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PB- PP
P701162 BELGIE(N) - BELGIQUE
Avec le soutien de
L’ESPERLUETTE I N°97 I 2018
Ce dossier de l’& est lié au séminaire interBAGIC qui s’est déroulé le 26 avril dernier dans les locaux de la Fédération Wal-
lonie-Bruxelles pour fêter les 25 ans d’existence de la formation BAGIC. Ce séminaire était organisé par le service de la
formation de l’Administration générale de la Culture de la Fédération Wallonie-Bruxelles et les quatre opérateurs Bagic, le
CIEP, le CBAI, le CESEP et l’ICJ. Il constituait une journée de formation commune à l’ensemble des Bagicien.ne.s en formation
en présence de la Ministre de la Culture, Alda Greoli, des représentantes de la Ministre de la Jeunesse, Isabelle Simonis et de
l’Administrateur général de la Culture, André-Marie Poncelet. L’intention était de rendre lisible et visible les spécificités du
BAGIC, son originalité dans le paysage institutionnel ; de partager des expériences professionnelles et des expertises au tra-
vers d’analyses de pratiques professionnelles et enfin, de favoriser la mise en réseau des Bagicien.ne.s en formation. Les textes
repris dans ce dossier sont le fruit des échanges entre les intervenant.e.s et la centaine de participant.e.s. Ils font l’objet d’une
publication partagée au sein des trois revues associatives : l’Agenda interculturel (CBAI), l’Esperluette (CIEP) et le Secouez-vous
les idées (CESEP). Ils sont repris sur les sites suivants : www.cesep.be • www.cbai.be • www.icj-bagic.be • www.ciep.be
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L’ESPERLUETTE I N°97 I 2018
D
éfinition encyclopédique : Être humain se reproduisant des citoyen.ne.s, avoir une attention particulière aux plus préca-
au fil des rencontres professionnelles, changements de risé.e.s, questionner les inégalités sociales dans une société qui
parcours et autres réorientations. se veut démocratique et solidaire. Mais il.elle est bien souvent
Le.la Bagicien.ne, qu’il soit en quête de légitimité, rattrapé.e par la réalité du monde du travail socio-culturel et plus
fortement incité.e par son organisation, à la recherche généralement du secteur non-marchand.
d’outils ou d’expériences, est un.e perfectionniste du travail socio- La plupart doit s’arranger avec la contradiction d’être rémuné-
culturel souhaitant bien faire, TRÈS bien faire. Son habitat naturel ré.e et donc de devoir vendre sa force de travail contre un salaire
est l’organisation socio-culturelle. Il.elle s’adapte à tout type de pour en échange favoriser l’émancipation des publics. Dès lors,
milieux, particulièrement ceux où il y a des… gens. Il.elle analyse quelle émancipation pour le.la travailleur.euse socio-culturel.le
son territoire et en identifie les enjeux. quand, de sa prestation, dépend sa survie financière ? De quelle
Berger et bergère intelligent.e, meneur.se, gestionnaire de marge de manœuvre dispose-t-il.elle réellement lorsque son en-
conflits, insuffleur d’énergie, il.elle cherche à transformer ses in- gagement militant est lié à un contrat ? Comment lutter contre
tuitions en s’appuyant sur des méthodologies aguerries. Bourré.e le manque de cohérence des organisations qui, par manque de
de doutes, d’interrogations et d’inquiétudes face aux changements moyens et d’outils de gestion interne adéquats, en viennent à
sociétaux qui s’opèrent, il.elle se pose un tas de questions. Il.elle écarter les valeurs prônées auprès des publics et des partenaires ?
analyse les paradoxes qui existent entre associations et pouvoirs
subsidiants, associations et citoyen.ne.s.
Il.elle prend le risque de la coopération plutôt que du parte-
nariat contraint. Vise la complémentarité et tente de dépasser la « Il faut se rendre compte
logique comptable de la gestion de projets. Préférant l’intérêt col-
lectif à l’individuel, il.elle se laisse aller à l’intelligence du groupe
de la distance culturelle que l’on
qu’il.elle pilote ou se laisse piloter par le groupe en s’assurant que a avec son public quand on
chacun.e soit soucieux.se de l’autre, qu’il.elle trouve sa place et
puisse FAIRE ensemble. n’a soi-même manqué de rien. »
Le.la Bagicien.ne a ce tout petit supplément d’âme qui va le
faire partir du désir des gens en les écoutant plutôt que de son
désir à lui.elle. Cette petite flamme, il.elle va l’entretenir parce que Une des conditions pour un travail d’émancipation de l’autre
la démarche est plus importante que le résultat. pourrait être une réflexion de chaque travailleur.euse, chaque
Acteur.rice politique, il.elle essaie de changer le monde. organisation et finalement tout le secteur social, culturel et so-
S’engageant pour de nobles causes, il.elle lutte pour le respect de cio-culturel sur les moyens à mettre en œuvre pour favoriser
la démocratie, lutte contre ses propres représentations du monde l’émancipation collective du travail. La co-construction et la
et celles des autres pour en trouver et en construire de plus justes. participation aux processus démocratiques internes sont des dé-
Révolutionnaire, c’est parfois contre son entourage le plus proche marches qui permettraient de faire vivre l’éducation permanente
qu’il.elle doit se battre pour que son organisation continue à se dans tous ses aspects, y compris dans l’organisation du travail.
