Vous êtes sur la page 1sur 10

SociologieS

Dossiers, Affecter, être affecté. Autour des travaux de Jeanne Favret-Saada

................................................................................................................................................................................................................................................................................................

Laurence Kaufmann et Marine Kneubühler


Introduction du Dossier « Affecter,
être affecté. Autour des travaux de
Jeanne Favret-Saada »
................................................................................................................................................................................................................................................................................................

Avertissement
Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de
l'éditeur.
Les œuvres figurant sur ce site peuvent être consultées et reproduites sur un support papier ou numérique sous
réserve qu'elles soient strictement réservées à un usage soit personnel, soit scientifique ou pédagogique excluant
toute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'éditeur, le nom de la revue,
l'auteur et la référence du document.
Toute autre reproduction est interdite sauf accord préalable de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation
en vigueur en France.

Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales développé par le Cléo, Centre pour l'édition
électronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV).

................................................................................................................................................................................................................................................................................................

Référence électronique
Laurence Kaufmann et Marine Kneubühler, « Introduction du Dossier « Affecter, être affecté. Autour des travaux
de Jeanne Favret-Saada » », SociologieS [En ligne], Dossiers, Affecter, être affecté. Autour des travaux de Jeanne
Favret-Saada, mis en ligne le 24 juin 2014, consulté le 18 février 2016. URL : http://sociologies.revues.org/4707

Éditeur : Association internationales des sociologues de langue française (AISLF)


http://sociologies.revues.org
http://www.revues.org

Document accessible en ligne sur :


http://sociologies.revues.org/4707
Document généré automatiquement le 18 février 2016.
Introduction du Dossier « Affecter, être affecté. Autour des travaux de Jeanne Favret-Saa (...) 2

Laurence Kaufmann et Marine Kneubühler

Introduction du Dossier « Affecter,


être affecté. Autour des travaux de
Jeanne Favret-Saada »
1
Introduction. Au cœur du politique 
1 «  C’est à un sujet supposé pouvoir (un sorcier, un désenvoûteur) ou ne pas pouvoir (une
victime, un ensorcelé) que l’on s’adresse lorsqu’on parle à l’ethnographe  » (Favret-Saada,
1977, p.  29). C’est bien le pouvoir, que ce soit comme capacité d’agir ou comme pouvoir
sur autrui, qui est au centre de l’anthropologie fondamentalement politique de Jeanne Favret-
Saada. Le pouvoir de faire comme le pouvoir de faire faire est l’objet transversal des
multiples enquêtes qui l’ont menée des relations des Églises chrétiennes avec les juifs (Favret-
Saada & Contreras, 2004) à l’affaire des « caricatures de Mahomet » (Favret-Saada, 2007),
puis aux coulisses des débats de l’ONU sur la diffamation des religions (Favret-Saada,
2010). Bien entendu, ce pouvoir d’agir ou de faire agir manifeste ses effets à des échelles
différentes, oscillant entre la petite histoire locale d’un village et la grande histoire des scènes
européennes ou euro-américaines. Si l’ampleur du pouvoir et de sa mise en acte dans des
pratiques sociales et culturelles varie, son ressort fondamental reste le même : c’est le pouvoir
performatif, réalisant, de l’énonciation qui instaure, maintient ou ébranle les repères du réel
et de l’imaginaire, du bien et du mal, du visible et de l’invisible, du possible et de l’impossible
ou encore du juste et de l’injuste 2.
2 Un tel pouvoir de réalisation et de délimitation est présent dans la parole institutionnelle de
grands organismes comme l’ONU ou l’Église chrétienne ; mais il est aussi présent dans les
« formes légales a priori des actes langagiers » ordinaires dont parle Adolf Reinach (2004
[1913])  : l’exhortation, l’ordre, l’éloge, l’insulte, la promesse ou l’accusation sont autant
d’« actes sociaux » qui ont le pouvoir exorbitant d’enfermer ou d’enchaîner leurs destinataires
dans des univers symboliques et des places relationnelles qu’ils n’ont pas nécessairement
choisis. La « juridiction linguistique » permet en effet à ceux qui ont accès à la parole d’imposer
implicitement à leurs destinataires un rôle obligeant qui les prive, tout comme le langage en
général dont parle Oswald Ducrot, de toute « innocence » (Ducrot, 1991 ; Kaufmann, 2002).
Les jeux d’énonciation sont donc des jeux éminemment belliqueux : ils déploient un véritable
champ de bataille discursif dans lequel chacun mesure la force de l’adversaire et tente de
marquer des coups.
3 C’est la mise en exergue du pouvoir polémologique de la parole ordinaire que privilégient
les différentes contributions de ce dossier. Plutôt que de centrer le regard sur le pouvoir
que les puissances institutionnelles confisquent à leur avantage, elles mettent en lumière le
pouvoir fondamentalement relationnel qui lie et hiérarchise les individus dans des dispositifs
interactionnels spécifiques tels que la sorcellerie, bien sûr, mais aussi l’abattage des animaux,
l’observation anthropologique, la prophétie ou encore la relation d’aide. Par-delà leurs
différences, ces dispositifs ont un point commun. Bien qu’ils aient la stabilité relative des
formes instituées, ils laissent une large place au pouvoir propre de la parole et du silence. Ce
pouvoir se terre dans les moindres interstices de la communication humaine : il interpelle,
accuse, ostracise, consacre, dégrade, guérit et même, parfois, tue.
4 Le pouvoir performatif de la parole est particulièrement présent dans la sorcellerie bocaine
que Jeanne Favret-Saada s’attache à saisir, d’abord dans Les Mots, la mort, les sorts (1977)
puis, 30  ans plus tard, dans Désorceler (2009). La raison d’être du système sorcellaire
est en effet le pouvoir performatif de la parole magique du sorcier dont la force vorace,
malfaisante, imprévisible et surtout immédiatement efficace menace les fondements mêmes
du vivre ensemble. Comme le relève Laurence Kaufmann dans sa contribution, les circuits
réglés de la communication sorcellaire constituent un véritable processus de réparation, de

