans sa mise en uvre alors elle exige en retour de son destinataire un
travail plus complexe et souvent plus long une simple lecture un
simple décodage uvre la fois ouverte et captivante crée un effet
appel Elle se fait agent des pratiques de méditation dans des milieux
monastiques puis parmi les laïcs avec le développement des Livres
Heures la fin du Moyen Age Jouant de sens cachés ou du moins insai
sissables image est apte créer une structure de mystère participant plei
nement expérience religieuse Dès lors le but de la recherche est moins
établir le sens de image que de montrer comment celui-ci se dérobe pour
mieux entraîner le spectateur dans une quête infinie48 Il ne agit plus alors
de résoudre énigme des images mais de penser le mystère et la fascination
comme part intégrante du fonctionnement de image

Comment dès lors définir iconographique en intégrant tous les


aspects ci-dessus analysés et sans délimiter rigidement ses frontières On
peut avancer que iconographique pour objet propre la mise en uvre
plastique de sens ou plutôt sa mise en jeu avec tout ce que suggère cette
expression Bien loin de se limiter la reconnaissance du sujet de
image iconographique intègre les interactions entre sens et formes fina
lement elle prend en compte uvre dans sa totalité tout en axant sa pers
pective méthodologique sur les aspects thématiques49 étude de ces
46 Cf SCHAPIRO On the Aesthetic Attitude in Romanesque Art repris dans Roma
nesque Art Londres 1977 pp 1-27
47 CASTELNUOVO Un pittore italiano alla corte di Avignone Matteo Giovannein la pit
tura Provenga nel secolo XIV 2e éd. Turin 1991 Pour la fonction politique de ornemental
cf J.-C BONNE De ornemental art cité
48 Voir analyse des pages tapis des manuscrits irlandais en rapport avec la notion de rumi-
natio monastique par J.-C BONNE De ornemental art cité Deux exemples de ces struc
tures de mystère ont été superbement analysés par DIDI-HUBERMAN Fra Angelico Dissem
blance et figuration Paris 1990 et par HAMBURGER Thé Rothschild Canticles Art and
Mysticism in Flanders and the Rhineland circa 1300 Yale 1990
49 Il une certaine difficulté terminologique pour désigner objet de iconographique
Outre sujet déjà évoqué on excluera contenu qui dans son acception courante laisse
entendre une relation accidentelle entre le contenu et son enveloppe formelle alors il agit
de penser interpénétration entre forme et sens Par ailleurs ce terme re dans les traduc
tions des textes de Panofsky une portée très large Le contenu par opposition au sujet traité

107
IIVIAGES DI VALES

derniers impose une analyse aussi attentive que possible des modalités plas
tiques de leur expression sans oublier que image admet surdétermination
ambivalence ambiguïté et entretient une permanente tension entre le sens
et la vacillation du sens Enfin iconographique de pertinence arti
culer approche thématique et tous les aspects qui concourent inscrire
uvre dans son environnement commande pratiques fonctions effets
réception est au prix de ces élargissements de perspective que on peut
espérer rendre compte de aspect iconographique qui est une des dimen
sions essentielles des arts visuels au Moyen Age et ainsi associer la
compréhension historique des sociétés de ce temps

iconographie sérielle ou le faux quantitatif

Après avoir défini objet de iconographique on abordera un aspect


méthodologique déterminant la nécessité une approche sérielle Afin de
préciser de quel type de sérialité relèvent les images médiévales il importe
au préalable de se défaire du préjugé selon lequel on serait en présence un
art stéréotypé presque figé reproduisant docilement la doctrine de glise
On soutiendra au contraire sans il soit pour cela nécessaire de discuter
du statut des artistes et de leur éventuelle originalité créatrice personnelle
que le Moyen Age occidental surtout partir du 9e et plus nettement
encore du 11e siècle est une période de liberté particulièrement grande pour
les images et de profusion iconographique exceptionnellement intense50
approche sérielle devra être con ue en relation avec la reconnaissance de
cette extrême inventivité

Inventivité de art médiéval


La conception un art stéréotypé dogmatique épaulée par la vieille
idée de image comme bible des illettrés correspond tout particulièrement
la vision transmise par Mâle51 Pour ce dernier art soumis glise et
au dogme traduit la pensée des docteurs reproduit tout ce que les

peut être décrit selon les termes de Pierce comme that which work betrays but does not
parade est la mentalité de base une nation une période une classe. uvre art
et ses significations 41 Le contenu ou signification intrinsèque révèle donc la valeur
symbolique de uvre qui est objet de iconologie Essais iconologie 28) par opposition
au sujet analysé par iconographie Mais comme on dit on renonce la distinction propo
sée par Panofsky et la démarche iconographique ne peut admettre une dualité objet telle que
sujet/contenu On parlera plus volontiers du sens entendu dans optique large définie ici
regroupant les aspects thématiques et leur mise en uvre
50 Voir BERLINER The Freedom of Medieval Art dans Gazette des Beaux-Arts
28 1945 pp 263-288 Tout en partageant certaines analyses de NEES The Originality of
Early Medieval Artists dans Literacy Politics and Artistic Innovation in the Early Medieval
West CHAZELLE éd. New York-Londres University Press of America 1994 pp 77-109
on préfère ici dissocier la question du statut des artistes très différent au Moyen Age de ce
il est dans les siècles ultérieurs et celle de la liberté de art ou des images analyse
sérielle que on propose ici invite dépasser la notion originalité de artiste et lui préférer
celle inventivité des uvres saisies au sein une gamme de variations)
51 Pour la critique de cette notion je renvoie image-objet Limage Fonctions et
usages des images... op cit

108
BASCHET INVENTIVITE ET SERIALITE

théologiens les encyclopédistes les interprètes de la Bible ont dit essen


tiel52 Expression une pensée structurée encyclopédique art en
particulier celui du 13e siècle constitue un ensemble unifié il repose sur
usage un langage codifié normatif conventionnel53 Il est donc possible
en traiter comme une réalité homogène nous le considérons comme
un tout vivant un ensemble achevé 54 art exprime le discours de glise
et est pourquoi il est possible de tenir un discours sur art de cette époque
Dans image médiévale Jean Wirth reformulé de fa on neuve et sti
mulante le projet Mâle une saisie globale de art et de iconographie
du Moyen Age55 Concernant la question du caractère codifié de art médié
val sa position est ambiguë un côté il souligne que iconographie est
pas le décalque de la théologie et peut même la contredire Il traque avec
prédilection tout ce qui déborde des types iconographiques courants les
hybridations les traits originaux et même inconvenance et souligne la
prodigieuse inventivité de art religieux 56 Pourtant hypothèse centrale de
son livre attribuant un caractère logique image réintroduit des caractères
de codification et de systématicité qui autorisent parler de image médié
vale au singulier)57 Il est significatif que Wirth reprenne pour souligner le
caractère logique de iconographie exemple des nimbes déjà invoqué par
Mâle58 Sans doute en complique-t-il la présentation mais il demeure il
surestime le caractère logique et systématique du fonctionnement du nimbe
dans art médiéval négligence de certaines formes ni circulaires ni carrées
ou encore des degrés ornementation et surtout non-prise en compte du
fonctionnement syntaxique du nimbe)59 Aussi tout en partageant idée
une extrême inventivité de art médiéval on préférera attribuer ce der
nier un degré de systématicité moindre ce qui conduit faire le constat une
diversité plus considérable encore que ne le suggère Wirth60
Mais est-ce qui autorise cette liberté de art dès lors que on
oublie nullement le rôle des commanditaires et plus largement le fait que