questionner, se positionner et s’indigner. Par ailleurs, comment favoriser le pouvoir d’agir des publics
quand les acteurs et actrices du secteur eux-mêmes travaillent
La réalité de terrain dans des conditions qui les empêchent d’exercer pleinement le
Le.la Bagicien.ne est formé.e pour transposer sur son terrain les leur ? En effet, les conditions de travail se précarisent de plus en
exigences de la démarche d’éducation permanente : partir des as- plus avec un manque de moyens récurrent, des demandes plus
pirations des publics pour faire avec eux et non pas à leur place, nombreuses à traiter, des équipes en sous-effectifs, des contrats
utiliser des outils qui favorisent l’expression et la participation de travail de plus en plus incertains et une tendance au finance-
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ment par projets spécifiques dans un temps court au détriment – questionner les enjeux liés au partage du pouvoir ;
du financement pérenne des missions globales des organisations. – développer l’esprit critique ;
Plus généralement, le secteur non-marchand est de plus en plus – se réapproprier le débat public ;
touché par des contraintes d’ordre économique qui mettent l’ac- – travailler sur un pied d’égalité avec les publics, faire avec eux
cent sur l’efficacité au détriment du rapport humain inhérent au et non pas pour eux ;
travail socio-culturel. Cette évolution impose un rythme de plus – partir des aspirations des gens, se laisser aller à leur faire
en plus rapide et des réponses standardisées, ce qui peut être confiance, au lieu d’imposer un projet déjà ficelé sur base de
cause de souffrance pour les acteurs et actrices du secteur, sans nos représentations ;
parler de l’impact sur les personnes avec qui ils.elles travaillent. – se permettre de se laisser surprendre par l’inattendu, l’incerti-
À cela s’ajoute l’idéologie dominante du projet, outil qui for- tude du processus et laisser la place à la créativité nécessaire
mate notre intervention au point que, s’il est mal utilisé, il s’inscrit pour y répondre (par exemple, laisser un budget « non attri-
dans une logique de réussite versus échec. Pour des personnes en
situation de précarité, vivant l’échec de manière quotidienne et
aigüe, il y a un vrai risque à nourrir un peu plus ce sentiment si
le projet ne rencontre pas les objectifs fixés. Ainsi, le danger est
grand d’instrumentaliser les personnes au nom du projet et de
« Le complexe du petit nombre
l’objectif de la participation. de participants devrait être dépassé,
Au départ née des mouvements d’émancipation du monde ou-
vrier, l’Éducation permanente agit aujourd’hui dans un monde où il faut tabler sur la participation. »
les causes de lutte se sont multipliées. Ce qui explique la diversité
et la richesse du secteur socioculturel : ouverture vers des publics
plus larges, élargissement de la notion de précarité, multiplication
des luttes, terrains et outils variés. L’Éducation permanente est à bué », pour créer un projet non prévu initialement dans le plan
la croisée des chemins : entre activation, intégration des publics, d’action) ;
émancipation et pouvoir d’agir1, dans un contexte sociétal où – s’appuyer sur l’intelligence du collectif ;
nous subissons tous et toutes l’injonction à être actif.ve.s, c’est-à- – partir de vécus individuels, prendre conscience de leur dimen-
dire être utiles, productif.ve.s et rentables. sion collective pour en avoir une lecture politique ;
Dans ce foisonnement des luttes, ce qui fait le commun entre – défendre des pratiques professionnelles qui valorisent la
les acteurs et actrices de politiques culturelles, c’est la démarche convivialité et des rapports où l’humain est au cœur de la dé-
au cœur de l’Éducation permanente, que les actions soient recon- marche2 ;
nues dans le cadre d’un décret ou pas. Et les difficultés que le.la – inscrire son action dans le temps long, au contraire des injonc-
travailleur.euse socio-culturel.le rencontre parfois sur le terrain tions actuelles à « faire vite », « être efficace », « productif ».
avec ses partenaires, ses collègues, sa hiérarchie ou ses pouvoirs
subsidiants peuvent être autant de leviers qui permettent de re- Le chantier est vaste, on s’en rend compte, et il peut sembler naïf
vendiquer et d’assumer une philosophie de travail qui porte en de vouloir changer le monde à ce point mais le jeu en vaut la
elle-même une dimension profondément politique. chandelle…
© Reportage &
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A
lors que les pouvoirs publics désignent les associa- Le paradoxe de la « coopération contrainte »
tions comme des « partenaires », ces coopérations
sont souvent vécues comme imposées de l’extérieur et L’intérêt individuel
Un a priori contre la coopération
avec une obligation de résultat. Partant de ce constat, contrarié
Christian Boucq invite à changer de regard sur cette
coopération. Affiner cette connaissance contribue à redonner du
sens et du souffle à la coopération dans les pratiques culturelles. Une logique L’obligation
du provisoire de réussite
En s’appuyant sur une théorie élaborée avec le philosophe Marc
Maesschalck1, il distingue deux paradigmes de coopération : la
coopération contrainte et la coopération durable ou souhai-
tée. Mieux connaitre les éléments des deux paradigmes pourrait La sanction
extérieure
aider à dépasser les postures caractéristiques de la coopération
contrainte, afin de basculer vers une coopération souhaitée
et durable, pour bénéficier des fruits d’une pleine coopération.
L’actuelle profusion d’initiatives citoyennes nous amène à consi- Outre les contraintes institutionnelles, le paradigme de la
dérer aussi bien la coopération entre associations et pouvoirs coopération contrainte se retrouve en chacun.e de nous : nous
publics, entre associations elles-mêmes, qu’entre associations et coopérons en considérant le plus petit dénominateur commun
(collectifs) d’habitant.e.s. entre parties prenantes, avec une logique comptable du type «
Avec une vision de l’action culturelle comme une forme d’ac- Je dois en retirer plus que ce que j’y mets ». Par exemple, chaque
tion collective, dans laquelle peuvent être vécus des processus de partenaire énonce sa spécialité dans une recherche de com-
coopération transformateurs apportant des « suppléments » plutôt plémentarité. Il.elle coopère en restant dans son cadre d’action
que des « compléments » ; processus qui fédèrent les énergies, prédéfini individuellement, où les risques et les effets sont mai-
ressources et financements, sous certaines conditions, comme la trisés. Enfin, les acteur.rice.s s’impliquent à condition que les
pertinence sociale, la durée du travail, mais aussi l’attitude des autres prennent autant de risques qu’eux.elles, avec l’idéal d’une
acteur.rice.s de la coopération, leur désir d’instaurer une relation coopération win-win, dans laquelle chacun.e compléterait les
de confiance. compétences/ressources lacunaires dans leur plan d’action res-
pectif. Le milieu associatif ressent très souvent la peur de « se
La coopération contrainte et ses paradoxes faire piquer ses idées » ou « son public », ce qui produit para‑
Visant la réduction de dépenses publiques, la rentabilité et la mise doxalement une implication minimale dans la collaboration.
en concurrence généralisée, le contexte néolibéral favorise ce pa-
radigme en créant des financements publics limités. Le paradigme La coopération durable ou souhaitée et
de coopération contrainte ne résulte pas d’un choix concerté ses exigences
entre acteur.rice.s mais d’une injonction institutionnelle. Le décret À côté des coopérations contraintes, existent des formes de coo-
Centres culturels notamment conditionne les financements à une pération dans lesquelles le calcul cout/avantage ne semble pas
coopération avec de nombreux.ses autres acteur.rice.s. Il s’inscrit prévaloir. L’hébergement des sans-papiers par des citoyen.ne.s, ou
en général dans un contexte de continuité des actions en cours les ateliers vélo gratuits gérés bénévolement sont des formes de
et entraine une obligation de réussite, qui n’invite pas à l’action solidarité réelles et non de principe. Ainsi, l’action ne nait pas
collective : la coopération est alors un risque et est envisagée à toujours d’un plus petit commun dénominateur identifié, ni d’un
titre provisoire, avec l’idée de pouvoir changer de partenaire si incitant à la coopération aussi puissant que le financement, mais
elle ne fonctionne pas. Plus les partenaires sont nombreux, plus aussi d’acteur.rice.s prêt.e.s à agir qui mettent en commun du
la coopération est considérée comme un empilement de risques. temps et des ressources pour des fins communes. Ces finalités
Dans ce cadre, les prétentions d’action collective se réduisent à non-marchandes pertinentes socialement ne sont jusqu’alors
une action relativement minimale. pas prises en compte par l’action publique, voire associative. Les
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travailleur.euse.s représentant.e.s des institutions dans ces mêmes rices. La rencontre avec les habitant.e.s est plus importante que
collectifs (difficulté d’y agir). l’échec. Si, par la suite d’autres projets naissent avec certain.e.s, «
Pour les coordinateur.rice.s d’asbl, l’emploi reste un nœud, alors c’est gagné ».
