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Collection U • Géographie

Avant-propos

Introduction

Partie 1 - L'érosion : versants, cours d'eau, aplanissement

Chapitre 1 - L'érosion sur les versants


1. L'altération sur place

2. Le mouvement des débris sur les versants

3. Le profil des versants

Chapitre 2 - Principaux types de bassins fluviaux, principaux types de cours d'eau


1. Principaux types de bassins fluviaux

2. Principaux types de cours d'eau

3. La forme des lits

4. Les méandres

Chapitre 3 - La puissance et la charge des cours d'eau, le profil d'équilibre


1. La charge des cours d'eau

2. La puissance brute et la puissance nette

3. La pente d'équilibre en chaque point

4. La modification de la pente par creusement et remblaiement

5. Le profil d'équilibre, le niveau de base

Chapitre 4 - L'évolution des réseaux fluviaux, le cycle d'érosion


1. Capture et déversement

2. La hiérarchisation du réseau

3. Stabilité et instabilité : le schéma du cycle d'érosion

4. La pénéplaine

5. Les lacs

Chapitre 5 - Les successions de cycles d'érosion et les reliefs acycliques


1. Quelques exemples d'évolution générale

2. Les notions d'aggradation et de regradation


3. Les terrasses alluviales

Partie 2 - Géographie structurale


Chapitre 6 - Introduction
1. Roche, minéral, sol

2. Classification et âge des roches

Chapitre 7 - Roches sédimentaires I : Roches à grains


1. Quelques définitions

2. Roches à grains non cimentés

3. Roches à grains cimentés

Chapitre 8 - Roches sédimentaires II : Les calcaires


1. Composition et propriétés

2. Les calcaires non karstiques

3. Les calcaires karstiques

Chapitre 9 - Les roches cristallines


1. Les roches cristallines plutoniques

2. Les roches cristallophylliennes

3. Association, sur le terrain, des roches plutoniques et cristallophylliennes

4. Traits généraux du modelé des roches cristallines

5. Différences dans le modelé des roches cristallines

Chapitre 10 - Les roches volcaniques, les reliefs volcaniques


1. Les roches volcaniques

2. Les quatre types classiques d'activité volcanique selon Lacroix

3. Une classification à complexifier

4. Les reliefs volcaniques élémentaires

5. Les facteurs de complexité dans les reliefs volcaniques : érosion, destruction violente, emboîtements

6. Quelques grands types de volcans complexes

Chapitre 11 - Constitution de l'écorce terrestre,


1. Noyau, manteau, écorce

2. L'équilibre isostatique

3. La théorie de la dérive des continents et la théorie des plaques

4. Les chaînes de plissement

5. Définition de quelques éléments de structures plissées

6. Une chaîne devient un socle

7. Les bassins sédimentaires

8. Un type d'accident commun aux chaînes, aux socles et aux bassins sédimentaires : la cassure

Chapitre 12 - Reliefs donnés par quelques structures simples


1. Couches concordantes non faillées : séries de résistance uniforme

2. Reliefs des bassins sédimentaires à couches de dureté différente horizontales ou inclinées

3. Les reliefs des plis simples

4. Évolution des reliefs de faille


Chapitre 13 - Reliefs donnés par quelques structures complexes
1. Structures discordantes

2. Adaptation et inadaptation des rivières au relief plissé

3. Principes de géomorphologie des socles

4. Types de contacts de massifs anciens avec leur bordure sédimentaire

Partie 3 - Géomorphologie climatique (ou zonale)

Chapitre 14 - Introduction Les climats du passé


1. Introduction

2. Les principaux climats anciens et les méthodes de leur détermination

3. Le quaternaire : Les glaciations

4. Le quaternaire : Le postglaciaire

Chapitre 15 - Le système d'érosion glaciaire


1. Les glaciers actuels

2. Les processus de l'érosion glaciaire

3. Les formes glaciaires

4. Les déformations glacio-isostatiques

5. Conclusion

Chapitre 16 - Le système d'érosion dit périglaciaire


1. Introduction

2. Les mécanismes en action dans le système périglaciaire

3. Le modelé

4. Conclusion

Chapitre 17 - Le système d'érosion de la forêt océanique


1. Régions peu pluvieuses et régions très pluvieuses

Chapitre 18 - Le système d'érosion des pays arides et semi-arides


1. Introduction

2. Les sols : enduits, croûtes, zones salines

3. Les agents de l'érosion

Chapitre 19 - Les systèmes d'érosion des pays intertropicaux


1. Introduction : le paysage de la forêt dense et le paysage de la savane

2. Altération ferrallitique et induration ferrugineuse

3. L'originalité de la morphologie de la forêt dense

4. L'originalité de la morphologie de la savane

Chapitre 20 - Un problème commun aux régions arides et aux savanes :


1. Les formes

2. Répartition zonale

3. Tentatives d'explication

4. Conclusion

Chapitre 21 - Le système anthropique


1. L'érosion du sol

2. Les constructions humaines, les effets induits

Partie 4 - Géomorphologie littorale

Chapitre 22 - L'érosion littorale


1. Les agents de l'érosion littorale

2. Les formes : falaise et plage

3. La régularisation du rivage par recul de la falaise et construction de plages

4. Les formes : estuaires, marais maritimes, deltas

5. Les formes : les constructions calcaires, les coraux

Chapitre 23 - Principaux types de côtes


1. Les côtes à rias

2. Les côtes à calanques

3. Les côtes d'origine glaciaire

4. Les côtes des plaines non glaciaires

5. Les côtes à directions structurales prépondérantes

6. Les côtes à falaises

Orientation bibliographique
© Armand Colin/Masson, Paris, 1969, 1996
© Armand Colin/HER, Paris, 2001
© Armand Colin, Paris, 2007, 2010
978-2-200-27134-3
Collection U • Géographie
Illustration de couverture : Dunes de sable, Death Valley, Californie, États-
Unis © Rudy Sulgan / Corbis

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sent ouvrage, faite sans l’autorisation de l’éditeur, est illicite et constitue une
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tive et, d’autre part, les courtes citations justifiées par le caractère scientifique
ou d’information de l’œuvre dans laquelle elles sont incorporées (art. L. 122-
4, L. 122-5 et L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle).
ARMAND COLIN ÉDITEUR • 21, RUE DU MONTPARNASSE • 75006
PARIS
Avant-propos
COMME TOUTES LES SCIENCES, la géomorphologie évolue. On assiste à une
rénovation des instruments et des méthodes. La télédétection à l'aide d'images
prises de satellites permet de lever des cartes sans l'aide de la traditionnelle et
fastidieuse triangulation du terrain au sol. Elle fournit un système de repérage
immédiat de tous points : c'est le GPS (Global Positioning System, global
signifiant mondial). Elle apprécie les différences minimes d'altitude dans le
temps, ce qui est précieux pour l'estimation des mouvements tectoniques. Les
sondages sous-marins et les explorations par des engins submersibles automa‐
tisés ont accompli de grands progrès.
La datation des roches en âge absolu s'est introduite avant le milieu du XX e

siècle et a progressé sans cesse depuis. On sait de mieux en mieux utiliser les
corps radioactifs : ainsi le béryllium de masse atomique 10 à côté du carbone
14 ; les traces des fissions spontanées des noyaux d'uranium 238 et leur raré‐
faction progressive au-dessus de 60 degrés Celsius, utilisées dans un cristal
comme l'apatite permettent de connaître les températures passées subies par
les roches au cours de leur histoire géologique, donc, en raison de la gradation
géothermique, l'étage crustal où elles se sont trouvées.
En ce qui concerne les méthodes de pensée, une des plus prisées depuis la
fin du XX siècle est la modélisation. Elle commence par l'établissement d'un
e

système d'information géographique (SIG) qui n'est guère, en fait, que la


superposition de cartes thématiques de même échelle. On passe aussi à l'éta‐
blissement d'un modèle numérique de terrain (MNT) qui formularise les
agents en présence et leurs interactions possibles. La complexité de la nature
est telle qu'on ne peut approcher de la vérité qu'en jouant sur un modèle com‐
prenant des éléments sophistiqués. Les non-géomorphologues pourvus d'un
esprit mathématico-informatique peuvent ainsi pénétrer dans le monde de l'ex‐
pertise, où ils introduisent leurs modes d'interprétation ou de construction de
la réalité. Par ailleurs, beaucoup de géographes font de la modélisation sans le
savoir, comme M. Jourdain faisait de la prose.
Il faut être en garde contre les engouements successifs que la géomorpholo‐
gie a subis et tout aussi prudent contre leur rejet hâtif. Vers la fin du XIX
e
siècle, s'est répandue la recherche des surfaces d'érosion cycliques (chapitre
4.3). La théorie qui invoquait leur existence a été critiquée au milieu du XX e

siècle, et on est peut-être passé d'un extrême à l'autre. C'est alors qu'on a
donné la prééminence à la géomorphologie climatique (troisième partie), et on
a passé beaucoup de temps à la granulométrie des sables et à la morphoscopie
des galets. Dans les dernières années du XX siècle, on a minimisé l'importance
e

de la géomorphologie climatique. Il s'agira de raison garder et de donner à


chaque objet et à chaque méthode d'étude la place qu'ils méritent.
Il paraît nécessaire de connaître la vitesse de l'ablation que les agents d'éro‐
sion font subir au relief. De nombreux géographes ont entrepris des mesures,
en évaluant soit l'évacuation annuelle, jusqu'à la mer, de la charge solide ou
dissoute apportée par chaque fleuve, soit le transport de débris du haut au bas
d'une aire limitée (une parcelle en végétation naturelle ou en exploitation agri‐
cole). Les difficultés sont nombreuses, l'une des plus apparentes étant l'exis‐
tence de « voies de garage » des matériaux transférés : l'accumulation, pour un
temps indéterminé, de tel dépôt alluvial ou de tel stock de débris immobilisé
en bas de pente.
Quelle que soit l'indécision des mesures, on devra distinguer les transforma‐
tions rapides et les transformations lentes de la surface de la Terre, l'homme
ayant plus de prise sur les premières et surtout leur étant plus exposé. L'étude
des risques, parfois appelée la « cindynique » (du grec kindunos κινδυνος,
danger) est particulièrement susceptible d'applications. L'étude des transfor‐
mations lentes, celles qui datent du passé lointain et qui permettent de com‐
prendre les paysages où nous vivons, est plus désintéressée et d'autant moins
négligeable qu'elle est objet de culture.
Parmi les reliefs les plus mobiles et les plus dangereux, on classera les vol‐
cans, les espaces voués aux tremblements de terre, les versants instables sujets
aux glissements de terrain, les formes d'accumulation littorale, celles de la
morphologie fluviatile : berges, plaines d'inondation, défluviations rapides,
cônes de déjection, l'érosion accélérée du sol agricole. Perceptible par nos
sens, encore que moins spectaculaire, est l'action du gel sur les roches et sur‐
tout sur les crêtes de haute montagne. Bien entendu, la pénéplaine, qui
demande pour s'établir plusieurs millions d'années, est à l'autre bout de
l'échelle de la mobilité.
Enfin, parmi les agents d'érosion, il en est un dont on n'a pas le droit de
négliger le rôle : l'homme lui-même. Nous lui consacrerons un chapitre : « le
système anthropique » (chapitre 21).
Introduction
L'ÉTUDE DES FORMES du relief terrestre doit distinguer les terres immergées
(fonds des mers et des lacs) et les terres émergées, c'est-à-dire le relief subaé‐
rien (figure 1). Le contact des unes et des autres, le littoral, est un domaine
particulier. On n'étudiera dans cet ouvrage que les terres émergées et le litto‐
ral. On n'oubliera cependant pas que le moteur de la formation des continents
et des montagnes se trouve sous les océans (chapitre 21.3).

Figure 1 Profil montrant les trois domaines de la


géomorphologie

1. Talwegs et interfluves

La topographie des espaces émergés se divise en général en deux éléments,


les talwegs et les interfluves. On appelle talweg la ligne unissant les points bas
d'une vallée. Le lit de la rivière, si l'on fait abstraction de sa largeur et si on le
considère comme une ligne, à la manière de sa représentation sur les cartes,
suit le talweg. S'il n'y a pas de cours d'eau permanent, comme c'est le cas dans
les déserts ou dans un vallon de fond perméable, le talweg n'en existe pas
moins. Seules exceptions, les topographies présentant des dépressions fer‐
mées, comme dans certaines régions calcaires ou entre des dunes, ou encore
des topographies à peu près planes, par ailleurs assez rares.
L'espace entre deux talwegs s'appelle l'interfluve. L'interfluve comprend lui-
même un sommet et deux versants. Le sommet d'un interfluve peut être assi‐
milé à une ligne, celle du partage des eaux, et qu'on appelle parfois ligne de
crête mais ce terme a l'inconvénient de créer une confusion, le mot crête étant
réservé, en géomorphologie, à une ligne de sommet acérée et rocheuse. La
ligne des sommets est, plus souvent, une succession de croupes séparées par
des cols ou des ensellements cols évasés à la manière de l'emplacement de la
selle sur le dos d'un animal (figures 2 et 3).

Figure 2 Interfluves, talwegs


Représentation cartographique en courbes de niveau. En tireté,
les lignes de partage (dites parfois de crête), sommets d'inter‐
fluves : chaque talweg est représenté par l'indication tn t' . Les tal‐
n

wegs t t' et t t' sont drainés par un cours d'eau principal, coulant
1 1 9 9
dans le sens de la flèche, les talwegs t t' , t t' , t t' , t t' par un
3 3 4 4 6 6 8 8

cours d'eau secondaire affluent d'un cours d'eau principal. Les tal‐
wegs t t' , t t' , t t' n'ont pas de cours d'eau : ce sont des fonds de
2 2 5 5 7 7

vallon sec. Remarquer le col entre t et t , entre t et t : il constitue


4 6 5 7

un ensellement de la ligne de partage.

Figure 3 Profil montrant des talwegs et des


interfluves
L'interfluve de gauche comprend deux versants de vallée, sépa‐
rés par une ligne de partage. Celui de droite est un peu aberrant :
il comprend, en plus, une zone de plateau, de sorte que la ligne de
partage est en fait toute une « surface » de partage (par exemple la
Beauce entre la Seine et la Loire).

2. Érosion, lithologie, structure

Le modelé en talwegs et interfluves est le résultat du travail de l'érosion, et


non une disposition préétablie, comme le croyait Bernardin de Saint-Pierre
pour qui la providence divine avait disposé les vallées pour la facilité de
l'écoulement des eaux. Bien entendu, le travail des agents d'érosion n'a pas
commencé sur une surface plane, puisque les forces qui ont soulevé ou plissé
la surface terrestre (on les appelle forces tectoniques, c'est-à-dire architectu‐
rales, car, comme un architecte, elles ont édifié le relief) ont créé des hauts et
des bas. L'érosion aménage les reliefs créés par la tectonique.
Cet aménagement tient compte de la nature des roches, c'est-à-dire de la
lithologie (du grec lithos, λιθος, pierre). En effet, l'érosion met au jour, par
exemple sur les flancs des vallées dues à l'enfoncement progressif des cours
d'eau, telle roche résistante, qu'elle ne tarde pas à mettre en saillie (figure 4).
La tectonique a édifié des reliefs avec des matériaux divers qui peuvent être
tendres ou résistants ; l'érosion tend à détruire ces reliefs, mais elle le fait
inégalement plus rapidement dans les roches tendres. On dit que son travail
est différentiel, c'est-à-dire différent suivant la résistance des roches. Le
modelé qu'elle crée, et qu'on compare à celui que fait naître le sculpteur (d'où
le terme de glyptogénèse parfois employé comme synonyme de morphogé‐
nèse, dans le sens d'étude de l'origine des formes du relief) exprime une inter‐
dépendance entre l'œuvre de l'érosion, le rôle des forces tectoniques et la
nature des matériaux. C'est ce que va montrer l'examen de quelques exemples.

Figure 4 Coupe transversale d'une vallée mon‐


trant le rôle de la lithologie
Les roches dures (calcaire, lave volcanique) se traduisent par
des saillants dans le sens horizontal (calcaire) ou vertical (chemi‐
née de lave) suivant la disposition des roches, c'est-à-dire suivant
la structure. Interdépendance entre le travail de l'érosion et la
nature des matériaux.

2.1. Observation d'un talweg

Le profil du talweg en long est régulier ou non. On dit qu'il est régulier si la
variation de la pente est progressive ou si la pente est constante sur des sec‐
tions entières, même si les roches traversées sont différentes. C'est donc que le
travail de l'érosion a eu raison des différences de résistance (figure 5B).
Figure 5 Profils en long réguliers et profils en
long irréguliers de talwegs
Si le profil en long du talweg est irrégulier, c'est qu'il présente des ruptures
de pente, c'est-à-dire que la pente diminue ou augmente brusquement. Les
ruptures de pente peuvent coïncider avec le passage d'une roche à l'autre
(figure 5C), mais elles peuvent aussi être indépendantes de la nature des
roches (figure 5D). Autrement dit, certaines ruptures de pente sont d'origine
lithologique, mais d'autres ont une origine différente. Par exemple, une rup‐
ture de pente peut correspondre à un point où se fait sentir une reprise d'éro‐
sion, peut-être parce qu'un mouvement du sol, plus en aval, a augmenté la
pente de la rivière.

2.2. Observation d'un versant

Le versant peut être régulier et cela, soit dans des roches différentes entre le
haut et le bas, soit dans des roches semblables. Il peut aussi être irrégulier et
les irrégularités peuvent correspondre ou non à des inégalités de résistance des
roches.
L'exemple de versants réguliers est offert par beaucoup de paysages de nos
pays, par exemple par les versants crayeux de la Champagne. Les versants
irréguliers ne sont pas moins rares ; le cas se présente quand un replat coupe la
pente : ce replat peut être un ancien lit fluvial mis en relief par le recreusement
récent du talweg (figure 6) ; il peut être dû à l'affleurement d'un pan de roche
dure : grès, calcaire, basalte. Dans les deux cas profil de versant ou profil de
talweg la lithologie peut donc s'exprimer dans le relief, mais elle peut aussi ne
pas avoir de rôle ; inversement, en l'absence de différences lithologiques, des
inégalités de relief peuvent apparaître. On saisit par là les principes de l'ana‐
lyse géomorphologique. Il s'agit de déceler dans les reliefs le rôle des couches
géologiques (lithologie) et leur disposition : ces couches peuvent être inclinées
ou horizontales ; elles peuvent aussi être ondulées. Mais l'analyse doit égale‐
ment mettre évidence le rôle des agents indépendants de toute structure. L'éro‐
sion a-t-elle beaucoup travaillé ? Est-elle arrivée à effacer les influences litho‐
logiques ?

Figure 6 Exemple de replat sur un versant


Témoin d'une époque où le cours d'eau coulait au niveau 1, un
ancien lit fluvial en partie disparu (en tireté), en partie subsistant,
forme une rupture de pente car il a été mis en relief par le recreu‐
sement du cours d'eau jusqu'au niveau 2.
D'où l'étude séparée de deux grandes familles d'agents. On appelle structure
la nature des roches et leur disposition, de sorte que la notion de structure
inclut celle de lithologie, mais comporte un autre élément qui est dû à la tecto‐
nique (les différentes inclinaisons des couches, les cassures, les plis, etc.). La
géomorphologie structurale est une des grandes parties de l'étude du modelé.
Une autre famille d'agents concerne ceux qui sculptent le relief en tendant
plus ou moins à le détruire. Il s'agit des différents agents de l'érosion : eau
courante, vent, glaciers, etc. Leur étude est l'objet de la morphologie d'érosion.
La morphologie d'érosion n'étudie pas seulement les formes banales telles
qu'un ravin torrentiel, mais aussi le degré d'évolution des formes, fonction de
l'avancement du travail de l'érosion. Elle étudie également les témoins d'an‐
ciennes formes d'érosion qu'une reprise du creusement tend actuellement à
détruire.
L'érosion ne doit pas être considérée comme une notion abstraite. Elle tra‐
vaille dans des conditions bioclimatiques très différentes suivant les cas. Dans
une forêt comme la forêt de chênes et de hêtres ou de sapins des pays tempé‐
rés, dans la forêt équatoriale, un tapis de feuilles mortes en voie de décompo‐
sition recouvre le sol et le protège. Le feuillage protège aussi contre l'impact
de la pluie, de sorte que le ruissellement n'est jamais très violent. Le vent n'a
pas davantage de prise sur le sol abrité par le couvert des arbres. On est donc
dans un domaine où, sur les versants du moins, les agents érosifs sont peu
spectaculaires : les principaux sont d'ordre chimique, tels que l'attaque du sol
par l'humidité quasi permanente qui agit sous le manteau de feuilles en cours
de décomposition.
Au contraire, dans un pays semi-aride où la végétation est rare, réduite à
quelques touffes éparses, mais où se produisent des pluies soudaines, le sol
n'est pas protégé contre les effets du ruissellement. Une torrentialité très forte
s'exerce. Le vent peut enlever les débris meubles et les projeter à l'assaut des
rochers. On a là un système beaucoup plus violent que celui des forêts.
De cette comparaison, concluons à l'existence de plusieurs systèmes d'éro‐
sion bioclimatiques. Il y a tout un complexe d'agents à l'œuvre sous la forêt
équatoriale ; d'autres sont à l'œuvre dans le désert absolu, d'autres dans les
régions où le gel est vif et fréquent, d'autres sous les glaciers des pays arc‐
tiques et antarctiques. L'étude des lois générales de l'érosion doit donc être
complétée par celle des différents systèmes d'érosion bioclimatiques.
Le plan de cet ouvrage est donc tracé. Une première partie étudiera les
grandes lignes de l'érosion supposée agir dans des roches homogènes, d'une
part sur les versants, d'autre part dans les cours d'eau. Connaissant les lois de
l'érosion, il sera possible, dans une seconde partie, de s'attaquer à la géomor‐
phologie structurale, ce qu'on ne pourrait pas faire si l'on n'avait pas d'abord
étudié comment l'érosion dégage tel rebord de couche, telle fracture. Une troi‐
sième partie étudiera la géomorphologie climatique, c'est-à-dire les différents
systèmes d'érosion bioclimatiques. Cette étude reposera à la fois sur celle
d'agents d'érosion propres à chaque climat et sur le comportement des diffé‐
rentes roches tel que nous l'aura enseigné la géomorphologie structurale.
Si la recherche d'une clarté cartésienne nous conduit à diviser la géomor‐
phologie en parties, il n'en est pas moins évident que chaque portion de
l'écorce terrestre forme un tout où s'exercent à la fois telle loi de l'hydraulique,
tel aspect de la pesanteur sur les matériaux des versants, telle action du gel ou
de la haute température, telle disposition des couches. Quelles que soient les
commodités de la division dans les exposés qui vont suivre, on ne devra pas
perdre de vue que la géomorphologie est une science synthétique.

Photographie 1 Érosion des agents géomorpho‐


logiques sur l'interfluve. Gorge du Guadalhorce,
Andalousie, Espagne
L'érosion est aréolaire, en particulier dans les vasques où
séjourne l'eau de pluie.

Photographie 2 Action de la rivière dans le tal‐


weg. Granit de Galice, Espagne
L'érosion est linéaire.
Photographie 3 Le mouvement des débris sur un
versant
Les débris de roche gélivée (partie inférieure de la figure) sont
entraînés vers le bas du versant (sur la droite) par la descente du
sol qui « rampe » sur la pente en « fauchant » les couches (cliché
de l'expédition polonaise au Spitsberg, 1957, communiqué par J.
Dylik).
Partie 1

L'érosion : versants, cours d'eau, aplanisse‐


ment
Chapitre 1

L'érosion sur les versants


LE MODELÉ TERRESTRE OPPOSANT, comme on l'a vu, des versants et des tal‐
wegs, on étudiera d'abord ce qui se passe sur les premiers ; connaissant les
débris qui s'y forment et qui descendent vers les talwegs, on pourra ensuite
essayer de comprendre comment évoluent les cours d'eau. Néanmoins, il est
bien évident que l'allure d'un versant dépend du plus ou moins grand creuse‐
ment du cours d'eau qui coule à ses pieds, tout comme le travail du cours d'eau
dépend de la masse des matériaux que lui livre le versant. C'est en pensant à
cette interdépendance qu'on analysera séparément l'érosion sur les versants et
l'érosion fluviale.

1. L'altération sur place

Supposons une portion de roches affleurant à l'air libre sur un versant. Elle
n'est pas inaltérable et subit l'action des intempéries. Il s'agit donc de l'altéra‐
tion sur place par opposition à l'érosion qui transporte. Cette altération sur
place n'est pas désignée en France par un mot commode. On peut imiter les
langues étrangères qui la désignent, comme c'est le cas du portugais, par le
terme de météorisation.
L'altération sur place peut se présenter de trois façons : elle peut être méca‐
nique ; elle peut se faire par dissolution dans l'eau ; elle peut enfin être une
altération chimique.

1.1. L'action mécanique

L'action mécanique s'appelle la désagrégation. Elle est facilitée par la struc‐


ture même de la roche qui est tantôt composée de grains, comme le granit, tan‐
tôt plus homogène mais fendillée comme le calcaire. Chaque roche a un com‐
portement particulier devant les agents de désagrégation : le granit s'émiette,
le basalte donne des blocs.
Cette action mécanique est due aux variations de température qui dilatent
et contractent la roche et peuvent la faire éclater, mais ces différences ther‐
miques sont peu sensibles tant que les températures restent au-dessus de zéro :
c'est le gel qui est le principal agent de désagrégation. On appelle gélivation
(mieux que l'anglicisme gélifraction) ou cryoclastie cette action du gel sur les
roches.
On remarquera que, pour que l'action mécanique du gel soit efficace, il faut
que la roche soit imbibée d'eau ; c'est le gel de l'eau contenue dans les inter‐
stices des roches qui les font éclater.
Certains organismes vivants, comme les racines qui s'accroissent, peuvent
aussi agrandir les fentes des roches et disloquer des blocs.

1.2. La dissolution

La dissolution est très inégale suivant les matériaux. On peut classer les
substances chimiques, suivant leurs aptitudes à être dissoutes, des plus
solubles aux moins solubles : le chlorure de sodium, le calcium, la plupart des
bases, la silice, l'alumine. Pour que la dissolution puisse agir, il faut que l'eau
puisse être en contact avec les parcelles de roches : il faut donc que les roches
soient poreuses. Il faut aussi, dans certains cas, que l'eau soit chargée de gaz
carbonique, condition nécessaire pour l'attaque des calcaires.
L'eau se charge parfois de molécules isolées et forme ainsi des solutions
vraies ; mais, plus souvent, les corps solides forment dans l'eau de petits agré‐
gats constitués de plusieurs molécules. Dans ce cas, on dit qu'on a affaire à
une solution colloïdale, c'est-à-dire capable de former colle.
L'eau qui s'infiltre dans la roche et qui s'est chargée de molécules, isolées
ou groupées, constitue ce qu'on appelle le complexe d'altération. Ce complexe
tend à s'infiltrer par pesanteur mais, il reste soumis à des actions qui peuvent
le faire remonter à la surface, l'évaporation par exemple. On appelle lessivage
l'entraînement vers le bas des particules prises en charge dans le complexe
d'altération ; ces particules sont généralement enlevées à la surface et des‐
cendent à quelques décimètres de profondeur ; elles peuvent aussi descendre
plus profondément et gagner, à travers la roche, la nappe d'eau que l'on
appelle nappe phréatique du grec phrear (φρέαρ), puits, car il s'agit de la
nappe qui affleure au fond des puits. Cette nappe alimente aussi les sources.
On appelle lessivage oblique l'évacuation des matériaux dissous empruntés à
la roche et enlevés au versant par l'intermédiaire des sources.

1.3. L'altération chimique

L'altération chimique se fait très rarement à sec, mais en général par l'inter‐
médiaire de l'eau.
Elle s'effectue soit directement sur les parois rocheuses soit, plus souvent,
sur des fragments de roche désagrégée. Suivant le processus de l'attaque par
les ions de l'eau, les molécules de la roche sont transformées. Il se constitue
ainsi principalement des oxydes et des argiles. Exemple d'un oxyde : la limo‐
nite qui colore en jaune beaucoup de nos sols et qui n'est autre que la rouille.
C'est un oxyde de fer très hydraté. Les argiles sont des molécules de forme
aplatie qui glissent les unes sur les autres et qui peuvent s'imbiber d'eau
puisque, entre leurs feuillets, il existe des espaces libres. Cette mobilité des
feuillets séparés par l'eau explique la plasticité des argiles (on peut les mode‐
ler).

1.4. Le résultat, formation d'un sol

Une roche qui a subi une fragmentation mécanique mais surtout une attaque
par l'eau sous la forme de la dissolution et de l'altération, devient en général
plus meuble. Elle se recouvre d'un manteau de débris. Si ce manteau contient
assez d'éléments fins pour nourrir des végétaux, par l'intermédiaire des racines
qui s'y enfoncent, il devient un sol, au moins à sa partie superficielle.
Il importe donc de distinguer le sol et la roche. Le sol est le résultat de l'al‐
tération des roches au contact de l'atmosphère et c'est aussi le support de la
végétation qui le transforme à son tour, notamment par le lent pourrissement
des débris végétaux morts. La roche, au contraire, est une formation géolo‐
gique intacte, non encore attaquée. La roche peut être dure, comme le calcaire,
ou tendre, comme l'argile. Toute roche n'est donc pas un roc. Il existe même
des roches liquides, comme le pétrole.
La science des roches est la géologie, la science des sols, la pédologie.
Sur les versants, on a, dans quelques cas, affaire à des roches intactes, mais
plus souvent à des roches fragmentées, altérées, allant jusqu'à former de véri‐
tables sols ; ce sont les débris de la roche, résultat d'une simple fragmentation
mécanique ou d'une altération chimique poussée, que nous allons voir en mou‐
vement.

2. Le mouvement des débris sur les versants

2.1. La chute des éboulis

L'action mécanique qui s'exerce sur une pente forte conduit au détachement
immédiat de blocs et à leur chute sur la pente. Les blocs dévalent jusqu'à ce
qu'ils trouvent une pente faible située au pied de l'abrupt rocheux.
En s'accumulant les uns après les autres, ils forment un chaos qui peut se
disposer de la façon suivante :
• si les éboulis, en tombant, suivent un couloir, ils s'accumulent à son
extrémité aval, en formant un cône dont la pointe est située vers
l'amont ;
si les couloirs que suivent les éboulis sont proches les uns des autres ou
si la chute des blocs se fait sur toute une pente sans passer par des
couloirs d'érosion, il se forme un talus d'éboulis continu.
La pente des cônes d'éboulis et des talus dépend de la taille des matériaux,
de leur densité et de leur forme. Elle varie entre 27 et 37 degrés. On l'appelle
la pente du talus d'équilibre (figure 7).
Figure 7 Talus d'éboulis

2.2. L'éboulement

Au lieu de blocs détachés coup par coup, l'éboulement entraîne, par gravité,
à sec, en une seule fois, toute une masse, délimitée par une surface de rupture
dans la roche.

2.3. Les avalanches

Dans les pays montagneux fortement enneigés, la neige peut descendre bru‐
talement sur les pentes, accompagnée d'un « souffle » destructeur, en ava‐
lanche. L'avalanche suit des couloirs, qu'elle contribue d'ailleurs à façonner.
Une fois la neige fondue, les matériaux qu'elle a arrachés et transportés avec
elle constituent, à l'arrivée dans la vallée, des tas informes, formés à la fois de
pierres et de débris fins.

2.4. Le ruissellement diffus

Sur un versant, la pluie ruisselle en filets qui ne peuvent creuser les roches
non altérées mais qui transportent les éléments fins du sol.
Ce ruissellement ne se transforme pas habituellement en ravinement : il ne
le fait que si la roche est particulièrement affouillable et imperméable, comme
l'argile, et si le sol n'est pas recouvert par un manteau végétal. Il ne produit
donc pas couramment des talwegs mais il s'agit bien d'un processus de ver‐
sant : les filets contournent les moindres obstacles, s'anastomosent, finissent
par transporter peu à peu les débris du sommet vers la base.

2.5. La solifluxion, les glissements de terrain

Le terrain, non quand il s'agit d'une roche comme le granit ou le basalte,


mais quand on est en présence d'une argile ou d'un sol épais, est capable d'ab‐
sorber l'eau et peut perdre la consistance solide. Il peut, en effet, en absorbant
de l'eau, devenir plastique, c'est-à-dire qu'une poussée peut alors le rendre
mobile. Il peut même, s'il est particulièrement imbibé, se comporter comme un
véritable liquide. Dans tous ces cas, la masse qui se met en mouvement s'ar‐
rache plus ou moins nettement à la partie amont du versant (figure 8) et des‐
cend en formant une loupe ou même une véritable coulée boueuse constituée
de bourrelets successifs et de bossellements.

Figure 8 Glissement de terrain

CC' : cicatrice d'arrachement limitant à l'amont la masse en


mouvement.
De tels glissements peuvent donc soit former toute une série de petites
loupes sur les versants, soit constituer un grand ensemble nettement localisé et
pouvant entraîner une véritable catastrophe, par exemple si des habitations
sont construites sur le terrain qui se met en mouvement.
On emploie le mot de solifluxion pour désigner tout mouvement de maté‐
riaux rendus plastiques ou liquides. Il faut donc le réserver à des glissements
en masse soit du sol, soit aussi de la roche, comme ceux qui viennent d'être
mentionnés.
Si la surface de rupture est située à faible profondeur (glissements de sol et
non de sous-sol), on parle de glissement en plaque, ou en planche, par opposi‐
tion aux glissements en masse.

2.6. La reptation ou creeping

La reptation, ou creeping, n'est pas un mouvement de masse comme le glis‐


sement mais une descente grain à grain du manteau de débris. Bien entendu,
il n'affecte que les formations meubles (roches telles que les sables, sols). Il se
produit sur des pentes plus faibles que le talus d'équilibre car, si la pente
dépassait celle du talus d'équilibre, les débris s'ébouleraient. Un mouvement
peut paraître paradoxal sur une pente relativement faible et, cependant, la
croissance et la mort des racines, le travail des animaux fouisseurs, les chan‐
gements fréquents de volume dus aux variations de température et d'humidité,
enfin, facteur très important, le gel et le dégel du sol (c'est alors la gélirepta‐
tion), secouent imperceptiblement les débris et les font descendre avec des
vitesses, il est vrai, très faibles, de l'ordre du centimètre par siècle (figure 9,
carton). On peut mettre ce mouvement en évidence en constatant par exemple
que les poteaux plantés sur une pente tendent à s'incliner, ce qui explique par
le fait qu'ils sont en profondeur ancrés dans un terrain fixe mais que le sol
superficiel descend lentement comme s'il rampait d'où le terme de reptation.
Figure 9 Versant doux couvert d'un manteau de débris

En pointillé, le manteau de débris. En carton, schéma montrant


la recomposition de ce manteau au cours du mouvement de cree‐
ping qui se fait grain à grain. Remarquer les trois sections :
convexe, rectiligne, concave.
Le creeping est beaucoup plus rapide dans les pays où le gel est fréquent et
vif que dans les pays où il est rare ou nul. Il ne faut cependant pas confondre
la gélireptation avec la solifluxion qui a été signalée plus haut.

3. Le profil des versants

Nous savons déjà que certains versants ont un profil irrégulier et d'autres un
profil régulier. Sont irréguliers des versants sur lesquels affleurent plusieurs
couches rocheuses qui n'ont pas été encore ensevelies sous une couverture
d'éboulis ; sont irréguliers aussi des versants modelés en loupes de glissement.
Mais beaucoup de pentes sont au contraire lisses. En général, c'est qu'elles
sont recouvertes par un manteau de débris.
Ce manteau de débris peut être, à la partie aval, un chaos d'éboulis que la
végétation commence à fixer et, à la partie amont, une couverture mince due à
la fragmentation de la roche et à un début d'altération. On a alors des versants
lisses mais à pente forte comme c'est souvent le cas en montagne. Un tel ver‐
sant a une pente encore proche de celle du talus d'équilibre. On l'appelle ver‐
sant de Richter.
Toutefois la plupart des modelés nous montrent des versants recouverts d'un
sol et pourvus d'une pente beaucoup plus faible que celle du talus d'équilibre.
Ces versants doux révèlent que l'érosion a eu le temps de les modeler beau‐
coup plus que les versants de Richter. Ils sont convexes à leur partie supé‐
rieure, concaves à leur partie inférieure, de sorte qu'ils se raccordent progres‐
sivement avec le fond de la vallée ou avec le talweg. Entre le sommet convexe
et la base concave se place souvent un secteur en pente constante qui raccorde
la section amont et la section aval (figure 9).
Il est très difficile d'expliquer de tels profils. Bornons-nous à signaler qu'ils
sont dus à des déplacements lents de débris comme ceux que produisent le
ruissellement diffus, le creeping, le lessivage oblique. Suivant les roches, ils
varient quelque peu. Quand les débris produits par la roche sont perméables,
la convexité du sommet est très développée ; c'est le cas de la craie et du
sable. Au contraire, quand les débris produits sont imperméables comme sur
les versants argileux, la concavité basale l'emporte et le secteur rectiligne
médian tend assez souvent à se modeler en loupes de glissement qui altèrent
un peu la régularité. Le profil des versants varie aussi suivant les climats.
Nous verrons (chapitre 20) que des bases de versants très allongées, presque
planes, mais en pente longitudinale sensible, caractérisent les pays arides et
tropicaux. On appelle glacis ces plans inclinés de bas de versants.
On a dit que les versants convexes au sommet, concaves à la base, sont en
profil d'équilibre. On entend par là, non que leurs formes sont définitives,
mais qu'il ne se produit aucune déformation violente comme le serait un ébou‐
lement. Il y a équilibre entre la vitesse de formation des débris par fragmenta‐
tion de la roche sous le sol et la vitesse d'évacuation de ces débris. En effet, si
l'évacuation était plus rapide que la formation des débris, le versant se dénude‐
rait de son manteau, la roche apparaîtrait à vif et on n'au rait plus le tapis régu‐
lier. Au contraire, si l'évacuation était incapable de soutenir le rythme de pro‐
duction des débris, ceux-ci s'accumuleraient et noieraient le versant sous leur
masse. Le terme de profil d'équilibre signifie qu'il y a équilibre entre l'attaque
de la roche et sa protection par le sol qui la recouvre.
Chapitre 2

Principaux types de bassins fluviaux, principaux


types de cours d'eau
CONNAISSANT LE TRAVAIL DE L'ÉROSION sur les versants, il s'agit maintenant
d'étudier l'action des cours d'eau. Mais les cours d'eau ne sont pas des agents
isolés, ils s'organisent en bassins.

1. Principaux types de bassins fluviaux

Tous les bassins ne se ressemblent pas. Prenons quelques exemples ; les


affluents de rive gauche de la Garonne dans l'Armagnac nous montrent un
réseau formé de cours d'eau parallèles ou légèrement divergents, en éventail.
C'est là l'image d'un réseau élémentaire, non hiérarchisé puisqu'il n'y a, pour
ainsi dire, pas de distinction entre petits et grands cours d'eau et que tous se
trouvent égaux (figure 10). Au contraire, les affluents de rive droite de la
Seine offrent un dessin complexe avec de grandes rivières, comme la Marne
ou l'Oise, d'autres plus petites comme l'Aube, des sous-affluents enfin comme
l'Aisne ou la Vesle. Il y a toute une hiérarchie ; on dit parfois que le réseau est
dendritique, c'est-à-dire en forme d'arbre, avec branches maîtresses et
rameaux.
La densité des cours d'eau varie elle aussi. Rares dans des régions per‐
méables, comme les Causses, qui sont calcaires et où les eaux s'infiltrent en
profondeur, les cours d'eau forment au contraire un chevelu dans les régions
argileuses où le moindre ravin a son ruisseau.
Figure 10 Deux types de réseau fluvial

À gauche, les affluents de rive gauche de la Garonne dans l'Ar‐


magnac sont peu hiérarchisés. À droite, le réseau hiérarchisé des
affluents de rive droite de la Seine, jusqu'au confluent du fleuve et
de l'Oise.
Certains réseaux sont coupés de lacs et semblent de véritables pays-
éponges : c'est le cas du système hydraulique de la Finlande ou de l'Irlande ;
d'autres régions sont très pauvres en lacs.
La taille des bassins est elle-même très différente. Celui de l'Amazone a
plusieurs millions de kilomètres carrés. Au contraire, un continent étroit ou
une île a en général des bassins fluviaux plus petits : en Grande-Bretagne,
aucun bassin ne fait plus de 12 000 km , soit la surface de deux départements
2

français.
Il y a des régions sans aucun écoulement, comme les grandes étendues de
dunes du Sahara. On dit qu'elles sont aréiques. D'autres ont bien un ou des
cours d'eau mais leur émissaire n'arrive pas à la mer : il disparaît dans un lac
temporaire ou permanent, ainsi le Chari dans le lac Tchad. On dit que ces
régions sont endoréiques. D'autres régions, enfin, ont des bassins fluviaux qui
débouchent dans la mer comme c'est le cas de presque toute l'Europe ; ces
régions sont dites exoréiques.
Ces dernières différences proviennent en partie du relief, en partie du cli‐
mat. L'endoréisme est favorisé par des reliefs de cuvette. Mais il s'explique
tout autant par l'aridité du climat. En effet, supposons que, dans la région du
lac Tchad, les quantités d'eau tombées s'accroissent considéra blement et que
l'évaporation diminue en raison d'un rafraîchissement du climat. Le niveau du
lac Tchad va monter progressivement jusqu'à ce qu'il s'élève jusqu'au niveau
du point le plus bas du rebord de la cuvette : le lac se déversera alors vers un
cours d'eau permanent (un affluent du Niger) et la région sera conquise à
l'exoréisme. Ce cas est réalisé dans la région du lac Baïkal en Sibérie où la
tectonique a formé un grand effondrement mais sous un climat assez frais
pour que le niveau du lac maintienne un émissaire, l'Angara. Bien entendu, les
régions aréiques correspondent, quant à elles, à des déserts où il ne tombe que
très peu de précipitations et où l'évaporation est considérable.

2. Principaux types de cours d'eau

Les cours d'eau diffèrent par leur taille et par leur aspect. Prenons quelques
exemples : l'Amazone, qui a 6 000 km de longueur et roule en moyenne plus
de 150 000 m d'eau à la seconde, a 3 km de largeur en moyenne pour son lit
3

principal. Mais il faut encore ajouter des chenaux parallèles, des marécages
inondés pendant la moitié la plus humide de l'année. On a affaire non seule‐
ment à un grand cours d'eau mais à tout une zone amphibie qu'on appelle la
varzea.
La Seine est un fleuve plus modeste, long d'un peu plus de 700 km, large en
moyenne de moins de 100 mètres, et elle se divise parfois en deux bras enser‐
rant une île (comme à la Cité). Son débit moyen est 300 fois plus faible que
celui de l'Amazone.
La Durance, dans son cours inférieur, présente un lit composé de courants
anastomosés enserrant des bancs de graviers sur une largeur de plusieurs cen‐
taines de mètres (figure 11). Son débit est comparable à celui de la Seine.
Figure 11 Deux types de cours d'eau

Celui du haut présente généralement un lit unique (type Seine),


parfois divisé en deux par une île ; celui du bas est formé de che‐
naux anastomosés (ou en tresse) séparés par des bancs de gravier
(type Durance).
Tel petit ruisseau qui n'écoule que quelques litres à la seconde et saute de
pierre en pierre au fond d'un talweg, qui ne coule que sur quelques kilomètres,
représente l'exemple d'un cours d'eau en miniature. Mais il faut bien se dire
que de tels cours d'eau sont très nombreux.
Il arrive même que certains ruisseaux soient temporaires. On a montré que,
dans les vallées situées dans la région d'Étampes, c'est-à-dire à une cinquan‐
taine de kilomètres au sud de Paris, les cours d'eau ne coulent qu'après de
fortes pluies ou après des pluies même légères si le sol, gelé, empêche l'infil‐
tration. On n'est pourtant pas là dans une région de climat aride !
On remarquera que deux cours d'eau de débit comparable comme la Seine
et la Durance peuvent offrir des aspects très différents. Ces différences s'ex‐
pliquent par le climat, plus spasmodique dans la région méditerranéenne de la
Durance que dans le bassin de la Seine ; elles s'expliquent aussi par le relief.
La Durance, issue de montagnes élevées, a une pente plus forte, roule des
galets de grosse dimension pris à la montagne alors que la Seine ne charrie
guère que des sables et des troubles en suspension.
Suivant la roche qui constitue le fond du lit, on peut avoir affaire à une
sculpture dans la roche en place ou à un modelé dans les alluvions. Quand le
cours d'eau travaille dans la roche en place, il creuse des rainures et tour‐
billonne en creusant des cavités circulaires appelées marmites de géants.
Quand il modèle les alluvions, son lit est, au contraire, formé de bancs de
sable séparés par des chenaux.
Un même cours d'eau peut présenter une pente régulière de bout en bout
(c'est le cas de la Seine) ou faire alterner des biefs calmes et des sections de
rapides : ce dernier cas est celui de la plupart des fleuves africains (Niger,
Congo, Zambèze, Nil, etc.).

2.1. Le torrent

Il faut réserver une place spéciale à un type de cours d'eau : le torrent


(figure 12). Il s'agit d'un organisme court, à pente forte, travaillant dans une
région de terrain affouillable (argileuse en général) et sous un climat qui lui
donne un débit saccadé, des maigres alternant avec des crues soudaines. On
voit par cette définition, que le terme ne doit pas être appliqué à de grands
cours d'eau fougueux comme le Rhône car ce dernier a un débit relativement
régulier et ne travaille pas particulièrement en terrain affouillable.
La violence des actions de l'érosion sur les torrents fait de ces cours d'eau
de véritables laboratoires géomorphologiques car nous y voyons le relief se
modifier sous nos yeux. Le torrent se compose de deux ou trois parties. Les
deux parties constantes sont : 1. sa longue vallée linéaire de profil transversal
« en V », le canal d'écoulement ; et 2. une espèce d'éventail alluvial situé à
l'endroit où il débouche dans la vallée principale : le cône de déjection. La
troisième partie, occasionnelle, du torrent, est le bassin de réception : c'est la
zone où, par rassemblement des eaux de plusieurs ravins-affluents, tout à
l'amont, se forme le lit du torrent.
Figure 12 Les trois parties du torrent classique

Dans le bassin de réception et la partie supérieure du canal d'écoulement, le


torrent érode ; mais, dans le canal d'écoulement, on voit déjà s'accumuler des
blocs que d'ailleurs la crue suivante enlèvera : on a dit que ces matériaux
avaient le sort de wagons qui attendent le prochain train sur une voie de
garage. Sur le cône de déjection, le torrent dépose, car sa pente ayant été brus‐
quement ralentie et par conséquent la vitesse de l'eau brusquement freinée, le
cours d'eau n'a plus eu l'énergie nécessaire pour transporter les matériaux en
provenance du canal d'écoulement. Il a donc déposé ces matériaux et a ainsi
exhaussé son lit, d'où la forme de cône. L'exhaussement doit logiquement
croître jusqu'à donner à ce secteur aval une pente longitudinale égale à celle
du canal d'écoulement pour que les matériaux capables d'être transportés dans
le canal puissent l'être aussi sur le cône.
Mais, en s'exhaussant, le torrent domine les régions adjacentes et, à la
moindre crue, il va quitter son lit pour en occuper un autre dans une position
inférieure ; ce lit à son tour va s'exhausser, et le torrent en occupera un autre,
et ainsi de suite. Ainsi se forme le cône dont le sommet est au débouché du
canal d'écoulement dans la vallée maîtresse. Le torrent oscille sur le cône et
rend son voisinage d'autant plus dangereux que les villages recherchent le
cône pour sa fertilité. Parfois, on l'endigue, mais les crues peuvent crever la
digue et déterminer un autre lit ; le plus souvent, le cours est fixé non pas dans
l'axe du canal d'écoulement, mais suivant une génératrice latérale.
Les cônes peuvent repousser le cours d'eau principal contre le versant
opposé de la vallée ; ainsi, le Rhône valaisan sinue entre des cônes qui le
plaquent successivement sur la paroi droite, puis sur la paroi gauche de l'auge
dans laquelle il coule.
Le torrent permet de poser la plupart des problèmes relatifs à l'érosion flu‐
viale et de saisir quelques-uns des mécanismes du travail des cours d'eau :
problèmes de la prise en charge des matériaux que fournit l'érosion, des moda‐
lités du transport de ces matériaux et de leur dépôt. Comme le remarquait
Surell, ingénieur qui a publié en 1843 le premier grand ouvrage scientifique
sur les torrents, « les eaux assujetties à suivre d'abord le relief d'un terrain
inégal ont détruit, peu à peu, les irrégularités de la pente… Ici, elles ont rongé,
là, elles ont exhaussé… Le résultat de toutes ces actions a été de créer une
courbe de lit nouvelle qui convient mieux que le profil primitif du terrain à
l'écoulement des eaux ». Ainsi est approchée la notion de profil d'équilibre du
cours d'eau (chapitre 3, p. 37).

3. La forme des lits

3.1. Définitions
Le lit est l'espace qui peut être occupé par les eaux d'un cours d'eau. Mais
cette définition nécessairement vague appelle des précisions, parce qu'un
fleuve a plusieurs lits.
Le lit majeur, ou lit d'inondation, ou encore plaine d'inondation, est toute la
zone que le fleuve inonde et qu'il peut recouvrir des « alluvions modernes »
des cartes géologiques. Il est beaucoup plus large que le lit ordinaire.
Le lit ordinaire, ou, mieux, le lit apparent, est l'alvéole bien déterminé entre
des berges, occupé par des matériaux roulés par les eaux et peu masqués, à
l'inverse du lit majeur, par la végétation ou l'occupation humaine ; mais, en
temps ordinaire, tout ce lit « ordinaire » n'est pas toujours empli d'eau, puisque
des bancs de sable ou de gravier y apparaissent.
Le chenal d'étiage (on appelle étiage les basses eaux les plus marquées)
n'occupe souvent qu'une petite partie du lit apparent, surtout dans le cas de
rivières de régime irrégulier, comme la Loire ou les cours d'eau méditerra‐
néens. Ce chenal d'étiage n'est pas limité par des berges nettes. Même dans un
lit apparent rectiligne, il sinue à l'intérieur de ce lit apparent et va d'une berge
à l'autre. Il peut aussi se subdiviser en bras plus ou moins nombreux, comme
dans le cas de la Durance (figure 11).
N. B. : nous n'employons pas le terme de lit mineur, parce qu'il prête à
confusion, désignant tantôt le lit apparent, tantôt le chenal d'étiage.
La largeur la plus définissable est celle du lit apparent, encore qu'il faille
prendre garde aux divisions de ce lit en deux, là où est enserrée une île.

