Le corail
Le corail est un animal de la famille des cnidaires, soit une espèce spécifique du milieu
aquatique. On trouve généralement des récifs coraliens dans les mers chaudes, mais il en existe
malgré tout dans les mers froides comme c'est le cas au large de la Scandinavie, de la Grande-
Bretagne et de la péninsule Ibérique. On remarque de nombreux types de corail à travers le
monde, l'espèce qui nous intéresse est le corail rouge, qui fait partie des alyonaires et appartient
au genre corallium de l'espèce rubrum. Son exosquelette est rigide et rouge-vif, il est constitué
de carbonate de calcium et d'oxyde de fer qui fait sa coloration. On trouve le corail rouge dans
les eaux méditerranéennes, notamment celles du bassin occidentale.
Le corail en tant que matière propice à l'artisanat apparaît dans l'Histoire de façon ponctuelle à
des périodes bien déterminées. Une diffusion du corail d'Italie au-delà des Alpes vers des
populations méconnus est notable à la fin du Néolithique et au début de l'Age du cuivre puis à
l'Age du bronze européen où quelques trouvailles de corail ont été trouvées de façon
exceptionnelles.
L'usage du corail rouge est rarement signalé dans les civilisations antiques mis à part chez les
Celtes du Nord des Alpes. En effet les Celtes semblent être les principaux consommateurs de ce
matériau et ce, malgré d’une part l'usage de ce dernier par les Grecs depuis la fin du IX siècle
avant notre ère et d’autre part, la proximité des Puniques, des Italiques et des Ibères avec les
meilleures zones de coraillage de l'antiquité. Soit, l'usage décoratif du corail se constate
exclusivement dans les pays celtiques ainsi que dans les régions dont on suppose l'exercice
d'une influence celte.
C'est au cours de l'Age du fer que les premiers produits venus de Méditerranée, dont le corail,
vont arriver chez les populations celtiques. L'apparition du corail chez les Celtes est tributaire
des premières exploitations méditerranéennes qui semblent débuter dès la fin du VII siècle av n.
è. ainsi que le montre la datation des trouvailles vénètes et celles de la culture de Golasecca.
En quoi la présence du corail dans l'art celtique, générée par de nombreux échanges
commerciaux, est- elle représentative d'une nouvelle croyance ?
Fibule, bronze et corail, tombe n° 57, Saint-Sulpice, canton de Vaud, Suisse. Seconde moitié du
IV s. av. J.C.
Parfois on le retrouve taillé en forme de perle de colliers massives dont le site le plus fournit est
celui de Nordhouse, sous cette forme il sert également à couronner certains objets.
C'est l'exemple des disques de harnachement de chevaux provenant de Saint-Jean-sur-Tourbe,
dans la Marne, constitué de bronze, de fer et de corail et datant du V av. n. è. Ces disques
proviennent du harnachement des chevaux attelés au char de guerre qui avait été déposé dans
une tombe de guerrier. Il s'agit de deux pièces identiques présentant un registre central composé
d'un filet concentrique gravé au tour qui s'étend à la périphérie du pied d'un bouton central
surmonté d'une perle de corail. Le harnais du poitrail, qui est la partie du harnachement la plus
richement décoré, comporte des disques et des appliques de bronze portant des décors
géométriques savants associé à des incrustations de corail.
Paire de phalères ajourées, décorées d'esses enchaînées formant des "vagues continues",
bronze, fer, corail. Saint-Jean-sur-Tourbe, Marne. IV s. av. J.C.
A partir de la 1ère moitié du VIème siècle, les échanges entre les peuples celtes de la région
transalpine et le monde gréco-étrusque se développent considérablement, et se manifestent par
l'importation de denrées alimentaires et de végétaux tout droit venus du monde méditerranéen.
Le corail et le vin sont les principaux produits importés. La Champagne est la région qui profite
le plus de ces importations et ainsi va développer la richesse de ses productions.