amenant des réalités autres que celles du bénévolat et des besoins C. Boucq attire aussi l’attention sur la capacité des collec-
d’une cause citoyenne, qui renforcerait le paradigme de coopéra- tifs à revendiquer et sur celle des politiques à être interpellé.e.s.
tion contrainte. L’exemple de certains collectifs qui se vident suite Lorsque la coopération murit, le collectif devient un interlocuteur
à l’obligation d’avoir des coordinateur.rice.s montre les effets né- valable auprès des pouvoirs publics, auprès de qui tout devient
gatifs de cette coopération. Certain.e.s sont notamment confron- négocié et négociable –jusqu’à se dire parfois « on fait sans sub-
té.e.s à la difficulté d’instituer une identité collective indépen- sides ! », comme à la Bergerie des 100 noms (ZAD de Notre-Dame
damment des porteur.euse.s de projet ; d’autres à la starification des Landes, France), projet agricole collectif qui s’oppose explici-
des animateur.rice.s dans les maisons de jeunes. tement à la politique publique menée (construction d’un aéroport
Se pose ainsi la question plus globale des cadres administratif. et obligation d’identifier individuellement un porteur de projet).
ve.s vis-à-vis de l’action associative : il est donc nécessaire d’être L’emploi, la pérennité de l’action associative et l’équilibre
toujours vigilant aux désirs citoyens, à ne pas réduire l’iden- dans les relations avec les pouvoirs publics sont à considérer
tité et champ d’action aux dispositifs publics-financés. Une sur un temps long, dans une perspective de coopération conflic-
attention aux modes d’action mixtes bénévoles/salarié.e.s et une tuelle, de mouvement social et de commun ; en se demandant
place pour l’auto-évaluation doivent être prévues. La tendance éventuellement « Comment les acteurs publics peuvent participer
à cacher la tension professionnel.le/bénévole dans les projets est à notre action ? » – plutôt que de chercher le dispositif de finance-
souvent problématique. Pour cet aspect, il s’agit de nommer le ment adéquat pour se lancer. Au bout d’un an d’existence, l’atelier
cadre professionnel.le/subsidié, de le considérer collectivement vélo-cité a notamment reçu des financements pour les outils.
comme des paramètres, des éventuels antagonismes à prendre en
1. Marc MAESSCHALCK, « L’impératif de coopération au travail : utopie ou réalité
compte dans la gestion des conflits. Pour C. Boucq, les bénévoles qui nous lie ? ». Conférence au Printemps de l’éthique : Un travail qui nous
sont bien conscients du supplément lié au.à la salarié.e. Il est relie : utopie ou réalité ?, Libramont 4 mai 2018, Weyrich, 2018.
important de ne pas se positionner comme interface avec les 2. www.consoglobe.com/givebox-boite-don-cg
pouvoirs publics. Dans le cas d’un échec d’un projet, imputable 3. Majo HANSOTTE, Les intelligences citoyennes, Comment se prend et s’invente
la parole collective, De Boeck, 2005 ; Sophie WIEDEMANN, Les outils d’in-
à la commune, comment rebondir avec les habitant.e.s mobili- telligence collective pour une démocratie augmentée, Bruxelles, CIEP, 2018
sé.e.s ? Un risque est de se positionner comme interface d’où, sou- (www.ciep.be)
vent, la méfiance de la part des habitant.e.s envers les animateur. 4. M. MAESSCHALCK, op.cit.
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d’« inégalité numérique » plutôt que de fracture numérique. puisque le lecteur devait tenir l’objet écrit à deux mains et elle in-
L’inégalité se situe à trois niveaux : l’avoir (disposer de tech- terdisait d’écrire durant la lecture. (…) Le lecteur peut feuilleter le
nologies) ; le savoir (disposer de compétences) ; et le pouvoir livre (…) et il lui est possible d’écrire en lisant ».
(tirer profit de leurs usages). Non neutres, les technologies imposent des contraintes de
- Exploitation : Fans, blogueur.euse.s, contributeur.rice.s à des maniement et exercent une forme de pouvoir sur nos conduites.
sites collectifs, invité.e.s de téléréalités, …. sont une main- Les concepteur.rice.s anticipent leur usage au départ d’objectifs et
d’œuvre non rémunérée « qui relèvent du “playbor ”, mélange de valeurs, en partant de scénarii. Néanmoins, les NTICs se carac-
indissociable de plaisir ludique (play) et de travail productif (la- térisent par une flexibilité interprétative. Selon Andrew Feenberg,
bor), faisant d’Internet un mixte instable et déroutant de terrain même si la manière dont fonctionne une technologie est prédé-
de jeu et d’usine ». On parle de « capitalisme parasitaire », de terminé par un script, les fonctions techniques ne sont pas tota-
« travail gratuit », de « prosumer3». lement prédéterminées : elles sont découvertes « au cours de leur
- Destruction de l’attention et du savoir : Pour Cédric Biagini, développement et de leur utilisation ».
les NTICs modifient notre rapport au livre et à la lecture, « pra-
tique au cœur de notre culture qui permet d’apprendre, de s’ins- Pistes de réflexion pour une culture numérique critique :
truire, de s’élever, de se construire ». Fondement de nos civilisa- – Prendre conscience qu’un objet technique n’est jamais neutre,
tions modernes et démocratiques, le livre favorise l’attention qu’il prédétermine nos capacités d’actions et est soumis à « in-
et la concentration. Selon Nicholas Carr, il est, actuellement, terprétation » par une multitude d’acteur.rice.s.
supplanté par l’internet qui nous distrait et change notre fa- – Travailler et échanger avec des ingénieur.e.s et/ou des déve-
çon de penser et de mobiliser notre mémoire. Les NTICs « dé- loppeur.euse.s d’objets techniques.
truisent notre attention et nos capacités de concentration. Elles – Prendre conscience des questions posées dans le design de
fabriquent des individus éclatés, dispersés, perpétuellement l’objet.
agités, en quête de sensations fortes, incapables de se fixer, de – Ouvrir concrètement la « boite noire » des objets techniques.
contempler, de se plonger dans un état d’abandon esthétique ». Expériences réalisées ou observées par les participant.e.s :
– Travail sur les représentations, conférences-débats sur les
stratégies mises en œuvre, les leviers et les pistes d’actions
citoyennes : obsolescence programmée et Gsm, Facebook,
« La contrainte du trop peu Twitter, logiciel spécifique, comme un logiciel comptable ina-
de tout développe des habitudes dapté à la réalité comptable en Asbl, …
– Analyse critique d’objets technologiques lors de workshops or-
qui éteignent les perspectives et ganisés dans un FabLab avec designers, programmateur.rice.s.
Activités de sensibilisation sur les techniques et enjeux au-
les rêves. » tour de la fabrication numérique, du Do It Yourself et de l’open
source des objets.