SociologieS
Introduction du Dossier « Affecter, être affecté. Autour des travaux de Jeanne Favret-Saa (...) 3

restructuration et de réinstitutionalisation de cette performativité brute : le désorceleur répond


par une performativité réglementaire, médiatisée, à la performativité sauvage et incontrôlable
de l’acte de sorcellerie invisible du sorcier. C’est aussi le pouvoir performatif de la parole
qui œuvre dans la thérapie sorcellaire  : le désenvoûteur permet à la victime de malheurs
répétés de se redresser, de renoncer à son statut de patient maltraité par le destin pour mieux
endosser celui de sujet en guerre – un sujet qui doit rendre « le mal pour le mal ». Comme le
soulignent plusieurs contributions à ce dossier, la parole accusatrice qui permet à l’ensorcelé
et au désorceleur d’exclure le supposé sorcier est elle aussi d’une redoutable efficacité : elle
assigne au présumé agresseur la position objectivante et fort peu enviable d’un suppôt au sein
d’un système dans lequel toute énonciation lui est interdite. Les violences qui sont inscrites
au cœur même des rapports sociaux se trouvent ainsi exacerbées dans les multiples sites de
la performativité sorcellaire  – une violence qui affecte les êtres mais dont ils ne sont pas
nécessairement conscients. Pris par « l’opacité de soi à soi » que Jeanne Favret-Saada explore
depuis des années en tant que psychanalyste, les habitants du Bocage, tout « comme les petits
humains du monde sublunaire que nous sommes tous (ethnologues inclus) », « se décarcassent
comme ils peuvent » (Favret-Saada, 2008). C’est bien cette assomption de commune humanité
qui va inciter Jeanne Favret-Saada à repenser théoriquement et méthodologiquement la place
de l’anthropologue dans les systèmes qu’il étudie – une place idéalement symétrique.

Les démangeaisons ontologiques de l’anthropologie


symétrique
5 Refuser les grands partages de l’anthropologie classique entre les enquêtés, dûment
transformés en objets d’observation, et le seul sujet digne de ce nom, à savoir l’ethnographe,
a permis à Jeanne  Favret-Saada de poser les jalons de l’anthropologie symétrique que
Bruno  Latour radicalisera dans les années 1980. À l’encontre de la position de surplomb,
objectivante et condescendante de l’ethnologue qui fait de l’indigène un «  parlant non-
humain » et donc une « monstruosité conceptuelle », Jeanne Favret-Saada défend un principe
fondamental de symétrie entre l’ethnologue et l’indigène, mais aussi entre les savoirs affirmés
des anthropologues et les croyances apparemment étranges des sociétés archaïques. Tout
comme Michel de Certeau (1975), elle initie ainsi une anthropologie pragmatique qui refuse
l’« hétérologie » fondatrice d’une démarche scientifique qui instaurerait une stricte séparation
entre le savoir qui tient le discours et le corps muet qui le soutient. Une telle anthropologie
se propose de suivre au plus près les manières d’agir potentiellement virtuoses des êtres
ordinaires, les manières dont ils endossent et éprouvent la place sociale qui leur est assignée,
ou encore la façon dont leurs croyances oscillent dans un jeu continuel entre le littéral et le
métaphorique, le sérieux et le fictionnel, la foi et le scepticisme.
6 L’épistémologie et la méthodologie symétriques que préconise Jeanne  Favret-Saada
impliquent une double reconnaissance, morale et ontologique. Une reconnaissance morale
car l’enquêté n’est plus traité comme un « objet » d’observation mais comme une personne :
tous les humains, y compris la multitude des « sans voix » qui restent à l’ombre des minorités
bavardes, ont le droit d’avoir une place dans l’histoire en général et dans l’anthropologie en
particulier. Une reconnaissance ontologique, car les agents ordinaires qui affirment être en
présence de créatures étranges ou de forces surnaturelles (e.g. sorciers, Vierges, licornes, etc.)
se voient accorder un crédit de principe. Cette double reconnaissance, morale et ontologique,
permet de prendre au sérieux la multiplicité des êtres et leur mode de présence, que ce soit
sous la forme de métaphore, de trace, d’objet, de personne ou de représentation.
7 Cela étant, la validation à crédit des êtres étranges ou intangibles avec lesquels les humains sont
susceptibles d’entrer en interaction n’aboutit pas nécessairement à une « ontologie à géométrie
variable » qui accorderait généreusement, comme le propose Bruno Latour, « la référence aux
énoncés qui le demandent » (Latour, 1990, p. 77). Car les énoncés ne demandent pas tous la
référence de la même manière ; ils procèdent à des modes de référenciation hétérogènes qui
prennent sens dans des dispositifs interactionnels et des cadres situationnels spécifiques. Si
l’on suit Jeanne Favret-Saada, une épistémologie symétrique n’est donc tenable que si elle
est symétrique jusqu’au bout : elle doit tenir compte des repères pragmatiques qui permettent