3.2. Les matériaux des lits

Les matériaux des lits peuvent être soit des roches en place, soit des maté‐
riaux transportés par le cours d'eau, c'est-à-dire des alluvions. Un cours d'eau
peut couler sur un lit alluvial sans que cela signifie qu'il exhausse son lit. Il est
normal, en effet, que les matériaux du fond du lit soient mobiles, déposés par
une crue, enlevés par une autre.
Les matériaux du lit apparent ou du lit majeur ont été usés par le transport.
Ils sont plus ou moins émoussés et, s'il s'agit de cailloux, ces cailloux sont
roulés ; ce sont des galets. Une analyse granulométrique permet de connaître
la taille de ces alluvions. Dans un même lit, voisinent des limons, des sables,
des galets ; ces derniers sont d'autant plus gros que le courant qui les a trans‐
portés était plus rapide.
Les parties les plus profondes de ce chenal sont situées dans ses courbes, au
pied des berges, tandis que les parties rectilignes qui traversent obliquement le
cours d'eau en allant d'une courbe à l'autre du chenal sont moins profondes.
Les parties profondes sont les mouilles ; les parties moins profondes, recti‐
lignes, obliques par rapport à l'axe du lit apparent, sont les seuils (figure 13).

Figure 13 Topographie d'un lit apparent avec chenal d'étiage

Représentation en plan, en courbes de niveau. La dénivellation


entre deux courbes consécutives (l'équidistance) est de 0,50 mètre.
Le zéro est le niveau de l'étiage, c'est-à-dire des très basses eaux.
En pointillé, sont figurées les parties du lit au-dessus de l'étiage.
La ligne de barbules indique les limites du lit apparent, au-delà
desquelles commence le lit majeur, ou d'inondation. La ligne inter‐
rompue est celle des plus grandes vitesses du courant.

4. Les méandres

Le chenal d'étiage d'une rivière décrit des sinuosités à l'intérieur du lit appa‐
rent, en particulier quand celui-ci est rectiligne. Mais le lit apparent peut aussi
présenter des sinuosités ; on n'appelle pas méandre toutes ces sinuosités, mais
on réserve le terme à un tracé qui s'écarte sans raison apparente de la direc‐
tion de l'écoulement pour y revenir après avoir décrit une courbe prononcée.
Le méandre est un trait fréquent des tracés fluviaux ; on en trouve sur des
rivières calmes comme la Seine, mais aussi sur des rivières rapides comme la
Meuse dans l'Ardenne.
On peut distinguer deux types de méandres :
• les méandres de vallée, appelés aussi méandres encaissés, cas réalisé
quand la vallée méandre comme la rivière, à la même échelle ;
les méandres de plaines alluviales, appelés aussi, mais à tort, méandres
libres ou méandres divagants, cas réalisé quand les sinuosités mar‐
quées de la rivière sont indépendantes du tracé de la vallée et à plus
petite échelle.
Les méandres de vallée sont aussi fréquents que ceux de la plaine alluviale.
Ceux de la Meuse ardennaise sont peut-être les plus classiques, tandis que
ceux du Mississipi ou du Danube hongrois sont de typiques méandres de
plaine alluviale.
Un méandre et même une sinuosité ont tendance à s'exagérer. En effet, le
courant principal est déporté du côté extérieur du méandre, c'est-à-dire qu'il
passe tout près de la rive concave (les termes de concave, convexe s'entendent
toujours comme si la rive était regardée du chenal d'écoulement). Dans une
série de méandres, le courant vient donc lécher successivement la rive droite
et la rive gauche, en décrivant des sinuosités plus grandes que l'axe du lit
apparent et en tendant à exagérer ces sinuosités puisque le lieu des plus
grandes vitesses est celui de l'érosion maxima (figure 14) ; la rive concave se
creuse donc de plus en plus, tandis que, sur la rive convexe, le courant, trop
lent pour sa charge, abandonne une partie de celle-ci et construit une grève. La
courbure s'accentue ainsi. Par ce processus, la rive concave devient abrupte,
tandis que la rive convexe, construite, est basse.
À force de s'accentuer, deux méandres voisins peuvent se recouper ; ce
recoupement peut se faire de deux façons différentes :
par débordement, quand, pendant une crue, toute la plaine est mondée et
que le courant garde après la crue le trajet rectiligne plus court plutôt
que de décrire le méandre (ce processus est évidemment impossible
dans le cas de méandres encaissés) ;
par tangence (on dit aussi par contact), quand l'exagération de la cour‐
bure réduit à néant le pédoncule (figures 15.4).
Figure 14 Exagération d'un méandre par creusement (figuré en
hachures) des rives concaves et alluvionnement (figuré en pointillé)
sur les rives convexes

Remarquer la tendance du méandre à migrer vers l'aval.


Une fois le recoupement réalisé, il reste de l'ancien méandre un bras mort
(figure 15, 5), comme ceux que l'on nomme oxbow (collier de bœuf) dans la
vallée du Mississipi. Le recoupement, mettant en contact deux points du cours
situés primitivement à une certaine distance, donc à des niveaux différents,
peut parfois produire une chute, qui se conserve quelque temps si la roche
encaissante est dure.
En même temps qu'ils s'exagèrent, les méandres migrent vers l'aval, parce
qu'il faut un certain temps pour que la ligne des plus grandes vitesses atteigne
son déplacement maximum vers la rive concave. Cette migration vers l'aval a
pour résultat de calibrer toute la vallée aux dimensions des méandres, transfor‐
mant des méandres de vallée en faux méandres de plaine alluviale (figure 15).
Elle a parfois une autre conséquence plus curieuse : une petite rivière peut être
capturée par un méandre migrant, comme la Sainte-Austreberte par la Seine
en aval de Rouen et le Grand Morin par la Marne à Esbly.
Il est très difficile de savoir pourquoi, sur un cours d'eau, telle section a des
méandres et telle autre n'en a pas ou pourquoi de deux cours d'eau, l'un
méandre et l'autre se réduit à un tracé presque rectiligne. Il est faux, en tout
cas, que le méandre soit la marque d'une impuissance de la rivière à couler.
Pour qu'une rivière décrive des méandres, il faut au contraire qu'elle ait une
puissance suffisante pour saper les roches de la berge : on comprend que cette
puissance suffisante n'ait pas besoin d'être aussi grande pour des méandres de
plaine alluviale comme ceux de la Meuse dans le Bassin parisien, que pour
des méandres encaissés comme ceux de la même Meuse dans l'Ardenne. Dans
le premier cas, la rivière ne sape que des alluvions meubles ; dans le second,
elle est obligée de s'en prendre à des roches encaissantes d'une grande résis‐
tance.

Figure 15 Évolution de méandres encaissés, par migration vers l'aval


et calibrage de la vallée, vers des formes de méandres de plaine allu‐
viale

En 1 et 2, on constate une accentuation des sinuosités. En 3, les


méandres se constituent (a, b, c, d, et c, d, e, f). En 4, recoupement
par tangence. La vallée est déjà calibrée. En 5, il ne reste qu'un
bras mort de l'ancien méandre c, d, e, f.
En règle générale, les rivières qui transportent surtout des matériaux fins, en
suspension, ont une aptitude à méandrer. Les rivières qui charrient surtout des
matériaux grossiers, sur le fond, ont plutôt des tracés rectilignes et des che‐
naux anastomosés. Au cours de l'histoire, une rivière peut passer de l'un à
l'autre type.
Il est inexact de penser que les méandres encaissés se sont formés avant le
creusement sur une surface plane et qu'ils se sont enfoncés tels quels pendant
le creusement. Tout méandre évolue constamment, les méandres encaissés
comme les autres ; une rivière rapide est parfaitement capable de les créer au
cours de son encaissement.
Chapitre 3

La puissance et la charge des cours d'eau, le profil


d'équilibre
LE TRAVAIL DU COURS D'EAU consiste à transporter des matériaux, à creuser, à
déposer. Il s'agit de savoir comment ces trois types d'action s'ordonnent sui‐
vant les points du lit et diffèrent suivant les cours d'eau.

1. La charge des cours d'eau

Tout cours d'eau, à un moment quelconque, transporte une certaine charge,


composée des troubles en suspension, de matériaux roulés sur le fond et de
matériaux alternativement roulés sur le fond et transportés entre deux eaux :
dans ce dernier cas, on parle de saltation.
La charge se définit, pour chaque mètre cube d'eau, par son poids total et
par son calibre. Tous les matériaux, dans un mètre cube d'eau pris au hasard,
n'ont pas le même calibre : il y a des limons, des sables et peut-être des galets,
voire des blocs.

2. La puissance brute et la puissance nette

À un moment quelconque, en un point quelconque de son cours, tout cours


d'eau a une certaine puissance. Cette puissance dépend de la masse d'eau,
c'est-à-dire du débit, et de la vitesse. La vitesse dépend elle-même de la pente
longitudinale du lit. Une partie de la puissance du cours d'eau est utilisée par
le transport de la charge c'est-à-dire des limons, sables, galets, transportés ;
une autre partie est utilisée par des frottements internes, ceux qui se pro‐
duisent entre les filets d'eau et tout particulièrement quand la rivière présente
des tourbillons. Si la puissance absorbée par le transport de la charge combi‐
née à la puissance absorbée par les frottements internes de l'eau, n'est pas suf‐
fisante pour épuiser toute la puissance du cours d'eau, le surplus disponible est
employé à l'érosion du lit : le cours d'eau a en effet assez de force pour creu‐
ser. On appelle la puissance totale la puissance brute ; on appelle puissante
nette celle qui reste quand on a défalqué de la puissance brute celle qu'ab‐
sorbent le transport de la charge et les frottements internes ; autrement dit, la
puissance nette est celle qui est utilisée à éroder.
Si la puissance brute est juste suffisante pour le transport et les frottements,
la puissance nette est nulle : le cours d'eau est incapable de creuser ; si la puis‐
sance brute n'est pas suffisante pour le transport et les frottements internes, le
cours d'eau non seulement ne peut pas creuser, mais il est obligé d'abandonner
une partie de sa charge : il dépose.

3. La pente d'équilibre en chaque point

Quand le cours d'eau ne creuse ni ne dépose, on dit qu'il est en état d'équi‐
libre ou qu'il coule sur une pente d'équilibre car il a la pente qui lui procure la
vitesse juste suffisante pour lui donner une puissance capable d'assurer trans‐
port et frottements internes.
Si le cours d'eau creuse en amont, comme il n'y a aucune raison pour qu'il
creuse aussi plus en aval, sa pente diminue entre l'endroit où il creuse et celui
dont l'altitude ne change pas, plus en aval. En diminuant sa pente, ce cours
d'eau diminue sa vitesse, donc sa puissance et il tend à cesser de creuser, à
trouver une pente d'équilibre. On peut faire le raisonnement correspondant
pour un cours d'eau qui dépose. En déposant dans son lit en un point, comme
il n'y a aucune raison qu'il dépose en aval, il tend à augmenter sa pente, donc
sa vitesse, et à devenir assez puissant au point considéré pour être capable de
transporter sa charge. Dans ce cas aussi, il retrouve une pente d'équilibre.
On voit que la pente d'équilibre n'est pas celle qui permet juste au cours
d'eau de couler mais bien celle qui permet au cours d'eau de couler et de trans‐
porter. La pente qui permettrait juste de couler serait vraiment infime : envi‐
ron 2 centimètres pour 1 000 kilomètres dans le cas d'un cours d'eau comme le
Rhin, ce qui lui donnerait une altitude de 2 centimètres à Bâle au lieu de 240
mètres ! Dans la nature, tous les cours d'eau ont une charge à véhiculer.
Bien entendu, la puissance et la charge varient à tout moment et surtout
entre les crues et les étiages. Quand on dit qu'un cours d'eau a, en un point,
une pente d'équilibre, on veut dire que c'est là son état moyen, et que la résul‐
tante de multiples actions de creusement et de remblaiement échelonnées au
cours de l'année est à peu près nulle. En fait, les cours d'eau travaillent surtout
en période de crue ; le travail des basses eaux et même des eaux moyennes est
bien peu de chose à côté de celui qui se produit lors des grands cataclysmes.

4. La modification de la pente par creusement et remblaiement

Nous avons déjà des exemples de cours d'eau creusant (le torrent dans son
bassin de réception) et de cours d'eau remblayant (le torrent sur son cône de
déjection) mais tous les cours d'eau, à des échelles diverses, creusent en tel
endroit, remblaient en tel autre, et régularisent leur cours. En effet, un cours
d'eau n'est pas libre de modifier son débit qui lui est donné par son bassin-ver‐
sant, lequel reçoit les pluies ; il n'est pas libre non plus de modifier instantané‐
ment sa charge mais il peut en revanche modifier sa pente en creusant ou
déposant, donc modifier sa vitesse pour retrouver l'équilibre dont nous avons
parlé.
Chaque section où s'effectue le creusement tend à remonter vers l'amont,
pour des raisons difficiles à expliquer ici. On dit que l'érosion est régressive.
On en a la preuve, par exemple dans le recul des grandes cascades, telles que
la chute du Niagara. Les ravinements qui se créent dans les champs lors d'un
orage et qui sont comme de petits cours d'eau expérimentaux tendent à se pro‐
pager vers le haut à l'orage suivant. Au changement d'échelle près, il en est de
même sur les fleuves et les rivières (figure 16).

Figure 16 Recul d'une rupture de pente par érosion régressive


Chaque cours d'eau creuse une gorge à partir de l'escarpement
initial EE'. La rupture de pente est parvenue sur les profils aux
points R , R .
1 2

5. Le profil d'équilibre, le niveau de base

L'aménagement du cours, section par section, par creusement des pentes


trop déclives et remblaiement de celles trop douces, donne au cours d'eau sa
pente d'équilibre. Un cours d'eau qui a en tout point la pente d'équilibre est dit
en profil d'équilibre (figure 17). Nous considérons le profil de la surface de
l'eau courante et non celui du fond de lit, qui présente de nombreuses contre-
pentes.

Figure 17 Régularisation d'un cours d'eau et établissement du profil


d'équilibre

1, 2, 3, 4 : profils successifs ; S , S , S , S4, positions successives


1 2 3

de la source. Le remblaiement est figuré en hachures.


Remarquer que la régularisation procède section par section,
que la source, de même que toutes les ruptures de pente, recule, et
que le profil d'équilibre a une forme concave vers le ciel. Les hau‐
teurs sont fortement exagérées par rapport aux longueurs (d'envi‐
ron 1 000 fois).
Un profil d'équilibre se présente, en gros, comme une courbe concave vers
le ciel ; en d'autres termes, la pente se réduit de l'amont en aval. Cette décrois‐
sance de la pente s'explique par le fait que le débit augmente vers l'aval et que
le calibre de la charge diminue par usure progressive des matériaux transpor‐
tés. Un débit élevé, pour transporter une charge donnée, s'accommode d'une
pente plus faible qu'un débit indigent ; à débit égal, des matériaux fins sont
transportés sur une pente plus faible que des matériaux grossiers.
On ne peut pas donner de formule mathématique strictement exacte de la
courbe du profil d'équilibre ; en effet, la pente d'équilibre dépend en chaque
point de conditions locales ; à chaque confluent se produit une brisure car si
un cours d'eau de faible débit et de très grande charge vient accroître la masse
à transporter, le cours d'eau est obligé d'augmenter sa pente en aval du
confluent au mépris de la règle générale d'une concavité d'ensemble de la
courbe ; si au contraire une rivière abondante et peu chargée conflue avec un
cours d'eau principal, celui-ci, en aval du confluent, établit une pente brusque‐
ment plus faible.
Il ne faut pas croire que la pente d'équilibre des fleuves tend à s'annuler
complètement au voisinage de la mer. En effet, il y a toujours une charge à
transporter, donc le fleuve doit garder une certaine pente. Mais le jeu des
marées dans les estuaires fausse les observations.
D'autre part, nous verrons que tous les cours d'eau ont vu leur secteur aval
envahi par la mer lors de la fonte des grands glaciers quaternaires il y a envi‐
ron 10 000 ans : leur pente est donc devenue très faible sur les cours inférieurs
et ils se sont mis à remblayer ; ils sont encore peut-être au-dessous de leur
profil d'équilibre dans ces secteurs aval.
S'il est vrai que le cours d'eau modifie son profil en long en tous ses points
et que l'altitude de tous ces points varie, il existe cependant un point singulier
au-dessous duquel le cours d'eau ne peut pas creuser : c'est, dans le cas d'un
fleuve, l'embouchure, le point où le fleuve aboutit au niveau de la mer. En
effet, si la surface du cours d'eau s'abaissait au-dessous de ce point, le courant
serait obligé de remonter vers l'aval, ce qui est absurde. Certes, certaines
mouilles peuvent descendre au-dessous du niveau de la mer mais la surface de
l'eau reste toujours à une altitude positive. S'il s'agit d'un petit cours d'eau, le
point au-dessous duquel il ne peut pas creuser est la confluence avec la rivière
dans laquelle il se jette.
On appelle niveau de base le niveau au-dessous duquel le cours d'eau ne
peut pas creuser. Dans le cas d'un petit cours d'eau, le niveau de base est donc
la confluence avec la grande rivière émissaire : on dit que c'est son niveau de
base proche. On appelle niveau de base général le niveau de la mer en toutes
les régions exoréiques. Bien entendu, les régions endoréiques ne connaissent
d'autre niveau de base que celui du lac où se termine leur cours principal.
Chapitre 4

L'évolution des réseaux fluviaux, le cycle d'érosion


DANS CHAQUE BASSIN FLUVIAL, seul le niveau de base est fixe ; les points
s'abaissent par érosion où s'élèvent par remblaiement ; le tracé des cours d'eau
n'est pas davantage fixe : les méandres le modifient dans le détail mais il peut
aussi se produire des changements de tracé à grande échelle.

1. Capture et déversement

Soit deux cours d'eau proches 1 et 2 coulant à des niveaux différents (figure
18), 2 se trouvant perché au-dessus du cours de 1. Sur le territoire qui sépare
les deux cours, les affluents de 1, de pente plus forte que ceux de 2, vont recu‐
ler leur tête par érosion régressive. Un affluent de 1, que nous nommerons 3,
va ainsi reculer sa source jusqu'à atteindre le cours de la rivière 2 en un
point C. La pente de 3 étant forte, le cours de 2 va s'engouffrer dans celui de 3
et se jeter dans 1. Il va creuser le cours et consolider sa capture.
On appelle 1 cours d'eau bénéficiaire, 3 cours d'eau conquérant (ou de sou‐
tirage), 2 cours d'eau tronçonné, le cours de 2 en amont de C cours capturé. Le
coude du nouveau cours d'eau en C est le coude de capture. Sur l'ancien cours
de 2, immédiatement en aval de C, la vallée est sans rivière : on l'appelle val‐
lée morte.
Soit des cours d'eau 1 et 2 de même disposition que dans le cas précédent
(figure 19). Si le cours d'eau 2 est au-dessous de son profil d'équilibre (bien
qu'il soit au-dessus du cours d'eau 1), par exemple dans le cas où une charge
anormalement forte lui vient de l'amont, il exhausse son lit et peut remblayer
sa vallée jusqu'à un niveau supérieur à celui des cols les plus bas séparant son
bassin de celui du cours d'eau 1. Oscillant sur sa plaine de remblaiement,
comme un torrent sur son cône de déjection, il pourra ainsi obliquer vers le
bassin du cours d'eau 1 ou, comme on dit, s'y déverser, sans que le travail des
cours d'eau du bassin du cours 1 y soit pour rien. Une fois le déversement
effectué, la dénivellation augmentant, le cours d'eau qui vient de se constituer
creuse et consolide son nouveau tracé.

Figure 18 Capture proprement dite (par recul de tête)

Figure 19 Déversement
La figure représente la situation à la veille du déversement. En
trait interrompu, le futur tracé de déversement. En pointillé, rem‐
blaiement.
Le cas le plus célèbre de détournement par capture ou déversement est celui
de la Haute-Moselle capturée à Toul par un affluent de la Meurthe-Moselle en
aval de Frouard : la Haute-Moselle s'écoulait dans la Meuse, qui a été ainsi
privée, par la capture, d'un de ses affluents (figure 20).

Figure 20 Le détournement de la Haute Moselle

A : situation à la veille du détournement ; B : situation actuelle.


Entre Toul et la vallée de la Meuse, une vallée morte, le val de l'Asne, est
parcourue partiellement par un ruisseau insignifiant, l'Ingressin. Or ce minus‐
cule cours d'eau est incapable d'avoir creusé la magnifique vallée dont les
méandres sont à la taille de celle de la Meuse (figure 21). Leur dissymétrie se
lit parfaitement sur la carte, et l'on peut même, en se fondant sur la loi de
migration vers l'aval, déterminer par la seule topographie que le cours d'eau
qui a modelé le val de l'Asne coulait dans le sens Moselle-Meuse. Le point le
plus élevé du fond du val est le sommet d'une accumulation de matériaux en
provenance des versants et postérieurs à l'interruption du drainage : ils repré‐
sentent ce que dans le pays on appelle la « grouine ». Mais si on fait abstrac‐
tion de la grouine, le fond du val est une nappe alluviale qui se raccorde d'une
part avec la terrasse de 30 mètres d'altitude relative à Toul, d'autre part avec la
nappe alluviale qui occupe à peu près le fond de la vallée de la Meuse. Cette
nappe alluviale contient des matériaux de provenance vosgienne, que l'on
retrouve dans la vallée de la Meuse en aval de l'aboutissement du val de
l'Asne et qui sont absents en amont dans la même vallée. Les arguments géo‐
logiques s'ajoutent donc aux arguments topographiques.
On peut discuter pour savoir s'il s'agit d'une capture proprement dite ou si
l'ancienne Moselle s'est détournée à Toul par déversement. Ces événements
datent du Quaternaire.
Beaucoup plus ancienne est la capture de la Loire supérieure par la Loire
inférieure (probablement mi- ou fin-tertiaire). Du début jusqu'à la fin du Ter‐
tiaire, la Loire du Massif Central tantôt se jetait dans les bassins intérieurs,
tantôt coulait vers la Seine qu'elle devait atteindre dans la région parisienne.
Mais, cours d'eau chargé, d'autant plus que le Massif Central s'exhaussait et
fournissait à l'érosion une masse considérable de sables, elle construisait en
Sologne et en Orléanais un vaste cône de déjection sur lequel elle oscillait.
Une déformation avait déjà abaissé la Touraine. Au cours d'une divagation, la
Loire se déversa vers l'Atlantique.

Figure 21 Le val de l'Asne

2. La hiérarchisation du réseau
Les captures et les déversements tendent à une hiérarchisation du réseau. En
effet, soit une pente uniforme : le réseau originel suit la pente en cours paral‐
lèles, comme on le voit sur un talus argileux après un orage. La disposition
hydrographique de l'Armagnac, déjà mentionnée, en donne un exemple appro‐
ché.
Mais les conditions ne sont pas strictement uniformes sur tous ces cours
d'eau équidistants ; un avantage peut naître pour l'un d'entre eux d'une alimen‐
tation légèrement plus abondante, ou d'une lithologie moins résistante. Dès
lors, le cours d'eau avantagé va tendre à devenir conquérant, car il creuse plus
que ses voisins et les menace de capture. Chaque capture augmente son débit
et accroît son avantage ; ainsi les avantages du cours d'eau font boule de
neige, et le réseau du conquérant s'étend de proche en proche.
Toutefois, le réseau conquérant ne va pas s'étendre indéfiniment. Il se heur‐
tera à des barrières de roches dures, à des mouvements orogéniques qui ten‐
dront à créer sur les faîtes tectoniques de nouvelles lignes de partage.
En même temps que le réseau s'élargit et que se constituent les grands bas‐
sins fluviaux, les continents s'usent. En effet, ils perdent constamment des
matériaux. Même si l'alluvionnement exhausse momentanément une petite
zone comme le cône de déjection dans la vallée alpine, la résultante des
actions fluviatiles est à sens unique : les matériaux vont finalement de l'amont
à l'aval pour se déposer au fond des mers ; les altitudes d'ensemble diminuent ;
on tend vers un aplanissement.

3. Stabilité et instabilité : le schéma du cycle d'érosion

Le travail d'usure régulière peut être perturbé par des mouvements tecto‐
niques et même par des changements de climat. La marche vers l'aplanisse‐
ment exige une grande stabilité du terrain pendant une longue période ; elle
peut tout au plus tolérer des mouvements tectoniques lents, de vitesse infé‐
rieure à celle du creusement fluvial. Mais des mouvements rapides (soulève‐
ments, déformations accompagnées parfois de failles et de plis) perturbent ou
brisent le profil d'équilibre, et l'érosion n'arrive pas à rétablir une évolution
conforme à ce qui vient d'être indiqué, des creusements et des remblaiements
locaux s'exerçant de façon en apparence brouillonne au gré des changements
de pente. Même problématique en ce qui concerne des évolutions de climat,
modifiant les débits et les charges fluviatiles.
Il y a des types divers de comportements régionaux. Un espace assez stable
comme le Bassin parisien s'oppose au monde méditerranéen, domaine de tec‐
tonique active avec des soulèvements, des affaissements, des failles
cisaillantes, l'œuvre fluviale d'aplanissement ne s'étant exercée que dans des
secteurs limités. Quand les mouvements datent du Quaternaire, on parle de
néotectonique.
Au cours de l'histoire géomorphologique, une région peut traverser des
périodes calmes et des périodes de mouvements tectoniques. Que se passe-t-il
si les périodes calmes sont longues et les périodes de mouvements brèves ?
C'est ce qu'a considéré comme le cas général, vers la fin du XIX siècle, le géo‐
e

morphologue américain William Morris Davis (1850-1934) en admettant que


les périodes de mouvements faisant ressurgir le relief sont intenses, mais de
courte durée par rapport au lent et tenace travail de l'érosion et qu'elles mettent
ainsi brusquement fin à l'œuvre d'aplanissement, de sorte qu'elles font recom‐
mencer l'érosion fluviale. Davis a appelé cycle d'érosion l'ensemble « période
mobile / période stable ». En fait, on a tendance à appeler cycle d'érosion la
seule phase d'aplanissement progressif. Nous l'étudierons d'abord, parce
qu'elle clarifie quelques données simples, mais elle n'est pas un cas universel :
il faudra ensuite introduire quelques complications usuelles.
Nous supposerons que, dans une région, un mouvement rapide vient de
plisser le relief ou de le soulever au-dessus du niveau de base. Après un tel
mouvement tectonique, les fleuves s'encaissent ou remblaient suivant les
lieux. Les versants sont irréguliers (figure 22A). C'est le stade de la jeunesse.
Peu à peu, les profils en long se régularisent, les pentes d'ensemble s'adou‐
cissent, mais les dénivellations restent bien marquées et les croupes abondent
(figure 22B). C'est la maturité. Finalement, la région devient une succession
d'interfluves surbaissés recouverts d'un tapis continu de débris altérés et sépa‐
rés par des vallées à fond alluvial. C'est le stade de la vieillesse (figure 22C).
Figure 22 Trois stades d'un cycle d'érosion

A : jeunesse ; B : maturité ; C : vieillesse. En pointillé sont figu‐


rées les alluvions ; M : monadnock. On remarquera qu'on peut,
par un soulèvement d'ensemble, revenir de la vieillesse (C) à un
stade semblable à la jeunesse (A). On a négligé intentionnellement
toute modification littorale ou sous-marine.

4. La pénéplaine
Après un temps très long (plusieurs millions d'années vraisemblablement,
pour des roches de résistance moyenne), si aucun accident n'est venu contra‐
rier l'évolution du cycle, le relief est réduit à une surface sans grandes dénivel‐
lations. C'est la pénéplaine.
Une pénéplaine est un ensemble de talwegs et d'interfluves. Ceux-ci, du
moins sous un climat tempéré, doivent présenter des pentes encore sensibles :
les pentes limites pour que les agents du modelé des versants soient encore
actifs (creep, ruissellement diffus). Les talwegs peuvent en revanche présenter
une topographie aussi plane que possible puisqu'un manteau d'al luvions les
occupe ; mais leurs pentes longitudinales ne sont pas nulles : il reste encore,
en effet, une charge à évacuer.
L'érosion ne saurait aboutir à un aplanissement parfait, du moins sous cli‐
mat tempéré ; on ne peut admettre la réalisation d'une véritable plaine d'éro‐
sion que sous un climat tropical à longue saison sèche et les topographies
d'érosion parfaitement aplanies qui peuvent être conservées sous climat tem‐
péré sont les restes d'une époque où régnait un climat tropical.
Les pénéplaines présentent même parfois des reliefs sensibles, résiduels. Du
nom de l'un d'eux, un sommet de la Nouvelle-Angleterre, aux États-Unis, on
les appelle des monadnocks (figure 22C). Il s'agit de buttes surbaissées se rac‐
cordant progressivement, à la base, avec la surface générale de la pénéplaine.
Ils sont dus soit à la dureté particulière de la roche qui les constitue (monad‐
nocks dits de résistance), soit à leur éloignement par rapport aux vallées prin‐
cipales, à leur situation sur des lignes de partage des eaux (monadnocks dits
de position). Une plaine d'érosion tropicale présente aussi, on le verra, des
reliefs, aux versants particulièrement vigoureux et ne se raccordant pas à la
surface de la pénéplaine, mais s'enlevant brusquement au-dessus d'elle : ce
sont les inselbergs (chapitre 20.1.3). Beaucoup de monadnocks actuels sont
vraisemblablement d'anciens inselbergs, vestiges d'une époque où le relief des
pays aujourd'hui tempérés était modelé sous un climat tropical à longue saison
sèche, mais des inselbergs dont les versants se sont adoucis, depuis lors, sous
climat plus frais.
Il n'existe pas de pénéplaine en rapport avec le niveau de base actuel ; c'est
que le niveau de base actuel s'est fixé à une époque très récente alors que le
développement d'une pénéplaine nécessite un temps très long. Les pénéplaines
que l'on observe dans les massifs anciens de l'Europe occidentale datent du
Primaire, du Secondaire ou du début du Tertiaire. Elles ont été soulevées par
les mouvements tectoniques de la fin du Tertiaire, mouvements qui leur ont
valu d'être reprises par l'érosion, réentaillées par des vallées encaissées qui
tendent à détruire le relief de pénéplaine. Ainsi s'expliquent les surfaces du
Massif Central français, du Massif Schisteux rhénan, qui dominent de 100,
200, 500 mètres et plus les gorges qui les entaillent.
Il ne faut pas considérer leurs quelques centaines de mètres d'altitude
comme un résidu des quelques milliers de mètres de la chaîne hercynienne,
mais leur évolution les a fait passer par un stade d'aplanissement presque total
(altitude : quelques mètres ou quelques dizaines de mètres), puis par une
phase d'exhaussement massif, qui leur a donné leur altitude actuelle (rajeunis‐
sement).
Puisque les portions de pénéplaines qui subsistent sont des surfaces
anciennes, comment dater leur élaboration ? C'est ici que le géomorphologue
doit se faire détective et chercher des pièces à conviction ! Une pénéplaine qui
tranche des couches plissées par les mouvements hercyniens de la fin du Pri‐
maire et qui est recouverte par des couches de grès déposé au début du Secon‐
daire, est évidemment postérieure aux mouvements de la fin du Primaire et
antérieure aux dépôts des grès qui l'ont fossilisée au début du Secondaire
(figure 23). Elle date donc de la limite entre le Primaire et le Secondaire. C'est
une pénéplaine posthercynienne et prétriasique (le Trias est le début du Secon‐
daire).
Il y a bien d'autres moyens de dater une pénéplaine, mais il s'agit là d'une
recherche difficile que l'on ne peut aborder ici.
Figure 23 Datation d'une pénéplaine

La surface pp' est une ancienne pénéplaine postérieure au plis‐


sement hercynien qui a plissé les couches primaires antérieures à
lui. Elle est antérieure au début du Secondaire, puisque les roches
du Trias la recouvrent. Remarquer qu'elle a été fossilisée par les
sédiments secondaires, puis basculée, ainsi que sa couverture ;
remarquer aussi que l'érosion, en la dégageant de sa couverture à
partir du haut, l'a partiellement exhumée. C'est une pénéplaine fos‐
sile en voie d'exhumation. Le cas représenté est à peu près celui du
Morvan septentrional, dans la région d'Avallon.

5. Les lacs

Les lacs, même naturels, apparaissent toujours comme des perturbations du


profil fluvial. Il y en a de toutes tailles, surtout si on compte parmi eux des
étendues d'eau dites à tort « mers », comme la Mer Morte ou la Caspienne.
Cette dernière occupe une superficie de 395 000 km (les trois quarts de la
2

France). Sa profondeur maximale dépasse 1 000 mètres, mais, sur ce point,


elle ne détient pas le record, qui appartient au lac Baïkal (1 637 m).
Classer les lacs d'après leur origine est une délicate entreprise. Il est com‐
mode de distinguer les lacs dus à un barrage naturel (coulée de lave, moraines,
éboulement d'un versant) et ceux établis dans la roche en place (lacs tecto‐
niques, lacs de surcreusement glaciaire, lacs de cratère). Une origine mixte est
fréquente. Les plus grands lacs sont d'origine tectonique (fossé, vaste gauchis‐
sement) ou occupent la place d'une ancienne calotte glaciaire.
Les lacs se réduisent par comblement alluvial (aidé par les débris végétaux)
et par creusement de l'exutoire. Leur longévité varie grandement de l'un à
l'autre.
Chapitre 5

Les successions de cycles d'érosion et les reliefs


acycliques
DE NOMBREUSES TOPOGRAPHIES offrent un relief polycyclique : elles ont été
modelées par une succession de cycles d'érosion. D'autres ont évolué indépen‐
damment du schéma cyclique.

1. Quelques exemples d'évolution générale

1.1. Premier exemple

Considérons une région qui a été aplanie au point d'être devenue une péné‐
plaine. Les cours d'eau y coulent lentement, creusent à peine, déposent à
peine. Supposons que des mouvements tectoniques soulèvent l'ensemble de la
région. L'érosion va s'activer, à la fois régressivement et globalement ; on pas‐
sera par les stades de maturité et de vieillesse. Une nouvelle pénéplaine se
substituera finalement à l'ancienne (figure 22, p. 45).
Mais, tant que le travail de la nouvelle vague d'érosion régressive n'a pas
atteint un degré d'évolution avancé, il subsiste dans la région de larges por‐
tions de l'ancienne pénéplaine. La forme récente, en voie d'élaboration à partir
de l'aval, est littéralement emboîtée dans ce qui subsiste de l'ancienne péné‐
plaine. Sur le profil en long des fleuves, et peut-être de leurs affluents, on dis‐
tingue une rupture de pente correspondant à l'endroit où est parvenue, dans sa
remontée, la nouvelle vague d'érosion régressive.

1.2. Deuxième exemple d'évolution

Supposons qu'une pénéplaine déjà constituée se déforme en cuvette (figure


24). Dans la partie amont, la pente du cours d'eau principal augmente ; il se
met à creuser comme dans le cas précédent et tend à créer une gorge puis un
relief de maturité évoluant vers la pénéplaine. Mais, en creusant, il se charge
des matériaux qu'il a arrachés. Or, dans la partie centrale, sa pente s'atténue et
même, dans sa partie aval, une contre-pente tend à se constituer. Si le relève‐
ment des bords de la cuvette était instantané, un lac se formerait. En fait, le lac
n'a pas le temps de naître parce que le cours d'eau, dont la force vient d'être
ralentie par la modification de pente, se met à alluvionner, à déposer les maté‐
riaux pris à l'amont : il tend à reprendre son profil d'équilibre en exhaussant sa
pente grâce au remblaiement. L'ancienne pénéplaine se trouve donc à l'amont
détruite par érosion et, plus en aval, fossilisée sous le nouveau remblaiement.

Figure 24 Réaction d'un profil fluvial dans le cas d'une déformation en


cuvette

Hauteurs fortement exagérées.

1.3. Troisième exemple

Imaginons une pénéplaine. Les cours d'eau y coulent en profil d'équilibre.


Si le climat devient brusquement plus humide et la couverture végétale bien
fournie, protégeant assez le sol pour que peu de débris s'arrachent aux ver‐
sants, le débit du cours d'eau augmente, et par conséquent sa puissance égale‐
ment. Or, sa charge n'augmente pas en proportion, puisque les versants livrent
peu de matériaux. Le cours d'eau est donc doué d'une puissance nette de plus
en plus grande qui lui permet de creuser.
Ainsi, sans qu'il y ait de mouvement tectonique, un simple changement de
climat peut modifier le rapport charge-débit et conduire à un creusement. On
peut aussi imaginer qu'un climat devienne plus sec, que les versants, de moins
en moins protégés par la végétation, livrent de plus en plus de débris à un
cours d'eau de débit de plus en plus indigent et que, à l'inverse du cas précé‐
dent, on ait affaire à un remblaiement.

1.4 Quatrième exemple

Supposons maintenant qu'un réchauffement du climat à partir de demain


fasse fondre tous les glaciers des régions polaires et notamment la grande
calotte du continent Antarctique. Le niveau des mers augmenterait de
quelques dizaines de mètres. La pente des cours d'eau, en conséquence de l'ex‐
haussement du niveau de base, se trouverait diminuée dans la partie aval et le
cours d'eau se mettrait à remblayer. Si les principales capitales du monde
comme Londres, Tokyo ou Paris, ne se trouvaient pas noyées sous les eaux,
elles disparaîtraient à coup sûr sous les alluvions déposées !
On appelle mouvement eustatique une telle dénivellation générale du plan
d'eau des océans et des mers (évidemment sans rapport avec le phénomène
quotidien ou biquotidien de la marée). L'exemple précédent nous a montré un
mouvement glacio-eustatique. Un semblable mouvement du niveau de base
s'est produit entre 10 000 ans et 5 000 ans avant nous, quand le climat, après la
dernière époque glaciaire, s'est réchauffé. On l'appelle la transgression flan‐
drienne (transgression = avancée de la mer).
Les quatre exemples qui précèdent montrent que les causes remettant en
question le déroulement du cycle d'érosion peuvent être multiples.

2. Les notions d'aggradation et de regradation

Claude Klein, étudiant l'Ouest du Bassin parisien et l'Est du Massif armori‐


cain, est arrivé aux conclusions suivantes. Pendant la fin de l'ère secondaire et
l'ère tertiaire, la région ne s'est jamais figée dans une immobilité totale : le
schéma du cycle d'érosion n'a donc pu se réaliser et l'érosion a travaillé d'une
façon acyclique. Mais les mouvements tectoniques ont été lents et d'ampleur
modérée. Certains secteurs, doucement déprimés, ont subi des accumulations
comme celle de l'argile à silex : c'est l'aggradation. D'autres ont été légère‐
ment recreusés de bout en bout, assez lentement pour que les versants
s'évasent au fur et à mesure du creusement, mais il ne s'est pas produit de
pénéplanation : c'est la regradation.
L'évolution des régions de grande instabilité, où des mouvements tecto‐
niques basculent ou faillent le terrain, est également acyclique.

3. Les terrasses alluviales

Dans le cas particulier d'une vallée, la succession d'épisodes de creusement


et de remblaiement est à l'origine de terrasses alluviales. Soit une vallée allu‐
viale : si un abaissement du niveau de base (par seule élévation de la région ou
par abaissement eustatique du niveau marin) amène le cours d'eau à s'enfon
cer dans les alluvions et même souvent aussi dans leur substratum, l'ancien
fond alluvial se trouvera dominer le talweg nouveau ; il constituera une ter‐
rasse. On peut assister à la même évolution si le climat, plus humide, donne
une plus grande puissance nette au cours d'eau.
Une terrasse alluviale présente un sommet plat un témoin de lit d'inondation
et un rebord abrupt (figure 25).
L'épaisseur des alluvions d'une terrasse est plus ou moins grande. Dans cer‐
tains cas, une nappe alluviale peu épaisse s'emboîte à l'intérieur d'une nappe
épaisse. De tels emboîtements permettent de connaître toute l'histoire des
creusements et des remblaiements successifs d'un cours d'eau (figure 26).

Figure 25 Terrasse alluviale (T) ; plaine alluviale actuelle (P)

La plaine alluviale actuelle est le lit d'inondation (lit majeur)


actuel.

Figure 26 Deux types de disposition de nappes alluviales constituant


des terrasses

A : simple étagement. B : emboîtement. Les deux graphiques


indiquent le sens des variations de niveau du cours d'eau.
Pour préciser cette évolution, le géomorphologue doit, encore une fois, se
faire détective ; non seulement il faut qu'il observe les superpositions et les
emboîtements d'alluvions, mais chaque nappe doit être étudiée en elle-même.
Celle-ci est composée de galets plus ou moins gros, plus ou moins arrondis ;
elle est définie par sa composition lithologique qui peut nous renseigner sur le
climat de l'époque où elle s'est déposée (ainsi, les roches calcaires plus sen‐
sibles au gel sont particulièrement fréquentes sous forme de galets dans les
alluvions des périodes froides parce qu'elles étaient alors arrachées aux parois
rocheuses gélives).
Ces méthodes d'étude permettent d'éviter une erreur qui a été commise vers
1920. En effet, à cette époque, le général de Lamothe et Charles Depéret
avaient cru qu'on pouvait dater les alluvions d'une terrasse d'après son altitude
relative au-dessus du talweg. C'était supposer que les nappes alluviales suc‐
cessives avaient la même pente et que, quel que soit le climat, le rapport
charge-débit du cours d'eau était resté constant. Il n'en est rien. Pendant le
Quaternaire, chaque plaine d'inondation successive a eu une pente dépendant
du climat et, comme les périodes glaciaires et les périodes tièdes se sont suc‐
cédé, il y a de fortes chances pour qu'une même rivière ait successivement
creusé et remblayé avec des profils en long se recoupant ou divergeant (figure
27). L'altitude relative des terrasses n'est qu'une indication préalable. Elle ne
suffit pas à nous renseigner sur l'histoire des remblaiements et des creuse‐
ments. On remarquera que les creusements du fleuve dans sa vallée sont beau‐
coup plus rapides que les évolutions de versants. Il en résulte qu'une période
de quelques milliers d'années suffit à constituer des terrasses par alluvionne‐
ment et creusement. Mais pour qu'une pénéplaine soit, sur toute sa surface,
remplacée par une autre pénéplaine, il faut beaucoup plus de temps, 20 mil‐
lions d'années environ au moins. On ne doit donc pas s'étonner que les péné‐
plaines qu'étudie le géomorphologue soient en général datées du Primaire, du
Secondaire ou du Tertiaire et que les terrasses fassent partie de l'évolution au
Quaternaire.
L'importance que nous venons de donner au climat montre bien que les
théories de Davis ne sont qu'un schéma, valable mais théorique, qui a besoin
d'être rendu concret. Il faut tenir compte, dans les études géomorphologiques,
du fait que les mouvements ne sont pas aussi rapides que Davis l'a supposé et,
surtout, il faut compléter la notion abstraite de cycle d'érosion et de pénéplaine
par l'étude du comportement des reliefs suivant la structure et suivant les types
de climat et de végétation. Ces compléments seront l'objet de la deuxième et
de la troisième partie.

Figure 27 Profils successifs de pente différente

1, 2, 3, 4 profils successifs. Remarquer que les profils 3 et 4 se


raccordent au même niveau de base. Le profil 2 a été obtenu à par‐
tir du profil 1, par creusement en aval du point de recoupement R
et par remblaiement à l'amont de ce point ; le niveau de base
s'était abaissé mais le rapport charge/débit avait augmenté, exi‐
geant une pente plus grande. Au contraire, du profil 2 au profil 3,
le niveau de base s'est relevé, mais le rapport charge/débit a dimi‐
nué : remblaiement en aval de R', creusement en amont. Du profil
3 au profil 4, creusement continu (diminution du rapport
charge/débit).
N.B. : Hauteurs fortement exagérées.
Photographie 4 Un relief structural : escarpement de grès dans la «
Suisse » saxonne et tchèque

Bancs horizontaux Diaclases verticales. Cliché Institut de Géo‐


graphie de Prague.
Partie 2

Géographie structurale
Chapitre 6

Introduction
LA GÉOGRAPHIE STRUCTURALE, on l'a vu, comprend l'étude de la nature des
matériaux (la lithologie) et aussi l'étude de leur disposition. Il importe de
connaître les caractères originaux des roches et d'abord de les classer d'un
point de vue morphologique. Mais il convient de faire précéder cette étude de
quelques définitions.

1. Roche, minéral, sol

On ne peut définir le terme roche que par rapport à deux autres termes :
minéral, sol.

1.1. Minéral

Un minéral est une portion de matière solide, de composition définie,


constante. Ainsi, le quartz est un minéral. Il a une composition chimique fixe :
c'est du dioxyde de silicium, SiO . Les feldspaths, qui sont des silicates d'alu‐
2

mine calciques, potassiques, sodiques, sont des minéraux. L'amphibole, sili‐


cate ferro-magnésien, est aussi un minéral. Même s'il existe plusieurs variétés
d'un minéral donné, comme c'est le cas le plus fréquent (notamment pour les
amphiboles et les feldspaths), chaque variété a sa composition chimique bien
déterminée ; elle est une combinaison chimique et non un mélange.
Un minéral peut se présenter à l'état cristallin ou à l'état amorphe :
• État cristallin : les atomes sont disposés en réseau selon une périodi‐
cité (figure 28) qu'on a comparée de façon très heureuse à celle des
soldats à la revue, ou à celle des gymnastes sur un stade. Chacun peut
se déplacer, mais selon les limites imposées par la conservation de la
figure d'ensemble. Le cristal a donc une forme propre (cube, rhombo‐
èdre, etc.) et des propriétés optiques propres : la lumière ne s'y trans‐
met pas de la même façon dans toutes les directions. C'est d'ailleurs
cette propriété qui permet d'identifier avec précision les cristaux,
même microscopiques. On pratique dans l'échantillon une « lame
mince » c'est-à-dire une coupe d'une épaisseur assez faible (25 micro‐
mètres, par convention) pour être transparente, et on l'observe au
microscope polarisant, c'est-à-dire en la faisant traverser par une
lumière qui ne vibre que dans un plan, ou même par une lumière qui
n'arrive à l'œil qu'en profitant des propriétés optiques des cristaux et
qui, sans le cristal, serait entièrement tarie.

Figure 28 Un type de structure cristalline : atomes disposés en réseau

Le minéral représenté est l'amphibole (figure extraite du Traité


de géologie par H. et G. Termier : l'Évolution de la lithosphère. I :
Pétrogénèse).
• État amorphe : les atomes sont disposés sans ordre, « comme les pro‐
meneurs sur un champ de foire ». La lumière s'y transmet identique‐
ment dans toutes les directions, et le minéral n'a pas de forme propre.
On saisira toute la différence entre les deux états en comparant le cris‐
tal de roche (silice à l'état cristallin) et l'opale (silice partiellement
amorphe).
1.2. Roche

Une roche est une portion quelconque de l'écorce, portion qui présente
seulement une homogénéité relative. Elle comprend plusieurs minéraux juxta‐
posés, sous la forme cristalline ou amorphe, chaque minéral se présentant sous
sa forme originelle ou fragmenté en débris. Exemples : le calcaire, le granit.
Ainsi, le granit est formé de quartz, de feldspath (deux types de feldspath le
plus souvent) et de mica noir. Il peut aussi contenir d'autres minéraux. Dans
un même granit, l'association des minéraux varie entre certaines limites
étroites, qui donnent au granit en question son homogénéité. Mais elle n'est
pas absolument fixe, tandis que chaque minéral a sa composition fixe quelle
que soit l'association.
Les roches se débitent suivant des joints, appelés diaclases (figure 29), qu'il
ne faut confondre ni avec des cassures tectoniques (fractures ou failles suivant
que la cassure dénivelle ou non la roche), ni avec les plans de stratification
séparant certaines couches. Les diaclases semblent dues tantôt aux conditions
de refroidissement des masses éruptives, tantôt aux relâchements de pression
pendant les efforts tectoniques, tantôt aux conditions de consolidation des
sédiments après leur dépôt.

Figure 29 Diaclases, couches, cassures tectoniques (fractures et


failles)

On se souvient que roche ne signifie pas roc ; en d'autres termes, l'appella‐


tion roche n'implique pas une dureté particulière. Le sable, l'argile sont des
roches aussi bien que le granit.
1.3. Sol

Quant au sol, c'est une altération superficielle de la roche. Il en a été ques‐


tion au chapitre 1.
On convient de réserver le nom de coupe à une succession de roches telle
que les fait apparaître une tranchée ; on dira que la coupe révèle par exemple
plusieurs couches horizontales. Quand il s'agit d'un sol, on parle au contraire
d'un profil, qui fait apparaître plusieurs horizons. Ces deux derniers termes
sont évidemment mal choisis, puisqu'ils désignent des successions suivant un
ordre vertical, celui des parois d'une tranchée, et que rien dans un profil de sol
ne se « profile » sur l'« horizon ». Mais la convention est assez solidement éta‐
blie pour qu'on la respecte et pour qu'on parle sans sourciller de l'horizon pro‐
fond d'un sol.
Un sol a une profondeur variable, de quelques centimètres à quelques
mètres : des valeurs variant entre 30 centimètres et 1, 50 mètres sont habi‐
tuelles. Mais il peut être réduit à rien, si, par exemple, le ruissellement a
emporté toute la terre, ou à quelques microns, si la roche commence à peine à
s'altérer en surface, juste assez pour accueillir des lichens. L'expression relief
du sol est à éviter, dans le sens de relief terrestre (de même, celle de structure
du sol dans le sens de structure géologique). On ne peut parler de relief du sol
que si l'on veut désigner les irrégularités dues au sol proprement dit ou mode‐
lées aux dépens d'un sol proprement dit. Parallèlement, structure du sol
désigne la texture de la formation superficielle de décomposition ; exemple, le
tchernoziom, sol noir de la steppe russe et ukrainienne, a une structure gros‐
sière, parfois prismatique. On peut toutefois employer sol, comme le font les
géomètres, dans le sens de surface, surface cadastrée.