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Expériences réalisées ou observées par les participant.e.s : Expériences réalisées ou observées par les participant.e.s :
– Fablab : ateliers de fabrication numérique où se crée une – Mise en place d’un groupe de travail « PUNCH : pour un nu-
communauté d’entraides, d’échanges de savoir-faire et de mérique critique et humain » avec diverses asbl du secteur.
construction collective. – Création d’un espace pour une meilleure prise de recul.
– Utilisations de NTICs pour faciliter l’organisation de sondages – Organisation de cycle de conférences, formations, sur le nu-
et d’échanges internationaux, le partage d’information sur des mérique, pour une appropriation des problématiques liées à
évènements/actions au sein du collectif MJ, la mutualisation l’environnement numérique et une meilleure prise de recul.
des ressources.
5. Faire des technologies un moyen de partager
3. Prendre en compte la temporalité le « pouvoir en commun »
de l’apprentissage et de l’action Un des éléments essentiels de la formation en éducation perma-
Face à la surabondance d’informations, les sites web cherchent à nente est de remettre en jeu la répartition du pouvoir entre les
solliciter, capturer et canaliser notre attention. Cette temporalité formateur.rice.s et les apprenant.e.s. Il faut donc être conscient
peut être mise en tension avec celle nécessaire à l’apprentissage. de l’influence possible de certaines technologies dans l’exercice
Pour Philippe Meirieu, « l’école doit se saisir du numérique, travailler du pouvoir au niveau du groupe qui les utilise. Michel Puech
sur ses usages ; elle doit s’instituer à leur égard comme espace de dé- distingue deux « cultures techniques » du numérique :
célération sans lequel le nouvel ordre informatique ne laissera guère – Une culture fermée, de type command and control : usage
de place pour le tâtonnement proprement humain de la pensée ». limité mais sécurisé ; l’utilisateur.rice ne peut faire que ce
qui est prévu et autorisé par le.la concepteur.rice.
Pistes de réflexion pour une culture numérique critique : – Une culture ouverte : innovation collaborative et fonction-
– Veiller à rendre possible une temporalité longue de l’apprentis- nement démocratique mais vulnérabilité et enjeux d’intero-
sage. pérabilité.
– Éviter que la temporalité du milieu technologique ambiant ne
s’impose au processus d’apprentissage.
Expériences réalisées ou observées par les participant.e.s :
interpellation du personnel enseignant sur l’usage de tablettes
« Nous devons nous dégager
au sein de l’école et leur nuisance sur l’apprentissage de certains de nos représentations
enfants.
de la précarité. »
4. Distinguer les formes de savoirs et connaitre
leurs limites/apports
Cédric Biagini dénonce la pauvreté des big data qui produi- Pistes de réflexion pour une culture numérique critique :
raient un savoir sans hypothèses, les corrélations nous permet- – Veiller à ce que les technologies utilisées servent bien l’idéal
tant d’agir directement sur les phénomènes, sans avoir à en d’un pouvoir partagé du processus de formation.
comprendre les causes. « L’Intelligence des machines, celle qui – Garder une forme de vigilance par rapport aux nouvelles
compte et calcule, risque de triompher de celle des humains, formes d’exclusion.
celle qui raconte, ressent, argumente, dialogue, ironise ». – Protéger les formes de savoirs produits de leur captation par
des tiers.
Pistes de réflexion pour une culture numérique critique : Expériences réalisées ou observées par les participant.e.s :
– Pluraliser les formes de savoir. création d’un collectif à Tournai « Les jeunes donnent de la voix »
– Penser l’articulation entre tous les types de savoirs. sur Facebook. Objectifs : demander leur avis aux jeunes, stimuler
– Reconnaitre leurs intérêts, apports et limites. les échanges d’idées et d’opinion, construire ensemble des pro-
positions concrètes et les communiquer aux responsables poli-
tiques. Résultats obtenus : murs d’expression, salle de concert,
skatepark, reconnaissance au niveau des représentant.e.s poli-
tiques et culturel.le.s…
1. Cet article est inspiré de l’intervention d’Alain Loute, de son article « Quelle
place pour le numérique dans nos pratiques de formation émancipatrice ? Pistes
de réflexion pour une démarche d’éducation permanente » (En ligne www.ac-
ademia.edu/36050250/Quelle_place_pour_le_numérique_dans_nos_pratiques_
de_formation_émancipatrice_Pistes_de_réflexion_pour_une_démarche_d_édu-
cation_permanente) et des échanges de l’atelier.
2. NTICs : Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication.
3. Prosumer : tendances des consommateur.rice.s à se professionnaliser et s’ap-
© Reportage & procher du profil de producteur.rice.
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« Une non-gestion de la
migratoire en Europe » migration sur le plan national »
Lorsqu’on aborde le traitement des mi-
L
grant.e.s sur notre sol, Claude Rolin se
e 1er juin dernier, les parti- Parmi les nombreuses thématiques montre lui aussi sans langue de bois : « Il
cipant.e.s de la formation abordées durant les deux heures d’entre- n’y a pas de politique de non-accueil des
InterMouvement organisée par tien, on en retrouve un certain nombre migrant.e.s. Il n’y a pas de politique du
le CIEP pour les nouveaux.elles qui fâchent, voire qui fâchent beaucoup : tout ! ». Le principe de l’Europe est ce-
travailleurs et travailleuses du la tentation de sortir de l’Union euro- lui-ci : l’UE est un territoire unifié, avec
MOC, ont pris part à un débat avec trois péenne (UE) chez les partis de gauche, une libre circulation des capitaux, des
député.e.s européen.ne.s. L’entrevue s’est le plan d’austérité imposé à la Grèce, entreprises, et surtout des citoyen.ne.s. Si
déroulée au Parlement Européen. ou encore l’influence des lobbys sur les ce principe est noté noir sur blanc dans
« Je vais rappeler les consignes avant décisions politiques européennes. L’une les conventions, il est loin d’être appliqué
de commencer le combat… Le débat ! ». d’entre elles a tout particulièrement re- dans la réalité, au vue des nombreuses
Voilà comment, au lendemain du Doudou tenu l’attention et a déclenché une plus frontières qui se ferment et des milliers
montois, Adrien, l’animateur du débat, longue réflexion: la crise migratoire et de migrant.e.s souvent malmené.e.s. « On
débute cette interview avec humour. les conditions dans lesquelles sont ‘ac- reste avec une gestion, et bien souvent
Autour des animateurs et animatrices cueilli.e.s’ les milliers de migrant.e.s qui une non-gestion, de la migration sur le
en Éducation permanente, des noms arrivent sur le sol européen. plan national », avec de multiples réper-
bien connus de la scène politique inter- cussions peu réjouissantes : des conflits
nationale : Marie Arena, membre entre « Les continents hors-Europe politiques internes à l’Europe, des mi-
autres des Commissions internationale et sont plus confrontés grant.e.s qui se noient par centaines de
des droits des femmes et de l’égalité des à la migration interne » milliers…Et aussi la montée du popu-
genres ; Claude Rolin, Vice-Président de Les propos de Marie Arena sont sans ap- lisme. C’est notamment le cas en Italie,
la Commission de l’emploi et des affaires pel : « Il n’y a pas de crise migratoire où Matteo Salvini, ministre de l’Inté-
sociales ; et Philippe Lamberts, membre aujourd’hui en Europe ». En effet, il suffit rieur, est issu de l’extrême droite. Claude
de la Commission des affaires écono- de se rappeler les deux guerres mondiales Rolin regrette cette méconnaissance de
miques et monétaires, ainsi que son col- pour en conclure que le continent euro- la question de la migration, qui « donne
laborateur Olivier Derruine. péen a connu des moments beaucoup un champ incroyable aux formations po-
plus impressionnants en termes de flux pulistes d’extrême droite pour développer
de population. « Parce qu’on a des mé- leur volonté de refus complet ».