Cette décoration fait écho aux bracelets, anneaux de chevilles, colliers, et ceintures des femmes
de l'époque. L'utilisation du corail, ici, signifie deux choses, dans un premier temps il représente
les ornements réels portés par les femmes de l'époque et dans un second temps, il définit des
détails anatomiques comme les mamelons ou les yeux. La fin du VI ème siècle est aussi
marquée par une multiplication des fibules qui portent la trace de l'appropriation de cette
nouvelle denrée. Le corail est donc de plus en plus utilisé pour l'ornementation et le
rehaussement de ces agrafes vestimentaires faites en bronze, mais aussi des épingles à cheveux,
des bracelets etc. En général les incrustations de corail se trouvent aux extrémités des fibules.
Cette fibule hallstatienne tardive provenant du site de la Heuneburg et datée de la fin du VI ème
siècle et du début du V ème siècle av. n è, le montre. Cet objet au pied en forme de tête d'oiseau
est fabriqué en bronze et incrusté de corail. Le corail et le bronze est un alliage que l'on retrouve
le plus souvent, il existe bien sur d'autre associations, comme avec l'or, le fer, et même l'argent.
Ces fibules, parmi d'autres objets archéologiques retrouvés témoignent du développement du
« premier style » de cet âge du fer définit par Paul Jacobsthal et naît de l’intensification des
contacts avec le monde méditerranéen.
Les torques marniens datés du laténien initial prouve également la naissance d'un nouvel art, sur
celui-ci issus de Breuvery le corail se trouve sous forme de cabochons et se situe entre les
oiseaux aquatiques, une version plus tardive de ce torque présente les incrustations de corail au
niveau des yeux des oiseaux. Le savoir -faire serait, ici, issus de la région Golasecca en Italie du
Nord. On remarque donc un bouleversement dans l'ornementation celtique. Ces peuples
empruntent au monde méditerranéen des motifs orientalisant, signifiés par les oiseaux
aquatiques, les monstres serpentiformes, et les griffons. On pense donc ici à l'apparition d'une
nouvelle divinité à mettre en parallèle avec la consommation du vin.
Pour continuer, l'utilisation du corail se déploie vers d'autres régions, notamment en France dans
le site ibérique du Languedoc occidental, mais aussi vers les îles britanniques. A partir du IV è
siècle av n.è les contacts entre les celtes et le monde greco-étrusque s'amplifient et malgré
l'effondrement de certaines principautés celtiques, la mode du corail se poursuit en parti grâce
aux migrations, et déplacements de ces peuples au contact le plus direct de la source du vin.
Cette période traduit un épanouissement de l'art celte, d'ailleurs, certaines régions vont
développer leur art en usant du corail sur des compositions surchargées, mais finement
façonnées. Le casque d'Agris découvert en Charente, fait parti des casques de prestiges comme
celui d'Amfreville et de Canosa Di puglia et traduit ce goût des celtes pour l'ornementation
méditerranéenne et les nombreuses incrustations de Corail sur des objets d'apparats.
Casque de Canosa Di puglia, IV è siècle
Casque d'Agris, IV è siècle
Ce casque constitué d'une coque en fer et recouverte de feuille de bronze et d'or fin est rehaussé
de barrettes de corail dans les deux registres supérieurs et inférieur. Ici, le corail contraste avec
le fond doré. Le casque d'Agris, accompagne des pièces d'armement dans une sépulture et
détermine ainsi la position sociale du guerrier. Ainsi, le corail est souvent utilisé sur des objets
de prestige dans les sépultures à inhumation, aux cotés de perles d'ambre, et de bijoux en or.