52 LE art religieux du xme siècle op cit. 13 et 351 Ici comme partout ail
leurs les artistes du 13e siècle furent les interprètes dociles des théologiens
53 art médiéval écriture sacrée se rapproche du fonctionnement du langage verbal
ses signes sont de véritables hiéroglyphes art et écriture se confondent ibid 31
54 Ibid. 15 Ceci se traduit dans étude concrète par exemple lorsque Mâle traite de
Enfance du Christ comme il existait un cycle type reproduit identique dans toutes les
uvres 353)
55 WIRTH image médiévale op cit. pp 18-23
56 Ibid. 20
57 Pour une critique de cette conception et en particulier des références la logique cf
J.-C BONNE la recherche des images médiévales Annales ESC 1991 pp 353-373
58 WIRTH op cit. pp 23-25 LE op cit. 30
59 Ainsi aspect syntaxique conduit très souvent réserver le nimbe pour le personnage
principal comme le Christ et exclure pour les autres les apôtres notamment) sans il soit
pour autant question de remettre en cause la sainteté de ces derniers exemples dans les
mosaïques de Monreale Dans certaines uvres un même personnage apparaissant plusieurs
fois peut être selon les cas nimbé ou non Un traitement exhaustif de la figuration des nimbes
montrerait quel point il est difficile de réduire les images même sur un point aussi élémen
taire une codification stricte et homogène
60 analyse des représentations de âme fournit un autre exemple où le désir de systémati
cité conduit réduire iconographie des codes beaucoup trop simplifiés cf WIRTH
apparition du surnaturel dans art du Moyen Age dans Limage et la production du sacré

109
IIVIAGES DI VALES

glise fait peser sur la société une domination idéologique puissante Sans
même parler de intervention des commanditaires laïques il importe de sou
ligner que glise médiévale est pas un corps homogène mais elle est
au contraire comme la société tout entière parcourue de tensions et animée
de contradictions parfois intenses La doctrine est pas davantage une Elle
évolue fait objet de débats donne lieu des conflits compris au sein de
orthodoxie Immaculée Conception Pauvreté... Elle se module depuis la
haute spéculation des théologiens aux uvres de divulgation en pas
sant par ses mises en actes liturgiques et théâtrales ou encore ses expressions
dévotionnelles et mystiques Les discours cléricaux intègrent des traditions
abord étrangères la doctrine qui peuvent ensuite en faire pleinement par
tie ou rester marginales apocryphes légendes conceptions folkloriques...)
autre part Occident médiéval la différence du domaine byzan
tin61 se caractérise par une faible intervention normative des clercs dans le
domaine des images Du moins est-ce le cas après la fin de la Querelle des
images62 et exception de quelques tendances limitatives par exemple
chez saint Bernard Certes les clercs rappellent en particulier dans les trai
tés liturgiques les fonctions des images et évoquent parfois certaines signifi
cations des thèmes principaux63 Mais du moins au 15e siècle rares
sont les interventions visant fixer corriger ou condamner des modes de
représentations De fait on constate une mobilité figurative dont le
contraste avec la stabilité beaucoup plus grande des formules dans art
byzantin est saisissant Cette liberté de art en vient même être admise
théoriquement comme en témoignent les reprises du Dictum Horalu
notamment dans le Rationale divinorum officiorum de Guillaume Durand64
Enfin les attitudes critiques de quelques clercs condamnant certains
types iconographiques illustrent contrario existence de cette marge de
man uvre de la création figurative Elles montrent que les images opèrent
parfois sur les franges de orthodoxie créant des représentations qui tantôt
apparaissent licites et tantôt inadmissibles Parmi autres exemples on rap
pellera intervention Antonin de Florence contre les Annonciations mon
trant enfant Jésus déjà formé descendant vers la Vierge ou encore celle
de Gerson condamnant les statues des Vierges ouvrantes65 Mais pour le

DUNAND J.-M SPIESER WIRTH eds Paris 1991 pp 139-164 et mes remarques dans
Anima dans Enciclopedia arte medievale Rome 1991 pp 804-815
61 Voir ici même article de BARBU
62 Christe souligné que les choix occidentaux inspirés par les milieux carolingiens ont
permis de libérer art chrétien occidental de trop fortes contraintes doctrinales cf
émergence une théorie de image dans le prolongement de Rm 120 du ixe au xi siècle
en Occident dans Nicée II op cit. 304
63 Cf Introduction image-objet art cité
64 Pictoribus atque poetis Quidiibet audendi semper fuit aequa potestas cf CHASTEL
Le Dictum Horatii quidlibet audendi potestas et les artistes xii -xv siècle repris dans
Fables formes figures Paris 1978 pp 363-376 Outre la formule horatienne Guillaume
Durand indique que les peintres représentent les scènes bibliques leur convenance Sed
et divers hystoriae tam novi quam veteris testamenti pro vol ntate pictorum depinguntur cité
par CHASTEL 366)
65 On ne peut développer ici ni analyse de ces images ni celle des protestations elles
suscitent Sur le premier exemple voir les remarques on ne partage pas entièrement de
BASCHET INVENTIVIT ET RIALIT

Moyen Age de telles critiques constituent des points de vue certes emi
nents mais qui ont pas force de décision officielle doctrinale ou disci
plinaire66
Plus largement est analyse des thèmes iconographiques qui doit fon
der idée une inventivité de art médiéval comme on le verra plus loin
De nombreux thèmes iconographiques ont pas proprement parler
équivalent textuel Ainsi arbre de Jesse certes des sources scripturaires
qui légitiment cette figuration Isaïe 11 Mais image constitue une élabo
ration originale synthétique assurant une présence massive une mise en
jeu spécifique et visuellement puissante un énoncé relatif la filiation du
Rédempteur aux rapports entre humain et le divin et au rôle tient
glise67 Autre exemple les types trinitaires dans leur variété illustrent
quel point la complexité et les contradictions de la doctrine chrétienne
ouvrent largement le spectre des possibilités figuratives68
Ainsi loin du constat un art homogène décalque passif de la doctrine
de glise la vitalité et le dynamisme de la pensée chrétienne au sein une
société complexe permettent le déploiement des ressources du langage figu
ratif dans ses spécificités et confèrent la création visuelle une large marge
de man uvre est en relation étroite avec cette puissante inventivité il
convient de concevoir analyse sérielle

Les types de séries

analyse iconographique ne saurait se fonder sur des images isolées il


est vrai que les images pensent on doit ajouter qu elles se pensent entre
elles 69 étude sérielle est par conséquent une nécessité ne serait-ce que
parce que la connaissance des séries est la condition de apprentissage du
voir de cette difficile conversion du regard dont parle Pacht70 La
confrontation des images une même série est indispensable analyse de
la signification de chacune elles tant il est vrai il de sens que par
différence ou plutôt dans une dialectique des régularités et des écarts71
Enfin une part importante de la signification une uvre se trouve dans

WIRTH apparition du surnaturel art cité pp 148-152 Sur les Vierges ouvrantes cf
RADLER Die Schreinmadonna Vierge ouvrante Francfort 1990
66 Il en ira autrement partir du concile de Trente lorsque le contrôle clérical sur les
images se renforce nettement Voir par la suite la décision normative de Benoît XIV en
matière iconographie trinitaire BOESPFLUG Dieu dans art Paris 1984
67 Sur ce thème cf GUERREAU-JALABERT arbre de Jesse et ordre ecclésiastique
de la parenté paraître
68 Cf par exemple BOESPFLUG et ZALUSKA Le dogme trinitaire et essor de son
iconographie en Occident de époque carolingienne au IVe concile de Latran dans Cahiers de
Civilisation médiévale 37 1994 pp 181-240 et HAMBURGER The Rothschild Canticles op
cit
69 DAMISCH La peinture prise au mot art cité 289 reprenant ici la formule de
VI-STRAUSS concernant les mythes)
70 Cf supra note 14
71 Sur ce modèle de la connaissance inspiré par la linguistique cf VI-STRAUSS
il indique que objet de ethnologie est moins les sociétés elles-mêmes que les écarts
différentiels entre elles Anthropologie structurale 1957) Paris 1974 384