dias qui font leur Une sur la migration, Autre enjeu vital pour les États
ça remet la question migratoire à l’ordre membres : le vieillissement général des
du jour. Mais nous ne sommes pas au pic populations. Les pays de l’UE où les popu-
de la migration, pas du tout ». lations sont les plus vieillissantes sont la
Toujours selon la députée, la situation Grèce, le Portugal et l’Espagne. Alors que
serait plus critique hors-Europe, comme les migrant.e.s qualifié.e.s pourraient en-
par exemple en Colombie et en Afrique. trer légalement et travailler pour contrer
La première accueille plus de deux mil- ce problème démographique, l’Europe
lions de personnes venant du Venezuela, ne semble pas l’entendre de cette oreille,
pour 40 millions d’habitant.e.s au to- au grand désespoir du député : « La po-
tal. « On est loin de ce qui se passe en pulation jeune et bien formée est partie
Europe ! Les continents hors-européens à l’extérieur, essentiellement aux États-
sont bien plus confrontés à la migration Unis et au Canada. Restent dans ces pays
interne ». Au Kenya, 500 000 migrant.e.s les vieux et les non-qualifiés. C’est une
africain.e.s attendent que les autorités bombe en termes de capacité à supporter
décident de leur sort. « Nous ne sommes le vieillissement de la population. (…) Si
pas capables d’entendre que nous pou- nous n’avons pas d’entrée de nouvelles
vons accueillir des réfugié.e.s alors que personnes, nous allons nous casser la fi-
© Reportage &
nous sommes 500 millions. C’est un dis- gure ».
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Règlement de Dublin III, épine résultat catastrophique des élections ita- pour les pays qui ne respectent pas les
dans le pied des pros‑accueil liennes ». quotas de répartition imposés par l’UE.
Le Règlement de Dublin III constitue En matière d’immigration, la Belgique Pour rappel, la Belgique aujourd’hui en-
l’actuel outil politique en termes d’im- n’est pas une bonne élève pour la membre core ne respecte pas les quotas qu’elle a
migration pour l’UE. Autrefois appelé de la Commission internationale. Selon signés : « Nous pouvons entendre qu’une
Convention de Dublin, ce texte norma- elle, le Règlement de Dublin III sert d’ali- politique nationale ne soit pas d’accord
tif entré en vigueur le 1er janvier 2014, bi au gouvernement trop inactif à son d’accueillir, mais alors qu’elle contribue
est consacré au règlement juridique du gout : « Dublin III lui permet de faire à un fonds qui permet à d’autres pays de
droit d’asile en vertu de la Convention de ce qu’il fait aujourd’hui avec les mi- faire le travail ».
Genève dans l’UE. Il est destiné aux étran- grant.e.s, c’est-à-dire ne pas assumer
gers et étrangères qui formulent une de- leurs responsabilités ». Elle déplore aus- L’Afrique, la prochaine à venir
mande d’asile pour un pays mais qui sont si la fermeture des centres ou leur très en Europe
interpellé.e.s dans un autre. S’il institue un faible taux de remplissage, alors que bon En juin 2016, l’UE signait des accords
principe simple en théorie, le Règlement nombre de migrant.e.s dorment dans la de partenariat économique avec les pays
de Dublin III entraine de multiples difficul- rue ou sont accueilli.e.s par des citoyens de la communauté de développement
tés dans la pratique, puisque le pays dans et citoyennes bienveillant.e.s. d’Afrique australe (SADC). L’Afrique
lequel a été formulée la demande d’asile du Sud, le Botswana, le Lesotho, le
est celui qui est chargé de son instruction Quelles hypothèses Mozambique, la Namibie et le Swaziland
et de la décision finale. Autrement dit, si de solution ? s’alliaient donc commercialement avec
un.e réfugié.e arrive en Europe par l’Ita- Pour Claude Rolin, il faut instaurer une l’Europe. Aubaine pour ces pays afri-
lie et arrive à atteindre la Belgique pour nouvelle politique de migration basée cains en voie de développement, ces ac-
formuler une demande d’asile, il.elle sera sur deux réalités. Premièrement, les ré- cords existent au détriment des paysan.
renvoyé.e en Italie pour le traitement de sa fugié.e.s qui quittent leur pays pour sau- ne.s qui se voient retirer leurs terres pour
requête. Un retour à la case départ radical ver leur vie. Deuxièmement, la migration faire croitre l’agro-business, se retrou-
décrié d’une même voix par Marie Arena économique, c’est-à-dire le flux de mi- vant sans terrain pour se nourrir. Une
et Claude Rolin : « Ce système n’est pas grant.e.s qui quittent leur pays car il n’y a migration africaine de masse serait en
tenable » déclare la première. « Cela génère plus d’emploi. En effet, « il y a des règles marche pour Marie Arena : « Nous avons
des tensions à l’intérieur des pays entrants à mettre en place. Des politiques à mener une responsabilité dans ce qu’il se passe
et des faits d’irrégularité ». « C’est une folie qui se doivent de construire des chemins là-bas, et ne vous étonnez pas si demain
totale » surenchérit le second. « En partie, pour ces personnes ». Marie Arena pense des gens qui crèvent de faim tentent de
ce règlement est un grand responsable du davantage à des sanctions financières survivre ».