Ce remarquable changement iconographique et artistique témoigne d'un lien étroit entre
l'importation du corail et du vin. Le corail ayant la couleur rouge du vin, et provenant de la
même région peut signifier la consommation de ce nouveau produit, mais aussi l'ivresse, donc
les effets du vin sur les hommes. En effet, l'ornement en corail, élément rouge, présent sur les
fibules est généralement vasiforme on peut donc ici penser à la représentation d'un contenant par
exemple une cruche qui contiendrait du vin. Aussi, l'époque postérieure du seconde âge du fer,
atteste d'une nouvelles image, masculine, des êtres uniques ou doubles au regard rouges, voire
des masques humains entièrement rouges. On peut le voir sur l'attache inférieur de l'anse d'une
des cruches à vin de Basse Yutz en Moselle datée de la première moitié du IV ème siècle :
On distingue une tête barbue et moustachue coiffée de palmette et de motifs en hesse, la figure
caractéristique de l'arbre de vie entouré du répertoire orientalisant mis en place : oiseaux
aquatiques, griffons, bestiaire monstrueux. Les yeux étaient ici remplis par de gros cabochons
de corail. Ce motif apparaît donc comme la représentation d'une divinité celtique, dans laquelle
le corail signifie l'ivresse à caractère sacré, attribué au pouvoir divin.
L'importation du vin et du corail qui influencent fortement l'iconographie chez les celtes à partir
du Vè siècle av n è, et qui contribuent à la formation de l'art laténien, sont étroitement liés à un
phénomène religieux voire mythologique d'origine méditerranéenne : d'une part, le corail est
associé a une nouvelle ornementation composé de motifs orientalisant et traduit la présence
d'une nouvelle divinité, d'autre part son utilisation pourrait être lié à des mythe légendaires venu
de la Grèce occidentale.
La fonction de cet objet est sans doute cérémonielle, étant donné son existence dans un contexte
funéraire. La présence du corail s'expliquerait alors par une volonté de conjurer le mauvais sort,
de repousser les influences maléfiques. D'ailleurs de nombreux objets archéologiques de cette
époque, moulés en bronze sont rehaussés de corail, ce qui d'une part, tranche avec la couleur
sombre du métal et donc met l'accent sur la teinte sanguine du corail et d'autre part c'est un
moyen de hiérarchiser certains objets et montrer son appartenance au monde aristocratique
celte. Également lorsqu'il est porté, le corail peut prendre une toute autre signification, en
pendeloque par exemple, cela pouvait être un moyen de se protéger. Selon Pline l'Ancien « une
branche corail pendue au cou d'un enfant passe pour le mettre en sûreté. » En effet au début de
l'Empire romain plusieurs textes à visées mythologiques vont accorder au corail des vertus
religieuses et apotropaïques. L'auteur latin Ovide, associe l'origine du corail et l'un des
principaux personnage le plus effrayant de la mythologie, Gorgo plus connu sous le nom de la
« Méduse » dans son poème épique « métamorphose ». Selon la légende, Gorgo serait né de
plantes terrestres ou marines pétrifiée par le regard mort du monstre, ici Ovide, ou coloré par
son sang s'écoulant de la tête coupée. Le corail, lui, est une plante marine, fleurie qui vit sous
l'eau et qui meurt assez rapidement à sa sortie de l'eau, elle sèche et se fige. Comme une
pétrification. On peut donc ici faire un parallèle avec le mythe grec de la gorgone qui pétrifie
d'un seul regard quiconque se trouvant sur son chemin, et, lorsqu'elle meurt, se fige à son tour.
Aux yeux des grecs, la représentation de la gorgone avait un puissant pouvoir apotropaïque, ils
associent donc le port du corail et la consommation du vin, aux pouvoirs meurtriers de la
méduse.
Cette hypothèse permet de faire une comparaison entre le mythe grec et des observations
archéologiques issues du monde celtique. Chez les celtes l'image de la gorgone se manifeste
essentiellement dans la guerre, certaines armes de défense en témoignent avec des incrustations
de matière colorée. Ce détail se retrouve dans le comportement guerrier des celtes, et surtout
dans les motifs des armes, comme c'est le cas pour l'umbo central du bouclier en bronze
découvert dans la Witham et daté du IIIe siècle av n è.