111
IMAGES DI VALES

son rapport avec autres ou pour le dire avec Damisch ce qui importe
est moins ce une uvre art représente que ce elle transforme 72
Sous le nom de série on désigne trois types objets bien distincts et
relevant chacun de problématiques spécifiques réseau images associées au
sein une même uvre corpus construit par le chercheur et enfin hyper-
thèmes Concernant le premier type de série il faut rappeler que les images
médiévales se présentent rarement de manière isolée comme peut être un
tableau elles inscrivent généralement dans un lieu ou un objet au sein
duquel se forme un complexe images Les monuments ornés de cycles
peints ou sculptés constituent des lieux images dans lesquels la disposition
spatiale permet la fois de déployer des régularités narratives de penser des
associations thématiques entre les scènes et de nouer des relations entre les
images et leurs lieux inscription per us tant dans leur valeur symbolique
que dans leur fonction liturgique)73 Dans la série des miniatures et des
lettres qui ornent un manuscrit le sens ne peut se construire travers
analyse des constantes et des singularités des échos entre les images des
processus de transformations qui accompagnent la lecture du livre Bien que
ce type analyse soit une importance considérable on ne attardera
guère ici dès lors que des études exemplaires peuvent servir de référence74
On insistera surtout sur le second type de séries côté des réseaux images
constitués par uvre historien doit aussi construire des séries images appar
tenant des objets différents dans des lieux et des temps délimités de fa on
précise est du reste une démarche constitutive de histoire de art clas
sique centrée sur les phénomènes stylistiques Pacht insisté sur le carac
tère génétique de histoire de art qui vise inscrire chaque uvre dans le
processus du devenir des formes artistiques Elle doit donc construire des
séries généalogiques au sein desquelles chaque uvre trouve sa place et
son sens75 Toutefois on admettra que la recherche de modèles large
ment pratiquée par histoire de art est souvent fourvoyée en particulier
elle pense la production figurative de fa on passive en terme
influence Cette démarche obnubilée par la recherche des similitudes
conduit généralement négliger les différences entre uvre et ses anté
cédents alors que celles-ci sont au moins aussi importantes que les points
communs On interdit ainsi de saisir le processus de transformation qui
doit être au ur de approche sérielle
On ne saurait pour autant oublier que art médiéval et plus largement la
culture médiévale fonctionne sur la reconnaissance une forte valeur de

72 DAMISCH Le Jugement de Paris op cit. 168


73 Je me permets de renvoyer Lieu sacré lieu images op cit
74 Trois exemples remarquables suffiront suggérer que analyse une série de miniatures
doit être adaptée chaque cas spécifique KESSLER élabore propos de la Première Bible
de Charles le Chauve un modèle particulièrement subtil de fonctionnement du manuscrit où se
tissent des relations complexes entre les miniatures qui le composent cf notamment Faciès
bibliothecae revelata. art cité est un cas de métamorphose réglée et de progression
sérielle que présente HAMBURGER Thé Rothschild Canticles op cit Enfin J.-C SCHMITT
étudie dans le Décret de Gratien les variations de situations judiciaires très proches qui
construisent la figure du Droit Le miroir du canoniste Les images et le texte dans un manus
crit médiéval Annales ESC 1993 no pp 1471-1495
75 PACHT Questions de méthode op cit. notamment 163

112
BASCHET INVENTIVIT ET RIALIT

traditionnalité Le prestige une uvre dépend souvent de sa révérence


égard un prototype vénérable ce qui empêche pas artiste de adapter
de le transformer sous couvert de cette marque hommage Herbert Kessler
bien souligné que cette traditionnalité de art devait être pensée non sous la
catégorie passive de modèle mais par référence la notion active de cita
tion soit une forme intertextualité)76 Il importe en outre analyser enjeu
de telles citations77 la référence une tradition peut ainsi porter une valeur
idéologique constituer une revendication politique ainsi la reprise par les rois
normands de modèles byzantins impériaux)78 indiquer une dépendance insti
tutionnelle comme la diffusion de modèles romains)79 ou un désir de réforme
spirituelle et ecclésiologique travers la citation de modèles paléochrétiens)80

Construire une série

Si approche sérielle concerne également les aspects stylistiques ou for


mels est surtout aux séries thématiques on intéressera ici et en
particulier celles qui présentent une amplitude quantitative remarquable81
Dans les conditions actuelles de la recherche construire des séries rassem
blant la totalité des sources conservées est une tâche inaccessible Aboutir
au résultat le plus satisfaisant possible demande un investissement en temps
et parfois en argent considérable En dépit instruments précieux au pre
mier rang desquels indispensable Index of Christian Art de Princeton état
actuel des outils de recherches documentaires très insatisfaisant malgré les
progrès accomplis limite malheureusement la portée de la démarche
sérielle On ne peut insister sur la nécessité accélérer la réalisation
outils dont la recherche besoin et que les techniques modernes per
mettent de produire corpus et catalogues banques images sur vidéo
disques et CD-Rom82 Outre leur vertu première de recherche documen
taire ces outils permettant un accès rapide aux images concernées
76 KESSLER The State of Medieval Art History The Art Bulletin 701988 notam
ment p.176
77 On tiendra compte de la gradation existant entre des uvres plus fortes plus innovatives
et autres plus imprégnées de formules établies parfois produites de fa on répétitive mais
admettant néanmoins des variations infimes et rarement analysables comme simple repro
duction)
78 KiTziNGER The Gregorian Reform and the Visual Art Problem of Method
dans Transaction of the Royal Historical Society XXII 1972 pp 87-102
79 KESSLER The State art cité pp 176-178
80 TouBERT Le renouveau paléochrétien Rome au début du xi siècle repris dans
Un art dirigé Réforme grégorienne et iconographie Paris 1990 pp 239-310
81 autres séries pour être plus restreintes en sont pas moins dignes intérêt Ainsi
dans Le Jugement de Paris op cit. Damisch suit travers une série uvres exception
nelles les métamorphoses un modèle de Antiquité Picasso en passant par Raphaël
et Manet Il définit son objet comme tresse plutôt que comme série pour en souligner le
caractère imbriqué excluant tout principe explication linéaire 221 Si on peut
reprendre avec profit cette notion il faut noter que le cas étudié est assez différent de ce que les
images médiévales nous donnent généralement travailler une série de chefs-d uvre qui se
pensent les uns les autres et non un ample corpus objets présentant entre eux une gamme de
relations beaucoup plus variées
82 On renvoie Les vidéodisques des manuscrits de la Bibliothèque vaticane et la réalisa
tion une base de données iconographique Arte medievale VI 1992 pp 199-205