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L’ESPERLUETTE I N°97 I 2018
création d’histoires digitales. Cet atelier tée surtout, lorsque l’on se rapproche de chaque région du monde. C’est pour-
s’est déroulé dans la région de Guédé, leur village, par des charrettes tirées par quoi nous avons poursuivi la réflexion
une région où l’agriculture à l’échelle des ânes et non éclairées lorsque la nuit en animant un atelier avec des femmes
familiale se confronte à l’agro-industrie tombe, tôt. agricultrices de la région de Rochefort.
et où la concurrence pour la terre est Les histoires digitales font maintenant Avec elles, nous découvrons la réali-
une réalité, aussi bien pour les produits le tour des villages, portées par leurs té du travail agricole pratiqué par des
alimentaires que pour les produits non ambassadrices qui ont resserré les liens femmes qui questionnent au quotidien
consommables comme les agro-carbu- entre elles. Les hommes sont fiers de ce métier confronté à de multiples dé-
rants. leurs femmes, les enfants admirent leurs fis. Qu’il s’agisse de la concurrence de
Khady, Mariata, Fama, Ramata, mamans qui ont plongé, avec détermina- l’industrie agroalimentaire ou de la sen-
Fatimata, Aminata, Dieynaba, Binta… tion, dans l’apprentissage des nouvelles sibilisation des consommateur.rice.s à
ont réalisé chacune une histoire les met- technologies en poursuivant l’objectif l’agroécologie.
tant en scène à travers sept angles (sept : de sensibiliser leur communauté et bien C’est à Ciergnon, dans la ferme ex-
un chiffre sacré dans différentes cultures) au-delà, portant ainsi haut leur voix ploitée par Valérie et Bernard, que cette
d’approche issus d’une recherche- pour mettre en lumière des enjeux d’au- dynamique d’atelier de création d’his-
action croisée entre femmes agricul- jourd’hui. Ceux-ci touchent à l’avenir de toires digitales a été lancée avec cinq
trices du Sénégal, de Bolivie, du Pérou l’agriculture et plus largement de la pla- femmes, toutes actives dans une exploi-
et de la République démocratique du nète mais aussi à leur condition dans des tation agricole de la région. S’il n’est pas
Congo. Symbole de l’approche globale de toujours simple pour elles de dégager du
l’agroécologie, ces axes sont placés dans temps au projet, nous nous réjouissons
un mandala, dessin de type arabesques néanmoins de leur volonté de partager
arabo-musulmanes. On y retrouve le leur expérience. La seconde séance a été
libre accès aux ressources, la co-respon- consacrée à une large réflexion autour
sabilité, le travail digne, la destination du mandala à sept branches.
de la production, les savoirs locaux et Ce qui différencie les pratiques en
techniques, la sécurité… Les participantes Occident, c’est, entre autres, l’usage des
ont parlé de leur métier dans une vision nouvelles technologies même si celles-
globale de la vie, entremêlant travail ci gagnent aujourd’hui du terrain en
agricole à travers une production bio- Afrique. Les agricultrices rencontrées
logique, soins domestiques aux enfants font le constat que les nouvelles tech-
et à la famille. À partir de leurs réalités nologies peuvent aider mais aussi les
locales, elles nous proposent une nou- mettre en difficulté, les entrainant dans
velle manière de questionner les rapports des investissements qui obligent à pro-
de pouvoir et surtout les responsabilités duire davantage pour rembourser ceux-
sociales et familiales des hommes et des ci. Elles s’interrogent sur le choix le
femmes. Elles nous parlent aussi de leurs pays où le patriarcat fait loi, où les inéga- plus judicieux : quelle place donner à la
difficultés, des violences que certaines lités sociales sont vertigineuses, où l’eau mécanisation dans leur travail d’agricul-
ont subies mais aussi de l’évolution des manque, où le réchauffement climatique ture ? Une question à laquelle chacune
relations entre les femmes et les hommes. fait déjà sentir ses conséquences. apporte son éclairage, fruit de sa propre
En travaillant ensemble, en développant expérience. Cette volonté de partager les
leurs connaissances en matière agricole, Et plus près de nous ? savoirs est réellement au cœur du quo-
elles se renforcent mutuellement et amé- Il nous a paru important d’apporter la tidien de ces agricultrices qui ont régu-
liorent leur estime de soi. méthodologie des histoires digitales, lièrement l’occasion de se rencontrer sur
dans cette partie du monde, en inscri- les marchés locaux ou lors d’activités
Le documentaire vant cette dynamique autour de l’agroé- telles que « À travers champs », le festival
À partir des dix histoires digitales cologie, qui rencontre deux théma- du film sur la ruralité qui a lieu tous les
créées, un documentaire a été réalisé tiques d’action des Équipes populaires deux ans à Rochefort.
pour retracer l’itinéraire de celui-ci. On (« Modèle de société, modèle de déve-
y découvre leurs témoignages en mots loppement » et « Questions de consom- Redonner confiance
et en images. Les photos ont été prises mation »). Développer une réflexion au ressenti, aux savoirs et
par elles-mêmes dans leur village. Elles touchant à celles-ci, dans une époque à ses compétences
nous montrent un mode de vie dans cet où tout est interconnecté, entre le Sud À propos des moyens de production - une
endroit du monde relié à Dakkar par et le Nord, nous a semblé apte à renfor- des branches du mandala -, le groupe
une seule route à deux bandes fréquen- cer les points de vue développés dans constate que le risque est grand d’être pris
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dans une spirale infernale lorsque l’on de l’eau sans chlore et à l’achat de petit
acquiert des machines agricoles néces- matériel. Il est plus facile d’obtenir des
sitant d’accroitre les revenus de manière prêts pour des montants élevés que pour
à investir dans ce matériel. Les femmes de petits montants. Il faut avoir « fait ses
se demandent : comment se passer des preuves », difficile alors de se lancer.
machines ? Faut-il cultiver moins, avoir
moins de bêtes et donc, investir moins de Une philosophie
manière à réduire les remboursements ? Les agricultrices glissent dans leur vision
Envisager de réduire la production a de leur métier, un réel souci de respect de
pour préalable d’avoir remboursé ses in- la nature, la volonté d’être en phase avec
vestissements. L’incertitude inhérente à le rythme des saisons. Elles savourent à
l’activité agricole ajoute également à la travers les tâches parfois lourdes du quo-
difficulté de choisir cette option. tidien, le fait de travailler à l’extérieur,
Les agricultrices explorent égale- © Reportage & de sentir le temps qu’il fait et de ressen-
ment la notion de co-responsabilité. Au tir au plus profond chaque saison. Elles
Sénégal comme en Wallonie, il n’est pas fait que ses parents avaient résolu cette pointent aussi leur rôle en tant que pro-
simple de trouver un équilibre entre les question : chacun.e possédait son étable. ductrices vis-à-vis des consommateur.