2. Classification et âge des roches

Les géologues divisent les roches en :


• roches sédimentaires ;
roches éruptives ;
roches cristallophylliennes.
À l'intérieur de chacun de ces groupes, il arrive que les cartes géologiques à
grande échelle fondent leurs indications sur l'âge de la roche beaucoup plus
que sur sa nature.
On divise l'histoire géologique en ères, elles-mêmes divisées en systèmes,
divisés à leur tour en étages.
On peut aussi évaluer l'âge d'une roche de façon absolue, c'est-à-dire en
nombre d'années. C'est l'étude de la radio-activité de certains minéraux qui a
permis cette évaluation. La proportion de carbone de poids atomique 14, dans
un dépôt, permet d'évaluer les âges inférieurs à 50 000 ans et est donc valable
pour la dernière période glaciaire et la période postglaciaire. Deux isotopes de
l'uranium permettent d'atteindre 250 000 et 400 000 ans, mais sont d'utilisa‐
tion délicate. Au-delà et jusqu'à quelques centaines de millions d'années (c'est-
à-dire du Quaternaire moyen au Primaire), le potassium et l'argon (K-Ar) ou le
rapport entre deux isotopes de l'argon permettent de connaître l'âge des roches
qui se sont formées à chaud, comme les laves ou le granit. On a d'autres miné‐
raux pour le Primaire et le Précambrien. Enfin, la mesure de la thermolumi‐
nescence des minéraux (résultat de la quantité de rayonnement gamma accu‐
mulé depuis l'origine du cristal) a maintenant fait ses preuves.
Sur ce point, notre classification devant tenir compte des formes topolo‐
giques engendrées, elle diffère très légèrement de celle qui est adoptée par les
géologues. Nous parlerons comme eux des roches sédimentaires. Mais à l'inté‐
rieur des roches éruptives, nous établirons une distinction. Certaines de ces
roches sont entièrement formées de cristaux bien visibles. Elles se sont for‐
mées en profondeur, sous pression. Ce sont les roches plutoniques ou pluto‐
niennes, des géologues. Au contraire, d'autres roches éruptives se sont éjectées
à la surface, par exemple sous forme de bombes volcaniques ou de coulées de
lave. Ce sont les roches volcaniques. Comme elles donnent des formes topo‐
graphiques très différentes des roches éruptives plutoniques, nous les traite‐
rons à part.

Tableau 1 L'âge des roches


Lire ce tableau de bas en haut.
* Le terme de Villafranchien est menacé d'abandon. ** À ne pas
confondre avec l'Éogène.
On a repéré les nombreux stades climatiques du dernier million d'années en
analysant les rapports des deux isotopes de l'oxygène O et O, qui varient
18 16

avec la température, notamment dans les sédiments marins, et en étalonnant


ainsi la période (voir p. 145).
L'âge des roches est une notion utile, certes, pour le morphologue, mais elle
n'a souvent d'autre rôle que celui de repère. La connaissance de la nature de la
roche est beaucoup plus utile.
Mais, comme les roches cristallophylliennes ressemblent, par leurs cristaux,
aux roches plutoniques, nous grouperons roches plutoniques et roches cristal‐
lophylliennes sous le nom de roches cristallines. Notre classification devient
donc :
• les roches sédimentaires ;
les roches cristallines ;
les roches volcaniques.
Chapitre 7

Roches sédimentaires I : Roches à grains


LES ROCHES SÉDIMENTAIRES sont d'origine externe ; elles ne viennent pas des
profondeurs ; elles se sont déposées, les unes sur les autres et, avant le trans‐
port qui est à l'origine de leur dépôt, elles ont été, en totalité ou en partie, pré‐
levées sur d'autres roches qui s'érodaient.

1. Quelques définitions

On qualifie de détritiques les roches sédimentaires qui proviennent en


quasi-totalité de la destruction d'autres roches : par exemple des sables qui
proviennent de rémiettement de granits. Mais toutes les roches sédimentaires
ne sont pas détritiques. Certaines sont construites par des organismes, ou par
des réactions chimiques. Tel est le cas du calcaire qui peut être d'origine orga‐
nique (calcaire corallien) ou chimique (formé directement par du calcium et
du gaz carbonique).
La plupart des roches sédimentaires sont d'origine sous-marine ou sous-
lacustre. Il s'agit de dépôts qui se sont formés sur des fonds, telles les vases
qui tapissent le fond de certains lacs. Mais il peut exister des roches d'origine
subaérienne (dépôts des deltas de cours d'eau se jetant dans des lagunes déser‐
tiques par exemple), que nous incluons parce qu'elles répondent aux condi‐
tions définies plus haut.
Ainsi déposées, les roches sédimentaires se présentent sous la forme de
couches, ou strates, dans une position originelle voisine, en général, de l'hori‐
zontale, la plus ancienne de deux strates superposées étant le support de la
moins ancienne. Si les strates sont inclinées ou dessinent des plis, c'est qu'elles
ont subi un effort de basculement ou de plissement après leur dépôt. On
appelle pendage, pour la distinguer de la pente topographique, l'inclinaison
d'une couche.
Certains dépôts se présentent en affleurements isolés : les dunes, les
moraines des glaciers, les alluvions. Ce sont des dépôts de surface, disconti‐
nus, qui sont rarement intercalés dans des accumulations d'autres roches sédi‐
mentaires. Nous les appellerons dépôts superficiels. Au contraire, nous nom‐
merons roches sédimentaires proprement dites celles qui se présentent sous la
forme de couches assez continues.

1.1. Séries, faciès

On dit que deux couches sont concordantes quand la couche supérieure


repose directement sur le « dos » de la couche inférieure, sans qu'aucun épi‐
sode de ravinement ou de plissement se soit manifesté entre le dépôt des deux
couches. On appelle série un ensemble de couches concordantes (figure 30A).
Une couche repose sur la précédente en discordance quand sa base paraît
recouper la couche précédente, autrement dit quand une phase d'érosion ou de
plissement sépare le dépôt des deux couches. En général, la surface de discor‐
dance recoupe plusieurs couches (figure 30B).
Une transgression est une avancée de la mer. Elle dépose des sédiments
marins sur un subtratum continental.

Figure 30 Concordance (A), Discordance (B)

SS : surface de discordance. Elle sépare deux séries. La série du


bas a été basculée, érodée en biseau, puis recouverte par la série
supérieure.
On appelle faciès d'une couche son aspect particulier ; le terme peut être
pris avec ou sans valeur génétique ; ainsi on peut parler de faciès lacustre (la
couche s'est formée dans un lac ; sens génétique) ou de faciès calcaire (sens
descriptif).
Une couche n'a pas toujours le même faciès sur toute l'étendue où elle
donne des affleurements ; il peut y avoir passage latéral d'un faciès à un autre.
Selon l'origine de la sédimentation, on distingue des roches de faciès :
continental (ou mieux : subaérien) ;
d'eau douce (ex. : la tourbe) ou lacustre ;
lagunaire ;
marin.
Un dépôt marin peut être :
• néritique, c'est-à-dire déposé près de la côte, en eau peu profonde ; il
est alors assez riche en coquilles fossiles ;
bathyal, de 200 à 2 000 mètres environ ;
abyssal, c'est-à-dire de fosse profonde (2 000 mètres et plus).
Du point de vue du mode de formation, on distingue des faciès :
• détritiques (ceux qui résultent de la destruction d'autres roches et d'une
recomposition insignifiante : exemple, les sables, les grès) ;
d'origine chimique (dissolution, réaction chimique, etc. : exemple, cer‐
tains calcaires) ;
d'origine organique (soit végétale houille , soit animale (ou zoogène),
exemple : calcaires coralliens).
Il y a d'ailleurs de nombreuses transitions entre roches détritiques, chi‐
miques, organiques. Certaines roches peuvent avoir subi des transformations
après leur dépôt, et d'abord la consolidation, qui change le sédiment en roche.
Mais des transformations chimiques plus spectaculaires peuvent aussi se pro‐
duire, comme celle du calcaire en meulière sous des actions dissolvantes (eau
de pluie, eau thermale, etc.).
La dureté d'une roche : La notion de dureté appelle certaines précisions.
Une roche est dure si les minéraux qui la constituent présentent un indice de
dureté élevé (on a classé les degrés de dureté des minéraux de 1 à 10, le talc
représentant le degré 1 ; le diamant, le degré 10 ; le quartz, le degré 7). Ainsi
le sable est une roche dure, puisque son principal constituant, le quartz, est un
minéral dur. Mais il va sans dire que la résistance morphologique d'une roche,
la résistance à l'érosion, n'a que peu de rapport avec la dureté ainsi définie ;
elle dépend de la compacité des grains, de la résistance au gel, de la résistance
à l'altération. Une roche peut d'ailleurs bien résister à un agent d'érosion et mal
à un autre. Ainsi, le granit sous climat chaud résiste bien à l'action de l'eau
courante, mais mal à l'altération subaérienne. La notion de roche dure est donc
toute relative. On le verra dans l'étude qui va suivre.
Les enseignements des faciès sur l'évolution du relief passé : On comprend
qu'un faciès puisse nous renseigner sur le relief qui, au moment du dépôt, se
situait immédiatement en amont. En effet, au pied d'une chaîne alpine doivent
se sédimenter dans les mers des éléments grossiers (par exemple ceux qu'ap‐
porte dans la Méditerranée un cours d'eau comme le Var). Au contraire,
devant une plaine comme la Picardie, la Somme n'apporte guère à la Manche
que des éléments fins capables de donner des argiles, à la rigueur des sables.
Mais il faut aussi, quand on étudie un faciès, tenir compte du climat et de la
végétation de la période de son dépôt. En effet, si, en arrière de la mer où se
fait la sédimentation, règne un climat équatorial ou tempéré frais avec une
couverture forestière protégeant le sol et entraînant une altéra tion chimique
plus qu'une érosion mécanique, il n'arrive guère à la mer que des argiles fines.
À l'opposé, le long d'une région de climat méditerranéen, ou aride, à la végéta‐
tion rare, aux crues soudaines, se sédimentent des galets et des limons. Dans le
premier cas (forêts, altération seulement chimique, dépôt fin) on dit qu'on se
trouve dans une situation de biostasie. Dans le second cas (couverture végé‐
tale discontinue, érosion livrant des matériaux grossiers et abondants), on dit
qu'on se trouve dans une situation de rhexistasie.

1.2. Classification géomorphologique des roches sédimentaires

Les géomorphologues ne classent pas les roches sédimentaires exactement


comme les géologues. Nous avons déjà vu qu'ils séparent les dépôts superfi‐
ciels (dunes, moraines, etc.) et les roches sédimentaires proprement dites. Ils
opposent aussi, en raison du modelé différent qu'elles donnent, les roches à
grains et les roches homogènes construites dont les principales sont les cal‐
caires. Parmi les roches à grains, les unes ont un ciment liant ce grain (c'est le
cas des grès ou des poudingues) ; d'autres sont formées au contraire de grains
indépendants, non liés (argile, sable).

2. Roches à grains non cimentés


2.1. Classification

Lorsque les grains ne sont pas cimentés, on classe les roches selon la gros‐
seur de ces grains, selon un critérium qui se trouve donc être purement phy‐
sique.
Il existe plusieurs classifications d'après la dimension des grains. Voici la
plus simple :
• Grains de plus de 200 mm de longueur : blocs
Grains compris entre 20 mm et 200 mm : galets ou cailloux
Grains compris entre 2 mm et 20 mm : gravier
Grains compris entre 0,2 mm et 2 mm : sable grossier
Grains compris entre 20 µm et 200 µm : sable fin (micron se dit aussi
micromètre)
Grains compris entre 2 µm et 20 µm : limon
Grains plus petits que 2 µm : argile, qui, par les dimensions de ses
grains, est susceptible de former des solutions colloïdales.
Les grains plus petits que 50 µm représentent, dans les arènes, la frac‐
tion fine, qu'il est intéressant d'évaluer.
Il va sans dire que, dans la nature, toutes les formations ne sont pas cali‐
brées, et que, souvent on se trouve en présence d'une roche dont les consti‐
tuants sont de dimensions variables. L'étude de la dimension des grains s'ap‐
pelle la granulométrie. On représente la composition granulométrique d'une
formation géologique par un graphique. Le plus souvent on met en abscisse la
taille des grains suivant une progression logarithmique ; en ordonnées, on
figure les pourcentages cumulés de chaque taille suivant une échelle arithmé‐
tique. La figure 31 montre une formation bien classée car il existe très peu de
grains de moins de 1 millimètre et très peu de grains supérieurs à 1,5 milli‐
mètre, parce que toute la formation est constituée d'éléments dont le calibre
est compris entre ces deux valeurs. Au contraire, le graphique suivant (figure
32) représente une formation constituée de grains de tailles différentes (on dit
qu'elle est hétérométrique, alors que la première était homométrique). On peut
donc avoir affaire à une formation de cailloux emballés dans des limons ou à
une formation mélangeant des sables et des argiles.
Figure 31 Courbe granulométrique d'une formation bien calibrée, «
homométrique »
Figure 32 Courbe granulométrique d'une formation mal calibrée («
hétérométrique »)

1/4 du poids de ses grains ont moins de 0, 7 mm, 1/4 entre 0, 7


et 2 mm, 1/4 entre 2 et 5 mm, 1/4 plus de 5 mm.
L'étude de la taille ne suffit pas à caractériser une roche à grains. Il faut
tenir compte de la composition géologique de ces grains (s'agit-il de quartz, de
morceaux de calcaire, etc. ?). Il faut aussi tenir compte de la forme et de l'as‐
pect des grains. C'est ce qu'on appelle la morphoscopie. On convient, quand il
s'agit de sable, de quartz, de distinguer les grains non usés (ceux qui n'ont subi
que peu de transport), les grains émoussés luisants (ils ont subi un long trans‐
port dans l'eau fluviale ou marine), les grains ronds mats (ils ont subi un trans‐
port éolien et les chocs à sec pendant ce transport ont occasionné de multiples
cassures microscopiques en étoilement, de sorte que le grain ne brille pas), les
grains corrodés par des eaux tièdes.
Quand il s'agit de galets ou de cailloux, on étudie le degré d'émoussé. Si
l'émoussé est nul, on parle de cailloux ; s'il est sensible, il s'agit de galets. Le
degré d'émoussé de galets se mesure en posant le galet à plat (figure 33). On
l'exprime par un indice qui est le rapport entre le diamètre du cercle de la plus
petite courbure du galet et le plus grand axe de ce galet ou, ce qui revient au
même, entre deux fois le rayon de la petite courbure et le grand axe en ques‐
tion :

Toutes ces méthodes peuvent s'appliquer aussi bien à des roches sédimen‐
taires proprement dites qu'à des dépôts superficiels ; on peut même (et on le
fait couramment) étudier la granulométrie d'un sol. On remarquera d'ailleurs
que les termes géologiques qui désignent les roches à grains s'emploient aussi
pour les débris provenant d'une altération : s'il y a en effet des argiles et des
sables qui sont des roches sédimentaires proprement dites déposées en séries
de strates, d'autres sont, au contraire, le résultat d'altérations chimiques sur
place (argile surtout) ou de désagrégation mécanique (sable surtout). Mais
nous n'allons étudier ici que les argiles ou les sables constituant des roches
sédimentaires proprement dites.

Figure 33 Mesure de l'indice d'émoussé d'un galet

Le galet a été posé à plat, de sorte que le plan de représentation


indique la plus grande largeur l ; e est l'épaisseur, L la longueur, r
le plus petit rayon de courbure.

2.2. Les sables

Les sables sont formés, en général, de grains de quartz parce que le quartz
est résistant, pratiquement inaltérable, et que l'altération a enlevé les autres
éléments. Le quartz est extrêmement résistant parce qu'il est dur, mais le sable
ne peut pas être considéré comme une roche résistante parce que chaque grain
peut être entraîné par rapport au suivant : le sable est meuble, surtout quand il
est sec, sauf quand il est emballé dans une manière argileuse liante ou quand il
est gelé. Un sable compacté est une arénite.
Les versants sableux sont très convexes car ils sont surtout modelés par le
creeping ; cependant, en climat sec ou sur les littoraux dépourvus de végéta‐
tion, le sable se modèle en dunes, comme on l'étudiera en géomorphologie cli‐
matique.
Le sable est perméable puisque l'eau s'infiltre entre les grains. Cependant,
comme les interstices entre les grains sont réduits, il est vite saturé en cas de
pluies abondantes et l'eau dans les talwegs constitue alors des ruisseaux tem‐
poraires.
Sous certains climats, des actions chimiques peuvent contribuer aussi à
l'imperméabilité du sable malgré la perméabilité originelle. Ainsi, sous climat
frais, il se forme un sol compact, le podzol, qui accentue l'imperméabilité. Le
sol des Landes de Gascogne, pays marécageux, est un typique podzol.

2.3. Les argiles

Les argiles sont, à l'inverse des sables, très imperméables parce que les
espaces entre leurs grains sont encore plus faibles et surtout parce que l'eau et
l'argile forment pâte, l'eau s'immisçant entre les feuillets microscopiques qui
constituent les molécules d'argile. Il y a donc, dans les régions argileuses, tout
un chevelu hydrographique.
Puisqu'elle forme pâte avec l'eau, l'argile peut solifluer ; mais il faut, pour
cela, que la pénétration de l'eau soit profonde ce qui est rare en raison de l'im‐
perméabilité. L'argile ne soliflue vraiment que si elle inclut des bancs plus
grossiers qui forment niveau d'eau.
En général, l'eau qui ruisselle sur l'argile l'entaille facilement. Elle ravine
les régions argileuses ; dans les régions aux pluies rares et violentes, pauvres
en végétation, des ravins ramifiés, très étroits et très rapprochés, profonds de
quelques mètres, séparés par des crêtes relativement aiguës, forment un pay‐
sage où l'on circule mal et que l'on nomme bad-land (du nom des Bad-Lands
du Dakota, aux États-Unis). Sur les pentes très fortes, l'argile donne des
loupes, bosselant tout le versant. En effet, le creeping proprement dit se fait
mal puisque les grains sont liés les uns aux autres.
Sur les terrains absolument plats, le ravinement a peu de prise et le glisse‐
ment est inconnu. C'est le cas d'anciens fonds de mers argileux comme celui
de la mer Champlain au Canada. La mer Champlain, qui a recouvert les par‐
ties basses du pays peu après la dernière glaciation, a aujourd'hui disparu,
mais ses argiles forment de grandes plaines unies. Analogues aux argiles
Champlain et de même époque, les argiles à Yoldia (fossile caractéristique)
constituent de grandes plaines sur le pourtour de la mer Baltique.
Quand l'argile se dessèche, elle se fend et se craquelle. Mais que survienne
l'orage et l'eau pourra l'imbiber jusqu'à une bonne profondeur, facilitant glisse‐
ment ou ravinement.

2.4. Les marnes

Les marnes sont des argiles qui contiennent une certaine proportion de cal‐
caire ; quand elles ne sont pas trop calcaires, elles évoluent à peu près comme
des argiles.

3. Roches à grains cimentés

Les roches à grains cimentés se subdivisent en conglomérats et en grès. On


appelle conglomérat un ensemble cimenté formé de grains de tailles très
diverses, et notamment de cailloux ou de galets et parfois aussi de blocs. Un
grès est au contraire formé de grains de sable de composition granulométrique
relativement homogène, mais toujours liés par un ciment.
Parmi les conglomérats, on range les brèches (figure 34B), qui se défi‐
nissent par le caractère anguleux des fragments qui les composent (elles
résultent de la sédimentation de fragments éboulés, ou détachés lors d'un
effort tectonique : brèche tectonique) et les poudingues (figure 34A) (ils
résultent de la cimentation de galets ou de blocs d'origine alluviale, blocs tor‐
rentiels par exemple
Figure 34 Poudingue (A) et brèche (B)

Conglomérats et grès sont en général coupés de diaclases et l'érosion


exploite les zones faibles que sont ces diaclases en les élargissant. Ils
s'éboulent donc par pans verticaux car ils sont cohérents en raison de leur
cimentation. Entre les diaclases qui s'élargissent, subsistent donc des avancées
de tracé festonné et des buttes (photographie 4, p. 54). Sur les pentes verti‐
cales, des blocs parallélépipédiques s'éboulent. D'où un paysage pittoresque de
chaos dominé par des piliers. Les grès altérés ont un chimisme particulier
caractérisé par la fréquence des enduits ferrugineux.
De vastes régions sont constituées de grès : grands plateaux du Brésil, du
Sahara (Tassili) et de l'Afrique tropicale, Arabie, Nord des Vosges, etc.
Suivant la nature du ciment, les grès sont plus ou moins résistants ; les plus
résistants (sauf au gel intense) sont ceux dont non seulement les grains sont
siliceux mais aussi le ciment : ce sont les quartzites. Mais en général ces
quartzites très durs, capables de donner des crêtes, sont des roches métamor‐
phiques (voir chapitre 9).
Chapitre 8

Roches sédimentaires II : Les calcaires


LES CALCAIRES sont des roches homogènes et non à grains séparés ; ils
donnent des reliefs très originaux comme dans les Causses du Massif Central,
les Alpes Dinariques, Cuba, etc. : vallées en canyons, dépressions fermées
sans écoulement extérieur apparent, grottes et rivières souterraines aboutissant
à des sources de gros débit dites résurgences ou sources vauclusiennes, relief
de pitons dentelés à bords verticaux, autant de traits originaux et saisissants.
Ce relief extraordinaire est le relief karstique, c'est-à-dire un relief créé par
la prépondérance des processus d'érosion par dissolution. Mais tout relief cal‐
caire n'est pas karstique ; il ne l'est pas si les formes de dissolution sont
absentes, ou subordonnées à d'autres formes d'érosion. Inversement, on peut
retrouver des reliefs karstiques dans des roches non calcaires, le sel et le gypse
par exemple, car la dissolution s'y exerce fortement : mais ce sont des roches
peu répandues dans la nature.

1. Composition et propriétés

Les calcaires sont des carbonates de chaux (CaCO ) plus ou moins impurs.
3

Le carbonate de chaux est soluble dans l'eau chargée d'acide carbonique. Et


l'eau pénètre facilement dans les couches calcaires parce qu'elles sont fissu‐
rées (le calcaire n'est pas perméable sur un petit espace, de quelques centi‐
mètres carrés, mais l'est à grande échelle à cause de ces fissures). Ainsi, les
régions calcaires sont érodées par dissolution. Seules restent sur place des
impuretés non solubles, qui ne constituent en général qu'une faible partie de la
roche.

2. Les calcaires non karstiques


Les calcaires non karstiques sont les plus impurs. En voici quelques
exemples.
La meulière est un calcaire siliceux qui provient d'une dissolution du carbo‐
nate de calcium et du dépôt immédiat de la silice sur la paroi des cavités de
dissolution. C'est une roche imperméable (la seule roche calcaire imper‐
méable), très résistante, capable de donner des plateaux à bords raides, comme
dans les environs de Paris.
La craie, roche particulièrement bien représentée dans l'Europe du Nord-
Ouest depuis le Bassin de Paris jusqu'au Bassin de Londres et aux îles
danoises, est un calcaire à grain fin, poreux, léger, friable et se tassant facile‐
ment ; elle est souvent marneuse, ce qui accroît encore sa disposition au tasse‐
ment. Le relief de la craie est extrêmement divers. Elle est capable de donner,
quand elle est sapée par les vagues, des falaises qui reculent très vite, parce
qu'elle est tendre, mais assez compacte pour s'ébouler par pans entiers. Elle
donne, dans le relief continental, des croupes convexes parce que ses débris
sont de petits fragments anguleux sujets au creeping mais non au ruisselle‐
ment. Entre ces croupes, les talwegs sont des vallées sèches (sans cours d'eau)
en berceau ; dans certaines régions comme la Champagne dite Pouilleuse, la
craie, lors des périodes froides du Quaternaire, s'est montrée particulièrement
sensible au gel. Elle a alors formé de longs versants peu déclives (3 à 4 % en
moyenne) sur lesquels s'est étendue une nappe de fragments anguleux embal‐
lés dans une argile.
Le flysch est une alternance de lits calcaires et de lits marneux, chacun
d'une épaisseur de l'ordre du mètre, une sorte de feuilletage marno-calcaire
(souvent gréseux). Il se présente en épaisses accumulations synchroniques de
la formation des chaînes alpines et constituées dans la mer où surgissait la
montagne. Il ne donne pas de belles formes structurales, car il se démantèle
facilement. Il n'est pas davantage karstique, car les marnes intercalaires sont
imperméables. Son relief est fait de hautes collines informes.

3. Les calcaires karstiques

Les calcaires karstiques ceux dont le relief est caractérisé par le processus
de dissolution sont des calcaires relativement purs ou des dolomies, carbo‐
nates doubles de calcium et magnésium.
La dolomie a un relief original : « ruiniforme » à allure de tourelles, comme
à Montpellier-le-Vieux dans les Causses. Ces formes fantastiques ne sont pas
dues comme on le croyait, à la progression inégale de la dissolution selon la
proportion de carbonate de calcium soluble et de carbonate de magnésium
pratiquement insoluble, mais au fait qu'à la différence des autres roches cal‐
caires, la dolomie donne des débris de la taille des sables et des graviers :
l'émiettement arrondit les formes.
Moins soluble en théorie que le calcaire pur puisqu'elle contient du carbo‐
nate de magnésium, la dolomie est cependant très exposée aux attaques de
l'eau parce qu'elle est très poreuse.
Le nom de karst vient d'une vieille racine linguistique qui signifie pierre. Il
a été donné à une région située aux limites de la Slovénie, de la Croatie et de
l'Italie et étendu ensuite par les géographes. Les régions karstiques sont parti‐
culièrement pierreuses car le calcaire ne donne pas de petits fragments ; sur
ses versants, se débitent soit des argiles, soit des blocs ; les versants ne sont
donc pas soumis au creeping comme s'ils étaient formés de grains sableux,
d'où des profils anguleux avec des escarpements verticaux séparés par des
pentes douces ou par des talus d'éboulis. Les plateaux sont nus, peu ou point
coupés de vallées, mais présentant des dépressions fermées de formes et de
dimensions variables. Ce relief, où l'on ne reconnaît pas la marque de l'érosion
fluviatile, s'explique par l'absence à peu près totale de tout écoulement super‐
ficiel, bien que le climat soit assez humide pour que s'établisse un réseau
hydrographique permanent. Ici, les eaux pénètrent le calcaire et circulent en
profondeur en dissolvant intérieurement la roche. Tout se passe comme si la
région se vidait mystérieusement de sa substance en fondant pour ainsi dire
sur elle-même.

3.1. La gamme des formes karstiques

Le canyon

Une forme fréquente dans les régions karstiques, et qui représente cepen‐
dant un écoulement subaérien, est le canyon. C'est une vallée à flancs raides,
un véritable trait de scie entre des plateaux calcaires (figure 35A). Le canyon
du Petit Colorado (celui du Grand Colorado n'est pas un vrai canyon car le
fond s'élargit dans le socle), celui du Tarn, dans les Causses, celui du Verdon,
dans les Alpes du Sud, en représentent des exemples saisissants. La dureté et
la perméabilité des versants expliquent que l'essentiel de l'érosion se fasse sur
le fond du lit, tandis que les flancs évoluent lentement. Ils se présentent
comme une succession de parois abruptes, de surplombs, de talus en pente
moins raide, le tout disposé selon l'alternance des bancs calcaires. Les rivières
qui traversent les régions karstiques en canyon sont des rivières allogènes,
c'est-à-dire qui ont leur source ailleurs, dans des régions imperméables, et qui,
sur leur fond alluvial qui atténue les pertes à la traversée de la région calcaire,
arrivent à conserver une partie de leurs eaux. Tel est le Tarn, né au pied de la
montagne cristalline de la Lozère.
Les canyons ne sont que rarement d'anciennes rivières souterraines dont la
voûte se serait effondrée, mais le plus souvent leurs rivières se sont encaissées
sur place.
Les canyons n'existent que si le calcaire dans lequel ils se creusent est assez
épais pour affleurer aussi bien sur le fond du talweg que sur les flancs. Si, au
contraire, un cours d'eau atteint une couche imperméable sous-jacente (marne
par exemple), l'évolution est toute différente. La vallée s'élargit par le fond,
puisque l'évolution des versants par ruissellement se fait rapidement sur la
roche imperméable. D'où un profil en U, les formes amples du fond étant
dominées par des escarpements verticaux. Vers l'amont, la vallée aboutit à une
source vauclusienne, au contact de la couche imperméable et des calcaires
sus-jacents. Mais au-dessus de la source vauclusienne, un abrupt calcaire
ferme la vallée. On a donc une vallée en cul-de-sac (exemple de la vallée
d'Autoire, sur le rebord nord du Quercy), une reculée, comme on dit sur le
rebord du Jura au-dessus de la plaine de la Saône, un « bout-du-monde »
(figure 35B).

Figure 35 Un canyon (A) et une reculée (B)


En A, le cours d'eau n'atteint pas la couche imperméable mar‐
neuse sous-jacente. Il modèle donc un canyon. Le cours d'eau de B
coule sur la marne : sa vallée est large parce que la base des ver‐
sants est disposée en pente douce. Remarquer la forme en cul-de-
sac. La source vauclusienne est cachée sur le croquis par la paroi
calcaire.
Le recul de la tête de la vallée, par le sapement que produit la source vau‐
clusienne, se fait activement. Les reculées attaquent rapidement les tables
karstiques, alors que les canyons les laissent presque intactes.

Formes structurales

Si le calcaire a été plissé, comme c'est le cas dans les Préalpes, il est attaqué
par l'érosion comme on l'étudiera à propos de l'évolution du relief plissé. Il
peut alors constituer des buttes à sommet incliné ou gondolé dont la surface a
l'aspect pierreux caractéristique et dans la masse desquelles l'eau s'infiltre en
un réseau profond exerçant la dissolution. La perméabilité et la résistance de
la roche permettent à ces reliefs calcaires bordés de grandes parois abruptes,
de défier longtemps la destruction : les plateaux ondulés du Vercors, les hauts
sommets isolés de la Grande-Chartreuse, sont un exemple caractéristique
(formes structurales dérivées, p. 125).

Lapiez

Ce sont des ciselures à la surface des roches calcaires. Elles peuvent être
recouvertes d'une terre ou paraître à l'air libre. Dans le premier cas (lapiez vir‐
tuel), l'attaque de la roche s'effectue grâce à l'humidité et aux acides humiques
du sol. Dans le second, c'est l'eau de ruissellement qui est responsable de l'at‐
taque. Les formes sont alors étranges : champs de pierres, chenaux profonds,
etc. Les dimensions des creux et des reliefs du lapiez sont de l'ordre du mètre.

Aven

L'aven est un abîme, un entonnoir qui s'ouvre à la surface du plateau. Cer‐


tains sont célèbres, comme l'aven Armand sur le Causse Méjean, le gouffre de
Padirac dans les Causses du Quercy. Ils se forment à partir d'une fissure que la
dissolution élargit, et que des décollements ou des éboulements peuvent
agrandir encore ; l'aven peut alors rencontrer d'autres fissures elles-mêmes
élargies, et prendre des proportions notables (figure 36).

Figure 36 Type d'aven

Remarquer l'exploitation des fissures et de la faille par l'érosion


karstique. L'argile de décalcification est le résidu de la dissolu‐
tion : elle est formée des impuretés non solubles du calcaire.
L'aven conduit alors à une grotte au plafond de laquelle les fissures donnent
naissance à des stalactites formées par le dépôt de la calcite contenue dans les
eaux d'infiltration, cependant que sur le plancher de la grotte les eaux tombées
de la voûte déposent aussi de la calcite, celle qui forme les stalagmites. Le pit‐
toresque des grottes karstiques provient de la variété des formes de ces
aiguilles de calcite (pendeloques, formes en choux-fleurs, etc.).

Doline

La doline est une dépression de forme ovale, à contours parfois sinueux,


mais non anguleux (figure 37A). Le bord de la doline est le plus souvent en
pente raide et la roche y affleure à nu, cependant que la terre (souvent une
argile de décalcification, c'est-à-dire le résidu des calcaires enlevés, rougeâtre)
tapisse le fond de la dépression et en fait une terre de culture. La doline offre
ainsi un profil en baquet ; mais il existe bien des variantes à ce type classique :
certaines dolines ont une forme de transition entre celle d'un baquet et celle
d'un entonnoir. Les dimensions sont également très variables, de quelques
dizaines de mètres à quelques hectomètres de diamètre ; la profondeur varie
de quelques mètres à plus de 200 mètres.
L'origine des dolines semble due à l'existence d'un point d'absorption
puisque l'eau de la dépression fermée ne peut s'écouler, après la pluie, que
vers la profondeur. Mais pourquoi le point d'absorption ne donne-il pas un
aven ? Il y a là des problèmes difficiles.

Ouvala

Plusieurs dolines entrant en contact donnent une dépression aux contours


sinueux ressemblant à une rosace irrégulière ; c'est une ouvala (figure 37B).

Figure 37 Doline (A) et ouvala (B)

Poljé

Le mot poljé, dans les langues slaves, signifie tout simplement plaine, mais
les géomorphologues réservent le nom à une plaine karstique fermée, large de
quelques centaines de mètres à quelques kilomètres, longue de quelques kilo‐
mètres à quelques dizaines de kilomètres, qui contraste par sa platitude et sou‐
vent par sa mise en culture avec les plateaux karstiques pierreux qui la bordent
(figure 38).
Figure 38 Un poljé

En pointillé, le sol de terre arable. P : ponor H : hum. Les


flèches indiquent le sens de l'écoulement du cours d'eau.
Les bords du poljé sont en pente forte ; le fond plat est tapissé d'une terre de
décalcification. Une rivière parcourt souvent ce fond mais ne peut en sortir
que souterrainement par un gouffre appelé, en Croatie, ponor. Après de
longues pluies, le calcaire peut être chargé d'eau et le ponor cesse d'absorber,
de sorte que le fond du poljé est temporairement inondé à la manière d'un
lavabo dont la vidange n'absorberait que goutte à goutte. Le ponor peut même
fonctionner à l'envers, comme une source remontante. Le fond du poljé est
souvent accidenté de buttes rocheuses, les hums.
L'origine des poljés est extrêmement complexe (M. DERRUAU, Précis de
géomorpologie, Paris, A. Colin, 7 édition, page 320).
e

Vallons secs

Les plateaux karstiques ont non seulement des dépressions fermées


(dolines, ouvalas, poljés), mais aussi des réseaux de vallons conduisant soit
au-dessus d'un canyon, soit à un poljé, et ordinairement privés d'eau. C'est
seulement après de fortes pluies qu'un courant s'y établit. Ces vallons secs,
que nous avons déjà rencontrés dans la craie, s'expliquent peut-être par une
plus grande humidité lors des époques froides du Quaternaire : l'écoulement y
était alors beaucoup plus fréquent qu'aujourd'hui et, peut-être, quasi perma‐
nent.
3.2. La circulation des eaux dans le karst

La circulation intérieure des eaux dans une région calcaire (figure 39) se
fait entre des points d'absorption, innombrables fissures, avens, ponors, où
disparaissent des rivières subaériennes, et des résurgences (les puristes disent
exsurgence quand l'origine de l'eau est diffuse et réservent résurgence pour la
réapparition d'un cours d'eau précis) : certains tracés souterrains ont pu être
prouvés par des expériences de coloration des eaux. Mais certaines eaux dis‐
paraissent sans qu'on ait jamais réussi à mettre en évidence leur point de résur‐
gence, comme si elles allaient se perdre dans une nappe profonde ou dans le
fond de la mer.
Entre le point d'absorption et le point de sortie, le tracé est indépendant de
celui des rivières superficielles anciennes ou actuelles ; ainsi, il n'existe pas de
rivière souterraine sous les canyons.
Le trajet souterrain s'effectue par des puits et des galeries. Dans ces gale‐
ries, les eaux circulent soit en écoulement libre, par gravité, soit sous pression.
Puits et galeries suivent les points faibles de la masse rocheuse : plans de stra‐
tification, diaclases, etc. Leur tracé est toujours compliqué.
Il n'y a pas de communication, en général, entre deux galeries voisines :
l'une peut être sèche et l'autre occupée par l'eau. Il n'y a donc pas, dans les
karsts, une nappe phréatique continue. À la rigueur on peut parler de nappe
continue dans les alluvions qui tapissent le fond de certains poljés et dans cer‐
tains calcaires poreux et peu fissurés mais, en général, on ne peut pas considé‐
rer qu'il existe un niveau de base intérieur en fonction duquel se fait l'attrac‐
tion des eaux superficielles.
Figure 39 Exemple de circulation karstique

La nappe phréatique, visible à gauche, n'est pas générale. À


droite, circulation par puits, galeries, et rivière souterraine.
Remarquer la présence de galeries abandonnées. La faille obture
le passage des eaux dans une partie de son plan (le haut), mais elle
est au contraire collectrice dans une autre partie (le bas). VM :
voûte mouillante ; R : résurgence. 1 : alluvions et terre de décalci‐
fication ; 2 : nappe phréatique ; 3 : rivière souterraine.
On peut cependant invoquer des règles générales valables pour l'évolution
des régions karstiques. Si le calcaire repose sur une couche imperméable,
marne par exemple, qui affleure au-dessus du niveau des grandes vallées, des
sources s'installent au contact du calcaire sus-jacent et de la marne sous-
jacente. Ces sources reculent par érosion régressive (figure 35) et constituent
des reculées. Les plateaux calcaires sont donc ainsi, assez souvent, attaqués à
partir de leurs reculées bordières, (par exemple le Causse du Larzac par la
reculée de la Lergue au nord de Lodève).
L'érosion se fait aussi en profondeur par dissolution interne. En surface, le
ruissellement est pratiquement nul, de même que le creeping ; en consé‐
quence, les pentes raides ne s'atténuent pas : on dit qu'elles sont immunisées ;
et de grands abrupts, comme les flancs des hums et les rebords des poljés,
peuvent subsister longtemps. Cependant, les nappes d'eau d'inondation des
poljés attaquent les rebords par dissolution. Si l'érosion s'exerce très long‐
temps, les poljés finissent par se rejoindre et le plateau proprement dit se
réduit à quelques hums. Une circulation générale de cours d'eau se rétablit
alors sur les terres des fonds de poljé.
Si la région se ressoulève, les cours d'eau s'enfoncent en canyon, ou, s'ils
n'ont pas assez d'eau pour conserver un cours subaérien, ils disparaissent en
profondeur ; on peut même rencontrer des cas d'autocaptures : tandis que le
cours d'eau s'encaisse à partir de l'aval, et crée un canyon par érosion régres‐
sive, une galerie souterraine peut se développer en même temps et soutirer des
eaux du cours amont de la rivière pour les amener directement au fond du
canyon. C'est ce qui s'est passé à Bramabiau, où le ruisseau du Bonheur, venu
des Cévennes cristallines, disparaît dans un gouffre pour reparaître plus bas
dans une résurgence au fond d'un canyon situé plus en aval. On peut donc par‐
ler d'un rajeunissement du karst. Les Causses du Massif Central ont été, à la
fin de l'ère tertiaire, soulevés, rajeunis et la circulation des eaux, de superfi‐
cielle qu'elle était, s'est développée en profondeur.

3.3. Diversité des karsts suivant le climat

On devine que les karsts, puisqu'ils se modèlent par dissolution, sont érodés
beaucoup plus sûrement sous un climat humide que sous un climat sec. Quant
à l'action de la température, elle est très discutée, parce que l'eau froide,
contrairement à ce qu'on pourrait croire, dissout plus de gaz carbonique que
l'eau chaude, mais l'eau chaude dissout mieux le calcium que l'eau froide, de
sorte que ceci compense cela et que les avis sur l'efficacité de la température
sont partagés.
Cependant, il semble bien que les karsts les plus typiques soient ceux des
régions intertropicales (figure 40). Là, les pentes raides sont encore plus verti‐
gineuses que dans les pays tempérés, et les hums qui dominent le fond des
poljés ressemblent à des tourelles (on parle de karsts à tourelles ou de karsts à
pitons : Cuba, Nord Viêt-nam, etc.) ; là sont aussi les plus beaux poljés. Du
relief karstique, le plus caractéristique, mais non le seul des reliefs calcaires,
on retiendra en tout cas les grands contrastes entre les plateaux pierreux, les
versants qui les limitent versants de canyons, rebords de poljé et les fonds où
se rassemble la terre (fond de dolines ou de poljés) ; les formes y sont donc
particulièrement originales ; on a même parlé d'une morphologie poussée jus‐
qu'à l'absurde.
Figure 40 Karst à tourelles tropical, Chine du Sud

Fond d'un poljé et hums en forme de tours. D'après une photo‐


graphie de H. von Wissmann.
Chapitre 9

Les roches cristallines


DU POINT DE VUE géomorphologique, on classe dans les roches cristallines,
comme on l'a vu, les roches éruptives plutoniques (type : le granit) et les
roches cristallophylliennes (type : le gneiss) et on les sépare nettement des
roches éruptives d'épanchement (type : le basalte), autrement dit, des roches
volcaniques. En effet, les roches que nous classons ensemble ont des carac‐
tères morphologiques voisins : assez bonne résistance à l'érosion, imperméabi‐
lité. Au contraire, les volcans offrent des reliefs tout à fait particuliers et
seront étudiés dans un autre chapitre.

1. Les roches cristallines plutoniques

Les roches plutoniques se sont formées en profondeur, sous la terre, à une


certaine pression et à forte température. On ne doit pas les appeler roches
éruptives anciennes. En effet, si beaucoup d'entre elles sont anciennes, d'autres
sont récentes : les roches granitiques qui affleurent dans la région des lacs ita‐
liens subalpins sont contemporaines de la chaîne récente, tertiaire, que sont les
Alpes.
Les roches plutoniques sont formées de cristaux. Elles sont entièrement
cristallisées, à la différence des roches volcaniques qui ne le sont que partiel‐
lement. Les cristaux peuvent être de taille régulière ou irrégulière. Ils peuvent
être petits (on dit que la roche a une structure aplitique) ou moyens (la roche
est dite grenue).
Les roches plutoniques diffèrent aussi entre elles suivant leur nature chi‐
mique, qui se traduit par la présence de tel ou tel minéral de composition
caractéristique. Ainsi, le granit comprend environ 70 % de silice tandis qu'un
gabbro n'en a que 45 % environ ; le granit est une roche acide, le gabbro une
roche basique. Les principaux cristaux du granit sont le quartz, qui est de la
silice pure, les feldspaths, qui sont des silicates d'alumine, et le mica noir,
appelé aussi biotite, qui est un silicate d'alumine, de magnésium et de fer.
Selon le mode de gisement, une roche plutonique peut se présenter :
• sous la forme d'un filon, c'est-à-dire d'une espèce de moulage interne
mince, à la façon d'un mur qui serait monté en profondeur dans
d'autres roches ;
sous la forme d'une grande masse, dite « massif », presque aussi large
que longue. Le massif peut, ou bien représenter une intrusion (c'est-à-
dire qu'il s'est mis en place aux dépens d'autres roches, avec une
limite nette recoupant les affleurements voisins et on l'appelle alors
batholite), ou bien passer progressivement à des roches métamor‐
phiques sans qu'on puisse indiquer sur le terrain la limite exacte de
son gisement : c'est alors une roche plutonique d'anatexie.

2. Les roches cristallophylliennes

On appelle cristallophylliennes, les roches qui, quelle qu'ait été leur nature
originelle, ont subi une transformation appelée métamorphisme (figure 41).
Cette transformation est le résultat de la chaleur et de la pression ; elle
consiste en une recristallisation effectuée selon une certaine direction, si bien
que les cristaux de roches métamorphiques sont orientés.
On distingue trois types de métamorphisme :
• Le métamorphisme de contact, au voisinage d'une masse éruptive
intrusive. Les roches qu'il engendre sont appelées cornéennes. D'une
façon générale, ce métamorphisme n'intéresse qu'une zone étroite,
quelques centaines de mètres en général. Ainsi, l'intrusion du granit
de Margeride dans les micaschistes a donné près du confluent du Lot
et de la Truyère (Massif Central français) une auréole métamorphique
qui ne dépasse pas 3 kilomètres de largeur.
Figure 41 Schéma montrant les rapports de différentes « zones » cris‐
tallophylliennes et de roches plutoniques

CC' : auréole de métamorphisme de contact (cornéennes).


• Le dynamométamorphisme, dû à des efforts tectoniques le long de
failles, n'intéresse lui aussi qu'une zone étroite sur la ligne soumise à
la tension ou à l'écrasement. Exemple : le métamorphisme de la zone
broyée d'Argentat, que l'on suit d'Argentat sur la Dordogne, au Sud,
jusqu'au voisinage de Guéret, au Nord. Les roches modifiées par le
dynamométamorphisme sont appelées mylonites.
Le métamorphisme général, ou régional, est celui qui se fait en profon‐
deur, à la fois à partir d'un massif et en fonction de la chaleur interne.
Le métamorphisme général représente des surfaces beaucoup plus
grandes que le dynamométamorphisme et que le métamorphisme de
contact.

3. Association, sur le terrain, des roches plutoniques et cristallophyl‐


liennes

On comprend maintenant comment se présentent, sur le terrain, des


ensembles de roches cristallines : un batholite intrusif, entouré d'une étroite
auréole de métamorphisme, est venu se loger, comme son nom l'indique, à la
façon d'un intrus ; au contraire, à partir d'un granite d'anatexie, on a une grada‐
tion de roches métamorphiques (figure 41). Ces auréoles se divisent nettement
en deux ensembles de roches.
Les migmatites, c'est-à-dire étymologiquement les roches résultant d'un
mélange ; elles ont parfois reçu un apport à partir du granit d'anatexie, mais
surtout elles ont subi une fusion partielle en raison des températures élevées et
des fortes pressions dues à la profondeur de leur formation. Ce sont donc des
roches refondues.
Les ectinites, plus éloignées du granite d'anatexie, et qui n'ont pas subi d'en‐
richissement sensible mais seulement une cristallisation due à la chaleur et à la
tension (le verbe grec ectinein, ektinein, signifie tendre) sans modifications de
leur composition chimique.
On appelle front de migmatisation la limite de la zone des migmatites du
côté des ectinites. Ce front monte plus ou moins haut à l'intérieur de la zone
des ectinites. Quand il s'élève tout particulièrement, il fait disparaître tous les
termes inférieurs de cette série ; dans le cas contraire, la série des ectinites est
complète.
Bien entendu, la zonation des roches métamorphiques n'est pas toujours
aussi régulière que le voudrait le schéma théorique. En effet, pendant la méta‐
morphisation, la température a pu localement s'élever, la pression a beaucoup
varié d'un point à un autre. Ce ne sont pas les mêmes minéraux qui se forment
à haute température/basse pression, à relativement basse température/haute
pression, haute température/haute pression, etc. Des poussées tectoniques ont
pu comprimer, déplacer, renverser même, les roches des profondeurs, qui se
trouvent à l'état ductile. Il y a là un domaine complexe.

4. Traits généraux du modelé des roches cristallines

Toutes les roches cristallines sont imperméables, mais certains des sols qui
en dérivent laissent s'infiltrer l'eau. C'est le cas des arènes granitiques. Cette
perméabilité des sols explique que quelques têtes de vallées n'ont pas de cours
d'eau mais, vers l'aval, le ruisseau ne tarde pas à sourdre ; en effet, les sources
sont nombreuses, insignifiantes le plus souvent, à l'opposé des résurgences
caractéristiques des pays calcaires. Il en résulte que les vallées sont rappro‐
chées, déterminant entre elles des croupes, des échines plus ou moins élevées
selon l'enfoncement des talwegs. Cette topographie est caractéristique des
régions cristallines et domine toute la répartition des sols arables et de l'instal‐
lation humaine.
Les croupes sont en général convexes, parce que les débris cristallins sont
sujets au creep, qui l'emporte sur le ruissellement concentré. Mais, dans le
détail, des formes originales accidentent souvent ces versants.
Au sommet, peuvent se trouver des crêtes dentelées, en général dues à des
roches aplitiques (qui sont souvent des filons mis en relief par l'érosion) ou
des tors, volumes rocheux de taille décamétrique, diaclasés mais bien en
place, qui émergent du manteau d'arène. D'autres sommets ont des formes de
dômes lisses, rocheux, fréquents surtout dans les pays intertropicaux et qui
représentent souvent des affleurements de roches plus dures que leurs voi‐
sines. Ce sont les pains de sucre, dont le plus célèbre domine la baie de Rio de
Janeiro (chapitre 19, p. 180). La rotondité est parfois structurale, correspon‐
dant à des diaclasés courbes accompagnant un toit de batholite, mais comme
elle affecte parfois aussi des roches sédimentaires ou des coulées de lave, il
faut bien admettre qu'elle peut être due à des phénomènes de décompression,
de décharge, après l'ablation de tranches sus-jacentes du relief.
Ailleurs, on voit apparaître des boules, surtout dans les granits à grain
moyen. Ces boules peuvent former de véritables chaos ou des amoncelle‐
ments, avec des roches en équilibre les unes sur les autres (comme dans le
Sidobre du Massif Central français ou le Huelgoat, en Bretagne). Les boules
se forment : soit à l'air libre, à partir de blocs parallélépipédiques, déterminés
par le réseau de diaclasés, les angles étant progressivement arrondis ; soit par
une préformation interne : des boules de granit dur sont, en profondeur, entou‐
rées d'une série d'écailles de granit altérable. Cette disposition a une origine
mal connue. En tout cas, on comprend que l'érosion dégage facilement les
écailles de granit altéré et mette à jour les noyaux résistants.
Sous certains climats, secs toute l'année (Sahara, Antarctique) ou une
grande partie de l'année (Corse, Sardaigne) les boules sont excavées de cavités
sphériques d'origine mal connue, dont les dimensions sont de l'ordre du mètre.
Ce sont les taffoni.
La tectonique récente du cristallin est dominée par la rigidité. Le cristallin
ne se plisse que sous des conditions de température et de pression qui ne sont
jamais réalisées quand il affleure en surface ou qu'il reste enfoui sous couver‐
ture peu épaisse. Il y a, certes, des degrés dans cette rigidité, qui est plus faible
dans les roches cristallophylliennes (en raison des possibilités de glissement
des plans de cristaux les uns sur les autres) que dans les roches cristallines
plutoniques. Mais, d'une façon générale, le cristallin ne se plisse pas, ou ne se
plisse qu'à grand rayon de courbure. Il peut, en revanche, se débiter en une
multitude de blocs basculés de toute taille ou pupitres, dénivelés les uns par
rapport aux autres par des failles.
Les fractures sont donc un des traits majeurs des régions cristallines ; elles
se traduisent par des escarpements plus ou moins émoussés, parfois aussi par
des vallées de ligne de fracture, ou de ligne de broyage, les cours d'eau se
fixant sur ces zones de faible résistance. On en connaît de très beaux exemples
au Portugal ; il en existe peut-être aussi dans la Forêt-Noire (vallée de l'Elz) :
leur dessin rectiligne, comme s'il était indépendant de la pente et de toute
influence lithologique, ressemble à un coup de hache dans la montagne. Ces
vallées de ligne de fracture sont surtout caractéristiques des roches pluto‐
niques, mais ne sont pas absentes dans les roches cristallophylliennes.

5. Différences dans le modelé des roches cristallines

Une même roche cristalline se comporte différemment suivant le climat.