113
IIVIAGES DI VALES

favorisent les rapprochements les confrontations et les croisements entre tous


les fils de cet écheveau que constitue la production visuelle médiévale Ils sont
les vecteurs privilégiés de approche sérielle ils la servent et encouragent
Construire une série images suppose donc de rassembler par tous les
moyens disponibles un corpus aussi exhaustif que possible Une étude icono
graphique qui ne reposerait pas sur la prise en compte du plus grand nombre
uvres pertinentes accessibles serait sinon illégitime du moins fragile Mais
construire une série est ensuite rebours dissocier fragmenter la masse des
documents obtenus Car le corpus rassemblé est constitué éléments forte
ment hétérogènes qui ne se laissent pas traiter au sein un ensemble unifié
Ainsi la distinction par support manuscrits enluminés sculpture peinture
murale vitrail orfèvrerie... impose car chaque technique possède ses règles
et ses procédés formels propres jouant de la valeur et des possibilités plas
tiques des matériaux utilisés et des formats mis en uvre En outre la distinc
tion par support impose de considérer les types objets ou les lieux archi
tecturaux auxquels sont liées les images Elle fait intervenir les usages des
images-objets les relations éventuelles entre thèmes représentés et fonctions
de ces objets ainsi que les modalités de visibilité et de réception83
La distinction selon les contextes thématiques est dans certains cas au
moins indispensable En effet analyse doit procéder différemment selon
elle pour objet un thème iconographique ou un motif iconographique Un
thème comme Annonciation ou la Remise des tables de la Loi Moïse
constitue une unité structurale élémentaire possédant une cohérence propre
pouvant faire objet une scène spécifique notamment dans une miniature
une lettre ornée ou un cycle mural84 En revanche on appelle motif iconogra
phique un élément constituant un thème il en va ainsi de enfer qui pour
essentiel apparaît intérieur ensembles plus complexes comme le Juge
ment dernier la Parabole de Lazare ou la Chute des anges85 La distinction
entre thèmes et motifs est indispensable même si elle est pas rigoureusement
étanche Conformément au principe structural de prééminence des relations
sur les éléments constituants on ne saurait aborder un motif iconographique
sans une analyse globale de chacun des thèmes dans lesquels il insère est le
seul moyen de mesurer importance du motif en question de saisir sa fonction
dans un ensemble cohérent et par conséquent atteindre un point pertinent
de signification
Les distinctions selon les temps et les lieux sont également importantes

83 Enfin ces distinctions permettent évaluer importance accordée au thème concerné


laquelle se mesure moins aux dimensions et la visibilité de uvre au degré de sacralité de
objet ou du lieu auquel image est attachée Cette dernière question prend une acuité parti
culière pour les motifs négatifs comme enfer ou le diable dont intégration dans un objet ou
un lieu chargé de sacralité est hautement problématique on renvoie enfer en son lieu
rôle fonctionnel et dynamisation de espace cultuel dans BOESCH-GAJANO et SCARAFFIA
éds Luoghi sacri spazi della santità Turin 1990 pp 551-563
84 Ce qui exclut pas bien entendu que le thème soit intégré dans une série constituant un
ensemble structural plus ample
85 Le fait un motif puisse être parfois représenté de fa on indépendante devenant ainsi un
thème lui seul invalide pas la distinction proposée Un tel processus autonomisation doit au
contraire être analysé comme un phénomène une grande portée

114
BASCHET INVENTIVITE ET SERIALITE

Une étude de la répartition chronologique la fois globale et en tenant


compte des distinctions par thèmes et par supports fait apparaître des phé
nomènes décisifs pour étude historique Elle permet de distinguer le nou
veau du traditionnel identifier la période apparition du thème ou du
motif étudié de préciser ses rythmes de développement et éventuellement
de déclin86 et enfin de saisir les évolutions et les variations géographiques de
ses modes de représentations
Enfin la fragmentation du corpus doit être poussée extrême dès lors
que chaque uvre singulière constitue un cas particulier intégrant le thème
étudié dans une série images spécifique en rapport avec un objet unique
et dans un contexte chaque fois particulier Il ne saurait en principe avoir
étude sérielle sans une approche structurale de chaque uvre singulière
appartenant la série Approche structurale et étude sérielle sont totale
ment et intimement entremêlées Chaque image doit même être située au
croisement de multiples séries série dans uvre environnement de
celle-ci séries thématiques traditions formelles... Chaque série étant elle-
même complexe et non linéaire est une sorte de sphère de relations il
faut dessiner autour de chaque image singulière enjeu et la difficulté de
étude iconographique consistent faire tenir ensemble approche sérielle
et étude structurale des uvres singulières elle doit pratiquer incessants
aller et retour entre ces deux démarches
Au total le caractère fortement hétérogène des éléments constitutifs
une série iconographique aboutit un fractionnement extrême de celle-ci
En matière images le sériel est un faux quantitatif Il semble appeler que
des traitements mathématiques frustes Il impose de compter les occurrences
en fonction des paramètres retenus mais de fa on nécessairement très
approximative notamment en raison des incertitudes de datation) avec
pour seul objectif raisonnable de comparer des ordres de grandeur Les
études iconographiques doivent apprendre compter plus elles ne le font
généralement et considérer importance quantitative des phénomènes
étudiés Pourtant il semble vain du moins en règle générale de plaider pour
un véritable traitement statistique en raison des marges incertitudes des
facteurs hétérogénéité et de la faiblesse des masses concernées87

Analyser une gamme sérielle


approche sérielle pour visée de cerner régularités variations singula
rités et exceptions Dans une première démarche un classement typologique
est souvent nécessaire et permet de faire apparaître des constantes On peut

86 étude du développement quantitatif un thème devrait tenir compte non de valeurs


absolues mais de valeurs relatives référées au nombre global images produites ou disons
conservées Il faut donc prendre en considération la forte croissance de la production images
entre 11e et 15e siècle En ce sens le développement régulier un thème au cours de cette
période est difficilement interprétable En revanche un déclin quantitatif en prend que plus
de relief
87 Un traitement statistique peut être envisagé dans quelques cas privilégiés concernant un
motif simple très fréquent ou pour lequel les facteurs hétérogénéité jouent un rôle moindre
habitude Les cas déjà évoqués des représentations de âme ou du nimbe pourraient être
de bons exemples de séries analysables statistiquement

115
IMAGES DI VALES

ainsi par exemple distinguer parmi les représentations du Sein Abraham


trois types formels principaux selon que le patriarche rassemble les élus
entre ses bras fig 3) dans un linge fig ou dans un pan de son vêtement88
fig Mais analyse sérielle ne peut en tenir de telles classifications qui
semblent reproduire une notion de type iconographique dont il faut au
contraire se séparer89 approche sérielle montre au contraire il existe
que des gammes de réponses90 Dans le cas du Sein Abraham analyse des
trois grands ensembles définis fait apparaître les variations des formes du
linge leur degré de concavité les effets produits et leurs connotations la
diversité des fa ons de tenir les élus ainsi que les modalités et le degré plus
ou moins intense inclusion dans le manteau un premier regard la typo
logie met en évidence des constantes tandis que analyse sérielle vise inté
grer dans la régularité une série la singularité de chaque uvre qui
combine des réponses particulières un ensemble options possibles et qui
noue un réseau propre de tensions et de contradictions En articulant régula
rité et variations travers la construction de gammes on entend sortir de la
dualité de original et du banal du singulier et du répétitif critiquée par
Michel Foucault91 On espère ainsi approcher ce il actif intérieur
de séries que on refuse de tenir pour des types iconographiques constants92
Il découle de ceci que ce ne sont pas nécessairement dans les chefs-
uvre que analyse iconographique trouve le plus de profit même si
exemple du Couronnement de la Vierge Enguerrand Quarton rappelle
ils peuvent aussi nous mener très loin Se détourner des uvres majeures
ne signifie nullement que approche sérielle pour vertu principale de faire
apparaître des constantes qui pourraient sembler historien plus révéla
trices que les singularités Car approche sérielle permet aussi de repérer
dans des uvres apparemment assez banales des variations qui tout en
étant discrètes avèrent pour analyse iconographique une grande por
tée Plus largement encore la démarche sérielle montre que au sein une
gamme de variations il pas de régularités sans ondoiement des possibi
lités de transformations Les régularités sont en alerte inventivité vient
se nicher dans les micro-déplacements dans les décalages infimes