énergies complémentaires de la femme et Lorsqu’on a l’obligation de travailler en- rice.s. Elles veulent informer et mettent
de l’homme. Il semble qu’en Belgique aus- semble, il est essentiel de se répartir les toute leur énergie à proposer des produits
si, les femmes en agriculture soient sou- tâches de manière à éviter les conflits. de qualité. Lié à des cycles naturels, entre
vent perçues comme ‘aidantes’. Le métier Néanmoins, on ne peut éviter les dis- la semence, le légume qui pousse, la vente
est encore considéré comme un métier cussions pour aboutir à des compromis. à l’étal, le travail de la terre procède par
d’homme. On imagine rarement que des Certaines ont recours à la pratique de la étapes ; c’est un travail de patience, un
femmes assurent la gestion d’une exploi- communication non violente. processus lent. Donner une plus grande
tation. Si certaines choses semblent aller Nous abordons aussi la problématique visibilité à cette réalité bousculée par les
de soi, d’autres, lorsqu’elles répondent de l’accès à la terre, de plus en plus dif- logiques actuelles de « toujours plus »,
à une sorte d’ordre établi, sont source ficile. Pour répondre à cela, l’association est essentiel. C’est l’un des objectifs que
de conflits lorsqu’elles sont remises en Terres en vue2 a mis sur pied un système nous poursuivons en menant ce projet.
question… Une participante évoque le de coopérative. Difficulté aussi d’accès à Les témoignages de ces femmes éclairent
sur la manière d’envisager l’agriculture
L
’introduction dans les années ’80 de bail spécifique, sans que ce dernier femmes soucieuses de soigner la terre
des statuts d’ « isolé », « coha- ne résout le problème de l’existence pour la rendre plus généreuse.
bitant » et « chef de ménage », de différents statuts dans la protection Lorsque l’automne allègera le travail
permet de contrôler les situations per- sociale. La question de l’individualisa- des champs, l’atelier de création d’his-
sonnelles, en enquêtant de manière de tion des droits est au cœur de ce débat. toires digitales se poursuivra avec ces
plus en plus intrusive et vexatoire. Or, Derrière un acte administratif ano- agricultrices. Nous sommes conscientes
l’évolution des parcours familiaux et din, la composition de ménage met au que, grignotant sur leur emploi du temps
des formes d’habitat font que la com- jour des questions importantes dans « plus que plein », elles nous font un ca-
position de ménage n’est plus un ré- l’accès aux droits pour un nombre deau précieux, nous invitant à reconsi-
férent suffisamment pertinent pour croissant de personnes, qui seront dérer ce métier trop malmené, souvent
conditionner les droits sociaux. Un abordées dans cette journée d’étude dénaturé, pour découvrir combien leur
problème d’identification correcte se des Équipes Populaires. vision le porte vers le meilleur.
pose autour de « qui habite avec qui » 1. Pour en savoir plus : www.mondefemmes.org et
www.endapronat.org
et aussi une question de justice dans le 2. www.terre-en-vue.be
calcul des montants octroyés. Date : 25 octobre de 13h30 à 17h
Compétentes pour le bail de rési- Lieu : Arsenal à Namur (rue Bruno, 11)
Pour visionner le documentaire réalisé
dence principale, les Régions wallonne Infos et inscriptions : Équipes
au Sénégal : Page facebook : comm’une
Populaires Tél. : 081/73 40 86
et bruxelloise reconnaissent la pratique histoire, atelier de création d’histoires
Mail : secretariat@equipespopulaires.be
de la colocation en créant un contrat digitales : www.histoires-digitales.be
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F
évrier 2018, une descente de ganisations. Écriture blanche sur fond Cette campagne se veut continuelle,
police a lieu à l’association noir, elle scande le message « ESPACE parce que les rafles et la répression conti-
artistique bruxelloise Globe SOLIDAIRE » comme bastion de résis- nuent… Les drames se multiplient chez
Aroma pour vérification ad- tance à une politique d’accueil – ou plu- nous et aux frontières de l’Europe… Le
ministrative… S’ensuit l’arres- tôt de non-accueil – indigne, qui flirte ton d’une politique inhumaine n’a de
tation de sept sans-papiers parmi lesquels continuellement avec la légalité en ba- cesse de se durcir…. À l’heure où nous
Mounir, militant syndical et Jiyed, artiste fouant un peu plus chaque jour les droits rédigeons ces lignes, l’arrêté royal2 dé-
peintre, qui passeront près de quatre mois humains fondamentaux. Résistance si- taillant le fonctionnement des nouvelles
en détention au centre fermé 127bis… Un lencieuse qui fleurit aux quatre coins unités de détention pour les familles au
pas de plus est franchi dans la criminalisa- des rues, pour proclamer que : centre fermé 127 bis est publié, faisant
tion, la stigmatisation et la discrimination - Les espaces associatifs sont des es- ainsi sauter le dernier rempart à la priva-
des sans-papiers. paces solidaires. Faire société, c’est tion de liberté des familles avec enfants
À l’initiative du front commun syn- assurer que chacun.e puisse trouver, en séjour irrégulier. C’est un jour funeste
dical CSC-FGTB / ACV-ABVV, du MOC, dans chaque organisation, protection, pour les droits de l’enfant et les droits
du CEPAG, du CIRÉ, de Globe Aroma, soutien, dignité, sens, aide, écoute… humains… La résistance doit plus que ja-
de la Coordination des sans-papiers et Sans la confiance du public, impos- mais continuer et essaimer pour que de
de la Plateforme de concertation autour sible d’exercer ces missions ; plus en plus d’organisations et d’asso-
du combat des sans-papiers, le secteur - Les associations et organisations re- ciations se mobilisent pour consacrer la
associatif s’engage dans la campagne fusent que des contrôles d’identité dignité humaine comme principe incon-
« ESPACE SOLIDAIRE. Ici nous n’admet- arbitraires des publics bénéficiaires tournable en affichant sur leur façade le
tons pas les rafles. Stop à la répression se déroulent dans leurs locaux, et par calicot « ESPACE SOLIDAIRE».
des sans-papiers »1. Il s’agit de refuser là même refusent d’être instrumenta-
1. Pour en savoir plus : www.cire.be
la criminalisation des sans-papiers qui lisées à des fins de répressions ;
2. Arrêté royal modifiant l’arrêté royal du 2 aout 2002
passe par une politique où dissuasions, - Les immeubles qui abritent les as- fixant le régime et les règles de fonctionnement
restrictions, enfermements et expulsions sociations et organisations sont des applicables aux lieux situés sur le territoire belge,
sont les seules réponses, là où il convien- lieux de résistance face à la ré- gérés par l’Office des Étrangers, où un étranger est
détenu, mis à la disposition du gouvernement ou
drait de parer à l’urgence humanitaire en pression qui s’abat chaque jour un maintenu, en application des dispositions citées
respectant les droits liés à l’asile. peu plus sur les sans-papiers, et qui dans l’article 74/8, § 1er, de la loi du 15 décembre
1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établis-
À ce jour, une centaine de bannières s’ajoute aux difficultés liées à la clan- sement et l’éloignement des étrangers publié le
flottent sur les façades de différentes or- destinité et à la surexploitation. 1er aout 2018.