SociologieS
Introduction du Dossier « Affecter, être affecté. Autour des travaux de Jeanne Favret-Saa (...) 4

aux agents ordinaires eux-mêmes d’établir des distinctions ontologiques stables entre les êtres
qui peuplent le monde qui les entoure. Autrement dit, les agents ordinaires, contrairement à
l’anthropologue ou au sociologue latourien, n’ont pas une ontologie à géométrie variable :
personne, à part les hallucinés, ne considèrent que l’énoncé « la Vierge est là » est équivalent
à « la voiture est dans le garage » (Bazin, 1991, p. 502), ni qu’il faille caresser une cerise et
croquer un chat plutôt que l’inverse.
8 Appréhendée dans une veine pragmatique, la réalité n’est donc pas seulement, contrairement
à ce qu’avance Bruno  Latour, ce qui résiste aux épreuves de traduction successives qui
permettent de fabriquer provisoirement un fait – ou un « faitiche » – qui deviendrait, par un
effet de renversement, ce que personne n’a fabriqué (Latour, 1996). La réalité est ce qui relie
la parole et la pensée à l’action mais aussi à « l’affection ». Comme le suggère Ian Hacking,
« nous devrions compter comme réel tout ce que nous pouvons utiliser pour intervenir dans le
monde de manière à affecter quelque chose d’autre, ou tout ce que le monde peut utiliser pour
nous affecter » (Hacking, 1989 [1983], p. 242). C’est précisément la réalité de ce qui nous
affecte ou de ce que nous pouvons affecter qui est au cœur de l’ontologie favret-saadienne, y
compris lorsque cette réalité s’étend à des êtres inexistants ou absents. Cette réalité étendue
ou dilatée ne peut subsister, toutefois, que grâce au travail sans relâche de toute une chaîne
de médiations qui rendent envisageable son existence ou, du moins, sa « présentification ».
Initiant les beaux travaux d’Elisabeth  Claverie, Jean  Bazin, Albert  Piette et Emma  Aubin-
Boltanski, Jeanne Favret-Saada détaille ainsi la chaîne de médiations, d’échelle et de nature
différentes qui permettent la « venue au monde » du présumé sorcier : la violence implicite
des rapports sociaux, les récits sorcellaires, la voix « enveloppante » de la désorceleuse, les
objets matériels utilisés lors des séances (les cartes du Tarot, le cœur de bœuf, le gros sel, etc.),
le fonctionnement de la propriété agricole ou encore l’angoisse indescriptible de l’ensorcelé
pris dans la répétition des malheurs.
9 Si les dispositifs situationnels et interactionnels qui permettent à des êtres a priori intangibles
de faire acte de présence peuvent être pris en compte sans pour autant sombrer dans une
ontologie molle et par trop généreuse, c’est aussi parce qu’ils n’exigent pas nécessairement
un engagement ontologique ou une croyance épistémique forte de la part de celles et ceux qui
sont « pris ». Loin d’être des états d’esprit stables, les croyances sont, pour reprendre le terme
d’Erving Goffman (1973), « régionales » : elles sont indexées aux situations et prennent sens
à l’intérieur d’un dispositif interactionnel donné.

Du (dés)ordre de la croyance au secret public


10 En proposant une analyse «  en grain fin  » de la croyance sorcellaire et de ses oscillations
situationnelles et expérientielles, Jeanne  Favret-Saada remet en question l’hypothèse,
classique en anthropologie, de l’adhésion compacte et sans recul des indigènes à l’orthodoxie
culturelle. Elle rejoint alors les réflexions, initiées notamment par Dan Sperber (1974), sur
le statut cognitif des croyances. À la différence des «  croyances factuelles  », de nature
perceptuelle ou inférentielle, les « croyances culturelles », dit Dan Sperber, seraient « entre
guillemets  »  : elles se rapporteraient non à la réalité tangible du monde physique, mais
aux interprétations culturelles que la caution des instances institutionnelles ou des sources
«  autorisées  » rend d’emblée acceptables. Comme le rappelle Marine  Kneubühler dans sa
contribution, cette conception duale, propre à chaque être humain, permet de résorber la
dissonance cognitive apparemment irrationnelle entre les savoirs factuels des agents ordinaires
et les référents communs qui émergent grâce au langage. Surtout, une telle conception
n’appréhende pas la croyance comme un état cognitif omni-pertinent et constamment opérant :
« Leurs propres utilisateurs n’en sont pas dupes, ne les prennent pas au pied de la lettre et
ne s’avisent pas de les employer en dehors du domaine pour lequel elles sont tacitement
prévues » (Veyne, 1983, p. 119).
11 Cela étant, tout en soulignant, à la manière des tenants de l’anthropologie cognitive, que les
croyances culturelles se déclinent bien souvent sous le mode mineur de l’évocation distancée
ou de la mise entre guillemets, le travail de Jeanne Favret-Saada met en exergue une toute autre
modalité du croire, nécessairement majeure 3 : celle qui émerge de l’« intensité » affective des