88 Respectivement vangiles Bibliothèque vaticane Vat lat 39 58 Italie du Nord troi


sième quart xnie siècle Psautier de Blanche de Castille Paris Arsenal ms 1186 171
Paris vers 1225 Légendier dominicain Oxford Kebble Collège ms 49 239 Ratisbonne
vers 1270 ces trois uvres relèvent de contextes thématiques différents Jugement dernier
Parabole de Lazare Sein Abraham isolé en rapport avec la fête des morts Sur le Sein
Abraham figuration du lieu paradisiaque promis aux élus je poursuis une étude ensemble
dont on trouvera esquisse dans Medieval Abraham Between Fleshly Patriarch and Divine
Father dans Modern Language Notes 108 1993 pp 738-758
89 Voir son emploi par exemple par PANOFSKY Essais iconologie op cit. 27
90 On pense ici la notion de multiplicité précisée par Deleuze partir de uvre de Fou
cault DELEUZE Foucault Paris 1986 pp 11-30 FOUCAULT archéologie du savoir
Paris 1969)
91 FOUCAULT archéologie du savoir pp 184-194
92 Le banal lui-même est actif la régularité est pas moins opérante est pas moins effi
cace et active dans une banalité que dans urie formation insolite ibid. 189 Dire que
tout le champ énonciatif est la fois régulier et en alerte il est sans sommeil 191) est
aussi reconnaître que la régularité des énoncés est jamais une pure identité une simple
reproduction

116
J.BASCHET INVENTIVITE ET SERIALITE

FIG Evangéliaire Biblio


thèque vaticane Vat lat 39 58
Lazare dans le Sein Abraham
troisième quart du xn siècle)

La série se donne comme une exploration quasi systématique un champ


de possibilités Ces champs de possibilités objets spécifiques de approche
sérielle ne sont pas infinis mais ils sont une ampleur généralement surpre
nante Ce est pas effet une pure liberté du créateur ou une simple
mécanique combinatoire mais plutôt la conséquence du caractère hétérogène
des uvres qui constituent la série Les variations de matériaux emplace
ment de format usage environnement époque de relation aux tradi
tions figuratives etc. contribuent faire varier la mise en uvre un
ensemble thématique hétérogénéité des uvres faisant jouer élément
iconographique observé est comme le kaléidoscope qui permet historien
explorer les multiples facettes de son objet La gamme sérielle est le champ
expérimental mettant épreuve la régularité et la variabilité de objet
Outre les gammes de variations étude sérielle fait considération des cas
les plus radicaux en ayant soin en distinguer plusieurs espèces Certaines
inscrivent aux points extrêmes une gamme de variations Dans le cas du
Sein Abraham il agit notamment des images qui poussent le plus loin
inclusion des élus dans le corps-vêtement du patriarche93 fig Sujets de
prédilection de analyse de telles images semblent révéler plus clairement
que les autres la dynamique uvre dans la gamme sérielle autres cas

93 Bible de Pampelune Amiens Bibliothèque municipale ms 108 255 Pampelune


1197)

117
IMAGES MEDIEVALES

Illustration non autorisée à la diffusion


J.BASCHET INVENTIVIT ET RIALIT

Illustration non autorisée à la diffusion

FIG

singuliers se placent plutôt en marge des séries Ainsi les hybridations


iconographiques constituent une intersection entre deux séries Lorsque
dans une image du Trône-de-Grâce le corps du crucifié disparaît inté
rieur du manteau du Père94 fig 7) il opère un croisement entre deux types
trinitaires le Trône-de-Grâce et la Paternité divine qui montre le Fils tenu
in sinu pains Jn 18) entendu ici au sens de dans le pli du Père 95 fig
11 Il agit là une solution exceptionnelle qui relève de cette exploration
systématique des possibles laquelle étude sérielle nous fait assister96

94 Psautier de Stephan de Derby Oxford Bodleian Lib. Rawlinson 185 97 milieu 14e
siècle)
convient
95 Surbien
ce thème
dans uncf telinfra
cas Le
concernant
terme hybridation
la jonction deutilisé
deuxpar
types WIRTH
iconographiques
supra note
Mieux
33
peut-être que dans le cas de la Judith-Salomé en effet une figure ambivalente constitue la
somme des deux figures initiales le résultat une hybridation tient de et de sans
être entièrement ni ni
96 un élément ou une fonction caractéristique un personnage glisse vers une autre
figure on parlera plutôt de transfert iconographique est le cas au 15e siècle lorsque le linge
contenant les élus est plus tenu par Abraham mais par une figure de Dieu le Père intégrée
dans le Trône-de-Grâce soit une image du sinus trinitatis Un tel phénomène peut révéler des

119
IMAGES MEDIEVALES

Illustration non autorisée à la diffusion

FIG

120
J.BASCHET INVENTIVITE ET SERIALITE

Illustration non autorisée à la diffusion

FIG
97 le

Enfin on qualifie images-limites les uvres exceptionnelles qui se


singularisent par leur radicalité au sein de leur série et aventurent parfois
aux marges de orthodoxie Une des plus célèbres est la Quinité de
Winchester qui jadis retenu attention de Kantorowicz97 On évoquera
ici exemple du Jugement dernier du Camposanto de Pise98 fig uvre

relations notamment homologie entre les figures concernées comme ici entre Abraham et
Dieu le Père Sur ce type iconographique cf avec quelques réserves SHEINGORN Thé
Bosom of Abraham Trinity Late Medieval All Saints Image dans England in the 15th
Century Proceedings of the 1986 Harlaxton Symposium WILLIAMS éd. Londres 1987
pp 273-285
97 KANTOROWICZ The Quinity of Winchester dans The Art Bulletin 29 1947
pp 73-85 et KIDD The Quinity of Winchester Revisited Studies in Iconography VII-
VIII 1981-1982 pp 21-32
98 Cf Les justices de au-delà op cit