Dans les pays frais, les régions cristallines gardent très bien la trace des
anciennes pénéplaines, comme c'est le cas dans les massifs anciens tels que le
Massif Central français ou les Vosges.
En pays chaud (méditerranéen, désertique ou intertropical), l'érosion pro‐
gresse assez vite ; les pénéplaines anciennes, partout où elles ne sont pas cui‐
rassées (chapitre 19.3), sont détruites assez rapidement et font place à des
croupes ou à des aplanissements plus récents au niveau des cours d'eau
actuels. Aussi les massifs anciens sont-ils souvent en creux par rapport à leur
bordure sédimentaire (calcaires des pays méditerranéens, grès des pays tropi‐
caux, chapitre 8.3).
La facilité avec laquelle travaille l'érosion se traduit, dans les pays de
savane et les déserts, par l'élaboration de grandes plaines horizontales, les
pédiplaines. Un des meilleurs exemples est le Yetti, vaste plaine granitique
située au Sahara occidental, dans le Nord de la Mauritanie.
Mais les grandes différences de relief dans les roches cristallines dépendent
surtout de la nature respective de ces roches. Trois facteurs principaux inter‐
viennent :
• La pénétration de l'eau : Plus une roche cristalline est poreuse, c'est-à-
dire plus grands sont les interstices entre ses cristaux ou plus nom‐
breuses les cassures dans ses cristaux, plus elle est fragile car, après la
pluie, l'eau pénètre dans les vides, surtout dans les vides les plus
allongés, et peut altérer les minéraux.
La taille des grains : Pour des raisons délicates à expliquer, les roches à
petits grains (aplites) sont les plus résistantes.
La nature chimique : Suivant leur nature chimique, les cristaux s'altèrent
très différemment. Le quartz, le mica blanc, les feldspaths potassiques
s'altèrent peu. Au contraire, le mica noir, les feldspaths calcosodiques
s'altèrent plus facilement.
Rien d'étonnant à ce que certaines régions aient pu être mises en creux, en
alvéole, par l'érosion au milieu d'autres régions cristallines restées en relief.
Toutefois, l'étude des différences de relief à l'intérieur des ensembles cristal‐
lins se révèle extrêmement délicate : quand une roche cristalline est en relief,
il est difficile de savoir si elle a défié l'érosion parce qu'elle était résistante ou
si elle a été soulevée par la tectonique.
Chapitre 10

Les roches volcaniques, les reliefs volcaniques


DANS LES CHAPITRES PRÉCÉDENTS, nous avons étudié les roches en tant que
matériaux. Quand il s'agit de volcans, il est difficile de distinguer des maté‐
riaux et leur disposition, autrement dit, de traiter la lithologie sans traiter la
structure. Le présent chapitre présentera donc une double orientation. Il lais‐
sera de côté l'importante question de la localisation des volcans sur le globe,
car elle est trop liée à la tectonique. Elle sera étudiée au chapitre 11 p. 104.

1. Les roches volcaniques

À la différence des roches cristallines, les roches volcaniques ne sont pas


entièrement cristallisées. Après un début de refroidissement dans les profon‐
deurs, un magma remonte dans les couches froides de l'écorce, ce qui arrête sa
cristallisation. Les roches volcaniques sont donc des roches à deux temps de
cristallisation. On les dit aussi microlithiques parce que la pâte qui se forme
par brusque refroidissement est constituée de cristaux microscopiques en
baguettes, les microlithes. Les cristaux visibles à l'œil nu (phénocristaux) sont
rares ou absents. Certaines roches volcaniques ne sont même que des « verres
». Telles sont les scories, projetées par le volcan, ou les obsidiennes, qui
forment des coulées et qui ressemblent à des tessons de verre noir.
La composition chimique des roches volcaniques et celle des roches cristal‐
lines sont semblables ; seul l'aspect diffère. Ainsi, un gabbro et un basalte ont
la même composition. Ils donnent toutefois des reliefs totalement différents.
Dans une certaine mesure, à chaque composition chimique de roches volca‐
niques correspond un relief particulier, lui-même dû à un mode d'éruption par‐
ticulier. On peut dire que, pour en rester aux grandes lignes, plus les matériaux
sont acides, plus les volcans sont explosifs. De même, plus ces matériaux sont
acides, plus ils sont de couleur claire. D'où une assimilation très approxima‐
tive des roches claires et des formes d'explosion, des roches foncées et des
formes d'écoulement calme.
Mais, pour une composition chimique déterminée, les matériaux se pré‐
sentent de façon différente suivant qu'ils se sont épanchés sous forme de cou‐
lée liquide ou qu'ils ont été rejetés sous forme solide (ou en aérosols). Dans ce
dernier cas, on dit qu'on est en présence de projections ou de matériaux pyro‐
clastiques. Dans le cas de lave liquide, on parle de matériaux effusifs, ou de
lave proprement dite.
Nous étudierons tous ces divers matériaux avec les types d'activité volca‐
nique.

2. Les quatre types classiques d'activité volcanique selon Lacroix

Au début du XX siècle, le minéralogiste Alfred Lacroix a distingué quatre


e

types d'activité volcanique, ce qui ne signifie pas quatre types de volcans


parce qu'un même type d'activité peut donner des combinaisons diverses et
que des volcans simples s'opposent, comme nous le verrons, à des volcans
complexes.
En principe, du premier au quatrième type, la température et la fluidité de la
lave diminuent, la nature des roches émises devient plus acide, les explosions
se font plus violentes, la proportion des matériaux solides rejetés l'emporte de
plus en plus sur la proportion des matériaux liquides (figure 42).

Figure 42 Les quatre types d'éruption volcanique d'après Lacroix

A : type hawaïen ; B : type strombolien ; C : type vulcanien ; D :


type péléen.

2.1. Type 1 : hawaïen

Le type hawaïen est caractérisé par des épanchements de laves très fluides,
toutes les autres manifestations (explosions, projections, formation d'un cône
de scories) restant fort rares. L'éruption est continue, en ce sens que le cratère
est un lac dont la lave bouillonne des années entières et s'en épanche de temps
à autre par débordement ou par une fissure. Les types les plus parfaits et les
mieux étudiés sont représentés par les volcans des îles Hawaï, comme le
Mauna-Loa, qui dépasse 4 100 mètres, ou le Kilauea (1 235 m) leurs cratères
se sont cependant vidés. Le Nyamlagira et le Nira-Gongo, au Kivu (Afrique
Centrale), l'Erta Alé, dans la corne de l'Afrique, la Fournaise, à la Réunion,
appartiennent au même type.

2.2. Type 2 : strombolien

Le mode d'activité strombolien (du nom du volcan Stromboli, une des îles
Lipari, situé au nord de la Sicile) est également continu ; le cratère contient de
la lave fluide, mais, de temps à autre, le volcan projette une colonne de gaz et
de pierres. Habituellement, ces explosions ne présentent aucun danger, les
matériaux retombant dans le cratère même, mais sont très fréquentes (plu‐
sieurs par heure) ; elles sont particulièrement spectaculaires la nuit. En dehors
du cratère, les matériaux vont glisser sur une pente d'éboulis, comme la Sciara
del fuoco du Stromboli. Aux périodes de paroxysme, la lave peut s'épancher
par effusion. Par extension, on appelle éruption strombolienne celle qui émet,
en volume à peu près égal, des scories et des laves, même si l'activité (ce qui
est le cas général) n'est pas continue. Les matériaux rejetés par une éruption
strombolienne sont donc des laves ou des scories.

2.3. Type 3 : vulcanien

Le type vulcanien tire son nom du volcan Vulcano, situé dans la plus méri‐
dionale des îles Lipari. La lave, nettement moins fluide que dans les types pré‐
cédents, se solidifie très rapidement ; aussi la cheminée se bouche-t-elle entre
chaque éruption et l'activité se réduit-elle alors à quelques émissions latérales
de vapeurs soufrées. Le paroxysme éruptif est au contraire très violent : la lave
est alors pulvérisée en cendres ou projetée sous la forme de ponces (laves très
bulleuses), avec peu de matériaux grossiers. Ces émissions peuvent s'effectuer
de deux façons : ou par projection d'un panache en parasol d'où retombent les
matériaux fins, ou par écoulements en aérosols à ras de terre. Ces écoulements
se figent en amoncellements de cendres et de ponces plus ou moins soudés
appelés ignimbrites. Les coulées vulcaniennes de lave sont rares et peu éten‐
dues : elles se solidifient très vite, même sur des pentes rapides ; elles sont for‐
mées de laves peu fluides, telles que les rhyolites.

2.4. Type 4 : péléen

La montagne Pelée, à la Martinique, qui s'est rendue tristement célèbre par


son éruption de 1902, a servi d'exemple pour le quatrième type. La lave,
même si elle a été émise à forte température, est très visqueuse (rhyolite,
domite, dacite). Les éruptions sont séparées par de longs intervalles. Elles
commencent par une phase préliminaire caractérisée par des émissions de
fumées et de cendres ; puis une gigantesque explosion se produit, émettant un
panache comme dans une éruption vulcanienne et en même temps, des nuées
ardentes sont émises par le sommet éruptif ou par des fissures latérales. Ce
sont des nuées foncées, composées de blocs et de cendres enveloppés par de la
vapeur d'eau ; chaque bloc reste isolé ; il ne se choque pas avec les blocs voi‐
sins, la vapeur d'eau plus ou moins chargée de cendres formant entre eux
matelas. La nuée descend en roulant sur le sol, à des vitesses variant entre 10
et 150 m/s, précédée d'une onde aérienne. Elle détruit tout sur son passage,
renversant les murs et, de plus, brûlant les arbres. C'est une nuée ardente qui
en 1902 a détruit Saint-Pierre, à la Martinique, catastrophe dans laquelle
presque toute la population trouva la mort.
Avant ou après l'éruption, se produit une intumescence, ou extension de
lave pâteuse, qui peut soit donner un dôme, soit se transformer en aiguille à la
verticale de la cheminée. L'aiguille craque en se solidifiant et s'éboule par
fragments.
Cette classification reste une base à connaître. Elle a le mérite de la simpli‐
cité, mais l'inconvénient de faire du « type vulcanien » un fourre-tout qui va
nous amener à distinguer de nombreux sous-types alors même que le « type
péléen » peut être considéré comme un de ces sous-types. Mieux vaut aban‐
donner le nom de vulcanien et parler, pour l'ensemble du 3 et du 4 type, de
e e

volcans « explosifs ». Il faut, d'autre part, introduire dans la classification des


modes d'activité qui étaient restés inconnus ou jugés accessoires par Lacroix.

3. Une classification à complexifier

Commençons par ajouter trois types « oubliés » par Lacroix :


• Il a existé dans le passé des volcans encore plus fluides que le volcan
hawaïen et qu'on pourrait nommer « ultra-hawaïens ». Des volcans de
la fin du Secondaire ou du Tertiaire ont épanché, plus par des fissures
que par des cheminées centrales, en tout cas sans créer de hauts
reliefs, des écoulements très abondants et très fluides de basaltes, se
recouvrant les uns les autres et ensevelissant des régions entières sous
de véritables inondations de lave. On a parlé, dans leur cas, de flood
basalts, « basaltes d'inondation ».
L'explosion phréato-magmatique : Si le magma volcanique chaud, en
montant, rencontre, près de la surface, une masse d'eau, il la vaporise
brutalement, ce qui produit une explosion violente, même si la lave
n'est pas acide. Ainsi se forment les maars (p. 96).
Il se produit de nombreuses éruptions sous-marines. Au contact de l'eau,
la lave se refroidit brusquement ; elle explose en donnant des scories
vitreuses, les hyalo-clastites et se débite aussi en coussinets, les
pillows.
Quant au type « explosif », qui englobe le vulcanien et le péléen de Lacroix,
l'essentiel est d'y distinguer :
• les éruptions à prépondérance de retombées de cendres (ce sont les
éruptions « pliniennes », d'après celle du Vésuve en l'an 79, décrite
par Pline le Jeune) ;
les éruptions caractérisées par de vastes écoulements ignimbritiques (ce
sont les éruptions katmaïennes, que le volcanologue G. A. Macdonald
a même qualifiées de fluides) représentées par l'éruption de 1912 du
Katmaï, en Alaska, où la coulée ignimbritique forme la « Vallée des
Dix-Mille Fumées » ;
les éruptions que les nuées ardentes et explosions dirigées rendent dan‐
gereuses et qui peuvent s'accompagner de constructions de dômes et
aiguilles comme à la Montagne Pelée en 1902 ou au Mont-Saint-
Helens, dans le nord-ouest des États-Unis, en 1980.
On donne de plus en plus d'importance aux grands éboulements que pro‐
voquent les ébranlements et soulèvements qui accompagnent les éruptions. Ce
sont les « avalanches de débris » (à distinguer évidemment des avalanches de
neige !).

4. Les reliefs volcaniques élémentaires

Les reliefs élémentaires construits par les volcans sont les suivants :

4.1. Le cône volcanique simple

Un cône volcanique simple est une accumulation de scories, c'est-à-dire de


matériaux rejetés à faible distance par une cheminée volcanique ; il résulte
d'une éruption courte, de quelques jours ou tout au plus de quelques mois,
comme on l'a vu pour le volcan Paricutin, surgi en 1943 à l'ouest de Mexico.
Selon le type d'éruption, la nature des matériaux varie : prépondérance de
cendres fines et de ponces pour les types explosifs, prépondérance de maté‐
riaux grossiers pour le type strombolien. Suivant la taille des matériaux, on
distingue les cendres, qui ne dépassent pas le millimètre de diamètre, les
lapilli, petites pierres bulleuses de 1 millimètre à 10 centimètres, les blocs de
dimensions supérieures à 10 centimètres. (Pour certains auteurs, les limites
sont 4 millimètres et 32 millimètres).
Quand les blocs ont une forme spéciale due au fait qu'ils se sont vissés dans
la cheminée au cours de la projection (forme d'amande plus ou mois tordue),
on les appelle des bombes volcaniques.
Quand les scories émises sont particulièrement bulleuses, légères, à tel
point que leur densité est parfois inférieure à 1, on les appelle des ponces. Il
existe des ponces de toutes dimensions. Elles sont, en tout cas, constituées de
roches acides.
Au sommet des cônes s'ouvre un cratère, qui est dû au souffle de la projec‐
tion. Ses pentes sont tantôt des talus de gravité, tantôt, comme c'est le cas le
plus fréquent pendant les paroxysmes d'éruption, des parois verticales d'arra‐
chement abruptes dans les scories.
Les matériaux éjectés par le cratère sont en général projetés juste à sa limite
extérieure. Ils descendent par gravité sur les flancs dont la pente correspond à
l'équilibre du talus de gravité, à environ 35 degrés.
Un cas particulier de cône simple est celui du cône égueulé, dont les puys
de la Vache et de Lassolas, en Auvergne, sont des exemples classiques. Le
cône est ouvert d'un côté par un évasement du cratère.

4.2. Le champ de scories

Les champs de scories se présentent comme des reliefs plus indécis que les
cônes : simples saupoudrages sur des reliefs préexistants. Les plus étendus
sont composés de cendres pliniennes fines, que le vent peut transporter fort
loin. Des cendres peuvent se sédimenter dans des lacs ; elles deviennent com‐
pactes et forment ce que l'on nomme des cinérites.

4.3. La coulée de lave

La coulée est formée d'une lave liquide qui, à partir d'un point d'émission,
descend sur les pentes par gravité. Elle se refroidit au cours de cette descente,
ralentit son allure et finit par s'immobiliser. Au voisinage du point d'émission,
elle est rapide et étroite ; mais en descendant, sa vitesse se réduit à quelques
mètres à l'heure et sa largeur augmente : elle est de l'ordre de la centaine de
mètres. La surface des coulées peut se présenter sous deux formes différentes,
le pahoehoe, l'aa. Ces termes viennent du langage indigène des îles Hawaii ;
le premier désigne un aspect dû à la solidification d'une croûte très mince sous
laquelle la lave continue à s'écouler en ridant cet épiderme encore élastique.
L'ensemble donne l'impression de la peau rugueuse d'un vieil éléphant à chair
flasque. La lave du pahoehoe peut se lover comme un écheveau de corde, en
se refroidissant (lave cordée) ; elle peut aussi former des excroissances, larges
de 30 à 60 centimètres. Le pahoehoe n'existe que dans le type hawaïen, tandis
que l'aa se rencontre aussi dans les autres types.
L'aa est un chaos de lave scoriacée, semblable à un champ de mâchefer ;
ses irrégularités peuvent atteindre quelques décimètres, mais souvent aussi
quelques mètres de hauteur. En Auvergne, on nomme cheire (c'est-à-dire pays
pierreux) une telle accumulation.
Les coulées diffèrent entre elles non seulement par leur aspect superficiel,
mais aussi par leur forme d'ensemble et par leurs dimensions ; sans parler des
coulées qui s'associent à des formes plus complexes (bavures sur un cône de
scories, coulées se recouvrant les unes les autres), elles diffèrent beaucoup
selon la quantité de lave émise (il y a ainsi des coulées longues de quelques
mètres et des coulées longues de plusieurs kilomètres et même de plusieurs
dizaines de kilomètres) ; elles diffèrent aussi suivant la forme topographique
sur laquelle elles se sont épanchées (pente longitudinale forte ou faible,
variable ou uniforme, profil transversal en pente plus ou moins forte). Cer‐
taines coulées, épanchées dans des vallées étroites et encaissées, s'étirent en
longueur avec un profil transversal convexe, à la manière d'une langue (cou‐
lées filiformes), d'autres, épanchées dans des plaines ou sur des plans inclinés,
s'étalent en largeur. La forme topographique des coulées est donc, dès l'émis‐
sion, extrêmement variable, selon la topographie préexistant à l'épanchement,
selon la quantité de lave émise et aussi selon sa fluidité.

4.4. Le lac de lave

Une lave fluide peut aussi combler le cratère qui l'a émise ou une dépres‐
sion préexistante et y constituer un lac, qui se fige.

4.5. Autres formes élémentaires de construction volcanique

Certains volcans explosifs donnent, comme on l'a vu, des dômes de lave
(type le Puy-de-Dôme) ; il se forme aussi, sur les pentes, des conglomérats de
types divers, dont nous n'allons retenir qu'un exemple. Si, sur les pentes d'un
volcan, d'abondantes pluies, ou la brusque vidange d'un lac secoué par un
tremblement de terre, imbibe des cendres fines, il se forme une coulée non de
laves, mais d'eau fangeuse, ou de boue, qui descend par gravité. Un tel phéno‐
mène est dit lahar (mot javanais).

5. Les facteurs de complexité dans les reliefs volcaniques : érosion, des‐


truction violente, emboîtements

Une fois les reliefs volcaniques construits, l'érosion travaille à les détruire.
Elle profite des inégalités de résistance entre les laves, qui sont dures, les sco‐
ries qui sont relativement peu résistantes, et les roches non volcaniques qui
enrobent ou supportent la lave. L'érosion différentielle joue donc à la fois
d'une roche volcanique à l'autre et des roches volcaniques aux autres maté‐
riaux.
Les cendres volcaniques sont très sensibles à l'érosion ; comme elles sont
fines, elles se saturent rapidement d'eau de pluie, se comportent comme des
roches imperméables, et sont emportées par le ruissellement. Les scories gros‐
sières résistent un peu mieux ; mais elles sont meubles, sujettes au creeping,
de sorte que les pentes des cônes de scories s'émoussent très vite. Au bout de
quelques dizaines de milliers d'années, les cratères ne sont plus apparents, les
cônes, dont les pentes étaient voisines de 35 degrés à l'origine, n'ont plus que
des déclivités de l'ordre de 25 degrés. Les deux millions d'années environ qu'a
duré le Quaternaire, suffisent à les détruire presque entièrement.
La lave des coulées est la roche volcanique la plus résistante. Elle s'érode
quelque peu sur ses bords car sa structure est très diaclasée et présente un
débit prismatique qui permet à l'érosion de la découper en tuyaux d'orgues
(dont l'origine est discutée). En surface, la coulée voit d'abord ses irrégularités
se détruire par éclatement, amenuisement et formation d'un sol (assez rapide‐
ment en pays tropical humide). La coulée la plus rugueuse devient toujours, en
vieillissant, une coulée unie, et, si le climat le permet, cultivable. Une coulée
récente, toujours fissurée, est perméable ; mais à la longue, les débris
comblent les fissures et la coulée devient assez imperméable.
Cependant, malgré le dégagement des prismes sur les bords, et l'établisse‐
ment d'un sol d'altération sur la surface, les coulées résistent bien dans leur
ensemble. Leur érosion aboutit à l'inversion du relief volcanique (figure 43).
À l'origine, une coulée suit la ligne de plus grande pente puisqu'elle est liquide
et qu'elle obéit à la gravité. Elle tend donc à occuper les fonds de vallées où
elle peut d'ailleurs perturber le réseau hydrographique, barrant les vallées
affluentes de celle dans laquelle elle s'épanche et formant ainsi des lacs de
barrage volcanique (exemple : le lac d'Aydat en Auvergne). Mais elle ne tar‐
dera pas à être mise en relief parce que le terrain sur lequel elle s'établit est
pour ainsi dire cuirassé par elle, et que l'érosion travaille plus aisément dans
les roches non volcaniques de part et d'autre. Ainsi, la coulée, qui occupait les
points bas, devient une partie haute de la région. Tout au plus est-elle frag‐
mentée en buttes isolées à sommets plats, qu'on appelle mesas, mot espagnol
qui signifie tables.
Figure 43 L'inversion du relief volcanique

I volcan récent. II volcan ancien. 1 : lave ; 2 : marnes ; 3 : sco‐


ries ; 4 : source.
L'érosion différentielle travaille aussi par déchaussement car elle dégage
des laves souterraines en travaillant rapidement dans les roches non volca‐
niques ou dans les cendres qui les enrobaient. Elle dévoile ainsi des structures
internes.
L'érosion fait apparaître, en effet, les racines des volcans. Sous un volcan
apparent, il existe des cheminées remplies de laves. Ces cheminées pénètrent
dans les roches encaissantes à la façon d'un doigt de gant ; dans quelques cas,
c'est toute une cassure que la lave, en montant, a moulée ; la lave peut aussi
s'être immiscée entre deux couches sédimentaires. Elle peut même soulever en
dôme ces couches sédimentaires.
On appelle dyke le mur de lave qui est le moulage d'une cassure (figure
44A).
On appelle culot (ou neck) une cheminée de lave dégagée par l'érosion dif‐
férentielle (figure 44B). Un culot est souvent un pointement vertigineux ; cer‐
tains ont servi de sites à des châteaux forts, comme c'est un cas fréquent en
Auvergne.
Figure 44 Blocs diagrammes d'un dyke (A), et d'un culot de lave (B)

1 : lave ; 2 : marnes
Le sill est le moulage d'un plan stratigraphique séparant deux couches sédi‐
mentaires (figure 45A).
Le laccolite est le boursouflement de lave qui a soulevé en dôme des roches
sédimentaires (figure 45B).
Les destructions violentes sont une autre source de complications. Deux cas
peuvent se présenter : l'explosion et l'effondrement volcaniques. L'explosion,
ou plutôt les successions d'explosions qui font sauter tout une partie de volcan,
donnent des cavités circulaires qui sont souvent à l'origine d'un lac, comme le
lac Pavin en Auvergne. On remarquera qu'il n'existe pas de lac dans les cra‐
tères des cônes de scories grossières car ces dernières sont perméables. Mais
quand les explosions pénètrent jusqu'au socle imperméable du volcan, on
atteint une zone imperméable et l'eau peut séjourner.
Les cratères d'explosion ont un diamètre qui dépasse rarement 1,5 kilo‐
mètre. On distinguera ces lacs de cratères d'explosion, appelés maars, des lacs
de barrage volcaniques.
Sous un cratère d'explosion, la cheminée, de grand calibre, est remplie de
brèches et de masses de lave. On l'appelle un diatrème (étymologiquement :
trou traversant). Seule l'érosion la dégage, quelques millions d'années après
l'éruption. Les cheminées diamantifères de l'Afrique du Sud sont des dia‐
trèmes.
Figure 45 Sill (A) et laccolite (B)

Les effondrements sont fréquents dans les volcans. En effet, sous un volcan,
il existe un réservoir de matières volcaniques qui s'est peu à peu vidé au cours
de l'éruption. Le volcan n'est donc plus supporté par son tréfonds et peut s'ef‐
fondrer en partie. Il en résulte encore une cavité circulaire, en général beau‐
coup plus grande que celle d'un cratère d'explosion. Les grands cratères des
îles Hawaï sont de ce type ; ils s'ouvrent dans les empilements de laves ; il
existe aussi des cratères d'effondrement dans les volcans de lave acide
(exemple : celui du lac Toya au Japon, car ces cratères d'effondrement s'em‐
plissent d'eau eux aussi). Cratères d'effondrement et cratères d'explosion sont
appelés calderas, quand ils sont de grande taille (plus d'1,5 km de diamètre).

6. Quelques grands types de volcans complexes

Les effondrements, les emboîtements, le travail plus ou moins poussé de


l'érosion créent des associations de formes qui conduisent à diviser les reliefs
volcaniques complexes en de nombreux types.

6.1. Les traps

Quand d'anciens empilements de flood basalts, qui superposent des dizaines


de coulées de quelques mètres d'épaisseur, avec interpositions de minces sau‐
poudrages de cendres, sont entaillés par des vallées, ils deviennent des pla‐
teaux. Les versants font apparaître une structure en millefeuille se traduisant
par des marches d'escalier (c'est le sens du germanique trap). Deux régions
presque aussi grandes que la France, les plateaux de la Columbia River, dans
le Nord-Ouest des États-Unis, et le Nord-Ouest du Dekkan, dans l'Inde, sont
des pays de traps.
6.2. Le grand volcan hawaïen

Il se présente comme une galette de lave consolidée, sur laquelle bavent de


temps en temps des laves récentes fluides. L'ensemble peut être considérable,
puisque le Mauna Loa compte près de 100 km de diamètre. Il culmine à plus
de 4 000 mètres. Les pentes d'ensemble restent faibles, mais, localement, une
accumulation de laves peut présenter des déclivités supérieures à 20 . Sur leso

flancs, aa et pahoehoe se succèdent. Le sommet est une vaste cuvette d'effon‐


drement creusée de plusieurs fosses qui sont les cratères. Mais la lave ne sort
pas toujours du sommet : elle passe par des fissures radiales et s'épanche par
grandes masses fluides. Si un cône de scories s'édifie, son volume reste faible.
La topographie est encore compliquée par la juxtaposition de plusieurs
grands volcans ; ainsi la grande île Hawaï se compose de six ensembles volca‐
niques dont les flancs se recoupent et entre lesquels se disposent de grandes
vallées. Un de ces grands centres, le Kilauea, plus étroitement soudé que les
autres au volcan du Mauna Loa, a un immense cratère d'effondrement de 5 km
de diamètre.
Quand les éruptions cessent, l'érosion ne tarde pas à l'emporter. C'est ce qui
se passe dans l'île Kauaï, l'une des Hawaï, où elle creuse dans la lave de
grandes gorges, semblables aux canyons des régions calcaires. Du côté de
l'amont, ces gorges s'élargissent parfois en vastes amphithéâtres torrentiels,
comme dans l'île de Maui, une autre des Hawaï. Ainsi, l'organisme hawaïen
évolue vers une dissection qui le réduit à des échines inclinées séparées par
des vallées à flancs raides.

6.3. Les cônes complexes

Un cône est rarement isolé. Même le petit volcan classique présente non
seulement un cône à cratère mais aussi une coulée, qui s'épanche en général
par la base, entre le substratum et la masse des scories.
Les formes se compliquent parce que, le plus souvent, le cône lui-même est
en fait un emboîtement de cônes. Un premier cône est tranché, à son sommet,
par un vaste cratère (souvent cratère d'explosion ou d'effondrement). Une nou‐
velle éruption fait naître à l'intérieur de ce petit cratère, dans une position par‐
fois excentrée, un nouveau cône de scories. Entre ce petit cône et la paroi du
grand cratère préexistant s'allonge une dépression circulaire. Telle est la struc‐
ture du Vésuve.
On appelle Somma le sommet de l'amphithéâtre extérieur, Atrio del Cavallo
la dépression semi-circulaire entre cet amphithéâtre et le cône central, lequel
porte le nom de Vésuve proprement dit.

6.4. Les grands volcans à planèzes (strato-volcans) (types Etna, Cantal)

Le grand volcan composé classique n'est pas seulement un grand cône com‐
plexe. Il est formé essentiellement par de grandes coulées alternant avec des
masses de scories. Ces édifications peuvent avoir enseveli des cratères d'ef‐
fondrement dont il ne reste plus de trace superficielle. La surface supérieure
est un système de pentes rayonnantes dont les coulées forment la charpente et
que des vallées peuvent disséquer. Un fragment de coulée inversée entre des
vallées qui s'encaissent devient une sorte de plateau doucement incliné, la pla‐
nèze. En plan, celle-ci présente une forme triangulaire, le sommet dirigé vers
l'amont, c'est-à-dire vers le centre de l'édifice volcanique (figure 46).

Figure 46 Schéma perspectif de volcan à planèzes

Remarquer les vallées rayonnantes, les planèzes triangulaires,


les sommets centraux qui sont des culots restant d'anciennes che‐
minées. En 1 et en 2, témoins de coulées supérieures enlevées
ailleurs par l'érosion. En 3, butte-témoin de lave indiquant une
ancienne extension.
L'Etna est un grand volcan encore actif, mais déjà assez vieux pour que
l'érosion ait découpé dans les laves périphériques une vallée, le valle del Bove.
Le Cantal est un volcan plus ancien, éteint, très disséqué. Le cône central, très
exposé, a été enlevé par l'érosion, et il ne reste de l'ancien volcan que le sque‐
lette : planèzes séparées par des vallées glaciaires rayonnantes, culots sur l'em‐
placement des cheminées, dykes moulant d'anciennes fractures. Mais les élé‐
ments tendres subsistent lorsqu'ils ont été fossilisés, ce qui est le cas de sco‐
ries, d'avalanches de débris et de cendres conservées sous les coulées.

6.5. Les complexes vulcano-péléens à caldera

Les grands organismes vulcano-péléens, comme ceux du Japon, ont une


superficie de 1 000 à 8 000 km . Ils sont formés d'une caldera centrale, de cal‐
2

deras annexes, d'un ensemble de points éruptifs (cratères, dômes, aiguilles),


situés sur le bord des calderas, et d'une périphérie en forme de flanc de cône
descendant de tous côtés vers l'extérieur en pente douce concave (figure 47).
Ces flancs extérieurs sont constitués de cendres et de ponces, agglomérées ou
non. Les calderas centrales peuvent être occupées par des lacs.

Figure 47 Un complexe à caldera

Celui du lac Kutcharo, au Japon. Diamètre total : 50 km.


Remarquer que le cône M, lui-même éventré par une caldera (celle
du lac Mashu) est emboîté dans la caldera principale, celle du lac
Kutcharo (K). Des aiguilles ou coupoles de lave (en noir) ont surgi
après la formation de chaque caldera. L'une d'elles constitue une
île.
Certains volcans vulcano-péléens n'ont pas la netteté des organismes qui
associent caldera, dômes, pentes extérieures ponceuses. Quelques-uns ne
révèlent qu'une partie centrale peu structurée : ce sont les cumulo-volcans.
Ainsi, l'île d'Ischia (baie de Naples), dominée par l'Epomeo, où l'ensemble
éteint de l'île Lipari proprement dite, sont des accumulations informes de
dômes de lave, de masses de ponces blanches, de bavures de laves acides
claires ou d'obsidienne.
On voit, par ces exemples, que les volcans ont souvent des formes très dif‐
férentes du cône classique simple, flanqué de sa coulée. Le volcan s'intègre
dans une évolution morphologique qui détruit par érosion et constitue des cal‐
deras, puis qui construit au sein des formes de destruction. Il peut même être
entièrement abaissé par la tectonique générale de sa région, au point d'être
envahi par la mer, recouvert de roches sédimentaires, ressoulevé, etc.
Chapitre 11

Constitution de l'écorce terrestre,

Formation des chaînes de montagne, des socles et des bassins

LES CHAPITRES PRÉCÉDENTS ont étudié les matériaux des montagnes et des
plaines mais ne se sont guère interrogés sur leur origine et sur les mouvements
tectoniques générateurs du relief : ces problèmes vont être abordés mainte‐
nant.

1. Noyau, manteau, écorce

La terre se compose, du centre à la périphérie :


• du noyau, d'environ 3 400 kilomètres de rayon ; il est de nature mal
connue (ni feu central, ni en fusion, ni solide…) ; sa partie centrale est
parfois appelée graine ;
du manteau, qui enveloppe le noyau et dont l'épaisseur est d'environ 2
900 kilomètres. Il est composé, semble-t-il, de matériaux très
basiques ;
de l'écorce, d'épaisseur très variable, de l'ordre de 40 kilomètres. La sur‐
face interne qui sépare le manteau de l'écorce est appelée disconti‐
nuité de Mohorovicic.
À sa partie supérieure, le manteau comprend une zone d'environ 500 à 600
kilomètres d'épaisseur, visqueuse, l'asthénosphère, et les quelques dizaines de
kilomètres supérieurs constituent au contraire une zone rigide, la lithosphère,
qui englobe aussi l'écorce (figure 48). Il n'y a pas nécessaire ment de diffé‐
rence de composition chimique entre ces deux zones, toute portion d'asthéno‐
sphère qui remonte près de la surface devenant, par le jeu des changements de
température et de pression, de la lithosphère et vice versa. On verra l'impor‐
tance de ces deux zones dans la théorie des plaques (ci-dessous, p. 104).
Quant à l'écorce (aussi appelée croûte), elle est très différente sous les
océans et les continents (la bordure océanique des continents étant considérée
comme continent) et de type intermédiaire sous les mers de moyenne profon‐
deur. Sous les continents, elle est beaucoup plus épaisse que sous les océans
(40 ou 50 km au lieu d'une dizaine) et plus épaisse sous les chaînes de mon‐
tagne que sous les plaines.
Sous les océans, elle est basique. Dans les continents, elle est essentielle‐
ment granitique, mais il arrive que, sous la couche granitique, se rencontre
une couche basique (dite basaltique) que l'on croyait autrefois continue et qui
n'est pas générale. On a longtemps appelé la couche granitique le sial, parce
qu'elle est composée de silicium et d'aluminium, et la couche basaltique le
sima parce qu'elle est constituée de silicium et de magnésium.
Au-dessus de la couche granitique des continents, de la couche basique des
océans, se trouve la couche sédimentaire.
La zone basaltique a la même composition chimique que les basaltes. Mais
la roche qui la constitue n'a évidemment pas, en profondeur, la structure du
basalte, puisque celui-ci résulte d'un rapide dégagement de gaz, qui ne saurait
être réalisé en profondeur.

Figure 48 Les différentes parties de l'écorce et du manteau supérieur

Remarquer que l'échelle des profondeurs n'est pas linéaire. 1 :


couche sédimentaire ; 2 : partie de la couche sédimentaire se
métamorphisant ; 3 : couche océanique ; 4 : couche basaltique ;
5 : couche granitique.
La zone dite granitique donne naissance au granit. Dans sa partie supé‐
rieure, elle est constituée de granit déjà formé par refroidissement lent et cris‐
tallisation complète.
Les volcans s'expliquent par des fractures qui donnent passage à la matière
profonde. Entre les couches profondes de l'écorce et la surface, s'interpose un
réservoir, la chambre magmatique, où se produisent, dans le magma liquide
ou pâteux, des différenciations par gravité et des mélanges, d'où résultent des
compositions chimiques différentes.
La zone sédimentaire (dite parfois détritique) est formée de roches qui pro‐
viennent de la destruction des précédentes : roches sédimentaires proprement
dites (chapitre 7, p. 63), alluvions, dépôts divers, mais elle peut être traversée
par des roches issues de la zone granitique ou de la zone basaltique par intru‐
sion (montée interne de la matière) ou épanchement volcanique. Elle peut,
d'autre part, inclure des roches construites, comme les calcaires coralliens. De
plus, le métamorphisme (p. 82) peut transformer les éléments sédimentaires en
roches très semblables à celles qui constituent les zones granitique et basal‐
tique.
L'épaisseur de la zone sédimentaire est encore plus variable que celle des
zones précédentes. Localement, sur l'emplacement de fosses où s'est faite une
importante sédimentation, une puissance de 10 000 mètres est possible (il est
vrai que le fond de l'aire ainsi formée tend à se métamorphiser et à se transfor‐
mer en matériaux analogues à ceux de la couche granitique). Mais la zone
sédimentaire peut aussi manquer totalement, et, dans ce cas, la couche grani‐
tique affleure.

2. L'équilibre isostatique

L'écorce est moins dense dans les masses montagneuses que sous les
plaines, et sous les plaines que sous les océans. Tout se passe comme si les
blocs d'écorce émergeaient d'autant plus qu'ils sont moins denses, comme des
flotteurs de bois, placés sur une cuve d'eau, s'enfoncent d'autant moins qu'ils
sont faits de bois moins dense. Ainsi, est née la notion d'équilibre hydrosta‐
tique ou, comme on dit, isostatique, des portions d'écorce. L'équilibre isosta‐
tique peut être rompu, par exemple :
• lors de la formation d'une chaîne de montagnes ;
si une intense érosion allège un bloc montagneux, par ablation de maté‐
riaux qui vont s'accumuler sur un autre bloc, sous-océanique celui-là,
par apport et sédimentation ;
si un réchauffement climatique fait fondre une épaisse calotte de glace
recouvrant un bloc.
L'équilibre tend alors à se rétablir par des mouvements verticaux ; le bloc
allégé tend à se soulever, le bloc surchargé à s'enfoncer, et il doit en résulter
des mouvements infracorticaux de matières fluides (figure 49).
Un cas particulier est celui des bourrelets liminaires des continents. Beau‐
coup de continents sont limités par des socles bordiers plus élevés que les
étendues de l'intérieur : montagne Scandinave plus haute que le socle suédois
et finlandais, Labrador, rebords atlantiques du Brésil et de l'Afrique tropicale,
Australie de l'Est. L'explication est complexe, mais un transfert infra cortical
de matière, sans doute en rapport avec l'ouverture des océans (voir ci-dessous
la théorie des plaques) est probablement intervenu.
Le cas d'un allègement par fonte des glaces (mouvements glacio-isosta‐
tiques mentionnés chapitre 15, p. 159) a pu être étudié de près en Scandinavie,
où il s'est produit depuis la disparition de la calotte glaciaire quaternaire, soit
depuis environ dix mille ans. Le mouvement se continue encore de nos jours,
à raison d'environ 1 mètre par siècle, à tel point que la profondeur des ports du
golfe de Botnie diminue notablement et que la navigation s'en trouve gênée.
L'amplitude maxima du mouvement dépasse 250 mètres ; ses conséquences
morphologiques ont été considérables : la forme de la Baltique s'est plusieurs
fois modifiée au cours du soulèvement. Le Canada a subi un mouvement ana‐
logue.
La stabilité des blocs isostatiques est très variable. On appelle craton un
bloc relativement stable, formé de sial. On dit aussi que c'est un bloc conti‐
nental, même s'il est recouvert par la mer, parce que la mer est alors peu pro‐
fonde et que son fond ne tend pas à s'enfoncer rapidement. Ainsi, la mer du
Nord et la Manche font partie d'un craton. Au contraire, pour les géophysi‐
ciens, les véritables aires océaniques sont basaltiques.
Figure 49 Schéma d'un mouvement de compensation isostatique

1, 2, 3, 4 : blocs de l'écorce. En noir, dépôt de sédiments prove‐


nant de l'érosion du bloc no 3. Le bloc no 2, alourdi, tend à s'en‐
foncer ; le bloc no 3, allégé, tend à se soulever.

3. La théorie de la dérive des continents et la théorie des plaques

La théorie de la dérive des continents a été formulée par l'Allemand Wege‐


ner en 1912. Les continents, aujourd'hui séparés, étaient à l'ère primaire sou‐
dés ; deux immenses continents primitifs de sial se seraient fragmentés, et les
fragments se seraient déplacés sur le sima pour occuper leur position actuelle.
La théorie a pris une forme différente. Ce n'est pas le sial qui flotte sur le
sima, mais la lithosphère sur l'asthénosphère. La lithosphère du globe se
divise en six grandes « plaques » et quelques petites. Chacune peut comporter
des portions de continent et des portions d'océan (figure 50). Ces plaques se
déplacent de quelques centimètres par an, car des courants de convection, dus
à des différences de densité, affectent l'asthénosphère, qui entraîne à son tour
la lithosphère comme un plateau rigide posé sur un tapis roulant (figure 51).
En s'écartant (c'est une distension), deux plaques créent un fossé de rupture,
ou rift, qui se situe souvent dans l'axe d'un soulèvement du plancher sous-
marin, une dorsale océanique.
Figure 50 Les « plaques » de lithosphère

Un rift est l'accident dans lequel l'océan prend naissance ou, s'il est déjà
constitué, s'accroît. L'Atlantique a ainsi commencé par un rift continental qui
s'est formé au début de l'ère secondaire. L'enfilade des rifts de l'Afrique orien‐
tale qui ont pris naissance à partir du début du Tertiaire, commence à être une
mer (dans la région de la Mer Rouge).
L'accroissement des océans par écartement de plaques a une contrepartie. Il
y a en effet des rencontres de plaques avec diverses formes de télescopage.
1er cas : deux plaques continentales s'affrontent, comme la plaque Inde-
Australie et la plaque Eurasie, la première représentée par le Dekkan, la
seconde par le Tibet. Le Dekkan, sans plonger, est passé sous le Tibet, d'où la
forte altitude de l'Himalaya, chaîne qui résulte de la rencontre.
2e cas (figure 52) : le plus fréquent, la subduction qui se produit surtout si
le rebord d'une plaque est constitué de croûte océanique tandis que celui de
l'autre plaque est de la croûte continentale. La croûte océanique, probablement
parce qu'elle est plus dense, tend à passer sous la croûte continentale plus
légère ; elle descend dans l'asthénosphère suivant un plan oblique qui est un
plan de glissement entre les deux plaques : on l'appelle plan de Benioff. Ce
glissement, jusqu'à 700 kilomètres de profondeur, est un lieu de séismes ; une
chaîne de montagnes du côté continental, avec un volcanisme surtout andési‐
tique, et une fosse marine longitudinale, bien entendu du côté océanique,
accompagnent le phénomène. L'exemple typique est celui du contact de la
plaque Amérique avec les plaques du Pacifique de l'Est, contact suivi par les
chaînes de l'Ouest de l'Amérique du Nord et par les Andes. On dit qu'il s'agit
d'une marge continentale active, tandis que lorsque le passage du continent à
l'océan se fait à l'intérieur d'une même plaque (comme entre l'Atlantique et
l'Amérique ou l'Atlantique et l'Europe), on est en présence d'une marge pas‐
sive souvent découpée en blocs faillés. De l'autre côté du Pacifique, où se dis‐
posent les « guirlandes insulaires » (Philippines, Japon), il se constitue une
fosse océanique profonde du côté où arrive la plaque Pacifique qui s'enfonce
sous la plaque Asie, puis, parallèlement, en arrière, un arc insulaire volca‐
nique, puis encore en arrière, une mer peu profonde (Mer du Japon) (figure
53). De la croûte océanique s'épanche, comme une lave sous-marine, dans le
fond des fosses : c'est l'origine des « roches vertes » ou ophiolites, de chi‐
misme basique, comme celles du Mont Viso dans les Alpes du Sud.

Figure 51 Les deux « tapis roulants » hypothétiques qui accroissent


l'Atlantique

3e cas : plus rare, l'obduction : la croûte océanique passe sur la croûte conti‐
nentale.
4e cas : des alternances de distension et de compression, comme dans l'es‐
pace méditerranéen et périméditerranéen, chaîne Alpine comprise. La plaque
Afrique et la plaque Eurasie se sont tantôt écartées, tantôt rapprochées, créant
alors des chaînes de montagne, non sans complications telles que détachement
de petites plaques intermédiaires (la Sardaigne et ses abords), coulissements
(peut-être celui des Pyrénées et des Monts Cantabriques le long de l'Aquitaine
et du Golfe de Gascogne), pivotements.

Figure 52 Coupe d'un contact de plaques avec subduction (type


Andes-Pacifique)

L'échelle des hauteurs est purement figurative. C'est à environ


700 kilomètres de profondeur que le plan de Benioff se termine et
que les matériaux de la croûte et du manteau supérieur se
confondent parfaitement, par mélange.
Figure 53 Coupe d'un contact de plaques avec subduction et arcs insu‐
laires (type Ouest-Pacifique, Indonésie)

Des plaques se bombent, créant des plateaux immergés ; sur des sources
thermales, des nodules polymétalliques se constituent.
La théorie des plaques explique à la fois la localisation des volcans et celle
des chaînes de montagne. Les volcans se situent :
• Sur les rifts et sur les cassures qui leur sont associées. Ces rifts peuvent
être océaniques, et les volcans sont alors sous-marins ou insulaires,
comme sur le rift médian de l'Atlantique ; ils peuvent être aussi conti‐
nentaux, comme les fossés de l'Est africain. Alimentés le plus souvent
par une croûte océanique, ces volcans accusent en général un chi‐
misme basique.
Sur les zones de convergence de plaques (monde méditerranéen jusqu'à
l'Indonésie, « ceinture de feu » du Pacifique). Ce volcanisme est en
général de chimisme acide et explosif.
Il existe aussi un volcanisme éloigné des contacts de plaques : un volca‐
nisme « intra-plaques », comme celui des îles Hawaï. On l'explique
par le passage de la plaque sur un réchauffement local du manteau et
de la croûte, un « point chaud ».
Quant aux chaînes de montagne, elles s'expliquent par des compressions
entre deux plaques, qu'il s'agisse de collision (Himalaya), de subduction
(Andes), avec ou sans formation d'arcs insulaires, ou de compressions avec
des distensions momentanées (monde méditerranéen). Les chaînes récentes,
postérieures au début du Tertiaire, se situent sur des rencontres de plaques
encore en mouvement de nos jours, mais les anciennes chaînes sont en rapport
avec la géographie de paléoplaques et peuvent avoir été tronquées par une
ouverture d'océan.

4. Les chaînes de plissement

On appelle chaîne, ou plus exactement chaîne de plissement, un relief de


structure compliquée et d'altitude souvent, mais non toujours, élevée. On
appelle leur naissance orogénèse (du grec oros, montagne) ou tectogénèse.
Une chaîne plissée peut avoir subi le plissement avant d'avoir été soulevée
ou en même temps qu'elle se soulève. En fait, la naissance d'une chaîne se fait
généralement en plusieurs phases. Il faut toujours distinguer l'âge des maté‐
riaux, l'âge des mouvements principaux affectant ces matériaux, l'histoire de
la montagne après l'époque de ces mouvements principaux.
Les couches géologiques d'une chaîne ont été fortement déformées. On y
trouve des plis, des chevauchements, des nappes de charriage (figure 54). On
appelle pli toute ondulation marquée des couches géologiques ; un pli peut
être plus ou moins compliqué ; un paquet de couches peut notamment avoir
été cisaillé et passer par-dessus d'autres couches ; c'est un chevauchement. Si
le chevauchement prend une grande ampleur et si une nappe constituée de plu‐
sieurs couches paraît déferler par-dessus d'autres couches sur plusieurs kilo‐
mètres ou dizaines de kilomètres, on parle de charriage.
La force qui déforme ainsi les roches est la compression par rencontre de
plaques, aboutissant à un télescopage d'une portion d'écorce, qu'il s'agisse de
collision, de subduction, d'obduction ou de modalités complexes. Il s'agit par‐
fois d'une subduction peu plongeante, raclant par-dessous et provoquant ainsi
des charriages. Localement se produisent des plissements par gravité (figure
57).
Figure 54 Pli, chevauchement, charriage

En A, un pli ; en B, un chevauchement ; en C, charriage. La


nappe N a déferlé sur une surface de décollement SS', au-dessus
des terrains autochtones (Aut). 1 à 5 : couches classées dans
l'ordre chronologique de leur formation. Remarquer que la surface
topographique peut être quelconque (ici, horizontale). Les termes
de pli et de charriage s'appliquent à des structures et non aux
formes du terrain, qui sont le résultat de l'érosion postérieure à la
mise en place des couches.
Le style des plissements diffère selon la violence des poussées, l'épaisseur
du matériau plissé, la profondeur à laquelle se produit le phénomène. Qui dit
grande profondeur dit fortes pressions, fortes températures, plus grande ducti‐
lité des masses impliquées et même transformation par métamorphisme. Les
deux extrêmes : un matériau mince (couches totalisant seulement quelques
centaines de mètres) se trouvant près de la surface et un matériau épais (plus
d'une dizaine de kilomètres) situé dans une zone profonde de l'écorce, donc
sujet au métamorphisme. Dans le premier cas, c'est un plissement de couver‐
ture ; type, le Jura. Dans le second, il s'agit d'un pli de fond ; type, les Alpes
(Préalpes exclues).
La communauté scientifique a longtemps pensé que la majorité des plis de
fond s'effectuait dans une fosse marine à fond mobile de plusieurs dizaines de
kilomètres de longueur et de largeur, le géosynclinal, dont le plancher s'affais‐
sait sous le poids des sédiments qui s'y accumulaient. Aujourd'hui, on estime
que l'enfoncement d'un fond de fosse est plus souvent le résultat de disten‐
sions ou de poussées tellement fortes qu'elles engloutissent dans les profon‐
deurs de l'écorce des parties entières de la chaîne en gestation. Un des maté‐
riaux impliqués est le flysch (p. 73). Le flysch (figure 55), poussé en profon‐
deur, se métamorphise, par exemple en schistes lustrés comme ceux de la
frontière franco-italienne. On trouve aussi des parties de croûte océanique (qui
donnent les ophiolites) ou de croûte continentale, les unes ou les autres étant
en de nombreux endroits ramenées en surface et comprises dans des nappes de
charriage (figure 56). Mais des parties de la chaîne n'ont subi que des plis de
couverture (Préalpes), avec des calcaires non métamorphisés.

Figure 55 Sédimentation préludant à la formation d'une chaîne alpine

Coupe simplifiée à l'époque secondaire, avant le plissement. À


gauche, sur l'emplacement des futures Préalpes françaises, il se
dépose des calcaires. La mer est peu profonde et son fond ne tend
pas à s'affaisser. À droite, en raison d'une distension due à l'écar‐
tement de la plaque eurasiatique et de la plaque africano-adria‐
tique, s'est ouverte une fosse marine qui s'approfondit (naguère, on
l'aurait appelée un géosynclinal) et sous laquelle la croûte tend à
devenir de type océanique. C'est un secteur de la Téthys, fosse qui
se prolonge jusqu'au futur Himalaya. Il s'y dépose des flyschs (pro‐
duits de l'effritement des bordures), qui commencent à se métamor‐
phiser en profondeur pour donner des schistes lustrés.
Dans une chaîne de type alpin, ces matériaux ne s'ordonnent pas au hasard :
on distingue une partie interne (celle qui est située à l'intérieur de l'arc que
dessine le tracé) et une partie externe (du côté extérieur). La zone interne est
composée de flysch, de roches métamorphiques, de « roches vertes » et
d'autres roches cristallines qui sont l'ancien tréfonds soulevé et cassé. La zone
externe est formée de roches sédimentaires non métamorphiques (figure 58).