Cet objet est orné de deux oiseaux très stylisés dont on ne voit que la tête et le bec. A l'origine
l’œil était incrusté de corail. En ce sens on peut interpréter la présence du corail comme une
manière de protéger le guerrier qui portait le bouclier. On retrouve également la présence du
corail sur le poignard de la tombe 116 de la nécropole de Hallstatt. Cette arme de prestige
possède une poignée en bronze sur laquelle des pastilles de corail sont incrustées. Une nouvelle
fois le corail est utilisé sur une arme, et dans un contexte funéraire ce qui souligne son rôle
magico-religieux. On peut supposer que le corail qui se trouve en pendeloque fait office
d'amulette, et lorsqu'il se trouve sur des armes, ou dans une sépulture, il protège le guerrier.
Dans les deux cas il repousse les forces maléfiques.
En définitive, la diffusion du corail dans l'art celte est indéniablement liée à l'importation du vin
de méditerranée, ce qui marque un tournant dans l'iconographie celte. Et donc, le lien entre cette
nouvelle ornementation, ces croyances et la mythologie grecque est à souligner. En effet, très tôt
le mythe de la gorgone, ou la Méduse à traversé le monde méditerranéen pour se développer
dans le monde occidental, sous le nom de Gorgoneion un masque représenté au fond des
céramiques qui met en garde celui qui boit contre les méfaits du vin. On peut donc supposer
que les échanges entre grecs et celtes n'étaient pas seulement économiques et commerciaux,
mais aussi culturels, les grecs transmettaient des récits légendaires aux commerçants celtes.
Le corail, bien moins prisé que l'ambre, a tout de même généré, comme ce dernier, des relations
commerciales qui ont fait le profit de l'Europe occidentale, en particulier la région de la
Champagne en France et de l'Europe Nord occidental, l'Allemagne. Les échanges commerciaux
entre le monde greco-étrusque et le monde des celtes transalpins se sont établis à partir du
premier âge du fer, jusqu'au IIIè siècle av n.è et ont fortement contribué au développement d'une
nouvelle iconographie. Celle-ci reprend des thèmes orientalisant et mythologiques issus de la
tradition grecque et témoigne du rôle magico-religieux qu'avait le corail durant cette période ;
un rôle à mettre en rapport avec la consommation du vin issu de la même région. La présence du
corail dans l'art celte témoigne donc d'une influence grecque forte, notamment lié aux récits
légendaires qui accompagnaient les échanges. Ainsi les relations entre la méditerranée et le
monde celtique semblent avoir été au-delà de simples échanges économiques, en raison de leur
portée culturelle.
Néanmoins, la présence du corail dans l'art celte aura été de courte durée. En effet dès le IIIè
siècle av n.è, on constate que les productions celtiques contenant du corail se réduisent jusqu'à
disparaître. Ceci est dû à la rupture des échanges entre grecs et celtes. En effet le corail
provenant des Îles Stoechades à été détourné des voies anciennes qu'il suivait. Il apparaît que le
commerce grec ait pénétré l'Inde à partir de la fin du IV è siècle av n.è, l'enthousiasme des
Indiens pour le corail méditerranéen n'a pu se développer qu'à ce moment là. Cette période
concorde avec la disparition du corail dans l'industrie celtique. Le témoignage de Pline ainsi
qu’un autre ouvrage antique intitulé « Périple de la mer rouge » datant de 85 ap J.C. révèlent un
commerce très actif fondé sur l'importation de perles et l'exportation de corail par les
méditerranéens.
Une des solutions face à la raréfaction du corail en Gaule fut d'usé d'autres matériaux. Ainsi le
verre opaque rouge tout comme l'émail rouge ont constitués les principaux substituts au corail
méditerranéen. Cependant, le corail, le verre et l'émail ne se succèdent pas de façon
chronologique, l'émail, par exemple, apparaît déjà dans les nécropoles du premier âge du fer, et
le métal en tant que décoration avec des verroteries, se constate dès l'époque hallstattienne. Il
semble tout de même que l'émail ait succédé au corail lorsque l'usage de celui-ci a disparu en
Gaule. L'existence de succédanés au corail montre l'importance de ce dernier dans l'art celte, et
dans les croyances qu'il inspire.
BIBLIOGRAPHIE
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