121
IMAGES MEDIEVALES

est singulière la fois parce elle cristallise une mutation décisive dans
histoire des représentations infernales mais aussi par certains aspects une
telle radicalité ils restent sans postérité Ainsi la Vierge quitte sa position
habituelle intercession pour prendre place côté du Christ dans une man
dorle identique celle de son Fils La figuration un tel couple judiciaire est
un phénomène extraordinaire bien éloigné des indications scripturaires et
de toute la tradition théologique et figurative relative au Jugement dernier
On doit en donner une interprétation multiforme par référence la struc
ture exceptionnellement bipolaire de uvre Jugement un côté enfer de
autre) en rapport avec essor du culte de la Vierge ou encore en termes
politiques ralliement de Pise au camp guelfe dans les années 1330 qui fait
de la figure mariale un enjeu civico-ecclésial majeur On songe également
la dualité Justice qui condamne)/Miséricorde qui pardonne) habituelle
ment fondue dans la seule figure du Christ mais qui apparaît ici de fa on
clivée travers le couple Vierge/Christ cet égard cette image révèle une
tension entre le désir de miséricorde qui anime une religion amour et
affirmation une exigence de châtiment qui travaille en profondeur le
christianisme médiéval
Voilà bien enjeu de ces images-limites et de tous les types uvres
exceptionnelles dont il vient être question Il agit de parvenir articuler
de fa on satisfaisante les régularités sérielles et les cas extrêmes Le risque
est de faire parler une image singulière pour toutes les autres en prêtant la
série une homogénéité elle ne possède pas inverse en soulignant que
image extrême inscrit dans un moment précis et exprime les tensions un
contexte singulier comme le revirement politique de Pisé lors de la réalisa
tion des fresques de Buffalmacco) on pourrait en venir lui dénier toute
portée générale Seule intégration des uvres extrêmes dans des séries per
met de surmonter ces difficultés selon les cas elles apparaîtront davantage
comme des cas tout fait singuliers voire des anomalies ou plutôt comme la
radicalisation des tendances présentes plus discrètement dans le reste de la
série Dévoilant les contradictions que les uvres plus courantes tiennent
généralement masquées les images extrêmes peuvent être alors considérées
comme révélatrices des dynamiques uvre dans la gamme sérielle Elles
constituent comme un horizon pour ensemble de la série contribuant ainsi
son intelligibilité
La compréhension conjointe des gammes sérielles et des images excep
tionnelles impose donc articuler le local et le général Il agit analyser
dans ses dynamiques historiques un champ de possibilités où jouent
ensemble le singulier et le régulier extrême radicalité des coups éclats et
la palpitation tranquille des modestes variantes

99 Les représentations de Satan aventurent également parfois aux marges de ortho


doxie en prenant un tour quasi dualiste je renvoie Satan prince de enfer le développe
ment de sa puissance dans iconographie italienne xn siècle dans autunno del dia
volo Milan 1990 pp 383-396

122
BASCHET INVENTIVITE ET SERIALITE

Vers étude des hyperthèmes

La sérialité doit aussi conduire étude des réseaux formés par un


ensemble de thèmes iconographiques ce que on désignera sous le nom
hyperthème Les objets que se donne analyse iconographique ins
crivent donc dans trois ensembles emboîtés les motifs constituants une
organisation thématique) les thèmes les hyperthèmes jonction de plusieurs
unités structurales Une fois encore ces distinctions ne doivent pas être
appliquées de fa on rigide car étude peut associer plusieurs niveaux et
certains hyperthèmes peuvent être constitués la fois de thèmes et de
motifs autre part on note que étude un motif comme enfer la
bouche ou les anges et celle un hyperthème sont une et autre trans
thématiques obligeant prendre en examen plusieurs thèmes Néanmoins
le schéma proposé est pas inutile la difficulté dans analyse un motif
tient aux conditions extraction un élément commun appartenant des
unités structurales distinctes tandis que étude un hyperthème vise saisir
les relations entre des unités structurales cohérentes100
Le projet une approche hyperthématique évoque la démarche de Jean
Wirth qui dans image médiévale tente de mettre en évidence un sys
tème iconographique un réseau de relations qui produit du sens par sa
logique propre 101 Sans vouloir forcer la pensée de Jean Wirth qui
reconnaît les limites de entreprise il semble bien que sa visée son désir le
pousse en accord avec hypothèse un fonctionnement logique de image
vers la recherche une unité structurale globale de iconographie médié
vale au moins chacune des époques considérées Or une telle perspec
tive risque de surestimer la systématicité de objet étudié et de laisser
échapper une part de la spécificité des images singulières peut-être aussi
parce elle néglige parfois en construire les séries aussi complètement
que possible Pour le dire avec J.-C Bonne en matière iconographie il
du systématique mais certainement pas un système des réseaux théma
tiques et même des réseaux de réseaux des rhizomes que les uvres tissent
entre elles mais certainement pas un réseau des réseaux qui puisse être
suturé de bout en bout102 étude des hyperthèmes se place précisément en
de du niveau de globalité que vise Jean Wirth On se propose en effet

100 Ajoutons cependant que étude un motif peut tendre vers celle une formation
hyperthématique En effet comme on dit elle suppose nécessairement analyse de la struc
ture ensemble dans laquelle inscrit le motif de sorte que étude de ce dernier dans la tota
lité de ses contextes thématiques revient une certaine fa on mais plus ou moins nettement
selon les cas mettre en relation tous les thèmes concernés
101 image op cit. 230 II existe en somme un système iconographique ... On
essayé évaluer son degré autonomie et le jeu complexe des initiatives qui le fondent Il reste
voir quel point il se structure logiquement pour produire ses propres significations
et pp 231-233 et 261
102 la recherche art cité pp 371-372 Il en va de même de la société selon Lévi-
Strauss il du structurel des structures mais elle est pas une structure ni même une série
de structures homologues Elle est un ordre des ordres un réseau de structures unies par
des relations extrêmement complexes et qui toutes ensemble ne suffisent encore pas rendre
compte de la totalité une société Anthropologie structurale op cit. eh XV-XVI notamment
pp 390-392)

123
IMAGES MEDIEVALES

inclure dans le projet iconographique étude de réseaux de thèmes sans


pour autant supposer ils forment des systèmes parfaitement cohérents
logiques et en excluant la visée un système global de iconographie des
périodes considérées
Rappelons abord que les mises en relations de thèmes relèvent une
pratique omniprésente dans la culture chrétienne médiévale correspon
dances typologiques entre les deux Testaments mises en relation événe
ments multiples par la liturgie autre part les cycles figuratifs en
particulier dans les peintures murales sont travers les échos les parallèles
ou les oppositions ils tissent des outils penser les relations entre les
thèmes iconographiques103 exégèse et iconographie se donnent elles-
mêmes comme pensée de interthématicité étude des hyperthèmes peut
appuyer sur ces caractères elle inscrit dans le prolongement de ce constat
mais pousse au-delà de ce que les uvres singulières formulent explicitement
Pour illustrer ce est un hyperthème104 évoquerai le cas dont je pour
suis actuellement étude étant entendu que ce on dira ici de fa on som
maire ne peut valoir comme démonstration quant aux significations mises en
jeu mais seulement titre de prétexte permettant esquisser quelques
remarques méthodologiques terme hyperthème considéré est extrême
ment vaste les représentations de la parenté divine est-à-dire ensemble
des liens pensés en termes de consanguinité ou alliance unissant les figures
surnaturelles ou celles-ci et les hommes ainsi que les liens de parenté spiri
tuelle entre les hommes)105 Sont ainsi englobées entre autres les figurations
de la Trinité les relations entre Vierge et Trinité entre Vierge et Christ filia
tion réciproque et alliance) ou les figurations de la Mater Ecclesia dans ses
relations avec le Christ et avec les fidèles)
intérieur de cette configuration on peut découper un sous-ensemble
plus réduit qui constitue également un hyperthème dont la présentation
sera plus aisée Cet hyperthème est le paradigme des mises en forme de
expression dans le sein de in sinu...) qui avère être un opérateur de
conjonctions particulièrement fécond Il regroupe des éléments se caractéri
sant la fois par expression un lien de filiation et par la représentation
un personnage principal tenant une ou des figure(s dans son sein est-
à-dire entre ses bras dans un linge ou dans son vêtement conformément au
champ de significations ouvert par le terme sinus106 Autour du Sein Abra
ham déjà évoqué on voit se dessiner une constellation de thèmes dont les