Figure 56 Formation d'une chaîne alpine par rencontre de plaques

Les Alpes franco-italiennes, comme sur la figure 55, mais à


l'époque pliocène, il y a 5 millions d'années, sont prises comme
modèle. Il y a collision des deux plaques, avec forte poussée de la
plaque africano-adriatique. La chaîne est déjà bien formée, mais
un bras de mer, dans lequel s'est déposée de la molasse, occupe
encore le Sillon Rhodanien, et la mer Adriatique, due à l'effondre‐
ment de la partie Est de la montagne, arrive jusqu'au futur empla‐
cement de Turin. Au contraire, les poussées ont non seulement
comprimé mais soulevé une partie de la croûte de la plaque eur‐
asiatique, couverture comprise, en édifiant Préalpes et massifs
centraux alpins, de même que tout l'Ouest de la fosse avec ses
sédiments métamorphisés et sa croûte océanique. Fort raccourcis‐
sement de la distance Lyon-Turin !
Figure 57 Formation de plis et de charriages par gravité

N : nappe, Aut. : terrain autochtone. Des paquets de couches


glissent sur les flancs d'un soulèvement. Le paquet Aut s'est plissé.
Le paquet N, décollé, est passé sur Aut en formant une nappe de
charriage.

Figure 58 Disposition des zones interne et externe dans une chaîne


alpine typique (en plan)

L'ancien tréfonds, surgissant en donnant les massifs cristallins


centraux, n'a pas été figuré. Il peut apparaître au contact des deux
zones, mais aussi dans la zone interne.
5. Définition de quelques éléments de structures plissées

Dans une chaîne de couverture comme le Jura, et aussi dans certaines par‐
ties des chaînes complexes comme les Alpes, se présentent des éléments dont
il convient d'étudier la structure (figure 59).

Figure 59 Définition des différentes parties du pli

AB : charnière anticlinale ; CD : charnière synclinale ; Ab :


abaissement d'axe ; Ex : exhaussement d'axe.
Supposons une succession de plis réguliers. On appelle synclinal une zone
où les couches pendent de chaque côté vers la partie médiane (du grec sun,
sun, avec, et klinein, klinein, s'incliner).
On appelle anticlinal une zone où les couches s'inclinent en direction oppo‐
sée, de part et d'autre de la partie médiane.
La charnière synclinale, la charnière anticlinale sont les lignes sur les‐
quelles le pendage change de sens. Entre la charnière anticlinale et la char‐
nière synclinale, c'est le flanc du pli.
La bissectrice de l'angle formé par les deux flancs de l'anticlinal se nomme
axe ou mieux plan axial du pli. Si les deux flancs sont symétriques, l'axe est
vertical, le pli est droit. Mais les plis sont souvent dissymétriques ; ils peuvent
même être couchés.
Quelle que soit la régularité des plis, la charnière synclinale et la charnière
anticlinale ne se tiennent pas, sur une même couche-témoin, à une hauteur
constante. Il se produit des exhaussements et des abaissements d'axe, un peu
comme, dans une corde vibrante, il se produit des nœuds et des ventres. Les
uns et les autres peuvent provenir parfois de l'interférence de deux efforts tec‐
toniques contemporains mais distincts, réalisés dans deux directions diffé‐
rentes ; on dit alors qu'on a interférence de deux faisceaux de plis. De toute
façon, un anticlinal ou un synclinal ne se continue que très rarement sur de
grandes distances ; si l'on prolonge un anticlinal, il passe souvent à un syncli‐
nal, lequel se prolongera par un anticlinal et ainsi de suite.
Remarque : Synclinal ne signifie pas dépression ; un sommet peut fort bien
constituer un synclinal, pourvu que ses couches présentent une déformation
concave vers le haut. De même, un anticlinal peut constituer une dépression.
Tous les plis ne sont pas aussi simples que nous l'avons supposé. Il n'existe
guère de régions constituées, conformément au schéma théorique, d'une suc‐
cession régulière de plis droits. Les plis sont souvent déversés, créant un relief
dissymétrique ; ils peuvent prendre des formes en éventail, en coffre (c'est-à-
dire à sommet plat et à bords très inclinés comme s'ils coiffaient un horst)
(figure 60A), en coupole. Une couche plastique peut avoir été plissée en pin‐
cée dans un fossé se refermant. Parfois, le pli est diapir, c'est-à-dire qu'une
couche plastique de matériau léger s'élève suivant le principe d'Archimède ou,
comprimée tout en augmentant de volume souvent le trias salifère crève l'anti‐
clinal et se répand par-dessus les roches sus-jacentes (figure 60B).

Figure 60 A : pli en coffre ; B : pli diapir

Des chevauchements ou seulement des failles simples compliquent encore


la structure, comme c'est le cas dans la partie occidentale de la Grande-Char‐
treuse.
Enfin, les charriages représentent des cas extrêmes, mais fréquents, de com‐
plications.

6. Une chaîne devient un socle


Pour qu'une chaîne se forme, il faut que les matériaux déformés soient plas‐
tiques ; certains matériaux, comme les argiles, le sont toujours ; d'autres,
comme les calcaires, le sont sous une certaine pression, à une profondeur de
quelques centaines de mètres, surtout s'il s'agit de bancs calcaires épais ; enfin,
les roches cristallines ne sont plastiques qu'à très grande profondeur. Il en
résulte que la formation d'une chaîne de montagnes affectant plusieurs milliers
de mètres d'épaisseur de roches peut faire intervenir même du cristallin plas‐
tique. Mais, après la formation de la chaîne, les matériaux, qui ont souvent été
comprimés, coincés les uns contre les autres dans les replis tectoniques,
peuvent former un ensemble rigide. Ainsi s'explique que la dernière phase de
la formation de la chaîne soit un mouvement d'ensemble sans plissement. Tout
au plus les montagnes peuvent alors se casser, s'élever par blocs rigides faillés
(recoupant souvent les directions des plis).
Pendant que les chaînes s'exhaussent, l'érosion travaille et elle finira par les
raboter. La chaîne est transformée en une plate-forme incapable de subir des
plissements à faible rayon de courbure et susceptible seulement de mouve‐
ments d'ensemble, de déformations à très grand rayon de courbure, accompa‐
gnées parfois de cassures.
On a comparé à du verre ce matériel consolidé, alors que le matériel primi‐
tif de la chaîne est comparable à des lames ou à des masses de caoutchouc. On
dit que la chaîne est devenue un socle.
Les chaînes alpines d'âge tertiaire moyen ne sont pas encore devenues des
socles, mais les chaînes primaires ou antérieures au Primaire (chaînes hercy‐
niennes d'Europe, chaînes calédoniennes de la bordure européenne de l'Atlan‐
tique Nord) sont des socles parfaits.
Un socle peut avoir été recouvert par des sédiments, déposés sur le conti‐
nent ou sous la mer pendant une période d'immersion. On dit qu'il porte une
couverture. Cette couverture est discordante par rapport au socle puisqu'elle
repose sur une surface qui tranche les anciens plis ou les anciennes racines de
la chaîne.
Une portion de socle peut être portée par des mouvements cassants à très
haute altitude : ainsi naissent les massifs anciens, dont le Massif Central, les
Vosges, les montagnes de l'Allemagne moyenne, toutes les montagnes britan‐
niques, les Appalaches sont des exemples. Leur altitude n'est pas due à l'abais‐
sement progressif jusqu'à 500, 1 000 ou 1 500 mètres, des 6 000 ou 7 000
mètres primitifs, mais bien à l'exhaussement jusqu'à ces 500, 1 000 ou 1 500
mètres, d'une surface préalablement réduite par l'érosion au voisinage de zéro.
Les mouvements d'exhaussement peuvent être très récents. Aussi faut-il pros‐
crire le terme de vieille montagne qu'on employait autrefois. Mieux vaut dire
massif d'ancienne consolidation, ou, pour simplifier, massif ancien. Ils ne
datent pas plus du Primaire que la cathédrale Notre-Dame de Paris du Ter‐
tiaire : en effet, leurs matériaux datent du Primaire ou du Précambrien comme
ceux de Notre-Dame du Tertiaire, mais les mouvements qui leur ont donné
leur hauteur actuelle sont récents, de même que la construction de Notre-
Dame du XII siècle. Il serait aussi inexact de croire que toute chaîne alpine ne
e

présente que des pics aigus et que tout massif d'ancienne consolidation n'offre
que des formes lourdes. En effet, les formes de pics aigus sont dues, on le
verra, non à la structure, mais à un type d'érosion dans lequel l'action du gel
est prédominante. Aussi, un massif ancien peut-il présenter des crêtes, comme
c'est le cas au pays de Galles ou dans le Cumberland anglais. En revanche, une
des montagnes les plus jeunes de France, le puy de Dôme, volcan quaternaire,
est une des plus arrondies. L'altitude n'est pas davantage un critérium permet‐
tant d'opposer chaînes alpines et massifs anciens : le Tian-Chan, qui dépasse 7
000 mètres, est un fragment de socle soulevé ; le pic Saint-Loup, près de
Montpellier, qui dépasse à peine 650 mètres, est de par sa structure plissée un
fragment de chaîne alpine.

7. Les bassins sédimentaires

Un socle peut être déprimé, nous l'avons vu, par des mouvements posté‐
rieurs à son arasement et recouvert par la mer. Si l'accumulation des sédiments
indique une légère tendance à l'enfoncement, à la subsidence, comme on dit,
de sorte que le socle s'enfonce sous des dépôts épais, on est en présence d'un
bassin sédimentaire.
Il existe donc toutes les formes de transition entre un socle recouvert d'une
couverture peu épaisse, un bassin sédimentaire, et presque un géosynclinal.
Ainsi, les Causses du Massif Central français, les plateaux de Castille peuvent
être considérés, selon le point de vue auquel on se place, comme des bassins
ou comme des couvertures de socle.
Dans les bassins où les sédiments ont une épaisseur moyenne (un millier de
mètres) et une plasticité moyenne, des plissements peuvent se produire, mais
ils ne sont jamais d'amplitude considérable ; le pays de Bray est un exemple
de ce genre de plis.

8. Un type d'accident commun aux chaînes, aux socles et aux bassins


sédimentaires : la cassure

Les cassures peuvent se rencontrer dans tous les matériaux, qu'ils soient ou
non sédimentaires. Lorsque, pendant un effort tectonique, la limite de plasti‐
cité est dépassée, les roches se cassent.
Une cassure tectonique doit être distinguée : 1 d'une diaclase ; 2 d'une cas‐
o o

sure d'éclatement superficiel due aux différences de température ou au gel.


On distingue parmi les cassures tectoniques (figure 29) :
• les cassures sans dénivellation tectonique entre les deux lèvres : ce
sont les fractures ;
les cassures qui s'accompagnent d'une dénivellation tectonique entre les
deux lèvres : ce sont les failles. Nous employons le terme de dénivel‐
lation tectonique et non de dénivellation tout court parce que le dépla‐
cement peut ne pas se traduire dans le relief (si l'érosion a raboté la
surface), comme on le verra bientôt. L'effort tectonique peut ne pas
aboutir à une rupture complète, mais se marquer seulement par un
brusque ployage avec étirement des couches le long du plan de l'acci‐
dent : c'est une flexure, transition entre la faille et le pli.
Le plus souvent, une faille joue lentement et n'atteint son maximum
qu'après des milliers ou des millions d'années. Mais le phénomène est brusque
dans les séismes : la terre s'ouvre et forme une dénivellation entre les deux
lèvres de la cassure.
Deux échelles évaluent l'intensité des séismes. Celle de Richter (ou de
magnitude) mesure l'énergie développée par le choc initial. Elle s'exprime par
un chiffre qui dépasse rarement 8. Elle est logarithmique : une magnitude de 7
représente deux fois plus d'énergie qu'une magnitude de 6. L'échelle d'inten‐
sité « MSK 1964 », qui a remplacé celle de Mercalli, exprime en chiffres
romains, de I à XII, les effets superficiels du séisme.

8.1. Définitions (figure 61)

Plan de faille : C'est le plan le long duquel s'est fait le glissement des deux
blocs dénivelés. Il est rarement vertical, le plus souvent oblique. Il peut pré‐
senter une certaine épaisseur correspondant à la zone de broyage ; il n'est alors
plus un véritable plan au sens géométrique, mais, en raisonnant à une grande
échelle, on peut l'assimiler à un plan. De même, le « plan » peut être une sur‐
face légèrement gauche.
Une partie du plan de faille dégagée et polie par le glissement est parfois
appelée miroir de faille.

Figure 61. Une faille

AE : rejet ; ABHG : plan de la faille ; CD : ligne de faille ;


ACDB : regard de la faille.
Ligne de faille : Trace du plan de faille sur la surface topographique.
Rejet : Il s'agit de la mesure de la dénivellation tectonique, c'est-à-dire la
distance entre deux points repères (par exemple, deux points situés sur un
même plan stratigraphique) qui étaient au même niveau de part et d'autre du
plan de la faille avant le jeu de celle-ci. La totalité du rejet peut ne pas être
visible, par exemple si un remblaiement s'est produit sur le compartiment
abaissé, de manière à masquer la base du plan de faille. La valeur du rejet peut
varier le long de la ligne de faille.
N. B. : Distinguer de rejet le terme rejeu (action de rejouer, c'est-à-dire nou‐
veau mouvement tectonique sur une faille ancienne).
Regard d'une faille : C'est le côté vers lequel est situé le bloc abaissé.
Plusieurs failles peuvent découper une région ; on peut avoir des comparti‐
ments formant des paliers (failles en gradins), des compartiments surélevés
par des failles (horsts), des compartiments déprimés. Ces derniers sont dési‐
gnés, s'ils sont de forme allongée, sous le nom de fossés tectoniques ou de fos‐
sés d'effondrement (ou graben) (figure 62). Les rifts sont un des types de fos‐
sés. On réserve le terme de bassin d'effondrement à une forme moins allongée
ou plus complexe, mais on l'emploie aussi en parlant d'un fossé quand on se
place du point de vue de la sédimentation. Exemples de fossés : le fossé du
Rhin moyen entre les Vosges et la Forêt-Noire, la Limagne, la plaine du Forez
dans le Massif Central français. Entre ces deux fossés, les monts du Forez
constituent un horst.

Figure 62 Types de blocs. T. de P. : fossé en touche de piano

8.2. Les styles tectoniques des régions faillées

L'aspect d'une région cassée peut être très différent selon le style tecto‐
nique ; les blocs séparés par des failles peuvent être restés horizontaux ou
avoir été inclinés ; le Morvan dans son ensemble est ainsi un bloc basculé,
surélevé par faille au Sud, plongeant doucement sous les sédiments du Bassin
Parisien au Nord. Dans le détail, un tel relief se décompose lui-même en plu‐
sieurs blocs dont la résultante est une allure générale en pente. On peut en dire
autant du Massif Central, des Vosges, inclinés dans leur ensemble du Sud-Est
au Nord-Ouest, coupés dans le détail de nombreuses dénivellations tecto‐
niques. Une région est constituée d'une succession de blocs monoclinaux si le
basculement des blocs est partout de même sens (figure 63). Le Mâconnais a
une telle structure.

Figure 63 Blocs monoclinaux


On appelle fossé en touche de piano (figure 62) un fossé dont le fond est
constitué par un bloc basculé et qui est affaissé à la manière d'une touche que
l'on joue entre deux touches intactes.
Le tracé des lignes de faille est très variable ; il est le plus souvent de forme
géométrique : rectiligne, subrectiligne, en arc de cercle. Elles peuvent donner
des enfilades de fossés, et aussi de véritables champs de fractures, véritables
mosaïques de blocs.
Tels sont les principaux éléments sur lesquels nous allons voir à l'œuvre
l'érosion : l'érosion modèle des formes diverses dont nous allons étudier l'évo‐
lution.
Chapitre 12

Reliefs donnés par quelques structures simples


ON A CONSIDÉRÉ, dans les chapitres 1 à 5, le rôle presque exclusif de la litho‐
logie. C'est seulement à propos du volcanisme qu'on n'a pu séparer les maté‐
riaux du relief et leur disposition. Dans le présent chapitre et dans le suivant,
on va supposer connus les caractères propres aux roches et étudier les reliefs
engendrés par leur disposition. On traitera d'abord des structures les plus
simples.

1. Couches concordantes non faillées : séries de résistance uniforme

Parmi les structures de couches sédimentaires concordantes non faillées,


deux cas peuvent se présenter : ou bien on a affaire à des couches de résis‐
tance uniforme, ou bien à des couches tendres et à des couches résistantes
alternées.
Le premier cas est représenté par d'épaisses séries, qui se trouvent en géné‐
ral dans des plaines formées de sédiments déposés au pied des chaînes alpines.
Ces plaines sont dites subalpines. Un des meilleurs exemples est constitué par
la partie sud du Bassin aquitain (la Gascogne) et en particulier par l'Arma‐
gnac. Mais on trouve aussi de telles plaines le long des Alpes, en Suisse, en
Bavière, en Autriche et le long des Carpates, en Pologne, en Ukraine, en Rou‐
manie.
Dans de telles plaines, l'érosion est incapable d'exercer une œuvre différen‐
tielle : elle se contente de découper des croupes ; les vallées s'élargissent plus
ou moins (elles s'élargissent tout particulièrement si l'on a affaire à des cours
d'eau instables, à large lit d'inondation, par exemple dans la plaine de Tarbes
où coule l'Adour).
Au contraire, quand la série sédimentaire est formée de couches de dureté
différente alternées dans une superposition assez régulière, l'érosion travaille
inégalement dans les roches tendres et dans les roches résistantes. C'est le cas
de bassins sédimentaires tels que le Bassin parisien ou la grande Plaine
Anglaise, ou encore le bassin de Souabe-Franconie, en Allemagne du Sud. La
variété des formes nous conduit, dans ce cas, à insister sur les différentes dis‐
positions possibles.

2. Reliefs des bassins sédimentaires à couches de dureté différente hori‐


zontales ou inclinées

2.1. Couches horizontales

Dans une série de couches horizontales tendres et résistantes alternées,


l'érosion modèle des formes dont les lignes directrices sont, elles aussi, hori‐
zontales. Les profils en long des rivières qui s'encaissent dans de telles
régions, présentent, au stade de la jeunesse, une série de ressauts correspon‐
dant au franchissement des couches dures et une série de biefs calmes corres‐
pondant aux affleurements tendres ; mais les irrégularités s'atténuent très vite.
Au contraire, le profil des versants garde très longtemps une succession de
corniches (couches dures) et de talus en pente douce (couches tendres). On a
donc ainsi des plateaux dont les rebords présentent des gradins réguliers. La
surface de chacun de ces plateaux est le dos d'une couche dure déblayée, par
l'érosion, de la couche tendre sus-jacente : c'est une surface structurale. Si
l'érosion progresse, des buttes peuvent se détacher du plateau (figure 64) : ce
sont des buttes-témoins.
Figure 64 Relief dans une série de couches sédimentaires horizontales
de résistance alternée

1 : couche résistante ; 2 : couche tendre ; S.Str. : surface struc‐


turale ; B.T. : butte témoin de l'ancienne extension de la couche
résistante supérieure. Remarquer le coteau.
Le rebord d'une table horizontale au-dessus d'une plate-forme plus basse
est un coteau (figures 64 et 65A) : ainsi, le rebord du calcaire de Beauce au-
dessus de la plate-forme du calcaire de Brie et des sables de Fontainebleau, au
sud de Paris. Dans le détail, le coteau peut présenter un tracé rectiligne ou, au
contraire, être festonné par de multiples bouts-du-monde.

2.2. Couches inclinées, les cuestas

Si les couches sédimentaires tendres et résistantes, en succession alternée,


ont été légèrement inclinées par la tectonique, on a une structure monoclinale
(c'est-à-dire avec inclinaison dans un seul sens) et il se dégage des abrupts
appelés côtes ou, plus précisément, cuestas.
Le mot cuesta est un terme espagnol (du Nouveau Mexique) qui évite une
confusion, car il signifie côte de terrain, à l'exclusion de la côte de la mer, qui
est la costa. La définition de la cuesta, en géomorphologie, est assez précise
pour qu'on ne prenne pas pour une cuesta un relief tel que la Côte d'Or, qui est
un abrupt de faille. On appelle cuesta un relief dissymétrique réalisé par une
couche résistante modérément inclinée et interrompue par l'érosion. La cuesta
comprend un front, qui est un abrupt dû à l'interruption de la couche résis‐
tante, une dépression orthoclinale (ou subséquente), dépression qui suit le
pied de l'abrupt, un revers qui correspond en première approximation au dos
de la couche dure inclinée. Le revers des cuestas est théoriquement le dos
d'une couche donc une surface structurale (figure 65B) ; en fait, il est rare qu'il
le soit et le plus souvent la surface topographique tranche obliquement, en
méplat, la couche dure (figure 65C) car l'érosion a aussi travaillé dans la
couche résistante.
Figure 65 Coteau (A) et cuestas (B et C)

En B, le revers de la cuesta est une surface structurale ; en C, il


est une surface d'érosion puisque la topographie recoupe le plan
séparatif des couches.
Le biseautage de la couche résistante par l'érosion, peut-être dû soit à l'éro‐
sion actuelle modelant les formes, soit à l'existence d'une ancienne pénéplaine
ayant tranché toute la région et rajeunie ensuite. Le rajeunissement se fait avec
des vitesses d'érosion inégales suivant la différente dureté des couches.
Le profil du front se présente le plus souvent comme formé de deux par‐
ties ; en haut, la couche dure donne une corniche, ou en tout cas une pente
forte ; en bas, là où les couches tendres sous-jacentes affleurent en un talus
concave sur lequel descendent les débris arrachés à la couche dure du haut.

Figure 66 Schéma montrant la disposition théorique des cuestas et de


leur réseau hydrographique

M : marais ; points renforcés : sources ; RR' : rivière catacli‐


nale (« conséquente »).
Le tracé est celui d'un relief continu, seulement interrompu par des échan‐
crures de rivières qui suivent le pendage général des couches et entaillent le
front de manière à dessiner en plan une espèce d'entonnoir (figure 66). On dit
qu'une telle rivière est cataclinale (ou conséquente, mot qui ne veut pas dire
importante, mais « suivant la pente générale du terrain », ici le pendage des
couches) et qu'elle pénètre dans la zone du revers par un entonnoir de percée
cataclinale ou conséquente (la Marne à Épernay, entaillant la cuesta d'Île-de-
France). Toutes les rivières ne suivent pas le pendage des couches. Certaines
peuvent se loger au pied d'un front de cuesta : elles sont dites orthoclinales, ou
subséquentes. D'autres ne sont adaptées ni au pendage, ni à la disposition des
fronts, (ce qui pose le difficile problème de leur origine). Au cours de l'évolu‐
tion, le réseau se modifie par captures : une rivière subséquente peut capturer
une portion de cours conséquent.
En avant du front, c'est-à-dire vers l'amont-pendage, il arrive que des buttes,
formées par la couche résistante responsable de la cuesta, témoignent de l'an‐
cienne extension de cette couche. Ce sont des buttes-témoins (exemple : la
butte de Laon, dans le nord du Bassin parisien). Une fois le chapeau de roche
résistante disparu, la butte dégradée est appelée avant-butte.

2.3. Les facteurs qui différencient les cuestas

Un front de cuesta étant l'œuvre de l'érosion, il recule à des rythmes diffé‐


rents suivant les points : plus vite là où l'érosion régressive d'un ruisseau l'at
taque par recul de source. Aussi, le front de cuesta présente-t-il souvent un
tracé festonné.
Cependant, toutes les cuestas sont loin d'être modelées sur le même type.
On peut distinguer cinq facteurs de différenciation :

Figure 67 Profil de cuesta dans le cas d'une grande différence de résis‐


tance entre couche dure et couche tendre (A) et dans le cas d'une
faible différence de résistance (B)

Le rapport de dureté de la couche dure et de la couche tendre qui déterminent


le relief de cuesta (figure 67)

Si la différence de résistance des deux couches est très grande, la cuesta est
bien marquée dans le relief. Elle présente une corniche nette (cas du calcaire
des Côtes de Moselle et du calcaire des Côtes de Meuse). Si, au contraire, la
différence de dureté entre la couche dure et la couche tendre est peu accen‐
tuée, aucune corniche ne se dessine ; la cuesta présente un profil convexe en
haut, concave en bas, et se marque peu dans le paysage. Tel est le cas de la
côte de Champagne (côte de la craie) aux environs de Troyes.

L'épaisseur relative des deux couches (figure 68)

Si une couche dure mince repose sur une couche tendre épaisse, le déman‐
tèlement est facile, la mince cuirasse recule rapidement : le tracé est particuliè‐
rement sinueux (cas de la côte du grès infraliasique près de Contrexéville). Si,
au contraire, une épaisse couche dure repose sur une couche tendre mince,
l'érosion a beaucoup de mal à faire reculer la cuesta, d'où un aspect massif, un
tracé rectiligne, comme celui de la cuesta de l'Argonne entre Varennes et
Grandpré.

Figure 68 Allure d'une cuesta quand la couche résistante est mince (A)
et quand la couche résistante est épaisse (B)

Le plus ou moins fort pendage (figure 69)

Plus le pendage est faible, plus le recul est rapide et plus le tracé est
sinueux. En effet, supposons une cuesta déterminée par des couches de faible
pendage : toute butte-témoin, tout éperon a une altitude à peine supérieure à
l'altitude moyenne du sommet du front ; il peut donc subsister longtemps, et
les festonnements se conservent (exemple de la cuesta du calcaire grossier
dans la région de Laon). Au contraire, quand le pendage est fort, les buttes-
témoins ou les éperons éventuels se trouvent à une altitude tellement supé‐
rieure à l'altitude moyenne du sommet du front qu'ils sont très exposés à l'éro‐
sion et tendent à disparaître : on a alors une cuesta de tracé peu sinueux, et les
buttes sont rares ou inexistantes (cas de la Côte de Meuse à l'ouest de la
Woëvre).

Figure 69 Allure d'une cuesta quand les couches sont peu inclinées
(A) et quand elles sont fortement inclinées (B)

Comme, sur une même cuesta, le pendage est loin d'être uniforme, la cuesta
peut présenter des avancées là où la couche dure a été moins soulevée et des
reculs plus prononcés là où la couche a été plus relevée.

Les différents systèmes d'érosion

Bien entendu les différents systèmes d'érosion ne traitent pas les cuestas de
la même façon. Par exemple, dans les déserts, les corniches sont plus appa‐
rentes puisqu'il y a moins de sol que dans les régions humides et par consé‐
quent moins de descente de débris capables d'émousser les formes.

Le stade d'évolution

La cuesta jeune est peu dégagée par l'érosion ; la cuesta mûre est au
contraire celle qui est bien dégagée : les grandes cuestas du Bassin parisien,
celles de Souabe-Franconie sont dans ce cas. Au contraire, en fin d'évolution,
quand les talwegs ne s'enfoncent presque plus, la cuesta s'estompe peu à peu.
Tel est le cas de la côte de Champagne entre l'Aube et la Seine. On peut donc
opposer des régions sédimentaires sans cuesta nette, comme le Sud-Ouest du
Bassin parisien, et des régions à belles cuestas, comme la Lorraine. Dans le
premier cas, aucun soulèvement important au-dessus du niveau de base n'a eu
lieu depuis le milieu du Tertiaire : les formes vieilles n'ont pu être rajeunies.
Au contraire, les conditions pour le dégagement de grandes cuestas sont réali‐
sées en Lorraine. Le soulèvement a atteint 300 à 400 mètres depuis le Mio‐
cène et l'érosion a pu travailler. Elle a d'autant mieux mis en relief les fronts
qu'elle avait affaire à d'épaisses couches dures et à d'épaisses couches tendres.

3. Les reliefs des plis simples

Les couches sédimentaires, au lieu d'être seulement basculées dans un sens,


peuvent être ondulées ou, comme on dit, plissées. Elles peuvent l'être de façon
légère ou prononcée, symétriquement ou dissymétriquement, sans parler de
structures plus complexes qui seront mentionnées plus tard.

3.1. L'évolution : relief jurassien, relief inversé, relief appalachien (figures 70


et 71)

Soit une succession régulière de plis simples ; si l'érosion attaque un tel


ensemble, elle le débarrasse d'abord des couches tendres qui peuvent le recou‐
vrir. Les couches tendres ne subsistent plus que dans les zones de moindre
érosion, c'est-à-dire les fonds de synclinaux. Une couche dure est mise à nu :
c'est elle qui forme la carapace de la région. On n'a jamais affaire à une sur‐
face tectonique originelle, car l'enlèvement des couches supérieures com‐
mence pendant le plissement.

Figure 70 Évolution du relief plissé

On a représenté une évolution de plus en plus avancée vers la


droite.
On admet cependant qu'on est au début de l'évolution si la couche résistante
est à peu près continue. Les anticlinaux correspondent à des lignes de hau‐
teurs, à des voûtes ; les synclinaux, à des dépressions, à des berceaux. En utili‐
sant un vocabulaire jurassien que les géographes ont d'ailleurs rendu beaucoup
plus précis que le langage populaire, on appelle mont l'anticlinal conservé et
val le synclinal à peu près intact.
Mais ce relief conforme aux ondulations tectoniques ne tarde pas à être atta‐
qué. On appelle relief jurassien un relief plissé de structure simple dont l'at‐
taque est peu avancée. En fait, le Jura n'offre que bien rarement l'exemple d'un
tel relief, mais on a conservé le terme. Voici le vocabulaire consacré :
• Combe : dépression établie au sommet d'un anticlinal. Le terme vient
du latin cymba, barque. Dans la langue paysanne, on appelle combe,
en général, une dépression peu profonde ouverte à une extrémité.
Ainsi, dans le Massif Central, une tête de vallée mûre est couramment
désignée sous le nom de combe ; aussi vaut-il mieux préciser, quand
il s'agit de la forme jurassienne, combe anticlinale.
Crêt : tranche de la couche dure du flanc anticlinal de part et d'autre de
la combe.
Ruz : vallon cataclinal entaillant le flanc de l'anticlinal.
Cluse : passage d'une rivière à travers un mont.
L'évolution s'accentuant, si le niveau des rivières est inférieur à celui de la
base de la carapace dure au fond des synclinaux, on arrive à une véritable
inversion du relief plissé, car les anticlinaux, par élargissement des combes,
arrivent à être complètement défoncés ; les fonds de synclinaux dominent
alors les anticlinaux évidés : ce sont des synclinaux (ou vaux) perchés. Ce
style, rare dans le Jura, se trouve fréquemment représenté dans les Préalpes
françaises, notamment dans la Grande-Chartreuse, les Bauges, les Bornes.
Une fois la carapace dure enlevée, l'érosion peut travailler facilement dans
la couche sous-jacente et faire reculer les crêts à la manière d'un front de
cuesta. Mais, si sous la couche tendre, une autre couche dure apparaît, de nou‐
veaux monts peuvent résulter de son dégagement. Telle est la situation dans
une grande partie des Préalpes françaises du Nord, où sous la carapace de l'ur‐
gonien apparaît un ensemble de couches tendres ; mais, sous cet ensemble
tendre, une nouvelle couche dure, le tithonique, une fois dégagée, est capable
de recréer un modelé conforme au relief tectonique. Le terme de cette évolu‐
tion est l'arasement de toute la région jusqu'au voisinage du niveau de base,
autrement dit la planation.
Mais, si la région est soulevée après sa planation, l'érosion reprend son
œuvre sélective ; elle s'encaisse dans les roches tendres, dégage les roches
dures. On a ainsi un relief appalachien (figure 71). Les sommets sont des
roches dures tranchées par l'ancienne surface d'érosion, donc culminant à des
altitudes subégales. Les sillons sont taillés dans les roches tendres ; les sur‐
faces structurales dégagées forment souvent les flancs.
On remarquera que les sommets, dans le relief appalachien, peuvent corres‐
pondre aussi bien à un ancien anticlinal (figure 71, droite et centre) qu'à un
ancien synclinal ou qu'à un crêt (figure 71, gauche) de position intermé diaire ;
les sillons peuvent aussi être modelés indifféremment dans des positions syn‐
clinales (figure 71, droite et centre), anticlinales (figure 71, gauche), monocli‐
nales (figure 71, extrême gauche).

Figure 71 Relief appalachien

Les principes de l'évolution du relief plissé s'appliquent en particulier aux


ondulations des nappes de charriage (figure 72). Le sommet d'une ondulation
de nappe est en général enlevé par l'érosion de façon à faire apparaître la
nappe sous-jacente ou le terrain autochtone, c'est-à-dire non charrié : on
appelle fenêtre cet équivalent en structure charriée de la combe (exemple : les
massifs de l'Aar et du Gothard, l'Engadine). Une nappe érodée peut laisser
subsister des témoins de son ancienne avancée. On les appelle lambeaux de
recouvrement ou klippe (exemple : les Mythen, dans les Préalpes suisses, près
de Schwyz, la Pousterle qui domine la vallée de la Durance dans les Alpes
françaises).
Figure 72 Érosion d'une nappe de charriage (Embrunais)

La Pousterle est un lambeau de recouvrement, la vallée de Réal‐


lon une fenêtre.

3.2. Cas particulier

Reliefs plissés dans les bassins sédimentaires : Nous avons vu que, dans les
bassins sédimentaires, les couches inclinées évoluent en cuestas. Mais si l'in‐
clinaison, au lieu de se faire toujours dans le même sens, fait place à une dis‐
position ondulée, le relief tend à se disposer suivant des formes qui rappellent,
à l'échelle près, le relief jurassien. Une déformation anticlinale, toute atténuée
qu'elle soit, tend à être érodée en une espèce de vaste combe que l'on appelle
boutonnière (figure 73) : la boutonnière est limitée par deux cuestas qui se
font face et qui ont une position analogue à celle d'un crêt limitant une combe
anticlinale, mais ici les pendages sont faibles, les hauteurs modérées, la lar‐
geur très ample. Exemple : le pays de Bray.

Figure 73 Une boutonnière


4. Évolution des reliefs de faille

Nous avons vu (p. 116) comment les cassures tectoniques sont responsables
de dénivellations de blocs de l'écorce et de complications de structures. L'éro‐
sion, et sa contrepartie l'accumulation, réagissent à la formation de ces déni‐
vellations tectoniques et il faut maintenant observer leur œuvre.
Si un bloc se soulève le long d'une faille, l'érosion tend à l'attaquer, tandis
que l'accumulation met en place sur le bloc abaissé des dépôts appelés dépôts
corrélatifs de la faille. Ces dépôts ne sont épais que si, sur le bloc déprimé,
aucun écoulement fluvial continu vers l'extérieur ne s'est maintenu : en effet,
un écoulement continu entraîne les matériaux et les exporte. Les dépôts corré‐
latifs ne se constituent donc que sous régime endoréique, et ils tendent alors à
masquer le relief de faille qui se crée : le plan de faille est fossilisé au fur et à
mesure de sa naissance et n'apparaît pas dans le relief (il pourra être ultérieu‐
rement dégagé, révélé).
Mais une faille qui n'est pas masquée par des dépôts corrélatifs au fur et à
mesure de sa formation se traduit aussitôt dans la topographie. Les cours d'eau
se disposent alors, en général, perpendiculairement à l'escarpement créé. Cet
escarpement est l'escarpement de faille. Vu de face, il présente un alignement
de facettes trapézoïdales (figure 74). Chaque facette est formée par une sec‐
tion de la base de l'escarpement (grande base du trapèze), une section du som‐
met de l'escarpement (petite base du trapèze) et deux flancs de gorges décou‐
pantes (côtés du trapèze). Ces facettes sont particulièrement nettes sous climat
aride parce que l'abrupt ne s'émousse pas, et c'est dans les déserts de l'Ouest
des États-Unis qu'elles ont été d'abord remarquées. Sous un climat tempéré
humide, elles s'émoussent très vite, et les plus belles facettes que l'on
remarque dans nos régions (par exemple celles de l'escarpement occidental
bordant la Limagne) sont en fait des portions de plans de faille fossilisés par
des dépôts et redécoupés en facettes très récemment.
Figure 74 Facettes trapézoïdales (f1, f2, f3)

L'érosion des versants de cours d'eau découpant l'escarpement et la dégra‐


dation des facettes vont bientôt faire reculer l'escarpement. Son tracé pourra
devenir sinueux, avec un recul maximum le long des ruisseaux les mieux ali‐
mentés. Son pied sera fossilisé par des déjections issues du bloc supérieur, si
du moins l'érosion ne les enlève pas de sur le bloc abaissé.
Le recul de l'escarpement de faille se fait suivant les lois de l'érosion sélec‐
tive. Dans une région de structure sédimentaire dénivelée en blocs monocli‐
naux par des failles contraires, le recul crée des conditions favorables à la réa‐
lisation de cuestas : si à la base de l'escarpement primitif affleure une roche
tendre et imperméable, surmontée par une roche résistante, celle-ci va former
une corniche qui reculera à la manière d'un sommet de front de cuesta (figure
75A). On ne saura plus alors si l'on est en présence d'un escarpement de faille
ou d'une cuesta question de pure terminologie d'ailleurs. Il s'agira, à vrai dire,
d'un escarpement de faille évoluant en cuesta. Ce cas est réalisé dans le
Mâconnais.
Figure 75 Évolution d'escarpements de faille

A : en cuesta ; B : nivellement ; C : escarpement de ligne de


faille de même sens que le rejet ; D : escarpement de ligne de faille
de sens opposé au rejet.
Le point final théorique de l'évolution d'un escarpement de faille est le
nivellement (figure 75B).
Si une reprise d'érosion se produit dans la région où l'escarpement de faille
a été nivelé, elle se fait suivant les règles de l'érosion sélective. Si les roches
affleurant de part et d'autre de l'escarpement nivelé sont de résistances iden‐
tiques, aucune dénivellation nouvelle ne se crée. Tout au plus, lorsque la faille
est une zone de broyage offrant une moindre résistance, un cours d'eau pourra
se fixer sur son tracé, et on aura une vallée de ligne de faille. Si, au contraire,
la résistance des roches de part et d'autre de la ligne de faille est nettement dif‐
férente, le compartiment le moins résistant est érodé plus vite que le plus
résistant, et un abrupt se crée sur la ligne de faille. Le regard de cet abrupt
n'est pas nécessairement tourné du même côté que le regard de la faille ; deux
cas peuvent se produire : ou bien le compartiment où affleure la roche la plus
tendre est situé du côté du bloc qui avait été tectoniquement abaissé, et le nou‐
vel abrupt est tourné dans le même sens que le rejet, ou bien le compartiment
le plus tendre est situé du côté du bloc qui avait été tectoniquement surélevé,
et le nouvel abrupt est alors tourné en sens inverse du rejet.
On appelle escarpement de ligne de faille un escarpement situé sur la ligne
de faille, mais dû à l'érosion différentielle. Le regard de l'escarpement de ligne
de faille peut être de même sens que le rejet, ou de sens contraire (figure 75C
et D). Au contraire, on réserve le nom d'escarpement de faille à un escarpe‐
ment dû directement à une dénivellation tectonique, même s'il a beaucoup
reculé et s'est émoussé. Un escarpement récent (pliocène ou quaternaire) est
un escarpement de faille, car la dénivellation tectonique n'est pas assez
ancienne pour avoir été annulée ; un escarpement ancien sur le tracé d'une
faille est le plus souvent un escarpement de ligne de faille.
On connaît bien certains cas d'évolution correspondant au schéma théo‐
rique, ainsi celui du faux fossé de Séverac. La ville de Séverac-le-Château,
dans le sud du Massif Central français (département de l'Aveyron), est située
dans une dépression seules des buttes comme celle du château créent un relief
à l'intérieur de cette région déprimée encadrée par deux escarpements Ouest-
Est séparant la dépression, au sud, d'un plateau granitique, au nord, d'un pla‐
teau calcaire. Or la carte géologique montre que l'allure de la topographie n'a
pas de rapport avec le sens des dénivellations tectoniques. La topographie
simule un fossé alors que sur son emplacement la tectonique a disposé un gra‐
din. On avait en effet un escalier de failles ; la topographie a d'abord été nive‐
lée. Puis une reprise d'érosion a créé des reliefs différentiels. Le bloc sud, qui
était le plus élevé, est resté en relief parce que le granit qui le forme était résis‐
tant. Le bloc central, ou bloc de Séverac, c'est excavé dans les marnes du lias ;
et seule la butte du château de Séverac témoigne d'une ancienne extension des
calcaires jurassiques au-dessus du lias marneux. Enfin le bloc nord, recouvert
par des calcaires jurassiques, est resté en relief en raison de la grande résis‐
tance de ces derniers.
Ainsi, la dépression de Séverac est une dépression d'origine différentielle
bordée par deux escarpements de ligne de faille. L'escarpement sud est de
même regard que le plan de faille ; l'escarpement nord est de regard opposé au
plan de faille : c'est un escarpement inversé (figure 76).

Figure 76 Coupe schématique du « faux fossé » de Séverac-le-Châ‐


teau

L'analyse morphologique des reliefs de faille repose donc sur l'examen de


deux séries de facteurs :
• le style tectonique pour le connaître, il faut, d'une part, observer les tra‐
cés, d'autre part, restituer l'allure des déformations dues aux failles ;
le degré d'évolution des escarpements.
Chapitre 13

Reliefs donnés par quelques structures complexes


DANS LE CHAPITRE PRÉCÉDENT, on a considéré que les cuestas ou les formes de
plissement étaient modelées dans des structures concordantes. Mais on peut
avoir affaire à des structures discordantes dans le cas d'une évolution de
coteaux ou de cuestas et dans le cas de chaînes plissées.

1. Structures discordantes

1.1. Cuestas dans les structures discordantes

Si l'on suppose qu'une série a été, après son dépôt, basculée, érodée jusqu'à
donner une pénéplaine, recouverte par la mer et par de nouveaux sédiments
puis soulevée à nouveau et basculée, chacune des deux séries donne un relief
de cuesta.
Ce cas est représenté dans les régions du Bassin parisien qui bordent le
Massif armoricain et dans le Sud-Ouest de la Plaine anglaise. En effet, dans
ces régions, la craie crétacée repose en discordance sur une surface tranchant
toutes les couches antérieures. La série précrétacée a été attaquée par l'érosion
récente qui y a dégagé des cuestas. Mais le crétacé s'avance vers l'Ouest sans
aucun rapport avec les directions des cuestas formées par les couches sous-
jacentes et sa propre cuesta est située au voisinage du massif ancien du Devon
et du Massif armoricain. Une butte-témoin crétacée s'élève même à l'ouest
d'Exeter, en pleine dépression périphérique (figure 77), comme si une butte-
témoin de la cuesta de Champagne dominait la région d'Épinal. On a là un
type compliqué de structure discordante dans un bassin sédimentaire (voir le
schéma de la page 18 dans Documents et méthodes pour le commentaire de
cartes, par M. Archambault, R. Lhénaff et J.-R. Vanney).
Figure 77 Rôle de la transgression crétacée discordante dans le Sud-
Ouest de la Plaine anglaise (coupe simplifiée)

1 : massif ancien du Devon ; 2 : calcaire jurassique ; 3 : cré‐


tacé.

1.2. Les structures discordantes dans les chaînes plissées

Supposons qu'une chaîne plissée ait évolué de façon à présenter un relief


jurassien ou même un relief inversé. Si elle est alors abaissée tectoniquement
dans son ensemble et envahie par la mer, une sédimentation discordante repo‐
sant non sur une pénéplaine mais sur une surface topographique avec des
crêts, des combes et des vals, vient se superposer à peu près horizontalement à
l'ancienne série plissée en remplissant d'abord les dépressions. Si la région se
soulève à nouveau, l'érosion reprend et le relief évolue dans la nouvelle struc‐
ture complexe (figure 78). Si de nouveau un plissement affecte pour la
seconde fois la première série et pour la première fois la série nouvelle, on
peut avoir deux familles générales de formes structurales dérivées. Dans ce
cas, il est bien évident que la seconde série sédimentaire est moins violem‐
ment plissée que la première et que le modelé y est plus calme.

Figure 78 Structure discordante dans une chaîne plissée de type Aurès


1 : couches secondaires ; 2 : molasse tertiaire, dont il reste les
quatre témoins a, b, c, d. La molasse s'est déposée à plat en discor‐
dance dans un relief jurassien déjà évolué après un fort plissement
antémolassique. À son tour, la molasse a été en partie enlevée par
l'érosion.
Telle a été l'évolution de l'Aurès en Algérie orientale. La molasse du milieu
du Tertiaire s'est déposée en transgression dans des dépressions intérieures
modelées auparavant dans une série de couches secondaires plissées. La péné‐
tration de la mer de la molasse et le dépôt par cette mer de couches discor‐
dantes qui se sont, par la suite, très légèrement plissées, sont fréquentes dans
certaines parties des Alpes (région de Forcalquier, Vercors) et des régions
plissées méditerranéennes.
Autre exemple : Dans la plaine de l'Èbre, en Espagne, des chaînons plissés
au début du Tertiaire et appartenant aux Pyrénées ou aux chaînes ibériques,
ont été fossilisés peu après par des poudingues provenant de la destruction,
par l'érosion, de l'arrière des montagnes et qui se déposaient dans une mer en
noyant la bordure plissée. Un soulèvement postérieur a remis en relief l'en‐
semble des chaînes plissées et de leurs dépôts de poudingues fossilisants.
Dans certains cas, le soulèvement s'est même accompagné d'un léger plisse‐
ment des poudingues. Les types de relief sont très divers d'un endroit à l'autre.

2. Adaptation et inadaptation des rivières au relief plissé

On se souvient que les cours d'eau peuvent être adaptés ou inadaptés aux
reliefs des cuestas. Il en est de même dans le cas d'un relief plissé : une rivière
qui franchit un anticlinal en cluse est inadaptée, un ruz qui descend le flanc
d'un anticlinal ou un cours d'eau logé dans un val synclinal sont adaptés à la
structure.
Si l'on comprend facilement qu'un cours d'eau se loge dans une dépression
de type val, il est plus difficile de comprendre le franchissement des anticli‐
naux par les cluses. Plusieurs explications se présentent :
• le cours d'eau a pu profiter d'une cassure perpendiculaire à la direction
de l'axe du pli ;
la cluse peut résulter d'une capture ;
le cours d'eau a pu s'établir sur une surface d'érosion qui a tranché tout
le relief, puis l'encaissement a créé des formes nouvelles dérivées
(interprétation possible pour les reliefs appalachiens seulement) ;
le cours d'eau s'est établi sur une couverture discordante, comme si, sur
la figure 78, il s'était établi sur la molasse. Puis l'érosion a pu faire
disparaître cette couverture. Ainsi s'explique que le Rhône traverse le
pli de Donzère entre la plaine de Montélimar et celle du Tricastin
(figure 79). On dit qu'un tel cours d'eau, établi sur un manteau de
dépôts masquant le relief sous-jacent, s'est surimposé ;
la rivière étant établie dans une direction quelconque avant le plisse‐
ment, elle maintient son cours pendant que le pli se forme, à la façon
d'une scie qui continuerait à scier une planche qu'on soulèverait au fur
et à mesure de l'entaille (figure 80). C'est l'antécédence.

Figure 79 Surimposition

Figure 80 Antécédence

On remarquera que beaucoup de ces théories s'appliquent non seulement au


relief plissé, mais au relief faille, qui pose des problèmes analogues d'adapta‐
tion et d'inadaptation du réseau. En effet, une rivière peut aller d'un fossé à un
autre fossé en entaillant en gorge un horst : elle peut suivre une fracture scin‐
dant le horst, ou s'être établie sur une pénéplaine ayant nivelé toute la région,
ou résulter d'une capture, ou s'être surimposée à une époque où le relief du
horst était masqué par un dépôt discordant comme les roches sédimentaires
oligocènes du Massif Central français , ou encore être antécédente par rapport
aux effondrements et soulèvements qui sont à l'origine des fossés et du horst.

3. Principes de géomorphologie des socles

Nous savons qu'un socle est une montagne formée de vieux matériel conso‐
lidé depuis longtemps, tranché par une surface d'érosion qui se comporte
comme une surface de discordance et peut porter une couverture.
Quelle que soit la simplicité de cette définition, un socle peut être très
divers. Il peut être compris dans une chaîne alpine (c'est le cas du Massif du
Mont-Blanc). Mais nous étudierons ici surtout les socles qui se disposent en
dehors des chaînes alpines proprement dites.
Les uns n'ont pas été plissés depuis l'époque précambrienne : ce sont les
boucliers, tels le Bouclier canadien, le Bouclier fenno-scandien. Ces boucliers
ne comprennent guère de sédiments plissés, mais ils ont pu être faillés, bascu‐
lés, portés à des altitudes élevées (plus de 1 000 mètres dans la presqu'île de
Kola). Cependant, leur morphologie est généralement plus simple que celle
des socles qui ont été plissés plus tard et qu'on appelle les massifs. Selon l'âge
de leur plissement, les massifs sont dits calédoniens, hercyniens, etc., étant
entendu qu'un massif peut avoir subi plusieurs phases de plissement. En tout
cas, les massifs n'ont pas été plissés tout au plus ont-ils été gauchis par les
plissements d'âge alpin.
Les socles peuvent être formés de matériel cristallin (plutonique et cristallo‐
phyllien) ou de matériel sédimentaire ancien plissé et consolidé (figure 81) :
les formes sont alors tout à fait différentes. Par exemple, un socle cristallin
offre souvent un modelé de granits (boules, etc.) ; au contraire, un socle formé
de roches sédimentaires présente, en général, un relief appalachien. Le Limou‐
sin, dans le Massif Central français, formé presque entièrement de roches cris‐
tallines, est un exemple du premier type. L'Ardenne franco-belge est un
exemple du second type. Le Massif armoricain, qui associe roches cristallines
et roches sédimentaires primaires plissées, appartient à un type intermédiaire.
Le rôle de la tectonique d'âge récent permet aussi d'établir un principe de
classement : certains massifs ont été peu basculés, comme la partie limousine
du Massif Central ; d'autres, au contraire, comme la partie médiane du Massif
Central (Auvergne, Velay) ont été très disloqués, coupés de fossés et de horsts
et même le volcanisme y a surgi.
La présence ou l'absence d'une couverture sédimentaire discordante (pré‐
sente dans le Mâconnais, absente dans le Limousin) introduit un autre élément
de variété dans la géographie structurale des massifs anciens.