SociologieS
Introduction du Dossier « Affecter, être affecté. Autour des travaux de Jeanne Favret-Saa (...) 5

troubles ou des épreuves existentielles qui « saisissent » les êtres ordinaires et remettent en
question leur armature sociale, psychologique et corporelle. En effet, le ressort de la croyance
sorcellaire n’est pas épistémique mais affectif et pragmatique : ceux qui ont « la mort aux
trousses » aspirent à mettre fin à la spirale de malheurs qui les accablent (Favret-Saada, 2011).
La croyance sorcellaire est donc bien plus de l’ordre de l’affect que des faits de culture qui
sont disponibles à l’état de représentations dans les discours  ; elle ne renvoie pas, comme
les croyances sperberiennes, à des « semi-propositions » symboliques (e.g. la Sainte Trinité,
E=MC2, etc.) dont la validité, ou tout du moins l’accessibilité, est garantie par les autorités
publiques et par la déférence que ces dernières inspirent aux membres de la communauté
(Sperber, 1974, 1982). Loin d’être cautionnée par l’autorité d’une institution qui lui fournirait a
priori son contexte de validation, la croyance sorcellaire fait au contraire l’objet d’un discrédit
public et d’un mépris institutionnel tout à fait consensuels. Elle se trouve ainsi à mille lieues
des « énoncés publics transversaux », tels « Le prêtre a le pouvoir d’absoudre les péchés », « Le
roi a le don surnaturel de guérir les écrouelles » ou « Vox populi, Vox dei », qui « agrafent » les
membres d’une communauté « aux mêmes désignations du réel » (Boureau, 1989, p. 1501).
12 Comme l’indique Laura Ferilli dans sa contribution, la croyance en la sorcellerie ne peut donc
en aucun cas relever du « discours vitrine » que chaque personne, groupe ou communauté
élabore à l’attention des tiers. Si la croyance ou plutôt la «  pensée sorcellaire  » décrite
par Jeanne  Favret-Saada est bien disponible dans le répertoire culturel des Bocains, c’est
uniquement sous la forme paradoxale d’un secret public. Ce type de secret, dans la mesure
où il fait l’objet d’un savoir qui est connu secrètement de tous, est à la fois le mieux et le
plus mal gardé des secrets puisque tout le monde en a la garde (Dupuy, 1992). L’engagement
dans cette croyance secrète n’est donc pas explicable, comme les croyances publiques, par
le nombre et l’importance officielle de leurs « adeptes » ni par leur fonction stratégique de
« maintenance de la coalition » (Veyne, 1983). Un tel engagement n’est envisageable que sur
un mode secret, clandestin, qui place d’emblée ceux qui y participent « en dehors de la parole
du groupe » (Mary, 1987). Contrairement au Zandé qui, en se disant ensorcelé, manifeste son
appartenance de membre et reconnaît l’ordre symbolique de sa communauté, le paysan du
Bocage qui se dit ensorcelé fait sécession avec les théories officielles du malheur (Favret-
Saada, 1977). La dissonance cognitive que vivent les ensorcelés est donc particulièrement
éprouvante parce qu’elle est aussi et surtout une dissonance sociale qui les incite, comme le
dit Jeanne Favret-Saada, « à s’enfermer dans l’enclos de l’indicible » (Favret-Saada, 1977,
p.  138). L’indicible caractérise également le pouvoir du désenvoûteur bocain, son savoir-
faire ne faisant jamais «  l’objet d’un processus d’initiation attestant publiquement qu’une
transmission de savoirs et de pouvoirs symboliques a bien eu lieu  » (Favret-Saada, 2011,
p. 216).

La place de l’ethnographe
13 La démarche de Jeanne Favret-Saada, attentive aux oscillations pragmatiques de la croyance,
à la diversité des modes de présence des êtres et au pouvoir de la parole, implique une posture
ethnographique bien particulière. Une telle posture se penche, en particulier, sur la façon
dont les «  affects non représentés  », en l’occurrence ceux des personnes accablées par le
malheur, sont progressivement articulés, nommés et transformés sous une forme préhensible
et littéralement agissante. C’est grâce à ces affects, que ce soit des peurs, des rancunes ou
des désirs, qui forment progressivement une «  disposition à croire  » «  que les signes se
mettent soudainement à parler » (Bazin, 1991, p. 502). Les malheurs deviennent les signes
de l’intention malfaisante du sorcier. Bien sûr, ces signes n’apparaissent pas dans le vide;
leur saisie suppose une longue préparation en amont qui implique, on l’a vu, toute une chaîne
d’êtres multiples et d’éléments hétérogènes, de portée temporelle et expérientielle différente.
14 Du point de vue ethnographique, la question des croyances ou des incroyances cède ainsi le
pas à une analyse de la chaîne des médiations et des dispositifs interactionnels au sein desquels
l’existence de référents littéralement incroyables devient une hypothèse possible, envisageable
et, surtout, partageable. Pour saisir la manière dont les paysans bocains peuvent être « pris » par
une crise de sorcellerie, l’ethnographe doit donc adopter, comme le suggère Fabienne Malbois