103 Cf Lieu sacré lieu images op cit Aux exemples déjà évoqués on ajoutera le vis-à-vis
fréquent établi par exemple la Martorana de Palerme entre la Nativité montrant le Christ
enfant dans les bras de sa mère et la Dormition où âme-enfant de la Vierge est cette fois dans
les bras de son Fils Il là explicité par uvre elle-même un lien structural inversion entre
deux thèmes iconographiques qui produit une signification nouvelle irréductible la somme de
celle des deux thèmes isolés
104 Autre exemple les Repas du Christ huit thèmes outre la Cène) étudiés par
Rigaux dans une perspective sérielle parfois vigoureusement quantitative et soulignant
intérêt une approche comparée de ces thèmes RIGAUX la table du Seigneur Eucha
ristie chez les primitifs italiens 1250-1497 Paris 1989
105 Première esquisse dans Medieval Abraham art cité
106 hyperthème est construit sur la base un motif commun associé des figures dif
férentes est bien toutefois le réseau des thèmes pris dans leur globalité il agit étudier

124
BASCHET INVENTIVIT ET RIALIT

principaux sont le type trinitaire de la Paternité divine la Vierge enfant


certaines figurations rares de Ecclesia des représentations généalogiques
ainsi que dans une certaine mesure la Vierge au Manteau
analyse peut porter abord sur les relations des thèmes pris deux
deux on ne peut toutes expliciter ici Ceci est particulièrement difficile
si on veut tenir compte de tous les facteurs notamment chronologique et
quantitatif et éviter de réduire chaque thème un type simple alors il
constitue au contraire une ou plusieurs gamme(s de variantes Partons de
la Vierge enfant le thème quantitativement le plus développé de notre
paradigme et plus largement de tout art médiéval avec la Crucifixion
La similitude formelle est forte fig 8) tant avec la Paternité divine avec
le Sein Abraham du moins avec un de ses trois types formels) au point
on peut attribuer la Vierge enfant un statut de réfèrent ayant pro
bablement joué un rôle dans le développement des deux thèmes mention
nés partir de an mil Mais loin être la reprise passive un modèle le
transfert un schéma formel qui ne peut advenir que il est pertinent dans
son nouveau contexte est hautement signifiant La figuration un même
mode de relation égard du Christ mais glissant un emploi concernant
sa Mère un autre mettant en scène son Père céleste constitue indice
une relation forte intérieur de hyperthème étudié autres éléments
confirment homologie de plus en plus marquée au cours du Moyen Age
entre la relation Père/Christ et la relation Vierge/Christ Cette équivalence
constitue une relation structurale forte sensible par exemple dans les dispo
sitifs visuels qui mettent en parallèle Trône-de-Grâce et Vierge enfant107
fig 9)
Entre certaines représentations du Sein Abraham et de la Paternité
divine108 les ressemblances vont parfois au décalque formel bien que
prises globalement les deux séries soient loin de se recouvrir strictement109
fig 10-11 Le rapprochement est aussi thématique il agit dans les deux
cas exprimer un rapport de paternité une nature assez proche spiri
tuelle ou divine) ce qui est autant plus net que ces deux figures pater
nelles Dieu et Abraham sont parfois fondues en une figure ambivalente La
relation entre ces deux thèmes permet de saisir un jeu complexe de rap
prochements et écarts La différenciation entre les deux thèmes est mise
en évidence par analyse globale des deux séries ainsi que par examen des

107 Heures de Jeanne de Navarre Paris BNF acq fr 3145 3v miniature anglaise
début 15e siècle Même dispositif dans vangéliaire Italie du Nord déjà cité Bibliothèque
vaticane Vat lat 39 171V-172 est surtout partir du 13e siècle que les théologiens sou
lignent équivalence du sacrifice de la Mère avec celui du Père Bonaventure dans ce contexte
indique Mater per omnia conformis est Pat In Lib Sententiarum 48 cité avec
autres textes par DOBRZENIECKI Medieval Sources of the Pietà Bulletin du Musée
national de Varsovie VIII 1967 pp 5-24)
108 Sur ce thème voir en dernier lieu BOESPFLUG et ZALUSKA Le dogme trini
taire art cité pp 197-202
109 Portail de église Santo Domingo Soria Castille fin 12e siècle Decrétales Biblio
thèque vaticane Vat lat 1389 Bologne première moitié 14e siècle Certaines formes
inclusion sont utilisées pour un des thèmes mais exclues pour autre Ainsi usage du linge
dominant dans le cas du Sein Abraham apparaît jamais dans la Paternité divine signe pro
bable une volonté de différencier les deux thèmes

125
IMAGES DI VALES

Illustration non autorisée à la diffusion

cas où ils se trouvent associés dans une même uvre Santo Domingo de
Soria la Paternité divine occupe le tympan tandis que le Sein Abraham
apparaît dans archivolte fig 10 Leur stricte superposition souligne une
relation que le recours des types formels distincts vient toutefois atténuer
enjeu de cette différenciation est considérable il agit de souligner écart
entre la filiation intra-trinitaire du Père au Fils une filiation egalitaire non
hiérarchique et sans rapport de génération qui inverse radicalement les don
nées de la filiation charnelle et la filiation surnaturelle des chrétiens
égard Abraham et de Dieu La conjonction des similitudes et des écarts
souligne que ces deux relations sont en partie homologiques où le lien de
germanité entre le Christ et les chrétiens) mais en partie seulement les
théologiens concevant dans ce contexte les hommes comme fils adoptifs de
Dieu tandis que le Christ seul est Fils véritable On ici un cas de relation
complexe associant de fa on nécessaire homologie et écart
La relation entre Sein Abraham et Vierge au Manteau permet illus-

126
BASCHET INVENTIVITE ET RIALITE

trer un autre type de rapport110 fig 13 Cette fois le rapprochement formel


est limité puisque les fidèles sont dans ce dernier thème rassemblés non
sinu mais sous le manteau de la Vierge remarquons toutefois que la diffé
rence échelle entre le personnage principal et ceux il rassemble contre
lui est de même nature Pourtant le lien thématique est puissant Sein
Abraham et Vierge au Manteau expriment tous deux quoique dans des
contextes généralement différents appartenance des fidèles la commu
nauté ecclesiale Dans les deux cas ce lien est figuré par la réunion une
figure parentale unique Abraham pater omnium credentium Maria mater
omnium) et par la fusion dans un groupe et inclusion dans un corps-
vêtement Abraham dans son rôle de réceptacle céleste des justes et Marie
dans sa fonction de protectrice des vivants et des morts symbolisant un et
autre la communauté ecclesiale se trouvent donc en position équivalente
Au reste cette relation se trouve confirmée par des convergences exception
nelles est le cas lorsque la Vierge au Manteau apparaît dans le Jugement
dernier ce qui nous rapproche du contexte paradisiaque caractéristique du
Sein Abraham111 fig 12 inversement il peut arriver que ce dernier
prenne une forme si singulière que on soit tenté de le qualifier Abraham
au Manteau Là encore les cas les plus singuliers de la gamme sérielle
favorisent les connexions interthématiques
Mais un décalage chronologique existe entre les deux thèmes la Vierge
au Manteau apparaît dans la seconde moitié du 13e siècle pour se développer
seulement au siècle suivant lorsque le temps fort de figuration du Sein
Abraham achève et fait place un progressif déclin Sans conclure un
remplacement un thème par autre car leurs fonctions ne sont pas stricte
ment assimilables) on peut cependant avancer idée un relais objectif et
progressif de un par autre On donc affaire cette fois une équivalence
forte mais visuellement peu explicitée entre deux thèmes se succédant
chronologiquement
Par ailleurs étude hyperthématique doit prendre en compte les rela
tions entre les éléments considérés et ceux qui fonctionnent leur égard
dans un rapport opposition Dans le cas du Sein Abraham deux élé
ments antithétiques se présentent En tant que figuration paradisiaque le
Sein Abraham ne peut être compris sans considérer en regard les repré
sentations infernales autant que les échos formels soit avec la gueule
enfer soit avec la marmite où cuisent les damnés sont souvent très expli
cites fig expression une incorporation une inclusion dans une
forme suggérant une intériorité rassurante caractéristique du Sein Abra
ham prend plus de force encore elle est confrontée des images de
dévoration qui se fixent sur le seuil sur ouverture corporelle dans son
110 Fribourg en Brisgau cathédrale contrefort Sud fin 14e siècle Sur ce thème cf PER-
DRIZET La Vierge de miséricorde Paris 1908 SUSSMANN Maria mit dem Schutzmantel
dans Marburger Jahrbuch für Kunstwissenschaft 1929 pp 285-351
111 Psautier de Humphrey de Bohun Vienne BN ms 1826 141 Angleterre ca
1360-1375)
112 Psautier Munich StaatsbibL Cim 2641 plat de reliure Ratisbonne 1250 dans ce
Jugement dernier le manteau Abraham figuré en buste élargit vers le bas et recouvre les
élus On peut en faire une idée partir de la miniature de la figure ailleurs réalisée dans le
même milieu) en supprimant mentalement la moitié inférieure de image