4. Types de contacts de massifs anciens avec leur bordure sédimentaire

Les formes du contact des massifs anciens avec leur bordure dépendent non
seulement de la structure mais aussi du système d'érosion climatique. En effet,
la plupart des roches qui constituent les massifs anciens sont résistantes sous
les climats tempérés et peu résistantes sous les climats chauds, de sorte que
sous ces derniers, les massifs anciens sont parfois excavés par l'érosion alors
qu'ils restent en relief dans les régions de climat tempéré. Nous allons partir
d'un type de structure simple et montrer qu'il donne des reliefs différents sui‐
vant le climat. Nous passerons ensuite en revue des types plus compliqués.

4.1. Massifs anciens basculés sur lesquels repose une couverture discordante
de grès ou de calcaire résistants

Soit un massif ancien basculé qui plonge régulièrement sous une couverture
sédimentaire dont la couche la plus ancienne est une épaisse assise résis tante.
Cette assise forme cuesta ; mais, si le climat ne permet pas l'évidement du
massif, il n'existe pas de dépression subséquente taillée en roche tendre (figure
82, 1 a). Si, au contraire, le climat, chaud, se traduit par un évidement du mas‐
sif, alors que la couche sédimentaire résiste, c'est tout le massif qui constitue
une espèce de dépression (figure 82, 1 b).
Figure 81 Schéma montrant une structure de chaîne et trois types
lithologiques de massif ancien pouvant en dériver

1 : Roches sédimentaires ; 2 : roches cristallophylliennes ; 3 :


roches plutoniques. Suivant que la surface d'aplanissement qui a
tranché la chaîne s'est modelée au niveau des roches sédimen‐
taires (A), au niveau des roches cristallines (B) ou à un niveau
intermédiaire (C), le socle qui résulte de la consolidation de la
chaîne est de type ardennais (A), limousin (B), ou armoricain (C).
On peut prendre comme exemple de cette structure en climat tempéré le
contact des Vosges cristallines avec leur couverture de grès vosgiens dans la
région du Donon ; en climat tropical, l'exemple de la falaise de Banfora au
Burkina Faso.

4.2. Type classique à dépression périphérique

Le type classique est un peu plus compliqué que le précédent parce qu'il
suppose l'existence d'une alternance couche dure et couche tendre dans la série
sédimentaire. L'exemple le plus net est la bordure nord du Morvan (figure
82, 2). On constate :
• un basculement net du massif, dont la surface de discordance (ici, la
pénéplaine posthercynienne) plonge régulièrement sous la couverture
sédimentaire également inclinée ;
l'existence d'une masse de couches tendres (la base du lias) reposant
directement en discordance sur le massif. L'érosion a pu en venir à
bout facilement et développer une véritable plaine de déblaiement
récent, la dépression périphérique (appelée ici la Terre Plaine) ;
une couche dure inclinée surmontant la masse de couches tendres. La
couche dure est tranchée en une cuesta dont le front domine la dépres‐
sion périphérique.
Figure 82 Divers types de contact d'un massif ancien avec sa bordure
sédimentaire

1 : massif ancien basculé sur lequel repose une couverture de


grès ou de calcaire résistant (1 a : massif ancien résistant à l'éro‐
sion, comme dans les Vosges du Donon ; 1 b : massif ancien évidé
par l'érosion, comme dans la région de Banfora, Burkina Faso.
2 :Type classique à dépression périphérique. 3 : Contact par l'in‐
termédiaire de bassins permiens. 4 : Contact en glacis. 5 : Contact
par faille marquée dans la topographie (5 a : par vallée de ligne
de faille ; 5 b : par escarpement de ligne de faille ; 5 c : par failles
multiples).
N.B. : On a toujours représenté le massif ancien par des croix,
même s'il est constitué de matériaux sédimentaires.
Selon que la pente de la surface de discordance et des couches qui la
recouvrent est plus ou moins accentuée, la dépression se rétrécit ou s'élargit.
La Terre Plaine est particulièrement large ; en revanche, la dépression qui suit
le pied des Cévennes dans la région de Joyeuse se réduit parfois à quelques
centaines de mètres.
Une dépression périphérique est rarement continue tout autour d'un massif.
Le plus souvent elle ne constitue qu'un secteur, au pied d'une cuesta de tracé
arqué, mais les conditions nécessaires à l'élaboration ne se poursuivent pas
très loin : des failles interviennent souvent avec une telle ampleur que la
dépression disparaît.

4.3. Contact par l'intermédiaire de bassins permiens

Dans quelques cas, s'interpose localement une aire de sédimentation en


forme d'amande, d'âge intermédiaire entre le plissement du massif ancien et le
dépôt de la couverture sédimentaire générale : tels sont les bassins d'Autun,
sur la bordure sud du Morvan, et de Saint-Dié, sur la bordure ouest des
Vosges. Dans les deux cas, il s'agit de cuvettes permiennes peu étendues, mais
de sédimentation épaisse. Le trias s'est établi indifféremment sur le permien et
sur le cristallin.
Il en résulte que le permien, généralement tendre, est excavé largement là
où les roches dures de la couverture ont été enlevées. Le bassin apparaît donc
comme une cuvette topographique profonde, entre les tables de roche dure
sédimentaire d'un côté et le cristallin très redressé de l'autre (figure 82, 3).
Mais, dans le détail, les anomalies sont fréquentes en raison des nombreux
changements de faciès dans le permien.

4.4. Contact en glacis

Les formes sont tout à fait différentes sur le pourtour du Limousin. En effet,
une surface d'érosion d'âge tertiaire a arasé à la fois le cristallin et la bordure
sédimentaire (figure 82, 4). Elle a été, par endroits, recouverte de sédiments
peu épais, les sables sidérolithiques. Depuis la pénéplénation et le dépôt de ces
sables, le soulèvement du Limousin, à la fin du Tertiaire, a été très modéré de
sorte que l'érosion n'a pas eu de force pour attaquer sérieusement le relief ; les
vallées n'ont pas eu le temps de s'élargir : elles restent de simples couloirs
étroits entre lesquels la pénéplaine subsiste parfaitement. On passe donc du
sédimentaire au cristallin sur cette pénéplaine légèrement inclinée à la manière
d'un glacis, sans se rendre compte du contraste lithologique.
4.5. Contact par faille marquée dans la topographie

Les contacts par failles entre un massif cristallin et une bordure sédimen‐
taire (figure 82, 5) sont très fréquents. Dans beaucoup de cas, les failles ont
été nivelées, non exhumées, et l'on est ramené au type précédent mais la faille
bordière peut aussi se marquer dans la topographie :
• On peut être en présence d'une vallée de ligne de faille (figure 82, 5a)
(exemple, bordure ouest du Morvan au nord du mont Vigne) entre le
cristallin et le calcaire bordier, l'un et l'autre pénéplanés au même
niveau ;
Si l'érosion différentielle a pu s'exercer davantage, le contact se fait par
un bel escarpement de ligne de faille (figure 82, 5b), comme c'est le
cas sur plusieurs bordures du Massif Central ;
On peut avoir de grandes complications si le contact est haché de failles
(figure 82, 5c).
Photographie 5 Vue aérienne de la faille de Limagne

Section de 13 km de longueur. Le cristallin est à droite, le terri‐


toire sédimentaire à gauche. Tracé subrectiligne (Cliché I.G.N.).

Photographie 6 Calotte émettant une langue glaciaire, l'Œrefajökull


(Islande)

Remarquer la moraine médiane, les crevasses, le cours d'eau


divagant, édifiant un sandur.(Cliché Iceland Tourist Bureau, Reyk‐
javik, transmise par la légation, aujourd'hui ambassade de France
à Reykjavik.)
Partie 3

Géomorphologie climatique (ou zonale)


Chapitre 14

Introduction Les climats du passé


LA GÉOMORPHOLOGIE CLIMATIQUE ou zonale est l'étude des systèmes d'érosion
bioclimatiques, c'est-à-dire de l'ensemble des processus d'érosion et d'accumu‐
lation dus aux conditions de température, d'humidité, de couverture végétale
propres à chaque zone climatique.

1. Introduction

Cette étude nous intéresse à un double titre. Elle nous permet d'abord de
comprendre les originalités de la morphologie de chaque zone ; mais aussi,
comme chaque zone a connu, dans le passé, des successions de climats divers,
les systèmes climatiques révolus n'ont pu manquer d'y laisser leurs traces.
Le climat actuel ne règne sur l'Europe occidentale et sur l'Amérique du
Nord que depuis une période très courte du point de vue géologique dix mille
ans environ pendant laquelle les formes n'ont pu se remodeler complètement.
Bien mieux, les conditions actuelles de l'Europe occidentale depuis l'époque
néolithique, temps où l'agriculture a remplacé dans le système économique la
chasse, la pêche et la cueillette, sont dominées par le grand rôle de l'érosion
sur sol labouré là où s'étendait autrefois un manteau forestier. Le système
d'érosion qui se développe sous nos yeux est donc un système dû à l'homme le
système anthropique , artificiel au premier chef, et qui ne s'est exercé que pen‐
dant une durée très courte. Il importe de le réduire à son rôle véritable et de
chercher dans les climats du passé les responsables de la morphologie
actuelle.
À chaque climat correspond une couverture végétale qui influe sur les pro‐
cessus de modelé ; ainsi la forêt freine considérablement l'érosion, car le
feuillage ralentit l'effet de la pluie, en ne laissant tomber sur le sol qu'un
nombre restreint de gouttes, et avec un certain retard ; le manteau de feuilles
mortes au sol, le lacis des racines diminuent considérablement l'érosion ; les
quelques procédés qui l'accélèrent (arrachage de la terre par les racines d'un
arbre tombé) n'interviennent que rarement.
La steppe et plus encore le désert laissent apparaître le sol à nu. Ces forma‐
tions végétales se rencontrent sous des climats chauds et arides, comme sous
des climats froids ; certains agents, comme le vent, s'exercent donc sous des
climats aussi différents que ceux du Sahara et de l'Islande, mais en combinai‐
son avec des processus d'érosion thermique différents dans les deux milieux.
Une notion importante en géomorphologie est celle de crise climatique.
Lors d'un changement de climat, bien des plantes ne peuvent s'adapter aux
nouvelles conditions et le tapis végétal est détruit en attendant que, par l'ap‐
port de graines exotiques, une nouvelle couverture végétale s'établisse. On se
trouve momentanément en présence d'une plus grande érosion : les sols, pré‐
parés par l'altération lors de la période précédente, peuvent être brutalement
enlevés. Dans la reconstitution de l'histoire géomorphologique, il faut donc
tenir compte non seulement des climats passés mais de ces crises qui pro‐
voquent une surexcitation momentanée de l'érosion (ce que nous avons appelé
p. 65-66, la rhexistasie, par opposition à la biostasie).
La communauté scientifique n'a pas toujours donné la même importance à
la géomorphologie climatique. De 1950 à 1980, son rôle a peut-être été exa‐
géré. On réagit aujourd'hui. On a ainsi remarqué que sous climat arctique,
malgré le rôle du gel, celui du ruissellement a la même importance que sous
climat tempéré…

2. Les principaux climats anciens et les méthodes de leur détermination

Les climats anciens (ou paléoclimats) qui ont joué un grand rôle dans l'his‐
toire morphologique des formes actuelles sont les suivants :
• climat tropical des régions actuellement tempérées, pendant la pre‐
mière partie du Tertiaire ;
dans la seconde partie du Tertiaire, le climat de l'Europe occidentale est
de type chaud mais non tropical avec quelques crises froides au Plio‐
cène. Les climats du Quaternaire méritent une étude particulière, du
fait du caractère récent de l'ère et son importance dans le modelé
actuel, et parce que les changements climatiques ont été rapides.
Nous connaissons ces climats grâce à divers indices :
les renseignements fournis par la préhistoire, qui montre des outillages
emballés dans des sols de climats disparus ;
l'accumulation des tourbes dans les marécages nous indique toute une
succession, de la base au sommet. Chaque lit de tourbe a reçu en effet
les pollens des espèces végétales voisines du marécage. L'analyse
pollinique, dite aussi palynologique, renseigne donc sur la végétation
et sur le climat de chaque époque ;
la proportion des deux isotopes O et O de l'oxygène varie avec la tem‐
18 16

pérature. Les « carottes » de sédiments forés au fond des mers


indiquent une vingtaine de « stades » depuis 700 000 ans. Cependant,
comme les températures sous-marines ne traduisent pas toujours syn‐
chroniquement les variations thermiques continentales, il faut utiliser
la méthode avec prudence.
Pour établir des datations en âge absolu, on s'est d'abord contenté de
l'étude des vases des lacs situés en avant des fronts de glaciers, et qui
se présentent sous la forme de feuillets (varves) dus à l'alternance d'un
dépôt d'hiver et d'un dépôt d'été. En hiver, la fonte du glacier est, en
effet, minime, et la sédimentation est à dominante organique ; en été,
au contraire, elle est à dominante détritique, et la couche est plus
claire et plus épaisse. En comptant les feuillets de varves, on arrive
ainsi à établir une chronologie relativement précise. Aujourd'hui, on a
recours aux datations radiométriques (chapitre 6, p. 60).

3. Le quaternaire : Les glaciations

Quelques-unes de ces méthodes, en liaison avec l'observation du terrain, ont


permis d'établir que le Quaternaire a connu plusieurs périodes glaciaires sépa‐
rées par des périodes interglaciaires de climat tiède, c'est-à-dire analogue au
climat actuel ou légèrement plus chaud. Dans les Alpes, on a cru reconnaître
quatre glaciations, que l'on a nommées d'après des rivières bavaroises : Günz,
Mindel, Riss, Würm. (On remarquera que les quatre glaciations se succèdent
par ordre alphabétique, ce qui permet facilement de les retenir.)
En Amérique du Nord, de grandes calottes ont recouvert toute une partie du
continent à quatre reprises. On distingue donc aussi quatre glaciations :
Nebraska, Kansas, Illinois, Wisconsin.
Dans la plaine d'Allemagne du Nord, les études classiques conduisent à dis‐
tinguer seulement trois glaciations : Elster, Saale, Vistule. (L'ordre alphabé‐
tique, à la différence de la nomenclature américaine, est encore respecté.)
À vrai dire, l'histoire des glaciations européennes de Günz et Mindel est
mal connue et il ne faut pas s'étonner que, dans d'autres régions que les Alpes,
on n'ait pas trouvé d'équivalent du Günz. Il faut en effet mettre en parallèle
Mindel et Elster, Riss et Saale, Würm et Vistule.
L'accord n'est pas réalisé sur la chronologie absolue des époques glaciaires.
L'interglaciaire entre le Riss et le Würm a été relativement court. L'intergla‐
ciaire entre Mindel et Riss a duré assez longtemps.
Le Würm a commencé, assez modérément d'ailleurs, vers 120 000 ans
avant nous et s'est achevé environ 10 000 ans avant nous.
Chaque glaciation a été coupée de stades tièdes et on tend aujourd'hui à
allonger ces stades, tandis qu'on raccourcit les interglaciaires proprement dits.
Dans les déserts, il n'y a jamais eu de glaciers. Mais, pendant que les glacia‐
tions recouvraient les Alpes, l'Europe du Nord et une grande partie de l'Amé‐
rique du Nord, ils ont connu des périodes plus humides que l'actuelle : ce sont
les pluviaires.
Aux basses latitudes, la situation est mal connue. Il est possible que le cli‐
mat ait été plus sec pendant que les glaciations sévissaient aux hautes lati‐
tudes. Il semble, en tous cas, qu'il ait été humide au début du post-glaciaire
des hautes latitudes : en effet, les lacs d'Afrique orientale et le lac Tchad
eurent alors un niveau supérieur à leur niveau actuel.

4. Le quaternaire : Le postglaciaire

Depuis la fin de la dernière glaciation, le climat a été analogue au climat


actuel. Cependant, la glaciation ne s'est pas achevée d'un coup. Il y a eu un
premier réchauffement appelé période d'Alleröd entre 12 000 ans et 11 000
ans avant nous ; puis un retour du froid entre -11 000 ans et -10 000 ans ;
après quoi, les changements n'ont représenté que des nuances.
L'époque historique a connu aussi quelques variations. De 1100 à 1300
après J.-C., il semble que le climat ait été assez chaud, d'où une expansion de
l'agriculture avec de grands défrichements. Au contraire, à partir de 1300 et
jusqu'en 1900, le climat a été plus frais (cette période a commencé par les
disettes alimentaires du début de la guerre de Cent Ans). Certains auteurs de
langue anglaise ont appelé ce retour de fraîcheur le « Petit Âge Glaciaire » car
effectivement les glaciers de nos montagnes ont quelque peu progressé, au
point que ceux du Mont-Blanc ont failli barrer la vallée de Chamonix. De
1900 à 1954, les régions tempérées et surtout les régions arctiques sont deve‐
nues nettement plus chaudes (de 1 degré au moins). On se demande si la pla‐
nète ne continue pas à se réchauffer.
Ces dernières petites variations climatiques n'ont pas eu beaucoup d'in‐
fluence géomorphologique, mais les grandes périodes chaudes du Tertiaire ont
laissé, dans les paysages des latitudes moyennes, des dépôts caractéristiques
des climats tropicaux, et les époques glaciaires du Quaternaire ont marqué
puissamment une grande partie du monde.
Chapitre 15

Le système d'érosion glaciaire


LE SYSTÈME D'ÉROSION GLACIAIRE nous intéresse d'abord parce qu'il agit
encore de nos jours dans les zones englacées, ensuite parce qu'aux périodes
froides du Quaternaire, les glaciers se sont étendus beaucoup plus loin que de
nos jours, et ont contribué à modeler d'immenses régions aujourd'hui libérées
où l'on peut voir l'empreinte glaciaire.
Actuellement, les glaces couvrent près de 15 millions de kilomètres carrés,
soit une étendue une fois et demie égale à celle de l'Europe. La plus grande
partie de cette surface est occupée par les deux inlandsis subsistant, celui de
l'Antarctique et celui du Groenland ; le reste, glaciers de montagnes ou lobes
étalés au pied des montagnes et provenant de la coalescence de glaciers mon‐
tagnards, ne représente même pas 3 % de la surface totale englacée.
Au maximum de l'extension quaternaire, la glace couvrait vraisemblable‐
ment près du quart des terres émergées, soit 42 millions de km , 27 millions de
2

plus qu'aujourd'hui. C'est donc un ensemble grand comme plus de deux fois
l'Europe que les glaciers ont dégagé et sur lequel règne la morphologie gla‐
ciaire (figure 83).
Figure 83 Extension maxima des grands glaciers quaternaires de part
et d'autre de l'Atlantique

1. Les glaciers actuels

Les glaciers actuels sont de toute taille. Certains se réduisent à des plaques
de neige persistantes. Ce sont les névés. À l'opposé, les inlandsis sont d'im‐
menses étendues de glaces continentales. Tous résultent d'un même phéno‐
mène : l'accumulation de la neige d'une année sur l'autre.
Un glacier ne peut prendre naissance qu'au-dessus de la limite inférieure
des neiges permanentes. Mais il peut se terminer au-dessous de cette altitude
car la glace s'écoule vers le bas et ne fond pas immédiatement. Dans le Massif
du Mont-Blanc, le glacier des Bossons se termine à moins de 1 300 mètres,
alors que l'altitude des neiges persistantes est de 2 800 mètres.
Au-dessus de l'altitude limite des neiges persistantes, tous les espaces ne
sont pas englacés. Certains pics ne portent pas de glace (à l'exception d'une
pellicule de verglas) parce qu'ils sont trop escarpés pour que la neige y
séjourne ; on les désigne d'un nom esquimau : nunatak.
On peut distinguer, d'après leur disposition, cinq types de glaciers.
1.1. Les inlandsis

Ce sont d'immenses étendues de glace (12,5 millions de km pour l'inlandsis


2

antarctique et 1 700 000 km trois fois la France pour l'inlandsis groenlandais).


2

Leur épaisseur moyenne est au moins de 2 000 mètres. Cette énorme accumu‐
lation de glace s'explique plus par la lenteur de la fusion sous ces climats
froids que par l'abondance de l'alimentation en neige, car le climat dans ces
régions est assez sec. La vitesse de la glace est très lente.
Sur la glace de l'inlandsis, l'eau de fonte forme chaque été des courants qui
creusent des canyons encaissés de quelques mètres, les bédières, avant de dis‐
paraître dans des puits ou moulins, termes du langage alpestre, mais qui
conviennent tout particulièrement à ces phénomènes d'inlandsis.
Certaines langues de l'inlandsis atteignent la mer, où la houle et les marées
les fragmentent en icebergs.

1.2. Les calottes locales

De bien plus petites dimensions que les inlandsis, des calottes revêtent des
montagnes et peuvent émettre des langues divergentes à leur périphérie. Tel
est le cas du système glaciaire du mont Rainier, dans l'Ouest des États-Unis,
réplique actuelle de ce qu'a dû être aux périodes froides le massif du Cantal
(Massif Central français).

1.3. Les glaciers de cirque

Dans les montagnes dont les sommets dépassent de peu la ligne des neiges
persistantes, des glaciers se logent souvent dans des cirques (parties les plus
basses des montagnes arctiques ou subarctiques, montagnes tempérées et tro‐
picales). Le glacier (figure 84) est de dimensions réduites et dominé par des
parois rocheuses presque verticales, d'où descendent les avalanches qui l'ali‐
mentent.
Figure 84 Glacier de cirque (coupe), sa rimaye, sa moraine

Remarquer la barre rocheuse qui ferme le cirque à l'aval (et qui


n'existe d'ailleurs pas dans tous les cas).
Entre la paroi rocheuse et la glace qui s'en décolle, l'espace béant est appelé
la rimaye.
Une moraine, ou plutôt un « croissant de névé », formé par le dépôt des
matériaux glissés, se localise à l'extrémité aval.

1.4. Les glaciers de vallée

Les glaciers de vallée, nombreux dans les montagnes alpines, se présentent


essentiellement comme des langues qui reçoivent dans leur partie amont des
glaciers affluents.
La langue glaciaire présente une topographie convexe car la fusion est plus
forte sur les bords. La surface de la glace est plus ou moins recouverte de
dépôts (moraines) (figure 85). Les moraines latérales sont formées par les
matériaux tombés sur le glacier ou arrachés par lui aux parois de la vallée ;
quand deux courants de glace confluent, il se forme une moraine médiane par
juxtaposition de deux moraines latérales. Le glacier peut transporter des
pierres à l'intérieur de la masse de glace : elles constituent la moraine interne,
mais il semble que cette charge interne se limite à peu de chose, les galeries
creusées pour les captages sous-glaciaires en vue d'installations hydroélec‐
triques n'ayant rencontré dans la plupart des cas qu'un petit nombre de blocs
pris dans la glace. En revanche, les moraines de fond, constituées de blocs et
de matériaux triturés sur le fond, représentent un volume appréciable. Enfin, le
glacier dépose sur son front les matériaux transportés : ils constituent la
moraine frontale, dite aussi moraine terminale ou vallum (en latin, vallum =
rempart) morainique.
Toutes ces formes d'accumulation ne sont pas spéciales au glacier de vallée,
mais c'est là que la terminologie peut être le plus nettement établie.

Figure 85 Langues glaciaires et glacier de piedmont

On n'a figuré de moraines que sur le glacier central. Remarquer


les moraines latérales, médianes, terminales. La moraine termi‐
nale n'est pas ici un vallum mais une accumulation en nappe, car
le système représenté est plus alaskien qu'alpin. Le lacis de cours
d'eau de fonte est caractéristique de la zone d'accumulation dite
fluvio-glaciaire située en avant du front, le sandur (voir plus loin
p. 159). Tr. : transfluence entre deux glaciers de vallée voisins
(voir p. 156).

1.5. Les glaciers de piedmont

Si plusieurs glaciers de vallée sont assez bien alimentés pour arriver jus‐
qu'au dehors de la montagne, ils édifient des lobes de piedmont qui peuvent
entrer en coalescence (figure 85). Tel était le cas des glaciers alpins pendant
les époques froides. Actuellement, on en trouve des exemples dans l'Alaska
(glacier Malaspina). De tels glaciers arrivent dans une zone qui peut être assez
constamment tiède, d'où l'extrême importance prise par les phénomènes de
fusion, si bien qu'ils ne donnent pas de moraines proprement dites, mais des
accumulations d'alluvions en nappes.

2. Les processus de l'érosion glaciaire

La glace provient d'une transformation de la neige. La couche de neige,


immédiatement après la chute, contient beaucoup d'air et sa densité est faible
(0,1 en moyenne). Sous l'influence du tassement, de fusions et de regels suc‐
cessifs, elle devient du névé, de densité voisine de 0,6 et, après de nombreuses
années, de la glace proprement dite (densité théorique 0,9, mais en fait 0,8, car
il reste des bulles d'air).
On sait que la glace n'est pas immobile, mais qu'elle s'écoule de l'amont à
l'aval. On a mesuré la vitesse superficielle du glacier, laquelle est plus forte au
centre que sur les bords. Cette vitesse est très variable. Très lente pour les
inlandsis, elle devient très forte sur les langues de leur bordure et sur les
grandes langues alpines. Elle varie aussi selon la pente et suivant les saisons.
Le mouvement de la glace pose des problèmes compliqués de physique des
fluides, que nous n'aborderons pas ici. On est sûr, en tout cas, que la plasticité
de la glace n'est pas parfaite ; la glace se décolle parfois du fond du lit ; elle
peut devenir cassante et se crevasse.
Pour apprécier de façon globale le travail du glacier, les glaciologues se
divisent. Les uns estiment que la glace travaille beaucoup, d'autres qu'elle tra‐
vaille très peu ; d'autres enfin adoptent des théories intermédiaires. Il est très
probable que l'intensité de l'action glaciaire soit différente selon les lieux, et
qu'elle dépende notamment de la vitesse de la glace, de son épaisseur, de la
nature des roches du lit glaciaire.
Dans le détail, la glace racle par les blocs qu'elle charrie. Elle crée sur les
roches encaissantes des stries, profondes de quelques millimètres à peine et
longues de quelques dizaines de centimètres ; elle polit aussi les roches, non
seulement par son propre passage, mais par l'intermédiaire des eaux de fonte
et aussi de matériaux amenuisés, comme le sable mouillé du polisseur, et
qu'on appelle la farine glaciaire. À force d'user ainsi les roches, le glacier en
arrondit les saillies et les transforme en roches moutonnées.
La glace érode bien plus encore par délogement de blocs, surtout sur les
pentes fortes tournées vers l'aval, en arrachant des blocs limités par leurs dia‐
clases. Mais les deux actions ne s'excluent pas. Après un délogement, le polis‐
sage émousse les arêtes en saillie.
Le glacier ne façonne pas seulement son lit mais aussi les matériaux qu'il
transporte. Les matériaux de la moraine de fond sont plus triturés que ceux
des moraines de surface ; aussi contiennent-ils plus de limon. Leur granulomé‐
trie est caractérisée par une hétérométrie marquée ; seules les argiles
manquent le plus souvent. Les moraines de surface sont formées surtout de
matériaux grossiers. Les plus gros de leurs blocs sont appelés blocs erra‐
tiques.
Tous ces matériaux glaciaires se distinguent des matériaux transportés par
les eaux de fonte du glacier au-delà du front glaciaire, et qu'on appelle maté‐
riaux fluvio-glaciaires. Les matériaux fluvio-glaciaires sont roulés (alors que
les matériaux glaciaires ne le sont pas). Ils sont, de plus, mieux calibrés et
comprennent d'une part des galets, d'autre part des sables grossiers.

3. Les formes glaciaires

3.1. Le cirque

Comme le glacier de cirque est un des plus réduits des glaciers, le cirque est
une des plus simples des formes glaciaires. C'est une dépression en demi-
cercle dominée par des parois abruptes. Il existe des cirques de toutes dimen‐
sions : petites niches de quelques dizaines de mètres de largeur, vastes amphi‐
théâtres terminant à l'amont les vallées glaciaires. Il y a lieu de distinguer :
• les cirques en forme de niche accrochés au flanc de la montagne. Les plus
grands de ces cirques élémentaires ont un fond plat ou faiblement ondulé abri‐
tant parfois un petit lac (figure 86). Vers l'aval, ce cirque peut être fermé par
une contre-pente qui le barre ;
• les cirques complexes, en escaliers, découpant toute une tête de vallée gla‐
ciaire. Tel est le cas du cirque de Gavarnie.
Les montagnes sculptées par les cirques présentent des crêtes disséquées en
dents de scie, modelées non par l'érosion glaciaire car elles ont toujours été
libres de glace (nunataks) mais par le gel s'exerçant sur des parois nues. Il peut
se faire qu'aux points d'intersection des crêtes, se dresse une pyramide, ou
horn (figure 86), dominant de beaucoup le niveau général des dents de scie
(exemples : le Cervin dans les Alpes suisses).

Figure 86 Type de relief glaciaire alpin

Au : auge ; VS : vallée suspendue ; GC : gradin de confluence,


avec gorge de raccordement ; H : horn ; E : épaulement ; Ci :
cirque (remarquer les petits lacs).
Pour expliquer la formation des cirques, certains morphologues pensent
qu'il s'agit seulement de l'aménagement par la glace d'un bassin de réception
torrentiel ; d'autres estiment que la neige et la glace sont capables de creuser
ex nihilo.
3.2. La vallée glaciaire

On la trouve surtout dans les montagnes, où elle résulte de l'action d'une


langue glaciaire. Vallée glaciaire, vallée en U, vallée en auge, ces trois termes
ont été pris souvent pour synonymes.
De nombreuses vallées glaciaires ont une forme d'auge caractéristique, avec
des flancs abrupts et un fond plat. Toutefois, la planité du fond est bien sou‐
vent due au remblaiement d'un ancien lac par le cours d'eau qui coule dans la
vallée : tel est le cas de l'auge du Grésivaudan. En dehors des zones qu'occu‐
pait un ancien lac, la vallée glaciaire offre en général un profil en berceau, à
fond moutonné.
Certains secteurs de vallée n'ont cependant pas une forme en U très nette ;
d'ailleurs, au fond de l'U, le cours d'eau sous-glaciaire, qui recueille les eaux
de fonte, a pu modeler une gorge en V.
Si toute vallée glaciaire n'est pas une vallée en U, toute vallée en U n'est pas
une vallée glaciaire. Toutes les fois qu'on a affaire à une vallée dans des
roches dures capables de maintenir une forte pente sur les versants, et dont le
fond s'élargit par sapement latéral (sapement par cours d'eau chargés diva‐
guant, sapement par migrations de méandres vers l'aval), les conditions sont
réalisées pour l'élaboration d'une forme en auge. Il suffit que la rivière coule
sur un lit majeur alluvial assez large, qui est aussi plat qu'un fond de lac rem‐
blayé, pour qu'on ait une auge alluviale non glaciaire (figure 15, 3).
La vallée glaciaire se reconnaît non pas à un critère unique, mais à un
ensemble de faits : présence de dépôts morainiques, modelé caractérisé par
des irrégularités du profil en long et du profil en travers.

Le profil en long

Une des irrégularités les plus nettes est due aux discontinuités des placages
morainiques et surtout au vallum plus ou moins bosselé de la moraine fron‐
tale.
Mais l'essentiel du modelé du profil en long est dû non à l'accumulation,
mais à l'érosion. C'est elle qui est responsable du surcreusement, c'est-à-dire
du creusement se terminant à l'aval par une contre-pente.
En effet, la vallée glaciaire est une succession d'élargissements, les ombi‐
lics, qui sont aussi des zones d'approfondissement, et d'étroits, les verrous, qui
sont des reliefs barrant la vallée (figure 87 et 88). Un lac a souvent occupé les
ombilics que l'action de la glace a surcreusés. Ainsi les lacs subalpins de
Suisse ou d'Italie, certains lacs écossais, comme le Morar, ont des profon
deurs de plusieurs centaines de mètres, et leur fond est parfois au-dessous du
niveau de la mer (lac de Garde : 295 mètres). Le Grésivaudan a été, lui aussi,
creusé jusqu'au-dessous du niveau de la mer, et c'est le remblaiement du lac de
surcreusement qui a masqué l'ancienne dépression.

Figure 87 Coupe longitudinale dans un lit glaciaire, montrant le façon‐


nement d'un ombilic et d'un verrou

Remarquer que le profil du fond offre une contre-pente à l'aval


de l'ombilic, alors que le profil de la surface de la glace descend
en tout point, tout en étant affecté d'une rupture de pente sur le
verrou.
Figure 88 Profil en long d'une vallée glaciaire (trait plein) et retouche
post-glaciaire du profil fluvial (trait interrompu)

Hauteurs fortement exagérées. V : verrou ; O : ombilic ; C :


crête ; M : moraine terminale. Remarquer les trois lacs en voie de
comblement par l'apport d'alluvions fluviatiles post-glaciaires. En
aval de la moraine, les alluvions fluvio-glaciaires (TGl) formeront
une terrasse si le cours d'eau postglaciaire s'encaisse.
Entre les ombilics, les verrous sont des saillies rocheuses moutonnées par
l'érosion. Tantôt ils barrent complètement la vallée, à l'exception de la gorge
fluviatile qui les entaille, ou de quelques encoches creusées par des eaux sous-
glaciaires, tantôt ils sont constitués de bosses rocheuses juxtaposées et laissant
entre elles d'assez larges passages. Les verrous sont des sites de forteresse
(Briançon, Château-Queyras, Sion, dans les Alpes), ou de barrages hydrau‐
liques.
À l'extrémité aval de la vallée, la moraine frontale forme, à son tour, un
saillant ; en aval de cette moraine, les eaux de fonte étalent les alluvions flu‐
vio-glaciaires.
Il n'est pas toujours facile d'expliquer la succession des ombilics et des ver‐
rous. On ne sait pas toujours en effet si les verrous correspondent à des affleu‐
rements de roches dures et les ombilics à des affleurements de roches tendres.
Certains glaciologues pensent que le verrou est une zone de moindre érosion
parce que le glacier est plus mince ; d'autres estiment, au contraire, que le ver‐
rou n'est pas un relief préservé, mais bien un relief plus fortement attaqué que
les ombilics : le glacier maintient sur le verrou une pente plus forte pour
vaincre sa résistance. Cette théorie admet que le travail du glacier est fonction
de sa vitesse (qui dépend elle-même de la pente) autant que de l'épaisseur de
la glace.

Le profil en travers

Le profil en travers est tout aussi irrégulier. Quand il est simple, il varie
entre des formes de « poêle à frire », de « coupe d'œuf » et de « V ». Les irré‐
gularités sont dues non seulement à des moraines éventuelles (dépôt de
moraines de fond, crêtes allongées des moraines latérales), mais aussi à des
replats ou épaulements (figure 86), qui dominent de quelques centaines de
mètres le fond de la vallée et sur lesquels se fixent souvent les villages. Les
épaulements peuvent être simples ou multiples, superposés, comme si plu‐
sieurs auges étaient emboîtées l'une dans l'autre. Certains peuvent être structu‐
raux ; dans ce cas, on peut les expliquer comme des irrégularités dues à des
roches dures et que l'érosion glaciaire n'a pas pu supprimer (tithonique du
Grésivaudan). Mais il existe aussi des replats sur des flancs dont la lithologie
est parfaitement homogène. Le problème de l'origine des épaulements est très
compliqué et on ne l'abordera pas ici.
Les confluences de vallées glaciaires ne se font pas toujours de plain-pied,
comme celles des vallées fluviales ; une vallée est souvent suspendue au-des‐
sus de l'autre (figure 86) : elle débouche parfois à plusieurs centaines de
mètres au-dessus. Ainsi, la vallée de Cauterets est suspendue au-dessus de
celle du gave de Pau. Il peut même arriver que ce soit la vallée aujourd'hui
principale qui débouche au-dessus de celle qui est devenue secondaire ; ainsi
la vallée de la haute Romanche débouche au-dessus de la vallée du Vénéon,
probablement parce que celle-ci, mieux alimentée en glaces par la haute cein‐
ture de l'Oisans, était capable de creuser davantage ; au contraire, la vallée de
la haute Romanche perdait une partie de la glace d'apport par le col du Lauta‐
ret. Il semble bien que ces gradins de confluence soient dus, en effet, à l'inégal
creusement des deux glaciers, le raccord de la surface de la glace se faisant de
plain-pied, mais le niveau du fond étant d'autant plus profond que le courant
de glace était plus épais.
Si un glacier dans sa vallée trouve un col de flanc dont le niveau est infé‐
rieur au niveau de la surface de la glace, il émet une digitation qui peut passer
le col et le modeler en berceau. Ainsi se sont formés les larges cols de trans‐
fluence, ou de diffluence (figure 85), qui sont nombreux dans les Alpes
(presque tous les cols carrossables), plus rares dans les Pyrénées, ou la haute
crête formait obstacle au franchissement par les glaces (cependant, le col de
Puymorens est un remarquable exemple). La glace peut même avoir modelé
une véritable vallée de transfluence, ce qui est le cas pour les cluses d'Annecy
et de Chambéry. Ainsi les montagnes fortement englacées pendant les
périodes froides du Quaternaire se présentent aujourd'hui comme un lacis de
larges vallées à ombilics et verrous avec transfluences (montagnes scandi‐
naves, Écosse, Alpes) facilitant la circulation, et contrastant avec les hautes
crêtes découpées entre les cirques ou les hautes surfaces modelées par les gla‐
ciers de plateau.
3.3. Plaines et plateaux glaciaires

La topographie des plaines et des plateaux glaciaires est très différente de


celle des vallées et des crêtes. Ce sont, en général, des surfaces aux ondula‐
tions peu prononcées, qui sont désignées en Scandinavie sous le nom de Fjell
ou Fjeld, coupées de rares auges, généralement peu profondes.
Les formes d'érosion dominent dans la zone de départ des glaces (Nord du
Canada, Nord de la Suède et de la Finlande) ; au contraire, les zones d'accu‐
mulation les plus actives se situent à la périphérie du glacier (Allemagne du
Nord, Nord de la plaine centrale des États-Unis). Mais les deux types de
formes s'imbriquent souvent, d'autant plus que, pendant le recul glaciaire, ce
qui était le centre des inlandsis a pu devenir pour un temps une zone margi‐
nale.
Les régions où dominent les roches moutonnées se présentent comme des
ensembles bosselés. Les bosses sur lesquelles affleure le rocher à nu, strié,
poli par la glace, ou découpé en blocs, émergent au-dessus de petites dépres‐
sions occupées par des étangs ou des tourbières, résultat de l'accumulation
postglaciaire dans les bas-fonds surcreusés. De petits placages morainiques
peuvent empâter les versants rocheux, mais ils ne constituent qu'un trait
mineur du relief.
L'accumulation prend des formes très différentes selon qu'elle s'est faite
sous un glacier actif ou sur sa marge.
Si l'accumulation s'est faite sous un glacier actif, deux types de paysage
dominent :
• les successions de drumlins ; les drumlins (figure 89) sont des collines
en forme de dos de baleine avec quelques variantes. Leurs dimensions
sont diverses : longueur de quelques dizaines à quelques centaines de
mètres ; largeur en moyenne trois fois plus petite que la longueur,
hauteur de 5 à 40 mètres. Ces drumlins se groupent, en général, en «
champs » où des dépressions marécageuses séparent les collines
ovoïdes. Le grand axe des drumlins est grossièrement parallèle, dirigé
suivant l'ancien écoulement de la glace. Le drumlin peut avoir ou ne
pas avoir de noyau rocheux ; il est en tout cas composé de matériaux
apportés par le glacier, non nécessairement roulés et souvent mal stra‐
tifiés. Il joue le rôle qui, dans l'accumulation fluviale, est celui du
banc de sable, c'est-à-dire qu'il représente le résultat d'un excédent
local de charge que le glacier dépose, tandis que l'écoulement de la
glace modèle le dépôt. Les drumlins ne sont donc que des épaississe‐
ments locaux de la moraine de fond, que le glacier a modelés suivant
des formes dues à sa dynamique propre ;

Figure 89 Types de drumlins (vue perspective)

• les plaines de moraine de fond, dont le relief est plus informe, là où


l'accumulation n'a pas été localisée par paquets, comme dans le cas du
dépôt de drumlins.
La moraine de fond est un manteau assez irrégulier, tantôt plat comme
dans une partie de l'île de Seeland, au Danemark, tantôt ondulé en
collines mal digitées, coupées de petits lacs. Le manteau morainique,
contrairement à ce qu'on a longtemps cru, n'est jamais épais (quelques
mètres en moyenne ; une trentaine de mètres si plusieurs moraines se
superposent). Aussi moule-t-il, tout au plus en l'atténuant, le relief
préglaciaire.
Les parties les plus surcreusées des inlandsis, celles qui coïncident avec des
sections où la glace, sans perdre de son épaisseur, s'écoulait plus vite ou avec
les vastes affleurements de roches tendres (sédiments les plus tendres de la
Suède centrale), ont été excavées en lacs. Telle est l'origine de nombreux lacs
d'inlandsis, comme ceux qui marquent la bordure du Bouclier canadien.
Si l'accumulation s'est faite sur la marge du glacier, les formes sont plus
compliquées parce que le travail de l'eau de fonte, c'est-à-dire des eaux appe‐
lées fluvio-glaciaires, s'y combine avec celui de la glace. De plus, les dépôts
contemporains du recul du glacier s'y mêlent avec ceux de la phase d'avancée
maxima. Pendant le recul, la glace fond sur place et n'est plus animée d'un
mouvement vers l'aval. Elle se disloque en masses et en culots séparés par des
lacs ou par des eaux courantes. On tend à donner de plus en plus d'importance
aux formes engendrées par l'accumulation des alluvions sur, sous, entre les
masses de cette glace morte.
Les eaux de fonte peuvent s'écouler perpendiculairement à la limite du gla‐
cier en s'éloignant de lui, ou constituer de longs courants qui longent son front
et sont appelés courants proglaciaires. C'est l'origine des grandes vallées de la
plaine germano-polonaise, aujourd'hui tronçonnées par des changements de
cours post-glaciaires (figure 90). Ces grandes vallées correspondent à autant
de stades de retrait de l'inlandsis. Les savants allemands les ont nommées Urs‐
tromtals. Mais les eaux proglaciaires peuvent aussi former des lacs, là où se
découvre une zone surcreusée ou une vallée barrée par la glace. C'est le cas
des Grands Lacs américains, pendant les stades de retrait de la dernière glacia‐
tion.

Figure 90 Les Urstromtals de la plaine germano-polonaise

(En partie d'après P. George et J. Tricart, Europe Centrale,


figure 3).
L'accumulation glaciaire donne aussi d'autres formes : l'ôs (pluriel suédois :
osar) se présente comme une espèce de remblai analogue à un remblai de che‐
min de fer, mais de sommet plus irrégulier, avec des renflements, parfois des
pointes. En longueur, les ôs peuvent s'allonger en bandes sinueuses sur des
dizaines de kilomètres. Les matériaux sont toujours stratifiés et bien roulés, ce
qui suggère une origine fluviale. Mais la longue colline monte et descend
selon les caprices de la topographie, sur laquelle elle s'est établie parfois avec
une totale indifférence, et ses contre-pentes paraissent incompatibles avec
l'hypothèse d'un dépôt fluvial subaérien. Il semble que les ôs soient des formes
de recul glaciaire, dues à des eaux de fusion, qui ont circulé soit dans des tun‐
nels sous-glaciaires, soit dans des intervalles entre des masses de glace morte.
Esker, mot irlandais, est l'équivalent anglo-saxon du Scandinave ôs.
Une forme en creux laissée par la glace morte est le kettle : c'est la trace
d'un culot de glace qui a mis longtemps à fondre, dans une période où l'enro‐
bait le dépôt d'alluvions fluvio-glaciaires.
En avant de l'inlandsis au stade de son avancée maxima, des moraines fron‐
tales (ou terminales) peuvent s'accumuler, avec des formes plus ou moins
compliquées. Les moraines de la dernière glaciation sont les plus fraîches ;
elles forment l'amoncellement des Croupes Baltiques.
Les matériaux fluvio-glaciaires étalés en avant et en contrebas des moraines
forment des nappes de matériaux grossiers au pied des montagnes, de maté‐
riaux fins sur le front des glaciers régionaux (figure 85). Ces plaines de maté‐
riaux fins sont appelées sandurs en Islande. Au Danemark, en Allemagne du
Nord, elles donnent des étendues de landes.
Les nappes alluviales de piedmont, comme celles qui sont dues aux grands
glaciers quaternaires des Alpes, ont été disséquées par l'érosion postglaciaire
et forment aujourd'hui des terrasses.

4. Les déformations glacio-isostatiques

La fonte des glaces lors des réchauffements climatiques a pour conséquence


d'augmenter le niveau du plan d'eau des mers. On sait qu'on appelle mouve‐
ment eustatique un mouvement général du niveau de base marin. Il s'agit, dans
le cas présent, d'un mouvement dit glacio-eustatique. Mais elle se traduit aussi
par un mouvement isostatique : les portions de continents libérées par la glace
sont allégées et, comme elles se trouvent pour ainsi dire en équilibre instable,
elles se soulèvent progressivement. Ainsi, la Scandinavie a subi un mouve‐
ment isostatique qui, dans la région de l'amplitude maxima, a atteint plus de
250 mètres (extrémité nord du golfe de Botnie). Il en résulte des conséquences
sur le dessin des côtes, l'aménagement de terrasses marines, la sédimentation.
Pendant le retrait des glaces scandinaves, la mer a envahi sur le pourtour de
la Baltique des territoires actuellement exondés, mais situés alors au-dessous
du niveau de la mer en raison de la dépression isostatique de la Scandinavie,
où le relèvement consécutif à la fonte ne s'était pas encore produit. De cette
mer, il reste de nombreuses terrasses témoins et des dépôts, les argiles à Yol‐
dia, précieuses pour l'agriculture des régions riveraines de la Baltique et qui
valent à l'ancienne mer son nom de mer à Yoldia. Des événements analogues
se sont produits dans la vallée du Saint-Laurent, où la mer Champlain a
occupé de vastes territoires, exondés depuis par relèvement isostatique.
Avant de quitter le relief glaciaire, on n'oubliera pas que la glaciation a eu
de nombreuses autres conséquences sur le dessin des côtes. Notamment, les
auges glaciaires occupées par la mer qui constituent les célèbres fjords (cha‐
pitre 23, p. 210).

5. Conclusion

Le relief glaciaire aboutit à des formes très diverses dans les montagnes et
dans les régions d'anciens inlandsis ou de piedmont. Dans l'ensemble, toutes
les formes dues au glacier lui-même sont chaotiques (roches moutonnées, pro‐
fils d'auge, moraines). Mais la collaboration de la mer ou des eaux de fonte se
traduit par des surfaces planes (plaines d'argile à Yoldia, alluvions comblant
les lacs proglaciaires, sandurs, terrasses fluvio-glaciaires).
Les formes dues au système glaciaire et fluvio-glaciaire sont assez rapide‐
ment oblitérées au cours des périodes interglaciaires et postglaciaire. En effet,
elles sont soumises aux dégradations que leur fait subir le système dit périgla‐
ciaire. L'érosion fluviatile travaille aussi à les détruire, en comblant les ombi‐
lics et en entaillant les pentes fortes (gorges de raccordement entre deux sec‐
tions d'une même vallée, entre une vallée suspendue et la vallée principale,
ravinements torrentiels des flancs d'auge). Si les formes de la dernière glacia‐
tion ont encore gardé leur fraîcheur, c'est qu'elles sont très récentes.
Chapitre 16

Le système d'érosion dit périglaciaire


LE TERME DE PÉRIGLACIAIRE est mal choisi. Il évoque une localisation à la
périphérie des glaciers, qui ne correspond pas toujours à la réalité. En effet, de
nombreux glaciers se terminent dans un milieu tempéré qui n'appartient pas au
système d'érosion périglaciaire. On réserve le nom de périglaciaire au système
dans lequel le gel joue un rôle important, une grande partie de l'année au
moins, mais tout en restant discontinu et sans qu'une couverture de glace
recouvre toute l'année la surface terrestre ; autrement dit, le gel et le dégel
constituent un couple de processus important, et non seulement occasionnel
comme c'est le cas dans les régions tempérées.

1. Introduction

Les milieux bioclimatiques périglaciaires sont divers. On peut distinguer :


• des régions où l'été n'est pas assez froid pour interdire la pousse des
végétaux : le sol est couvert d'une espèce de prairie, la prairie alpine
ou la toundra, et cette couverture ralentit les mouvements du sol de
même qu'elle protège la roche sous-jacente ;
le désert de gélivation, qui est, au contraire, une zone où l'été est trop
froid (moins de 6 en moyenne) ou trop court pour donner lieu à une
o

couverture végétale. Le roc est le plus souvent à nu, donnant lieu à un


paysage de blocs éclatés par le gel.
Une autre distinction à établir à l'intérieur du domaine périglaciaire est celle
des régions à sous-sol gelé en permanence et des régions dont le sous-sol
dégèle entièrement en été. Les premières correspondent à une température
moyenne annuelle nettement inférieure à zéro (mais, par endroits, le sous-sol
gelé est fossile, hérité de la période würmienne, et il se résorbe de plus en
plus). Sous la couche superficielle qui gèle en hiver mais dégèle en été, il
existe une formation toujours gelée qu'on appelle tjäle (mot emprunté à
contresens à la Laponie suédoise, où il veut dire simplement sous-sol gelé), ou
merzlota (mot russe), permafrost, ou pergélisol. Cette formation joue un rôle
considérable, non seulement dans les exploitations de mines (elle dispense du
boisage des galeries), mais aussi dans la morphologie. On a cependant exagéré
son importance. L'existence du permafrost n'est nullement indispensable à
l'élaboration de la plupart des formes dues au système périglaciaire. Au-dessus
du tjäle, le sol dégelé, imbibé d'eau, est le mollisol, qui, s'il ne dépasse pas
0,60 mètre, fait ressort sous les pas, avant qu'on s'y enlise.
La zone actuellement soumise au système périglaciaire comprend deux
domaines distincts : celui des hautes altitudes et celui des hautes latitudes. De
plus, au sud de la zone des hautes latitudes arctiques, une large bande à connu,
pendant les périodes froides du Quaternaire, un climat tel que le système
d'érosion périglaciaire y régnait. La plus grande partie de l'Europe occidentale
était incluse dans cette bande. Beaucoup de ses formes peuvent donc avoir été
modelées par les agents que nous allons étudier.

2. Les mécanismes en action dans le système périglaciaire

Le mécanisme essentiel est celui de l'action successive du gel et du dégel.