SociologieS
Introduction du Dossier « Affecter, être affecté. Autour des travaux de Jeanne Favret-Saa (...) 6

dans sa contribution, une position ou une « croyance oblique » qui lui permet d’« y croire
totalement et simultanément ne pas trop y croire  » et de mesurer, grâce à un mouvement
« ternaire » d’emprise phénoménologique, de reprise théorique et de « déprise » critique, la
force mais aussi la « faillibilité » du monde sorcellaire. C’est cette même croyance oblique qui
permet à l’anthropologue de saisir de quelle manière les ensorcelés suspendent la « vigilance
épistémique » (Sperber, Clément, Heintz et al., 2010) et les exigences de validation empirique
qui sous-tendent leur façon routinière de se rapporter au monde afin de s’engager dans un
univers où une interaction avec un être surnaturel est devenue possible.
15 Une telle croyance ne peut être, toutefois, que partiellement oblique. Comme le rappelle
Philippe  Gonzalez dans son article, même si les sciences sociales ne peuvent se passer
d’une description à la troisième personne des dispositifs d’action, ce n’est que parce que
l’ethnographe est « pris » et affecté à la première personne par un phénomène – que ce soit
la sorcellerie ou la prophétie charismatique – qu’il prend conscience des jeux d’énonciation
et de distribution de places qui le définissent  : «  On ne réalise l’existence d’un système
de places que si on se cogne à ses limites, si on se fait “remettre en place”  » (Favret-
Saada, 2004). Prendre place ou plutôt se voir «  assigner  » une place dans un système
actanciel permet de saisir de l’intérieur le type d’actions, de paroles et d’affects que cette
place impose et autorise à ses «  occupants  ». Un tel saisissement à la première personne,
qu’il soit émotionnel, pratique ou déontique, donne à l’ethnographe la possibilité d’identifier
les deux dimensions principales de tout système actanciel  : sa dimension grammaticale
et sa dimension phénoménologique (Gonzalez & Kaufmann, 2012). En effet, occuper une
place dans le système actanciel propre à la sorcellerie permet d’identifier, sous un mode
grammatical, les règles qui le possibilisent et le contraignent objectivement. En analysant
les places qui le définissent, en l’occurrence celles d’ensorcelé, de désorceleur et de sorcier,
ainsi que leur effet performatif sur leurs occupants – notamment le procès de subjectivation
et “ d’empowerment ” qu’implique la place d’ensorcelé –, Jeanne Favret-Saada initie à bien
des égards l’enquête grammaticale proposée par la sociologie pragmatique (Boltanski &
Thévenot, 1991 ; Boltanski, 2009). Comme le montre Maëlle Meigniez dans sa contribution,
l’analyse du système de places, en l’occurrence celui qui définit l’activité des bénévoles
d’une association d’aide, est particulièrement heuristique : dans la mesure où un tel système
s’instancie nécessairement dans les interactions, il est observable in situ et permet de remonter
d’une interaction particulière au cadre même de l’institution. Mais prendre place dans un
système actanciel ne permet pas seulement d’en reconstituer l’ordre grammatical, qui indique
quel est le statut de chacun des membres du système par rapport aux autres (e.g., gouvernant-
gouverné, enseignant-étudiant, mère-enfant) (Kaufmann, 2012). Cela permet également de
ressentir, à la première personne, la phénoménologie objective qu’engagent l’assignation
et l’occupation de telle ou telle place. Ainsi, lorsque Jeanne  Favret-Saada se voit assigner
la place d’ensorcelée, elle en est véritablement «  affectée  » au point de ressentir la peur
et, potentiellement, la haine que cette place autorise à ses «  suppôts  ». Bien entendu, la
phénoménologie objective qui renvoie à « l’effet que cela fait » d’être pris dans telle ou telle
place grammaticale s’accompagne d’une phénoménologie subjective, celle qui caractérise le
ressenti de cette personne en particulier. Ainsi, les époux chrétiens venus du nord et accablés
par le malheur décrit dans Les mots, la mort, les sorts (Favret-Saada, 1977) sont saisis de
remords lorsqu’ils apprennent le décès de « leur » sorcière, terrassée par la terreur dans un
asile psychiatrique. Les individus dépeints par Jeanne Favret-Saada ne se contentent donc pas
de rejouer les scripts pratiques et affectifs qui sont associés à la place qu’ils occupent ; ils
investissent cette place à leur manière, plus ou moins intense, plus ou moins complaisante.

Vivre ensemble coûte que coûte ?


16 La structure de l’expérience sorcellaire et son compte-rendu favret-saadien ont toutes les
caractéristiques d’un Janus à deux faces  : une face grammaticale, orientée vers les règles
constitutives de la grammaire sorcellaire que ses attributaires endossent et instancient in
situ, et une face phénoménologique, tournée vers le type d’expérience que ceux qui sont
«  pris  » dans telle ou telle place grammaticale sont susceptibles d’éprouver. Cette double