127
IMAGES MEDIEVALES

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FIG
de

128
J.BASCHET INVENTIVITE ET SERIALITE

FIG 10 Soria Santo Domingo portail au tympan le Fils dans le Sein du Père
au centre de la seconde voussure les élus dans le Sein des Patriarches vers 1200)

129
IMAGES MEDIEVALES

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Decrétales Biblio
vaticane Vat lat
le Fils dans le Sein
première moitié du

FIG 12 Psautier de Humphrey de Bohun Vienne N. ms 1826 141 la


Vierge au Manteau protégeant les élus lors du Jugement dernier 1360-75)

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130
INVENTIVITE ET SERIALITE

le plus angoissant
part on peut éta
lien structural
Sein Abraham
Abraham113
association révèle
faces de la figure
un côté
protecteur qui ras
avec bienveillance
contre lui
le père terrible
la cruauté de
divine et prêt
la gorge de son
cette évoca
de la figure
on remarquera
de cette mise
est par
du sacrifice
devient défi
père une
Illustration non autorisée à la diffusion Gn 22) est-
dans la relecture
père de tous
il est précisé
réunir au
dans son sein
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antithèmes

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de

131
IMAGES MEDIEVALES

ou plus largement les relations opposition qui donnent leur plein relief aux
motifs étudiés114
Enfin au-delà des relations entre les thèmes pris deux deux analyse
de hyperthème peut tenter articuler ensemble de ces liens Sans
engager ici on indiquera que cette démarche permis de mieux cerner la
position la fois stratégique et ambiguë du Sein Abraham Admettons
dans les monothéismes une organisation selon deux axes un paternel
centré sur le sacrifice Père-Fils Abraham-Isaac) autre maternel glise)
définissant la communauté115 Il est remarquable que étude hyperthéma-
tique fasse apparaître le Sein Abraham travers ses liens avec la Paternité
divine et avec la Vierge au Manteau précisément intersection de ces
deux axes En effet Abraham est en position équivalence structurale tant
avec la Vierge- glise avec Dieu le Père On peut ainsi mieux rendre
compte de articulation de la fonction maternelle et de la fonction pater
nelle dans image du Sein Abraham placé la jonction de la conception
un Dieu-Père et une communauté-Mère
En dépit du caractère encore expérimental de la démarche évoquée on
peut dégager de cet exemple quelques indications générales abord on se
gardera de préjuger du degré de systématicité de hyperthème étudié
Celui-ci doit au contraire demeurer toujours en question du fait de la
complexité de chaque thème mise en évidence par analyse sérielle et de la
diversité des relations susceptibles unir les thèmes entre eux Ainsi on
pu faire apparaître des types de rapports de différentes natures transfert de
modèles formels possibilités de comparaisons partielles mais aidant saisir
la spécificité de chaque thème cohérences structurales soit par opposition
ou inversion soit par équivalence en distinguant coexistence et substitution
dans la chronologie) soit par un jeu complexe de rapprochements et
écarts Encore ces relations ne sont-elles le plus souvent que partielles
appliquant rarement la totalité des séries thématiques considérées Les
relations mises en évidence sont fluctuantes indécises et hétérogènes quant
leur nature et leur intensité tout comme les thèmes eux-mêmes notam
ment par leur poids quantitatif Ainsi il est possible de faire apparaître
dans un hyperthème certaines relations structurales on ne saurait dire du
moins priori que hyperthème lui-même constitue une structure Il agit
plutôt un réseau de relations complexes chacune devant être pensée dans
sa singularité Cependant en dégageant des connexions des glissements des
homologies et des écarts hyperthème apparaît comme un des cadres per
tinents de approche iconographique il permet de sortir du fractionnement
dominant de la recherche actuelle sans pour autant postuler une systémati
cité incompatible avec le fonctionnement des gammes sérielles

114 autres formes de relations antithétiques peuvent être analysées dans le cas Nativité
du Christ/Dormition de la Vierge qui se réfère également au paradigme de sinus) il agit plu
tôt un effet de chiasme cf supra note 103)
115 Voir les remarques de ROSOLATO La communauté constituée en tant que fonction
maternelle dans Pour une psychanalyse exploratrice dans la culture Paris 1993 pp 287-301

132
BASCHET INVENTIVITE ET SERIALITE

Les études iconographiques au sens défini ici ont de beaux jours devant
elles approche des hyperthèmes peut ouvrir des perspectives nouvelles
celle des motifs est presque sans limite la mesure de élargissement du
questionnement des disciplines historiques Même dans le domaine des
thèmes iconographiques pourtant plus traditionnel beaucoup reste faire
et on est surpris du nombre considérable de thèmes qui ont pas fait objet
une étude satisfaisante Ainsi le renouvellement des problématiques et
des méthodes découvre pour approche iconographique un champ
immense explorer
On veut pour finir insister de nouveau sur la nécessité articuler
inventivité et la sérialité des images médiévales Rappelons abord que
plusieurs types de séries doivent être associés puisque chaque image se
trouve la jonction de la série-réseau que forme uvre où elle apparaît et
une ou plusieurs série-corpus thématique voire aussi un hyperthème
Centrée sur la notion de transformation approche sérielle procède ana
lyse de gammes figuratives incluant régularités des types principaux combi-
natoire des variantes liberté exploratoire du champ de possibilités
radicalité des images-limites Elle conduit ainsi une redistribution articulée
des différents types images tout en liant approche structurale des uvres
singulières et des réseaux et approche historique La reconnaissance de
inventivité et de la liberté des images dans les limites assignées ce
terme donne un sens approche historique celle-ci de portée
condition de reconnaître que les images sont un lieu spécifique de mise en
jeu des rapports sociaux et expérimentation des représentations du monde
De plus par exploration systématique des thèmes mise en évidence par
approche sérielle elles révèlent certains aspects énoncés fondamentaux
qui ailleurs apparaissent sous autres angles et sous autres lumières
approche sérielle est indispensable pour faire apparaître épaisseur histo
rique et la complexité des phénomènes dès lors on la con oit non
comme le repérage de types fixes dans un corpus homogène mais comme la
production de gammes de variations au sein environnements complexes et
mouvants approche sérielle permet alors articuler le régulier et le fulgu
rant le singulier et le général inventivité et la traditionnalité est dans
cette perspective croit-on que iconographique peut contribuer une
approche historique mais problématiquement historique des images
médiévales
Jérôme BASCHET
CRH-EHESS

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