Cette action s'effectue avec une intensité
beaucoup plus faible à sec qu'en milieu humide. À sec, il s'agit presque
exclusivement d'un cas particulier des contractions et dilatations dues aux dif‐
férences de température. Application pratique de cette moindre action du gel
en milieu sec : dans les pays froids, pour que les routes ne se déforment pas
trop, on les draine par des fossés profonds ou on les surélève d'environ 1
mètre pour les mettre en dehors des atteintes de la nappe phréatique.
En milieu humide, l'eau se fixe dans les roches ou dans le sol et, liquide au-
dessus de zéro degré, elle gèle au-dessous. En gelant, elle augmente de
volume, fait éclater les roches et gonfler les sols. Au moment du dégel, les
fragments de roche, dont les interstices cessent d'être soudés par la glace, se
détachent. Quant aux sols, le dégel les imbibe d'eau car la glace s'y répartit
plus uniformément que dans les formations rocheuses. Le sol, au dégel, est
donc relativement fluide. Il peut solifluer sur les pentes ; en tout cas, son
volume se réduit puisque l'eau occupe moins de place que la glace ; sa struc‐
ture se détruit. Après le dégel, peu à peu, le sol se dessèche et son volume
diminue encore par suite de ce dessèchement ; il peut se fendiller.
Cette action du couple gel-dégel est donc, comme on le voit, très différente
sur les roches et sur les sols : elle aboutit, sur les premières, à un débitage de
blocs, de cailloux ou de graviers avec quelques détachements de particules
fines. Suivant la structure de la roche, les débris qui résultent de l'éclatement
sont grands ou petits. Quand ils sont grands, comme pour les vieilles coulées
de basalte, on dit que l'on a affaire à une roche macrogélive ; quand ils sont
petits, comme pour la craie, qui en arrive même à donner une véritable
bouillie emballant des graviers, on dit que la roche est microgélive. Sur les
sols, l'action du gel et du dégel boursoufle plus qu'elle ne casse.
L'action du gel-dégel sur les sols varie suivant leur granulométrie et leur
structure. Les sols les plus capables de gonfler par le gel, donc de se déformer,
sont les argiles, en raison de leur structure feuilletée, et les limons (calibre : 2
à 20 micromètres) parce que les espaces libres entre les grains sont assez
grands pour admettre une grande quantité d'eau, mais assez petits pour que les
vides n'y soient pas considérables. Les sols sableux ou graveleux sont peu
affectés par le gel. On saisit tout l'intérêt de ces différences pour la composi‐
tion des revêtements de routes : il faut à tout prix éviter les revêtements limo‐
neux et argileux.
On s'est demandé si le gel était plus efficace quand il était court mais vif,
modéré mais de longue durée, très coupé de périodes de dégel. En d'autres
termes, les mécanismes les plus actifs sont-ils ceux du gel intense, du gel de
longue durée, de la répétition du couple gel-dégel ? La réponse n'est pas
simple. Tout dépend de la roche ou du sol concerné.
Une roche macrogélive comme le basalte des plateaux est particulièrement
démantelée par un gel de longue durée car les diaclases y sont nettes mais
espacées. Le gel y procède par ségrégation de glace, c'est-à-dire que l'eau se
condense sous forme de glace sur la glace déjà formée. Il se constitue donc
dans les diaclases une glace qui s'épaissit. On obtient ainsi un débitage de gros
blocs. Au contraire, une roche microgélive comme la craie est surtout sensible
à la multiplicité des couples gel-dégel, quelque courts qu'ils soient, car il suffit
de peu de glace dans la roche pour la mettre en bouillie.
Quant à l'intensité du gel, elle peut faire fendre par contraction les roches
les moins gélives et les plus sèches. Mais en milieu humide, un gel intense
n'est pas particulièrement actif parce qu'au-dessous de 22 , la pression de la
o

glace se relâche.
Si un froid très vif ne semble pas agir de façon particulièrement marquée
dans les sols par gonflement, en revanche, il peut produire dans ces sols des
fentes verticales dues à la contraction rapide ; une période de gel plus modéré
et humide peut ensuite exploiter ces fissures en y insérant des « coins » de
glace qui s'agrandissent vers le bas et élargissent la crevasse comme le ferait
un « coin » de carrier à fendre la pierre. Les plus beaux coins de glace se
forment dans le permafrost. Il se forme ainsi un réseau régulier de fentes
appelé, à tort, réseau de polygones de toundra (voir ci-dessous).
Les mécanismes qui jouent un rôle subordonné dans les systèmes périgla‐
ciaires sont ceux de la fonte des neiges, du ruissellement, du vent.
La fonte des neiges imbibe le sol et facilite la solifluxion, mais nous savons
que le mécanisme du dégel suffit à ramollir les sols et à leur faire perdre leur
structure ; on a donc beaucoup exagéré le rôle de la fonte des neiges dans l'hu‐
midification des sols périglaciaires au printemps.
Le ruissellement n'est pas négligeable ; il se produit par grande pluie ou par
fonte des neiges, d'autant plus facilement que le sous-sol est gelé et par consé‐
quent que l'infiltration s'effectue mal.
Les grandes rivières, prises en glace pendant l'hiver, entrent en débâcle au
printemps. Elles charrient alors des radeaux de glace, qui, d'une part, raclent
les berges, d'autre part transportent de gros blocs de rocher : c'est le transport
glaciel
Quant au vent, il n'agit pas sur les sols couverts de neige mais, dès que la
terre est déneigée, il peut soulever les particules sableuses, vanner les couches
superficielles et n'y laisser que les cailloux, déposer plus loin de véritables
dunes. Armé de sable, il peut aussi s'attaquer aux blocs et aux rochers pour les
modeler en carènes. Il existe ainsi de nombreux blocs éolisés sur les sandurs
d'Islande.

3. Le modelé

Le modelé est très différent suivant qu'il s'agit d'espaces plats ou de pentes,
de rochers ou de formations fines, de surfaces nues ou de zones couvertes
d'herbe. Nous opposerons surtout les espaces plats et les pentes, mais, à l'inté‐
rieur de ces domaines, il est bien évident que la couverture végétale et la litho‐
logie jouent un rôle considérable.
3.1. Le modelé des espaces plats

Les affleurements rocheux, sur les espaces plats, donnent par débitage de
blocs des déserts de gélivation, très pierreux, formés de cailloux ou de blocs
suivant la structure mésogélive ou macrogélive de la roche. Toute fracture
peut s'agrandir par gélivation des deux lèvres : il se forme ainsi un vallon de
gélivation, large et profond de quelques mètres, long de quelques dizaines de
mètres.
Les fonds de vallée abritent de nombreux lacs et, quand le milieu n'est pas
trop froid, des tourbières qui présentent souvent de curieux bourrelets réguliè‐
rement espacés et de tracé sinueux (tourbières cordées).
Les sols ou les formations fines sont modelés en diverses formes, dont les
principales sont :
• quand il n'y a pas de végétation, les sols polygonaux ;
quand il existe une couverture d'herbe, les buttes gazonnées ou thufurs.

Les sols polygonaux

Les sols polygonaux constituent un des aspects les plus typiques des pays
arctiques ; on en connaît aussi dans les montagnes de la zone tempérée et de la
zone intertropicale. Ils se présentent comme une succession de polygones
(pentagones plus ou moins réguliers). Les dimensions varient de plusieurs
centimètres à plusieurs mètres (plus de 20 mètres pour des formes géantes).
Tantôt le centre des polygones est limoneux et les côtés formés de pierres
(type cercles de pierres), tantôt, au contraire, le matériel des côtés est fin et le
centre du polygone est formé d'un gros bloc auquel s'accolent des cailloux,
plus petits (type roses de pierres). Il existe aussi des polygones de matériel
homogène, sans triage, et assez fin (polygones dits de terre) ; quand ils sont
géants, comme dans les plaines de la Sibérie arctique et de l'Alaska, ils sont
appelés des polygones de toundra, terme à éviter car on les trouve justement
dans les régions de terres nues alors que le mot toundra désigne une formation
végétale.
L'accord est loin d'être fait sur l'origine des polygones. On a notamment
évoqué pour les expliquer des courants de convection. Le maximum de den‐
sité de l'eau se plaçant à 4 , pendant le dégel, l'eau située près de la surface a
o
souvent une densité plus grande, surtout si elle est au voisinage de 4 , que l'eau o

de glace fondante située au contact de la couche profonde non dégelée et de la


couche superficielle dégelée. Cette eau superficielle plus lourde a tendance à
s'enfoncer et à être remplacée par de l'eau à 0 , plus légère ; il en résulterait
o

des mouvements qui s'effectuent en cellules polygonales (figure 91A).

Figure 91 Deux théories sur la formation des sols polygonaux

A : Courants de convection (indiqués par des flèches) : théorie


abandonnée. B : Bombement par le gel, migration de pierres sur
les pentes des bombements. La taille moyenne des cellules polygo‐
nales est de 1 mètre.
Mais le calcul montre que des mouvements de convection entre des liquides
à 0 et à 4 n'ont qu'une force minime et qu'ils seraient bien incapables de sou‐
o o

lever des pierres, même de petites dimensions.


Pour les polygones géants, nous savons qu'un processus de rétraction est à
l'origine du réseau de fentes fonctionnant ensuite comme lieux de ségrégation
de la glace qui y forme des coins. Les sols géométriques pierreux de maille
plus petite semblent bien devoir leur origine à des bombements juxtaposés
formés par le gel, suivis d'un affaissement au dégel (figure 91B). Ils com‐
mencent par un bourgeonnement du sol, puis les pierres migrent au cours des
gels et dégels successifs sur les pentes des petits bombements.
Il est évidemment difficile d'expliquer pourquoi ces processus aboutissent à
la constitution de réseaux aussi réguliers, mais c'est là un problème général, de
même que la formation des prismes de basalte. On est bien obligé d'admettre
que des actions physiques continues aboutissent à la constitution de formes
discontinues, comme les prismes ou les polygones séparés par des fentes.

Les buttes gazonnées (ou thufur)

Les buttes gazonnées sont des monticules dont les dimensions sont celles de
taupinières. On ne les trouve évidemment pas dans les régions les plus froides,
sans végétation ; en revanche, leur aire s'étend assez loin vers le sud ; dans le
Massif Central français, il peut s'en former à 1 200 mètres d'altitude, alors que
les sols polygonaux ne sont qu'embryonnaires à 1 750 mètres. En Islande,
elles caractérisent les zones basses, à l'exclusion du plateau central dénudé.
Elles peuvent se juxtaposer avec une grande régularité, formant de véritables
champs de buttes.
Il semble que le processus de formation soit assez semblable, mais en
milieu différent, de celui des sols polygonaux. C'est un bourgeonnement dû au
gel qui commence à élever certaines mottes, mais ici on n'a pas de déplace‐
ment massif de pierres parce que la végétation retient les particules du sol.

3.2. Le modelé des versants

Les affleurements rocheux des versants sont débités par éclatement et four‐
nissent des accumulations de pierres, tandis que les formations fines pro‐
duisent des accumulations de boues qui descendent par solifluxion et dans les‐
quelles les pierres se trouvent parfois emballées. Enfin, les avalanches zèbrent
les pentes fortes de couloirs par lesquels descendent la neige en hiver, l'eau de
fonte au dégel.
Le résultat de la gélivation sur les escarpements rocheux est la formation de
crêtes alpines et d'abrupts coupés d'abri-sous-roche. Les crêtes alpines sont
modelées en dents de scie et pinacles, le rocher étant découpé en micro-arêtes
et micro-faces qui offrent aux alpinistes les « prises » qui permettent l'ascen‐
sion. Des vallons de gélivation s'indentent dans les abrupts. Quant aux abris-
sous-roche, ils se forment au contact d'une couche très gélive et d'une couche
peu gélive la surmontant : la couche très gélive s'excave rapidement et la
couche peu gélive surplombe l'évidement (figure 92).
Figure 92 Formation d'un abri-sous-roche

Les éboulis sont particulièrement fréquents ; ils constituent des amas de


types divers suivant qu'ils se sont disposés à sec selon les seules lois de la gra‐
vité ou qu'ils ont été déplacés dans une matrice ramollie.
Les simples éboulis de gravité forment un talus en pente d'équilibre (cha‐
pitre 1, p. 20). Sur les roches se débitant en graviers, se constituent des grèzes
litées. Une coupe montre en effet une succession de lits fins et de lits grossiers
de 10 à 20 centimètres d'épaisseur. Leur origine pose des problèmes difficiles.
La pente des surfaces de grèzes litées est plus faible que le talus d'équilibre de
gravité.
Les coulées de blocs, appelées dans le Velay clapiers, se produisent sur des
pentes encore plus faibles (5 à 6 degrés) ; elles cheminent par suite des gels et
dégels soit sur un matelas de boue qui soliflue, soit sur des coussinets de glace
interstitielle. On les appelle aussi glaciers rocheux.
Les éléments fins sur les versants se disposent parfois en sols striés, c'est-à-
dire suivant un allongement des polygones dans le sens de la pente, si bien
que les polygones, d'autant plus qu'ils sont mal formés, se présentent comme
des stries parallèles à la ligne de plus grande pente. Leur genèse est la même
que celle des sols polygonaux, mais les figures géométriques ont été défor‐
mées par la descente.
Les régions cristallines des actuelles montagnes tempérées révèlent, comme
relictes des époques froides quaternaires, une superposition de deux forma‐
tions solifluées sur leurs versants : au contact de la roche, des arènes litées,
fines, dues au fauchage (Photographie 3, p. 14) ; au-dessus, des convois à
blocs, enrobant des blocs rocheux dans une arène non litée. Chacune des deux
formations a une épaisseur de l'ordre du mètre. On ne sait si elles se sont
mises en place successivement ou simultanément.
Les versants, en système périglaciaire, obéissent, bien entendu, aux règles
générales de l'évolution des interfluves, mais présentent aussi des particulari‐
tés. Le recul, sous l'action du gel, des escarpements rocheux, donne des replats
appelés parfois replats d'altiplanation ; au contraire, quand il s'agit de roches
microgélives comme la craie, le cheminement des éléments fins donne de
grands glacis de pente faible (1 à 5 %) à peu près constante. Seul reste
convexe le haut de l'interfluve ; tel est le modelé de la Champagne Crayeuse,
hérité des époques froides quaternaires.

4. Conclusion

Les processus et les formes caractéristiques du système périglaciaire pré‐


sentent une grande variété. Cependant, l'essentiel des mécanismes et des
formes est dû à l'éclatement par le gel, au gonflement des argiles et des limons
et à la solifluxion.
L'intérêt de ces formes est d'autant plus grand que les pays tempérés les ont
connues il y a seulement 10 000 ans et qu'ils vivent encore sur leur héritage.
Chapitre 17

Le système d'érosion de la forêt océanique


LE MILIEU OCÉANIQUE est caractérisé par une couverture forestière, formée en
majeure partie d'arbres à feuilles caduques et parfois de conifères, par l'exis‐
tence de pluies en toute saison, par la rareté sinon l'absence du gel et, de toute
façon, en raison de la protection qu'assurent le sol et le manteau végétal, par la
modicité de sa pénétration sous terre, donc de son action. Mais beaucoup de
formes datent de la période froide würmienne qui n'est pas assez ancienne
pour que ses traces aient toutes disparu.

1. Régions peu pluvieuses et régions très pluvieuses

On pourrait être tenté de conclure à la prépondérance de l'action des eaux


courantes. En fait, il faut distinguer deux types de régions :
Les régions dont le total pluviométrique est assez faible (type : centre du
Bassin parisien, 550 à 700 millimètres) et qui ne connaissent qu'exceptionnel‐
lement des pluies violentes.
Leurs petits cours d'eau, en milieu forestier, ne coulent que rarement de
façon continue ; ils n'ont de l'eau qu'après de fortes pluies ou au dégel, quand
le sol, encore gelé, empêche l'infiltration. Leur action ne s'exerce que peu de
jours ; elle ne se fait sentir de façon violente que lors de grandes crues qui se
produisent au rythme d'une fois par plusieurs années. C'est alors qu'ils peuvent
raviner, allant jusqu'à arracher des arbres. Au contraire, les grands cours d'eau
ont des crues efficaces tous les ans ; ils creusent, transportent et déposent avec
une relative continuité, mais leur action sur les berges n'est que rarement
catastrophique.
Sur les versants, le ruissellement est limité. L'eau chemine dans le feutrage
des feuilles mortes qui se comporte comme une éponge.
Dans ces conditions, le creeping est l'agent principal du modelé aréolaire,
mais il est d'autant plus lent que les variations de volume du sol dues au gel
sont peu importantes et que les racines retiennent les formations meubles.
L'altération chimique, en raison de la modération des températures, est très
lente : c'est là la différence essentielle avec le milieu forestier équatorial (cha‐
pitre 19, p. 181).
Au total, ce système d'érosion de type « parisien » est un des moins agres‐
sifs qui soient. Il procède par actions exceptionnelles (grandes crues, coulées
boueuses) et lente cicatrisation des plaies ainsi formées.
Mais le système indolent des forêts océaniques peu humides est relayé, par‐
tout où le défrichement a supprimé la forêt, par le système anthropique, beau‐
coup plus violent (chapitre 21).
Les régions dont le total pluviométrique est élevé (type : côtes du Japon, 1
100 à 2 500 millimètres) et qui connaissent chaque année des pluies violentes
(de typhons notamment).
Le sol y est souvent saturé, si bien que l'écoulement sur les versants est fré‐
quent et que des glissements de terrain se produisent lors des fortes pluies,
malgré la densité du couvert végétal. Les glissements sont facilités par l'alté‐
ration chimique, très profonde en raison de l'humidité et de la forte tempéra‐
ture de l'été (moyenne d'août à Tokyo : 26 ). De ces glissements accompagnés
o

de ruissellement, il résulte une topographie de vallons à flancs abrupts et à


fond plat d'une quinzaine de mètres de largeur en moyenne. Il n'y a donc pas
de versants lisses mais des versants incisés.
Quant aux grands cours d'eau, ils ont un régime spasmodique, passant rapi‐
dement des étiages aux crues. Comme les eaux de crue sont très chargées, la
plupart des rivières exhaussent leur lit, dominent les plaines alluviales aména‐
gées et créent un danger permanent.
Glissements de terrain sur les pentes, inondations dévastatrices dans la
plaine, deux phénomènes violents que la couverture végétale n'empêche pas et
qui contrastent avec la placidité des agents d'érosion des régions de type «
parisien ».
Chapitre 18

Le système d'érosion des pays arides et semi-arides


ARIDE N'EST PAS ABSOLUMENT synonyme de sec. Un climat aride est celui où
se conjugent l'action de la sécheresse et celle de la chaleur. Cette dernière
assèche par évaporation de sorte que, pour une même quantité d'eau tombée
dans l'année, un pays de basse latitude est aride alors qu'une région de haute
latitude (comme les îles de l'Arctique canadien) ne l'est pas.
On peut estimer que les régions vraiment arides (les déserts) sont celles qui
reçoivent moins de 150 ou 200 millimètres d'eau par an à la latitude du Nord
du Sahara, et moins de 250 millimètres à la latitude du Sud du Sahara. Mais il
existe aussi des régions semi-arides : par exemple les steppes de la bordure
nord du Sahara ou même la plus grande partie des régions méditerranéennes.

1. Introduction

Toutes ces régions sont caractérisées par une couverture végétale à peu
près nulle (zone aride) ou clairsemée (steppes de la bordure désertique, forêts
claires de chênes-verts des régions méditerranéennes) ; le sol est mal retenu.
La plus grande partie de la zone aride est aréique, c'est-à-dire qu'elle n'a pas
d'écoulement permanent ; les steppes de la bordure sont aréiques ou endo‐
réiques, la zone méditerranéenne endoréique ou exoréique. De toute façon, les
cours d'eau, exception faite de rares régions calcaires où les réserves de
nappes aquifères sont considérables, ont un régime d'écoulement spasmo‐
dique. Tels sont les oueds du désert, lits de rivières le plus souvent à sec ou les
fiumaras d'Italie méditerranéenne. On a dit des cours d'eau méditerranéens
qu'ils sont « le séchoir favori des ménagères ».
Toutes ces zones ont des températures contrastées, surtout dans les déserts
chauds ; les sables peuvent atteindre 70 au soleil. Cependant, les écarts quoti‐
o

diens de température à l'ombre ne dépassent que rarement 20 . o


2. Les sols : enduits, croûtes, zones salines

Les sols adaptés à ces régimes climatiques sont en général peu épais ou
inexistants. Dans les déserts, on ne trouve pas cet ensemble de grains rendu
cohérent par l'humidité telles que se présentent les terres des pays frais. Tout
au plus rencontre-t-on des sols constitués à une époque plus humide que la
nôtre et dont le vent enlève aujourd'hui les éléments fins. Ou encore, sur les
roches dénudées, les actions chimiques peuvent avoir établi des vernis, enduits
superficiels d'un noir brillant riches en manganèse, épais de quelques dizaines
de millimètres et d'origine obscure.
Dans les pays semi-arides (de 150 à 500 millimètres de précipitations
par an), il se forme en surface ou à faible profondeur, des croûtes calcaires ;
l'origine de ces croûtes est discutée ; il semble, en tous cas, qu'elles sont dues
au fait que les précipitations sont trop rares pour que d'autres matières que les
sels et les calcaires soient dissoutes ; les sels et les calcaires sont, tout de suite
après les pluies, fixés par capillarité ou par des organismes végétaux en sur‐
face ou à l'intérieur du sol superficiel. Il en existe plusieurs sortes : pulvéru‐
lentes, lamellaires, massives. Dans ce dernier cas, elles se comportent comme
des couches dures, formant des surplombs, tel celui qui constitue le « toit »
des grottes de Bethléem, aménagées en crèches par les bergers.
Dans les fonds des pays trop secs pour que même le calcaire soit dissous,
seuls les sels (chlorure de sodium, sels de potasse) sont mis en mouvement par
l'eau d'infiltration actuelle et remontent à la surface, donnant des efflores‐
cences ou des tapis de sels comme les sebkras sahariennes.

3. Les agents de l'érosion

Dans ces pays mal protégés par la végétation et où la solifluxion ne peut


évidemment guère s'exercer, les principaux agents de l'érosion sont originaux.

3.1. Les modalités du ruissellement

Le ruissellement, nul dans un désert absolu, est au contraire actif, malgré la


rareté des jours où l'eau coule, dans les régions subarides. Il y est d'autant plus
agressif que la couverture végétale n'y est pas continue et que la terre n'est pas
cohérente comme dans les régions tempérées humides.
Dans ces régions semi-arides, les versants sont violemment attaqués par les
pluies soudaines. Dans les argiles non boisées, se constituent des ravinements
en bad-lands (chapitre 7, p. 70). Sur les pentes rocheuses, le sol peut être com‐
plètement enlevé par le ravinement : la roche y apparaît donc souvent à nu ;
les formes structurales sont dégagées et la structure se lit sur la montagne
décharnée.
En contrepartie de ces attaques intenses, les cours d'eau ont des lits majeurs
démesurés, encombrés de cailloux énormes et ne sont envahis qu'au moment
des crues.
Dans les régions véritablement arides, la pluie n'est pas absente. Les averses
entraînent des ruissellements diffus qui ne sont pas toujours assez puissants
pour creuser des bad-lands, mais qui enlèvent beaucoup de débris fins de la
surface du sol. Les oueds peuvent aussi entrer en crue, mais rarement. En
général, l'oued en crue est trop chargé pour creuser beaucoup et il n'est vrai‐
ment encaissé que dans la montagne désertique. Il se traîne, dans les régions
de faible relief, en un large lit peu creusé.
Dans le passé, les déserts ont subi des climats plus humides que celui de
l'époque actuelle. Des régions arides ont donc connu un écoulement plus
intense, celui de régions semi-arides. Ces successions de climats peuvent se
traduire par des successions de terrasses, comme sur la Saoura dans le nord-
ouest du Sahara.

3.2. Faiblesse de l'altération chimique Intensité de la désagrégation mécanique

La désagrégation mécanique est particulièrement forte dans les déserts


parce que la couverture végétale et le manteau du sol ne sont pas là pour tem‐
pérer l'effet des variations de température et que ces variations sont considé‐
rables. Dilatations et contractions développent dans la roche des tensions qui
peuvent aboutir à l'éclatement, surtout dans les roches noires ou dans celles
qui présentent une schistosité. Mais cette action est lente et nécessairement
limitée. Celle des sels peut être intense si les cristaux de sel s'encastrent dans
les pores de la roche, mais elle ne s'exerce qu'en quelques endroits. En géné‐
ral, les pentes rocheuses fortes qui restent sèches sont donc presque immuni‐
sées. Le climat du désert est un des meilleurs conservateurs du relief.
Si le climat du désert absolu est peu agressif, il n'en est pas de même du cli‐
mat semi-aride : nous savons que le ruissellement y règne et les formes y
seraient encore plus fragiles si les versants n'étaient pas protégés par les
croûtes calcaires dont nous avons parlé.

3.3. Le rôle du vent

Le creeping et la solifluxion ne s'exerçant guère dans les déserts, l'érosion


des eaux courantes n'étant vraiment active que sur les bordures semi-arides,
l'agent essentiel reste le vent dans les déserts absolus.
À vrai dire, le désert n'est pas son seul domaine. Il agit aussi dans toute
zone découverte sur laquelle il souffle avec violence (plages, lits fluviaux,
marges glaciaires) ; c'est toutefois dans les déserts qu'il s'exerce le plus libre‐
ment. Si le vent érode par déflation et par corrasion, il accumule également.

L'érosion éolienne

La déflation est le balayage par le vent des débris meubles et fins, tels que
les sols formés lors de périodes humides prédésertiques, ou les débris prove‐
nant de la décomposition actuelle de la roche.
Le résultat de la déflation est un tri de matériaux, seuls les plus grossiers
restant en place. Ce vannage aboutit à un véritable pavage de cailloux, proté‐
geant les éléments fins qu'il recouvre. Ce paysage est le reg.
Si la roche est peu cohérente, elle peut même être creusée.
La corrasion est l'attaque de la roche, même dure, par le vent armé des
matériaux qu'il transporte, et notamment de grains de quartz. Aussi son action
est-elle comparable à celle des jets de sable utilisés comme décapants dans
l'industrie. Elle est surtout sensible au voisinage du sol, car la charge du vent
diminue au-dessus d'une certaine hauteur, de l'ordre de 1 à 2 mètres. Cepen‐
dant on n'est plus persuadé que cette action rasante soit entièrement respon‐
sable des formes de champignons constatées dans les déserts : le rôle des écla‐
tements de roche, plus forts près du sol, où les variations thermiques sont plus
accusées, et le processus de formation des taffonis (chapitre 9, p. 85) se
joignent certainement au vent pour engendrer des surplombs.
La corrasion :
• ronge les argiles, qu'elle découpe en sillons et crêtes instables appelées
au Turkestan yardangs. Les racines des arbustes jouant un rôle fixa‐
teur, il arrive que les crêtes de yardangs soient liées à la localisation
des buissons (figure 93) ;
dégage les plans de schistosité des roches par érosion différentielle des
parois ; ainsi le sphinx de Gizeh révèle la stratification des couches
dans lesquelles il a été taillé ;

Figure 93 Yardangs

• modèle des cailloux en facettes légèrement concaves, l'une perpendi‐


culairement au vent dominant, les autres obliquement. Sans qu'il soit
nécessaire d'admettre que le caillou bascule sur un sol emporté par
déflation, des formes de pyramides à trois arêtes (dreikanter des
auteurs allemands) peuvent en résulter.
Les géomorphologues ont discuté pour savoir si le vent peut modeler à la
longue des pénéplaines d'érosion éolienne. La réponse est probablement néga‐
tive ; mais le vent est du moins capable de creuser des sillons discontinus, pro‐
fonds comme des vallées et, d'autre part, d'excaver par déflation des cuvettes
remplies de dépôts meubles.

L'accumulation éolienne, les dunes

Le vent dépose une partie des matériaux qu'il a balayés ou arrachés ; mais
on sait aujourd'hui que les grandes accumulations de sables éoliens se trouvent
sur l'emplacement de nappes alluviales déposées pendant les époques plu‐
viaires du Quaternaire ou de formation plus ancienne. Le vent n'a pas déposé
tous les sables sahariens ; il a seulement transporté à faible distance et remo‐
delé des alluvions fines. Ces grandes accumulations de sables ont longtemps
été considérées comme formant la majeure partie des déserts parce que les
caravanes suivaient de préférence les couloirs entre les dunes, mais elles ne
représentent guère que 20 % de la surface totale. Ailleurs les accumulations de
sable sont limitées à des angles morts, à des cavités comme les sillons entre
les yardangs, ou réduites à des langues peu épaisses, à des dunes élémentaires.
Pour que le sable s'accumule, il est évident qu'il faut d'abord qu'il ait été
pris en charge ; le vent ne peut prendre en charge que des sables fins ; il laisse
au sol les grains grossiers ; les grains fins qu'il transporte retombent quand le
vent faiblit et notamment dans les zones protégées où sa vitesse se ralentit. En
général, il traîne les sables qu'il transporte au voisinage du sol ; il les élève de
quelques centimètres à peine et si le grain retombe, il rebondit et continue
ainsi sa route. En touchant le sol, les grains transportés peuvent bombarder des
grains plus grossiers que le vent n'a pas pu soulever. Il est fréquent, au Sahara,
de voir transiter très rapidement les grains fins de la dimension du quart de
millimètre environ et de voir avancer lentement par à-coups les grains de 2
millimètres environ, sous le bombardement des grains fins.
De toute façon, le transport par le vent est sélectif. Un dépôt éolien est rela‐
tivement homométrique.
En abandonnant les grains qu'il transporte, le vent constitue des accumula‐
tions de sables très variés. Nous n'en retiendrons que deux types : des dunes
élémentaires, dont les principales sont les barkhanes, et les grandes étendues
de dunes longitudinales parallèles qui constituent les ergs du Sahara.
On appelle barkhanes en Asie Centrale des dunes en croissant ; il en existe
aussi beaucoup au Sahara. Les deux branches du croissant s'allongent dans la
direction vers laquelle souffle le vent car elles avancent plus vite que le centre
de la dune. (Au contraire, les dunes des pays tempérés, qui sont rapidement
fixées par la végétation, n'avancent pas plus aux extrémités qu'au centre, mais
la partie centrale, la plus haute, offrant plus de prise, est parfois érodée par le
vent qui y creuse en tourbillonnant une cavité appelée en Gascogne caou‐
deyre, c'est-à-dire chaudron. Les bras de la dune se disposent alors dans la
direction d'où vient le vent).
La barkhane est une dune jeune formée par un régime de vents dominants.
Elle a un profil en trois sections (figure 94) : une section au vent, par où se fait
l'accumulation et qui est en pente douce ; cette section se termine brusquement
comme un tranchant, d'où le nom de sif (sabre) donné dans le Sahara à la crête
(figure 94B). La seconde section, en pente très raide, est le talus de retombée
des sables, sous le vent ; mais une troisième partie, en pente moyenne, est due
au placage, par le tourbillon de retour (par le « rouleau ») contre la pente de
retombée, du sable qui justement retombe du haut du sif.
Figure 94 Barkhane (A) et sif (B)

Remarquer le profil en trois sections.


Le nom de sif est parfois aussi donné non à la crête d'une dune mais à une
dune entière en forme de « S » allongé ; le « S » s'explique par une certaine
variabilité du vent.
Les grandes accumulations des ergs sont constituées de dunes parallèles qui
ont subi une évolution beaucoup plus longue que les barkhanes. Les dunes des
ergs sont allongées dans la direction du vent (l'alizé, au sens large) et séparées
par des couloirs. Ces couloirs atteignent en général le substratum qui est une
plaine de sables plus anciens transformés en croûte. On les nomme gassi. C'est
donc la déflation qui met à nu la croûte au fond des gassi ; on voit par là que
les grands ergs sont dus à la fois à l'accumulation et à l'érosion éoliennes.
Dans le détail, bien des observations exigent qu'on fasse intervenir des
vents obliques par rapport aux alizés. Les chaînes de dune se garnissent, en
effet, de multiples queues obliques qui leur donnent en plan un dessin de crête
de coq, ou de crémaillère ; ces bras peuvent même barrer les couloirs. Là où le
bras rejoint la dune longitudinale, il contribue à exhausser son sommet pour
former une espèce de pyramide, ou ghourd, et la dune maîtresse a un profil en
dents de scie (crête de coq, en profil, comme en plan !) (figure 95).
Figure 95 Dune en crête de coq, avec ghourd (Gh)

Les petites dunes se déplacent avec des vitesses de l'ordre de 10 mètres par
an, mais les grandes chaînes des ergs sont stables ; les caravanes qui suivent
les gassi ont de tout temps emprunté les mêmes passages entre les dunes,
preuve de cette fixité d'ensemble.
Bien entendu, il existe des combinaisons de formes entre les champs de bar‐
khanes et les ergs ; il existe, par exemple, des champs de barkhanes occupant
des gassi entre les dunes longitudinales des ergs.
Une autre complication est due au fait que le climat des déserts a changé.
Si, comme nous l'avons vu, une croûte affleure dans les gassi des ergs, c'est
que, avant le dépôt des sables, le désert a connu un climat semi-aride donnant
des sols croûteux. De semblables croûtes se sont formées à plusieurs époques
au Sahara et, notamment, il existe ce qu'on appelle hamada ou carapace
hamadienne, c'est-à-dire un encroûtement ancien indurant le sommet d'une
série sédimentaire tertiaire de formation continentale ; le calcaire de cette for‐
mation se termine par une croûte qui se comporte comme une roche dure et
donne, sur sa bordure, des festonnements avec des buttes témoins. De grandes
parties du Sahara sont donc formées d'un plateau encroûté au pied duquel se
sont établis les grands ergs, au cours d'une succession d'épisodes elle-même
compliquée (figure 96).
La bordure sud des déserts a d'autre part connu, à une époque rapprochée de
nous, un climat plus sec que le climat actuel. En effet, la végétation occupe
aujourd'hui des dunes mortes, vestiges d'une période où le climat était plus sec
que de nos jours et où aucune végétation ne revêtait le sol. Ainsi, chaque sys‐
tème bio-climatique prend place dans une succession marquée par des change‐
ments de climats.
N.B. : Il existe dans les déserts de grandes plaines dites pédiplaines et des
plans inclinés, les glacis. Des hauteurs isolées, les inselbergs, dominent les
unes et les autres.
Mais, comme ces formes ne sont pas représentées dans les seuls déserts,
elles seront étudiées dans un chapitre séparé qui prolongera à la fois l'étude du
désert et celle des pays tropicaux (chapitre 20).

Figure 96 Relief résultant d'une évolution complexe dans le Sahara

(cas du Grand Erg Occidental, d'après R. Capot-Rey).


On a eu la succession suivante : 1 : dépôt d'une série sédimen‐
taire tertiaire (moellons) ; 2 : encroûtement de cette série en une
carapace, la carapace hamadienne, à la fin du Tertiaire ; 3 : éro‐
sion ; mise en relief de la carapace ; 4 : accumulation de sables
gris (figurés par le pointillé lâche) en contrebas ; 5 : encroûtement
de ces sables ; 6 : érosion locale ; 7 : des lagunes déposent des
tufs calcaires dans les creux d'érosion et sur les parties planes
encroûtées ; 8 : formation des dunes de sables dorés. Les épisodes
3 à 8 datent du Quaternaire. Hauteurs fortement exagérées.
Chapitre 19

Les systèmes d'érosion des pays intertropicaux


LE MILIEU BIO-CLIMATIQUE intertropical est très varié, ses paysages également.
Le climat présente en effet toutes les transitions entre une zone de pluies
presque quotidiennes et la frange du désert ; dans cet intervalle, la saison
sèche dure plus ou moins longtemps.

1. Introduction : le paysage de la forêt dense et le paysage de la savane

On peut désigner du nom d'équatorial le climat sans saison sèche marquée


et de tropical celui que caractérise l'alternance d'une saison sèche et d'une sai‐
son humide. Mais plus importante que la distinction de la durée des saisons est
celle qui s'appuie sur la couverture végétale. La forêt dense correspond à peu
près à la zone sans saison sèche ou à courte saison sèche. À la forêt, s'oppose
la savane des régions plus sèches ; c'est une étendue de hautes herbes plus ou
moins coupée de bouquets d'arbres. Dans les régions encore plus sèches on
passe à des forêts claires d'épineux (Afrique) ou de cactées (caatinga du Nord-
Est brésilien). Cette formation claire passe progressivement, par espacement
des arbres, au désert. Dans ce qui va suivre, quand il sera question de milieu
forestier, on devra comprendre qu'il s'agit non de la forêt claire, mais de la
forêt dense équatoriale ou pseudo-équatoriale. Les sols et le relief diffèrent
tout autant que la couverture végétale.
Dans la forêt dense, les sols sont des argiles rouges très épaisses et
pâteuses ; ils revêtent des croupes convexes monotones, « les demi-oranges » ;
seuls en émergent des dômes rocheux lisses dominant tous les environs et
qu'on appelle des pains de sucre parce qu'ils ont la forme des pains de sucre
moulés, de section parabolique, dont nos arrière-grands-parents se servaient
(figure 97).
Dans la savane, abondent non les argiles, mais des cuirasses indurées
découpées en plateaux par l'érosion ; il y existe aussi de grands aplanisse‐
ments s'étendant à perte de vue et dominés par des reliefs insolites, ceux des
inselbergs (figure 98).
Il faut donc distinguer inselbergs et pains de sucre. Le terme inselberg s'ap‐
plique à un relief qui surgit nettement au-dessus d'un espace plat et quelle que
soit la forme de son sommet. L'inselberg peut avoir un sommet en pain de
sucre ou de section quelconque. Le terme pain de sucre est employé pour la
forme d'un sommet quelle que soit celle de la base. On ne peut pas appeler
inselberg un dôme qui domine une mer de croupes mais le terme de pain de
sucre peut alors s'appliquer.
Quelles que soient les différences, certains problèmes doivent être examinés
pour l'ensemble des pays intertropicaux. En effet, les changements climatiques
du passé ont pu, dans une région intertropicale, faire se succéder des périodes
sèches et des périodes humides.

Figure 97 Type de relief de la forêt équatoriale

Croupes d'argile rouge d'altération, dominées par un pain de


sucre de roche non altérée.
Ainsi, dans la boucle du Niger, des périodes plus humides que l'actuelle ont
provoqué la formation d'altérations plus profondes que celles qui se produisent
actuellement et des périodes plus sèches ont vu se constituer des dunes, que la
végétation a par la suite fixées.
Quelle que soit l'originalité des conditions climatiques du monde intertropi‐
cal, il y règne, sur de vastes espaces, et surtout dans les savanes, des paysages
sans originalité : quelques ondulations, des vallées larges. Ce relief très com‐
mun s'explique par l'aggradation et la regradation (chapitre 5, p. 51), qui se
font ici d'autant mieux que la topographie, sur des roches altérées, se dégrade
facilement. Il ne faut donc pas prendre le spectaculaire pour l'universel.

Figure 98 Type de relief de la savane

Inselberg dominant des aplanissements qui peuvent être des gla‐


cis (à droite), des pédiplaines, des topographies de regradation (à
gauche). Cuirasses d'altération ferrugineuse étagées.

2. Altération ferrallitique et induration ferrugineuse

Dans la zone intertropicale, l'altération chimique est un agent essentiel. Elle


est due à la pluie tiède et s'exerce donc toute l'année sous climat équatorial
mais seulement en saison humide sous climat tropical à saisons alternées.
L'altération des minéraux se fait dans le même ordre que dans les autres
zones climatiques : elle s'attaque d'abord aux sels et aux calcaires, qui sont
dissous rapidement, puis aux métaux alcalins, c'est-à-dire ceux qui entrent
dans les principales bases. Dans les zones tempérées, l'altération ne progresse
pas plus loin. Mais dans les pays intertropicaux, en raison de la forte tempéra‐
ture, la silice aussi est dissoute et elle est entraînée par les eaux d'infiltration.
Les minéraux argileux qui se constituent sont appauvris en silice : ce sont sur‐
tout des kaolinites, argiles plus pauvres en silice que celles des pays tempérés.
Seuls, restent insolubles l'alumine et certains oxydes de fer. Alors que, dans
la zone tempérée, il subsiste dans les sols principalement de la silice, de l'alu‐
mine et des oxydes de fer (on dit que la zone tempérée subit une altération
siallitique), dans la zone intertropicale il ne reste que les deux derniers termes,
c'est-à-dire l'alumine et certains oxydes de fer : on dit qu'il y règne une
décomposition allitique ou, mieux encore, ferrallitique, c'est-à-dire qui
conserve seulement le fer et l'alumine.
Les oxydes de fer qui se forment sont, dans la zone tempérée, surtout des
limonites, qui sont des oxydes hydratés et de couleur rouille (la rouille est
d'ailleurs le nom vulgaire de la limonite). Dans les pays intertropicaux, il se
forme surtout de l'hématite, c'est-à-dire un oxyde de fer déshydraté par la forte
évaporation due à la chaleur et coloré en rouge sang.
Bien entendu, les différences de comportement des roches sont considé‐
rables. Sans parler des calcaires, dont la morphologie originale a été étudiée à
part, en raison de leur aptitude à la dissolution (p. 72), il faut distinguer les
roches les plus basiques qui donnent peu de kaolinites, mais dans lesquelles
les cuirasses ferrugineuses (ci-dessous p. 183) se forment facilement, et les
roches acides comme certains granits, qui donnent difficilement des cuirasses.
Les filons de quartz formés de silice pure voient leur silice résister beaucoup
mieux que celle des roches à feldspaths et ils restent en relief.
L'altération intertropicale dépendant de l'humidité, on comprend qu'elle soit
plus lente sur les rochers, qui sèchent rapidement, et par conséquent sur les
pentes fortes où la roche est à nu, alors que l'attaque est active sous un dépôt
ou un sol qui garde l'humidité. Ainsi, les flancs de pain de sucre, contraire‐
ment à ce qu'on a affirmé, sont relativement immunisés. L'altération intertro‐
picale aboutit donc à une exagération des contrastes entre les pentes à rochers
lisses, qui s'érodent peu, et les surfaces peu déclives, garnies d'un manteau de
sol rouge, véritable pansement humide anticicatrisant, qui entretient un état
favorable à l'altération.
L'action des processus qui viennent d'être étudiés varie de l'équateur au
désert avec la pluviométrie. Dans les régions équatoriales ou tropicales
humides, l'épaisseur des manteaux de décomposition peut atteindre de 10 à 50
mètres. Mais elle est plus limitée dans les régions de climat tropical où la
tranche d'eau est inférieure à 800 ou à 1 000 millimètres. Au-dessous de 600
millimètres de pluviosité, l'altération ferrugineuse ne se produit même pas.
Les différences de climat, auxquelles s'ajoutent celles du milieu biologique,
obligent donc à étudier séparément le milieu humide de la forêt dense et les
régions de savane ou de forêt épineuse, où la longue saison sèche et la plus
faible pluviosité créent des conditions originales.

3. L'originalité de la morphologie de la forêt dense

Dans la forêt dense, à pluies abondantes, à saison sèche courte et marquée


par une forte hygrométrie de l'air, les roches se décomposent profondément en
donnant surtout de la kaolinite. Une argile rouge, épaisse de plusieurs mètres,
recouvre les versants, de sorte que les affleurements rocheux et la pierre à
bâtir font défaut.
Un dédale de croupes est la topographie la plus répandue. La pente de ces
croupes peut être assez élevée, jusqu'à 45 parfois. Seuls les dominent les
o

dômes cristallins intacts qui constituent les pains de sucre, résidus de roches
dures relativement immunisés puisque non recouverts du manteau humidi‐
fiant.
Les pains de sucre sont donc des reliefs d'érosion différentielle. Reste à
savoir pourquoi ils ont la forme régulière en parabole : c'est là une question
discutée qu'on n'abordera pas ici.
Sur les flancs des croupes, l'érosion fait parfois foirer le sol rouge épais et il
se constitue des ravins à flancs escarpés qu'on appelle, dans les régions
humides de Madagascar, des lavaka.
Dans les régions de relief vigoureux, par exemple celles qui ont subi un
relèvement tectonique, avec les incisions qui s'en suivent, les « demi-oranges
» sont remplacées par des versants pyramidaux, à facettes multiples : ce sont
les « reliefs multifaces forestiers » (Michel Petit), comme ceux du rebord est
de Madagascar.
Quant aux cuirasses qu'on peut trouver dans la forêt dense, comme dans
celle de la Côte-d'Ivoire ou de l'Amazonie, il semble qu'on doive les interpré‐
ter comme des relictes d'un climat ancien, tropical avec une saison sèche.
Le trait le plus original des cours d'eau est l'alternance de biefs calmes et de
rapides, ce qu'explique l'érosion différentielle ; cette irrégularité est l'homo‐
logue du contraste entre les pains de sucre et les croupes d'argile : là où la
roche est profondément altérée, le fleuve a pu modeler rapidement un bief
calme, mais il creuse difficilement la roche en place. L'irrégularité est le résul‐
tat d'un rapide décapage du manteau irrégulier de décomposition, en réponse
au soulèvement tertiaire des régions tropicales (socle brésilien, socle africain).
Elle n'existe pas dans les plaines de matériaux meubles comme la zone sédi‐
mentaire de l'Amazonie. On ne croit pas, en tout cas, que les chutes africaines
sont le résultat de captures récentes, car on a des preuves géologiques de la
permanence des tracés. Il ne faut pas croire non plus que l'existence de chutes
prouve l'impuissance des cours d'eau : ils sont parfaitement capables d'éroder.

4. L'originalité de la morphologie de la savane

Dans la savane à saisons contrastées, l'altération, pendant la saison humide,


tend à se faire comme dans la forêt dense, mais, en saison sèche, toute disso‐
lution est immobilisée et notamment l'oxyde de fer présent dans les sols se fixe
sur place et tend à constituer des cuirasses ferrugineuses que la saison humide
suivante n'arrivera plus à altérer. Ces cuirasses sont des formations de 1 à 2
mètres d'épaisseur en moyenne, recouvrant la roche saine ou une roche altérée
transformée en argile sur une épaisseur à peu près égale. Elles sont extrême‐
ment résistantes, compactes, bien que fissurées, incultivables. Leur constitu‐
tion est due tantôt au dépôt du fer contenu dans le complexe d'altération du
sol, tantôt à du fer transporté par les eaux dissolvantes à partir de cuirasses
anciennes.
Dans les régions de précipitations inférieures au mètre, les carapaces dues
aux migrations verticales du complexe d'altération ne se forment plus de nos
jours, et ne semblent pas s'être formées depuis le Pliocène. Elles remontent à
une époque à courte saison sèche, donc plus humide que la nôtre. Elles n'ont
pas recouvert une topographie plane, mais nettement ondulée. Au contraire,
les cuirasses d'apport latéral se sont formées à plusieurs époques plus récentes,
et constituent une série de terrasses, ou plus exactement de glacis. Le nom de
bowal (pluriel bowé) a été appliqué aux buttes comme aux glacis suspendus.
À sa partie amont, le glacis est nourri par le fer qui vient de la cuirasse située
au-dessus ; il tranche la roche en place, ou emballe des blocs évolués ; à sa
partie aval, il passe à des alluvions fluviatiles. Ainsi, les cuirasses ferrugi‐
neuses cimentent souvent des alluvions (figure 99).
Il existe aussi, dans les régions tropicales à saison sèche et saison humide
alternées, des étendues très planes. Ces étendues sont dominées par des monts
isolés qui se dressent comme des îles émergeant d'une mer : les inselbergs.
Les plaines qu'ils dominent sont appelées pédiplaines ; les uns et les autres
posent le problème difficile de leur origine et, comme ces formes sont com‐
munes à une grande partie du désert et à la région tropicale, elles seront étu‐
diées à part.

Figure 99 Schéma de paysages à cuirasses étagées, typiques de la


zone soudanaise en Afrique Occidentale

D'après Mme Daveau-Ribeiro, P. Michel, in litteris et R. Coque,


G. Beaudet, Ann. de Géogr., 1994. L'évolution a été la suivante :
1 : constitution d'une carapace d'alumine (bauxitique) pliocène ou
miopliocène ; 2 : érosion de cette carapace ; constitution d'un gla‐
cis cuirassé formant versant de vallée et aboutissant aux alluvions
d'un cours d'eau ; 3 : nouvelle érosion ; les alluvions sont mises en
relief et constituent une terrasse, cependant qu'un glacis se modèle
en contrebas, aboutissant à la nouvelle position du talweg ; 4 :
nouvel épisode de creusement de la vallée jusqu'au niveau actuel
du talweg.
Chapitre 20

Un problème commun aux régions arides et aux


savanes :

le glacis, la pédiplaine, l'inselberg

1. Les formes

1.1. Le glacis

Le glacis (dit glacis d'érosion ou d'ablation pour le distinguer de remblaie‐


ments en plan incliné) est une topographie de pente longitudinale nette (1 à 5
% en moyenne), constante ou légèrement concave, mais de pente latérale
nulle ; autrement dit, les rills (rigoles peu profondes, légèrement sinueuses)
qui le parcourent coulent parallèlement sans s'enfoncer sensiblement dans la
surface du glacis, de sorte qu'on ne saurait distinguer lits et interfluves. Si le
cours d'eau s'encaisse dans le glacis, c'est que celui-là subit un rajeunissement
et que le glacis est une forme du passé. Ainsi, au Nouveau-Mexique et dans le
Sud marocain, on connaît des glacis entaillés par les cours d'eau actuels
(figure 100). Un ancien glacis peut même être fossilisé par une coulée de lave
et entaillé par endroits, là où manque cette protection (cas du pédiment Ortiz
au Nouveau-Mexique, figure 100A). Parfois, le glacis peut avoir été érodé et
un nouveau glacis, dit « de substitution », s'établit alors en contrebas. Dans le
Sud marocain, on observe ainsi plusieurs glacis emboîtés cuirassés de croûtes
calcaires. Mais chacun d'entre eux n'en est pas moins un plan incliné. Tout
encaissement tend à détruire le glacis, dont l'élaboration ne peut donc s'expli‐
quer que par des processus au ras de sol.
Figure 100 A : Glacis fossile (fossilisé par une coulée de lave
ancienne ; cas du pédiment Ortiz). B : Glacis ancien, en voie de des‐
truction par le ravinement (cas du Sud marocain)

Le glacis n'est pas une forme de remblaiement ; il peut, vers l'amont, se rac‐
corder à des cônes de déjection issus de la montagne, comme c'est le cas dans
le piedmont de Téhéran, mais ces apports s'amincissent vite vers l'aval. Nor‐
malement, on ne trouve que de minces placages alluviaux (glacis « couvert »),
preuve d'un équilibre entre l'érosion et l'accumulation.
La limite amont du glacis peut être une montagne, une zone de versants peu
élevés, un crêt structural isolé, ou un mont isolé, c'est-à-dire un inselberg.
Mais nous verrons que la réciproque de ce dernier terme n'est pas exacte : tous
les inselbergs ne sont pas des points de départ de glacis rayonnants. Quand
une pente abrupte domine le glacis, elle se raccorde à lui par une très courte
section concave, talus où se fragmentent des blocs ; il peut même arriver que
le contact soit une brisure nette : c'est ce contact brutal que les géographes
allemands ont appelé knick (figure 101).