SociologieS
Introduction du Dossier « Affecter, être affecté. Autour des travaux de Jeanne Favret-Saa (...) 7

dimension des systèmes de places – et la nécessité de les appréhender à la première personne –


se retrouve de manière particulièrement saillante dans la contribution de Catherine Rémy :
seule une posture à la première personne permet de comprendre un dispositif interactionnel
et situationnel comme celui des abattoirs, ainsi que la violence exacerbée que la place des
« tueurs » implique dans leur rapport aux animaux mais aussi dans leur rapport aux humains.
Si l’ethnographie à la première personne est la manière la plus riche de restituer l’organisation
endogène d’un dispositif, quel qu’il soit, elle est la seule manière de saisir les dispositifs non
publics qui ne tolèrent pas la présence désengagée d’un spectateur. Par définition, en effet,
la place de spectateur, c’est-à-dire d’un tiers extérieur qui regarde et juge mais ne participe
pas, est exclue des dispositifs, tels le dispositif sorcellaire ou le dispositif d’abattage des
animaux, qui se «  performent  » à l’abri des regards. Adopter une posture ethnographique
classique d’observateur, fût-il « participant », pour rendre compte de ce type de dispositifs
reviendrait à créer artificiellement une place de spectateur qui n’était pas prévue ou, pis, qui
déforme et trahit leur fonctionnement. Ainsi, dans le Bocage normand, la «  communauté
des affectés » ne peut subir le regard d’un spectateur ; elle ne peut souffrir l’épreuve de la
publicité au double sens de mise en visibilité et d’ouverture au jugement critique (Gonzalez
& Kaufmann, 2012). La publicité ou la publicisation d’une crise de sorcellerie disloquerait
le cercle vicieux de la croyance pragmatique, éminemment auto-confirmatrice, qui assure
la félicité du système sorcellaire. Le regard public ferait éclater au grand jour la manière
dont l’accusation d’ensorcèlement que subit le présumé sorcier contrevient à la « juridiction
linguistique et sociale  » des actes de langage et transgresse le principe moral et politique
d’égalité de traitement qui accorde à tout un chacun la possibilité de faire sujet.
17 De façon intéressante et parfois surprenante, les accusations de blasphème qui intéressent
également Jeanne  Favret-Saada (1992, 2004) fonctionnent selon les mêmes modalités que
l’accusation sorcellaire. Même si les accusations de blasphème sont apparemment publiques
puisqu’elles se déploient aux yeux de tous, de fait, elles ne sollicitent pas la «  faculté du
juger » du spectateur et sont, en tant que telles, non publiques. Loin de s’ouvrir au jugement
d’un tiers ou de solliciter une réflexion collective, les jugements de blasphème signalent
la clôture a priori d’une enquête qui n’a pas eu lieu. L’accusateur se fait également juge,
forçant ainsi l’assimilation a-grammaticale de deux places du système d’accusation qui, d’un
système de places ternaire composé d’une victime, d’un persécuteur et d’un juge, devient
du coup binaire. Cette a-grammaticalité se retrouve également dans la place intenable qui
est imputée au « blasphémateur » : sa vie étant menacée, ce dernier ne peut accomplir les
activités  – se justifier, plaider, s’excuser ou se défendre  – qui définissent, tout au moins
dans une société démocratique, la place de l’accusé. Si l’on suit Jeanne Favret-Saada (2007,
2010), il existe donc des « états sorcellaires » qui rabattent l’acte d’accusation à une lutte
à mort et rendent impossible la place critique, désengagée ou circonspecte, d’un spectateur.
Par définition, l’affrontement mortel auquel aboutissent nombre d’accusations de blasphèmes
instaure un système de places binaire, défini par l’affrontement de l’accusateur et de l’accusé,
et dans lequel chacun est tenu de choisir son camp. Comme l’indique Arnaud Esquerre dans
sa contribution, les affaires de blasphème qu’analyse Jeanne Favret-Saada montrent ainsi que
nos sociétés contemporaines, loin de sombrer dans un relativisme postmoderne, s’inscrivent
dans une logique profondément moderne – une logique qui tente d’établir coûte que coûte une
vérité ultime, non discutable et parfois fatale.
18 C’est bien cette impossibilité de soutenir le regard du spectateur et sa « faculté de juger »
potentielle qui met les dispositifs non publics, voire anti-publics, en porte-à-faux par rapport
à l’idéal normatif du fonctionnement public, inclusif et ouvert des institutions démocratiques
(Gonzalez & Kaufmann, 2012). Par définition, en effet, l’interdit de publicité qui sous-tend
certains dispositifs rend impossible l’évaluation, par un public de spectateurs, de leur bonne
forme morale et politique. La possibilité même de mener une ethnographie à la troisième
personne et donc d’occuper une place d’analyste, de juge, de témoin ou de spectateur permet
ainsi de différencier les dispositifs acceptables publiquement de ceux qui, tenus au secret, se
déroulent dans des espaces confinés susceptibles, en tant que tels, d’« embrayer la violence » 4.
En marge des définitions officielles du vivre ensemble, ces espaces confinés où « il n’y a pas