L
es arrestations d’un militant nos associations ? Sur le territoire de sans-papiers sur la région du Centre et
syndical et d’un artiste au sein notre commune ? Comment l’empêcher? de Mons-Borinage en se raccrochant
même d’une association artistique Comment agir face à cette criminali- à la campagne « ESPACE SOLIDAIRE »
bruxelloise a constitué un électrochoc au sation grandissante des sans-papiers ? lancée par le CIRÉ.
sein du monde associatif. Les questions Au-delà de l’émotion, le CIEP Hainaut- À Mons, la campagne prend son élan
ont alors fusé, les craintes surgissent : Centre décide d’agir et de se mobili- au sein du réseau Initiative pour les
cela peut-il se passer chez nous ? Dans ser pour rendre visible le combat des Droits des Étrangers (IDÉ). Depuis près de
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tion de l’espace « Culture commune », pas peur aux élus loossois, comme en
une association intercommunale de dé- témoignera Monsieur Essono, qui reçoit
veloppement artistique et culturel, de- de nombreux coups de pouce de la ville
venue depuis lors Scène nationale du pour mettre en œuvre son projet de fa-
Bassin minier du Pas-de-Calais. brication de pellets à base de marc de
Ensuite, nous avons visité le CD2E, café. Comme pour les autres réalisations
un espace d’exposition des matériaux municipales, c’est une vision globale
pour bâtir durablement, et la maison qui est promue puisque ces pellets ser-
Réhafutur où on les expérimente. À ces viront à valoriser les « déchets » des éta-
deux espaces a été rajouté un centre de blissements Horeca de la région, qu’ils
formation à l’éco-construction. Ain- créeront des emplois faiblement quali-
si, on voit à quel point, à Loos, s’est fiés et qu’ils seront vendus uniquement
développée une vision holistique des dans les épiceries sociales de la région.
choses ; cette approche est résolument Écologique, économique et social… le
différente du système d’appels à pro- compte y est. © Reportage &
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Dernière halte
dans une brasserie belge
Lancée un peu par hasard il y a quelques
années par quatre amis, la Brasserie de la
Lesse insère dans son fonctionnement des
préoccupations répondant aux défis ac-
D u 16 novembre au 16 décembre, le
CIEP-MOC Luxembourg accueille
le musée du Capitalisme à Arlon. Cette
sée, ouvert à tous publics dès 15 ans, est
un espace privilégié de débats et de ré-
flexions. L’exposition est engagée, mais
tuels : l’énergie dégagée par la production exposition itinérante, innovante et in- non partisane. Elle est un outil au ser-
(principalement de la chaleur) est réuti- teractive est centrée sur notre système vice de la citoyenneté active.
lisée au maximum, aucun produit n’est économique et culturel. Elle offre un es- En plus d’organiser des visites guidées
vendu via la grande distribution et, mal- pace original d’apprentissage sur notre pour tous les groupes qui le souhaitent
gré les sollicitations appuyées de zytholo- société, à travers quatre salles : Ori- (écoles, CPAS, groupes en insertion so-
gues du monde entier et des finances au gines, Espoirs, Limites et Alterna- cio-professionnelle, maisons de jeunes…),
bord du gouffre il y a quelques années, tives. En abordant des thèmes, comme toute une série d’activités sera proposée
ses responsables ont toujours refusé d’ex- l’alimentation, la santé, la culture, la en marge du Musée (spectacles, confé-
porter leur production. consommation ou la finance, ce mu- rences, animations…).
La journée s’est terminée par la ren-
contre de Nicole Willem, une des fon-
Infos pratiques
datrices de l’initiative Rochefort en Visites guidées :
Transition. Les participant.e.s ont ainsi • En groupe : réservation obligatoire
eu l’occasion de débattre, à la lumière pour minimum 5 personnes, du mardi
de toutes leurs découvertes, de ce qui au dimanche, de 14h00 à 18h00
se passe dans leur commune en termes • Possibilité de visites en matinée
d’actions citoyennes et politiques pour sur demande, uniquement le mercredi,
inventer et construire « autre chose », jeudi et vendredi
mais aussi d’exprimer ce qui devrait et • Individuelle : sans réservation le samedi
pourrait être fait par les habitant.e.s et et le dimanche à 15h.
les autorités pour aller dans ce sens. Visites libres individuelles : le mercredi,
le samedi et le dimanche de 14h à 18h.
Après le Voir à Loos, Lille et Eprave
Âge : à partir de 15 ans
et le Juger qui a notamment été exprimé Durée : 1h30
lors de l’assemblée finale, gageons que les Prix : gratuit
participant.e.s auront à cœur d’Agir. Ce Lieu : Ancien Palais de Justice,
volet est une autre histoire, que chacun.e place Léopold à 6700 Arlon
écrira à sa manière, selon les réalités Plus d’infos : www.museeducapitalisme.org
propres de son territoire et de ses habi- Un dossier pédagogique est disponible
tant.e.s. sur www.mocluxembourg.be
Infos-réservations : CIEP-MOC Luxembourg
1. Pour en savoir plus: www.youtube.com/watch?v=l- Tél : 063/21 87 28
roUU2_OB1Y Mail : arlon@museeducapitalisme.org
2. Voir encart : interview de Valérie Caron
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Cathy MARTIN ISCO-CNE VIII, 2010-2014 filiés, présence à la journée d’accueil des
nouveaux travailleurs, communiquer sur
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Centres régionaux
BRABANT WALLON
boulevard Fleur de Lys, 25 - 1400
Nivelles • 067.21.89.91
BRUXELLES
rue Plétinckx, 19 - 1000
Bruxelles • 02.557.88.35
CHARLEROI - THUIN
boulevard Tirou, 167 - 6000
Charleroi • 071.31.22.56
DINANT - PHILIPPEVILLE
rue E. Dinot, 21/Bte 6 - 5590
Ciney • 083.21.24.51
HAINAUT CENTRE
La Louvière:
rue du Marché, 6 - 7100
La Louvière • 064.23.80.20
Mons:
rue Marguerite Bervoets, 10 - 7000
Mons 065.35.39.63
HAINAUT OCCIDENTAL
Tournai:
av. des Etats-Unis, 10 Bte 8 - 7500
Tournai • 069.88.07.64
Ath:
rue de Gand, 28 - 7800
Ath • 068/84.34.31
LIÈGE-HUY-WAREMME
Liège:
rue St-Gilles, 29 - 4000
Liège • 04.232.61.61
Huy:
Le reportage proposé dans cette Esperluette est le fruit d’un travail photogra-
av. Albert 1 , 6 - 4500
er
phique réalisé par Virginie Delattre et Catherine Lievens. Il fait écho à la jour-
Huy 085.21.11.33 née Interbagic dont certains articles composent notre dossier d’analyses.
LUXEMBOURG
rue des Déportés, 39 - 6700
Virginie se présente comme une photographe sociale : sa photographie est mi-
Arlon • 063.21.87.33 litante. En effet, son objet est de témoigner en faveur des victimes et de contri-
NAMUR
buer à la transformation des problèmes par ce type de document et l’action sur
Centre L’Ilon - rue des Tanneries, 1 5000 l’évolution des mentalités.
Namur • 081.22.68.71
Pour en savoir davantage : www.agencephotorebelle.be.
VERVIERS
rue du Centre, 81 - 4800 Catherine est elle chargée de projets et exploratrice en Éducation permanente
Verviers • 087.33.77.07
et socio-artistique.
CANTONS DE L’EST
VHS - Rotenbergplatz, 19 - 4700
Eupen • 087.59.46.30 Centre d’Information et d’Éducation Populaire • chaussée de Haecht, 577-579 • 1030 Bruxelles •
Tél.: 02 246 38 41-42-43 • Courriel: communautaire@ciep.be