Figure 101 Deux glacis passant l'un à une pédiplaine (à gauche),


l'autre à une playa (à droite)

Du côté de l'aval, le glacis peut déboucher soit sur un oued, soit sur une
pédiplaine, à laquelle il se raccorde insensiblement, soit sur une zone d'accu‐
mulation, le champ d'épandage. Sur ce champ d'épandage appelé parfois
playa, ou bahada (transcription phonétique américaine de l'espagnol bajada,
plaine), se trouve souvent une lagune temporaire, la sebkra, réduite en saison
sèche à une croûte de sel. La sédimentation y est limoneuse ou, plus rarement,
argileuse.
Selon les conditions locales, il convient de distinguer les glacis proprement
dits et les pédiments. Les glacis proprement dits sont développés en roche
tendre au pied de reliefs structuraux (front ou revers de crêt, cuesta, etc.). Au
contraire, le pédiment est un glacis modelé dans une roche uniformément dure
(cristalline) qui s'arénise. Le terme, qu'on a parfois étendu abusivement à tous
les glacis, signifie fronton parce que l'inselberg entre deux pédiments est
comme la statue qui surmonte le fronton d'un temple. L'abrupt qui limite le
pédiment vers l'amont n'est pas d'origine structurale, mais une morsure d'éro‐
sion dans la masse.

1.2. La pédiplaine

La pédiplaine est une étendue beaucoup moins déclive. La pente est presque
nulle en tous sens. Elle peut se raccorder à des glacis, mais aussi venir buter
contre des inselbergs sans l'intermédiaire de plans inclinés. Beaucoup de ses
caractères sont communs avec les glacis : la couverture de débris est d'épais‐
seur faible. Des cours d'eau temporaires peuvent la parcourir ; en tout cas, ils
ne s'encaissent pas. Les dénivellations sont minimes, de l'ordre du mètre.
L'horizon s'étend à perte de vue et l'œil n'est arrêté que par les inselbergs qui
dominent la platitude de la pédiplaine.
Dans la zone tropicale, la pédiplaine peut, comme le glacis, porter une cui‐
rasse ferrugineuse, mais ce n'est pas une règle générale.

1.3. L'inselberg

L'inselberg est un relief isolé, haut de quelques dizaines de mètres à 500


mètres et même plus, surgissant au-dessus d'une pédiplaine ou d'un glacis, le
contact se faisant par une rupture de pente assez ou très nette. Le nom évoque
l'isolement, mais les inselbergs peuvent aussi se localiser par groupes, ou
même constituer un massif compact à vrai dire, on est là à la limite de la
notion. Les formes des sommets sont diverses, la base est rarement masquée
par un talus d'éboulis.
2. Répartition zonale

La répartition zonale des trois formes glacis, pédiplaine, inselberg n'est pas
identique. L'aire des pédiplaines récentes et fraîches est plus restreinte et plus
méridionale que celle des glacis. Les glacis, en effet, du moins les glacis
d'érosion en roche tendre, sont une forme vivante jusqu'à la zone méditerra‐
néenne presque entièrement comprise. Les pédiplaines ne remontent pas au-
delà du Sahara nord-occidental où elles sont, sinon actuelles, du moins
récentes et de formes fraîches. Dans les zones désertiques, elles sont peut-être
dues à un ancien climat tropical moins sec que le climat actuel. Dans la zone
tropicale à longue saison sèche, les glacis, les pédiments et les pédiplaines
sont très développés, mais de moins en moins à mesure qu'on s'approche des
régions équatoriales où règne la mer de collines rouges. Les inselbergs carac‐
téristiques existent dans les zones tropicale et désertique ; ils ne semblent pas
actuels dans la zone équatoriale, ni dans la zone méditerranéenne.

3. Tentatives d'explication

Les problèmes posés par les glacis, les pédiplaines et les inselbergs sont
extrêmement compliqués.
On conçoit que les inselbergs ne se forment pas dans les régions tempérées
humides parce que les pentes raides y sont attaquées tandis que, dans les zones
arides et tropicales, les pentes rocheuses qui sèchent rapidement sont immuni‐
sées : alors que sous un manteau de décomposition progresse l'altération chi‐
mique, la roche mise à nu est destinée à rester presque intacte. Mais d'où vient
la mise à nu originelle de la roche lisse ?
La pédiplaine s'explique aussi par le contraste entre les pentes raides qui
sont immunisées et les zones humides soumises à l'altération. Comme la pédi‐
plaine a une pente très faible dans tous les sens, on comprend que l'altération y
soit liée au séjour de l'humidité. Cependant, la zone tropicale n'étant pas aussi
humide que la zone équatoriale, l'altération ne pénètre pas vraiment en profon‐
deur. Les cours d'eau sont incapables de s'encaisser rapidement dès qu'ils
atteignent la roche en place, et par conséquent aucune incision ne vient rajeu‐
nir le relief. Quant aux pédiplaines qui se trouvent aujourd'hui sous climat
désertique, leurs matériaux sont remaniés en surface par le rare ruissellement
et par le vent. Elles se transforment en regs mais leur destruction est impos‐
sible.
Les glacis, bien que toutes les formes de transition avec les pédiplaines
puissent se rencontrer, suggèrent des processus de modelé en partie communs
avec les pédiplaines, en partie différents. Comme elles, ils sont caractérisés
par la faiblesse de l'érosion linéaire. Mais il faut expliquer la pente longitudi‐
nale sensible, et c'est un problème trop difficile pour qu'on puisse l'aborder ici.
Notons seulement que la désagrégation mécanique et chimique collabore avec
un ruissellement en rigoles et en vastes nappes (en sheet-flood), incapable de
creuser et qui peut seulement dégager les débris. En effet, les eaux sont très
chargées et ne peuvent donc inciser les grands plans inclinés, sur lesquels elles
conservent une pente forte.

4. Conclusion

Les régions tropicales, arides, semi-arides se caractérisent par des


contrastes entre des formes à pente raide et des formes aplanies (glacis, pédi‐
plaines). Ces reliefs heurtés sont en rapport avec l'aridité du milieu (les pentes
raides sèchent vite et s'immunisent) et avec les difficultés du creusement
linéaire, qui s'explique par la faiblesse de l'altération (différence avec les pays
équatoriaux). Mais les ondulations dues à la regradation sont, elles aussi,
développées.
Chapitre 21

Le système anthropique
L'EMPRISE DE L'HUMANITÉ sur la planète engendre des formes artificielles
d'autant plus importantes que les hommes sont plus nombreux et que leurs
techniques sont plus puissantes. Longtemps on a pu considérer que son action
s'exerçait surtout par la mise en culture ou en pâture, mais on se rend compte
aujourd'hui qu'elle peut aussi bouleverser la nature par des effets induits et des
constructions. Toutes ces modifications sont rapides et on a pu parler d'une
action accélérée, par comparaison avec l'échelle de temps géologique, beau‐
coup plus lente.
On peut distinguer deux formes principales de l'action humaine : l'érosion
du sol, qui, se plaçant à la rencontre de la mainmise humaine et des processus
d'érosion naturels, accroît la fragilité des terres culturales et pastorales ; les
implantations directes de voies de circulation, d'exploitations et de construc‐
tions industrielles ainsi que leurs effets induits.

1. L'érosion du sol

La mise en culture ou en pâture aux dépens de la forêt ou de formations


arbustives diminue le rôle de protection du sol joué par le couvert végétal. En
général, elle diminue le taux de recouvrement par la végétation. Indirecte‐
ment, elle agit aussi par l'intermédiaire des troupeaux qui, lorsque le nombre
de bêtes par unité de surface est trop grand (surcharge pastorale) endommage,
par la dent et le piétinement, la couverture végétale du pâturage. Il résulte de
ces actions une intensification de l'érosion qui s'effectue aux dépens des sur‐
faces utiles et peut prendre l'aspect d'un fléau national : c'est l'érosion du sol.
Cette érosion « accélérée » s'exerce sous nos yeux en quelques siècles,
quelques années ou quelques minutes. On a estimé l'ordre de grandeur indica‐
tif de ses ablations par unité de temps à environ le décuple des actions natu‐
relles (de l'érosion « géologique »). Mais pour spectaculaire que soit l'érosion
accélérée, il est difficile d'extrapoler les chiffres des mesures de ses entraîne‐
ments, car beaucoup de ses arrachements ont pour contrepartie des dépôts
immédiats au bas du champ ou au fond du talweg. N'empêche que certains
sols ont été purement et simplement détruits par l'érosion accélérée, ne laissant
subsister, à quelques fragments d'horizons près, que la roche-mère. Le sol est
une ressource renouvelable, mais le renouvellement est généralement beau‐
coup plus lent que l'enlèvement.
L'homme, certes, dégrade, mais il peut aussi, par son action, corriger, amé‐
liorer, en tout cas atténuer les dégâts : en maîtrisant les torrents, en aména‐
geant sur les versants des banquettes de culture. Certaines civilisations sont
arrivées à juguler les dégradations en premier lieu celles de l'Inde. D'autres se
sont adonnées au pillage de leurs ressources.
Dans le courant de l'histoire, certaines époques ont été plus agressives,
comme les XVIII et XIX siècles européens, période de surpopulation rurale, ou
e e

celle des grands défrichements en pays « neuf », comme l'Ouest des États-
Unis. On peut même incriminer les défrichements néolithiques. Il a existé de
véritables temps forts de l'érosion du sol. Pour les périodes anciennes (Anti‐
quité, protohistoire), il est difficile de départager les responsabilités de
l'homme et celles des péjorations du climat : il y a peut-être convergence des
deux types de facteurs. Retenons qu'en Italie du Sud, l'archéologie montre que
l'âge d'or de l'Antiquité gréco-romaine s'est traduit par une aggravation de
l'érosion des sols, de même que la mise en culture du Néolithique et surtout de
l'âge du bronze. Mais il faut être très prudent dans l'établissement des corréla‐
tions, pour lequel abondent les contre-exemples. Défions-nous des schémas de
causalité trop simples.
L'érosion accélérée peut-être, selon les milieux, le fait de l'eau de ruisselle‐
ment (sur les pentes, même courtes), ou du vent (sur les espaces vastes), les
deux processus ne s'excluant pas l'un l'autre. Elle est particulièrement violente
sous les climats semi-arides où les sols perdent leur cohérence au cours de
longues sécheresses sauf là où il se forme une croûte calcaire, mais alors la
culture est difficile sinon impossible et où sévissent des averses fortes et espa‐
cées ainsi que des vents violents. Elle peut être particulièrement grave si le
système de culture laisse le sol à nu (jachère-culture de plantes couvrant mal
le sol) ; elle est au contraire atténuée par des cultures couvrantes telles que la
luzerne.
La déflation emporte les éléments les plus fins des sols, déposant les sables
au pied des obstacles, formant avec les particules limoneuses et argileuses des
tempêtes de poussière. Les éléments laissés en place sont évidemment de
dimensions trop grandes pour être utilisés par les plantes, et le sol est ainsi
ruiné par cet effet sélectif de l'érosion éolienne.
L'érosion par ruissellement peut rester superficielle ou creuser des rigoles
et même des ravins, qui s'étendent vers l'amont par érosion régressive. Sa gra‐
vité ne dépend pas tellement du total des précipitations, mais de leur intensité
momentanée, c'est-à-dire de la tranche d'eau tombée par unité de temps.
L'unité la plus couramment usitée est le millimètre à la demi-heure.
L'homme peut lutter contre l'érosion du sol en labourant suivant les courbes
de niveau (contour tillage), de manière à éviter que le ruissellement ne naisse
dans des sillons établis le long de la pente et en aménageant le sol des collines
en banquettes horizontales ou même à contre-pente, séparées par des gradins.
Mais le procédé devient désastreux si une pluie intense fait déborder un sillon,
engendrant ainsi un ravin. Il convient aussi d'éviter la jachère pour limiter la
déflation, de labourer perpendiculairement aux vents dominants, de disposer
les cultures en bandes successives (strips) disposées elles aussi perpendiculai‐
rement aux vents les plus violents. Les végétaux coupant le vent, comme les
haies de cyprès en Provence, sont aussi utilisés.
Le ruissellement sur les sols transporte, tout comme le vent, les éléments les
plus fins, par conséquent les cours d'eau des régions cultivées sont alimentés
essentiellement en débris fins, à l'exclusion des éléments capables de donner
des blocs et des galets. Aussi, les crues actuelles, en dehors des régions de
montagne, ne déposent-elles que des alluvions fines (ce qui constitue dans une
certaine mesure une contrepartie utile de l'érosion du sol : la crue dans les
plaines fertilise par ses dépôts).

2. Les constructions humaines, les effets induits

La morphogénèse directement anthropique est surtout, mais non unique‐


ment, le fait du milieu urbain. Alors que, sur les territoires naturels, l'infiltra‐
tion absorbe une forte proportion de l'eau tombée et qu'il ne s'écoule, en règle
générale, que de 25 à 50 % des précipitations, la ville et les banlieues ont un
coefficient d'écoulement (le rapport eau écoulée/eau tombée) approchant de
100 %. En effet, toutes les surfaces urbaines (toits, « macadam » piétonnier,
chaussées goudronnées) se révèlent à peu près parfaitement imperméables et,
évaporation exceptée, envoient au ruissellement tout ce qu'elles reçoivent du
ciel. Des glissements de terrain peuvent se produire et la campagne environ‐
nante située à l'aval des agglomérations risque, à chaque orage, de subir une
inondation. Ce qui n'empêche pas la ville d'accentuer les étiages des rivières
quand elle leur prélève, ce qui est le cas général, leur eau de consommation
(plus de 300 litres par jour et par personne en pays de haut niveau de vie).
L'impact des civilisations sur les cours d'eau va beaucoup plus loin. René
Neboit indique que l'endiguement et la rectification des cours peuvent entraî‐
ner des modifications de la dynamique fluviale et de la géométrie des lits :
exemple, le Rhin, sur la frontière entre l'Alsace et le Pays de Bade, ayant subi
au milieu du XIX siècle les travaux de correction dus à l'ingénieur Von Tulla, a
e

creusé son chenal de plusieurs mètres, dégageant des seuils rocheux tels que la
barre d'Istein. Inversement, nous dit encore Neboit, « l'endiguement des
affluents du Pô descendus de l'Apennin a entraîné l'exhaussement des lits,
favorisé, il est vrai, par l'intense érosion qui sévit dans leur bassin supérieur ».
Beaucoup de cours d'eau, canalisés dans leur lit avec barrages et écluses, sont
devenus de véritables canaux, à commencer par la Seine dans la région pari‐
sienne et les cours d'eau de la France du Nord. Le résultat sur la charge flu‐
viale de l'extraction de graviers dans le lit même des rivières ne peut être mis
en doute, mais ses modalités sont discutées : il semble que, dans les sections
supérieures, l'action s'annule parce que les matériaux venus d'amont comblent
les gravières au fur et à mesure mais que, dans les sections moyennes et infé‐
rieures, l'interception des alluvions dans les gravières du cours supérieur se
traduise par une diminution de charge engendrant un creusement (par exemple
sur la Loire moyenne, où le fleuve, qui autrefois tendait à remblayer, se met à
creuser au point qu'en 1978, affouillant une pile, il a causé à Tours l'effondre‐
ment du pont Wilson).
Ce sont surtout les barrages qui diminuent, sans toutefois la supprimer com‐
plètement, la charge des cours d'eau en aval de chaque ouvrage (exemple : le
barrage d'Assouan sur le Nil). D'où, moins de limon de crue fertilisant, moins
de charge en matières solides dans le cours, moins de sédimentation à l'arrivée
à la mer, moins de transport littoral de sable, introduction d'un déséquilibre
érosion/accumulation sur les plages au profit de l'érosion. Beaucoup de fronts
de deltas reculent ; beaucoup de plages « démaigrissent », au grand dam du
tourisme.
Les touristes, de leur côté, piétinent impénitemment les sentiers fragiles où
ils se pressent, comme entre la station supérieure du téléphérique et le sommet
du puy de Sancy, dans le Massif Central français : le sol a été ainsi enlevé sur
près d'un mètre au pied de la table d'orientation. Même piétinement au voisi‐
nage des arrivées et des départs des remontées mécaniques fréquentées en été.
La déformation de la planète se marque dans l'ouverture des carrières, dans
l'édification des terrils miniers. Une gestion raisonnable consiste dans leur «
reverdissement », avec parfois transformation des plaies d'extraction en plans
d'eau, comme on l'a réalisé sur les fosses d'exploitation du lignite à l'ouest de
Cologne. Encore faut-il préserver les affleurements géologiques dignes d'inté‐
rêt, comme les volcanologues en congrès l'ont demandé dans l'Eifel rhénan !
Les routes, les remblais de voies ferrées, sont aussi des reliefs créés par
l'homme, tout comme les terrils, mais, bien entendu, avec des tracés linéaires
et non ponctuels.
Un cas particulier du système anthropique est l'action planétaire (les Anglo-
Saxons disent « globale ») de l'exercice inconsidéré de certaines techniques,
comme celles des « bombes » à composés fluorés sur la couche d'ozone qui
nous protège de l'excès de rayons ultraviolets. Quant aux rejets dans l'atmo‐
sphère de gaz carboniques issus principalement de nos moteurs, ils augmente‐
raient anormalement, par effet de serre, la température de l'air qui entoure
notre globe. Ils accéléreraient donc la fusion des glaciers et élèveraient ainsi le
plan d'eau des océans, qui tendraient alors à submerger les régions côtières
basses, telles que le Bangladesh. Mais l'ordre de grandeur de ces effets est très
discuté. Les jugements portés par ce qu'on a appelé, non sans dérive séman‐
tique, l'écologie sont trop passionnels pour qu'on les accepte sans critique.
De toute façon, l'homme modifie les combinaisons naturelles des processus
et introduit une dynamique nouvelle. La biosphère où nous vivons, que nous
transformons en bien ou en mal, que nous nous efforçons de repenser et
d'améliorer, tend à devenir en partie une noosphère (du grec noos νοος ,
esprit) et n'est plus uniquement le domaine d'une nature soumise au détermi‐
nisme. La géographie humaine s'introduit dans la géographie physique.
Photographie 7 Érosion du sol, Ouest des États-Unis

Érosion en rigoles (à droite), par ravinement (au centre) ; accu‐


mulation de débris fins, dans le fond de la vallée (cliché communi‐
qué par l'United States Information Service).
Partie 4

Géomorphologie littorale
Chapitre 22

L'érosion littorale
LE CONTACT DE LA TERRE ET DE LA MER s'exerce surtout sur l'estran, espace
compris entre le niveau des plus hautes mers et celui des plus basses mers. La
différence de niveau entre marée haute et marée basse (cette différence est
appelée marnage) atteint au maximum 20 mètres, mais plus couramment 2 ou
3 mètres et même moins. Mais l'érosion littorale intéresse aussi une portion de
terre supérieure à la laisse de haute mer : falaises, espaces atteints par les
embruns ; de plus, des zones toujours immergées appartiennent aussi au
domaine littoral en raison du travail sous-marin de la vague qui se brise.
Les côtes n'ont pas toujours été localisées à leur emplacement actuel
puisque, en raison des mouvements du terrain et de ceux du plan d'eau des
océans, transgressions et régressions se sont succédé au cours de l'histoire
géologique. La côte est donc une position momentanée de la ligne de rivage,
qui peut avoir laissé vers la mer ou vers la terre des traces d'une position plus
ancienne.
La rapidité avec laquelle les formes littorales se modifient et l'intérêt de
connaître les transports de troubles par l'eau de mer côtière rendent indispen‐
sable l'utilisation des méthodes de télédétection (photographies aériennes,
d'avion ou de satellite ; photographies en « fausses couleurs » décalant les lon‐
gueurs d'onde des couleurs pour rendre visible l'infra-rouge ; thermographie,
c'est-à-dire mesure à distance des températures de l'eau, etc.).

1. Les agents de l'érosion littorale

Les principaux agents de l'érosion littorale sont les vagues et les courants.
On n'oubliera pas cependant que d'autres actions s'exercent, en particulier la
dissolution par les embruns et par le séjour des flaques sur l'estran, notamment
quand la roche est calcaire.
1.1. Les vagues

Les vagues résultent d'un mouvement ondulatoire. Chaque molécule d'eau


décrit à peu près un cercle, si bien que chaque molécule repasse sans cesse à
peu près au même endroit : c'est là le propre d'un mouvement oscillatoire par
opposition à un mouvement de translation qui déplace en masse les molécules.
Une vague poussée par le vent est une vague forcée. En revanche, on
appelle houle la succession de vagues dues au vent, mais se propageant en
dehors de l'espace où il souffle. La dimension des vagues dépend de la force
du vent, de sa durée, de la dimension du plan d'eau sur lequel il souffle, c'est-
à-dire de la portée ou, si l'on préfère, de la course (anglais : fetch) ; la hauteur
dépasse rarement 5 mètres, mais on a observé plus de 24 mètres ; l'espacement
entre deux vagues est toujours beaucoup plus grand que la hauteur.

Figure 102 Mouvement des particules dans la vague

Remarquer le mouvement à peu près circulaire (orbitaire) des


particules d'eau et le déferlement qui fait passer l'onde d'oscilla‐
tion à une onde de translation.
À l'approche de la côte, la vague subit des modifications ; dès que la pro‐
fondeur est inférieure à la demi-distance entre deux vagues, elle se réfracte,
c'est-à-dire qu'elle change de direction de manière à devenir parallèle aux
courbes d'égale profondeur, et à frapper la côte perpendiculairement. En effet,
en avant des caps, où la profondeur diminue, la vague est freinée plus vigou‐
reusement qu'à l'entrée des baies. En même temps, la vague subit des tranfor‐
mations de forme.
En eau peu profonde, le mouvement circulaire des molécules ne peut se
continuer et la vague déferle, se résolvant en un paquet d'écume. L'onde d'os‐
cillation s'est transformée en une onde de translation (figure 102). Cette onde
de translation exerce une action qui peut être très grande par pression, choc,
mitraillage à l'aide des éléments solides qu'elle porte. Chaque vague déferlante
transporte, creuse, dépose.
Si l'action de la vague déferlante peut être observée, celle de la vague sur le
fond avant le déferlement est encore mal connue. Certains auteurs pensent
qu'il se produit un travail de raclement notable à plusieurs dizaines de mètres
de profondeur. D'autres affirment que l'action en profondeur est faible.

1.2. Les courants

Les courants sont de types très nombreux. Ceux qui intéressent le plus la
morphologie littorale sont les courants de débris et les courants de marée.
• Les courants de débris se produisent quand les vagues ne frappent pas
perpendiculairement le rivage (malgré la réfraction, c'est le cas géné‐
ral, car la réfraction atténue l'obliquité sans la faire disparaître com‐
plètement). Le retrait se faisant avec un angle de réflexion sensible‐
ment égal à l'angle d'incidence, les débris sont « réfléchis » à chaque
vague et suivent une trajectoire en zigzag dont la résultante est un
transport parallèle à la côte (figure 103).

Figure 103 Courant de débris sur une plage

• Les courants de marée. La marée elle-même n'est pas un courant au


sens propre du terme. Mais un courant résulte de la marée car il est la
conséquence de la différence de niveau de l'eau entre deux points :
comme le courant fluvial, il a donc pour origine la gravité. Faible en
haute mer, il devient rapide dans les détroits et les estuaires.
Comme le courant fluvial, le courant de marée creuse et accumule suivant
des modalités compliquées que nous n'étudierons pas ici.

2. Les formes : falaise et plage

Selon que le résultat du travail de la vague et des courants est surtout une
érosion ou surtout une accumulation, la forme correspondante est une falaise
ou une plage. Les deux formes se rencontrent sur une même côte, où une
plage peut se construire dans un secteur abrité et une falaise se former par éro‐
sion sur un point exposé.

2.1. La falaise

La falaise est un ressaut « non couvert de végétation, en forte pente (entre


environ 15 et la verticale ou le surplomb), de hauteur très variable au contact
o

de la terre et de la mer, et qui est dû à l'action ou à la présence marine »


(André Guilcher).
Toute côte rocheuse n'est pas une côte à falaise, et, inversement, il peut
exister des falaises dans des formations non rocheuses comme du limon. Côte
rocheuse et côte à falaise ne sont donc pas synonymes.
On distingue les falaises vives, encore battues par la mer, et les falaises
mortes, séparées de la mer par une zone de dépôt, par exemple de part et
d'autre de l'estuaire de la Somme.
La théorie classique de la formation de la falaise fait appel à la seule éro‐
sion mécanique par la vague ; des recherches récentes ont montré que d'autres
processus collaboraient avec l'érosion mécanique et que le recul de la falaise
était très inégal selon les roches, minime pour certaines d'entre elles.Selon la
théorie classique, en effet, c'est le coup de bélier des vagues qui mine l'abrupt
de la côte, lui donne un profil en surplomb et détermine l'éboulement par pans.
Mais l'encoche dite de sapement qui se forme à la base des falaises est en
revanche souvent attribuable à l'érosion chimique. Elle n'est due au sapement
que dans le cas de roches tendres ; ailleurs, et notamment dans les calcaires
résistants, la dissolution par les embruns et par les vasques joue le rôle princi‐
pal ou même, le recul de la mer peut être minime. Il arrive qu'aucune falaise
ne se forme et que l'abrupt côtier n'ait aucun rapport avec le travail de la mer
(il peut être dû à une flexure ou à une faille) ; on est alors en présence d'une
fausse falaise (ne pas confondre avec une falaise morte, qui est due à une
action marine passée).
En avant de la falaise, il existe souvent une plate-forme immergée (figure
104) qu'on a parfois appelée plate-forme d'abrasion, mais qu'il vaut mieux
nommer plate-forme d'érosion marine ou d'érosion littorale puisque l'abrasion
n'est pas le seul agent qui la modèle et que la dissolution joue aussi son rôle.
Le profil des falaises dépend beaucoup de la nature des roches ; on peut dis‐
tinguer notamment :
• les hautes falaises de craie (type pays de Caux) ;
les fausses falaises des roches cristallines ;
les falaises à glissements ou à coulées de boue des argiles.

Figure 104 Falaise et plate-forme d'érosion littorale

Falaise classique, à surplomb. Remarquer que la plate-forme


d'érosion littorale se continue au-dessous du niveau des basses
mers.

2.2. La plage

Une plage est « une accumulation, sur le bord de la mer, de matériaux plus
grossiers que les constituants principaux de la vase », encore que certaines
plages passent à des vasières dans la zone de basse mer. On réserve le nom de
grève à une plage formée de galets.
Les matériaux des plages comprennent des blocs, des galets, des graviers,
des sables, et même des éléments plus fins. Les matériaux fins ne proviennent
guère d'un amenuisement, par action de la mer, des matériaux grossiers, mais
la mer les reçoit tels quels : les sables sont issus soit de dépôts fluviatiles soit
de roches préalablement arénisées, comme les granits. Mais, si la mer n'ame‐
nuise pas, du moins elle façonne : elle émousse les sables et aplatit les galets
plus rapidement que ne font les cours d'eau.
La plage a une partie immergée et une partie émergée, qui se termine sou‐
vent par une crête. Les matériaux sont en général de plus en plus grossiers de
bas en haut. Sur la partie émergée, naissent des dunes. La plupart de ces dunes
sont hautes de quelques mètres à peine, mais il en existe aussi de grandes,
comme celle du Pyla, en Gascogne, qui atteint une centaine de mètres. La for‐
mation des dunes s'explique par la présence de grands vents venant du large.
L'absence de végétation sur la plage, l'aptitude du vent à sécher des sables
humides favorisent leur développement. La végétation prend possession de la
dune et tend à la fixer jusqu'à ce qu'une tempête particulièrement violente
vienne ouvrir une brèche en forme de chaudron, la caoudeyre.
Le tracé et la position des plages : Les plages sont tantôt liées à des inden‐
tations du rivage, tantôt plus ou moins indépendantes de son tracé. Dans ce
dernier cas, la partie émergée de la plage est appelée cordon littoral ou crête
d'avant-côte émergée.
Parmi les plages liées à une indentation du rivage, on peut distinguer (figure
105) :
• les plages de fond de baie, qui offrent un tracé en arc de cercle, suivant
le dessin même que tendent à prendre par réfraction les vagues défer‐
lantes ;
les plages tendant à barrer une baie à mi-chemin entre la tête de la baie
et son entrée (celles-ci sont assez rares) ;
les flèches tendant à barrer l'entrée de la baie (cas très fréquent) et aux‐
quelles on peut appliquer le nom picard de poulier.
Figure 105 Localisation de divers types de plage

Le musoir pourrait aussi se trouver sur la roche en place, plus à


droite.
Le poulier tend à transformer la baie en lagune. Il y réussit si aucun cours
d'eau important ne s'y jette et si l'évaporation et l'infiltration suffisent à assurer
l'évacuation des eaux qui y parviennent. Mais, le plus souvent, des passes se
maintiennent : elles assurent la sortie de l'eau d'origine continentale et per‐
mettent l'entrée de la marée. On appelle ces passes des graus, terme emprunté
au Bas-Languedoc.
L'établissement d'un poulier se fait en général d'un seul côté de la baie, par
progression suivant la direction du courant de débris. La rive opposée est au
contraire rongée : c'est le musoir, pour employer le terme picard opposé à pou‐
lier. De bons exemples de pouliers sont fournis par la côte picarde à chaque
estuaire, par le cap Ferret, qui tend à fermer le bassin d'Arcachon, par les Neh‐
rung de la côte méridionale de la Baltique.
Il existe aussi des plages non reliées au rivage primitif. Parmi ces cordons
littoraux ou crêtes d'avant-côte émergées (on dit aussi îles-barrières), un des
meilleurs exemples est fourni par le cordon du Cap Hatteras, sur la côte atlan‐
tique des États-Unis. Le cordon peut cependant être appuyé sur des îlots
rocheux, tout en se tenant en général au large du rivage originel. Tel est le cas
de la ligne de plage du Bas-Languedoc, appuyée sur le volcan de la montagne
d'Agde et sur le pli calcaire de Sète.
Une flèche peut aussi relier une île à la côte voisine. On l'appelle alors tom‐
bolo. (N. B. : Le tombolo n'est pas l'ensemble flèche-ancienne île, mais la
flèche seule.)
Les formes peuvent être plus ou moins complexes (figure 106) : il existe
des tombolo simples, comme celui de Quiberon en Bretagne, des tombolo
doubles, comme celui de Giens, sur la côte méditerranéenne française, des
tombolo triples, comme celui d'Orbetello, sur la côte des Maremmes (Italie).

Figure 106 Tombolo simple et tombolo double (en plan)

Le tracé en plan de tous les types de plage est en général simple, et les côtes
qu'ils constituent se caractérisent par de grandes sections rectilignes ou en arcs
à grand rayon de courbure (de concavité tournée vers la mer). Cependant, les
pouliers prennent parfois une forme de crochet à leur extrémité. D'autre part,
certaines plages complexes dessinent une avancée formée de cordons succes‐
sifs ; c'est le cas du Darss, sur la côte balte, de Dungeness, sur la côte britan‐
nique du Pas de Calais.
Signalons enfin le recul général des plages depuis que les barrages fluviaux
réduisent les apports d'alluvions à la mer (chapitre 21.2 p. 193).

3. La régularisation du rivage par recul de la falaise et construction de


plages

Il est classique d'affirmer qu'un rivage jeune est un rivage dentelé ou fes‐
tonné et qu'il évolue vers la vieillesse en se régularisant par sapement des caps
et barrage des baies par des flèches derrière lesquelles les lagunes se comblent
rapidement. Cette théorie est exacte dans ses grandes lignes (figure 107).
Toutefois, il convient d'apporter quelques précisions :
• Après un rajeunissement (une submersion par exemple) la mer peut
commencer par accentuer l'irrégularité de la ligne de rivage. En effet,
le relief continental ennoyé est souvent empâté par des alluvionne‐
ments de fond de vallée, des épaississements de sols masquant les
ruptures de pente. La mer va d'abord dégager ces dépôts tendres et
elle accentuera ainsi les irrégularités du tracé côtier. Johnson a
nommé « stade crénelé » (figure 107, II) celui qui résulte de ce travail
de lavage des dépôts tendres et de la première irrégularisation du
tracé.
L'érosion marine différentielle ne s'applique pas qu'aux dépôts meubles.
Nous avons vu combien le recul des falaises était inégal selon les
roches. Il en résulte que la ligne de rivage peut présenter des rentrants
et des saillants résultant de ce travail. Cependant, la mer ne peut pas
creuser profondément dans les terres, les vagues ne tardant pas à se
freiner dans le rentrant.
Malgré les réserves qui ont été faites, la régularisation est bien la tendance
générale de l'évolution de la ligne de rivage ; elle se fait de telle sorte que la
côte tend à prendre une direction perpendiculaire à la houle dominante (figure
107, VI).

Figure 107 Régularisation de la ligne de rivage

1 : roche résistante ; 2 : roche tendre ; 3 : accumulation litto‐


rale.
Remarquer le stade crénelé II. Noter que le temps qui s'écoule
entre deux stades consécutifs est de plus en plus long.

4. Les formes : estuaires, marais maritimes, deltas

L'estuaire est la partie du fleuve où la marée se fait sentir. Le marais mari‐


time est une zone basse qui n'est pas liée nécessairement à un débouché fluvial
(mais qui peut recevoir de petits cours d'eau). Le delta est une embouchure
fluviale où les alluvions s'accumulent de manière à la faire (ou à l'avoir fait)
avancer. Entre les trois notions, la limite n'est pas nettement tranchée. Le delta
du Fleuve Rouge, lavé par des courants de marée correspondant à un marnage
de 4 mètres, n'est-il pas aussi un estuaire ? Un delta est souvent, mais non
nécessairement, caractérisé par la divison du fleuve en plusieurs bras, car il
existe des deltas, comme celui du Tibre, à bras unique : il y a delta tout de
même parce qu'il y a bien accumulation des alluvions en avancée. Enfin, la
terminologie est encore compliquée par les deltas de marée, c'est-à-dire des
accumulations produites par le courant de marée à l'entrée d'un marais (bassin
d'Arcachon, côte Sud-Est des États-Unis).
Les marais et les estuaires offrent de nombreux points communs. Ils sont
caractérisés par l'existence de chenaux dus aux courants de marée et par des
zones de sédimentation. À leur origine, se trouve la transgression flandrienne
qui a ennoyé d'une part, des zones basses autres que des débouchés fluviaux
(d'où les marais), d'autre part, des embouchures (d'où les estuaires). Toutefois,
un marais peut se former en arrière d'une flèche sans qu'il soit nécessaire de
faire appel à une submersion du continent. De même, la largeur des estuaires
s'explique par le jeu des courants de flot et de jusant sans que l'ennoyage soit
indispensable à la compréhension des formes.
Marais et estuaires se présentent comme des vasières dans lesquelles ser‐
pente un chenal (ou une série de chenaux) de marée. La vase est parfois colo‐
nisée par la végétation, végétation arborée des mangroves tropicales ou herba‐
cée de la Spartina des côtes de l'Europe du Nord-Ouest. Si elle est peu coloni‐
sée, la vasière, recouverte plusieurs heures à chaque marée, se nomme une
slikke. Colonisée par la végétation, elle est une schorre, formée de vase dessé‐
chée, granulée, et qui n'est recouverte qu'à de brefs intervalles. La marée
arrive à ne plus occuper que quelques chenaux, qui dessinent parfois de beaux
méandres.
Les deltas se forment quand l'accumulation des sédiments apportés par le
fleuve l'emporte sur l'érosion. De nombreux deltas se trouvent sur des mers
sans marée (Rhône, Nil, Pô) ou de faible marée (Rhin). L'absence et la fai‐
blesse de la marée sont évidemment des conditions favorables. Mais, pour cer‐
tains cours d'eau très chargés, la marée, même de grande amplitude, n'arrive
pas à emporter toutes les alluvions amenées, ainsi pour le Fleuve Rouge.
Un delta peut ne pas être émergé : il existe des deltas sous-marins, qu'un
accroissement dans l'accumulation pourrait transformer en vrais deltas : ainsi
en face de Saint-Nazaire, la Loire est divisée en deux passes séparées par un
haut-fond dont une partie affleure par basse mer. Le delta ne constitue, en
effet, qu'un cas particulier de l'alluvionnement : le fleuve dépose à l'embou‐
chure parce que la vitesse y diminue brusquement.
Cet alluvionnement atteint des proportions plus grandes dans le delta que
dans l'estuaire parce que les quantités solides apportées par le cours d'eau y
sont disproportionnées à l'action érosive des courants de marée. Il en résulte
souvent une division du cours d'eau en bras, d'où une disposition en triangle
(forme de la lettre grecque delta majuscule) qui a donné son nom à ce type
d'embouchure.
Le delta est une forme très mobile parce que chaque bras fluvial s'exhausse
par alluvionnement, construit des levées sur chaque rive et parvient ainsi à
dominer ses abords ; une crue provoque une brèche dans la levée naturelle et
crée un cours d'eau.
La progression d'un delta n'est pas indéfinie, et pour deux raisons. D'une
part, tout bras qui s'allonge tend à diminuer sa pente longitudinale, donc à se
voir privé d'eau au profit des bras en pente plus forte. D'autre part, l'action
érosive de la houle se fait de plus en plus forte à mesure que la bouche avance
vers le large.
Sur un même delta, il existe donc des sections en progression, des sections
bloquées, des sections en voie de recul, ces différentes actions résultant du
rôle respectif de l'accumulation fluviale, de l'accumulation marine, de l'érosion
par la houle (figure 108A). Cette dernière dépend beaucoup de l'exposition de
la côte. Ainsi, pour la Camargue, les secteurs exposés au sud-est, c'est-à-dire
aux plus fortes houles de mer (le mistral, vent de terre, n'en provoque guère),
se trouvent bloqués même s'ils reçoivent des apports fluviaux importants. Le
courant de débris construit aussi des flèches sur lesquelles peuvent s'édifier
des dunes.
La structure des deltas résulte de toutes ces actions. Elle est caractérisée par
un cloisonnement, formé d'une part par les levées de bras actuels ou d'anciens
bras abandonnés, d'autre part par des bourrelets transversaux aux lignes des
levées et qui ne sont autres que d'anciennes positions du cordon littoral à
divers stades de la progression. Ces cloisons déterminent des « casiers » sou‐
vent marécageux (étang de Vaccarès, dans le delta du Rhône). Mais l'homme a
pu plus ou moins assécher les dépressions qui se juxtaposent dans un delta :
les grands deltas de l'Asie des moussons, les polders des bouches du Rhin et
de la Meuse, sont les exemples les plus saisissants de la transformation du
paysage naturel.
Toute œuvre humaine mise à part, tous les deltas ne se ressemblent pas
(figure 108) :
• les deltas caractérisés par une forte accumulation fluviale sont lobés, le
ou les lobes indiquant une progression (Rhône, Pô). Une progression
plus rapide encore donne des deltas digités (Mississipi), les levées de
chaque bras avançant en mer en formant de longs doigts ;
les deltas où domine l'érosion marine offrent un tracé arrondi (Llobre‐
gat, en Catalogne, Nil), simple convexité du dessin de la côte.

5. Les formes : les constructions calcaires, les coraux

Certains organismes construisent littéralement des côtes. Ce sont surtout les


coraux qui vivent dans des eaux tièdes et relativement limpides. Leurs formes
sont multiples et rarement schématiques.
Les récifs-barrières sont édifiés à une certaine distance d'une côte qui peut
être celle d'une petite île ou d'un continent : la Grande Barrière du Queensland
australien est de ce type ; ils sont fréquemment coupés par des passes et de
tracé complexe.
Les récifs frangeants sont accolés à un littoral non corallien, qu'il existe ou
non un récif-barrière en avant.
Figure 108 Types de deltas

A : Delta lobé du Rhône (Camargue). Remarquez l'inégal recul


de la côte. Les îles parallèles du Vaccarès sont d'anciens cordons
littoraux. B : Partie du delta digité du Mississipi (de Martonne,
Traité de Géographie physique, éd. de 1935, figure 384, p. 996).
C : Delta arrondi du Llobregat.
Les édifices annulaires, dont les plus parfaits sont les atolls (figure 109),
sont constitués d'une mare centrale, le lagon, entourée d'une ceinture de corail.

Figure 109 Un atoll du Kirïbati (anciennes îles Gilbert)

D'après la carte au 200 000e du Service Hydrologique de la


Marine française ; sondes exprimées en mètres et réduites au
niveau des basses mers. Remarquer qu'il existe des passes dans la
ceinture de corail et que le fond du lagon, en raison de l'irrégula‐
rité des constructions coralliennes, est de relief inégal.
Chapitre 23

Principaux types de côtes


EN CHOISISSANT les types les plus caractéristiques, on peut distinguer, outre
les côtes à constructions coralliennes :

1. Les côtes à rias

On appelle ria (terme emprunté au parler de la Galice) une vallée fluviale


envahie, en partie ou en totalité, par la mer (figure 110). La ria est souvent
ramifiée et peut présenter des méandres, comme un réseau fluvial.
L'ennoyage peut être d'origine tectonique, mais il peut aussi résulter de la
transgression flandrienne (postglaciaire). Comme celle-ci a ennoyé toutes les
côtes du monde, on pourrait s'attendre à ce que toutes soient des côtes à rias.
Cependant, ne sont pas des côtes à rias :
• celles que l'érosion glaciaire a suffisamment marquées ;
celles qui bordaient une terre aréique (déserts, karst) ;
celles qui ont subi un soulèvement assez fort pour compenser l'ennoyage
ou qui, en raison d'un fort soulèvement préflandrien, ne comportaient
pas de vallées fluviales régularisées, mais seulement des vallons à
pente forte, dans lesquels le relèvement flandrien du plan d'eau s'est
traduit par une simple échancrure ;
celles qui présentaient une topographie préflandrienne trop peu différen‐
ciée (plaines basses) pour que la distinction des débouchés fluviaux et
des marais maritimes puisse se faire nettement ;
celles où l'accumulation postflandrienne a fait disparaître toute trace de
ria.
En revanche, les plus belles rias correspondent à l'ennoyage de vallées qui
ont eu le temps de s'élargir avant la transgression flandrienne tout en gardant
des bords assez marqués.
Une côte à rias peut être plus ou moins régularisée. Les rentrants évoluent
par comblement vaseux, à la manière des estuaires, ou par constitution de del‐
tas, les saillants par formation de falaise, mais l'âge récent de la transgression
flandrienne ne leur a que rarement permis de reculer sensiblement.

Figure 110 Tracé d'une côte à rias

Type représenté sur la côte nord de la Bretagne. Remarquer le


début de régularisation : le cap C a été tronqué en falaise, une
flèche de sable F1 commence à se mettre en place.

2. Les côtes à calanques

On peut considérer la côte à calanques comme un cas particulier de la côte à


rias. Il est souhaitable de réserver le nom de calanques à des indentations se
terminant en cul-de-sac (nombreux cas en Provence, en Corse et dans les
Baléares), soit parce que la forme ennoyée est un bout-du-monde ou un poljé
karstique, soit parce que la côte correspond à une faille ou à une flexure pré‐
flandrienne et que les cours d'eau qui la dévalaient n'avaient pas eu le temps
de régulariser le profil en long et le profil en travers de leur vallée.

3. Les côtes d'origine glaciaire

Les côtes d'origine glaciaire peuvent se diviser en trois sous-types bien tran‐
chés : les côtes à fjords, les côtes à skjär, les côtes des plaines d'accumulation
glaciaire.

3.1. Les côtes à fjords

On appelle fjord une auge glaciaire occupée par la mer après la fonte du
glacier.
La répartition des fjords à la surface du monde se calque sur celle des
rivages que la glaciation a occupés longtemps et sur lesquels les courants de
glace ont été assez canalisés pour déterminer des auges. Les fjords sont donc
localisés sur des côtes abruptes, où un relief vigoureux a pu être entaillé en
auge. À l'intérieur du domaine de la glaciation, il se trouve que ces conditions
ont permis le développement des côtes à fjords sur les bords ouest des conti‐
nents plus que sur les bords est. Les plus beaux fjords se rencontrent sur la
côte Pacifique Nord de l'Amérique du Nord (Canada, Alaska), sur la côte sud
du Chili, sur les côtes ouest de la Norvège, à laquelle le terme a été emprunté,
et de l'Écosse, où on les appelle lochs, comme les lacs de surcreusement gla‐
ciaire, enfin dans le Sud de la Nouvelle-Zélande.
On reconnaît dans les fjords tous les caractères des vallées glaciaires. Le
profil en long présente des seuils et des ombilics, beaucoup plus apparents que
les mouilles des vallées fluviales ou des estuaires et taillés dans la roche en
place (profondeur de 1 200 mètres dans des cas extrêmes). Le profil en travers
montre des replats. Tantôt les vallées affluentes sont suspendues et se
déversent dans le fjord par des cascades, tantôt elles sont ennoyées : ce sont
alors des seuils de transfluence transformés en détroits, tels les sounds de la
Colombie canadienne. Le réseau des fjords et des sounds peut être dû à des
influences lithologiques ou tectoniques ; il n'en a pas moins été élaboré par les
langues glaciaires.
3.2. Les côtes à skjär

Les côtes à skjâr, c'est-à-dire à écueils, sont dues à des roches moutonnées
ennoyées ; elles sont bordées d'archipels, d'îlots minuscules. La plus grande
partie des côtes finlandaises et des côtes suédoises (Scanie exceptée) appar‐
tiennent à ce type. Il correspond à l'occupation par la mer d'une côte de plaine
d'érosion glaciaire, et bien évidemment on rencontre des types de transition
avec les côtes d'accumulation glaciaire.

3.3. Les côtes d'accumulation glaciaire

Elles sont extrêmement variées, les ôs, les drumlins y formant des promon‐
toires ou des îlots, les vallées de cours d'eau sous-glaciaires constituant les
golfes. Ce sont les vallées ennoyées d'anciens cours d'eau sous-glaciaires qui
donnent son originalité à la côte est du Jutland. Elles forment de longs che‐
naux ou golfes sinueux, aux rives vertes et basses, avec de brusques élargisse‐
ments et des contrepentes. L'érosion marine, facile dans les matériaux morai‐
niques, l'accumulation, rapide dans ces eaux peu profondes, régularisent assez
vite ce type de côte.

4. Les côtes des plaines non glaciaires

Les plaines non glaciaires présentaient un relief si faible au moment de la


transgression flandrienne que la ligne de rivage serait extrêmement découpée
si la régularisation n'y était très avancée. Or la faible profondeur de la mer
facilite tellement la régularisation que l'on a là des types où l'accumulation est
prépondérante, à l'exception des chenaux d'estuaires. Tous leurs éléments,
estuaires, marais maritimes, longues flèches ou crête d'avant-côte émergée
barrant des étangs (type Bas Languedoc), ont déjà été décrits. Le terme de
l'évolution semble être celui de la côte de Gascogne, où la plage, continue à
l'exception du bassin d'Arcachon , est bordée de dunes qui à leur tour barrent
des vallées fluviales qu'elles transforment en étangs d'eau douce.

5. Les côtes à directions structurales prépondérantes


Dans les types précédemment décrits, les influences structurales jouent un
rôle certain. Mais il existe des côtes où elles sont prédominantes et où elles
fixent l'essentiel du tracé. Telles sont les côtes qui correspondent à une flexure
particulièrement marquée ou à une faille. Ainsi le dessin des côtes du massif
brésilien suit des directions tectoniques qui lui valent sa simplicité de
contours.
Suivant les rapports des lignes directrices avec l'orientation de la côte, on
peut distinguer des côtes à structure transversale ou longitudinale (figure 111).

Figure 111 Tracé de côtes à directions structurales

Les directions sont longitudinales à gauche (cas de la côte dal‐


mate) et transversales à droite (cas de la côte sud-ouest de l'Ir‐
lande).
L'exemple classique d'une structure longitudinale est la côte dalmate, où les
grandes chaînes paraissent s'abîmer dans les flots. De longues îles, parallèles à
la côte, représentent le plus souvent des anticlinaux, tandis que les synclinaux
forment de longs chenaux. On reconnaît là des éléments du relief plissé
ennoyé.
La côte sud-ouest de l'Irlande est un exemple de structure transversale. Elle
est constituée par un relief appalachien ennoyé, les sillons formant des ren‐
trants profonds, les crêtes des promontoires qui s'avancent vers le large.

6. Les côtes à falaises

La côte à falaise représente le terme d'une évolution ; aussi ne la trouve-t-on


que dans les roches tendres, comme la craie. Elle est rectiligne. Le sommet de
la falaise offre un profil ondulé, celui d'une coupe de relief continental réalisée
par le rapide recul, avec des vallées sèches suspendues (les valleuses du pays
de Caux) et des vallées fluviales dont les cours d'eau ont eu au contraire la
force de se raccorder sans cesse avec le niveau marin à mesure que l'embou‐
chure reculait. Type : pays de Caux, ou côte britannique de la craie.
On remarquera enfin la fréquence des types « mixtes ». La côte ouest de la
Bretagne est à la fois une côte à rias et une côte à structure transversale, la
côte dalmate une côte à structure longitudinale, mais aussi une côte à rias et à
calanques. Autant dire que, là encore, la morphologie générale n'est guère plus
qu'un guide pour aborder les problèmes régionaux.
Orientation bibliographique
Le vocabulaire géomorphologique le plus complet, malheureusement peu
accessible, est Claude G. GENEST, Dictionnaire de Géomorphologie, Trois-
Rivières, Québec, Canada, Société de Géographie de la Mauricie, 2000, 408 p.
Le plus simple nous paraît être Pierre PECH et allii, Lexique de géographie
physique, Paris, Armand Colin, 1998, 96 p.
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LIG, Publication de la Faculté des lettres de l'Université de Strasbourg, fasc.
130, 1956, 230 p., bien que vieilli et épuisé, reste excellent.
Utile Dictionnaire de Géologie, par Alain FOUCAULT et Jean-François
RAOULT, Paris, 6 édition, Dunod, 2005, 400 p.
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Revues françaises les plus usuelles


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Géochronique, cette dernière est coéditée par la Société géologique de France
(Paris) et le Bureau de recherches géologiques et minières (Orléans).
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Le Cœur C. (coord.), Éléments de géographie physique, Rosny, Bréal,


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