SociologieS
Introduction du Dossier « Affecter, être affecté. Autour des travaux de Jeanne Favret-Saa (...) 8

de place pour deux » suspendent les repères ordinaires du jugement public et transgressent
les exigences normatives du « bien vivre pour tous ». La figure politiquement et moralement
incorrecte du sorcier, malmenée par le système sorcellaire qui lui octroie manu militari la
fonction de bouc émissaire est, à cet égard, fort révélatrice. Le sorcier, dit Gildas  Salmon
dans sa contribution, est mis dans une « position impossible » qui rend sa parole inaudible
et son point de vue intenable  ; tout comme le discours anthropologique classique procède
à une objectivation irrémédiable de «  l’indigène  », le discours de la sorcellerie procède à
l’objectivation irréversible du présumé sorcier en lui imposant de l’extérieur une position dans
laquelle il ne peut se reconnaître en première personne.
19 Au terme de ce bref parcours où s’esquissent, grâce à Jeanne Favret-Saada, des réflexions sur
la violence, le politique, la performativité, l’ontologie, la croyance, les systèmes actanciels,
les affects, le jugement public ou encore la posture de l’ethnographe, nous comprenons mieux
pourquoi la revue SociologieS prend le risque d’accorder une telle place à l’œuvre d’une
anthropologue. En effet, ces réflexions sont indéfiniment transposables dans des nouveaux
domaines d’investigation, y compris ceux plus classiquement sociologiques. Car le système
sorcellaire n’implique pas des mécanismes symboliques extraordinaires ou des rapports
sociaux exceptionnels. Au contraire, dans l’espace confiné du duel sorcellaire, c’est bien
l’inter-dit universel des rapports sociaux qui se joue et se rejoue sans relâche. Cet inter-dit,
c’est celui du déséquilibre des forces et des luttes de pouvoir que la sorcellerie bocaine tente
de gérer en déclinant, à sa manière, un de ces « petits machins dégoûtants qui font tourner
les sociétés humaines » 5. C’est dire si la micro-politique sorcellaire que décrit Jeanne Favret-
Saada concerne aussi bien les anthropologues que les sociologues. Elle révèle, dans un
raccourci saisissant, la violence universelle de la condition sociale ordinaire et les modalités
particulières, historiquement situées, de sa régulation. Ce sont ces modalités, tout à la fois
particulières et universelles, qui constituent le cœur de l’enquête que mènent, chacun à leur
manière, les différents contributeurs de ce dossier.

Bibliographie
BAZIN J. (1991), « Les fantômes de Mme du Deffand : exercices sur la croyance », Critique, n° 529-530,
pp. 492-511.
BOLTANSKI L. & L. THÉVENOT (1991), De la justification. Les économies de la grandeur, Paris, Éditions
Gallimard.
BOLTANSKI L. (2009), «  Autour de La justification. Un parcours dans le domaine de la sociologie
morale », dans M. BREVIGLIERI, C. LAFAYE & D. TROM (dir.) Compétences critiques et sens de la justice,
Paris, Économica, pp. 15-35.
BOUREAU A. (1989), « Propositions pour une histoire restreinte des mentalités », Annales ESC, n° 6,
pp. 1491-1504.
DE CERTEAU M. (1975), L’Écriture de l'histoire, Paris, Éditions Gallimard.
DUCROT O. (1991), Dire et ne pas dire, Paris, Éditions Hermann.
DUPUY J.-P. (1992), Introduction aux sciences sociales. Logique des phénomènes collectifs, Paris, Édition
Marketing.
GONZALEZ P. & L. KAUFMANN (2012), «  The Social Scientist, the Public, and the Pragmatist Gaze.
Exploring the Critical Conditions of Sociological Inquiry  », European Journal of Pragmatism and
American Philosophy, IV(1), pp. 55-82.
FAVRET-SAADA J. (1977), Les Mots, la mort, les sorts, Paris, Éditions Gallimard.
FAVRET-SAADA J. (1992), « Rushdie et compagnie : préalables à une anthropologie du blasphème »,
Ethnologie française, vol. 22, n° 3, pp. 251-260.
FAVRET-SAADA J. (2004), « Glissements de terrains », entretien réalisé par A. ESQUERRE, E. GALLIENNE,
F. JOBARD, A. LALANE & S. ZILBERFARB, Vacarme (28), [version en ligne] : http://www.vacarme.org/
article449.html]
FAVRET-SAADA J. (2007), Comment produire une crise mondiale avec douze petits dessins, Paris,
Éditions Les Prairies ordinaires.

SociologieS
Introduction du Dossier « Affecter, être affecté. Autour des travaux de Jeanne Favret-Saa (...) 9

FAVRET-SAADA J. (2009), Désorceler, Paris, Éditions de l’Olivier.


FAVRET-SAADA J. (2010), Jeux d’ombres sur la scène de l’ONU : droits humains et laïcité, Paris, Éditions
de l’Olivier.
FAVRET-SAADA J. (2011), « La mort aux trousses », dans M. GRIBINSKI (Ed.), Le temps du trouble, Paris,
Éditions de l’Olivier, pp. 207-217.
FAVRET-SAADA, J. & J. CONTRERAS (2004), Le Christianisme et ses juifs : 1800-2000, Paris, Éditions
du Seuil.
FAVRET-SAADA J. & ISNART C. (2008), « En marge du dossier sur l’empathie en anthropologie », Journal
des anthropologues [En ligne], pp. 114-115.
GOFFMAN E. (1973), « Les régions et le comportement régional », dans E. GOFFMAN (Ed.), La Mise en
scène de la vie quotidienne, tome 1 La présentation de soi, Paris, Éditions de Minuit, pp. 105-135.
HACKING I. (1989 [1983]), Concevoir et expérimenter, Paris, Éditions Christian Bourgois.
KAUFMANN L. (2002), « L’opinion publique ou la sémantique de la normalité », Langage et société,
vol. 2, n° 100, pp. 49-79.
KAUFMANN L. (2012), « Agir en règle. Le pari grammatical de la sociologie pragmatique à l’épreuve de
la critique », Raison publique, n° 16, pp. 227-263.
LATOUR B. (1990), « Quand les anges deviennent de bien mauvais messagers », Terrain, n° 14, pp. 76-91.

LATOUR B. (1996), Petite réflexion sur le culte moderne des dieux faitiches, Paris, Éditions Les
Empêcheurs de penser en rond.
LEFORT C. (1978), Les Formes de l’histoire. Essais d’anthropologie politique, Paris, Éditions Gallimard.

MARY A. (1987), « Sorcellerie bocaine, sorcellerie africaine. Le social, le symbolique et l’imaginaire »,


Les Cahiers du LASA, n° 17, pp. 125-152.
PIETTE A. (2009), L’Acte d'exister. Une phénoménographie de la présence, Marchienne-au-Pont, Socrate
Éditions Promarex.
REINACH A. (2004 [1913]), Les Fondements a priori du droit civil, Paris, Éditions Vrin.
SPERBER D. (1974), Le Symbolisme en général, Paris, Éditions Hermann.
SPERBER D. (1982), Le Savoir des anthropologues, Paris, Éditions Hermann.
SPERBER D., CLÉMENT F., HEINTZ O. MASCARO O., MERCIER H., ORIGGI G. & D. WILSON (2010),
« Epistemic Vigilance », Mind and Language, 25(4), pp. 359-393.
VEYNE, P. (1983), Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes? Essai sur l'imagination constituante, Paris,
Éditions du Seuil.

Notes
1 Ce dossier a été initié en novembre 2011 par un colloque, « Affecter, Etre affecté », sur les travaux
de Jeanne Favret-Saada et en sa présence. Ce colloque, organisé conjointement par Fabrice Clément, de
l’Université de Neuchâtel et par Laurence Kaufmann, de l’Université de Lausanne, a posé les premiers
jalons des réflexions dont cette introduction est l’aboutissement.
2 L’on reconnaîtra aisément ici la belle définition du politique que propose Claude Lefort (1978).
3 Sur ces notions de croyance ou d’engagement en « mode mineur » ou « majeur », voir Piette (2009).
4 Contrairement à Jeanne Favret-Saada qui affirme, dans son mot de conclusion, que le jugement moral
n’a aucune place en anthropologie ou en sciences sociales, il nous semble que le chercheur est en
droit d’adopter une posture critique ou normative, à condition, bien sûr, que ce moment critique ou
normatif soit clairement distinct du moment descriptif de l’analyse. Bien entendu, adopter une telle
posture critique par rapport à la sorcellerie bocaine ne conduit aucunement, comme semble le penser
Jeanne  Favret-Saada, à considérer les ensorcelés comme des «  méchants  »  : la méchanceté est une
caractéristique individuelle qui n’a guère de place dans une analyse sociologique. La critique dont
plusieurs contributeurs de ce dossier se font les relais porte uniquement sur les propriétés objectives
du dispositif interactionnel que déploie la sorcellerie. Il est difficile de nier que certains dispositifs
interactionnels sont plus publics que d’autres, qu’ils sont plus ou moins subjectivants ou objectivants ou
qu’ils favorisent certains types de comportements, notamment violents, par rapport à d’autres. Basculer
de la caractérisation d’un dispositif (e.g., asymétrique, objectivant, fermé, secret, etc.) au caractère d’une
personne (e.g., méchanceté, générosité, etc.) serait totalement erroné et irait à l’encontre de la formidable
généralisation « transindividuelle » que permet une réflexion en termes de places.

SociologieS
Introduction du Dossier « Affecter, être affecté. Autour des travaux de Jeanne Favret-Saa (...) 10

5 Nous nous inspirons ici d’une communication orale de Jeanne  Favret-Saada lors du tournage du
documentaire sur son œuvre, intitulé « Êtes-vous forte assez ?» (2013) réalisé par Aurèle Dupuis, dirigé
par Laurence  Kaufmann et élaboré en collaboration avec les membres du Laboratoire de Sociologie
(LabSo) de l’Université de Lausanne, en particulier Laura Ferilli qui a effectué, en collaboration avec
Aurèle Dupuis, plus de huit heures d’entretien à Marseille avec Jeanne Favret-Saada. Ce documentaire
a été soutenu financièrement par l’Institut des sciences sociales de l’Université de Lausanne. Il est
disponible en ligne : http://vimeo.com/63459566

Pour citer cet article

Référence électronique

Laurence Kaufmann et Marine Kneubühler, « Introduction du Dossier « Affecter, être affecté. Autour
des travaux de Jeanne Favret-Saada » », SociologieS [En ligne], Dossiers, Affecter, être affecté.
Autour des travaux de Jeanne Favret-Saada, mis en ligne le 24 juin 2014, consulté le 18 février 2016.
URL : http://sociologies.revues.org/4707

À propos des auteurs


Laurence Kaufmann
Institut des sciences sociales, Université de Lausanne, Suisse - laurence.kaufmann@unil.ch
Marine Kneubühler
Assistante diplômée, Institut des Sciences Sociales, Université de Lausanne, Suisse et
doctorante, Département des Sciences économiques et Sociales, Télécom ParisTech, France -
marine.kneubuhler@unil.ch

SociologieS

Vous aimerez peut-être aussi